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'L I B RAHY<br />

OF THE<br />

U N IVLRS1TY<br />

Of ILLINOIS<br />

9I4.43G<br />

C\Zc<br />

1909


oins<br />

ERNES'<br />

Georges i^Tl<br />

de Paris<br />

PARIS


Coiq^ de pari?


a t tir de cet ouvrage,<br />

vingt exemplaires<br />

sur papier des Manufactures Impriales du Japon,<br />

tous numrots et parafs par l'diteur.<br />

DU MEME AUTEUR<br />

Promenades dans Paris. 1 vol. in-16 jsus, avec 125 illus-<br />

trations et plans d'aprs les documents fournis par l'auteur.<br />

(Douzime mille). Prix 5<br />

(Ouvrage couronn par l'Acadmie franaise.)<br />

Prix Berger, 1907.<br />

Nouvelles Promenades dans Paris. 1 vol. in-16 jsus,<br />

avec 135 illustrations et 20 plans anciens et modernes.<br />

(Huitime mille). Prix 5<br />

A Travers Paris. 1 vol. in-16 jsus, avec 148 illustrations<br />

et 16 plans anciens et modernes. (Cinquime mille). ... 5<br />

Les Thtres de Paris. (Le boulevard du Crime. Les thtres<br />

du Boulevard), avec 376 reproductions de documents<br />

anciens. 1 vol. in-16 gr. jsus. (Fasquelle, diteur.) Prix. . 5<br />

Coins de Paris. 1 vol. grand in-8 carr (18x23) avec<br />

100 illustrations documentaires. (Septime mille), puis.<br />

Il reste quelques exemplaires cartonns toile au prix de . .10


ItUE DU CHAUME EN 1866 [AUJOURD'HUI RUE DES ARCHIVES)<br />

HTEI, DE SOUBISE TOUR DE CLISSON.<br />

Dessin de A. Maignan.


Ouvrage couronn par l'Acadmie Franaise (Prix Berger 1907).<br />

Georges Cain<br />

Conservateur du Muse Carnavalet et des Collections historiques<br />

de la Ville de Paris.<br />

Coins de Paris<br />

PREFACE<br />

DE<br />

Victorien Sardou<br />

de l'Acadmie Franaise.<br />

Avec io5 illustrations documentaires.<br />

Nouvelle dition.<br />

PARIS<br />

ERNEST FLAMMARION, DITEUR<br />

26, RUE RACINE, 20<br />

Tous droits de traduction et de reproduction rservs pour tous les pays,<br />

y compris la Sude et la Norvge.


9 t4. 4s<br />

C /:<br />

A G. LENOTRE<br />

En tmoignage de trs sincre affection.<br />

G. C.<br />

Dcembre igo5.


PREFACE<br />

(^J~yetit-fils et fils de deux artistes d'un rare<br />

JL mrite et d'une clbrit ; P.-J. Mne<br />

jufle<br />

et Augufle Cain; mon excellent ami Georges Cain<br />

a fuffisamment prouv quil ejl le digne hritier de<br />

leur talent. Il veut conflater aujourd'hui qu'il fait,<br />

comme disaient nos Anciens,<br />

manier la plume auffi<br />

bien que le crayon que le Muse Carnavalet na<br />

pas seulement en lui le Confervateur actif pafi<br />

fionn que nous voyons tous les jours l'uvre, mais<br />

auffi le guide le plus clair en fait d'rudition pari-<br />

(enne, il a crit ce livre charmant qui voque<br />

mes yeux le Taris de mon enfance et de ma jeunejfe,-<br />

1


COINS DE PARIS<br />

ce Taris d'autrefois qui a fubi bien des trans-<br />

formations au cours des ficles; mais pas une auffi<br />

rapide, auffi .complte que celle dont j'ai<br />

tmoin.<br />

C'efl au point que j'ai peine<br />

t le<br />

retrouver<br />

dans certains quartiers, sous la ville de Napolon III,<br />

celle de Louis-Philippe, qui ferait aujourd'hui inha-<br />

bitable, tant donnes les exigences de la vie.<br />

moderne, mais qui rpondait aux befoins et aux<br />

habitudes de fort temps. On s'accommodait de<br />

dfauts que l'on jugeait invitables, aucune capitale<br />

n'en tant exempte. Et, en fomme, avec fes tares &<br />

fes verrues, ce Taris4 avait bien auffi fon charme !<br />

La plupart de fes rues taient trs troites et<br />

dpourvues de trottoirs. Il fallait fe garer des<br />

voitures fur le feuil des boutiques, fous les portes<br />

cochres ou l'abri de bornes plantes a l,<br />

cet effet. Toutefois, l oit la circulation tait la<br />

plus active, le piton courait moins de risques<br />

cheminer fur la chauffe qu'<br />

traverser aujourd'hui<br />

le Boulevard... Ce Boulevard, qui ne voyait paffer


PRFACE<br />

alors qu'un omnibus tous les quarts d'heure, dejfer-<br />

vant la place de la Madeleine & celle de la Bas-<br />

tille ; ou Von redoutait si peu d'tre<br />

"I<br />

craf, que,<br />

devant la Madeleine, j'ai vu les curieux faire cercle<br />

autour du btonniste, la place mme ou est aujour-<br />

d'hui le et<br />

refuge, que, fur la<br />

place<br />

de la Bafille, je jouais tranquillement<br />

au cerceau autour de l'l-<br />

phant<br />

de la Colonne de Juillet. On n'avait gure<br />

craindre dans tout Paris que les claboujfures des<br />

ruifeaux coulant au milieu des rues... quand ils<br />

coulaient; car, par les grandes chaleurs de l't, les<br />

eaux mnagres y croupijfaient jufqtiaux pluies<br />

d'orage. En hiver, la neige n'tant jamais balaye,<br />

l'emploi du fel<br />

tant inconnu, c'tait chose hor-<br />

rible que le dgel/ Tous les recoins des maifons mal<br />

alignes taient confacrs aux dpts<br />

d'ordures G*<br />

aux liberts qu autorifait che\ les pajfjants Vabfence<br />

de kiofques dont l'injlallation s'ejl fait trop long-<br />

temps dfirer. Ces rues enfin, caufe mme de leur<br />

croitejfe,<br />

taient plus bruyantes que les ntres. Le<br />

'


COINS DE PARIS<br />

roulement des lourds camions sur de gros pavs<br />

arrondis, mal ajufls, o ils rebondiff aient en bran-<br />

lant les maisons les vitres, les cris incejfants des<br />

marchands et marchandes de fruits, lgumes, pois-<br />

sons' fleurs, etc.. pouffant leurs charrettes bras,<br />

des marchands d'habits, de parapluies, de petits<br />

balais; des vitriers des ramoneurs; lafonnerie des<br />

fontainiers soufflant dans leurs robinets; V appel des<br />

porteurs d'eau, faifant claquer<br />

tour de bras les<br />

anfes de leurs faux ; les chanteurs ambulants por-<br />

tant de cour en cour leurs clarinettes leurs tam-<br />

bours de bafque : tout cela enfomme tait la gaiet<br />

de la rue. Ce qui n'tait pas tolrable, c'tait<br />

l'obsejfion des orgues de barbarie, fe relayant fous<br />

vos fentres, fans rpit, du matin aufoir,<br />

vous<br />

infligeant un/upplice auquel aujourd'hui encore je<br />

ne fong'e pas Jans colre/<br />

Enfin l'clairage de ces rues tait dplorable. La<br />

plupart en taient encore au rverbre, dont l'allu-<br />

mage, fur la chauffe<br />

arrtait toute circulation.


Mais, en revanche, la ville tait mieux garde, la<br />

nuit,011 elle ne ef prfentement, grce aux rondes,<br />

des<br />

patrouilles grifes qui circulaient fous le<br />

manteau, pas lents, la file indienne, rafant les<br />

murs et Je croifant en route, de faon fe prter<br />

main-forte au moindre appel. Heureux temps o,<br />

une heure du matin, dans mon quartier dfert^<br />

ftais affur de me heurter a l'une d'elles, et oit Von<br />

pouvait s'attarder, fans revolver en poche. Cefl,<br />

dit-on, que<br />

Paris tait moins<br />

grand,<br />

moins peupl,<br />

& la tche de la<br />

police plus facile. Ceft<br />

elle<br />

mefurer la protection fur le danger<br />

le nombre<br />

de fes agents fur celui des malfaiteurs, pour qui,<br />

du refle, on riavait pas alors les affectueux gards<br />

qrion leur prodigue aujourd'hui.<br />

Pour se faire pardonner fes rues troites, mal<br />

paves, mal claires, mal entretenues, Paris avait<br />

alors un attrait qu'il ri a plus :<br />

fes jardins.<br />

On fe le figure comme un fouillis de vieilles<br />

maisons, prives de jour,<br />

d y<br />

air falnbrede verdure.


VIII COINS DE PARIS<br />

En ralit* les maifons vieilles ou neuves n'exiflaient<br />

qu'en bordure fur la rue. Derrire elles, dans tout<br />

lefpace compris d'une rue Vautre, de vajles enclos<br />

leur affur aient le foie il, le filence<br />

la verdure,<br />

dont elles taient privesfur leurs faades. Nombre<br />

d'habitations s'taient taill, dans le morcellement<br />

des anciens htels des communauts religieufes<br />

des derniers fiecles, de grandes cours des jardins<br />

particuliers qui, Jpars par de baffes cltures, fe<br />

prtaient mutuellement leurs ombrages.<br />

Il en tait<br />

ainfi dans toute la ville, sauf dans la Cit et dans le<br />

centre, aux abords de l'Htel de Ville & des Halles.<br />

Il suffit d'un coup d'il fur les anciens plans de la<br />

Ville pour conflater que ces terrains non btis occu-<br />

paient fous Louis XVI la moiti, & fous Louis-<br />

Philippe le tiers de fa fuperficie<br />

actuelle. Dans les<br />

quartiers du Marais, de l'Arfenal, dans les fau-<br />

bourgs Saint-Antoine, du Temple, Popincourt,<br />

Courtille, dans la chauffe d'Antin, les Porcherons,<br />

le Roule, le faubourg Saint-Honor fur toute la<br />

la


ive Gauche, privilgie<br />

l'REFACK IX<br />

cet<br />

gard,<br />

ce n'taient<br />

qu'habitations clairfemes, au milieu de vergers,<br />

potagers, treilles, baffes-cours, bofquets grands<br />

parcs plants dy arbres<br />

fculaires. On s'acharne<br />

dtruire le peu qui en fubsifte<br />

au point de vue de<br />

l'hygine & de t agrment, cefl grand dommage.<br />

De ma fentre, rue d'Enfer, place de l'Ejlrapade,<br />

impaffe des Feuillantines, je ne voyais autour de moi,<br />

perte de vue, que profusion de feuillages. Rue<br />

Neuve-Saint- Etienne, de l'habitation de Bernardin<br />

de Saint Pierre, j'apercevais, au del de grandes<br />

alles d'arbres taills, les tours de Notre-Dame',<br />

je pouvais me dire, comme le bon Rollin, dans le<br />

distique grav fur fa porte, quelques pas<br />

de l :<br />

Ruris et urbis incola Habitant de la ville de<br />

la campagne . C'est au travers de ces jardins, de<br />

ces rues filencieuses, fi propices au travail, parfu-<br />

mes par les lilas, fleuries par<br />

les marronniers<br />

blancs & rofes, que l'on a trac les grandes voies<br />

nouvelles : les boulevards Saint-Germain 6' Saint-


X COINS DE PARIS<br />

Michel, les rues de Rennes, Cay-Lussac,<br />

la rue<br />

Monge qui a raf le pavillon champtre oii ejl mort<br />

Pafcal, dans cette mme rue Saint-tienne ; et la<br />

rue Claude-Bernard qui a fupprim<br />

les Feuillan-<br />

tines, o Victor Hugo enfant faisait lu chaffie aux<br />

papillons. Bientt le dernier furvivant<br />

religieux du quartier Saint-Jacques,<br />

Urfulines,<br />

velles/...<br />

va faire place<br />

des enclos<br />

celui des<br />

trois rues nou-<br />

La jouiffiance de ces jardinets attenant la plu-<br />

part des logis tait vivement apprcie par le petit<br />

bourgeois parisien, qui a toujours<br />

t d'humeur<br />

cafanire. On l'en raillait, au dernier ficle, dans<br />

un opufcule bien connu : Voyage de Paris Saint-<br />

Cloud par terre et par mer. Sa curiofit<br />

pays lointains n tait point<br />

des<br />

sollicite comme elle<br />

Vefl aujourd'hui par les rcits de voyages, les gra-<br />

vures, les photographies, les affiches<br />

en couleurs.<br />

Et le dplacement tait fort coteux ! Les chemins de<br />

fer ne lavaient pas encore mis la porte de toutes


PRFACE XI<br />

les bourfeS) par la rduction defes prix fes trains<br />

circulaires bon march. Unjimple ouvrier va plus<br />

facilement aujourd'hui Biarrit\,<br />

en Suisse ou<br />

Monte-Carlo que ne le faifait alors un rentier du<br />

Marais. Paris tait si peu dlaijje, par les grandes<br />

chaleurs de l't, que jamais les thtres ne faisaient<br />

plus grojfes recettes, furtout les fcnes populaires<br />

telles que V Ambigu, la Porte-Saint-Martin, la<br />

Gaiet, le Cirque, les Folies-Dramatiques,<br />

le Petit<br />

La\ary, Madame Saqui, le Thtre Hiflorique, etc.,<br />

groups au boulevard du Temple. La belle faifon<br />

permettait aux fpectateurs les plus loigns<br />

de venir<br />

pied<br />

cette foire dramatique, en<br />

conmifant,<br />

pour l'aller le retour, le prix d'une voiture,<br />

de faire queue fans avoir craindre le froid ou la<br />

pluie,- car le bon public de ce temps-l, qui aimait<br />

le spelacle pour lui-mme, ne rpugnait pas<br />

cette<br />

longue fanon entre deux barrires, avant l'ouver-<br />

ture des guichets, qui se faisait alors de f<br />

6 heures<br />

du soir. C'tait une des conditions, un des stimulants


XII COINS DE PARIS<br />

de son plaifr, quelque chofe comme V apritif du<br />

speclacle.<br />

Les vacances elles-mmes ne faisaient pas dans<br />

Paris des vides bien senfibles, si ce nef sur la rive<br />

Gauche. De mai octobre, la majorit de la claffe<br />

moyenne, petits commerants, fonctionnaires<br />

ren-<br />

tiers; employs, commis, travailleurs de toute sorte<br />

se contentaient, comme les hros de Paul de Kock,<br />

de parties de campagne, avec dners sur Vherbe,<br />

dans toute la banlieue parifenne : Vincennes, Mont-<br />

morency, Saint-Cloud, Romainville, etc. A Paris,<br />

les boutiquiers dreffaient leur couvert en plein air,<br />

dans les cours, les jardins, ou, dfaut,<br />

dans la<br />

rue. Quand je rentrais de mes promenades du<br />

dimanche, Vheure du dner, de 4


DMOLITION DE LA RLE SAINT-HYACI\TIIE-SAINT-MICHEI.<br />

la hauteur de la rue Soufflot.<br />

Kau-forle le Martial.


PRFACE<br />

au pajfage par quelque fillette aux yeux bands<br />

qui, pour me reconnatre, promenait fa<br />

main<br />

fur<br />

ma figure,<br />

aux<br />

grands<br />

clats de rire de tous les<br />

dneurs ! Et fi par les longues joires d't, quelque<br />

partie de barres commence la grande<br />

alle du<br />

Luxembourg nous entranait, mes camarades moi,<br />

dans la rue de Vaugirard, la petite place Saint-<br />

Michel, & la rue d'Enfer..., les bonnes gens qui<br />

prenaient le frais fur le pas de leurs portes<br />

n ac-<br />

cordaient aucune attention cette galopade de<br />

gamins en pleine rue.<br />

Bref, c tait la province !<br />

Ces murs bourgeoifes, que Von peut caral-<br />

rifer d'un mot en difant quelles<br />

taient dix-huit-<br />

cent-trente , ont furvcu la Rvolution de 1848<br />

& perfifl jusqu'au Second Empire, o<br />

chemins de fer, l'afflux des<br />

l'extenfiondes<br />

trangers, les grandes<br />

entreprises indufirielles & commerciales, la prosp-<br />

rit<br />

croiffante, le fouci du confort & du luxe, la vie<br />

publique plus aclive, la concurrence plus pre, la


XVI COINS DE PARIS<br />

lui te pour la vie plus acharne ont enfant les murs<br />

ahuelles! Transformation furprenante laquelle<br />

n'a pas peu contribu la cration d'un nouveau Paris<br />

fur les ruines de l'ancien. Que de fois je me fuis fli-<br />

cit d'avoir, ds Vge de quinze ans, donn pour but<br />

mes flneries des jours de cong la recherche dans<br />

les vieux quartiers aujourd'hui ventrs, morcels,<br />

difparus, des moindres veftiges du pajp, comme si<br />

f avais prvu qu' bref<br />

dlai ils seraient mis en<br />

pouffire par la pioche du dmoliffeur !<br />

Le Paris de Louis-Thilippe tait, peu de<br />

chofe prs,<br />

celui de la Rvolution du Premier<br />

Empire. Chaque pas y rveillait des fouvenirs dont<br />

on n'tait gure proccup en mon jeune temps, le<br />

Romantisme tant tout au Moyen Age<br />

Renaissance, plus curieux de la Saint-Barthlmy<br />

que des maffacres de Septembre. IL regardait ten-<br />

drement la vieille tourelle d'angle de la place de<br />

Grve, & ne donnait pas un coup d' il fur la mme<br />

place. l'enseigne oh fut<br />

la<br />

accroch le malheureux


mi<br />

s


PRFACE<br />

Foulon. Il dplorait la disparition de la Porte<br />

Barbette qui vit le meurtre de Charles d'Orlans,<br />

& n'allait pas voir,<br />

lets, la borne ou fut dcapit<br />

XIX<br />

trois pas de l^ rue des Bal-<br />

le cadavre de Madame<br />

de Lamballe. Peintres, romanciers, potes, historiens<br />

ces<br />

ddaignaient<br />

localits encore chaudes du drame<br />

rvolutionnaire dont ils prtendaient retracer quel-<br />

ques pifodes. Ary Schejfer<br />

veut nous montrer<br />

'<br />

l<br />

arreftation de Charlotte Corday. Il n'a garde de<br />

confulter les documents trs prcis qui la feraient<br />

revivre<br />

attitude<br />

fes yeux<br />

jufqu<br />

aux ntres, avecfon vifage,fon<br />

sa toilette. Il ne fonge mme pas<br />

aller rue des Cordeliers, vifiter le logement de<br />

Marat, encore intal, jufqu<br />

son cordon de fon-<br />

nette ! Et il nous offre une Charlotte de fon cru,<br />

toute de chic, qui a l'air d'une femme de chambre<br />

arrte par le concierge, au moment oh elle fort,<br />

ayant fur le dos la robe de fa matrejfe !<br />

Alfred de Vigny, dans fon Stello, ejl auffi peu<br />

soucieux de l'exactitude des localits que de celle


COINS DE PARIS<br />

des Il<br />

faits. dreffe Vchafaud d y<br />

Andr Chnier,<br />

**<br />

fur la place de la Rvolution / aprs Vy avoir<br />

conduit dans une charrette charge de plus de<br />

quatre-vingts vicliinesf! dont quelques femmes<br />

avec leurs enfants<br />

Et ainfi des autres !<br />

la mamelle lit<br />

Mieux avif, je nai pas ddaign ces vieilles<br />

pierres, humbles tmoins de fi grands faits, grce<br />

elles foi revcu la Rvolution sur place. Elles<br />

taient condamnes difparatre. On ne fonde une<br />

ville nouvelle que fur les dbris de l'ancienne, il<br />

efl bien difficile de concilier les exigences du pr-<br />

Cent avec le culte du pajf. D'ailleurs, la plupart<br />

de ces vieilleries, celles mmes qui pouvaient<br />

tre<br />

fauves, feraient trifte mine au milieu des fplen-<br />

deurs de la ville acluelle. Ce qui me fche, c efl -de<br />

conftater quon les a remplaces quelquefois de<br />

faon les jaire plutt regretter.<br />

Ainfi, par la<br />

exemple., Cit! La dmolition de<br />

Ces mafures, de fes ruelles finiftr-es, na pu cha-


PRFACE<br />

griiier que les enrags de pittoresque<br />

ou les admi-<br />

rateurs des Mystres de Paris. Mais il faut bien<br />

avouer que Notre-Dame avait, dans fin vieux<br />

parvis, plus grande allure qu'<br />

XXI<br />

l'extrmit de ce<br />

grand dsert, oh elle femble pofer btement pour<br />

le photographe, entre le vide, de la rivire cet<br />

affreux Htel-Dieu qui<br />

a l'air d'un abattoir l<br />

il n'tait pas non plus bien ncefjair, en dpla-<br />

ant le March aux fleurs, d'interdire aux vendeuses<br />

les jolies logettes qu'elles improvif aient autrefois<br />

l'aide de feuillages, de branchages<br />

de fleurs,<br />

de leur impof'er ces toitures en \iiic qui ne devraient<br />

abriter que des fleurs artificielles, pour complter<br />

le charme de ce bofquet adminiftr atif !<br />

On pouvait aujji se difpenfer d'ventrer la<br />

place Dauphine, que j'ai vue aufi charmante que la<br />

place Royale, avec fes briques rofes, pour nous<br />

montrer le monument funbre qui efl l'entre du<br />

Palais de Juftice<br />

escalier.<br />

l'horrible baluftrade de fou


XXII COINS DE PARIS<br />

Auffi bien, puifque le hafard de la promenade<br />

nia conduit au Pont-Neuf, je pourfuis de ce ct<br />

ma petite flnerie rtrofpelive.<br />

On peut fliciter le Pont-Neuf plus neuf<br />

que jamais, d'avoir perdu fes hauts trottoirs, les<br />

dcrotteurs, tondeurs' de chiens, coupeurs de chats,<br />

blottis entre fes bornes, & les boutiques de mer-<br />

cerie, papeterie, parfumerie, pommes de terre<br />

frites, briquets phofphoriques, allumettes chimiques<br />

allemandes, etc., inflalles jdans les gurites en<br />

demi-lune que Von a rafes pour y inftaller des<br />

bancs. Mais quel vandalifme que le badigeonnage<br />

des deux maifons en briques qui font face laftatue<br />

de Henri IV. Elles ont t construites pour la place<br />

qu elles occupent. Elles font corps avec le pont<br />

contribuent grandement<br />

sa dcoration. S'il plat<br />

aux propritaires, qui les ont dj blanchies, de les<br />

remplacer par des conftruclions quelconques, cen<br />

ejl fait de run des plus jolis aspects<br />

Paris.<br />

du vieux


On pouvait aufi pargner<br />

PRFACE XW<br />

Saint-Germain-<br />

l Auxerrois le voifinage de cette tour, qui fe donne<br />

pour gothique, et de cette mairie, qui Je croit<br />

Renaijfance. Vglife y perd toute fa grce & l'en-<br />

femble efl ridicule.<br />

Du moins, en lui tournant le dos, on a lafatif-<br />

faction de ne plus<br />

voir devant la Colonnade un<br />

terrain vague, entour de palijfades pourries. Il ne<br />

lui manquait que des croix pour avoir l'air d'un<br />

cimetire.<br />

Et, par le fait, cen tait un!<br />

mme o<br />

Sous la Reflauratioi, on y avait enfoui,<br />

efl la ftatue queflre de Velasque\, des<br />

momies d'Egypte, dcompofes par leur trop long<br />

sjour dans l'humidit des falles bajfes<br />

En 1830,<br />

l<br />

du Louvre.<br />

la mme place, les corps des aff aillants<br />

tus J attaque du Louvre furent jets la hte<br />

dans une fofje commune. Dix ans plus tard, quand<br />

on voulut donner ces braves une plus noble fpul-<br />

ture, on exhuma ple-mle patriotes 6" momies. Et


XXVI COINS DE PARIS<br />

les contemporains des Pharaons sont pieusement<br />

enfevelis fous la colonne de la Baflille, comme<br />

combattants de Juillet!<br />

J'ai connu la cour du Louvre avec une ftatue<br />

du duc d'Orlans mije au rebut aprs 1848, &<br />

laquelle fuccda<br />

e<br />

celle de Franois I \ par Clefin-<br />

ger. Quelque imbcile le rayant Sire<br />

baptife<br />

de<br />

Framboisy , cette plaifanterie tait trop idiote pour<br />

n avoir pas le plus grand Juccs. Elle n'a pas t<br />

trangre<br />

un meilleur sort.<br />

la disparition d'une uvre qui mritait<br />

La cour a, de plus qu'autrefois, des ftatuettes<br />

dans quelques-unes de fes niches : l'ingnieux trac<br />

fur le fol du Louvre de te<br />

Philippe-Auguj & des<br />

parterres qui fe font pardonner leur inutilit par<br />

leur mode f de.<br />

Aucune defcription ne fuirait donner Vide de<br />

ce qu'tait alors la place du Carroufel, dans l'tat<br />

provifoire auquel la condamnait, depuis le Premier<br />

tmpire, la runion du Louvre aux Tuileries, tou-


PRFACE XXVII<br />

fours projete, toujours ajourne. Ce n tait que<br />

tronons de rues ventres, maifons ifoles, demi<br />

dmolies, tayes par des poutres. Le fol ingal,<br />

effondr, dpav, n tait plus, les jours de pluie,<br />

quun vaste bourbier. La grande galerie<br />

du Louvre<br />

tait flanque d'un affreux corridor en planches,<br />

la galerie de bois , toujours prte flamber/<br />

Car il ejl de tradition qu' proximit du Mufe il<br />

y ait une caufe permanente<br />

d'incendie! Du mme<br />

ct, la lifte civile avait conftruit des baraques<br />

qui, de la petite cour du Sphinx jufquau guichet<br />

f ai faut face au pont des Saints- Pres, envelop-<br />

paient les ruines de V ancienne glife Saint-Thomas-<br />

du-Louvre de fes dpendances, telles que le<br />

prieur<br />

o<br />

Thophile Gautier, Grard de Nerval,<br />

Nanteuil, Arfne Houffaye<br />

leur Bohme galante<br />

. Ces<br />

autres avaient inftall<br />

baraques, pour qui il<br />

faut plaider les circonjlances attnuantes, taient<br />

loues des marchands de couleurs, de gravures,<br />

de tableaux et de curiofits de toute Jorte. Je vois


XXVIII COINS DE PARIS<br />

encore un grand magafin de bibelots o, dans le<br />

plus amufant des fouillis, au milieu d'ufs d'au-<br />

truches, de crocodiles empaills<br />

de chevelures de<br />

Teaux-Rouges, le collectionneur de merveil-<br />

faifait<br />

leufes trouvailles. Et que de richejjes aujji<br />

dans les<br />

cartons que les marchands de gravures expofaient<br />

devant leurs portes<br />

la curiofit des amateurs. Ce<br />

n'taient, outre les gravures, que dejfms, croquis,<br />

sanguines, gouaches de Cochin, Moreau, Boucher,<br />

Lawrence, Fragonard, Saint-Aubin, Prudhon,<br />

Boilly, Isahey,<br />

etc. J'ai l<br />

paff<br />

des heures dli-<br />

cieufes fouiller dans ces cartons, o je ne pouvais,<br />

hlas! qu'admirer, n ayant pas le moyen d'acheter<br />

des chefs-d'uvre dont je prsentais la valeur<br />

future &> que l'on donnait alors vil prix, les<br />

pdants de l'cole de David ayant en fouverain<br />

mpris Van franais<br />

aimable<br />

trop fpirituel<br />

du xvm e<br />

leur gr.<br />

ficle, trop<br />

Monsieur,<br />

me disait plus tard un de ces marchands, j'ai roul<br />

des gravures de Pou (fin, dont je ne donnerais, pas


PRFACE XNXI<br />

aujourd'hui quarante Jous, dans des Debucourt que<br />

je ne cderais pas pour mille francs !<br />

Tout cela a t balay par la runion des deux<br />

Palais par le prolongement<br />

de la rue de Rivoli<br />

qui nous a dots, en outre, d'une trs belle place<br />

devant le Palais-Royal, en<br />

fort mefquine,<br />

change de- V ancienne,<br />

de fon chteau d'eau, monument<br />

a jf e \ dcoratif, mais tout noir de craffie &<br />

d'humidit.<br />

Quant au Palais- Royal, que<br />

le duc d'Orlans<br />

femblait avoir confint pour qu'il ft le forum de<br />

la Rvolution, s'il n'tait plus le rendez-vous des<br />

politiques, des clubifles, des des orateurs<br />

ga\etiers,<br />

en plein vent des agioteurs, le champ de bataille<br />

des fans-culottes<br />

des mufcadins, des royalif.es<br />

des demi-foldes , la promenade officielle des Mer-<br />

veilleufes, de tous les demi-caflors<br />

de toutes les<br />

impures ; s'il n'avait plus fes galeries de bois, fon<br />

camp des Tartares, fa grotte hollandaife, fes<br />

maifons de jeu, il tait toujours le quartier gnral


XXH COINS DE PARIS<br />

des nymphes<br />

du voifinage ; & grce fes deux<br />

thtres, fes reftaurants, fes cafs renomms,<br />

fes riches boutiques, furtout<br />

celles des joailliers,<br />

il tait encore la grande attraclion de Paris pour<br />

les nouveaux dbarqus de la province & de<br />

V tranger. A la moindre onde, la circulation<br />

devenait impoffible fous fes portiques,<br />

en tout<br />

temps, le dimanche furtout, jour i de rendez-vous,<br />

il y avait cohue dans la galerie vitre ou tout<br />

rcemment, je me fuis vu feul, abfolument feul!<br />

tait<br />

Du palais- des Tuileries, que dire? finon qu'il<br />

qu'il nef plus!... Que je regrette les<br />

magnifiques ombrages de fa grande alle fans<br />

rivale, mme Ver failles, fes maffifs de marron-<br />

niers qui bravaient le plus ardent soleil / La nature<br />

seule eft coupable de leur difparit'wn, mas On<br />

aurait pu les remplacer par des plantations moins<br />

piteufes que l'invitable platane l'acacia, qui,<br />

fleurs part, eft bien le plus bte le plus mal<br />

fait de tous les arbres. Cela promet<br />

une belle


PLACE DE l.A CONCORDE.<br />

Dessin .original de G. de Saint-Aubin. (Collect. G. Gain.)


PRFACE XXXV<br />

frondaifon pour l'avenir, fi l'avenir n'efl pas, pour<br />

ce malheureux jardin, fa suppreffion totale ou tout<br />

au moins son morcellement/...<br />

T ai vu la place de la Concorde fans fes fon-<br />

taines<br />

fes Jlatues, fauf les quatre<br />

Marly : ceux de Coyfevox<br />

ceux de Coujlou<br />

chevaux de<br />

la grille des Tuileries,<br />

l'entre des Champs-lyfes.<br />

On travaillait dans mon enfance, reflaurer les<br />

socles des futures villes de France. Ils taient,<br />

depuis Louis XV, coiffs de calottes de pltre,<br />

pareils<br />

des couvercles de marmites, ddaigns<br />

au celui<br />

point que qui porte<br />

la ville de<br />

Strafbourg<br />

a" un<br />

ignoble tuyau de<br />

pole... Du<br />

tait flanqu<br />

moins, tait-il le feul qui choqut la vue. Compte\<br />

ceux qui couronnent aujourd'hui les monuments de<br />

Gabriel! On s'objlinait encore<br />

conferver autour<br />

de la place les foffs qui avaient fait tant de<br />

viclimes en s'oppofant, les jours de fte, l'cou-<br />

lement de la foule. Un foir qu'on tirait un feu<br />

d'artifice pour la fte du Roi fur le pont<br />

de la


XXXVI COINS DE PARIS<br />

Concorde, je n'eus que le temps de me rfugier fur<br />

une de leurs baluflrades, d'oii je faillis<br />

tre jet<br />

dans le fojf par ceux qui fuivaient mon exemple.<br />

L'oblifque, lui, venait d'tre<br />

rig<br />

au centre<br />

de la place, oh il n avait pas d'autre raifon d'tre<br />

que<br />

de tirer d'embarras la Monarchie de Juillet.<br />

Elle ne J avait qu'y mettre pour mnager toutes les<br />

opinions. Cette vieille pierre, indiffrente<br />

partis, fymbolifait<br />

bien leur Concorde.<br />

tous les<br />

Tour qui a vu les Champs- lyfes fous Louis-<br />

Philippe, ils ! Ils font mconnaiffables<br />

n'taient<br />

pas, en ce temps-l,<br />

comme le boulevard des Ita-<br />

liens, le rendez-vous de ce qu'on appelait, avec la<br />

fotte mode de V anglomanie, la Fashion . Oh<br />

n'y prenait pas des glaces comme au perron de<br />

Tortoni. Les mondains & mondaines n'y 'pajf aient<br />

qu'<br />

cheval ou en voiture, abandonnant ddaigneu-<br />

fement les contre-alles des promeneurs plus<br />

modejles, aux petites gens qui s'y boufculaient dans<br />

la poujfire,<br />

aux flneurs, aux dfuvrs, t<br />

aux


'<br />

PRKKACE XXXVII<br />

trangers, aux convaie f cents, aux coliers en pro-<br />

menade, aux nourrices, aux bonnes d'enfants<br />

aux<br />

toudourous ; aux joueurs de barres, de boules de<br />

ballon du carr Marigny, & l'innombrable mar-<br />

maille qui fe ruait fur la voiture aux chvres<br />

pouffait, des cris de joie devant les guignols/<br />

On n'y voyait pour tous cafs, que trois pavil-<br />

lons indignes de ce nom, des petites buvettes ambu-<br />

lantes fur trteaux, avec carafes de limonade et<br />

d'orgeat,<br />

les marchands de coco fecouant leur<br />

clochette ; pour tous reftaurants, deux infimes<br />

traiteurs, les marchands de (rteaux de Nanterre,<br />

de pain d'pices, de gaufres, et les oublieux<br />

faifant grincer leur crcelle ; pour concerts, les<br />

rcleurs de violon, de guitare & de harpe, les chan-<br />

fonniers populaires<br />

fpectacles et rjouijfance<br />

l'homme-or cheflre ; pour<br />

avant l'ouverture du<br />

jardin zMabille, le cirque d't de Franconi, le<br />

Panorama du colonel Langlois, les balanoires, les<br />

chevaux de bois, le tir l'arbalte, la<br />

toupie


XXXVIII COINS DE PARIS<br />

hollandaife<br />

le jeu de Siam ; pour luminaire,<br />

quelques becs de ga\, les chandelles des petits<br />

dbitants les lanternes rouges des marchandes<br />

d'oranges. Et pas une peloufe, pas un majfif<br />

d'arbufles, pas une corbeille de fleurs ! Rien,<br />

abfolument rien de ce qui fait aujourd'hui le charme<br />

de cette exquife promenade !<br />

Au Rond-Point finirait Paris!<br />

Au del, ce n'tait qu'une forte de faubourg,<br />

avec, de loin en loin, quelque bel htel du dernier<br />

ficle : un grand jardin, des terrains vendre, non<br />

btis, des maifons de rapport ajfe\ minables, de<br />

grands dpts de meubles, des remifes, des manges<br />

des carroffiers, fur tout des carroffiers ! Aux<br />

abords de la rue de Chaillot, l'avenue tait borde<br />

gauche par un grand talus galonn. J'y ai vu,<br />

dans la belle faifon, des dneurs dcouper leur<br />

melon leur gigot, avec la joie nave de citadins<br />

refpirant le bon air des champs.<br />

Aux abords de l'Arc de Triomphe, l'avenue


XXXIX<br />

tait de plus en plus dferte & mal habite, &<br />

quand on avait franchi la barrire de l'Etoile, ce<br />

n'tait plus le faubourg, mais la banlieue. L o<br />

l'on a trac les belles avenues du Bois ViSlor-<br />

Hugo, on ne voyait que terrains vagues, cultures<br />

marachres, carrires & mafures inquitantes.<br />

Quant au bois de Boulogne, il tait fi laid, le jour<br />

fi dangereux la nuit, qu'il vaut mieux n'en rien<br />

dire.<br />

A droite de l'avenue, le Roule tait plus<br />

civilif, mais au del, vers Moujfeaux, il n'en tait<br />

pas de mme. Un foir, j'eus la curiofit<br />

de voir la<br />

maifon que Bal\ac venait de faire dans la<br />

conflruire<br />

rue qui porte fon nom... Aprs quoi je m'engageai<br />

au hafard dans ce quartier des Ternes qui m'tait<br />

inconnu. La nuit furvint je ne tardai pas<br />

m garer. Je longeais fur ma gauche un grand<br />

coquin de mur qui n'en finijfait plus, , la lueur<br />

de ples rverbres, trs efpacs, je ne voyais<br />

ma<br />

droite que des curies, des chantiers, des tables de


XL COINS DE PARS<br />

nourrijjeurs, de laitiers, exhalant des odeurs de<br />

poulaille & de fumier,<br />

rouges qui me rappelaient que,<br />

parages,<br />

amis avait t<br />

des gargotes<br />

rideaux<br />

dans ces mmes<br />

la mme heure, un profejfeur de mes<br />

pris au collet par un grand diable<br />

lui criant ; Ton argent, faquin ! Mon ami<br />

fumait un cigare. Ruf comme le fage Ulyjfe, il<br />

fait mine de s'excuter en plongeant fa main<br />

gauche dans le gouffet de fon gilet, tandis que, de<br />

la droite, il retire le cigare de fa bouche, du petit<br />

doigt fait tomber la cendre le plante<br />

dans l'il<br />

du malandrin qui lche prife en hurlant comme<br />

Polyphme ! Ce fouvenir mobfdait, aprs avoir<br />

traverf un mifrable<br />

hameau o<br />

je n tais guid<br />

vers Paris que par la pente du terrain, je refpirai<br />

enfin aux abords de la Ppinire, jurant bien quon<br />

ne me rattraperait plus dans ce coupe-gorge !<br />

Or, fy demeure!<br />

Ce coupe-gorge ejl aujourd'hui<br />

le quartier<br />

Monceau, l'avenue Hoche, l'avenue de Mefilne, les


CHEMIN DE RONDE DE LA BARRIRE DE L'TOILE EN 1854<br />

(Aujourd'hui avenue de Wagram.)<br />

Eau-forte de Martial.


PRFACE XLIII<br />

boulevards de Courcelles, Malesherbes, Hauff-<br />

manjti ce que Von appelait autrefois la Pologne,<br />

ou le gnral Lagrange me difait avoir chajf la<br />

perdrix dans fa jeunejfe.<br />

Et la conclufion de ce bavardage,<br />

car il<br />

faut bien conclure, cefl que V ancien<br />

je regrette<br />

Paris, mais que j'aime, bien le nouveau.<br />

Victorien SARDOU.


Paris<br />

! Que<br />

AVANT-PROPOS<br />

de visions voque ce mot magique<br />

: le<br />

Paris historique, avec ses palais, ses glises, ses<br />

monuments, ses rues et ses places publiques; le Paris<br />

littraire et son admirable dfil d'crivains, de potes,<br />

de penseurs, de dramaturges, de philosophes et d'humo-<br />

ristes : le Paris mondain, ses ftes, ses rceptions, ses<br />

modes, ses lgances et son snobisme; le' Paris des poli-<br />

ticiens, le Paris des journalistes, le Paris religieux, le<br />

Paris policier, le Paris bohme,<br />

bien d'autres encore i<br />

Tant de passions, tant d'vnements,<br />

le Paris industriel. Com-<br />

tant d'intrts<br />

s'y heurtent, s'y enchevtrent, s'y renouvellent, qu'une<br />

tude sur cette ville admirable et si complexe n'est pas<br />

plutt acheve qu'il convient presque de l'crire nou-<br />

veau : la vrit de la veille n'tant plus celle du lende-<br />

main,<br />

matin.<br />

le document exact hier se trouvant infirm ce


4G COINS DE PARIS<br />

Notre ambition est plus modeste et notre titre est un<br />

programme<br />

: Coins de Paris.<br />

Ngligeant de parti pris le trop connu, le trop dcrit,<br />

n'ayant surtout ni le dsir, ni la prtention de refaire un<br />

Guide de l'tranger dans Paris , ne recherchant que<br />

le rare, sinon l'indit, nous voudrions simplement donner<br />

ceux qui, comme nous, adorent notre vieille Cit, un<br />

peu de. la joie que nous avons chaque jour flner<br />

dans cette incomparable Ville. Notre but serait de con-<br />

tinuer, par des promenades dans ce qui<br />

nous reste du<br />

prcieux Paris d'autrefois, la srie des documenis peints,<br />

dessins ou gravs que renferme le Muse Carnavalet.<br />

La maison qu'aima tant Madame de Svign est, en<br />

effet, devenue le muse des Collections Historiques de<br />

Paris.<br />

C'est un coin dlicieux o palpite encore un peu de<br />

l'me ancienne de la grande Ville ! Nos prdcesseurs<br />

et nous-mme nous sommes efforcs de runir les<br />

documents de tout ordre qui retracent la vie de Paris.<br />

Chartes, plans, gravures, tableaux, autographes, placards<br />

jaunis et pierres commmoratives; enseignes de<br />

fer forg qui guidaient aux cabarets les buveurs du<br />

xvi e<br />

sicle; costumes de soies changeantes que portaient<br />

les jolies Parisiennes de Louis XV ; bonnets rouges de<br />

la Terreur ; ceintures dont se paraient les jeunes filles<br />

autour du char funbre de Voltaire ; souliers aux bouf-<br />

fettes tricolores qui foulrent le sol du Champ-de-Mars<br />

lors de la Fte de la Fdration ; cravate lgre de tulle


1.E MISE CARNAVALET.<br />

Karl Fichot.


AVANT-PROPOS 49<br />

noir que portait Marie-Antoinette, allant poser pour<br />

son portrait chez Dumont, le miniaturiste; pique de<br />

citoyenne ou sabre d'honneur; pierre commmorative<br />

de la Bastille ; bonnets de grisettes 1830 ou cothurnes<br />

de Merveilleuses ; ordre de comparution de la veuve<br />

Capet devant le Tribunal Rvolutionnaire ; affiche du<br />

spectacle des grands danseurs du Roy<br />

et convocations<br />

aux sances de la Convention : les grandes poques de<br />

la Royaut, les glorieuses journes de la Rvolution, les<br />

tragdies de la Terreur; les proclamations de l'Empire,<br />

les bulletins de victoires, les messes de Requiem, les<br />

joies, les douleurs, la vie enfin du peuple le plus impres-<br />

sionnable, le plus nerveux, le plus enthousiaste et le<br />

plus artiste qui ait jamais exist, tout se trouve<br />

Carnavalet, et le mme carton rassemblant avec un<br />

effrayant clectisme la succession foudroyante des vnements<br />

qui se sont passs au mme endroit nous mon-<br />

tre, pour une priode d' peine vingt annes et dans les<br />

mmes Tuileries, par exemple : l'arrive de Louis XVI,<br />

la prise du chteau le 10 aot, l'excution du Roi et<br />

celle de la Reine, la fte de l'tre suprme, Thermidor,<br />

Prairial et l'invasion de la Convention, les sections<br />

foudroyes Saint-Roch par Bonaparte, les revues du<br />

Carrousel, l'apothose du Roi de Rome, le dpart de<br />

l'Empereur, l'arrive de Louis XVIII, sa fuite, le retour<br />

de Napolon, la rentre de Louis XVIII, etc.<br />

Voil, j'imagine,<br />

de philosophie.<br />

une srieuse leon d'histoire... et<br />

4


50 COINS DE PARIS<br />

Notre but, je le rpte, serait donc simplement de<br />

continuer dans quelques promenades, que nous nous<br />

efforcerons de rendre aussi attrayantes que possible, la<br />

recherche de documents qui disparaissent, hlas ! un<br />

peu tous les jours.<br />

Nous diviserons Paris en trois grandes sections : la<br />

Cit et l'Ile Saint-Louis, la Rive gauche, la Rive droite.<br />

Aprs le document crit ou dessin,<br />

le document<br />

vivant, ou tout au moins ce qu'il en survit.<br />

Ce volume Coins de Paris est en grande partie<br />

la rdition d'un ouvrage Croquis du Vieux-Paris<br />

tir trs pelit nombre et publi en 1904 avec autant<br />

de luxe que de got la Librairie Conard.<br />

Depuis, non seulement ce volume fut revu et considrablement<br />

augment, mais encore toute une illustra-<br />

tion nouvelle fut choisie. Un artiste de grand talent,<br />

M. Tony Beltrand, mort hlas trop tt, avait orn les<br />

Croquis du Vieux-Paris d'admirables compositions<br />

dont il avait t, de plus, l'habile graveur. Nous avons<br />

d remplacer cette illustration par une srie de reproductions<br />

de tableaux, de dessins, d'eaux-fortes, de litho-<br />

graphies empruntes des collections particulires,<br />

des Muses, des Bibliothques, et c'est, pour nous,<br />

un devoir trs doux que de dire publiquement l'infinie<br />

bonne grce avec laquelle on a bien voulu nous venir en<br />

aide. Qu'il soit permis notre profonde reconnaissance<br />

de citer les noms de MM. Sardou, Claretie, Dtaille,<br />

Lavedan, Lentre, Bouchot, H. Martin, Funck-Brentano,


AVANT-PROPOS<br />

A. Maignan, Massenet, Pigoreau, Ch. Drouet,<br />

51<br />

de Roche-<br />

gude, Beaurepaire, Ch. Sellier, L.-P. Aubey, Bach,<br />

J. Robiquet, nos matres ou nos amis, qui nous ont<br />

le D r<br />

prt le plus prcieux concours. D'ailleurs, quand il<br />

s'agit de Paris, toutes les portes s'ouvrent et tous les<br />

curs battent.<br />

Notre tche fut facile ; si nous n'avons pas su mieux<br />

la remplir, la faute en est nous seul; il convient donc<br />

de terminer cet avant-propos par la vieille formule...<br />

plus que jamais<br />

de l'auteur .<br />

de circonstance : Excusez les fautes


Paris<br />

Coirs de Paris<br />

LA CITE<br />

est n dans cette le de la Seine qui a la forme<br />

d'un berceau et dont Sauvai parle de si pittoresque<br />

faon : L'le de la Cit est faite comme un grand na-<br />

vire enfonc dans la vase et chou au fil de l'eau, au<br />

milieu de la Seine.<br />

Celle particularit a certainement frapp les hral-<br />

distts de tout temps, et c'est de l que nous vient la nef<br />

qui blasonne le vieil cusson de Paris.<br />

La Cit s'offre donc avec sa proue au couchant et sa<br />

poupe au levant.<br />

La poupe, c'est Notre-Dame, et la proue relie aux<br />

deux rives par deux cordages de pierres, c'est le vieux<br />

Pont-Neuf, lev sur cette pointe extrme qui fut autre-<br />

fois l'lot du Passeur-aux-Vaches, o, le 11 mars 1314,<br />

furent brls Jacques de Molay, grand-malre des<br />

Templiers, et Guy, prieur de Normandie; le Pont-Neuf,<br />

dont Henri III, le 31 mai 1578, posa la pierre de ddi-<br />

cace, dcore des armes du Hoi, de la Reine iMre et<br />

de la Ville de Paris. Lorsque la premire pile mergea


56 COINS DE PARIS<br />

de l'eau, du cl du quai des Augustins, le roi s'y rendit<br />

du Louvre dans une magnifique barque, accompagn de<br />

la Reine Mre Catherine de Mdicis, et de la Reine<br />

Louise de Vaudmont,<br />

sa femme. Henri III avait l'air<br />

lugubre; le malin mme il avait enterr, l'glise Saint-<br />

Paul, Qulus, le plus cher de ses favoris, mort des blessures<br />

reues quelques semaines auparavant, lors du<br />

fameux duel des Mignons.<br />

Les Parisiens, irrvrencieux, n'hsitaient pas d-<br />

clarer que, par respect pour la tristesse Royale, le<br />

nouveau pont devrait s'appeler le Pont des Pleurs ,<br />

mais cette opinion ne dura pas! et, ds que<br />

Henri IV l'et inaugur, en juin 1603, encore mal<br />

asseur et inachev, le Pont-Neuf devint l'endroit le<br />

plus gai de Paris : Mondor y<br />

vend son baume et Tabarin<br />

y dbite ses sornettes, le singe de Rrioch y rcre les<br />

passants; on y fredonne les mazarinades, les duellistes<br />

y dgainent et les bandes de Cartouche et de Mandrin<br />

y dtroussent galamment les passants. Sur ce joyeux<br />

Pont-Neuf tout Paris se promne, s'amuse, se donne<br />

rendez-vous; Lorety va faire sa cueillette d'informations<br />

pour<br />

la Gazette rime :<br />

Ds le xvii e<br />

Si j'eusse t cette semaine<br />

Visiter la Samaritaine,<br />

J'eusse appris parmi les badauds<br />

Tout ce qui se passe...<br />

sicle, on assure- qu'il est impossible de<br />

traverser les douze arches de ce pont si populaire sans


\IK DU PONT-\KUI\ PRISE Il IN OEII.-DE-HOEUI DE LA COI.OWADE DL I.OUYHE.<br />

Aquarelle de Nicolle. Muse Cirnavaiet.


LA CITE 59<br />

croiser un moine, un cheval blanc et deux femmes<br />

aimables; c'est le passage officiel des processions<br />

I.E PETIT BRAS DE LA SEINE ET LE PONT-NEUF<br />

RoyaLes se rendant au Parlement, et c'est galement le<br />

Pont-Neuf qu'envahissent en hurlant les meutes popu-<br />

laires allant brler en effigie, place Dauphine, les


60 COINS DE PARIS<br />

Prsidents suspects de rendre plus de services que<br />

d'arrts; c'est enfin sur ce pont que le peuple contraint,<br />

en 1789, ceux qui mnent carrosses s'arrter et<br />

saluer bien bas l'effigie du bon Roy<br />

Henri dont la<br />

statue, soutenue aux quatre angles par les quatre figures<br />

d'esclaves qu'y fit placer Richelieu, se dresse au milieu<br />

du terre-plein, ce terre-plein o se signeront, en 1792,<br />

les enrlements volontaires, o retentira le canon<br />

d'alarme aux heures tragiques de la Rvolution ! Toute<br />

l'histoire de Paris est mle ce vieux et admirable<br />

Pont-Neuf, clbre dans le monde entier, le chefd'uvre<br />

d'Androuet du Cerceau et de Germain Pilon;<br />

le Pont -Neuf, qui fut la principale artre du vieux<br />

Paris.<br />

C'est donc par la Cit qu'il convient de commencer<br />

nos promenades : nous y rencontrerons quelques rares<br />

vestiges de la vieille Lutce; on y retrouva, maintes<br />

reprises, des restes de remparts, derrire le chevet de<br />

Notre-Dame et quelques-unes des pierres qui formaient<br />

cette antique dfense provenaient des arnes construites<br />

par les Romains. Les gradins du cirque avaient contribu<br />

arrter l'invasion normande; le mur de Pricls<br />

l'Acropole ne renferme-t-il pas des fragments briss<br />

d'antiques statues de marbre!...<br />

Mais la gloire de la Cit : c'est Notre-Dame! Suivons<br />

la tortueuse et si pittoresque rue Chanoinesse o le<br />

grand Balzac logeait M me de la Chanterie, et, au n 18,<br />

gravissons l'escalier branlant de la Tour Dagobert,


ATELIERS ET TRAVAUX DES FONDATIONS DE LA CASERNE<br />

DE I.A CIT EN 1864-1865.<br />

Photographie Richebourp, 29, quai de l'Horloge.


LA CIT<br />

vieux et prcieux dbris des constructions canoniales<br />

qui jadis enserraient la cathdrale de Paris : quelques<br />

dizaines de marches uses nous amneront une troite<br />

plate -forme, d'o nous dcouvrirons un admirable<br />

spectacle (*) :<br />

Notre-Dame, radieusement belle, merge comme une<br />

grande fleur de pierre, d'une masse de toits plats, noirs,<br />

gris ou bleus, et les majestueuses silhouettes de ses tours<br />

se dtachent immenses sur l'horizon. Sous, tous les<br />

caprices de l'heure ou de la lumire; que le soleil dore<br />

cette splendeur ou que la neige, ouatant les sculptures,<br />

tende sous ses pieds un tapis immacul; que le ciel<br />

en feu mette derrire sa masse violace un cadre d'or<br />

en fusion, ou que l'orage l'enveloppe de ses nuages<br />

cuivrs, toujours la noble cathdrale apparaLra dans<br />

son clatante beaut, dans son incomparable splendeur.<br />

L'lgante flche qui la termine se dcoupe nette et fire<br />

dans les airs, et des vols de corneilles tournent en<br />

poussant des cris stridents autour des toits fleuris de la<br />

Basilique parisienne. L-bas, au-dessus d'un blouissement<br />

de sculptures, de chemines, de pignons, de ponts,<br />

de clochers, de rues, les lointains bleus se fondent en<br />

teintes douces et finissent par se confondre l'hori-<br />

zon dans une note imprcise; les btes d'Apocalypse,<br />

que les gniaux artistes des temps passs ont accoudes<br />

aux balustrades des tours, se penchent grima-<br />

(1) Cette pauvre Tour Dagobert fut hlas dmolie l'an passt'\..<br />

G. G. (1909).<br />

63


64 COINS DE PARIS<br />

antes et narquoises sur ce grand Paris qui s'agite<br />

fivreusement au-dessous d'elles! C'est un des plus nobles<br />

aspects de la Ville que viennent de reflter nos yeux<br />

enchants.<br />

De l'autre ct, c'est la Seine, trane d'argent que<br />

sillonnent les bateaux et les barques; puis, plus loin, les<br />

nobles lignes du vieux Paris et, se profilant sur les nuages<br />

bas, au premier plan, Saint-Gervais et Saint-Protais,<br />

antique et prcieux<br />

sanctuaire du xvi e<br />

sicle, un des seuls<br />

qui gardent le charme intime de ces glises de province,<br />

o l'me se sent, dans la pnombre des chapelles, plus<br />

recueillie, plus mue, plus rapproche de l'infini,<br />

l'ombre des vitraux obscurcis par la poussire des<br />

sicles et la fume des encens.<br />

Dans le prolongement de Notre-Dame et derrire<br />

l'Iltel-Dieu, on rencontrait autrefois, un peu avant<br />

d'arriver au Palais de Justice, un ddale de ruelles<br />

sinueuses, troites et malodorantes : la rue de la Jui-<br />

verie, la rue aux Fves, la rue de la Calandre,<br />

la rue des<br />

Marmousets ; la plus basse prostitution y tenait ses<br />

assises depuis des sicles; des teinturiers y avaient<br />

install leurs baquets multicolores, et des ruisseaux<br />

bleus, rouges ou verts coulaient au milieu de ces rues<br />

aux vieux noms parisiens. D'humbles petites chapelles<br />

taient tapies contre Notre-Dame : Sainte-Marine, Sainl-<br />

Pierre-aux-Bufs et Saint-Jean-le-Rond o fut dpos<br />

d'Alembert. L'Htel-Dieu s'ouvrait droite de la<br />

cathdrale et formait avec le parvis Notre-Dame un


LA CIT 67<br />

cadre vraiment imposant cette admirable glise. Sur<br />

leur emplacement, le Second Empire a difi le nouvel<br />

Htel-Dieu et la Prfecture de Police, et ces deux<br />

immeubles, tristes et laids, semblent tre les repoussoirs<br />

naturels de cette gloire franaise : Notre-Dame-<br />

de-Paris.<br />

Rue Massillon, derrire un porche de pierres que le<br />

temps a verdies, s'ouvre, au n 6, une petite cour aux<br />

pavs suintants o passe parfois la cornette blanche<br />

d'une sur de charit ; un vieil et monumental escalier<br />

de bois, contemporain de Henri IV, dessert en un arrire<br />

btiment quelques pauvres logis. Dans cette humble et<br />

provinciale maison, d'un aspect quasi monastique, qui<br />

se croirait au cur de Paris, deux pas de l'Htel de<br />

Ville et de la Prfecture de Police! Disparu le Clotre<br />

dont les jardins en contre-bas existaient encore, il y a<br />

sept ans. Une norme et hideuse btisse, aux allures de<br />

brasserie, cache aujourd'hui tout le chevet de Notre-<br />

Dame, et l'antique Motte-aux-Papelards , rendez-vous<br />

habituel du personnel de la Mtropole, est remplace par<br />

un square, sorte de petit muse ciel ouvert, o sont<br />

rangs les dbris de pierres sculptes que le temps ou<br />

de regrettables mais ncessaires restaurations ont<br />

arrachs de la cathdrale.<br />

Rue de la Colombe passait l'enceinte gallo-romaine<br />

de la Cit, prs de la maison qu'habita Fulbert, l'oncle<br />

aux froces arguments de l'infortune Hlose, l'amie<br />

d'Ablard. Rue des Ursins on retrouve encore, au


68 COINS DE PARIS<br />

n 19, les restes d'une chapelle du xn e<br />

sicle, la<br />

chapelle Saint-Aignan ; saint Bernard y prcha, dit-on.<br />

Ce fut un des nombreux sanctuaires o, pendant la<br />

Terreur, des prtres rfractaires, sous les plus bizarres<br />

dguisements: porteurs d'eau, gardes nationaux, conducteurs<br />

de chariots, maons, parcourant la ville, venaient<br />

dire presque rgulirement la messe aux fidles que<br />

n'effrayrent jamais ni la guillotine, ni les rabatteurs de<br />

Fouquier, ni les porteurs d'ordres des Comits rvolu-<br />

tionnaires. Chose tonnante, pas un jour, pas une heure,<br />

mme aux plus terribles poques de la Terreur, les<br />

secours religieux ne firent dfaut ceux qui les invo-<br />

quaient. C'tait le temps o l'vque d'Agde, dguis<br />

en marchand des quatre-saisons, la barbe longue,<br />

portant les sacrements sous sa carmagnole, courait<br />

Paris, officiant et confessant dans les greniers, dans les<br />

rue Neuve-des-<br />

soupentes, dans les arrire-boutiques ;<br />

Capucins, on disait la messe dans une chambre, audessus<br />

mme du logis qu'habitait le terrible conven-<br />

tionnel Babuf !<br />

Du fond de son cachot, o il relevait le courage des<br />

dtenus (<br />

Il les empche de crier , disait Fouquier-<br />

Tinville) l'abb Emery, suprieur de Saint-Sulpice,<br />

n'avait-il pas organis dans les prisons de Paris un<br />

service de religieux desservant toutes les sinistres<br />

geles, dguiss en commissionnaires, en marchands<br />

d'habits, en blanchisseurs, en commis marchands de<br />

vins ? Jusque sur le chemin de l'chafaud, les malheu-


LE PETIT-PONT ET LES TOUHS DE NOTRE-DAME<br />

Eau-forte de Meryon.


LA CITE 7i<br />

reux que -Ton menait au supplice rencontraient les<br />

secours de la reli-<br />

gion.<br />

parcours<br />

rettes,<br />

Sur le sinistre<br />

des char-<br />

certaines fe-<br />

ntres indiques par<br />

avance, des prtres<br />

aposts envoyaient<br />

aux condamns l'ab-<br />

solution in extremis.<br />

Traversons la<br />

place du Parvis-<br />

Notre-Dame, o s'levaient<br />

autrefois<br />

l'Htel-Dieu et ses<br />

dpendances<br />

: l se<br />

trouvait le Tour aux<br />

enfants trouvs et les<br />

Cagnards,<br />

cet ancien<br />

repaire de dbauche,<br />

dont Meryon nous a<br />

laiss de si impressionnanteseaux-for-<br />

tes, et devant les-<br />

quels, tout enfant,<br />

nous nous arrtions<br />

plein d'effroi, en sui- mm PREFECTimE DE 1>0L1CE .<br />

vant de l'il les nor- Ancienne rue de Jrusalem. (Dessin de A. Maignan.)


72 COINS DE PARIS<br />

mes rats qui y logeaient et y dambulaient en plein<br />

jour, mangeant les ordures accumules.<br />

Entre Notre-Dame et le Palais de Justice, un lacis<br />

de petites rues enserrait jadis la Sainte-Chapelle et<br />

la Prfecture de Police, dont les jardins s'avanaient<br />

presque jusqu'au bord de l'eau. A la hauteur du Pont<br />

Saint-Michel quelques vieilles bicoques subsistent encore<br />

qui virent passer les meutes de 1793, de 1830 et de<br />

1848; une entre autres est encore debout quai des<br />

Orfvres, o travaillait le clbre Sabra, dentiste populaire,<br />

qui modestement s'intitulait le quenotier du<br />

peuple . C'est aujourd'hui un des coins bnis des bou-<br />

quinistes en plein air et aussi des pcheurs la ligne<br />

qui peuvent, au soleil et loin des bateaux-mouches, s'y<br />

livrer leur impassible sacerdoce.<br />

Ce vieux Coin de Paris a t jet bas il y a quel-<br />

ques mois, on difie actuellement sur ses ruines les<br />

annexes du Palais de Justice (1909).<br />

Avant de dcrire la Conciergerie, traversons la Cour<br />

du Mai ; l, devant le perron du Palais de Justice,<br />

droite, chaque jour les sinistres charrettes venaient<br />

pendant la Terreur charger 4 heures de releve<br />

leur lugubre fourne de condamns mort, sous l'il<br />

vigilant de Fouquier-Tinville qui, de la fentre de son<br />

bureau, comptait froidement, en se curant les dents, le<br />

nombre des victimes qui allaient l-bas .<br />

C'est de cette cour sinistre que, par un jour brumeux<br />

de novembre 1793, partit pour l'chafaud, les


LA CITE 75<br />

cheveux coups et les mains lies, la pauvre Manon<br />

Roland, dont la joyeuse enfance s'tait coule dans la<br />

maison de briques roses et blanches qui faisait l'angle<br />

du quai de l'Horloge et du terre-plein du Pont-Neuf,<br />

quelques mtres de la Conciergerie !<br />

Ce paysage charmant o elle avait fait de si beaux<br />

rves de gloire et de libert, elle le revit une dernire<br />

fois, alors que, sous les hues des aboyeurs et des furies<br />

de guillotine, on la menait l'chafaud. Sanson avait<br />

fait suivre son horrible cortge le chemin accoutum :<br />

le Pont-au-Change, le quai de la Mgisserie, la place<br />

des Trois-Marie ; de l, tournant ses yeux vers l'autre<br />

rive de la Seine, la pauvre femme qui allait mourir put<br />

contempler une dernire fois le dcor de ses annes<br />

heureuses, que dominait la masse imposante du Panthon<br />

franais, c'tait le nom nouveau de l'glise Sainte-<br />

Genevive, que la Convention venait de dbaptiser et<br />

de vouer au culte de nos gloires nationales<br />

La Conciergerie ouvrait sa porte cintre, dfendue<br />

par un triple guichet, au fond de l'troite et sinistre<br />

petite cour aux pavs verdis par l'humidit, qui s'tend<br />

droite du grand escalier du Palais de Justice.<br />

Les neuf marches qui la mettent au niveau de la<br />

Cour du Mai furent gravies par tous les condamns<br />

de la Rvolution. La Reine et Charlotte Corday, Madame<br />

Elisabeth et la veuve d'Hbert, le vertueux Bailly et<br />

Madame du Barry, Fouquier-Tinville et M. de Males-<br />

herbes, Danton, Robespierre, Camille Desmoulins,


76 COINS DE PARIS<br />

l'abbesse de Montmartre, Madame de Monaco et Ana-<br />

charsis Clootz : les princesses et les conventionnels, les<br />

ducs et les hbertistes, les gnraux de la Rpublique<br />

et les moutons de Fouquier , les plus nobles, les plus<br />

purs, les plus braves, les plus fous et les plus misrables<br />

franchirent ce seuil sinistre.<br />

Sanson, ses listes de mort en main, attendait en<br />

haut de cet escalier, devant les charrettes.<br />

Les tricoteuses et les aboyeurs de guillotine gar-<br />

nissaient les hauts degrs du Palais et se penchaient,<br />

hurlant, vomissant l'injure, et souvent jetant des ordures<br />

sur ces pauvres gens qui allaient mourir. La lugubre<br />

toilette des condamns avait t faite dans la rotonde<br />

o tait install le concierge, prs de la petite salle<br />

aux murs blanchis la chaux o le greffier enregistrait<br />

l'arrive des nouveaux venus ;<br />

l Sanson venait donner<br />

dcharge des malheureux qu'on lui livrait.<br />

Le fauteuil du greffier et sa table charge de registres<br />

occupaient environ la moiti de cette pice troite. Des<br />

tablettes places le long du mur supportaient les hardes<br />

laisses par les condamns, leurs pauvres souvenirs,<br />

les cheveux qui leur avaient t coups ; une grille en<br />

bois sparait cette chambre de l'arrire-greffe, o les<br />

moribonds attendaient pendant les longues heures qui<br />

sparaient la condamnation de l'excution ; si bien que<br />

les entrants pouvaient causer avec ceux dont le bourreau<br />

allait prendre possession. Des chiens froces venaient<br />

flairer et reconnatre les dtenus, pendant que des amis,


LA SAINTE-CHAPELLE EN 1875.<br />

Eau forte de Toussaint.


LA CIT 79<br />

des parents, tchaient d'obtenir de la piti des geliers<br />

quelques nouvelles des tres chers que<br />

renfermait la<br />

sinistre prison.<br />

Le jour de mon entre, crivait Beugnot dans ses<br />

Mmoires, deux hommes attendaient l'arrive du bour-<br />

de leurs habits et avaient<br />

reau. Ils taient dpouills<br />

dj les cheveux pars et le col prpar. Leurs traits<br />

n'taient pas altrs. Soit avec ou sans dessein, ils<br />

tenaient leurs mains dans la posture o ils allaient tre<br />

attachs et s'essayaient en des attitudes fermes et ddai-<br />

gneuses. Des matelas tendus sur le plancher indi-<br />

quaient qu'ils y avaient pass la nuit, qu'ils avaient dj<br />

subi ce long supplice.<br />

On voyait, ct, les restes du dernier repas qu'ils<br />

avaient pris. Leurs habits taient jets et l, et deux<br />

chandelles qu'ils avaient nglig d'teindre repoussaient<br />

le jour pour n'clairer cette scne que d'une lueur<br />

funbre.<br />

Il faut lire, dans les centaines de Souvenirs de<br />

prison qui parurent ds la chute de Robespierre, ce<br />

qu'tait l'existence des prisonniers, manquant de tout,<br />

dvors de vermine, brutaliss par les gardiens ivres ou<br />

froces,<br />

et il faut voir la sinistre cour o ils venaient<br />

respirer, troit triangle de terrain compris<br />

entre les<br />

murs de la prison et la Cour des femmes ; mais, avan-<br />

tage inapprciable, une simple grille de fer sparait ces<br />

deux cours. On pouvait se regarder , se parler, chan-<br />

ger le suprme baiser d'adieu, les dernires tendresses.


80 COINS DE PARIS<br />

Elle existe encore cette grille noire, sinistre, rouille,<br />

grinante comme autrefois, et il est facile d'voquer les<br />

fantmes qui la franchirent. Madame Elisabeth, Madame<br />

Roland, Ccile Renaud, Lucile Desmoulins, Madame de<br />

Montmorency et Charlotte Corday<br />

l'ont frle de leurs<br />

robes, la Du Barry, une des rares femmes qui aient<br />

trembl devant la mort Encore une minute,<br />

monsieur le Bourreau s'y est cramponne !<br />

Celte grille, la chapelle dite des Girondins, le couloir<br />

appel la rue de Paris , la petite<br />

infirmerie et le<br />

cachot de la Reine sont, avec la cellule grillage o les<br />

femmes attendaient leur excution, les seuls vestiges<br />

de l'ancienne prison ; plus loin, un gros mur nouvelle-<br />

ment lev ne permet plus de suivre le lugubre parcours<br />

des condamns, et ferme l'ancienne entre du<br />

greffe de la Conciergerie.<br />

Parcourons rapidement la Prison, hlas ! modifie et<br />

remanie ; arrtons-nous toutefois devant la porte du<br />

cachot o, pendant les trente-cinq derniers jours qu'elle<br />

avait vivre, fut enferme Marie-Antoinette.<br />

La Restauration, qui avait pris tche de faire dis-<br />

paratre bien des choses, a commenc par ce triste lieu.<br />

D'abominables verrires colores (et de quel coloris !)<br />

ont. remplac la fentre aux trois quarts obstrue et<br />

soigneusement grillage derrire laquelle la Reine,<br />

qui l'humidit de la prison et le manque de soins<br />

avaient abm la vue, allait quter un peu d'air et de jour.<br />

Le carrelage seul subsiste de cette pice de trois


LA CITE 83<br />

mtres sur cinq, qu'un bas paravent sparait de la<br />

chambre o se tenaient en permanence deux gen-<br />

darmes geliers ; c'est l qu'agonisa<br />

lentement cette<br />

malheureuse femme, manquant du ncessaire, dvore<br />

d'inquitude, sans nouvelles des siens, rduite<br />

emprunter la charit de la concierge Richard le linge<br />

indispensable, et dont la dernire dame d'atours fut<br />

l'humble servante Rosalie Lamorlire, qui sans oser<br />

lui faire une seule rvrence, de peur de la compro-<br />

mettre ou de l'affliger , lui jeta sur les paules<br />

un mou-<br />

choir de toile blanche, une heure avant le dpart pour<br />

l'chafaud.<br />

Contraste saisissant : ce cachot lugubre n'est spar<br />

que par une mince cloison de la salle de pharmacie o<br />

Robespierre, la mchoire fracasse, pendante, les bas<br />

rabattus sur les chevilles cause de ses plaies vari-<br />

queuses, encore vtu de ce bel habit bleu qui faisait<br />

tant de jaloux, quelques semaines plus tt, lors de la<br />

fte de l'Etre suprme, souill de sang et de boue, fut<br />

jet comme un hideux paquet.<br />

Sinistre, muet, ne donnant d'autre signe de vie que<br />

les soubresauts de douleur que lui arrachaient ses souf-<br />

frances, impassible devant les insultes des lches qui<br />

l'acclamaient la veille, l'Incorruptible y attendit qu'on<br />

vint le prendre pour l'attacher, pantelant, aux ridelles<br />

de la charrette qui, sous les hues de tout un peuple, le<br />

trana jusqu' l'chafaud.<br />

Au-dessus de ces cachots et relie eux par un


84 COINS DE PARIS<br />

troit escalier en pas de vis, se tenait l'audience publique<br />

du terrible Tribunal rvolutionnaire. Chose bizarre, les<br />

documents manquent presque totalement sur ce coin<br />

passionnant du Palais, o de si grands<br />

drames se<br />

jourent.<br />

Seul tableau de Boilly Le Triomphe de Marat<br />

figurant au muse de Lille, nous montre l'entre du<br />

Tribunal Rvolutionnaire.<br />

L'Ami du peuple , aprs son acquittement, sort<br />

triomphalement de la salle, frntiquement acclam par<br />

son escorte habituelle d'aboyeurs et de fidles !<br />

Dans le fond, entre deux piliers, au-dessous d'un<br />

bas -relief reprsentant la Loi, s'ouvre une sorte<br />

d'avant-corps en planches, avec cette inscription<br />

bunal Rvolutionnaire ! C'est l !<br />

: Tri-<br />

La salle o furent jugs la Reine, les Girondins et<br />

Madame Roland s'appelait salle de la Libert. Dans<br />

l'autre salle, dite salle de l'galit, comparurent Danton,<br />

Camille Desmoulins, Westermann, Hbert et Charlotte<br />

Corday. Les fentres donnaient sur le quai de l'Horloge,<br />

et la tradition rapporte que les clats de la puissante<br />

voix de Danton parvenaient durant son procs par les<br />

croises ouvertes jusqu' la foule anxieuse masse de<br />

l'autre ct de la Seine.<br />

Les derniers travaux excuts dans cette partie du<br />

Palais de Justice ont, hlas! tout boulevers, tout mo-<br />

difi, et du greffe de Richard et de Bault, qui aurait d<br />

rester jamais sacr, de cette unique issue de la Prison


LE TRIOMPHE DE MARAT.<br />

Fragment d'un tableau de Boilly. (Muse de Lille.)


LA CIT 87<br />

o il se fit de si terribles et dchirants adieux, de cette<br />

antichambre de la Mort dont tous les condamns de<br />

tous les partis foulrent les dalles, rien ne subsiste<br />

aujourd'hui !<br />

Les vandales administratifs en ont fait la Buvette<br />

du Palais . On<br />

y dbite de la viande froide, de la bire<br />

et de la limonade. On y a install un tlphone<br />

et un<br />

percolateur caf ! De maigres fusains s'tiolent dans<br />

la petite cour troite et sombre qui a vu tant d'illustres<br />

agonies! Immane nefas, rptait Paul- Louis Courier.<br />

Derrire le Palais de Justice s'levait autrefois la<br />

dlicieuse place Dauphine, o se firent les premires<br />

Expositions publiques de la Jeunesse , composes<br />

d'oeuvres d'artistes n'appartenant pas aux Acadmies<br />

officielles. Le Muse Carnavalet possde<br />

un bien<br />

amusant dessin au crayon sign Duch de Vancy et<br />

dat de mai 1783, qui porte cette inscription<br />

manuscrite :<br />

Vue pittoresque de l'Exposition des tableaux et dessins,<br />

place Dauphine, le jour de la petite Fte-Dieu . Le dimanche<br />

de la Fle-Dieu, en effet, lorsqu'il ne pleuvait<br />

pas , les artistes avaient licence dans la matine<br />

de soumettre leurs ouvrages au public ; s'il pleuvait et<br />

c'tait le cas en 1783 la fte tait remise au jeudi<br />

suivant : les tableaux taient exposs dans l'angle nord<br />

de la place, sur des tentures blanches apposes par les<br />

soins des commerants sur la faade de leurs boutiques,<br />

et l'exposition se prolongeait jusque sur le pont, face<br />

la statue du bon Henri IV. Oudry, Restout, de Troy,


88 COINS DE PARIS<br />

Grimoud, Boucher, Nattier, Louis Tocqu et enfin Chardin<br />

y ont accroch leurs uvres. Dans une excellente tude<br />

consacre aux Expositions de la Jeunesse, M. Prosper<br />

Dorbec prcise l'apport de Chardin cet phmre<br />

Salon de la place Dauphine; en 1728, Chardin, g de<br />

vingt-neuf ans, y figure avec deux chefs-d'uvre,<br />

la Raie<br />

et le Buffet, qui sont aujourd'hui deux des gloires de<br />

l'Ecole franaise au Muse du Louvre.<br />

Jusqu' la Rvolution, cette petite manifestation<br />

artistique passionna Paris. Quel joli spectacle devaient<br />

offrir la place Dauphine, les faades roses des deux mai-<br />

sons d'angle et le vieux Pont-Neuf dcor exquis,<br />

pittoresque et charmeur encombrs d'amateurs, de<br />

badauds, de critiques, de belles dames, d'artistes, d'aimables<br />

modles en claire toilette, se pressant affairs,<br />

babillards, enthousiastes, joyeux, par une douce matine<br />

de mai, devant les toiles fraches closes des<br />

Petits Exposants de la place Dauphine!


L'le<br />

L'ILE SAINT-LOUIS<br />

Saint-Louis est en quelque sorte le prolongement<br />

de la Cit. C'est une manire de province dans Paris.<br />

Les rues y sont silencieuses et dsertes; pas de boutiques,<br />

pas de promeneurs, pas de commerce; quelques vieux<br />

htels aristocratiques avec leurs hautes faades, leurs<br />

frontons blasonns et leur architecture svre disent seuls<br />

le glorieux pass de ce noble quartier.<br />

La flche ajoure de l'glise Saint-Louis-en-1'Ile met<br />

sa note lgante dans cet ensemble un peu triste. Les<br />

quais d'Orlans et de Bthune contiennent de vastes logis<br />

de fire allure. Rue Saint-Louis, se dresse l'admirable<br />

htel Lambert, ce chef-d'uvre de l'architecte Le Vau,


92 COINS DE PARIS<br />

que perdit au jeu, en une nuit, M. Dupin de Chenonceaux,<br />

cet lve ingrat de J.-J. Rousseau. Le Brun y peignit la<br />

galerie<br />

des Ftes et Le Sueur le salon des Muses.<br />

C'tait alors le rendez-vous de tous les beaux esprits :<br />

Madame du Chtelet y trnait, Voltaire y habitait, et<br />

l'htel Lambert rayonnait sur Paris bloui.<br />

Puis vinrent les mauvais jours, les chefs-d'uvre de<br />

Le Sueur furent vendus, la plupart migrrent au Louvre,<br />

et de l'uvre de ce grand peintre il ne reste gure<br />

l'htel Lambert qu'une grisaille place sous un escalier<br />

et quelques rares panneaux rpartis<br />

et l<br />

Enfin dchance suprme l'htel fut occup par<br />

des fournisseurs de lits militaires : les fines sculptures,<br />

les peintures somptueuses, les arabesques dores, dis-<br />

parurent sous une paisse poussire blanchtre provenant<br />

des cardes de laine. Dans la grande galerie que dco-<br />

rrent si somptueusement Le Brun et van Opstal, des<br />

matelassires installrent leurs trteaux et des quipes<br />

de femmes se mirent coudre des toiles grossires.<br />

Plus tard le prince Czartorisky acquit cette noble<br />

demeure et la sauva de la ruine.<br />

En aval de l'htel Lambert, s'lve le pont Marie, au<br />

pied duquel atterrissait le fameux coche d'eau d'o des-<br />

cendit pour la premire fois Paris, le 19 octobre 1784,<br />

un tout jeune homme ple, au front volontaire et qui<br />

ouvrait de grands yeux profonds sur l'horizon de l'im-<br />

mense Ville : c'tait Bonaparte, lve de l'cole de<br />

Brienne, qui venait continuer ses tudes l'cole mili-


l'le saint-louis<br />

95<br />

le futur Csar eut de ce<br />

taire, et la premire vision que<br />

grand Paris qui devait l'acclamer, fut le chevet de Notre-<br />

Dame, la vieille et admirable Noire-Dame, la Notre-Dame<br />

du sacre de Napolon, qui dut, ce jour-l, 2 dcembre<br />

1804, faire abattre dix-huit maisons, afin que la pompe<br />

de son Couronnement pt s'y dployer sans obstacle et<br />

dans toute sa magnificence!<br />

On rencontre enfin, quai d'Anjou, un des plus beaux<br />

htels de l'ancien Paris, l'htel Lauzun, que la gnreuse<br />

initiative du Conseil municipal sauva de la destruction,<br />

l'htel Lauzun avec ses incomparables boiseries, ses<br />

vieilles dorures, son glorieux pass, et qui est destin<br />

devenir le muse du xvn e<br />

sicle (*).<br />

Dans ce vieux quartier de l'le Saint-Louis, au<br />

confluent des deux bras de la Seine, les peintres, les<br />

crivains, les potes ont de tout temps lu domicile :<br />

George Sand, Beaudelaire, Thophile Gautier, Grard de<br />

Nerval, Mry, Daubigny, Corot, Barye, Daumier, y firent<br />

de longs sjours. Le club des fumeurs de haschich tint<br />

ses sances l'htel Lauzun, et la Vierge mutile qui, du<br />

fond de sa niche, l'angle de la rue Le-Regrattier,<br />

jadis rue de la Femme-sans-Tte, a vu dfiler toute la<br />

Pliade romantique, continuera longtemps encore rece-<br />

voir la visite de tous les amoureux du Paris d'autrefois.<br />

C'est enfin du quai Bourbon qu'il faut se donner la<br />

(1) Ce beau projet n'a pu<br />

tre ralis. La ville de Paris a re-<br />

nonc son acquisition et a rtrocd l'htel au baron Pichon,<br />

fils du collectionneur clbre.


96 COINS DE PARIS<br />

joie de contempler l'un des plus beaux spectacles du<br />

monde : un coucher de soleil sur Paris.<br />

La grande masse violace de Notre-Dame profile son<br />

imposante et superbe silhouette sur l'or empourpr du<br />

ciel en feu. Toute la ville disparat sous un poudroiement<br />

de lumire rose, pendant que les grands toits du Louvre,<br />

la flche de la Sainte-Chapelle, les poivrires de la<br />

Conciergerie, la tour Saint-Jacques et les campaniles de<br />

l'Htel de Ville, tout ce paysage charg d'histoire,<br />

s'illumine des derniers clats du soleil son dclin : La<br />

Seine charrie de l'or en fusion.<br />

C'est une sublime apparition.


Non<br />

Construction du Panthon. (Fragment d'une aquarelle de Saint-Aubin.)<br />

Muse Carnavalet.<br />

LA RIVE GAUCHE<br />

moins que la Cit, la rive gauche est riche de sou-<br />

venirs. C'est l que l'occupation romaine a laiss les<br />

traces les plus profondes. On y trouve les arnes de<br />

Lutce, et surtout les Thermes de Julien, sauvs de la des-<br />

truction par le got et l'initiative de Du Sommerard, alors<br />

que ces ruines grandioses, servant de magasins<br />

des ton-<br />

neliers, allaient tre abattues, entranant dans leur chute<br />

le merveilleux htel de Cluny, ce bijou du xv e sicle. Des<br />

restes de substructions romaines ont t, tout rcem-<br />

ment, signals par la Commission du Vieux Paris, prs


100 COINS DE PARIS<br />

du Collge de France, rue Saint-Jacques<br />

et boulevard<br />

Saint-Michel, mais la gloire de la rive gauche, c'tait<br />

surtout l'Universit et la Sorbonne.<br />

11 en reste peu de choses aujourd'hui, de ces vieux<br />

murs, mais, il y a quelque dix ans, la montagne Sainte-<br />

Genevive gardait encore beaucoup du pittoresque de<br />

jadis.<br />

Ici la rue Saint-Jacques, avec ses bouquinistes et<br />

ses maisons du xvn e<br />

sicle, et surtout terrible souvenir<br />

la porte aux lourds battants du lyce Louis-<br />

le-Grand, o Robespierre,<br />

Camille Desmoulins et le<br />

futur marchal Brune avaient fait leurs tudes sous la<br />

direction du bon abb Berardier. Il tait bien noir, bien<br />

triste aussi, j'en conviens,<br />

le Louis-le-Grand de notre<br />

jeunesse avec ses cours verdtres, ses salles enfumes,<br />

ses chambres d'arrts, perches sous les toits, o l'on<br />

gelait si fort en hiver, et o l'on touffait si bien en t,<br />

ces arrts o la tradition rapporte que fut enferm Saint-<br />

Huruge; tout prs du cul-de-sac Saint-Jacques<br />

o des<br />

Auvergnats vendaient de si beaux bibelots, et de la petite<br />

rue Cujas remplie du bruit qui nous rendait rveurs<br />

fait par les tudiants tapageurs.<br />

Plus loin la Sorbonne, avec sa cour dalle, o nous<br />

attendions ples, fivreux, anxieux, l'apparition de la<br />

petite affiche blanche portant les noms de ceux de<br />

MM. les aspirants au baccalaurat admis subir leurs<br />

preuves orales , et l'on mourait de peur l'ide de<br />

comparoir devant le terrible M. Berns, comme on bnis-


LA RIVE GAUCHE 103<br />

sait les dieux d'avoir pour examinateur l'indulgent et<br />

spirituel If. Mzires, qui, lui du moins, n'a pas vieilli.<br />

COUR INTRIEURE DE 1,'COLE POLYTECHNIQUE.<br />

Eau-forie de Maartil.<br />

A quelques mtres, derrire Sainte-Barbe, se ren-<br />

contre la rue de la Montagne-Sainte-Genevive, si vivante,


104 COINS DE PARIS<br />

si grouillante avec ses vieux htels convertis en dispen-<br />

saires ou en locaux industriels, ses petits mtiers, ses<br />

bals-musette et enfin sa clbre cole polytechnique,<br />

chre tous les Parisiens, et qui met dans ce quartier<br />

un peu sombre sa note de joyeuse gaiet.<br />

Tout proche, voici la rue Clovis, o s'levait autrefois<br />

l'abbaye de Sainte-Genevive, dont la tour carre existe<br />

encore et fait regretter le reste; la rue Clovis o l'on<br />

retrouve dcrpit, tombant de vtust, comme enseveli<br />

sous les plantes grimpantes, les lichens, les lierres, les<br />

sauges et les mousses, un gros pan de mur d'aspect sau-<br />

vage, un reste de l'enceinte de Philippe-Auguste, cette<br />

ceinture de pierres, de grosses tours hautes et solides,<br />

derrire laquelle, pendant des sicles, les maisons, les<br />

palais, les collges, les glises, les abbayes s'entassrent,<br />

se serrant les unes contre les autres. L'glise Saint-<br />

Etienne-du-Mont ouvre son lgant portail, quelques<br />

mtres de la rue Clovis. D'illustres morts y furent<br />

inhums : Pascal, Racine, Boileau. Un crime s'y commit:<br />

Le 3 janvier 1858, le premier jour de la neuvaine de<br />

Sainte-Genevive, dont les reliques reposent dans une<br />

des chapelles latrales de l'glise, des cris affreux reten-<br />

tirent. On vient d'assassiner Monseigneur ,<br />

et bientt<br />

un homme ple, vtu de noir, les mains rouges de sang,<br />

apparut sur la place, tran par des agents qui venaient<br />

de l'arrter. Il se nommait Verger; la juridiction piscopale<br />

lui avait interdit d'exercer plus longtemps son


Dessin Je A. Maignan.<br />

RUE CI.OVIS KN 1867.


LA RIVE GAUCHE 107<br />

ministre sacerdotal et, pour se venger, le dtraqu<br />

avait plant son couteau dans le cur de Monseigneur<br />

Sibour, archevque<br />

de Paris !<br />

C'est aux premiers jours de janvier qu'il faut venir<br />

voir cette charmante glise :<br />

Une sorte de petite foire religieuse se tient devant le<br />

porche. Toute une librairie liturgique se dbite sous<br />

des parapluies semblables ceux qui, jadis, abritaient les<br />

marchands d'oranges, Rosiers de Marie, Miracles de<br />

Lourdes, Prcis des Neuvaines, Actes de foi, Actes de<br />

contrition, Vie des Saints, Glorifications de Bienheureux;<br />

on y vend des chapelets, des images saintes, des cartes<br />

postales dvotes, des rituels orthodoxes, des mdailles,<br />

des scapulaires malheureusement ces objets valent<br />

plus par le sentiment qui s'y rattache que par leur valeur<br />

artistique. Cela forme un dlicieux tableau parisien<br />

dans un des plus jolis dcors de la grande Ville.<br />

Au bout de la rue Clovis, se rencontre la rue du<br />

Cardinal-Lemoine o le peintre Le Brun possdait une<br />

ravissante demeure, encore debout au n 49, tapisse de<br />

lierre et de chvrefeuille, deux pas du collge des<br />

cossais, actuellement Institution Chevallier,<br />

converti, comme la plupart des maisons d'ducation, en<br />

prison pendant la Terreur. Saint-Just y fut amen, aprs<br />

avoir t mis hors la loi, le 9 thermidor, et ses amis<br />

vinrent l'y chercher huit heures du soir, ainsi que son<br />

collgue Couthon, enferm au Port-Libre (l'ancien couvent<br />

de Port-Royal). L'on se reprsente facilement, sur ces


COINS DE PARIS<br />

,,es raides de la rue Saint-Jacques, les gendarmes<br />

jrant autour du sige mcanique que faisait mouvoir<br />

creusement, l'aide de manivelles, l'impotent Couthon,<br />

dant l'Htel de Ville, lanc toute vitesse sur<br />

rs pavs, entour de sectionnaires affols, parmi<br />

ameurs, l'appel aux armes et le bruit du tocsin,<br />

jus des trombes d'eau, en plein orage, cet orage<br />

'i, dispersant les bandes Robespierristes campes<br />

our de l'Htel de Ville, permit aux troupes de<br />

., Convention d'envahir sans rsistance la Maison<br />

Commune.<br />

Une heure plus tard, Robespierre avait la mchoire<br />

fracasse par la balle de Merda, son frre se jetait par<br />

la fentre, Lebas se suicidait, Saint-Just,<br />

hautain et<br />

impassible, se laissait arrter sans mot dire, Couthon,<br />

aux jambes mortes, tait lanc sur un tas d'ordures,<br />

puis, inerte et sanglant, tir par les pieds jusqu'au<br />

parapet du quai, il faisait le mort . Jetons-le<br />

l'eau, hurlrent des voix froces. Pardon, citoyens,<br />

murmura Couthon, mais je vis encore . Alors on le<br />

rserva pour l'chafaud.<br />

Derrire Saint-tienne-du-Mont, il est un coin presque<br />

ignor des Parisiens : un petit clotre tapi tout contre<br />

l'abside de l'glise et qui renferme d'admirables vitraux<br />

de Pinaigrier, ce grand artiste, qui faisait payer, en 1568,<br />

la Parabole des Convis , vitrail trois compartiments,<br />

un chef-d'uvre, qui dcore la chapelle du Crucifix,


LA RIVE GAUCHE 109<br />

801<br />

92 livres 10 sous, y compris l'armature et le treillage<br />

en fer . < n9 q<br />

C'est un des refuges de posie et de recueillement^<br />

frquents et parfois si insouponns dans ce grande<br />

bruyant Paris, et quelle inoubliable impression /iwat<br />

quitter le quartier Latin rsonnant de rires, de jafesaas<br />

de chansons, pour s'enfoncer dans le petit clotre dusej^l<br />

plein de rve et de mlancolie, et si proche pourtant-de<br />

la place du Panthon, ensoleille et bruyante o,rJp<br />

27 juillet 1830, aux applaudissements du peuple etliie<br />

l'arme, un comdien du thtre de l'Odon, rc<br />

Besnard, replaait l'inscription Aux grands hommes la<br />

Patrie reconnaissante sur le beau temple difi par<br />

Soufflot, que la Restauration avait vou au culte de<br />

Sainte-Genevive.<br />

Le Panthon est certainement le monument parisien<br />

qui, le plus souvent, aura t baptis, dbaptis et<br />

rebaptis. lev, la suite d'un vu fait par Louis XV,<br />

malade Metz, sur les jardins dpendant de l'antique<br />

abbaye de Sainte-Genevive,<br />

d'une partie des fonds provenant des trois loteries qui,<br />

chaque mois, se tiraient Paris.<br />

il fut construit l'aide<br />

Soufflot, dont les plans grandioses avaient t agrs,<br />

entreprit ses travaux en 1755; vers 1764, l'difice commence<br />

se dessiner, et les Parisiens enthousiasms<br />

admirent ces somptueuses constructions qui modifient<br />

l'antique silhouette de leur cit. Mais des craquements,<br />

des fissures, des tassements se produisent; une folle


liO COINS DE PARIS<br />

terreur succde l'merveillement : Le monument va<br />

s'crouler et sa chute entranera une partie du vieux<br />

quartier de la Sorbonne . On taye. on remblaie, on<br />

solidifie, Paris respire; mais le pauvre Soufflot, dsespr,<br />

ne peut survivre tant de tragiques motions, il<br />

meurt en 1781, sans avoir pu achever son uvre.<br />

En 1791, l'Assemble constituante voue au Culte<br />

des Grands Hommes l'glise primitivement ddie<br />

Sainte-Genevive, et le corps de Mirabeau y<br />

est amen<br />

triomphalement au son du trombone et du tam-tam,<br />

dont les notes, violemment dtaches, arrachaient les<br />

entrailles et brisaient le cur , dit une relation de<br />

l'poque.<br />

Le Grand Tribun ne devait faire au Panthon<br />

c'tait le nom nouveau de l'glise dsaffecte qu'un<br />

court sjour, car le 27 novembre 1793, sur la propo-<br />

sition de Joseph Chnier, et aprs avoir tudi les pices<br />

trouves dans l'armoire de fer, pices qui ne laissaient<br />

aucun doute sur la grande trahison du comte de Mira-<br />

beau , la Convention, considrant qu'il n'y a pas de<br />

grand homme sans vertu, dcrte que le corps de Mirabeau<br />

sera retir du Panthon et que celui de Marat y<br />

sera inhum. La sentence fut excute nuitamment, et<br />

le vertueux Marat remplaa Mirabeau, pas pour<br />

longtemps, toutefois, car, quelques mois plus tard, le<br />

corps de Marat, dpanthonis son tour, fut jet<br />

la fosse commune du petit cimetire Saint-tienne-du-<br />

Mont. Voltaire et Rousseau connurent plus tard les hon-


LA RIVE GAUCHE 111<br />

neurs du iriomphe. Le corps de Voltaire, aprs avoir<br />

Saint-Aubin, del.<br />

LB PANTHON EN CONSTRUCTION.<br />

pass la nuit sur les ruines de la Bastille, avait t


112 COINS DE PARIS<br />

amen au Panthon sur un char triomphal, escort par<br />

cinquante jeunes filles, habilles l'antique par les soins<br />

de David, et par les artistes du Thtre- Franais en cos-<br />

tumes de scne. Les filles et la- veuve de l'infortun<br />

Calas marchaient derrire, prs du drapeau dchir de la<br />

Bastille. Pour faire de cet enterrement une fte inou-<br />

bliable, on avait tout prvu, sauf le temps. Un affreux<br />

orage s'abattit sur le cortge : Mrope, Lusignan, les<br />

Vierges, Brutus et les dlgations de la Politique, des<br />

Arts et de l'Agriculture, tremps jusqu'aux os, crotts et<br />

lamentables, durent s'empiler dans des fiacres ou<br />

s'abriter sous des parapluies.<br />

C'est ainsi que, le 12 juillet 1791, Voltaire fit son<br />

entre au Panthon !<br />

J.-J. Bousseau l'y suivit trois ans plus tard, le<br />

11 octobre 1794; son corps ramen d'Ermenonville, sous<br />

un berceau d'arbustes en fleurs, aux sons aimables du<br />

Devin du village , avait pass la nuit prcdente sur<br />

le bassin des Tuileries, transform pour<br />

la circonstance<br />

en Ile des Peupliers . Sans tre aussi pompeux que<br />

celui de Voltaire, son triomphe fut celui des mes sen-<br />

sibles ,<br />

et l'homme de la nature fut inhum suivant<br />

les rites qu'il avait lui-mme prescrits. Plus tard, Napolon<br />

peupla le Panthon avec les mnes d'obscurs sna-<br />

teurs et de quelques artistes, amiraux et gnraux. La<br />

seconde Bpublique, enfin, a dfinitivement vou l'di-<br />

fice au culte des grands hommes, c'est l que par une<br />

journe radieuse, le 3 mai 1885, le corps de Victor Hugo


Meunier, fecit.<br />

PROCESSION DEVANT SAINTE-GENEVIEVE.<br />

Muse Carnavalet.<br />

8


LA RIVE GAUCHE 115<br />

fut amen, dans l'humble corbillard des pauvres, aux<br />

acclamations d'un peuple immense, aprs avoir pass une<br />

nuit d'apothose sous l'Arc de Triomphe qu'il avait si<br />

noblement chant. Depuis, Baudin, le Prsident Carnot,<br />

La Tour-d'Auvergne, Emile Zola, y furent inhums, une<br />

admirable dcoration, uvre de nos meilleurs artistes<br />

contemporains, garnit les vastes murailles de cette<br />

ncropole. Puvis de Ghavannes, Humbert, Henri -Lvy,<br />

Cabanel, Jean-Paul Laurens y sont noblement reprsents,<br />

enfin, Edouard Dtaille, se surpassant lui-mme,<br />

a, dans une admirable envole d'art, voqu, sur une<br />

toile immense, une foudroyante chevauche des vieux<br />

cavaliers de la Rpublique et de l'Empire tendant vers<br />

l'image rayonnante de la Patrie les tendards ennemis,<br />

conquis par leur indomptable hrosme.<br />

Autour du Panthon c'tait, et c'est encore, un ddale<br />

de petites rues tasses et pauvres, peuples jadis par la<br />

clientle des collges, si nombreux en ce quartier<br />

Sorbonne.<br />

de la<br />

La rue des Carmes nous reste comme un parfait<br />

spcimen du pass, avec ses maisons dont les murs<br />

branlants s'tayent les uns contre les autres, ses faades<br />

qui tombent, ses escaliers dlabrs; et puis, par-ci par-l,,<br />

les restes d'une splendeur disparue, l'entre de deux<br />

importants collges, mus aujourd'hui en repaires de<br />

misre, en logis de pauvret. troite et bossue, la rue<br />

des Carmes monte pniblement entre des boutiques aux<br />

couleurs dlaves parles orages, fltries par la poussire


110 COINS DE PARIS<br />

et le vent; et cependant elle reste pleine de charme et<br />

de posie, cette rue minable, couronne, dans le haut,<br />

par la masse auguste du Panthon, et, dans le bas,<br />

encadrant de ses deux lignes de maisons noires, d'htels<br />

borgnes et de bals-musette, la flche lgante et fine<br />

de Notre-Dame qui se profile l'horizon sur le ciel<br />

clair.<br />

Ce fut l'angle de cette rue des Carmes et de la rue<br />

des Sept-Voies, non loin de l'glise Sainte-Genevive,<br />

que Georges Cadoudal sauta sept heures du soir, le<br />

9 mars 1804 dans le cabriolet qui devait le conduire<br />

la nouvelle cache que lui avaient prpare ses amis<br />

chez Caron, le parfumeur royaliste de la rue du Four-<br />

Saint-Germain. Georges tait troitement surveill, toute<br />

la police de Paris tait sur pied : il est reconnu, poursuivi<br />

par des inspecteurs de la Prfecture dont deux<br />

bondissent sur lui, l'angle de la rue Monsieur-le-Prince<br />

et de la rue de l'Observance. Il en tue un d'un coup de<br />

pistolet au front et blesse le second. Mais la foule<br />

ameute empche toute fuite, un chapelier du quartier<br />

se saisit du proscrit qui est tran chez le commissaire<br />

de police. Son calme, la dignit, l'esprit de ses rponses<br />

dconcertaient; comme on lui reprochait d'avoir tu un<br />

agent homme mari, pre<br />

de famille . Faites-moi<br />

dornavant arrter par des clibataires , rpliqua-t-il.<br />

Aprs qu'il eut reconnu le poignard saisi sur lui, on<br />

lui demanda si la marque grave sur la lame n'tait<br />

pas le contrle anglais. Je Tignore, rpondit-il, mais


LA RIVE GAUCHE 119<br />

je puis assurer que je ne l'ai pas fait contrler en<br />

France !<br />

Tout prs, voici le Luxembourg, palais et prison, le<br />

Luxembourg,<br />

o Marie de Mdicis donna de si belles<br />

ftes, o Gaston d'Orlans billa si fort, o la Grande<br />

Mademoiselle fronda en soupirant pour le beau Lauzun;<br />

o le comte de Provence prpara si habilement, avec<br />

M. d'Avaray, sa sortie de France, le mme soir que<br />

Louis XVI et Marie-Antoinette prenaient si mal leurs<br />

dispositions pour ce lugubre voyage qui devait les<br />

amener Varennes, le Luxembourg dont la cour servit<br />

de prau aux prisonniers qu'y entassa la Terreur, le<br />

Luxembourg<br />

d'o Camille Desmoulins crivit sa Lucile<br />

ces lettres dchirantes o la trace des larmes est encore<br />

visible, le Luxembourg o, quelques semaines plus tard,<br />

Robespierre tait amen comme prisonnier et o,<br />

faute de place , le concierge Hally<br />

se refusait le<br />

recevoir, le Luxembourg o le peintre David, aprs<br />

Thermidor, peignait, de son cachot, l'alle ombreuse o<br />

il pouvait apercevoir ses enfants jouant au ballon, le<br />

Luxembourg de Barras, de Bonaparte, des ftes du Direc-<br />

toire, le Luxembourg aussi de Nodier, de Sainte-Beuve,<br />

de Murger, de Michelet, des tudiants, des travailleurs et<br />

de la bohme, des chansons du bon Nadaud et de Mimi<br />

Pinson, prs de Bullier et de la Closerie des Lilas, et<br />

aussi de l'Observatoire et du sinistre mur tigr de<br />

balles , o tomba le marchal Ney. Partout, toujours ce<br />

mlange de gaiet et de douleur, de rires et de sang.


120 COINS DE PARIS<br />

C'est que chaque rue, chaque carrefour, chaque maison<br />

presque, a vu dfiler quelque sombre cortge ou clbrer<br />

quelque fte de victoire.<br />

Sur tous ces vieux murs noirs de Paris, des mains de<br />

femmes ou d'artistes ont su placer des fleurs ou des<br />

cages d'oiseaux, et il n'est si triste ruelle qui<br />

lie recle<br />

un peu de posie et de rve, des girofles et des<br />

chansons.<br />

La prison des Carmes est proche, rue de Vaugirard,<br />

l'angle de la rue d'Assas, et le dcor est rest intact<br />

qui servit l'horrible drame des gorgements de 1792.<br />

On retrouve encore, au pied de l'escalier, le carrelage<br />

de la petite pice o entre deux couloirs, Maillard plaa<br />

la chaise et la table qui constiturent le tribunal sanglant<br />

des massacres de Septembre; le balcon, tapiss de<br />

plantes grimpantes, par o dbouchrent les malheureux<br />

qui tombaient assomms, lards de coups de pique, ou<br />

que l'on tirait dans le grand jardin ; et l'on peut lire,<br />

au premier tage, sur le mur qui porte l'empreinte<br />

rouge des sabres dgouttant de sang<br />

dont se servirent<br />

les tueurs, les signatures des belles prisonnires qui,<br />

pendant de longs jours, anxieuses, terrifies, attendaient<br />

chaque soir le fatal bulletin de comparution au Tribunal<br />

: Mesdames d'Aiguillon, Terezia Cabarrus-Tallien,<br />

Josphine de Beauharnais. A cette poque, Tallien,<br />

suspect lui-mme, tranant aprs lui une meute d'espions,<br />

rdait du soir au matin autour de celte sinistre prison


VS<br />

w<br />

&<br />

w<br />

ri


LA RIVE GAUCHE 123<br />

o tait enferme la femme qu'il aimait. Un jour il<br />

trouva sur sa table, 17, rue de la Perle, un poignard<br />

qu'il reconnut, un bijou d'Espagne familier aux mains de<br />

Terezia. C'tait un ordre impratif, et le 7 thermidor ce<br />

billet lui fut remis de la Force : L'administrateur<br />

de police sort d'ici. Il est venu m'annoncer que demain<br />

je monterai au Tribunal, c'est--dire sur l'chafaud.<br />

Cela ressemble bien peu au rve que j'ai fait cette<br />

nuit : Robespierre n'existait plus et les prisons taient<br />

ouvertes... Mais, grce votre insigne lchet, il ne se<br />

trouvera bientt plus personne en France capable de le<br />

raliser!<br />

En effet, la belle Terezia, vise particulirement par<br />

le Comit, avait t mystrieusement transfre des<br />

Carmes la Force, c'est de l qu'elle faisait parvenir<br />

ce testament de vengeance et de mort. Alors Tallien<br />

jura de sauver la Patrie; la Patrie, pour lui,<br />

c'tait la<br />

femme qu'il adorait : fou d'amour et de rage, exploitant<br />

contre Robespierre toutes les rancunes, toutes les<br />

terreurs, toutes les haines, il passait la nuit et la<br />

journe du 8 prparer cette terrible et tragique sance<br />

du 9 thermidor, ce duel mort entre deux partis. Il<br />

en appelait Fouch, Collot d'Herbois, comme<br />

Durand-Maillane et Louchet, Cambon comme<br />

Vadier, Thuriot comme Legendre, ce qui restait<br />

des Dantonistes comme aux ternels trembleurs du<br />

Marais, puis bondissait la tribune un poignard la<br />

main, menaant Robespierre, nerveux, inquiet, affol,


124 COINS DE PARIS<br />

sentant sa toute-puissance s'effondrer, et obtenait enfin,<br />

aprs une effroyable lutte de cinq heures, ce terrible<br />

dcret de mise hors la loi qui jetait sous le couteau de<br />

Sanson ceux-l mmes qui, depuis deux ans, avaient<br />

fauch la Convention.<br />

En face du Luxembourg, la rue de Tournon o<br />

habitrent Throigne de Mricourt et M lle<br />

Lenormand;<br />

la comtesse d'Houdetot logeait au n 12, dont l'aspect<br />

s'est peine modifi ; s'il revenait errer dans ces parages,<br />

Jean-Jacques Rousseau retrouverait, presque intact,<br />

le logis de sa grande passion. Voici la rue Servan-<br />

doni, une sombre et humide ruelle, cache sous les<br />

murs de Saint-Sulpice, o Gondorcet trouva pendant la<br />

Terreur, chez M me Vernet, au n 15, un refuge inacces-<br />

sible. C'est l qu'il termina, dans quelles horribles<br />

son Tableau des progrs de l'esprit humain :<br />

conditions,<br />

Sa femme vivait Auteuil, elle y faisait des portraits au<br />

pastel. Nulle industrie ne prospra davantage<br />

sous la<br />

Terreur : Chacun se htait de fixer sur la toile une<br />

ombre de cette vie si peu sre , a dit Michelet. Le<br />

6 avril 1794, son travail achev, Condorcet, vtu comme<br />

un ouvrier, la barbe longue, le bonnet enfonc sur la<br />

tte, un Horace sous le bras et, dans sa poche, le<br />

poison librateur que lui avait prpar Cabanis,<br />

s'chappa de chez M me Vernet. Tout le jour il erra dans<br />

la campagne, du ct de Fontenay-aux-Roses ; il esprait<br />

trouver chez des amis, M. et M me Suard, un asile qui lui<br />

fut refus. Il passa la nuit dans les bois, puis le len-


u I


LA. RIVE GAUCHE 127<br />

demain, mourant de faim, l'air gar, il entra dans un<br />

cabaret de Clamart. Il mangeait avidement en lisant son<br />

cher Horace. Interrog, suspect, il est tran au district,<br />

on le hisse sur une haridelle, et c'est dans cet quipage<br />

que ce grand homme fut conduit la maison d'arrt de<br />

Bourg-la-Reine. Le lendemain, au petit jour, en pntrant<br />

dans le cachot, les geliers se heurtrent un<br />

cadavre. Le poison avait termin cette noble existence<br />

de travail, de gloire et de misre.<br />

Saint-Sulpice dresse au-dessus de ce quartier tran-<br />

quille ses deux tours ingales sur lesquelles Chappe<br />

planta les grands bras de son tlgraphe arien. C'est<br />

dans la belle sacristie de cette imposante glise, sacristie<br />

demeure intacte avec ses admirables boiseries, que<br />

Camille Desmoulins signa au registre des mariages,<br />

son adore<br />

lorsque, le 29 dcembre 1790, il pousa<br />

Lucile Duplessis. Quel roman que ce mariage, aussi<br />

Paris s'crasait-il aux grilles de Saint-Sulpice pour voir<br />

dfiler le cortge; l'on flicitait les maris,<br />

et l'on<br />

acclamait les tmoins aux noms dj populaires : Sillery,<br />

Ption, Mercier et Robespierre. Puis, par la rue de<br />

Cond, on remonta djeuner chez Camille, n 1, rue du<br />

Thtre-Franais (aujourd'hui n 38, rue de l'Odon), au<br />

troisime tage. C'est l que, le 20 mars 1794, le jour de<br />

la mort de sa mre, il fut arrt,<br />

faiteur, et conduit tout prs, au Luxembourg.<br />

li comme un mal-<br />

Le 5 avril<br />

Camille tait excut aux acclamations de ce peuple qui<br />

l'avait tant adul. Lucile le suivit sur l'chafaud huit


128 COINS DE PARIS<br />

jours de distance! Ils avaient jur de s'aimer la vie,<br />

la mort... L'idylle finit dans le sang.<br />

Autour de Saint-Sulpice, se trouvent la rue Frou, la rue<br />

Cassette, la rue Garancire, la rue Monsieur-le-Prince,<br />

la rue Madame, aux noms antiques, l'aspect provincial,<br />

muets et dvots quartiers aux allures monastiques et<br />

quasi mystrieuses et par cela mme pleins d'un charme<br />

infini.<br />

On y entend de tous cts des cloches conventuelles,<br />

des sonneries liturgiques; les rares boutiques d'aspect<br />

svre y sont voues aux commerces religieux : on y<br />

trouve des chasubliers, des marchands d'images saintes,<br />

de livres et d'orfvreries d'glise. Derrire de longs murs<br />

sombres, la fuse de verdure, le panache d'un arbre<br />

dbordant joyeusement fait songer de grands jardins<br />

abandonns, trs sauvages, pleins de fleurs et d'oiseaux<br />

o de pieuses personnes et de vieilles gens se promnent<br />

en priant, en rvant ou en regrettant les temps<br />

qui ne sont plus!<br />

Dans cet immense Paris, bruyant, persifleur, affol<br />

de bruit et de mouvement, de tramways et de Mtro ,<br />

c'est le refuge du pass, le quartier de la prire, du<br />

silence et de l'oubli ;<br />

l semblent vivre encore quelques<br />

voix dolentes des regrets du pass, qui sonnent le couvre-<br />

feu ,<br />

Tombe.<br />

disait Chateaubriand dans ses Mmoires d'Oulre-<br />

Les vieux htels y abandonnent.<br />

Dans la seule rue de Varenne, chaque portail voque


LA RIVE GAUCHE 131<br />

les plus illustres noms de la noblesse de France : Broglie,<br />

Bourbon, Cond, Villeroy, Castries, Rohan-Chabot,<br />

Tess, Bthune-Sully, Montmorency, Roug , Sgur,<br />

Aubeterre, Narbonne-Pelet, etc.. Quelques-uns des htes<br />

de ces aristocratiques demeures se retrouvrent cer-<br />

tainement dguiss, travestis en maquignons, en tou-<br />

cheurs de bufs, en paysans, en manouvriers, dans<br />

cette auberge de la Coupe d'Or, l'angle de la rue de<br />

Varenne, clbre dans l'histoire de la Chouannerie.<br />

Les hros de Tournebut, l'uvre charmante de mon<br />

cher ami Lentre, le plus passionn comme le plus pas-<br />

sionnant des historiens y sont descendus. Ce fut l'un<br />

des rendez-vous des affids de Georges Cadoudal, qui<br />

se ru-<br />

lui-mme s'y cacha maintes fois; l galement<br />

nirent les conspirateurs royalistes pour y prparer, en<br />

vendmiaire an IV, les dispositions relatives l'enlve-<br />

ment de la Convention.<br />

Tout prs, rue des Cannettes, autre rendez-vous<br />

d'migrs et de chouans, chez le parfumeur Caron, o se<br />

trouvait une cache fameuse. Hyde de Neuville, dans<br />

ses pittoresques mmoires, nous rapporte qu'il suffisait<br />

de se glisser derrire le tableau qui servait d'enseigne<br />

la parfumerie, tableau qui surplombait la rue, puis de<br />

rabattre sur soi l'un des volets de la chambre contigu,<br />

et toute la police de Fouch pouvait impunment fouiller<br />

la maison, ce dont d'ailleurs elle ne se fit pas faute.<br />

Puis nous rencontrons l'Odon, le vieil Odon,


132 COINS DE PARIS<br />

toujours solide malgr les plaisanteries sans nombre<br />

dont il fut l'objet, avec ses galeries fameuses o, depuis<br />

bien des annes, les flneurs vont consulter les der-<br />

nires productions de la littrature contemporaine. Que<br />

de longues slations devant tous ces bouquins feuillets<br />

GALERIE DE L ODEON RUE ROTROU).<br />

d'un doigt, parcourus de profil en entre-billant deux<br />

pages non encore coupes!<br />

C'est sous trois arcades de cette galerie Odonesque<br />

qu'en 1873 s'installa bien modestement le trs aimable<br />

diteur Ernest Flammarion, associ avec Ch. Marpon.<br />

Travailleurs infatigables, bienveillants et spirituels, ils<br />

puisaient des trsors d'ingniosit pour faire tenir<br />

dans un trop petit espace tous les beaux et bons livres


RUE DE 1,'COLE DE MDECINE EN 1866.<br />

Anoienne rue des Cordeliers.<br />

(C'est dhns la maisonnette qui suit la maison tourelle que ManU fut assassine.)<br />

Dessin de A. Maignan.


qu'ils aimaient si fort et qu'ils<br />

aimer.<br />

LA. RIVE GAUCHE 435<br />

savaient si bien faire<br />

Mais bientt les trois arcades furent vraiment insuf-<br />

fisantes, et progressivement, l'infatigable Flammarion<br />

envahit deux des cts du vaste monument, avant de<br />

conqurir Paris et d'y installer tant de librairies. Il avait<br />

ses fidles : un vieil amateur peu fortun lui a avou<br />

avoir lu entirement l'talage L'Origine des Espces, de<br />

Darwin (450 pages) !<br />

D'autres clients moins scrupuleux ont parfois em-<br />

port le volume commenc, mais le bon Flammarion a<br />

pour ces distraits des trsors d'indulgence<br />

dsir de s'instruire l'emporte sur leur dlicatesse!<br />

: Le<br />

murmure-t-il en manire d'excuse, et il passe philo-<br />

sophiquement, avec un sourire indulgent,<br />

larcins aux profits et pertes !<br />

ces modestes<br />

Par la rue de l'cole-de-Mdecine, en passant devant<br />

le Muse Dupuytren qui fut autrefois le rfectoire du<br />

couvent des Cordeliers, nous gagnons le boulevard Saint-<br />

Germain, dont la perce supprima tant de prcieux<br />

souvenirs : le logis o fut assassin Marat, le collge<br />

Mignon et l'abbaye de Saint-Germain, dont la faade<br />

s'ouvrait devant cette suite de vieilles maisons aux<br />

tranges pignons qui ont, jusqu' prsent, chapp aux<br />

ingnieurs.<br />

Ces maisons sinistres ont entendu les cris<br />

des victimes des massacres de Septembre ;<br />

claires par le reflet des quatre-vingt-quatre pots<br />

elles furent<br />

feu


136 COINS DE PARIS<br />

que fournit le sieur Bourgain, chandelier du quartier,<br />

afin que les familles des massacreurs et les amateurs<br />

de beaux spectacles pussent venir contempler l'ouvrage;<br />

les boutiquiers du quartier, tmoins bienveillants,<br />

donnaient des dtails. Elles ont vu Billaud-Varennes,<br />

fliciter les travailleurs et leur distribuer de<br />

bons de vin. Elles ont vu sortir Maillard, dit Tape-<br />

Dur, qui, sa besogne faite, les mains croises derrire<br />

les pans de sa longue redingote grise, regagnait pai-<br />

siblement sa demeure comme un bon employ sortant<br />

de son bureau, en toussant, car il avait la poitrine<br />

dlicate.<br />

Ce sont, avec le presbytre actuel, les seuls tmoins<br />

qui restent de cette pouvantable tuerie.<br />

Tout prs de l s'ouvrait autrefois le passage du<br />

Commerce, o retentirent les crosses de fusils des sec-<br />

tionnaires qui, au petit jour, vinrent arrter Danton<br />

pour le conduire au Luxembourg;<br />

il est facile de s'ima-<br />

giner ce que dut tre cette heure de terreur, d'affole-<br />

ment, de stupfaction. Arrter Danton! le Titan de la<br />

Rvolution, celui dont la formidable loquence avait<br />

fait sortir de terre quatorze armes! le Danton du<br />

10 aot, Danton jusqu'alors intangible. Ce mme matin,<br />

les porteurs d'ordre du tribunal avaient incarcr Camille<br />

Desmoulins, si cruellement spirituel; le Camille du<br />

Palais-Royal, de la Lanterne, des Rvolutions de France et<br />

le Camille enfin du Vieux<br />

du Brabant, du Brissoi dvoil;


LA RIVE GAUCHE 137<br />

o il<br />

Cordelier, ce chef-d'uvre d'esprit et de courage<br />

osa parler de clmence Robespierre et de respect<br />

humain l'ignoble Hbert! Sur l'emplacement de la<br />

DEMOLITIONS SUR L ACTUEL EMPLACEMENT DU BOULEVARD SAINT-GERMAIN.<br />

maison de Danton s'lve aujourd'hui la statue du tribun ;<br />

nous regrettons la maison (*).<br />

(1) Notre matre regrett, Victorien Sardou, avait acquis le fronton<br />

de bois sculpt qui surmontait<br />

Madame Sardou et ses enfants ont<br />

la porte du logis de Danton.<br />

bien voulu disposer de cette<br />

prcieuse relique parisienne<br />

grces leur soient ^rendues.<br />

><br />

en faveur du Muse Carnavalet :


138 COINS DE PARIS<br />

La cour de Rohan (qui devrait s'crire de Rouen, car<br />

elle dpendait, au xv e<br />

sicle, de l'ancien htel possd<br />

par le cardinal de Rouen) rejoint le passage du Com-<br />

merce, deux pas de la librairie o le philanthropique<br />

docteur Guillotin essaya sur un mouton le couperet de sa<br />

machine dcapiter ; la cour de Rohan si pittoresque,<br />

si curieuse, o reste encore le puits de la maison<br />

qu'habita Coictier, le mdecin de Louis XI; o l'on<br />

retrouve le pas de mule dont se servaient, pour des-<br />

cendre de leurs montures, les docteurs en Sorbonne qui<br />

frquentaient en ce quartier, et qui gardait une trs<br />

ancienne muraille supportant un jardin plant de lilas<br />

et de gazon hlas disparu depuis Tan dernier.<br />

Cette muraille tait, comme celle de la rue Clovis, un<br />

dont la<br />

fragment du mur d'enceinte de Philippe-Auguste<br />

base d'une des tours se retrouve encore passage du<br />

Commerce, au n 4, . chez un serrurier qui y a install<br />

sa forge !<br />

Les maisons y sont vieilles, dlabres, sordides, mais<br />

d'un pittoresque achev; les plus tranges industries y<br />

fleurissent, et l'on y pouvait dernirement lire cette<br />

annonce bien parisienne : On demande des petites<br />

mains pour fleurs et plumes , ct de la plaque<br />

indicatrice du journal le Ciel, au quatrime, la porte<br />

gauche!<br />

La rue de l'Ancienne- Comdie (jadis rue des Fosss-<br />

Saint-Germain), est toute proche;<br />

dans une cave ses presses et son imprimerie. Au n 14,<br />

l Marat avait install


LA COUR DE HOHAX EN 1901.<br />

Aquarelle de D. Bourgoin.


LA RIVE GAUCHE 141<br />

un marchand<br />

dans la cour d'un vieil htel occup par<br />

de papiers peints, s'levait jadis la salle mme du<br />

. . . .<br />

SAU.E DE L'ANCIEN THATRE-FRANCAIS.<br />

Thtre-Franais. La grande porte d'entre, les escaliers<br />

desservant les loges d'artistes, les coulisses, le plancher<br />

inclin de la salle, les frises mmes subsistent encore.


142 COINS DE PARIS<br />

Les comdiens du Roi y jourent, le 18 avril 1689,<br />

Phdre et le Mdecin malgr lui, et y donnrent leurs<br />

reprsentations jusqu'en 1770.<br />

Les encyclopdistes, d'Alembert, Diderot et ses amis,<br />

se runissaient en face, au caf Procope,<br />

dont subsiste<br />

encore un beau balcon de fer, d'o il tait charmant<br />

de voisiner avec le balcon de la Comdie. Le caf Procope,<br />

clbre au xvme sicle, le fut encore sous le second<br />

Empire : Gambetta, en 1867, la veille du procs Baudin,<br />

y lanait devant la jeunesse des coles, vibrante d'en-<br />

thousiasme,<br />

les clairs et les tonnerres de son admirable<br />

loquence. Le grand tribun habitait, en 1859, n 7, rue<br />

de Tournon, l'htel du Snat et des Nations, qui existe<br />

encore. Sa petite chambre avait une admirable vue sur<br />

les toits de Paris. Elle n'a pas t modifie.<br />

Tout prs de l, rue Bourbon-le-Ghteau, n 1, le<br />

23 dcembre 1850, deux malheureuses femmes furent<br />

assassines. L'une d'elles, Mlle Ribault, dessinatrice au<br />

Petit Courrier des Dames, dirig par M. Thiry, eut la<br />

force d'crire sur un paravent avec son doigt tremp<br />

dans son : sang L'assassin, c'est le commis de M. Thi... .<br />

Ce commis, Laforcade, fut arrt le lendemain.<br />

Que de coins dlicieux, presque ignors des Parisiens,<br />

renferme encore cette Rive gauche.<br />

Ils ne sont pas jamais disparus, ces grands jardins<br />

ces htels sculaires enfouis dans des<br />

mlancoliques,<br />

rues o l'herbe pousse et dont les nobles mais tristes


LA RIVE GAUCHE 143<br />

faades ne laisseraient jamais deviner les richesses qu'ils<br />

contiennent. Beaucoup se rencontrent aux alentours de<br />

l'htel des Invalides. D'autres existent rue Vaneau, rue<br />

Bellechasse, rue de Varenne, rue Saint-Guillaume, rue<br />

Bonaparte; on en rencontre encore rue Visconti, et cette<br />

ruelle troite et sombre compte<br />

d'illustres souvenirs. La<br />

Champmesl,<br />

trent l'htel de Ranes, bti sur l'emplacement du Petit-<br />

la Clairon et Adrienne Lecouvreur habi-<br />

Pr-aux-Glercs, et J. Racine y mourut en 1697; cette<br />

maison qui porte le n 21, est aujourd'hui une pension<br />

de jeunes filles! Enfin, au n 17, le grand Balzac<br />

fonda l'imprimerie o il se ruina et dont plus tard Paul<br />

Delaroche fit son atelier. C'est l que se passa<br />

le drame<br />

sentimental et commercial dont MM. Hanoteauxet Vicaire<br />

nous ont cont, d'loquente faon,<br />

poignante histoire.<br />

Toutes ces maisons vocatrices,<br />

l'inoubliable et<br />

tous ces souvenirs<br />

sont encore visibles mais combien peu de Parisiens les<br />

connaissent!<br />

Quai Voltaire ex-quai<br />

des Thatins habitrent<br />

Vivant-Denon, Ingres, Alfred de Musset, le prsident<br />

Perrault, Chamillard, Gluck, et Voltaire... qui y mourut<br />

et dont le cadavre, revtu d'une robe de chambre, sou-<br />

tenu par des courroies, comme un voyageur endormi,<br />

partit nuitamment, dans le fond d'une berline de voyage,<br />

le 30 mai 1778, de la cour de l'htel de M. de Villette,<br />

(dont l'entre se trouve toujours rue de Beaune), pour tre<br />

inhum hors Paris, l'abbaye de Scellires, en Champagne.


144 COINS DE PARIS<br />

L'appartement o s'teignit Voltaire n'a pas t<br />

modifi, la dcoration est reste presque intacte avec<br />

ses trumeaux, ses plafonds peints et ses petits salons de<br />

glaces pris dans l'paisseur des murs.<br />

L'Institut est tout proche, mais ce n'est pas un jour<br />

ordinaire qu'il convient de tenter la silhouette de l'ancien<br />

Collge des Quatre-Nations; c'est un jour de grande<br />

sance, un jour de rception sensationnelle, alors que<br />

les jolies toilettes des plus lgantes Parisiennes y<br />

frlent les habits verts des Acadmiciens. D'un ct,<br />

la beaut, le charme, la grce; de l'autre, les plus<br />

nobles intelligences, les plus illustres noms de la<br />

Littrature, des Arts, des Sciences. C'est la grande fte<br />

intellectuelle de la France dans l'un des plus jolis dcors<br />

de Paris.<br />

Mais le document presque inconnu c'est en haut<br />

des interminables escaliers de l'Institut qu'il faut<br />

aller le chercher, dans les combles mmes du palais,<br />

en visitant les troites logettes o l'on renfermait<br />

jadis les candidats au prix de Rome pour le concours<br />

de musique.<br />

Dans ces chambrettes, que refuseraient les somp-<br />

tueux prisonniers de Fresnes-les-Rungis, sur ces tristes<br />

murs dcrpits, les plus beaux talents de notre cole<br />

moderne ont laiss trace de leurs passages : musique,<br />

vers, dessins, penses d'ordres varis. Je n'oserais, je<br />

l'avoue, reproduire, mme expurgs, les grafiti que la<br />

rage d'tre enferms sous clef, loin du pav de Paris,


H .2<br />

?


LA BIVE GAUCHE 147<br />

loin des amis... et des amies, ont inspir ces char-<br />

mants artistes. Saint-Sans rougirait certainement, la<br />

grande ombre de Bizet serait trouble, notre illustre et<br />

spirituel Massenet renierait srement ses vigoureuses<br />

apostrophes, et je serai discret, n'importe..., c'est<br />

bien amusant, bien drle, bien gaulois.<br />

Entre l'htel des Monnaies et le lion-caniche de<br />

l'Institut ( l'abri duquel, si nous en croyons ses joyeux<br />

mmoires,<br />

Alexandre Dumas contribua si vaillamment<br />

au triomphe de la Rvolution de 1830), s'enfonce une<br />

petite place d'aspect provincial; Madame Permon, mre<br />

de la future Madame Junot, Duchesse d'Abrants, y habita<br />

jusqu' la Rvolution. C'est dans cet htel, l'angle de<br />

gauche, au troisime tage, dans une petite pice mansarde,<br />

que logeait s'il faut en croire ses mmoires<br />

Bonaparte pendant ses trs rares sorties de l'cole militaire.<br />

Les belles boiseries sculptes sont encore aux<br />

murs du salon situ au rez-de-chausse et donnant sur<br />

la Seine, o le futur Csar venait conter ses espoirs;<br />

et la chemine de marbre est toujours la mme place,<br />

il y faisait scher ses grosses bottes rapices et qui<br />

fumaient beaucoup , nous apprend cette bavarde<br />

Madame d'Abrants. Ainsi, tout en rvant, le petit sous-<br />

lieutenant pouvait de la fentre voir en face de lui le<br />

palais d'o, pendant tant d'annes, il devait rgler en<br />

conqurant<br />

les destins du monde bloui.<br />

Devant l'Institut s'ouvre le Pont des Arts. La vision<br />

y est ferique : c'est la Seine, le plus gai, le plus mou-


1 COINS DE PARIS<br />

vement des fleuves, encombre par l'incessant va-etvient<br />

des bateaux-mouches, des remorqueurs, des cha-<br />

lands, des barques ; le ciel gris ou bleu s'y<br />

reflte et ses<br />

eaux coulent majestueusement entre deux quais ver-<br />

LES CARDEUSES DE MATELAS<br />

Eau-forte de A. Lepre.<br />

doyants, couronns par les botes des bouquinistes et<br />

habits par la plus pittoresque des populations.<br />

Que d'tranges mtiers sur ces berges! Barbiers pour<br />

mariniers et tondeurs pour chiens, dchargeurs de<br />

bateaux et tireurs de sable, douaniers et cardeurs de


' .2<br />

M fc .|


LA RIVE GAUCHE 151<br />

matelas, pcheurs la ligne, amateurs de bains froids,<br />

blanchisseuses de bateaux-lavoirs, c'est une population<br />

BERGES DE LA SEINE<br />

Lithographie de A. Lepre.<br />

part ayant ses murs, ses habitudes, son langage particulier;<br />

et dans quel cadrejnerveilleux vit ce petit monde<br />

bizarre entrevu du Pont des Arts !


152 COINS DE PARIS<br />

D'un ct on dcouvre le Louvre et les frondaisons<br />

Fragmenlrd'une<br />

aquarelle de Baltard Muse Carnavalet.<br />

ENTRKE DU GUICHET DU LOUVIiE.<br />

vertes des Tuileries et des Champs-Elyses, avec,


LA RIVE GAUCHE 155<br />

l'horizon, les minarets du Trocadro et les hauteurs de<br />

Ghaillot; de l'autre, c'est tout l'ancien Paris, une suite<br />

de monuments aurols de souvenirs : le Palais de<br />

Justice, la Conciergerie, la Sainte-Chapelle, Notre-Dame,<br />

Saint-Germain-PAuxerrois, Saint-Gervais, Saint-Paul, la<br />

Pointe de la Cit.<br />

La nuit, ces nobles silhouettes vocatrices prennent<br />

UNE VUE DE SEINE. *v*^*'<br />

Robert Dupont, del.<br />

' -<br />

une majest plus imposante encore : les tares modernes,<br />

les badigeons criards, les annonces hontes, s'effacent.<br />

La lune tend sur ces vieux murs sa dlicate lumire<br />

blanche, et un Paris d'argent surgit dans la nuit noire.<br />

Parfois encore, sous le ciel rougi par l'orage, se dresse<br />

une ville toute sombre dont les coups de foudre dcou-<br />

pent seuls l'immense et tragique vision!


156 COINS DE PARIS<br />

C'est Paris qui rit au soleil ou Paris qui surgit dans<br />

la nuit !<br />

En redescendant du ct de la Seine, par ces rues si<br />

pittoresques qui entourent l'Institut, la rue Dauphine,<br />

la rue de Nesles, la rue Mazarine, nous rencontrons,<br />

rue Contrescarpe-Dauphine, actuellement rue Mazet,<br />

les restes de l'ancienne auberge du Cheval-Blanc. Les<br />

curies y existent encore avec leurs vieilles mangeoires<br />

et leurs pittoresques auvents. Elles datent de Louis XIV;<br />

alors, chaque semaine, cette vaste cour s'emplissait de<br />

voyageurs qui se rendaient Orlans et Blois, et la<br />

lourde voiture s'branlait dans un nuage de poussire, au<br />

milieu de claquements de fouet, d'appels de cornet, de cris<br />

d'adieux, de mouchoirs agits; les chevaux piaffaient,<br />

les femmes pleuraient, les chiens aboyaient, les postil-<br />

lons juraient... Aujourd'hui, la vie s'est teinte, mais le<br />

dcor est demeur, vieillot, impressionnant, toujours<br />

charmant, ce point que le matre Massenet, tout mu,<br />

y murmurait un matin : C'est srement ici que Manon<br />

a d d<br />

descendre du coche ( )!<br />

La maison voisine fut autrefois le restaurant Magny,<br />

chez qui se donnrent ces clbres dners dont Goncourt<br />

(1) Hlas, cette indication n'est plus exacte : depuis le jour o<br />

nous crivions ces lignes, la cour du Cheval Blanc si dlicieusement<br />

vocatrice n'existe plus... Le pic du dmolisseur a miett<br />

tous ces jolis souvenirs et une maison moderne immense, con-<br />

fortable et hideuse a remplac l'ancienne auberge du xvi e sicle !


LA RIVE GAUCHE 159<br />

parla si souvent dans ses Mmoires et qui runissaient<br />

Renan, Sainte-Beuve, George Sand, Flaubert, Thophile<br />

Gautier, Gavarni et tant d'autres.<br />

Tout proche et faisant communiquer la rue Maza-<br />

rine, o jourent Molire et sa troupe, avec la rue de<br />

Seine, traversons le passage du Pont-Neuf, lev sur<br />

l'ancienne entre du thtre, et o Zola plaa son ter-<br />

rifiant roman Thrse Raquin.<br />

Que voici donc un coin typique, sordide, noir et<br />

puant, mais trangement pittoresque, avec ses marchands<br />

de pommes de terre frites et ses mouleurs italiens.<br />

Les boutiques qu'il contient semblent dater d'un autre<br />

ge; une seule tait encore achalande il y a quelques<br />

mois, celle du marchand de papier dessin. Le matre<br />

Bonnat nous racontait y avoir achet son papier Ingres ,<br />

alors qu'il tait lve dans cette cole des Beaux-Arts<br />

dont il est aujourd'hui le trs minent Directeur. La<br />

boutique tait reste la mme depuis soixante ans et<br />

la marchande assurait que les tortillons estomper,<br />

qu'elle y dbitait, taient identiquement ceux dont se<br />

servait Monsieur Flandrin . Devant nous, l'Institut,<br />

dont il nous est impossible de longer l'interminable<br />

mur noir qui le ferme du ct de la rue Mazarine, sans<br />

songer ce douloureux passage de la prface du Fils<br />

Naturel, o Dumas fils, racontant son enfance, voque<br />

le souvenir du retour de la premire reprsentation,<br />

l'Odon, de Charles VIF chez ses grands vassaux, le<br />

20 octobre 1831.


160 COINS DE PARIS<br />

La soire avait t houleuse et le succs plus que<br />

douteux. C'tait donc la continuation de la misre.<br />

Alexandre Dumas avait de lourdes charges supporter :<br />

sa mre, un mnage, un enfant;<br />

il fallait vivre et faire<br />

vivre les autres avec les modestes appointements que<br />

lui rapportait sa place d'employ la liste civile de<br />

M. le duc d'Orlans. Il doutait non pas de lui, mais de<br />

son toile; et Dumas fils revoyait toujours la grande<br />

ombre de son pre se profilant sous un coup de lune<br />

sur ce mur humide et mlancolique de l'Institut, et lui,<br />

craintif, devinant les angoisses paternelles et s'efforant<br />

de suivre, avec ses petites jambes de huit ans, les grandes<br />

enjambes du bon gant!<br />

En 1791, Madame Roland logeait l'htel Britan-<br />

nique, rue Gungaud; elle y tenait salon politique !<br />

Quel plaisir pour la petite Manon de montrer tout ce<br />

quartier du Pont-Neuf o s'tait coule son enfance,<br />

qu'elle tait devenue une dame et recevait des gens<br />

en vue. Brissot, Buzot, Ption, Robespierre, Danton luimme,<br />

prenaient plaisir venir entre deux sances<br />

causer chez cette aimable femme; et j'imagine que ce<br />

qui les attirait, c'tait le charme de cette jolie Parisienne<br />

plus que les vertus de l'austre Roland qui devait tre<br />

bien ennuyeux! C'est laque, le 21 mars 1792, Dumouriez<br />

vint sonnera la porte de Roland pour lui annoncer : Vous<br />

tes Ministre , et quelques jours plus tard la petite<br />

Manon du quai des Lunettes s'installait triomphalement


LA RIVE GAUCHE 163<br />

l'htel de Calonne : c'tait hlas pour<br />

elle le chemin<br />

de l'chafaud!<br />

En longeant les quais, nous rencontrons la place<br />

Saint-Michel, puis la rue Galande. Malgr ses rcentes<br />

dmolitions, cette vieille rue renferme encore quelques<br />

anciennes demeures; mais elle a perdu la si bizarre<br />

maison dite le Chteau Rouge, ou plus prosaquement<br />

la Guillotine .<br />

Dans ce qui fut, au xvn e sicle, une somptueuse<br />

demeure l'htel, dit-on, de Gabrielle d'Estres<br />

derrire le haut et vaste perron qui occupait le fond de<br />

la cour, le logis s'ouvrait enfum, sordide, puant le vin,<br />

la crasse, la dbauche et le vice.<br />

Il fallait passer par-dessus des corps d'ivrognes et<br />

d'ivrognesses pour pntrer dans les bouges o ces<br />

malheureux venaient chercher une faon de gte, une<br />

heure d'oubli. C'tait hideux et lugubre. Les ama-<br />

teurs de vilains spectacles pouvaient continuer leurs<br />

tudes tout prs, chez le pre Lunette, rue des Anglais.<br />

Le personnel tait le mme, un monde de bagne, la<br />

bestialit dans toute son horreur comme chante M-<br />

dans la Damnation de Faust. De rcents<br />

phistophls<br />

travaux d'dilit et d'assainissement ont fait disparatre<br />

le Chteau-Rouge.<br />

Rue Saint-Sverin, un pittoresque enchevtrement<br />

de vieilles maisons tale autour de l'antique glise<br />

gothique cette a flore de pierres , l'une des plus


164 COINS DE PARIS<br />

curieuses peut-tre de Paris; l'une de celles qui gardent<br />

le mieux les traces d'un pass d'art, de recueillement et<br />

de prire.<br />

Les sublimes artistes qui, en plusieurs sicles, surent<br />

crer cette fort de fines sculptures dont est dcore<br />

l'abside, ont, hlas, laiss d'insuffisants successeurs.<br />

A ct d'anciens vitraux provenant de Saint-Germain-des-<br />

Prs, de froides et modernes verrires, au ton criard,<br />

ont enlev Saint-Sverin le mystre religieux et potique,<br />

le demi-jour discret o se complaisaient les mes<br />

des fidles; et leur lumire crue ne laisse que trop voir<br />

les traces de mutilations successives dont fut victime<br />

cette belle glise. Dans la rue avoisinante, le presbytre<br />

actuel est construit sur l'ancien cimetire o, en 1461,<br />

nous apprend l'rudit M. de Rochegude, fut publiquement<br />

tente la premire opration de la pierre sur<br />

un condamn mort..., qui gurit, l'heureux homme!<br />

et fut graci par Louis XL Tout ce quartier est l'un des<br />

plus grouillants de Paris, et parfois c'est une vritable<br />

cour des Miracles. Il semblerait que les malandrins, les<br />

ribauds et leurs compagnes, les penailleux<br />

des sicles<br />

passs aient laiss l leurs descendants les plus directs.<br />

On y vit dans la rue, on y mange des rogatons dans<br />

des bibines abominables; une odeur d'alcool flotte dans<br />

l'air au coin de chaque carrefour, les mastroquets, les<br />

bars, regorgent de clients. Une partie de l'argent<br />

mendi ou vol Paris se dpense ici!<br />

Saint-Mdard est tout proche, avec son petit square


Lansyer, pinxit.<br />

LA RIE GALA Mil:.<br />

Muse Carnavalet.


LA RIVE GAUCHE 167<br />

poussireux, vieillot, et sa tour carre, l'extrmit de<br />

la rue Monge, au coin de la rue Moufetard. C'est une<br />

glise lugubre et pauvre, comme use, o les rats ont<br />

lu domicile, enclave dans de vieilles maisons couvertes<br />

de rclames au badigeon criard. Il est loin le temps o<br />

le tombeau du diacre Paris y faisait ses miracles, o la<br />

Cour et la ville s'touffaient dans le petit cimetire dont<br />

une porte subsiste encore, celle-l peut-tre sur laquelle<br />

on inscrivit le fameux distique :<br />

De par le Roi, dfense Dieu<br />

De faire miracle en ce lieu.<br />

La rue Mouffetard passe devant le porche de l'glise,<br />

dbordante de vie, d'activit. Mille petits mtiers y fonc-<br />

tionnent; les portes des maisons elles-mmes, les vieilles<br />

portes du xvm e<br />

sicle, abritent des marchandes de fleurs,<br />

de lait, de pommes de terre frites, de moules cuites;<br />

Manon la ravaudeuse, avec son tonneau, n'y serait nullement<br />

dplace; des enfants jouent au milieu de la<br />

chausse, les voitures y sont rares. Les commres<br />

jacassent sur le pas de leurs portes, on y vit en famille,<br />

et dans la rue. Le passage des Patriarches, qui s'ouvre<br />

au n 99, eut un pass clbre. Les calvinistes qui y<br />

tenaient leurs prches y eurent de sanglants dmls<br />

avec les catholiques de Saint-Mdard. Aujourd'hui, ce<br />

n'est qu'une ruelle humide, triste et sale, peuple de<br />

brocanteurs, de marchands de ferraille, de revendeurs


168 COlftS DE PRt<br />

d'objets sans nom. a sent le vieux chiffon, le vieux<br />

plomb<br />

La place Maubert est le centre o aboutissent ces<br />

et le chou-fleur!<br />

Lansyer, pinxit.<br />

LA PLACE MAUBERT.<br />

rues tranges; maintenant embourgeoise<br />

et de belle<br />

ordonnance, orne, si j'ose dire, d'une dplorable statue<br />

d'Etienne Dolet qui y fut brl en 1516, elle ne nous


ANCIEN AMPHITHEATRE DE CHIRURGIE.<br />

A l'anale de la rue de THtel-Colbert<br />

Eau-forte de Martial.


LA RIVE GAUCHE 171<br />

rappelle que bien vaguement cette plac'Maub' encore<br />

visible il y a six ou sept ans, mal fame, troite, borde<br />

de vieilles maisons aux toits pointus, un repaire de ma-<br />

landrins, plein de douteux recoins o la police pouvait<br />

presque coup sr jeter ses filets. Sainte-Croix logeait<br />

ct, impasse Maubert. C'est dans ce mystrieux cul-de-<br />

sac que Madame de Brinvilliers, la triste hrone du<br />

drame des Poisons si bien cont par notre spirituel ami<br />

F. Funck-Brentano, venait retrouver son complice et<br />

prparer avec lui celte terrible poudre de succession ,<br />

compose, d'aprs les aveux de l'empoisonneuse, de<br />

vitriol, de venin de crapaud<br />

et d'arsenic rarfi dont<br />

elle se servit pour faire mourir son pre, ses deux frres,<br />

et tenter de faire disparatre ses surs et son mari.<br />

En 1304, le Dante frquenta, tout prs, l'une des<br />

nombreuses coles de la rue du Fouarre,<br />

et l'ancienne<br />

Facult de mdecine possdait son amphithtre l'angle<br />

de la rue de l'Htel-Colbert. 11 est encore peu prs<br />

intact, ce curieux logis avec son ancienne coupole, et<br />

fournirait un admirable dcor quelque muse rtros-<br />

pectif de chirurgie (*).<br />

Tout prs, la rue Matre-Albert, qui, jusqu'en<br />

1844, s'appela rue Perdue , doit son nom actuel<br />

au dominicain Matre Albert, lequel, au xm c<br />

sicle, professait<br />

en plein air sur la place Maubert. Elle renferme<br />

(1) L'ancienne Facult de Mdecine est aujourd'hui la Maison<br />

des tudiants .


172 COINS DE PARIS<br />

de curieuses maisons, aujourd'hui repaires des vagabonds<br />

qui y logent la nuit. En 1819, un vieux ngre d'aspect<br />

misrable, d'allure trange, descendait tous les soirs,<br />

en se dissimulant de son mieux, cette sombre rue pour<br />

aller se nourrir dans quelque pauvre gargote; on se le<br />

dsignait en chuchotant sur son passage : c'tait Zamore,<br />

le ngrillon de la Dubarry, ce petit singe avec lequel<br />

avait jou Louis XV, Zamore, qui fut une puissance<br />

choye et courtise par les grands seigneurs, les belles<br />

dames et les princes de l'glise jaloux de plaire la<br />

favorite, et qui, plus tard, officier municipal de Marly<br />

sous la Terreur, ingrat, lche et vil, trahit sa bienfai-<br />

trice, la livra, la jeta sous le couteau de la guillotine. De<br />

chute en chute, Zamore tait venu se terrer au n 13 de<br />

cette triste rue Perdue, au deuxime tage, sur la cour.<br />

Il y mourut le 7 fvrier 1820.<br />

Saint-Nicolas-du-Chardonnet et Saint-Julien-le-Pauvre<br />

sont les deux glises les plus proches; l'une, Saint-<br />

Nicolas-du-Chardonnet, a pour<br />

sombre petit sminaire o,<br />

annexe un triste et<br />

sous la direction de l'abb<br />

Dupanloup, l'minent philosophe E. Renan fit une partie<br />

de ses tudes thologiques. Il faut lire dans les Souvenirs<br />

d'Enfance et de Jeunesse les pages admirables que ce<br />

merveilleux crivain a consacres son sjour dans<br />

cette studieuse maison! Cette paroisse qui tirait son<br />

nom du champ de chardons bien connu des tudiants de<br />

l'Universit de Paris au Moyen Age, tait alors le centre<br />

d'un quartier riche, habit surtout par la magistrature...


LA RIVE GAUCHE 173<br />

L'internat me tuait... Je n'tais pas le seul souffrir...<br />

Mon meilleur ami, un jeune homme de Coutances, je<br />

LGLISE SAINT-NICOLAS-DU-CHARDON\ET ET I.A RUE SAINT-VICTOR.<br />

Dessin de Heidbrendk. Muse Carnavalet.<br />

crois, transport comme moi, excellent cur, s'isola, ne<br />

voulut rien voir, mourut. Les Savoisiens se montraient


174 COINS DE PARIS<br />

bien moins acclimatables encore. Un d'eux, plus g que<br />

moi, m'avouait que chaque soir il mesurait la hauteur<br />

du dortoir du troisime tage au-dessus du pav de la<br />

rue Saint-Victor. Je tombai malade, selon toutes les<br />

apparences, j'tais perdu. Le Breton qui est au fond de<br />

moi s'garait en des mlancolies infinies. Le dernier<br />

anglus du soir que j'avais entendu rouler sur nos chres<br />

collines et le dernier soleil que j'avais vu se coucher sur<br />

ces tranquilles campagnes me revenaient en mmoire<br />

comme des flches aigus. Selon les rgles ordinaires,<br />

j'aurais d mourir; j'aurais peut-tre mieux fait...<br />

La mre du peintre Le Brun fut enterre dans la<br />

chapelle Saint-Charles, de l'glise Saint-Nicolas-du-<br />

Chardonnet, et aussi Pierre de Chamousset, l'inventeur<br />

de la petite Poste aux lettres... Parisiennes, bnissez sa<br />

mmoire!<br />

L'glise<br />

Saint-Julien-le-Pauvre est affecte au culte<br />

grec. Elle tombe en ruine, cette triste chapelle enclave<br />

dans les anciens btiments de l'Htel-Dieu ; une margelle<br />

bouche de puits d'o sortent quelques pauvres herbes,<br />

semble en garder la porte, qui s'ouvre sur une cour sale,<br />

encombre de dtritus, o picorent quelques maigres<br />

poules. En ce coin de misre et de souffrances, les<br />

murs sont humides et noirtres; dans ces cours som-<br />

bres, poussent difficilement quelques arbres rachitiques.<br />

Il y a trois ans encore, de temps en temps, s'y arrtaient<br />

des civires ou des voitures d'ambulances : on en des-<br />

cendait les malheureux qu'un accident, un crime ou la


LA RIVE GAUCHE 175<br />

maladie avaient frapps brusquement dans la rue. Dans<br />

ce grand Paris indiffrent, affair, partag entre ses<br />

LA RUE SAINT-JULIEN-LE-PACVRE.<br />

plaisirs ou ses affaires, l'pave humaine tait apporte


176 COINS DE PARIS<br />

l'Assistance publique, dans cette triste rue Saint-<br />

Julien- le-Pauvre, au nom suggestif. L, ces vaincus<br />

de la vie achevaient leur misrable existence, l'ombre<br />

de la vieille glise, contemporaine au moins de Notre-<br />

Dame, o Grgoire de Tours dit avoir log, o Dante<br />

a longuement pri, et dont la sombre silhouette semble<br />

tout indique pour abriter de son ombre les pires<br />

misres du pauvre peuple parisien.<br />

Pour nous reposer de ce pnible spectacle, reprenons<br />

les admirables quais parisiens, suivons ce beau fleuve, si<br />

vivant sous les jeux de lumire du jour et les coups de<br />

lune de la nuit, longeons la Seine, le plus gai, le plus<br />

merveilleux spectacle que nous offre Paris; passons<br />

devant les beaux htels des Miramionnes, de Nesmond,<br />

du prsident Rolland, devant la Halle aux Vins, ces<br />

catacombes de la soif , et arrtons-nous au vieux<br />

Jardin des Plantes, cher Buffon; un reste du charme<br />

des choses passes et non encore abolies y subsiste<br />

encore !<br />

Les arbres sont sculaires, les dcors des charmilles<br />

n'ont pas t modifis;<br />

il est des coins de volires et de<br />

huttes chvres qui sont tels que Daubigny et Charles<br />

Jacques les dessinrent en 1843, pour l'illustration du<br />

bel ouvrage dit par Curmer.<br />

Les reptiles sont mieux logs que dans notre enfance,<br />

mais l'hippopotame se roule dans le mme bassin, la<br />

girafe allonge son cou par-dessus les mmes cltures,


LA RIVE GAUCHE 179<br />

et l'lphant tend toujours travers les mmes grillages<br />

sa trompe engloutisseuse de petits pains.<br />

La fosse aux ours n'a pas chang, et la foule des<br />

badauds continue engager l'ternel Martin refaire<br />

l'ascension du mme tronc d'arbre. Le labyrinthe, le<br />

dlicieux labyrinthe, offre toujours aux enfants criards ses<br />

capricieux mandres, et<br />

le cdre du Liban (Cedrus<br />

Lybani (Linnus) que<br />

M. de Jussieu, assure la<br />

tradition, rapporta dans<br />

son chapeau continue<br />

abriter sous ses bran-<br />

ches somptueuses les<br />

rveurs, les flneurs, les<br />

travailleurs et la gri-<br />

sette, la dernire gri-<br />

sette, qui vient, l'abri<br />

de son ombrevnrable,<br />

lire l'mouvant roman-<br />

feuilleton qui remplit de<br />

douces motions son<br />

cur assoiff d'idal!<br />

JAR1IN DES PLANTES.<br />

Le cdre du Liban.<br />

Est-il enfin rien de plus coquet que les petites pices<br />

des anciens btiments de Louis XVI, qui constiturent<br />

jadis le Cabinet d'histoire naturelle de Buffon, dont les<br />

fines boiseries grises servirent de cadres aux admirables<br />

collections des papillons de tous les pays.


180 COINS DE PARIS<br />

Dans ces salles si dlicatement dcores et d'une<br />

intimit si douce, c'tait comme une idale floraison,<br />

une ferie de couleurs exquises, la magie d'une clatante<br />

palette.<br />

Ils taient tous l, les beaux papillons aux clats<br />

mtalliques des Indes et du Brsil, comme aussi les papil-<br />

lons aux mille couleurs de France, depuis le grand<br />

LE JARDIN DES PLANTES.<br />

sphynx<br />

tte de mort<br />

jusqu'au minuscule pa-<br />

pillon bleu des prairies.<br />

Peut-tre le temps<br />

avait-il comme poudr<br />

et lgrement teint<br />

l'clat merveilleux de<br />

leurs colorations pre-<br />

mires, mais cela valait<br />

mieux ainsi : trop cla-<br />

Ancien amphithtre.<br />

tants, ils eussent dtonn<br />

dans ce milieu un peu vieillot, et c'tait un charme<br />

de plus de voir ces joyaux de l'air si lgrement recou-<br />

verts d'un rien de la poussire du pass! Aujourd'hui,<br />

hlas ! ces salles toutes fleuries de sculptures sont<br />

closes et abandonnes, une partie<br />

de leurs boiseries<br />

somptueuses a disparu... O sont passes ces prcieuses<br />

dcorations? Pourquoi ces ternelles et coupables muti-<br />

lations qui, je le sais, dsolent M. Prier, l'minent<br />

Directeur du Musum? Les collections de papillons<br />

sont maintenant transfres dans le vaste et somptueux


LA RIVE GAUCHE 183<br />

hall central du nouveau pavillon consacr l'Histoire<br />

naturelle, je les aimais davantage dans le cadre dis-<br />

cret qui les enfermait autrefois et qui leur convenait<br />

si bien.<br />

Les fleurs d'eau s'panouissent, comme jadis, dans<br />

les mmes serres touffantes et basses, prs des orchides<br />

aux formes tranges, et dans le vieil amphithtre,<br />

o professrent tant d'illustres<br />

savants, une noble<br />

artiste, M me Madeleine<br />

Lemaire le seul pro-<br />

fesseur femme qui ait<br />

enseign au Musum<br />

initie un auditoire attentif et<br />

charm la divine beaut<br />

des fleurs !<br />

De tout temps d'ailleurs,<br />

les artistes sont venus ins-<br />

taller leur lger chevalet<br />

peindre ou leurs selles<br />

modeler devant les cages<br />

des lions ou dans le Jardin mme, sur l'herbe, en face<br />

des antilopes, des biches, des chassiers ou des chvres<br />

du Thibet.<br />

JARDIN DES PLANTES.<br />

Un observateur.<br />

Gavarni, del.<br />

Nous nous souvenons, mon frre et moi, d'y avoir,<br />

tout enfants, accompagn notre pre qui travaillait<br />

d'aprs les tigres et les lions dans le corridor des animaux<br />

froces. L'odeur tait alcaline et violente, la


184 COINS DE PARIS<br />

chaleur lourde, on entendait le sifflement des fouines<br />

installes dans les rotondes d'entre et de sortie; parfois<br />

encore un rugissement terrible, une plainte de<br />

colre, de douleur ou d'ennui,<br />

vitres.<br />

venait branler les<br />

La plupart du temps les malheureux animaux privs<br />

d'air, de lumire, enferms dans d'horribles cages troites<br />

et puantes, se mouraient lentement de consomption ;<br />

ils se familiarisaient trs vite avec ceux qui passaient<br />

des semaines entires les tudier et leurs grosses<br />

ttes se frottaient clinement contre les pais barreaux<br />

des cages, pendant que leurs yeux lumineux se fai-<br />

saient doux et presque tendres.<br />

Souvent encore c'tait la mnagerie des reptiles,<br />

un vieux btiment croulant de vtust, que nous allions,<br />

coliers curieux et fureteurs, passer de longues heures,<br />

piant les camlons, contemplant les boas, essayant de<br />

faire tressaillir les crocodiles endormis, et qui parais-<br />

saient dj empaills !<br />

Que<br />

de souvenirs dans ce vieux<br />

et charmant Jardin des Plantes, un des rares Coins de<br />

Paris demeur peu prs intact!<br />

A ct, l'ancienne maison de Cuvier ne semble<br />

gure solide et s'effriterait peut-tre<br />

sans le rseau de<br />

plantes qui l'enserre : les lierres, les aristoloches, les<br />

chvrefeuilles,<br />

les lianes de toutes sortes lont comme<br />

caparaonne de verdure. Ce sont des nappes, des cascades<br />

d'un vert lustr et brillant la fois : un bouquet<br />

de feuilles dans un jardin.


LA RIVE GAUCHE 185<br />

Derrire le Jardin des Plantes, voici la Sal-<br />

ptrire, aux murs sinistres, la Salptrire<br />

sacres de Septembre, la Salptrire<br />

des mas-<br />

d'o s'vada si<br />

facilement M me de Lamotte aprs sa condamnation ;<br />

avec ses grands jardins et ses affreux praux entours<br />

de grilles o Ton enferme les femmes plus folles<br />

que les autres disait de Goncourt ; la Salptrire<br />

enfin, dont le dme, visible de partout, domine comme<br />

un phare de misre tout ce quartier qu'empuantit la<br />

Bivre, la triste Bivre huileuse, strie par tous les<br />

acides des tanneries, ensanglante par les peaux de<br />

moutons frachement corchs qui y trempent; qui<br />

coule misrable et sordide, au milieu des choppes,<br />

des amidonneries, des peausseries, aprs avoir tra-<br />

vers les jardinets de Gentilly, et s'tre donn, dans le<br />

quartier de la Fontaine--Mulard, l'illusion de la vraie<br />

campagne.<br />

11 est loin le temps o cette rivire infortune baignait<br />

des prairies verdoyantes et voyait les saules se mirer<br />

dans ses eaux claires. Dompte, domestique, soumise<br />

toutes les besognes, elle roule, puante et sale, acca-<br />

pare sans trve par les tanneurs, les corroyeurs, les<br />

mgissiers,<br />

les teinturiers! Pour la suivre dans ses<br />

dtours, il faut monter rue du Moulin-des-Prs, puis<br />

s'engager rue de Tolbiac. L, par une porte grille<br />

elle pntre dans un corridor sombre et lugubre, d'o<br />

elle ne sortira que pour glisser en une sorte de canal<br />

sinistre, entre de noires usines l'aspect farouche. De


186 COINS DE PARIS<br />

place en place, le long des maigres berges, quelques<br />

blanchisseuses ont plac leurs tonneaux au ras de cette<br />

eau et chantent en battant le linge, ou de misrables<br />

gamins tentent la pche illusoire de quelque poisson<br />

gar dans ce ruisseau mphitique. Puis la Bivre<br />

disparat nouveau sous terre pour ne reparatre<br />

qu' la rue des Gobelins. Ici, tout au moins, se<br />

retrouvent quelques traces d'un glorieux pass. Les<br />

vieilles maisons d'autrefois sont restes debout. Mais<br />

combien transformes! Les usiniers et les commerants,<br />

aprs avoir asservi la rivire, ont acquis les htels qui<br />

la bordent.<br />

Des bureaux, des entrepts, des resserres cuir ont<br />

envahi les nobles logis du xvi e<br />

sicle,<br />

et la Bivre<br />

circule comme honteuse au milieu de pauvres jardins<br />

dchus, comme elle, de leur antique splendeur.<br />

Puis ce sont encore des usines, des corroiries, des<br />

peausseries, des coins noirs, toujours puants et sordides,<br />

o des milliers de peaux de lapins suspendues dans<br />

avec des<br />

l'air, racornies et sches, s'entrechoquent<br />

claquements de bois. Jusqu'au bout, la malheureuse<br />

rivire, traque, utilise, torture, nettoie des peaux<br />

sanglantes, meut de lourdes roues, ou lave d'tranges<br />

dtritus, au milieu d'une odeur de barge. Enfin, elle<br />

vient s'ensevelir sous le boulevard de l'Hpital, dans de<br />

nausabonds trous noirs.<br />

Mais avant la chute finale, la Bivre voit le jour<br />

presque pour la dernire fois dans une ruelle bizarre,


Eau-forte de Martial.<br />

LES TANNERIES SUR LA BIVRE.


LA RIVE GAUCHE 189<br />

tonnante, l'une des plus tranges de cet trange quar-<br />

tier: la ruelle des Gobelins. Elle coule, teinte en rouge,<br />

en vert, en jaune, au milieu de maisons rapices,<br />

lpreuses, misrables, hors d'aplomb, dans une odeur<br />

d'ammoniaque. Cependant, prs de ces taudis, parmi des<br />

monceaux de tan, ct de fosses o macrent des<br />

peaux de btes corches, un bijou sculpt surgit comme<br />

un rappel de beaut, un vestige de splendeur passe :<br />

les restes sculpts d'un adorable pavillon Louis XV dont<br />

M. de Julienne avait fait un rendez-vous de chasse, et<br />

ce paradoxe charmant, cette fleur de pierre jete au<br />

milieu de cet amas de hideurs n'est pas l'une des moin-<br />

dres surprises de ce stupfiant quartier.<br />

Cependant, quelques mtres de cette sentine, les<br />

artistes de la Manufacture des Gobelins ont dispos<br />

leurs jardins de travail et d'tudes, o clatent la<br />

pourpre, l'or et l'azur des plus jolies fleurs de France<br />

qui, habilement distribues, jettent un tapis de couleurs<br />

exquises et fulgurantes dans ce<br />

misre.<br />

triste et sombre pays de<br />

Aux confins de la ville se rencontre la Butte-aux-<br />

Cailles, un vaste terrain inculte, triste et morne qui,<br />

jusqu'en 1863, fut une sorte de frache campagne avec<br />

des moulins et des fermes. C'est aujourd'hui un quartier<br />

de dur labeur o des tribus de chiffonniers trient les<br />

paves de Paris; l'angle de la ruelle des Peupliers, des<br />

marchands de bches ont tabli leurs cabanes, et des


190 COINS DE PARIS<br />

masures se dressent dans des rues tranges construites<br />

avec des dbris d'autres rues.<br />

Jadis, ces vastes espaces n'taient que jardins et<br />

cultures marachres arross par la Bivre.<br />

Dans un livre charmant, un peu oubli aujourd'hui,<br />

Alfred Delvaunous dit ce qu'taient, sous Louis-Philippe,<br />

le faubourg Saint-Marceau, la Butte-aux-Cailles, la rue<br />

Croulebarbe et aussi la rue du Champ-de-1'Alouette o<br />

fut assassine la Bergre d'Ivry , un crime trange<br />

qui bouleversa Paris en 1827 : un garon<br />

marchand de<br />

vin, Honor Ulbach, y poignarda une jeune fille, Aime<br />

Millot, gardeuse de chvres, populaire Ivry. On la<br />

voyait chaque jour avec un grand chapeau de paille sur<br />

la tte et un livre la main surveillant les chvres de<br />

sa matresse; on l'appelait la Bergre d'Ivry en 1827,<br />

il y avait encore des bergres Paris.<br />

Le procs qui s'ensuivit et se termina par<br />

damnation mort d'Ulbach un malheureux fou<br />

la con-<br />

passionna la ville entire : il s'agissait d'amour et de<br />

jalousie; la victime avait dix-neuf ans, elle tait sage<br />

et bergre ; les femmes maudissaient l'assassin tout<br />

en le plaignant peut-tre , nous disent les journaux de<br />

l'poque, et du coup la girafe, rcemment arrive au<br />

Jardin du Boi, fut dlaisse pour le drame d'Ivry.<br />

Le 27 juillet, Ulbach tait condamn mort, et le<br />

10 septembre 1827, quatre heures du il soir, montait<br />

sur l'chafaud dress place de Grve !<br />

Une crche municipale occupe rue des Gobelins,


Schaan, pinxll.<br />

LA BIEVRE VERS 1900.<br />

BIEF DE VALENCE.<br />

Muse Carnavalet.


LA RIVE GAUCHE 193<br />

n 3, un bel htel Louis XIII qu'habita le marquis de<br />

Saint-Mesme, lieutenant gnral, poux d'Elisabeth<br />

Gobelin, tout proche d'un beau btiment d'aspect sei-<br />

gneurial qui, dans le quartier, porte<br />

de la Reine Blanche .<br />

le nom d' htel<br />

La lgende est fausse, assure le trs rudit<br />

M. Beaurepaire, l'aimable bibliothcaire de la ville de<br />

Paris: ce fut simplement le logis de Catherine<br />

d'Hausserville,<br />

o Charles VI faillit tre brl vif dans<br />

la reprsentation d'un ballet 5 le feu prit son travestisse-<br />

ment . L'difice est de noble allure et dtonne un peu<br />

dans ce pauvre mais si pittoresque quartier.<br />

Un autre bel htel encore, rue Scipion, htel bti<br />

par Scipion Sardini, sous Henri III, avec des mdail-<br />

lons en terre cuite, rares spcimens parisiens de cette<br />

si jolie dcoration qui nous charme tant Florence,<br />

Pise, Vrone. Ce Scipion Sardini fut un homme<br />

trange, dont l'histoire mrite d'tre conte. D'origine<br />

toscane, il vint en France aprs la mort de Henri II,<br />

alors que Catherine de Mdicis s'emparait du pouvoir.<br />

Aimable, spirituel, insinuant, grand manieur d'argent,<br />

habile dans ses entreprises, sans scrupules, il prend<br />

vite une place prpondrante dans cette cour frivole,<br />

dissolue, joyeuse.<br />

Il savait mener de front les affaires<br />

et les plaisirs : une illustre alliance lui semblant nces-<br />

saire pour faire oublier la bassesse de sa condition<br />

premire et la rapidit de sa fortune: il pouse la belle<br />

Limeuil une des plus sduisantes beauts de l'Es-<br />

13


194 COINS DE PARIS<br />

cadron volant de la Reyne.<br />

Toutes bastantes pour<br />

meltre le feu par tout le Monde . disait Brantme. Cette<br />

aimable personne avait t successivement adore par<br />

les plus nobles Seigneurs de la Cour avant de faire,<br />

en 1563, la conqute de Cond, dont elle eut un enfant.<br />

A Dijon, pendant une rception de la Reine, la demoi-<br />

selle de Limeuil se trouva mal et accoucha d'un garon:<br />

Pour une personne si avise, crit Mzeray, on ne<br />

s'explique pas trop comment elle prit si mal ses me-<br />

sures ; scandale, indignation de la reine-mre; empri-<br />

sonnement de la belle Isabelle, que Cond, toujours<br />

amoureux, russit faire vader. Mais les Prolestants<br />

veillaient et russirent loigner<br />

leur chef de sa com-<br />

promettante amie. C'est alors que se prsenta Scipion<br />

Sardini, le plus riche financier de l'poque, le banquier<br />

du roi, du clerg, des seigneurs. Il sut se faire agrer, se<br />

maria, et s'tablit dans ce joli htel que nous admirons<br />

encore, cit par Sauvai comme un des plus<br />

beaux de<br />

Paris, au milieu des vignes, des vergers et des champs<br />

que bordait la Bivre. Il y vcut, entour de luxe, d'u-<br />

vres d'art, de livres et de fleurs; il y mourut vers 1609,<br />

et ds 1636 l'htel tait un hpital qui, en 1742, fut<br />

transform en boulangerie ; et cette boulangerie dessert<br />

aujourd'hui les Hpitaux de la ville de Paris.<br />

Longeons la Halle aux Vins, ces catacombes de la<br />

soif , et, avant de regagner la rive droite, arrtons-<br />

nous respectueusement sur le pont de l'Estacade, tout<br />

prs du petit monument lev par ses admirateurs


LA RIVE GAUCHE 197<br />

l'illustre sculpteur Barye, le grand Barye qui, mconnu,<br />

bafou, saisi par ses cranciers, venait souvent le soir,<br />

au sortir de son modeste atelier du quai des Clestins,<br />

oublier ses souffrances et rver, cette place mme,<br />

devant le splendide panorama de Paris que couronne la<br />

noble silhouette du Panthon. C'est Pun des plus admi-<br />

rables aspects de la grande Ville.<br />

Rien n'est plus relatif qu'une impression ressentie;<br />

pour certains esprits amoureux du Pass, telle ruine<br />

est beaucop plus impressionnante que le plus moderne<br />

des palais, et aussi les rues, les maisons, les pavs.<br />

Il est une heure exquise pour voquer l'me du<br />

vieux Paris: c'est le crpuscule.<br />

La couleur particulire chaque chose s'est fondue<br />

dans les teintes gnrales que rpandent le jour qui<br />

s'en va et la nuit qui commence.<br />

De fines silhouettes denteles se profilent sur le ciel<br />

pendant que de grandes masses violettes, noires et<br />

bleues mettent des rues entires dans un mystre infini.<br />

Alors la pense s'veille, les souvenirs s'animent, se<br />

prcisent; on revit les scnes dont ces rues, ces maisons,<br />

furent les impassibles tmoins. On entend les cris de<br />

fureur ou de joie, les tambours battent, les cloches<br />

sonnent, des groupes passent en chantant dans ces<br />

dcors de rve. La vision est revenue!<br />

Ce pont de l'Estacade qui, de sa barrire de poutres<br />

noires, ferme pour ainsi dire l'est l'antique Paris,


*<br />

198 COINS DE PARIS<br />

est une des meilleures places qu'il<br />

convient de choisir<br />

pour se donner cette fte intime.<br />

La Ville s'endort dans le calme du soir; au loin son-<br />

nent des cloches; les hirondelles passent en criant dans<br />

l'air embaum de la nuit qui descend; des bruits mon-<br />

tent, vagues, imprcis, et qui peuvent<br />

se modifier au<br />

gr du rve poursuivi : la vie semble s'endormir, l'me<br />

du pass s'veille. C'est l'heure souhaite.


Boilly, pinxit.<br />

le pont -royal en^1800. Muse Carnavalet.<br />

LA RIVE DROITE<br />

Ie quartier de l'Arsenal, construit sur l'emplace-<br />

I cernent de deux Palais Royaux, l'htel Saint-Paul,<br />

le palais des Tournelles, et le sol de l'le Louviers,<br />

runie la rive en 1843, sert de transition<br />

naturelle entre le vieux Paris et le Paris moderne..<br />

Malgr son nom guerrier, le quartier<br />

de l'Arsenal<br />

est l'un des plus paisibles de Paris. Depuis bien des<br />

sicles, les palais qui y apportaient la richesse, le mou-<br />

vement, la vie ont disparu; sur leurs ruines, sur leurs<br />

immenses jardins, d'humbles rues paisibles ont t<br />

difies; la rue de la Cerisaie, o le marchal de Villeroy<br />

reut Pierre le Grand dans le somptueux htel Zamet;<br />

la rue Charles-V, o, dans ce qui fut l'lgant logis de


200 COINS DE PARIS<br />

la marquise de Brinvilliers, au numro 12, une bonne<br />

sur de charit en cornette blanche distribue aujourd'hui<br />

de l'huile de foie de morue et des chaussons de<br />

laine des enfants pauvres et souffrants ; la rue des<br />

Lions-Saint-Paul, la rue Beautreillis, o naquit Victorien<br />

Sardou; c'est prs de l que logea le grand Balzac:<br />

Je demeurais alors, dit-il dans son admirable rcit<br />

Facino Cane, dans une petite rue que vous ne connaissez<br />

sans doule pas, la rue de Lesdiguires ; elle commence<br />

la rue Saint-Antoine, en face d'une fontaine prs de<br />

la place de la Bastille, et dbouche dans la rue de la<br />

Cerisaie. L'amour de la science m'avait jet dans une<br />

mansarde o je travaillais pendant la nuit et je passais<br />

le jour dans une bibliothque voisine, celle de Monsieur.<br />

Quand il faisait beau, peine me promenais-je sur le<br />

boulevard Bourdon . Elle existe encore en partie cette<br />

modeste rue de Lesdiguires ;<br />

sur l'emplacement qu'oc-<br />

cupent les n os 8 et 10, on pouvait voir encore, il y a<br />

quelques annes, un des murs de clture de la Bastille ;<br />

des maisons troites y ont t plaques, et, au n 10,<br />

c'est le mur mme de la vieille forteresse parisienne<br />

qui forme le fond de la loge de la concierge ! Quelle<br />

destine pour un mur de prison !<br />

De ce qui fut l'Arsenal, l'htel du Grand Matre<br />

subsiste seulement, c'est aujourd'hui la Bibliothque<br />

de l'Arsenal (ex-bibliothque de Monsieur dont parle<br />

Balzac), un fier logis qu'habita Sully, plein de livres sans<br />

prix, d'autographes,<br />

d'crits rarissimes : Dans un coffret


LA RIVE DROITE 201<br />

fleurdelis, on y peut contempler le livre d'heures de<br />

HTEL DE LESDIGCIERES. Martial, aq .<br />

saint Louis, ct d'un fragment de son manteau royal,


202 COINS DE PARIS<br />

la soie bleue use par le temps, seme de fleurs de lis<br />

d'or, et le vieux livre porte cette inscription vnrable :<br />

C'est le psautier de Monseigneur Loys, lequel fut sa<br />

mre ;<br />

il provient des trsors disperss<br />

de la Sainte-<br />

Chapelle. Voici la Bible de Charles V, avec cette note de la<br />

main mme du Roi : Ce livre moy, Roy de France ;<br />

ct, un missel dont chaque<br />

incomparable guirlande due au pinceau<br />

fleurs , ce grand artiste dont on ignore<br />

feuille est encadre d'une<br />

du matre aux<br />

le nom. Les<br />

manuscrits prcieux, les reliures merveilleuses, les di-<br />

tions introuvables, les romans de Chevalerie,<br />

siques, les potes de tous les temps<br />

les clas-<br />

se retrouvent au<br />

grand complet dans ce beau palais ; les lettres de Latude,<br />

la bote qui servit son attentat ridicule contre M me de<br />

Pompadour, y voisinent avec l'interrogatoire de la Brin-<br />

villiers et l'acte de dcs de l'Homme au masque de fer ;<br />

les lettres d'amour de Henri IV, embrassant un mylyon<br />

de fois la marquise de Verneuil, sont ici, comme<br />

aussi les pices relatives l'affaire du Collier. Que de<br />

choses encore... !<br />

Ajoutons que le conservateur, l'rudit Henri Martin,<br />

ses adjoints, Funck-Brentano, l'historien de la Bastille,<br />

le pittoresque conteur de tous ses drames, Sheffer,<br />

pote charmant et artiste accompli, et Eugne Muller,<br />

sont non seulement des savants dont l'loge n'est plus<br />

faire, mais d'aimables gens accueillants et courtois,<br />

et vous comprendrez bien vite pourquoi l'Arsenal est<br />

un des coins rares de Paris o il est dlicieux d'aller


BAL COMMEMORAT!*- SLR l,ES RUINES DE LA BASTILLE<br />

Ici l'on danse.<br />

D'aprs une gravure en couleur du xvnr sicle.


LA RIVE DROITE 205<br />

travailler ou flner. C'est du reste une tradition dans la<br />

maison : Nodier, le bon Nodier, qui fut l'un des prd-<br />

cesseurs de M. de Bornier et du matre J.-M. de Heredia,<br />

l'admirable auteur des Trophes, avait su faire de l'Ar-<br />

senal le centre du Paris littraire et artistique. Hugo,<br />

Lamartine, Musset, Balzac, Mry, de Vigny et Frdric<br />

Souli s'y runissaient; l'on y disait de beaux vers en<br />

regardant le soleil s'irradier rouge et flambant derrire<br />

les tours de Notre-Dame !<br />

Les tours de Notre-Dame taient l'H de son nom !<br />

a crit Vacquerie, en parlant de Hugo !<br />

De ce qui fut la Bastille, rien ne reste que quelques<br />

pierres qui formaient le soubassement d'une des<br />

fameuses tours. Elles ont d'ailleurs t soigneusement<br />

dplaces et transportes quai des Clestins, le long<br />

de la Seine, o elles sont visibles aujourd'hui. C'est donc<br />

en vain que Ton chercherait une trace quelconque de<br />

cette forteresse sombre. sur laquelle planrent tant de<br />

lgendes. La grande ombre de Latude elle-mme ne<br />

s'y reconnatrait plus ; pourtant quelle place la lgen-<br />

daire Bastille ne tient-elle pas dans l'histoire de Paris:<br />

cette Bastille que le peuple stupfi de sa si facile<br />

victoire, ne se laissait pas, ds le 15 juillet 1789, de<br />

venir visiter avec un tel empressement et une telle<br />

curiosit que le gouverneur Souls, nomm par la muni-<br />

cipalit parisienne, dut devoir suspendre les visites,<br />

sous le curieux prtexte que de tels dgts avaient


206 COINS DE PARIS<br />

t dj faits la forteresse par les visiteurs, qu'il en<br />

coterait plus de 200.000 livres pour la rparer .<br />

Rparer<br />

la Bastille ! Les souvenirs manuscrits de Par<br />

nous disent les fureurs que cette trange prtention<br />

excitrent chez Danton, sergent d'une compagnie de la<br />

Garde nationale, qui, avec sa section, tait venu se<br />

heurter celte consigne.<br />

Danton se fait conduire devant le maladroit Souls,<br />

l'empoigne<br />

au collet et le trane l'Htel de Ville : la<br />

consigne est leve, les visites continuent, et le citoyen<br />

Palloy peut enfin mettre en coupe rgle la clbre<br />

prison d'Etat; les pierres sont tailles en images de<br />

la forteresse, et ddies aux dpartements et aux assem-<br />

bles ou en pierres commmoratives destines<br />

aiguiser les courages . Palloy dcoupe les plombs sous<br />

forme de mdailles et fait des anneaux avec les chanes<br />

de fer; avec les marbres, il confectionne des jeux de<br />

dominos et a la dlicate pense d'offrir l'un de ces<br />

jeux au jeune Dauphin, pour lui inspirer l'horreur de<br />

la tyrannie. .<br />

Des bals sont ouverts sur l'emplacement de la Bas*<br />

tille, le vin coule, les violons grincent,<br />

imprimes de l'poque nous reprsentent<br />

et les indiennes<br />

les ruines de<br />

la vieille citadelle parisienne surmontes de cette ins-<br />

: cription Ici l'on danse .<br />

Le vaste espace laiss vide par cette dmolition tait<br />

combler. Napolon<br />

I er<br />

, dont les conceptions artistiques<br />

taient parfois dconcertantes, y fit difier, en 1811, par


LA RIVE DROITE 207<br />

Alavoine, un projet de fontaine trange et d'aspect<br />

bizarre: un lphant colossal de vingt-quatre mtres de<br />

hauteur jetant l'eau par sa trompe.<br />

Bti provisoirement en pltras et en torchis, cet l-<br />

phant s'effrita vite sous l'action du temps et de la pluie;<br />

ce fut bientt une lamentable ruine entoure de planches<br />

disjointes. Les gamins du quartier s'y livraient des<br />

luttes homriques, mais les vrais familiers de l'lphant<br />

taient les rats qui y avaient lu domicile, ce point<br />

que, lorsque la dmolition fut commence, de vritables<br />

battues avec hommes et chiens durent tre organises,<br />

et pendant de longs mois ces affreux rongeurs envahirent<br />

le quartier terroris. En 1840, la colonne actuelle fut<br />

rige; depuis, le gnie de la Libert pose<br />

sur Paris un<br />

pied lger et le beau lion de Barye veille sur le repos des<br />

victimes de 1830 inhumes dans la crypte du monument.<br />

La rue Saint- Antoine renferme quelques beaux<br />

htels : l'htel Coss, o mourut Qulus ; l'htel de<br />

du Cerceau sur<br />

Mayenne et d'Ormesson, construit par<br />

les restes de l'htel Saint-Paul et de l'atelier de Germain<br />

Pilon; l'htel Sully, dont la noble faade fut rcemment<br />

mutile. Tout ct, l'angle de la rue du Figuier et de<br />

la si pittoresque rue de l'Htel-de-Ville, qui fut autrefois<br />

la rue de la Mortellerie, s'lvent les restes de l'htel de<br />

Sens, le seul spcimen, avec l'htel de Cluny, de ce que<br />

fut l'architecture prive au xv e sicle. Aprs avoir t<br />

habit par les Princes de l'glise, les vques, les Cardinaux,<br />

et aussi par Marguerite de Valois (la Reine


208 COINS DE PARIS<br />

Margot),<br />

l'htel de Sens connut la mauvaise fortune. Il<br />

devint Bureau des coches , et les rouliers,<br />

d'curie,<br />

les valets<br />

les ramasseurs de crotin succdrent aux<br />

Princes de l'glise!<br />

En ces derniers temps, on faisait des confitures en<br />

gros dans l'htel de Sens devenu officine de confiseurs!<br />

Au n 5 de la rue du Figuier, nous rencontrons un<br />

puits margelle sculpte, d'un beau caractre, et nous<br />

ne saurions manquer d'voquer le souvenir de Rabelais,<br />

l'admirable Rabelais, mort ct, dans la rue des Jardins<br />

; au n 15, rue de l'Ave-Maria, s'ouvrait la porte du<br />

xvi e<br />

sicle par laquelle les acteurs de l'Illustre Thtre,<br />

install dans l'ancien Jeu de Paume de la Croix-Noire,<br />

gagnaient leurs loges. C'est devant cette porte que<br />

Molire fut arrt et conduit au Chtelet, parce qu'il<br />

devait 142 livres Antoine Fausseur, matre chandelier,<br />

son fournisseur de luminaire !<br />

Traversons la place de la Bastille; descendons la<br />

rue du Faubourg-Saint-Antoine : c'est l, au n 115,<br />

devant une vieille maison du xvnr sicle, que fut tu<br />

sur une barricade le dput Baudin,<br />

Au n 303 s'levait, sous Napolon<br />

du D r<br />

le 3 dcembre 1851.<br />

er<br />

I , la maison de sant<br />

Dubuisson, o fut intern le gnral Mallet, c'est l<br />

qu'il combina le prodigieux complot dont bientt nous<br />

voquerons la dconcertante histoire. Plus loin, prs la rue<br />

de Montreuil, nous passons devant les restes des magasins<br />

de papiers peints de Rveillon, saccags le 17 avril 1789 ;<br />

leur pillage fut l'un des prludes de la Rvolution.


l'htel de seiss veks 1835.<br />

D'aprs une lithographie de Rouargue.<br />

14


LA niVE DROITE 211<br />

Enfin, au n 70 de la rue de Charonne, se trouvait la<br />

maison de sant du D r<br />

Belhomme, qui<br />

servait de Prison<br />

spciale sous la Rvolution. Ceux-l seuls y taient<br />

reus qui pouvaient payer, et fort cher. Les irrfutables<br />

mmoires de M. de Saint-Aulaine nous montrent Belhomme<br />

familier, cynique, exigeant son salaire et tutoyant<br />

les duchesses court d'argent qui lui marchandaient<br />

leur vie. Le plus aimable des historiens, mon excellent<br />

ami, G. Lentre, qu'il faut toujours citer quand il s'agit<br />

des faits de l'poque rvolutionnaire, a reconstitu cette<br />

terrible et tonnante histoire de la maison Belhomme,<br />

o l'on riait, o l'on dansait, o l'on flirtait mme<br />

sous l'il effrayant de Fouquier-Tinville; il a racont,<br />

avec son habituelle documentation, l'tonnante liaison<br />

de la duchesse d'Orlans, veuve de Louis-Philippe<br />

Egalit, avec le convenlionnel Rouzet, enterr plus tard<br />

Dreux, sous le nom du Comle de Folmon , dans le<br />

caveau de famille des d'Orlans.<br />

En poursuivant notre route et aprs avoir pa-s devant<br />

o fut inhum Louis XVII. . .,<br />

l'glise Sainle-Marguerite,<br />

ou son sosie, nous arrivons la barrire du Trne (du<br />

Trne renvers, disait-on en 1793). L'chafaud, qui<br />

momentanment avait quitt la place de la Rvolution, y<br />

fut dress pendant la plus terrible poque de la Terreur.<br />

Les grandes fournes y furent excutes. On y tua<br />

1,300 victimes en six semaines, dont Andr Chnier, le<br />

baron de Trenck, l'abbesse de Montmorency, Ccile<br />

Renaud, Madame de Sainte-Amaranthe, le pote Roucher


212 COINS DE PARIS<br />

et bien d'autres ! Les corps de ces malheureux, dpouills<br />

de leurs vtements, taient chargs chaque soir sur des<br />

tombereaux couverts, les ttes coupes entre les jambes,<br />

et l'horrible voiture, qui laissait derrire elle un sanglant<br />

sillage, tait dverse dans quelque foss creus au fond<br />

des jardins du couvent de Picpus, o existe encore le<br />

cimetire des supplicis de la Rvolution.<br />

En revenant sur nos pas, nous rencontrons, au n 9<br />

de la rue de Reuilly, les restes de ce qui fut la brasserie<br />

de l'Hortensia, tenue en 1789 par le fameux Santerre,<br />

commandant de la Garde nationale. La maison n'a pas<br />

beaucoup chang; toutefois, l'heure actuelle, c'est un<br />

pensionnat de jeunes filles qui occupe les grandes pices<br />

o le tonitruant Gnral organisa ces terribles descentes<br />

sur Paris et dchana ces effrayants bataillons du fau-<br />

bourg qui terrorisaient jusqu' la Convention elle-mme.<br />

De l'autre ct de la place de la Bastille, rue Saint-<br />

Antoine, prs de l'glise Saint-Paul, s'ouvre le passage<br />

les vieux sou-<br />

Gharlemagne, pittoresque au possible par<br />

venirs qu'il renferme et l'trange population qu'il abrite :<br />

rempailleurs de chaises, cardeurs de matelas, marchandes<br />

de lait, fleuristes en plein vent, se groupent<br />

autour des restes de l'htel charmant qui fut, sous<br />

Charles V, la somptueuse demeure du prvt Hugues<br />

Aubryot.<br />

La faade, encore remarquable et de belle allure,<br />

tonne et dtonne dans ce fouillis de maisonnettes pauvres<br />

et basses qui l'enserrent. Des poules picorent au


LA RIVE DROITE 213<br />

pied des tourelles du xv" sicle qui renferment encore<br />

un escalier de belle allure et du linge rapic sche<br />

sur des fils de fer entre les fentres cariatides du<br />

xvii e sicle remplaant celles derrire lesquelles rvrent<br />

jadis le duc d'Orlans, le duc de Berri et, en 1409, Jean<br />

de Montaigu, dcapit pour crime de sorcellerie ! qui<br />

furent les htes illustres de ce logis fastueux autre-<br />

fois ().<br />

Et maintenant arrtons-nous place des Vosges, de<br />

l'autre ct de la place de la Bastille. C'est l'un des rares<br />

coins de notre vieille Cit qui ont pu, travers les sicles,<br />

conserver peu prs<br />

intact leur ancien caractre : les<br />

maisons de style Louis XIII n'ont pas chang. Le dcor<br />

est rest le mme, les Prcieuses y pourraient refaire<br />

leurs promenades favorites et les raffins d'honneur y<br />

dgaineraient comme au beau temps de Richelieu et des<br />

frondeurs d'dits, seul le public des spectateurs serait<br />

profondment modifi. Les belles dames du pays de<br />

Tendre, les Cydalises et les Aramynthes, les Seigneurs<br />

qui jadis habitrent ces nobles logis, ceux qui, le 16 mars<br />

(1) Pourquoi faut-il si souvent indiquer par une note que telle<br />

relique encore debout il y a quatre ans est aujourd'hui d-<br />

molie, miette. Insoucieux de son histoire et de son glorieux<br />

pass, Paris laisse sans une protestation les vandales dtruire<br />

ses plus vnrables souvenirs. Depuis six mois l'htel Aubriot<br />

n'existe plus. Il a fallu huit jours des goujats pour faire dispa-<br />

ratre un bijou de pierre que les Franais admiraient depuis quatre<br />

sicles (aot 1909) !


214 COINS DE PARIS<br />

1612, assistrent au carrousel donn parla Reine rgente<br />

Marie de Mdicis, en l'honneur de la paix conclue avec<br />

l'Espagne, ou ceux qui se rendaient en grand carrosse<br />

chez la belle Marion de Lorme ou chez Madame de<br />

Svign, sont aujourd'hui remplacs par de petits rentiers,<br />

de modestes commerants retirs des affaires et<br />

des officiers retraits. D'humbles mnagres travaillent<br />

leur ouvrage aux places o reposaient les chaises<br />

porteur des nices de Mazarin, et la colonie nombreuse<br />

des Isralites qui habitent le quartier s'y donne rendez-<br />

vous le samedi. C'est un curieux spectacle que ces<br />

hommes et ces femmes, au type si fortement accus, se<br />

rendant la Synagogue, toute proche d'un reste d'hlel<br />

du xvm e<br />

sicle, encore orn de dlicates ornementations,<br />

occup aujourd'hui par un boucher, rue du Pas-de-la-<br />

Mule. Beaucoup de vieillards portent encore la longue<br />

lvite, les boucles d'oreilles et les cheveux en tire-bouchon.<br />

Des jeunes filles l'il velout, coiffes de ban-<br />

deaux, et vtues de faon spciale, s'y rencontrent cer-<br />

tains jours de ftes religieuses. Etrange vocation : il<br />

semblerait que, dans ces quartiers paisibles, les tra-<br />

ditions bibliques se fussent conserves dans quelques<br />

familles isralites.<br />

Mais c'est une exception, et la place des Vosges, qui<br />

fut la place Royale, qu'habitrent Richelieu, Fronsac,<br />

Chabannes, le marchal de Chaulnes, Rohan-Chabot,<br />

Rotrou, Dangeau, Canillac, le prince<br />

de Talmont et<br />

Mademoiselle du Chtelet ; o naquit Madame de Svign,


HOTEL DU PREVOT HIT. CE S AlBRYOT.<br />

COUR ET PASSAGE CHARLEMAGNE EN 1867.<br />

Dessin de A. Maignan.


LA RIVE DROITE 217<br />

o vcurent la tragdienne Rachel, Thophile Gautier et<br />

Victor Hugo, est aujourd'hui compltement dlaisse.<br />

Ce dlicieux coin de Paris o se dpensa tant<br />

d'esprit, o de si belles dames firent assaut de grce et<br />

d'lgance, o tant de Raffins dgainrent, n'est plus<br />

qu'un grand jardin solitaire, provincial et triste, fr-<br />

quent peu prs uniquement par les lves des pensions<br />

voisines qui y jouent aux barres, au cheval fondu ou<br />

au roi dtrn, l'ombre dbonnaire de la statue de<br />

Louis XIII, qu'encadrent philosophiquement le kiosque<br />

de la loueuse de chaises et le thtre de Guignol 1 (*)<br />

Dans l'ancienne rue Culture-Sainte-Catherine (qui<br />

s'appelle aujourd'hui rue de Svign), sur l'emplacement<br />

de l'actuel n 11, s'levait le thtre du Marais, construit<br />

aux frais de Beaumarchais. En 1792. on y reprsenta la<br />

Mre coupable, au bnfice, disait l'affiche, du premier<br />

soldat qui enverra au citoyen Beaumarchais l'oreille d'un<br />

Autrichien . Ce n'est plus qu'un modeste tablissement<br />

de bains chauds, prcd d'un petit jardinet, o, encadres<br />

de caisses de fusains, reluisent des boules tames.<br />

Le mur norme, sombre et rbarbatif, sur lequel s'ap-<br />

puie le lger pavillon thermal, est l'ancien mur de la<br />

Prison de la Force, de sinistre mmoire, o fut gorge<br />

sur une borne, au coin de la rue des Balais, Madame de<br />

(1) Depuis l'poque o ces lignes furent crites, la Ville de Paris<br />

a install son Muse Victor Hugo dans le logis mme qu'habita<br />

l'illustre pote. G. G. (1909).


218 COINS DE PARIS<br />

Lamballe, o fut transfre Madame Tallien, o fut<br />

dtenue la Princesse de Tarente, l'aeule de l'aimable,<br />

accueillant et rudit Duc de la Trmolle, qui n'eut qu'<br />

entr'ouvrir son incomparable Chartrier de famille pour<br />

nous donner ces passionnants et pittoresques Sou-<br />

venirs de Madame de Tarente , un<br />

documents sur la priode rvolutionnaire.<br />

des plus prcieux<br />

L'htel Carnavalet, la chre Carnavalette de<br />

Madame de Svign, est tout proche, et aussi l'ancien<br />

htel Le Peletier-Saint-Fargeau, aujourd'hui Bibliothque<br />

de la Ville de Paris. C'est un beau et vaste logis, de<br />

noble allure, qui renferme des merveilles, livres, cartes,<br />

plans, manuscrits. L'histoire crite de Paris est l, et<br />

tous les travailleurs connaissent le joli cabinet aux fines<br />

sculptures de l'aimable et savant M. Pote, conserva-<br />

teur de ces belles collections. MM. Beaurepaire, Jacob,<br />

Jarach et Wilhem, la Bibliothque; MM. Ptre et<br />

Stirling aux Travaux Historiques,<br />

sont les htes avertis<br />

et accueillants de cette admirable Bibliothque pari-<br />

sienne.<br />

Tout ce quartier du Marais renferme, du reste, de<br />

somptueux htels dont aucun, hlas ! ne fut respect ?<br />

Tous sont livrs au commerce et l'industrie. L'htel<br />

Lamoignon est occup par des polisseurs de glaces, des<br />

fabricants de siges rustiques; l'htel d'Albret, par un<br />

marchand de bronzes d'clairage; les htels de Tallard,<br />

de Maulevrier, de Sauvigny, de Brevannes, d'pernon, etc. ,<br />

sont encore debout, mais en quel tat ! La rue des


^m=J&


Nonnains-d'Hyres<br />

LA RIVE DROITE 221<br />

nous offre son curieux bas-relief de<br />

pierre peinte reprsentant un gagne-petit en costume<br />

du xvm e<br />

sicle. En 1748, une M me de Pannelier tenait<br />

dans cette mme rue bureau d'esprit ; Lalande, Sau-<br />

tereau, Guichard, Leclerc de Merry y frquentaient. Les<br />

sances, qui avaient lieu le mercredi, taient prcdes<br />

d'un excellent dner. La tradition s'en est heureusement<br />

conserve Paris.<br />

Rue Franois-Miron,<br />

se rencontre un vaste et bel<br />

htel fronton circulaire, avec cussons et guirlandes.<br />

C'est l'htel de Beauvais, bti par Le Pautre en 1658.<br />

On ne se douterait gure, aujourd'hui, voir cette<br />

vieille maison dans cette triste rue, que les carrosses<br />

dors du Roi Soleil ont pass sous la vote obscure de<br />

la porte d'entre, et que, du haut du balcon du pavillon<br />

central, la Reine Anne d'Autriche, accompagne de la<br />

Reine d'Angleterre, du cardinal Mazarin, du marchal<br />

de Turenne et d'autres illustres seigneurs, vit passer le<br />

cortge de son fils Louis XIV et de sa belle-fille, la nou-<br />

velle reine Marie-Thrse d'Autriche, faisant, par la<br />

porte Saint-Antoine, leur entre solennelle dans Paris,<br />

le 26 aot 1660 !<br />

Les propritaires successifs ont tous plus ou moins<br />

dgrad cette noble demeure. Seul, le grand escalier<br />

est peu prs intact, et c'est une merveille. Les<br />

sculptures sont de Martin Desjardins<br />

et la cour ovale<br />

garde encore quelques traces de son lgance d'au-<br />

trefois.


222 COINS DE PARIS<br />

Par son aspect pittoresque et les beaux htels qu'elle<br />

contient, la rue Geoffroy-l'Asnier est l'une des plus<br />

curieuses de Paris. Au n 26 se dresse l'htel de Chlons-<br />

Luxembourg, avec sa porte monumentale et son mer-<br />

veilleux heurtoir. Au fond de la cour s'lve un fort<br />

lgant pavillon Louis XIII, briques et pierres, aux pro-<br />

le deuxime<br />

portions dlicates; l'htel avait t bti pour<br />

Conntable de Montmorency, et tout perdu qu'il est dans<br />

ce triste quartier il garde encore fre allure.<br />

Aprs la Rvolution, cette rue dont presque tous les<br />

propritaires avaient migr ou avaient t guillotins,<br />

se trouva compltement dchue de son ancienne splendeur.<br />

De petits rentiers, de modestes employs, de<br />

pauvres gens se fixrent dans ces grandes maisons abandonnes;<br />

l'herbe poussait dans les rues, beaucoup d'h-<br />

tels avaient t vendus comme biens nationaux, et la rue<br />

Geoffroy-l'Asnier subit le sort commun, elle se dmo-<br />

cratisa !<br />

Entre cette rue et la rue des Barres, l'il tonn<br />

peroit une sorte de fissure ce point troite que deux<br />

personnes pourraient difficilement y passer de front,<br />

une manire de corridor o siffle le vent entre deux<br />

ranges de maisons dlabres et hors d'aplomb, c'est la<br />

rue Grenier-sur-l'Eau, pauvre et sale, mais pittoresque<br />

au possible avec, comme fond, la glorieuse tour de<br />

Saint-Gervais-Saint-Protais qui se dtache en lumire<br />

sur le ciel.<br />

C'est la nuit, avec un ciel d'orage, qu'il faut voir la


L'HTEL DE VILLE AU XVII e SICLE.


LA RIVE DROITE<br />

sinistre petite rue des Barres, derrire Saint-Gervais<br />

est alors facile de se<br />

reprsenter ce que dut<br />

tre ce paisible quar-<br />

tier lorsque, le 9 ther-<br />

midor, vers 11 heures<br />

du soir, la lueur des<br />

torches, parmi les ap-<br />

pels aux armes, les<br />

coups du tocsin et les<br />

clameurs de la foule,<br />

le corps de Lebas mort<br />

y fut apport et, sur une<br />

chaise, Augustin Robes-<br />

pierre qui<br />

s'tait bris<br />

les cuisses en sautant<br />

par une des fentres de<br />

l'Htel deVille. Le mort<br />

et le mourant taient<br />

trans l'htel des<br />

Barres transform en<br />

comit de section. Le<br />

lendemain matin on<br />

enterrait Lebas, et<br />

Augustin Robespierre<br />

tait port au Comit<br />

de Salut public, d'o il ,<br />

r<br />

RCE GRENIER-SUR-L EAU EN 18bb.<br />

partit pour l'chafaud. Dessin de A. Maif<br />

.<br />

15


226 COINS DE PARIS<br />

Dans cette pittoresque rue des Barres qui descend<br />

jusqu' la Seine, prs du vieux quai<br />

de l'Htel-de-<br />

Ville, o viennent s'amarrer les gros bateaux plats chargs<br />

de pommes, de pierres ou de sable s'ouvre l'une des<br />

sorties de la charmante glise Saint-Gervais dont les<br />

beaux vitraux, chefs-d'uvre de Pinaigrier et de Jean<br />

Cousin, furent presque totalement dtruits il y a quelque<br />

vingt ans par une explosion de dynamite. Tout contre<br />

l'glise, dans les restes dsaffects d'une ancienne chapelle,<br />

un confiseur a install ses alambics et ses bassines<br />

de cuivre rouge, et c'est un bien curieux spectacle, que<br />

de voir les fourneaux allums de toute cette trange cui-<br />

sine sous ces antiques votes ogivales, entre ces piliers<br />

noircis portant encore la trace des cires qui brlaient<br />

devant les images saintes, sur ce sol, jadis charnier, qui<br />

contient encore des ossements. Les communs de la<br />

vieille glise subsistent encore, merveilleusement pitto-<br />

resques et s'ouvrent rue Franois-Miron, n 2, gauche<br />

du portail d'entre de l'glise, entre une boutique de<br />

blanchisseuse et une entreprise de dmnagements !<br />

A ct, la petite rue de l'Htel-de- Ville nous amne<br />

rue Vieille-du-Temple, o nous pouvons admirer au<br />

n 47 ce qui nous reste du curieux htel des ambassa-<br />

deurs de Hollande o Monsieur Caron de Beaumar-<br />

chais et Madame son pouse comme les appelle un<br />

almanach de 1787, installrent en 1784 un Institut de<br />

Bienfaisance pour les pauvres mres nourrices . C'est<br />

mme au bnfice de cette uvre que fut donne la


HTEL BARBETTE.<br />

Rue Paradis-des-Francs-Bourgeois et rue Vieille-du-Temple en 1866<br />

Dessin de A. Maignan.


50 e<br />

LA RIVE DROITE 229<br />

reprsentation du Mariage de Figaro. Plus loin,<br />

sur la droite, l'angle de la rue des Francs-Bourgeois,<br />

se dressent la jolie tourelle construite vers 1500 pour<br />

Aquarelle de Boggs.<br />

PORT SAINT-PAUL.<br />

Colleet. G. Cain.<br />

Jean Hrouet, et enfin le beau palais des Rohan, aujour-<br />

d'hui Imprimerie nationale. C'est un noble et vaste logis


230 COINS DE PARIS<br />

que l'lgant Cardinal s'tait plu orner somptueusement.<br />

On y rencontre un chef-d'uvre, les Chevaux<br />

d'Apollon , merveilleux bas-relief de Pierre Le Lorrain<br />

le salon des Singes, par Huet, est charmant, et le cabinet<br />

du directeur de l'Imprimerie nationale, renferme une<br />

admirable pendule de Caffieri. Pourquoi faut-il que ce<br />

beau palais soit, hlas! condamn aune prochaine dis-<br />

parition. L'htel de Rohan va tomber sous le pic des<br />

dmolisseurs, et c'est l'tat qui commettrait ce sacri-<br />

lge !<br />

Puissent les efforts des amoureux de Paris russir<br />

et nous conserver ce prcieux vestige d'un pass qui<br />

disparat, hlas ! chaque jour un peu plus !<br />

Un cocher dont la surprise dut tre grande fut le<br />

nomm Georges qui, le 22 octobre 1812, 11 heures<br />

et demie du soir, par une pluie battante transformant<br />

en cloaque le sol fangeux du cul-de-sac Saint-Pierre<br />

(maintenant impasse Villehardouin), prs<br />

la rue Saint-<br />

Gilles, vit descendre de son cabriolet, compltement nu,<br />

et tenant sous le bras ses effets d'uniforme, un militaire<br />

qu'il venait, vingt minutes auparavant, de charger place<br />

du Louvre. Cet trange voyageur s'appelait le caporal<br />

Rteau, il se rendait au rendez-vous que le gnral Malet<br />

lui avait assign, du fond de la maison de sant du<br />

D r<br />

o il tait<br />

Dubuisson, 303, Faubourg-Saint-Antoine,<br />

intern par mesure administrative. Rteau, dans son<br />

dsir de revtir plus vite le bel uniforme d'officier d'or-<br />

.donnance qui lui tait destin, s'tait dshabill dans


LA RIVE DROITE 231<br />

la voiture, et c'est entirement dvtu qu'il monta quatre<br />

quatre le sombre escalier de la plus triste maison de<br />

cette triste ruelle.<br />

Elle existe encore, noire, sordide, misrable, la<br />

bicoque o Malet avait donn rendez-vous aux complices<br />

chez l'abb<br />

qu'il, s'tait choisis, au troisime tage,<br />

ahuri et sortant<br />

Cajamanos, un vieux prtre espagnol<br />

de Bictre^).<br />

C'est une prodigieuse aventure que celle du gnral<br />

Malet et qui dconcerte. Ainsi, en 1812, alors que Napolon<br />

semblait au fate des grandeurs humaines, du fond<br />

d'une sorte de cachot, avec l'aide de cinq ou six obscurs<br />

comparses, d'un vieux prtre sachant peine le franais,<br />

d'un officier gnral mis en rforme, d'un sergent presque<br />

illettr et de quelques cerveaux brls; le gnral Malet,<br />

suspect, dtenu, surveill, avait pu tout combiner, tout<br />

prparer pour accrditer le bruit de la mort de l'Em-<br />

pereur, dont on manquait de nouvelles, perdu qu'il<br />

tait dans les steppes glacs de la Russie !<br />

Et<br />

ces<br />

calculs se trouvrent justes! Tous les dignitaires imp-<br />

riaux, depuis le ministre de la police Savary jusqu'au<br />

prfet de la Seine Frochot, acceptrent sans contrle,<br />

sans discussion, sans preuves, les allgations du gnral<br />

Malet. Tous surtout crurent ses belles promesses, et<br />

l'on ne saurait dire o se serait arrt le prodigieux<br />

(1) L'impasse Villehardouin n'existe plus : une importante maison<br />

de commerce a install ses ateliers sur le thtre o se joua la<br />

tragdie de 1812 (1909).


232 CONS DE PARIS<br />

mystificateur, si un officier, ne connaissant que sa<br />

consigne, se refusant toute discussion et ne se payant<br />

pas de belles paroles, n'avait demand vrifier les pouvoirs.<br />

Malet, pris de court, impatient, rpliqua par un<br />

coup de pistolet; le commandant Doucet lui mit la main<br />

au collet et la comdie finit en drame.<br />

On mit, faire disparatre tous les organisateurs de<br />

ce complot, qui avait si bien failli russir, d'aulant plus<br />

d'empressement qu'il fallait au plus vite supprimer ces<br />

gnants tmoins de tant de lchets, de mensonges et<br />

de compromissions.<br />

Le pauvre logis de l'impasse Villehardouin fut fouill<br />

par toute la police de Paris; les papiers, les uniformes,<br />

les bicornes et les pes furent repchs dans le petit<br />

puits qui existe encore et o ils avaient t perdument<br />

jets. En quelques heures, Malet, Lahorie, Rteau,<br />

Guidai furent jugs, condamns et excuts. Les<br />

rponses du gnral devant le tribunal, qui le jugea som-<br />

mairement, sont dconcertantes; comme on lui deman-<br />

dait (un peu tard) quels taient ses complices : Vous<br />

tous, rpondit-il ses juges, si j'avais russi!<br />

Amen devant le sinistre mur de la plaine de Gre-<br />

nelle, il voulut commander lui-mme le feu du peloton<br />

d'excution, et fit, comme au terrain de manuvre,<br />

recommencer le mouvement Enjou! qui n'avait pas<br />

t excut avec une prcision toute militaire. Un officier,<br />

le capitaine Borderieux, qui n'avait d'ailleurs absolu-<br />

ment rien compris ce drame prodigieux dont il avait


LA RIVE DROITE 233<br />

t l'un des plus pittoresques comparses, mourut, en<br />

criant : Vive l'Empereur!<br />

Entre les Archives et la rue Sainte-Croix-de-la-Bre-<br />

tonnerie s'levait jadis un vaste couvent qui, en 1631,<br />

devint la proprit des Carmes Billettes, du nom d'un<br />

ornement que ces religieux portaient sur leur robe.<br />

La Rvolution supprima le couvent, mais le petit clotre<br />

nous est rest avec ses proportions charmantes et son<br />

intimit monacale. C'est aujourd'hui une cole muni-<br />

cipale, l'glise voisine fut affecte au culte protestant.<br />

A ct la rue de Venise, une des plus anciennes de<br />

Paris ; ruelle infecte et sordide o grouille la plus basse<br />

prostitution. Un monde de malandrins des deux sexes<br />

hantent les bouges qui la bordent. Des femmes sans<br />

ge, abominables, dambulent et tranent des savates<br />

limes devant des entres de couloirs o se devinent<br />

de gluants escaliers noirs; des linges rapics pendent<br />

aux fentres, d'acres fumes sortent travers d'pais<br />

barreaux obturant d'anciens htels mus en repaires de<br />

vagabonds, et clos par de lourdes portes hrisses de<br />

clous rouilles.<br />

C'est hideux et pittoresque, comme tout ce vieux<br />

quartier d'ailleurs, qui, avec la rue Pierre-au-Lard, la<br />

rue Brise-Miche et la rue Taille-Pain, forme cet ensemble<br />

tonnant : le clotre Saint-Merri, du nom de la vieille<br />

glise<br />

dont le tocsin a sonn tant de fois l'alarme<br />

l'poque des meutes du rgne de Louis-Philippe.


234 COINS DE PARIS<br />

A la moindre pousse de livre populaire, cet inextricable<br />

ddale de petites rues se hrissait de barricades.<br />

C'est l'intersection de la rue Saint-Martin et de la rue<br />

Aubry-le-Boucher que s'leva l'effrayante barricade<br />

dfendue par Jeanne et ses intrpides compagnons.<br />

A la suite de l'enterrement du gnral Lamarque, mort<br />

en pressant sur les lvres l'pe que lui avaient offerte<br />

les officiers bonapartistes des Cent-Jours, un immense<br />

mouvement rvolutionnaire avait galvanis Paris; les<br />

anciens soldats de l'Empire, les survivants de la Terreur<br />

et ceux de 1830 groups dans leur haine commune<br />

contre le gouvernement de Louis-Philippe, se joignirent<br />

aux mcontents de tous les partis et aux membres<br />

des socits secrtes, si nombreuses alors. Dans la<br />

soire du 5 juin 1832, le centre de Paris s'tait hriss<br />

de barricades, et la troupe et la garde nationale durent<br />

reconqurir une une les positions perdues on<br />

s'gorgea toute la nuit et, lorsque l'aube du 6 juin<br />

teinta de rose le faite des maisons, la grande bar-<br />

ricade de Saint-Merri tenait toujours. Ses dfenseurs,<br />

une poigne d'hommes hroques, avaient jur de s'en-<br />

sevelir sous ses ruines; il avaient dj repouss dix<br />

furieux assauts; ils attendaient la mort, et la grande<br />

voix du tocsin de Saint-Merri, sonnant sans relche<br />

au-dessus de leurs ttes, semblait tinter le glas des tr-<br />

passs! Une partie de l'arme de Paris dut donner<br />

pour abattre ces insurgs indomptables<br />

des pavs, des fentres, des caves; autour de la barri-<br />

: le feu sortait


LA RIV DROIf 235<br />

cade des corps de gardes nationaux et de soldats, cribls<br />

de balles, trous de coups de couteaux, crass sous les<br />

pavs lancs du haut des toits, tmoignaient<br />

de l'ef-<br />

froyable sauvagerie de cette lutte fratricide: le sol,<br />

longtemps, demeura rouge de sang! Que de boulets, que<br />

de mitraille, que de balles ont reu toutes ces vieilles<br />

faades,<br />

au hasard des chauffoures si nombreuses du<br />

temps de Louis-Philippe.<br />

Au premier appel des tambours, les citoyens<br />

s'armaient et couraient dfendre l'ordre... ou l'attaquer;<br />

les femmes, anxieuses, tapies derrire les volets ferms,<br />

guettaient les civires.<br />

L'meute finie, la vie reprenait et, dans le mme<br />

immeuble, l'insurg ctoyait l'honnte garde national<br />

avec lequel il avait, la veille, chang des coups de<br />

fusil. Parfois, cependant, quelques rancunes subsistaient.<br />

Mes p'arents ont connu une vieille dame, loge rue<br />

Saint-Merri, qui, pendant trente ans, ne passa jamais<br />

qu'en tremblant devant la porte du locataire demeurant<br />

au-dessous d'elle. Comme ou s'tonnait de cette persis-<br />

tante apprhension, elle disait : Si vous saviez ce qui<br />

m'est arriv! et elle contait qu'un soir d'meute,<br />

en 1830, son mari, absent depuis le matin,<br />

faisait le<br />

coup de fusil dans les rangs de la garde nationale. Elle,<br />

reste seule la maison, affole d'angoisse, vit arriver<br />

au tournant de la rue un brancard recouvert d'une ser-<br />

pillre que les porteurs dposrent sa porte. Est-ce<br />

son mari qu'on ramne mort? Elle se prcipite, sou-


236 COINS DE PARIS<br />

lve un coin du drap et, reconnaissant, la joue traverse<br />

d'une balle, sanglant, les yeux hagards, la mchoire<br />

fracasse, le locataire du dessous : Ah! quel bonheur,<br />

s'cria-t-elle; c'est vous, monsieur Vitry!<br />

M. Vitry, depuis ce jour, lui avait battu froid.<br />

Du temps de Charles VI, sous le prtexte trop justifi<br />

d'puration ncessaire, et, sur la prire du cur de<br />

Saint-Merri, on avait expuls de ces rues chauldes la<br />

majeure partie des ribaudes et des prostitues qui y<br />

prenaient leurs bats. Mais, si la morale a des droits, le<br />

commerce en a galement; les bons boutiquiers du<br />

quartier, plus soucieux de leurs intrts que<br />

de la<br />

dcence, protestrent nergiquement contre une pareille<br />

mesure , si prjudiciable leurs petits ngoces. Ils<br />

eurent gain de cause; le 21 janvier 1388, le Parlement<br />

donna tort M. le Prvt, et la bande joyeuse reprit<br />

triomphalement possession du quartier. Nopces et<br />

feslins!<br />

Dans sa Chronique des rues, notre docte ami Beau-<br />

repaire, bibliothcaire de la Ville de Paris, assure que<br />

la rue Pirouette, prs l'glise Saint-Eustache, doit son<br />

nom singulier au pilori des Halles qui s'levait cet<br />

emplacement : c'tait une tour octogonale, perce de<br />

hautes fentres ogivales, au milieu de laquelle tait une<br />

roue de fer, perce de trous o l'on faisait passer la<br />

tte et les bras des criminels, rdeurs, assassins, cour-<br />

tiers de dbauches, blasphmateurs, condamns cette<br />

exposition ^infamante. On les y attachait pendant trois


LA RIVE DROITE 237<br />

jours de march conscutifs, deux heures par jour, et<br />

LA RUE DES PROUVAIRFS ET I.A RUE SA1NT-EUSTACHE VERS 1850.<br />

Aquarelle de Villeret.<br />

Muse Carnavalet.<br />

en les tournant de demi-heure en demi-heure dans une


238 COINS DE PARIS<br />

direction diffrente. En somme, on leur faisait faire la<br />

pirouette,<br />

de l le nom de la rue.<br />

Aprs y avoir t autrefois exposs,<br />

l>.vttffcM<br />

Hj Si I<br />

Caneila, pinxit. LES HALLES EN 1822 1<br />

.<br />

les malfaiteurs<br />

Muse Carnavalet.<br />

viennent y souper aujourd'hui. L' Ange gardien un<br />

tapis franc, exhibe son enseigne presque l'angle de la<br />

rue : Ici l'on rit, l'on boit, l'on chante et l'on prpare<br />

les mauvais coups du lendemain. L'tat-major de l'arme


LA RIVE DROITE 239<br />

du vice s'y runit. C'est l'endroit la mode, quelque<br />

chose comme le Maxim's des chourineurs. C'est l<br />

qu'il est vraiment lgant de se montrer dans le monde<br />

Canella, pinxit. LES HALLES EN 1828. Muse Carnavalet.<br />

des Apaches . Casque-d'Oret ses pareilles y trnent, et<br />

le gredin qui vient de faire un mauvais coup est certain<br />

d'y rencontrer bon souper, bon gte et le reste. 11 n'y a<br />

pas que les chevaliers du surin qui hantent ce noble


240 COINS DE PARIS<br />

logis; d'autres seigneurs y viennent manger des escargots<br />

et boire du Champagne : d'inquitants jeunes gens,<br />

aux cheveux plaqus y mnent tapage. On dpense<br />

LES HALLES ET LA POINTE SAINT-El'STACHE.<br />

Gravure sur bois de A. Lepre.<br />

l l'argent du coup de couteau ou celui du coup de<br />

chantage. C'est l'une des hontes de Paris. Le pro-<br />

pritaire assure que de braves gens font partie de sa


^<br />

EN 18G7.<br />

I,E TROTTOin DES HALI.KS, PISES SA1NT-EUSTACHE,<br />


LA RIVE DROITE 243<br />

clientle : la chose est possible^ mais alors ces infor-<br />

VIEILLES RUES I)U QUARTIER DES HALLES, VERS 1865.<br />

Clich Marville.<br />

tuns rencontrent chez lui bien mauvaise compagnie.


244 COINS DE PARIS<br />

Tout ct, presque porte porte, au n 5, s'ouvre<br />

la cour du Heaume qui nous donne une saisissante<br />

impression de ce qu'taient les logis d'autrefois; ce fut,<br />

au xiv e<br />

sicle, un somptueux htel, ce n'est plus<br />

aujourd'hui qu'une remise de voitures bras qui<br />

tendent vers les vieux plafonds aux poutrelles saillantes<br />

leurs brancards vernisss par l'usure, et une poisson-<br />

nerie o se dbitent les escargots de Bourgogne et<br />

les homards cuits ou crus. C'est l'un des coins les<br />

plus pittoresques de ce pittoresque quartier,<br />

avec ce<br />

qui reste de la rue de la Grande-Truanderie, o, le<br />

10 mai 1797, fut arrt Babeuf, un des anctres du com-<br />

munisme.<br />

La rue de la Tonnellerie, o habita Molire, disparut<br />

galement dans le percement de la rue Turbigo.<br />

Dans ce quartier des Halles o chacun travaille, o<br />

chaque boutique offre la gourmandise de Paris les<br />

meilleures victuailles, les plus frais lgumes, les fruits<br />

les plus savoureux; o toutes les nuits de longues files<br />

de voitures marachres charrient des montagnes de pro-<br />

visions de toutes sortes, chaque rue a, pour ainsi dire,<br />

sa spcialit. Les mnagres savent o trouver les<br />

volailles, o, les langoustes, o, les fromages, o, les<br />

oranges. Toutes ces petites rues, avoisinant les Halles,<br />

reclent d'tonnantes boutiques, des angles de portes,<br />

des coins de caves qui, depuis des gnrations, sont<br />

occups par un monde de braves cultivateurs, de petits<br />

ngociants, de revendeurs, de marchands au panier, qui


LA RIVE DROITE 247<br />

tous ont leurs spcialits et leurs clientles. On rencontre<br />

encore, dans cette curieuse rue Montorgueil, de<br />

vieux logis qui stupfient, comme entre les n 08 64 et<br />

72 cette antique auberge du Compas-d'Or o des-<br />

cendirent tant de gnrations de voituriers. Sa double<br />

entre, encombre elle-mme de petits taux de bou-<br />

chers, de marchands de volailles, de tripiers, s'ouvre<br />

sur une immense cour o picorent les poules dans des<br />

tas de fumier dor, o s'brouent les canards, o blent<br />

des chvres, sous l'il tonn d'une trentaine de che-<br />

vaux, paisibles locataires du rez-de-chausse, dont les<br />

ttes curieuses passent au-dessus des portes-barrires,<br />

par les fentres basses, ou par les soupiraux ouverts.<br />

Au fond, sous l'immense hangar, sont remises les<br />

voitures, dans une saine odeur de campagne, de foin,<br />

de verdure et c'est un spectacle vraiment curieux que<br />

ce coin silencieux, cette remise campagnarde dans cette<br />

rue bruyante, populeuse, encombre, pleine de camelots,<br />

d'ouvriers, de cris, dbordante de vie et de mouvement.<br />

Les restes de la rue Quincampoix, derrire la vieille<br />

Tour Saint-Jacques-la-Boucherie , prcisent l'tranget<br />

de ce quartier o le dcor est demeur en partie, mais<br />

o les habitudes et les habitants se sont, plus peut-tre<br />

que partout ailleurs, modifis et transforms. Rue<br />

Quincampoix, en effet, Law avait install ses bureaux,<br />

la Banque du Mississipi. L, tout Paris connut les<br />

fivres de la spculation. Ce fut comme une frnsie !


248 COINS DE PARIS<br />

Pendant des mois on ne vit que ruines et folies. Tous<br />

jouaient, la duchesse et le prtre, le philosophe<br />

et le<br />

courtisan, le boutiquier et la danseuse, le duc et pair et<br />

son laquais, le traitant et son commis. Pour profiter du<br />

voisinage du clbre agioteur, chaque chambre, chaque<br />

boutique, chaque cave mme, se vit transforme en tripot,<br />

et l'on cite le cas d'un savetier qui louait 100 livres par<br />

jour, des joueuses, son choppe infecte, puant la poix<br />

et le vieux cuir. La fivre de l'or avait aboli toutes les dis-<br />

tances. Puis, fatalement, clatrent la crise finale, l'effon-<br />

drement, la panique : la rue Quincampoix<br />

plus que visages dsesprs. Tous les jours<br />

ne montrait<br />

crises de<br />

folie, meurtres, suicides. En une seule fois, vingt-sept<br />

corps d'assassins ou de suicids sont pchs aux filets<br />

de Saint-Gloud. Pour jouer encore, il fallait tout prix<br />

faire de l'argent : on volait dans les rues main<br />

arme, et les assassins appartenaient toutes les classes<br />

de la socit. Un jeune misrable, parent du Rgent,<br />

le comte de Horn, dj clbre par ses folies, embauche<br />

deux sclrats de son espce, raccroche un jeune agio-<br />

teur fort riche, l'attire dans un cabaret, rue de Venise,<br />

l'gorg et le vole. Quel scandale! La Cour et la Ville<br />

s'affolent. Va-t-on svir enfin, et la justice fera-t-elle<br />

son devoir? On s'meut, on intrigue, le lieutenant-<br />

criminel vient lui-mme prendre les ordres du Rgent,<br />

et de Horn, arrt le 22 mars 1720, fut, le 26, excut,<br />

rompu en place de Grve, aux applaudissements de tout<br />

Paris.


LA RIVE DROITE 251<br />

La rue Quincampoix recle encore quelques vieux<br />

htels o sont venus se loger des spcialits mdi-<br />

des fabricants d'eau<br />

cales , des caves fromagres ,<br />

de seltz , des fantaisies pour confiseurs , etc. Aux<br />

n os 58, 28, 14, 15, et surtout au n 10, se rencontrent<br />

des restes de fer forg, des balcons rompus, des mas-<br />

carons de pierre corns... Mais tout cela se dsagrge,<br />

se disloque, tombe en ruine et ce n'est que par un<br />

srieux effort d'imagination que l'on peut reconstituer,<br />

dans ce dcor de misre, la vie de luxe, de fivre<br />

et d'agiotage qui jadis emplissait cette vieille rue, em-<br />

puantie aujourd'hui de relents pharmaceutiques et<br />

d'odeurs rances de pommes de terre frites.<br />

La prophtie de Coll s'est ralise : On n'est plus<br />

de Paris quand on est du Marais!<br />

Le commerce a mis la main sur les beaux htels de<br />

jadis; la droguerie y a install ses alambics;<br />

cants de jouets y vendent leurs polichinelles;<br />

les fabri-<br />

l'article<br />

Paris et le monde des camelots y rgnent sans conteste.<br />

C'est une population pauvre, laborieuse, intelligente,<br />

active, exerant de petits mtiers, dans ce qui fut de<br />

somptueux htels, et le contraste n'est ni sans grce, ni<br />

sans intrt : une visite ces quartiers des Archives, du<br />

Marais et de Saint-Merri est certainement l'une des<br />

curiosits de Paris.<br />

La ligne si pittoresque des grands boulevards s'tend<br />

de la Bastille la Madeleine.


252 COINS DE PARIS<br />

Il serait impossible de prciser l'aspect gnral des<br />

boulevards, chacun d'eux ayant sa physionomie spciale,<br />

son caractre particulier.<br />

Le boulevard Beaumarchais est tranquille et bour-<br />

geois. Rien n'a survcu du bel htel, surmont d'une<br />

plume en guise de girouette et d'enseigne, qu'y leva<br />

l'auteur du Mariage de Figaro, ni de ces jardins fameux<br />

qui firent l'merveillement de Paris et que l'on ne pou-<br />

vait visiter qu'avec des cartes spciales, signes par<br />

Beaumarchais lui-mme, et parcimonieusement dis-<br />

tribues.<br />

Quelqu'un cependant les a connus, ces jardins cl-<br />

bres; quelqu'un a pntr dans ce qui restait de cette<br />

demeure fastueuse: Victorien Sardou. Pressentait-il qu'il<br />

serait un jour, de par son talent et son esprit, le suc-<br />

cesseur de ce Beaumarchais dont il usurpait ainsi la<br />

proprit?<br />

Toujours est-il qu'en 1839, Victorien Sardou, g<br />

de sept ans, habitait chez ses parents, place de la<br />

Bastille. C'taient, avec ses petits camarades, d'intermi-<br />

nables parties de ballon et de cerceau autour de l'l-<br />

phant et aux abords du Canal; l'entre du boulevard<br />

Beaumarchais actuel, droite, de longues palissades<br />

vermoulues bordaient un terrain vague; sur ces palis-<br />

sades taient accroches des images un sou, de sol-<br />

dats, d'acteurs et d'actrices, et ces images n'avaient pas<br />

de plus fidle amateur que le petit Sardou.<br />

Un jour, en contemplant sa galerie en plein air, il


SAINT-JACQUES-LA-BOUCIIKHIE, VERS 1848.<br />

Lithogr. de A. Durand.


LA HIVE DROITE 255<br />

aperoit, travers l'interstice de deux planches, un<br />

immense jardin. Qu'est-ce que ce jardin? Si on y<br />

entrait? Et le voil, lui et un gamin de son ge, car-<br />

tant et soulevant une planche l'aide des btons de<br />

leurs cerceaux et se glissant, dlicieusement terroriss,<br />

dans ce domaine inconnu... stupeur! ils sont chez la<br />

Belle au Bois dormant. Des herbes folles, des lianes, des<br />

branches, des arbres ont tout envahi. C'est la faune et la<br />

flore des forts vierges, et, pour locataires, des lapins,<br />

des oiseaux, des papillons. Robinson et le fidle Ven-<br />

dredi n'eurent pas plus grande surprise parcourir leur<br />

le que ces deux bambins se perdre dans cet ocan de<br />

verdure.<br />

Sardou se souvient vaguement d'un pavillon ruin<br />

et de vieux murs dcrpits, mais il revoit encore les<br />

talus, les fosss, les escarpements, o lui et son<br />

camarade firent de si dlicieuses escapades, et rien<br />

n'est plus charmant que d'entendre cet exquis et spiri-<br />

tuel Sardou, l'il si fin, au verbe si vocateur, conter<br />

(et avec quel art merveilleux!)<br />

d'autrefois, qu'il regrette si fort et qu'il<br />

bien (*) !<br />

ces histoires du Paris<br />

connat si<br />

Les vieilles demeures ont disparu; une seule subsiste<br />

encore, l'angle del rue Saint-Claude, au n 1; c'est<br />

l'htel clbre o Cagliostro, ce charlatan de gnie,<br />

installa ses fourneaux, ses creusets, ses alambics, ses<br />

(1) Hlas, notre cher et illustre matre n'est plus. V. Sardou est<br />

mort l'an dernier... (1909).


256 COINS DE PARIS<br />

machines transformations, toute l'trange cuisine qui<br />

servait aux sances de magie.<br />

La maison n'a t pas trop modifie; elle reste encore<br />

baroque, mystrieuse, nigmatique,<br />

avec ses escaliers<br />

pris dans l'paisseur des murs, ses corridors secrets,<br />

ses plafonds machins, ses caves multiples issues. Les<br />

plus grands seigneurs, les plus nobles dames frquentrent<br />

ce logis; le cardinal de Rohan en tait le familier.<br />

Le bruit courait qu'on y faisait de l'or et que Cagliostro,<br />

le grand Cophte, avait retrouv le secret de la pierre<br />

philosophale! Il offrait, ajoutait la lgende, des repas de<br />

treize couverts o les convives pouvaient voquer les<br />

morts et c'est ainsi que Montesquieu, Ghoiseul, Voltaire<br />

et Diderot avaient pris part au dernier souper de<br />

Cagliostro.<br />

Tout cela fit du bruit, on murmura, on cria au scan-<br />

dale : Louis XVI haussa les paules et Marie-Antoinette<br />

dfendit qu'on lui parlt<br />

de ce charlatan . Mais chacun<br />

voulait pntrer chez le divin sorcier, et Lorenza, sa<br />

femme, dut ouvrir un cours de magie l'usage des<br />

dames du monde.<br />

Survient l'affaire du Collier. Cagliostro, compromis<br />

avec le cardinal de Rohan et M me de Lamotte, est<br />

arrt et mis la Bastille. Ce ne fut que dix mois<br />

plus tard, le<br />

er<br />

1 juin 1787, qu'il put rentrer dans l'htel<br />

de la rue Saint-Claude, escort par une foule de huit<br />

mille dix mille personnes, obstruant le boulevard, la<br />

cour de l'htel, les escaliers. On l'acclamait, on l'em-


LA RIVE DROITE 259<br />

brassait, on le portait en triomphe. Cette belle journe<br />

n'eut pas de lendemain; quelques heures plus tard, un<br />

ordre du Roi l'exilait de France : l'htel fut clos. On<br />

ne le rouvrit qu'en 1805 pour en vendre les meubles,<br />

et ce dut tre un curieux spectacle! En 1855, on fit des<br />

rparations la maison, les vantaux de la porte cochre<br />

furent changs; ceux qui s'ouvrent aujourd'hui sur la<br />

rue Saint-Claude proviennent des anciens btiments du<br />

Temple. Les portes de la prison de Louis XVI ferment<br />

l'ancien htel de Cagliostro !<br />

Boulevard des Filles-du-Calvaire s'lve le Cirque<br />

d'Hiver, toujours immuable avec ses Jeux Icariens,<br />

ses quilibristes, ses cuyres souriantes qui, depuis<br />

tant d'annes, aux accents d'un pas redoubl, fran-<br />

chissent les mmes cercles de papier et saluent d'un<br />

mme sourire la foule idoltre. Mais si le spectacle n'y<br />

varie gure, le public enfantin s'y renouvelle constam-<br />

ment, et les mmes rires perls de notre enfance y<br />

accueillent les mmes grimaces des clowns. Mon-<br />

sieur Loyal seul n'est plus, l'admirable, l'imposant Mon-<br />

sieur Loyal, sangl dans son bel habit bleu et qui, d'un<br />

si noble geste, rectifiait d'un coup de chambrire les<br />

incartades du clown gouailleur ou les carts de la jument<br />

Rigolette, prsente en libert 4<br />

( ).<br />

Pourrait-on croire aujourd'hui que, pendant plus<br />

d'un sicle, le boulevard du Temple fut le centre de la<br />

(1) Le Cirque d'Hiver s'est notre vif regret totalement<br />

modifi. C'est aujourd'hui un banal cinmatographe (1909).


260 COINS DE PARIS<br />

gaiet de Paris! Une dlicieuse gravure de Saint-Aubin<br />

nous le montre joyeux, pimpant, mouvement : les car-<br />

rosses, les wiskys, les cabriolets, les vis--vis s'y<br />

croisent; les grandes dames, les lgantes, les filles<br />

la mode, y rivalisent de grces, de belles manires, de<br />

jolies toilettes aux tranges dsignations, et le dessinateur<br />

Briou peut crire au bas d'une gravure de mode<br />

de : l'poque L'agaante Julie reposant<br />

vard, en attendant bonne Fortune : elle est en robe du<br />

matin avec un chapeau la Chasseresse aux curs<br />

sur le Boule-<br />

volants . On soupe et l'on danse au Caf Royal, chez<br />

Alexandre; on s'crase devant les boniments de Nicolet;<br />

on fait cercle autour de Fanchon la vielleuse. Curtius y<br />

installe ses luxueux salons de cire; plus tard, les parades<br />

de Bobche et de Galimafr feront la joie de Paris, et<br />

bien longtemps la kermesse continuera.<br />

L'Ambigu, le Thtre Historique, la Gat, les Funambules,<br />

le Cirque Olympique, le Petit-Lazari, les Dlasse-<br />

ments-Comiques; dix thtres y apporteront la fivre, le<br />

bruit, la vie, avec leur personnel trange, nerveux,<br />

grandiloquent, tapageur; les titis, de tous temps pris<br />

de spectacles, acclameront leur passage les hros de<br />

tous ces drames et de tous ces mlodrames, si nombreux<br />

que l'argot populaire avait baptis de ce nom<br />

suggestif : Boulevard du Crime le boulevard du Temple<br />

o de dix heures minuit, chaque soir, tant de sang<br />

coulait sur les planches de ces thtres : M me Dorval,<br />

M lle<br />

George, M 1" Djazet, MM. Bocage, Mlingue, Bouff,


t,.\ RIV DROITE 263<br />

Dumaine, Saint-Ernest, Boutin, Colbrun, Lesueur, De-<br />

burau, le Pierrot idal, et aussi Gobert, qui ressemblait<br />

si fort Napolon I er , comme Taillade, maigre<br />

et nerveux, incarnant Bonaparte. C'tait l'poque o<br />

l'pope bonapartiste tournait ce point les ttes que le<br />

pauvre comdien Briand, charg, dans un des nombreux<br />

Napolon qui se jouaient alors, du rle ingrat<br />

d'Hudson Lowe, disait : Je ne retrouverai jamais pareil<br />

succs. Hier, ils m'ont attendu la sortie et jet dans le<br />

bassin du Chteau-d'Eau!<br />

Tout le quartier se passionnait pour ou contre ses<br />

artistes habituels, pousait leurs querelles, se rptait<br />

leurs bons mots ou leurs aventures; Frdrick-Lemaitre<br />

surtout, tragique, dbraill, buveur, prodigue, gnial,<br />

portant, dans la vie comme au thtre, le panache effi-<br />

loch de Don Csar de Bazan, avait sa lgende; on<br />

s'extasiait sur ses amours avec Clarisse Miroy, trames<br />

de coups de canne et de tendresses folles. Le lendemain<br />

d'une de ces retentissantes querelles, Frederick, racon-<br />

tait-on, sonnant la porte de sa matresse, fut reu par<br />

la mre de Clarisse; la bonne dame, effraye de se<br />

trouver en prsence du brutal artiste, levait dj le bras<br />

pour se garer des coups... Vous battre, moi, vibra<br />

Frederick, avec la voix tonitruante de Richard d'Arlington,<br />

vous battre! pourquoi?... Est ce que je vous<br />

aime?<br />

Le Thtre Historique deviendra le Thtre Lyrique,<br />

et l'admirable M me Miolan-Carvalho, la reine du chant, y


264 COINS DE PARIS<br />

crera, avec quel art, Faust, Mireille, 1rs Noces de<br />

Jeannette, la Reine Topaze, etc. Vers 1861, le glorieux<br />

matre Massenet, encore lve au Conservatoire et la<br />

veille d'obtenir son Prix de Rome, remplira l'orchestre<br />

du thtre les fonctions de timbalier, aux modestes<br />

appointements de 45 francs par mois! Les frres Daven-<br />

port, le prestidigitateur Robin donneront en face leurs<br />

amusantes sances d'hypnotisme et de magie blanche.<br />

On rencontre, sur cet inoubliable boulevard du<br />

Temple, tous les auteurs la mode: Dennery, Thodore<br />

Barrire, Victor Sjour, Paul Fval, Gounod, Berlioz,<br />

A. Adam, Clapisson, Saint-Georges, les frres Cogniard,<br />

Clairville et le grand Dumas passe triomphalement, dis-<br />

tribuant tous des poignes de main. Les cafs refusent<br />

du monde. Les marchands d'oranges font fortune, les<br />

gavroches vendent des contremarques, portent des bouquets<br />

aux jolies actrices, hlent des cabriolets. On<br />

s'interpelle, on crie, on se dispute, on rit surtout, sous<br />

l'il indulgent de la police et au bruit de la sonnette<br />

du marchand de coco : c'est l'ge d'or!<br />

En 1862, une regrettable dcision du baron Hauss-<br />

mann, prfet de la Seine, supprima ce coin vivant, si<br />

joyeux, et sur les ruines de tous ces thtres, qui<br />

apportaient la fortune et la gaiet, s'lvent la caserne<br />

du Prince-Eugne, la vilaine btisse de l'Htel Moderne<br />

et le dplorable monument de la place de la Rpublique.<br />

De tout ce beau et artistique pass, rien ne subsiste que<br />

le minuscule thtre Djazet, au coin du passage Ven-


LA UVE DROITE 267<br />

dme, et le Caf Turc, mais combien diffrent de ce<br />

qu'il fut autrefois, alors que Bailly le peignit sous le<br />

Directoire : les lgantes, les Merveilleuses,<br />

les In-<br />

croyables y venaient alors corcher une glace ou<br />

dguster de petits pots de crme, en y coutant des<br />

concerts de citharistes; de jeunes Savoyards faisaient<br />

danser leurs marmottes devant les mes sensibles et<br />

les bourgeois conomes du quartier menaient leur famille<br />

contempler la haute vie parisienne qui<br />

Turc un de ses sjours d'lection.<br />

faisait du Caf<br />

Les restaurants taient nombreux; souvenirs des<br />

cafs renomms d'autrefois comme le caf Godet et le<br />

caf Yon. On y chantait, on y dansait, on y riait et parfois<br />

aussi l'on y complotait. C'est au restaurant des Ven-<br />

danges de Bourgogne, faubourg du Temple, rendez-vous<br />

ordinaire des repas de noces parisiennes ou des agapes<br />

de la Garde nationale, que, le 9 mai 1831, la fin<br />

d'un banquet donn pour clbrer l'acquittement de<br />

Guinard, de Cavaignac, des frres Garnier, accuss de<br />

complot contre la sret de l'tat variste Gallois,<br />

un couteau la main, porta en trois mots, ce toast<br />

menaant : A Louis-Philippe!<br />

Le grand Flaubert habitait boulevard du Temple, au<br />

n 42; l le dimanche, il runissait, dans de bruyants<br />

djeuners, ses fidles, Zola, Concourt, Daudet, de Mau-<br />

passant, Uuysmans, Card, Georges Pouchet, quatre<br />

pas d'une maison qui fut tragique. C'est, en effet, au<br />

n 50, au troisime tage d'une misrable masure, que,


268 COINS DE PARIS<br />

le 28 juillet 1835, derrire une jalousie, Fieschi avait<br />

install les vingt-cinq canons de fusils bourrs de balles,<br />

qui constituaient sa machine infernale; une rigole<br />

de poudre passait sur les vingt-cinq lumires. Quelle<br />

terrible vole de mitraille devait vomir cet effroyable<br />

engin de mort! L'picier Morey, qui avait aid prparer<br />

ce crime monstrueux, avait mme pris l'utile prcaution<br />

d'avarier quatre des canons de fusil dont l'clatement<br />

devait supprimer Fieschi lui-mme.<br />

Ppin, autre complice, avait eu soin de passer et<br />

repasser plusieurs fois cheval, au petit pas, devant la<br />

fatale fentre, et, derrire la jalousie, Fieschi, excellent<br />

tireur, avait pu tout son aise viser et mettre au point<br />

exact de mire son effroyable machine tuer. Louis-<br />

Philippe, qui, dix fois dj avait chapp aux assassins,<br />

devait cette fois succomber. Mais les conjurs n'avaient<br />

pas song que le Roi, passant<br />

en revue la Garde natio-<br />

nale, suivrait, non pas le milieu du boulevard, en dos<br />

d'ne cause de l'coulement des eaux, mais bien les<br />

chausses beaucoup plus basses le long desquelles<br />

les troupes taient ranges. La vole de balles, renver-<br />

sant femmes, enfants spectateurs, officiers et escorte<br />

placs la gauche du Roi, passa par-dessus sa tte et<br />

n'atteignit que le haut de son chapeau cornes : ce fut<br />

une effroyable tuerie, le boulevard ruissela de sang ;<br />

plus de quarante malheureux gisaient sur la chausse,<br />

dont le glorieux marchal Mortier, qui expira couch<br />

sur une des tables de marbre du Caf Turc, o les


THTRE DES FUNAMBULES, BOULEVARD DU TEMPLE.<br />

Aquarelle de Maniai. (Muse Carnavalet.)


LA RIVE DROITE 271<br />

blesss et les morts avaient t transports. Fieschi,<br />

bless, fut arrt dans l'arrire-cour de la maison voisine,<br />

alors qu'il cherchait fuir par la rue des Fosss-<br />

du-Temple. Le 19 fvrier 1836,<br />

avec ses complices, Ppin et Morey.<br />

il montait l'chafaud<br />

C'est l'angle du boulevard du Temple, droite,<br />

devant la premire maison du boulevard Voltaire, que<br />

tonnait la barricade o fut tu Delescluze, en mai 1871 ;<br />

cette place, s'levait autrefois le Thtre de la<br />

Gat, le Thtre Lyrique ouvrait ses portes sur<br />

l'emplacement actuel de la gare du Mtropolitain, place<br />

de la Rpublique !<br />

Le boulevard Saint-Martin, o Paul de Kock avait<br />

lu domicile pour y tudier de ses fentres, ouvertes<br />

l'entresol, prs la porte Saint-Martin, la vie frmissante<br />

de Paris, n'a maintenant d'animation relle que le soir.<br />

Quatre thtres ; les Folies-Dramatiques, l'Ambigu, la<br />

Porte-Saint-Martin et la Renaissance, y apportent la vie<br />

et le mouvement, et rien n'est plus amusant que l'heure<br />

de la sortie : les cafs s'emplissent, les cigarettes s'allu-<br />

ment, les crieurs de journaux<br />

hurlent les dernires<br />

nouvelles ; on se bouscule, on se pousse ; les camelots<br />

hlent les voitures, o s'engouffrent de jolies femmes<br />

en claires toilettes et en manteaux de soire ; puis,<br />

ce sont les acteurs qui sortent, mentons bleus et cols<br />

relevs, l'air maussade souvent; enfin les jolies actrices,<br />

trs attendues, qui, rapides, se glissent dans un coup


272 COINS DE PARIS<br />

o se dissimule le plus souvent un cavalier que dnonce<br />

seul le point rouge d'une cigarette.<br />

USE COUit DE LA PRISON SAINT-LAZARE.<br />

Prs de la porte Saint-Denis,<br />

Muse Carnavalet.<br />

la hauteur de l'troite


LA RIVE DROITE 273<br />

rue de Clry, commenait autrefois une monte qui fut<br />

RUE SAINT-MARTIN (1866).<br />

LA TOLR DU VERT-noiS. (DessindeA. Maignan.)<br />

le thtre d'une scne tragique. C'est l que, le 21 jan-<br />

18


274 COINS DE PARIS<br />

vier 1793, l'intrpide de Batz avait donn rendez-vous<br />

quelques camarades. On devait tenter une suprme folie,<br />

un dernier effort pour soustraire Louis XVI la honte<br />

de l'chafaud : forcer la ligne des soldats, se jeter sur<br />

l'escorte qui entourait la voiture et enlever le Roi.<br />

Mais, ds la veille au soir, le Comit de Sret<br />

gnrale avait t prvenu par un particulier connu ,<br />

disent les rapports de police, du complot fou qui se<br />

tramait et toutes les prcautions avaient t prises.<br />

Pendant la nuit, les gendarmes mettaient en tat<br />

d'arrestation les suspects dont la liste avait t jointe<br />

la dnonciation. De Batz, au rendez-vous, croyait<br />

trouver cent cinquante complices, ils taient sept. Malgr<br />

leur petit nombre, ils n'hsitrent pas, se lancrent la<br />

tte des chevaux et furent sabrs. Trois restrent sur<br />

la place, de Batz put s'chapper.<br />

Cette bizarre et tortueuse rue de Clry, dont l'arte<br />

coupante se profile si trangement sur le ciel, vit se<br />

d'Andr et de Marie-<br />

jouer un autre drame. Le pre<br />

Joseph Chnier habitait au n 97. C'est l croit-on<br />

que, le 7 thermidor, il attendait, avec quelle anxit !<br />

la mise en libert de son fils Andr, depuis de longs<br />

mois prisonnier Saint-Lazare. Le pauvre homme<br />

n'avait-il pas eu l'ide folle de s'adresser au cur(!)<br />

de Collot d'Herbois pour lui demander l'largissement<br />

du pote. Collot d'Herbois, ancien acteur qui, sur un<br />

autre thtre, se vengeait d'avoir t siffl, n'avait pas<br />

oubli les vers cinglants o Andr Chnier l'avait trill


Gravure sur bois de A. Lepre.<br />

RLE DE CLERY,


LA RIVE DROITE 277<br />

de main de matre ; mais il ignorait en quelle prison se<br />

trouvait le pote. Marie-Joseph Chnier, suspect luimme,<br />

avait su, en effet, gagner du temps, reculer le<br />

procs, faire perdre la trace de son frre. C'tait, cette<br />

heure suprme de la Terreur, la seule chance possible,<br />

et le renseignement si ardemment souhait tait<br />

apport par le pre Chnier lui-mme, qui livrait ainsi<br />

au plus mortel ennemi de son fils, Collot d'Herbois,<br />

ce cabotin sinistre, la tte de son ador Andr !<br />

Demain, avait assur Collot, ton fils sortira de Saint-<br />

Lazare. Il tint parole, le 7 thermidor; l'heure o,<br />

devant la table servie, l'attendait son malheureux pre,<br />

Andr Chnier montait en charrette pour aller l'cha-<br />

faud dress ce jour-l barrire du Trne !<br />

Autour de la pittoresque rue de Clry, s'tend un<br />

quartier bizarre, trange, un enchevtrement de petites<br />

rues, de ruelles, de passages ; la rue Notre-Dame-de-<br />

liecouvrance, la rue Sainte-Foy,<br />

la rue des Petits-Car-<br />

reaux, la rue de la Lune, o Balzac logeait dans une<br />

ignoble mansarde, Lucien de Rubempr, veillant le corps<br />

de Coralie morte, et composant des chansons libertines<br />

pour gagner l'argent<br />

matresse.<br />

ncessaire l'enterrement de sa<br />

Dans ces rues tortueuses, sombres, troites, il est<br />

facile de reconstituer la physionomie du Paris d'autre-<br />

fois ; les vieilles demeures y sont nombreuses encore,<br />

mais, comme au Marais, voues de petits commerces,


278 COINS DE PARIS<br />

de pauvres industries. Le Consulat, aprs la campagne<br />

d'Egypte, y ouvrit un certain nombre de voies, aux<br />

noms de victoires : les rue de Damiette, d'Aboukir, du<br />

Nil. Sur l'emplacement de la place du Caire, s'levait<br />

jadis l'htel des Chevaliers du Temple. Un reste de<br />

chapelle gothique, o l'on conservait le casque et<br />

l'armure de Jacque Molay, fondateur et grand matre de<br />

l'ordre, servait, en 1835, de salle de runion aux adeptes<br />

de ce rite, et le pre de Rosa Bonheur, chevalier du<br />

Temple, y fit baptiser sa fillette sous la vote d'acier,<br />

faite des pes qu'entrecroisaient les chevaliers de<br />

l'ordre, vtus de tuniques blanches, la croix rouge brode<br />

sur la poitrine, botts de daim et la tte couverte d'une<br />

toque carre en drap blanc, surmonte de trois plumes,<br />

jaune,<br />

noire et blanche 1<br />

Un dlicieux tableau de Dagnan, conserv au muse<br />

Carnavalet, nous montre le boulevard Poissonnire en<br />

1834. La plupart des maisons subsistent encore, mais,<br />

hlas !<br />

les grands arbres l'pais feuillage, qui faisaient<br />

de ce boulevard une sorte d'alle de parc, ont depuis<br />

longtemps disparu. Victorien Sardou, cet amoureux de<br />

Paris, qui y est n, qui y est acclam, aim et honor,<br />

se rappelle fort bien avoir connu ces beaux ombrages<br />

et longuement fln devant, le thtre du Gymnase.<br />

prescience! devinait-il les succs qui l'y attendraient<br />

avec les Ganaches, les Vieux Garons, les Bons Villa-<br />

geois, Andra, Frol, Sraphine, Fernande, etc.


LA RIVE DROITE 281<br />

Plus loin, nous rencontrons l'ancien thtre des<br />

Varits, dont l'antique faade raconte un glorieux<br />

pass : Duvert, Lauzanne, Bayard, Scribe, Meilhac,<br />

Ludovic Halvy et surtout Offenbach, dont la musique<br />

enfivre mit pendant vingt ans le diable au corps<br />

Paris.<br />

Ludovic Halvy, cet exquis notateur de la vie pari-<br />

sienne, nous a donn, d'aprs le Pre Dupin, un croquis<br />

charmant de ce qu'tait le boulevard Montmartre vers<br />

1810 : Les acteurs des Varits avaient t obligs de<br />

quitter la salle de la Montansier ; leurs vaudevilles<br />

avaient plus de succs que les tragdies du Thtre-<br />

Franais. L'Empereur rendit un dcret qui leur retira la<br />

salle du Palais-Royal ; on leur permit de reconstruire<br />

une nouvelle salle sur le boulevard Montmartre !... Un<br />

affreux quartier pour un thtre ? Celait presque la cam-<br />

pagne ;<br />

il n'y avait pas une seule de ces grandes maisons<br />

que vous voyez l ! Rien que des petites choppes un<br />

seul tage, des espces de mchantes baraques en bois<br />

et les deux petits panoramas du sieur Boulogne... Pas<br />

de trottoirs, le sol en terre battue entre deux ranges de<br />

grands arbres... Quelques vieux fiacres et cabriolets pas-<br />

saient de temps en temps... La campagne enfin... C'tait<br />

la campagne !!...<br />

A la hauteur des Varits, commenait ce qu'on<br />

appelait, sans qualificatif, le Boulevard. Pour les fl-<br />

neurs, les dsuvrs, les gens d'esprit, les clubmen, les


282 COINS DE PARIS<br />

hommes de lettres et les journalistes du second Empire,<br />

ce fut une sorte de lieu sacr. Grammont-Caderousse,<br />

le prince d'Orange, Khalil-Bey, Paul Demidoff, Aurlien<br />

Scholl, Roqueplan, Aubryet, Jules Lecomte, Auguste<br />

Villemot, y taient rois. Le Caf Anglais, la Maison<br />

Dore, Tortoni, hbergeaient les grands viveurs, les journalistes<br />

succs et les hommes de lettres la mode. Le<br />

gaz y flambait, les bouchons de Champagne sautaient et<br />

rien qu'en s'ouvrant les pianos jouaient tout seuls<br />

l'voh d'Orphe aux Enfers ! Un bon mot dit a propos<br />

coupait court une querelle ; les princes de l'esprit y<br />

tenaient tte aux princes de la naissance ou de l'argent,<br />

comme ce jour o, Tortoni, le duc de Grammont-<br />

Caderousse lanait un paquet de plumes d'oie par la<br />

figure de Paul Mahalin, coupable d'avoir la veille, dans<br />

un petit journal, fortement gratign la diva S..., que le<br />

grand seigneur protgeait.<br />

De la part de Mademoiselle S..., avait dit le<br />

duc.<br />

Et Mahalin de riposter avec son plus grand salut :<br />

Je savais bien, Monsieur, que Mademoiselle S...<br />

ce ft<br />

plumait ses amants, mais je n'osais esprer que<br />

mon profit.<br />

Depuis les sombres jours de 1870, l'lgant boulevard<br />

s'est dmocratis. Les vieilles demeures ellesmmes<br />

ont chang de destination, et l'on vend des<br />

Orfvrerie Christofle dans le dlicieux pavillon lev<br />

par le Marchal de Saxe aprs les guerres<br />

du Hanovre


Gravure sur bois de A. Lepre.<br />

LE BOULEVARD DES ITALIENS.


LA EIVE DROITE 285<br />

l'angle du Boulevard et de la rue Louis-le-Grand.<br />

Au xvm e sicle on avait eu l'ide de fleurir les toits des<br />

maisons voisines de ce bel htel, et l'on y dnait joyeusement<br />

l'ombre des treilles en regardant au<br />

loin tourner les moulins de Montmartre. L'exemple fut<br />

imit de nos jours et l'on criait presque l'innova-<br />

tion. C^st une erreur de plus, il n'y a rien de nouveau<br />

sous le soleil. On modifie simplement et la plupart du<br />

temps la modification est regrettable !<br />

Le perron de Tortoni n'est plus. Les brasseries, la<br />

soupe l'oignon et les choucroutes garnies remplacent<br />

les aristocratiques restaurants de jadis. C'est une autre<br />

physionomie, mais c'est encore un coin de Paris vraiment<br />

gai, spirituel, amusant, original. La promenade y<br />

est dlicieuse, mais hlas ! rien ne s'y retrouve rap-<br />

pelant le pass, depuis que le terrible incendie de 1887<br />

a dtruit l'Opra-Comique de nos pres, l'Opra-Comique<br />

de Grtry, de Dalayrac, de Mhul, de Boeldieu, d'Hrold ;<br />

cet Opra-Comique dont la faade ne s'ouvre pas sur le<br />

boulevard, suivant le dsir formel exprim en 1782<br />

Heurtier, l'architecte, par les Comdiens du Roi ,<br />

refusant d'tre confondus avec les Comdiens du bou-<br />

levard . En cet Opra-Comique, se runissaient chaque<br />

soir, dans le grand foyer orn des bustes des anctres<br />

de la musique franaise et des compositeurs qui avaient<br />

fait la gloire de la maison des habitus dont la pr-<br />

sence seule tait une protestation contre la musique<br />

moderne : Auber, Adam, Clapisson, Bazin, Maillard;


286 COINS DE PARIS<br />

plus tard, mais avec une tout autre esthtique, G. Bizet,<br />

Lo Delibes, V. Mass, J. Massenet, Carvalho, Meilhac,<br />

Halvy et aussi le pre Dupin,<br />

cet tonnant centenaire<br />

qui regardait un soir, d'un il rancuneux, le buste de<br />

Hrold, en grommelant : M'a-t-il assez fait enrager, ce<br />

gamin-l ! Devant l'ahurissement gnral, il justifia :<br />

J'ai t son correspondant en 1806, au collge Saint-<br />

Louis !<br />

... nous tions en mai 1885! Ce mme Dupin,<br />

ractionnaire obstin,<br />

menaante rplique : Toi,<br />

s'attirait d'un contradicteur cette<br />

nous t'avons rat en 93.<br />

Mais la prochaine Rvolution, nous ne te manquerons<br />

pas !<br />

Ces aimables parloltes, ces charmants rendez-vous<br />

qui runissaient tant de gens d'esprit, de jolis causeurs,<br />

d'arlistes, d'hommes du monde, tels que le foyer de<br />

l'Opra-Comique, celui de l'Opra ou celui de la Comdie-<br />

Franaise n'existent plus gure qu' l'tat de souvenir.<br />

11 n'en faudrait cependant pas conclure que l'usage en<br />

soit aboli ; les runions d'artistes n'en sont ni moins<br />

frquentes ni moins suivies. Beaucoup ont migr<br />

Montmartre, sur la Butte Sacre; cette mamelle du<br />

monde , hurlait l'tonnant Salis dans ses boniments<br />

du Chat Noir, est l'une des plus amusantes curiosits<br />

de Paris.<br />

Gai, travailleur, cynique, blagueur et religieux, ce<br />

quartier composite offre le plus singulier mlange de<br />

potes, de peintres, de sculpteurs, de limonadiers et de<br />

plerins. Sur les boulevards de Clicliy et des Batignolles,


oo cj


LA RIVE DROITE 289<br />

les feux tournants du Moulin Rouge clairent un monde<br />

de viveurs, d'lgants, d'artistes, de filles et de soute-<br />

neurs. Chaque cabaret et il y en a beaucoup recle<br />

un ou plusieurs potes plus ou moins comiques, mais<br />

MDAILLE COMMKMORATIVE 1)11 SIGE DE PA1IIS.<br />

toujours frondeurs et rosses , comme dit le spirituel<br />

Fursy,<br />

un des meilleurs desservants de ces botes<br />

musique . Les grands de la terre, les politiciens, les<br />

ministres y sont chansonns sans, trve et sans merci,<br />

et aussi les menus faits du jour ;<br />

le dernier discours<br />

19


290 COINS DE PARIS<br />

d'un ministre, l'lgance de Pelletan,<br />

les cravates de<br />

Le Bargy, les progrs de l'aviation, la dernire Encyclique<br />

du Pape, l'impt sur les automobiles, le divorce<br />

la mode, les rcentes visites du roi d'Espagne ou du<br />

Gravure de l'poque.<br />

UN EPISODE DU SIEGE DE PARIS.<br />

tzar de Bulgarie, tout est mis en couplets et spiri-<br />

tuellement frond par les Bonneau,<br />

autres successeurs d'Ange Pitou.?<br />

les Numa Bls et<br />

Montmartre, c'est le cabaret de Paris, c'est le rire


S E


LA RIVE DROITE 293<br />

bon enfant, c'est la blague. On s'y amuse la nuit et le<br />

jour on y travaille, car de tous temps les artistes y ont<br />

lu domicile : Henri Monnier, la duchesse d'Abrants,<br />

M me Haudebourg-Lescot, M 1,e<br />

Mars, Horace Vernet,<br />

Berlioz, Ch. Jacque, Reyer, Victor Mass, Vollon, Manet,<br />

Andr Gill, Steinlen, Guillemet, Willette, Jules Jouy,<br />

Mac-Nab, Xanrof, Maurice Donnay. Leur souvenir y est<br />

vivant et respect, la lgende de leurs prouesses s'y est<br />

conserve. C'est Y Iliade de Montmartre.<br />

ONE_PLCME ESTAMPILLEE DE PIGEON VOYAGEUR<br />

ayant apport des nouvelles de province Paris assig.<br />

Muse Carnavalet.<br />

A quelques mtres de ces rues bruyantes, commence<br />

la butte, sur laquelle, la fin du sige, en 1871, les<br />

Parisiens avaient hiss les canons de la Garde natio-<br />

nale. Le Gouvernement tenta vainement de les repren-<br />

dre, et l'on sait le reste : la rsistance, les troupes<br />

dbandes, les gnraux Clment Thomas et Lecomte<br />

arrts, trans dans une petite maison de la rue des<br />

Rosiers et fusills contre un mur de jardin.<br />

Il existe encore en partie, ce mur sinistre, et, si la<br />

maison a disparu o s'est accompli ce drame du 18 mars,


294 COINS DE PARIS<br />

un peu du tragique jardin aux fleurs rares survit derrire<br />

les modernes btisses de YAbri Saint-Joseph, vastes<br />

liturgiques :<br />

LA RUE DES ROSIERS.<br />

Eau-forte de Martial.<br />

hangars servant<br />

de rfectoires aux<br />

troupes de plerins<br />

qu'attire<br />

la basilique du<br />

Sacr-Cur.<br />

Tout ce quar-<br />

tier, d'ailleurs, est<br />

d'aspect triste, si-<br />

lencieux, vieillot<br />

et monacal. Les<br />

marchands de<br />

chapelets, de sca-<br />

pulaires, de cier-<br />

ges, de signets,"de<br />

missels, d'images<br />

de pit, de cor-<br />

dons d'aubes, y<br />

tiennent boutique.<br />

C'est une<br />

sorte de foire<br />

pieuse dans ces<br />

rues aux noms<br />

Saint-Eleuthre, Saint-Rustique, prs de la<br />

rue Girardon et du cimetire du Calvaire, que domine<br />

la silhouette dgingande du vieux Moulin de la Galette,


loutiron, pinxit.<br />

HIE A MONTMARTRE.<br />

Muse Carnavalet.


LA RIVE DROITE 297<br />

rendez-vous ordinaire de flneurs, de boulevardiers<br />

curieux, de modles d'artistes, de filles et de souteneurs<br />

du quartier. L'ancien Montmartre, si pittoresque, se<br />

retrouve surtout dans la rue Saint-Vincent, la rue des<br />

Saules o se rencontre le cabaret du Lapin agile, la rue<br />

de la Fontaine-du-But, rues sordides, bordes de pau-<br />

vres galetas aux fentres garnies de linges schant sur<br />

des cordes et qui semblent, chaque tage, loger une<br />

misre diffrente; rues tranges, comprises gnralement<br />

entre une masure effrite et un enclos de planches<br />

verdies par les pluies et couvertes d'inscriptions ; ces<br />

palissades servent, en effet, d'exutoires aux panchements.<br />

aux confidences des costauds et des gigolettes<br />

du quartier. C'est ainsi que, sans l'ombre de<br />

retenue, le Tatou de la rue de Norvins affiche sa<br />

flamme pour Mireille ; quant Victor le Fris ,<br />

il est ador de son Hermine et s'en vante ; Beau-<br />

ch, nez cass des Batignolles , par contre, nourrit de<br />

noirs dessins contre Hlose la Bouquine . Des rendez-<br />

vous s'y donnent, amoureux ou sinistres, des serments,<br />

des menaces s'y inscrivent. Les grands de la terre y<br />

sont svrement jugs. L'pithte est toujours arnre.<br />

Cela sent la dbauche, le vice et le crime.<br />

Et cependant dans ce coin de Paris que les<br />

embellissements modernes feront certainement dis-<br />

paratre avant peu, il se rencontre d'admirables paysages,<br />

des ruelles exquises pleines de verdure, d'oiseaux, de<br />

pigeons familiers, de merles siffleurs, et l'on se croi-


298 COINS DE PAKIS<br />

rait trs loin, dans quelque paisible province, si, au bout<br />

de toutes ces rues, la grande masse violace de Paris<br />

n'talait sous la lumire du ciel son incomparable et<br />

ferique panorama, ocan de pierres d'o mergent,<br />

comme des mts, les campaniles des palais, les tours,<br />

les clochers, et les flches des glises, o se dcoupent<br />

les dmes, les toits des monuments, les fates des mai-<br />

sons, les masses vertes des jardins. Incomparable, uni-<br />

que vision faite de souvenirs d'art, de grandeur et de<br />

beaut !<br />

Le grand Balzac nous apprend que l'infortun Csar<br />

Birotteau fut ruin par les spculations qu'il<br />

tenta sur<br />

les terrains vagues avoisinant l'glise de la Madeleine ,<br />

il y mangea les bnfices raliss dans l'Eau carmina-<br />

tive et dans la Double Pte des Sultanes . Sa parfu-<br />

merie la Reine des Roses y sombra...<br />

Et cependant Csar Birotteau avait raisonn juste;<br />

aujourd'hui les terrains de la Madeleine sont les plus<br />

haut cots de Paris.<br />

En 1802 c'taient des chantiers de construction d'o<br />

mergeaient des piliers de l'glise commence depuis si<br />

longtemps et qu'on ne finissait pas<br />

de btir.<br />

C'est l que se passa l'pisode charmant retrac par<br />

Duplessis-Bertaux sous ce titre aimable La bienfaisance<br />

ingnue (fait historique du 5 messidor, an X).<br />

Une longue notice place sous le dessin nous apprend<br />

que Pradre, Persuis, Elleviou et son pouse se pro-


TA IUV DROITE 30i<br />

menant par une belle soire boulevard de la Magdeleine,<br />

rencontrent un aveugle, chanteur ambulant qui, par<br />

les accords de son piano, sollicitait la charit publique.<br />

La recette tait dplorable et nos bons et braves artistes<br />

PLACE DE L CONCOI'.DK.<br />

D'aprs une spia du xviu' sicle.<br />

improvisant un petit concert en plein air, corrigent la<br />

mauvaise fortune du pauvre diable. Aprs avoir dlicieusement<br />

chant, Mme Elleviou, son mari et Pradre font<br />

la qute et versent 36 francs dans les mains tremblantes<br />

d'motion de l'aveugle !


302 COINS DE PARIS<br />

a dit Coppe.<br />

Et je n'ai pas trouv cela si ridicule.<br />

Par la rue Royale gagnons les Champs-Elyses,<br />

aprs nous tre arrts un moment devant la cit Berryer,<br />

passage trange o s'levait autrefois l'htel des Mous-<br />

quetaires du Roi. C'est une sorte de march pauvre perdu<br />

dans ce riche quartier.<br />

Place de la Concorde : la plus belle place qu'il y ait<br />

au monde, avec ses perspectives incomparables des<br />

Champs-Elyses, de la Seine, des Tuileries, du Garde-<br />

Meuble, de l'htel Crillon et du logis charmant de Grimod<br />

de la Reynire, aujourd'hui Cercle de l'Union<br />

artistique, l'angle de la rue de la Bonne-Morue.<br />

aujourd'hui rue Boissy-d'Anglas devant laquelle<br />

s'levait encore, jusque sous le Second Empire, un des<br />

pavillons d'angle construits par Gabriel. Que de souve-<br />

nirs : l'rection de la statue de Louis XV, les ftes donnes<br />

en l'honneur du mariage du Dauphin et de Marie-<br />

Antoinette, si tragiquement termines par l'crasement,<br />

dans les fosss, de la foule attire par le feu d'artifice,<br />

premire cause de haine contre l'Autrichienne ; les<br />

revues des gardes suisses, les charges de Lambesc, les<br />

rues du peuple sur le pont tournant, les grilles forces,<br />

les fosss franchis, et puis le sinistre chafaud, fumant<br />

devant la statue de la Libert, et les conventionnels<br />

terrifis, s'arrtant avant d'entrer dans leur salle des<br />

sances et venant regarder de prs cette mort qui,


LA UV DROITE 305<br />

chaque jour, est suspendue sur eux. Hier, me rendant<br />

l'Assemble avec Pnires, crit Dulaure dans ses<br />

Mmoires, nous apermes en passant sur la place de<br />

PAVILLON D ANGLE DE LA PLACE LOUIS XV<br />

Au coin de la rue de la Bonne-Morue, vers 1850 (aujourd'hui rue Boissy-d'Anglas).<br />

Eau forte de Maniai.<br />

la Rvolution, les prparatifs d'une excution. Arr-<br />

tons-nous, me dit mon collgue, accoutumons-nous<br />

ce spectacle. Peut-tre aurons-nous bientt besoin de<br />

signaler notre courage en montant de sang-froid sur<br />

cet chafaud. Familiarisons-nous avec ce supplice.<br />

Des ttes coupes sont prsentes par le bourreau<br />

20


306 COINS DE PARIS<br />

aux quatre coins de l'immense place : Danton, Camille<br />

Desmoulins, Hrault de Schelles, Charlotte Corday,<br />

Madame Roland, Louis XVI, Marie-Antoinette et Robes-<br />

pierre. Ple-mle effroyable, sinistre boucherie,<br />

le sol<br />

est rouge de sang; puis ce sont les soldats de l'Empire<br />

qui dfilent en chantant pour entrer aux Tuileries et<br />

acclamer leur Empereur triomphant, au retour de quelque<br />

victorieuse campagne.<br />

Une tte blanche, de grosses paulettes d'or, un<br />

cordon bleu : c'est Louis XVIII impotent, les jambes<br />

mortes, qui, dans sa calche qu'encadrent les Gardes<br />

du corps, passe comme un clair au triple galop de ses<br />

chevaux.<br />

A l'angle de cette place de la Concorde,<br />

le 28 f-<br />

vrier 1848, Louis-Philippe, bris, vaincu, montera dans<br />

l'humble fiacre qui conduira le deuil de la Monarchie.<br />

Napolon III, l'il bleu et rveur,<br />

la traversera<br />

presque chaque jour, conduisant son phaton, et celui<br />

que les Parisiens d'alors appelaient le petit Prince<br />

montrera sa jolie tte blonde la portire de la berline<br />

escorte par l'escadron de service.<br />

Les grilles des Tuileries s'ouvriront encore, le<br />

4 septembre 1870, sous l'effort des envahisseurs, et les<br />

artilleurs, pendant le sige de Paris, camperont dans<br />

le grand jardin dvast. Enfin, le palais des rois de<br />

France disparatra dans un nuage de feu, parmi les der-<br />

nires convulsions de la Commune expirante, et un pauvre<br />

bonhomme, dans un manteau brl de soleil, dteint


LA RIVE DROITE 309<br />

par les pluies, le chef couvert d'un vieux feutre fan,<br />

passera ses journes distribuer du pain et des graines<br />

aux pigeons et aux moineaux de Paris, la place mme<br />

o s'leva la tribune de la Convention, quelques pas de<br />

l'endroit o se posrent les quatre pieds du cheval blanc<br />

de l'empereur Napolon passant la revue de la Garde,<br />

avant de lcher ses aigles victorieuses sur Moscou,<br />

Madrid, Rome, Vienne ou Berlin !<br />

Les Champs-Elyses sont de cration presque mo-<br />

derne. Il y a une dizaine d'annes, les admirables ave-<br />

nues qui entourent l'Arc de l'Etoile, l'avenue Klber,<br />

l'avenue de Wagram, l'avenue Niel, l'avenue de l'Aima<br />

offraient de bien pittoresques contrastes : ct d'un<br />

htel somptueux surgissaient des choppes lamentables,<br />

de sordides mastroquets, restes des anciens taudis qui<br />

o rien ne<br />

peuplaient ce quartier si luxueux aujourd'hui<br />

rappelle les terrains vagues et dangereux traverser<br />

qu'ils taient encore, il y a soixante ans. Sous le Direc-<br />

toire, la chaumire de M me Tallien, Notre-Dame de<br />

Thermidor , o les Incroyables et les Merveilleuses<br />

n'osaient se rendre sans escorte, s'levait la hauteur de<br />

l'avenue Montaigne. Des guinguettes, des vide-bouteilles<br />

en plein air occupaient l'emplacement actuel des res-<br />

taurants et des cafs-concerts. Une gravure de Carie<br />

Vernet nous montre un campement de Cosaques autour<br />

d'une humble auberge aux allures campagnardes<br />

l'actuel restaurant Le Doyen 1<br />

: c'est


310 COINS DE PARIS<br />

Sous Louis-Philippe<br />

l'on commena modifier les<br />

Champs-Elyses : des alles furent traces, la grande<br />

avenue largie, et Emile Augier racontait que c'tait dans<br />

le creux d'un de ces arbres numrots pour l'lagage<br />

(le 116, je crois), que le porteur de bulletins du thtre<br />

du Gymnase dposait celui destin Balzac, lors des<br />

rptitions de Mercadet. Le grand romancier, pour dpis-<br />

ter ses trop nombreux cranciers, logeait cette poque<br />

rue Beaujon, sous le nom de M me veuve Dupont... (ne<br />

Balzac), ajoutait sur ses enveloppes de lettres Lon Gozlan,<br />

qui avait fini par dcouvrir l'adresse de son illustre ami.<br />

Les curieux mmoires de l'abb de Salamon, inter-<br />

nonce du Pape en 1793, nous donnent un saisissant tableau<br />

du Bois de Boulogne sous la Rvolution : une sorte de<br />

fort, de maquis, o se rfugiaient les malheureux sus-<br />

pects, traqus par les Comits et les policiers,<br />

les rfrac-<br />

taires, les insoumis, ceux enfin qui la prcieuse carte<br />

de civisme avait t refuse : Je restais continuellement<br />

au plus pais du Bois de Boulogne; il me semblait que<br />

chacun de ceux que je rencontrais lisait sur mon visage<br />

que j'tais hors la loi et allait courir me livrer au bourreau.<br />

Je m'tablissais dans la partie la plus carte du<br />

bois; j'allumais du feu avec un briquet et des brindilles,<br />

je faisais cuire mes lgumes et ma soupe tait excellente...<br />

Je trouvai plus tard un autre endroit assez commode, du<br />

ct de la villa Bagatelle, tout prs de la Pyramide, et<br />

non loin de Madrid.


Une nuit, je<br />

LA RIVE DROITE 313<br />

fus rveill au milieu de mes rves<br />

par les cris perants de deux femmes qui reculrent<br />

pouvantes en m'apercevant travers l'obscurit de la<br />

nuit.<br />

C'taient la mre et la fille qui fuyaient elles aussi<br />

un mandat d'amener. Je leur criai : Gardez le silence,<br />

qui que vous soyez! Vous n'avez rien craindre.<br />

Elles me demandrent ce que je faisais dans le bois si<br />

tard : La mme chose que vous y faites sans doute<br />

vous-mmes , leur rpondis-je.<br />

Plus tard, ce fut le rendez-vous ordinaire des duel-<br />

listes; dj, sous Louis XV, des dames, la marquise de<br />

Nesles et la comtesse de Polignac, y avaient chang des<br />

coups de pistolet pour les beaux yeux du duc de Riche-<br />

lieu. Sous la Rvolution, en 1790, Cazals et Barnave y<br />

vident une querelle politique : Je serais dsol de vous<br />

tuer, fait Cazals, mais vous nous gnez beaucoup et je<br />

voudrais vous loigner pour quelque temps de la tri-<br />

bune. Je suis plus gnreux, riposte Barnave, je<br />

dsire peine vous toucher, car vous tes le seul orateur<br />

de votre ct, tandis que du mien on ne s'apercevrait<br />

mme pas de mon absence. Puis, c'est Elleviou et<br />

M. de Biville; le gnral Foy et M. de Corday; le marchal<br />

Soult et le colonel Briqueville; Benjamin Constant<br />

et Forbin des Essarts, avec cette particularit que les<br />

deux adversaires se battirent dix pas, assis dans deux<br />

fauteuils, qui ne furent mme pas touchs... et combien<br />

d'autres !...


314 COINS DE PARIS<br />

Sous Louis-Philippe, le duc d'Orlans,<br />

le duc de<br />

Nemours, lord Seymour, le duc de Fitz-James, Ernest<br />

Le Roy le Jockey-Club sa formation y organisent<br />

des courses. L'enjeu tait modeste et le plus souvent<br />

L.-G. Moreau, pinxit.<br />

PAVILLON DE BAGATELLE.<br />

il ne s'agissait alors que de quelques bouteilles de<br />

Champagne. Puis, la vogue s'y met. Les courses prennent<br />

une extension considrable, c'est aujourd'hui la grande<br />

fte parisienne. Dj, vers 1860, on avait, l'Hippo-


LA RIVE DROITE 317<br />

drome de la place d'Eylau, voqu le souvenir des<br />

anciennes courses de chars chres l'antiquit.<br />

Le Bois de Boulogne est devenu l'endroit la mode.<br />

Le second Empire y tale son luxe. C'est le cadre exquis<br />

des lgances, des mondanits, et Emile Zola peut<br />

UNE REPRESENTATION A I, HIPPODROME DE LA PLACE D EYLAU<br />

crire dans la Cure :<br />

SOLS LE SECOND EMPIRE.<br />

Il tait quatre heures. Le Bois<br />

s'veillait des lourdeurs de la chaude aprs-midi. Le<br />

long de l'avenue de l'Impratrice, des fumes de poussires<br />

volaient, et l'on voyait au loin les nappes tales<br />

des verdures que bornaient les coteaux de Saint-Cloud<br />

et de Suresnes, couronns par la grisaille du Mont Val-


318 COINS DE PARIS<br />

rien. Le soleil, haut sur l'horizon, coulait, emplissait<br />

d'une lumire d'or les creux des feuillages, allumait les<br />

branches hautes, changeait cet ocan de feuilles en un<br />

ocan de lumire... Les panneaux vernis des voitures,<br />

les clairs des pices de cuivre et d'acier, les couleurs<br />

vives des toilettes s'en allaient, au trot rgulier des<br />

chevaux, mettaient sur les fonds du Bois une large barre<br />

mouvante, un rayon tomb du ciel, s'allongeant et suivant<br />

les courbes de la chausse. Les rondeurs moires<br />

des ombrelles miroitaient comme des lunes de mtal.<br />

Le spectacle n'a pas chang. Le mme dfil triom-<br />

phal, chaque jour, rassemble dans ce cadre choisi les<br />

femmes les plus lgantes de Paris, les cavaliers la<br />

mode, les chauffeurs aux trpidantes automobiles, les<br />

clubmen aussi bien que les artistes et les travailleurs<br />

qui viennent jouir de ce beau spectacle, de cette fte des<br />

yeux, de ce dcor unique au monde : le Bois de Bou-<br />

logne, l'avenue du Bois, les Champs-Elyses.<br />

Du haut de l'Arc de Triomphe, aux crpuscules de<br />

mai, la vision est magique, les terrasses du portique<br />

dress la gloire de la Grande-Arme, dominant les<br />

plus somptueux quartiers<br />

du Paris moderne.<br />

Il y a quelque soixante ans, Balzac montrait son<br />

hros rvant sur la colline du Pre-Lachaise et contem-<br />

plant le Monstre qu'il voulait dompter. Aujourd'hui, pour<br />

menacer du poing Paris, c'est sur l'Arc de Triomphe<br />

que devrait se placer Rastignac. C'est de l qu'il pourrait<br />

lancer son fameux dfi : A nous deux mainte-


LA RtVE DhOI 3i9<br />

nant! , car si l'aspect des choses a chang, l'impression<br />

qui se dgage de l'immense Cit est toujours la mme :<br />

impression d'crasement, de lutte imprieuse, de victoire<br />

difficile. C'est que nul n'aborde sans une sorte d'an-<br />

goisse ce grand Paris, si redoutable aux vaillants qui<br />

tentent sa conqute, et si prodigue aux heureux qui ont<br />

su le sduire.<br />

ARC DE TRIOMPHE DE L'TOILE VERS 1850.


TABLE DES GRAVURES<br />

Pages<br />

Rue du Chaume. (Aujourd'hui rue des Archives.) Htel de<br />

Soubise. Tour de Clisson Frootispiee<br />

La place de la Bastille et l'lphant v<br />

Dmolition de la rue Saint-Hyacinthe-Saint-Michel, la hauteur<br />

de la rue Soufflot xm<br />

Htel de Ville en 1838 .' . xvii<br />

Le Louvre vers 1785 xxm<br />

Le Jardin du Palais-Royal en 1791 xxix<br />

Place de la Concorde xxxm<br />

Chemin de ronde de la Barrire de l'toile en 1854- (Aujourd'hui<br />

avenue de Wagram)<br />

xli<br />

Le Muse Carnavalet 47<br />

Le Pont-Royal, les Tuileries et le Louvre (xviii 8 sicle) .... 53<br />

Vue du Pont-Neuf, prise d'un il-de-buf de la colonnade du<br />

Louvre 57<br />

Le petit bras de la Seine et le Pont-Neuf 59<br />

Ateliers et travaux des fondations de la caserne de la Cit<br />

en 1864-1865 61<br />

Vue de Notre-Dame 65<br />

Le Petit-Pont et les tours de Notre-Dame 69<br />

Ancienne Prfecture de Police. (Ancienne rue de Jrusalem). . 71<br />

L'glise Saint-Barthlmy et la petite place en face le Palais de<br />

Justice 73<br />

La Sainte-Chapelle en 1875 77<br />

21


322 TABLE DES FIGURES<br />

Dgagement du Palais de Justice<br />

1<br />

Le triomphe de Marnt<br />

Place Dauphine en 1780<br />

La pompe<br />

89<br />

Notre-Dame<br />

Ile Saint-Louis<br />

ao<br />

99<br />

Construction du Panthon. (Fragment d'une aquarelle de Saint-<br />

Aubin.<br />

Collge<br />

99<br />

Louis-le-Grand Cour intrieure de l'cole polytechnique<br />

M<br />

103<br />

Rue Clovis en 1867<br />

Le Panthon en construction.<br />

Procession devant Sainte-Genevive<br />

Le Luxembourg vers 1790<br />

Billet d'entre l'Assemble nationale<br />

111<br />

H3<br />

H7<br />

121<br />

Soupers fraternels dans les Sections de Paris 125<br />

Bassin du Luxembourg<br />

129<br />

Galerie de l'Odon. (Rue Rotrou)<br />

132<br />

Rue de l'cole-de-Mdecine en 1866. (Maison o Marat fut assassin).<br />

Dmolitions sur l'actuel emplacement du boulevard Saint-Germain .<br />

La cour de Rohan en 1901<br />

133<br />

137<br />

l3^<br />

Salle de l'ancien Thtre-Franais<br />

141<br />

La faade de l'Institut<br />

I45<br />

Les cardeuses de matelas<br />

14<br />

Le Pont des Arts<br />

149<br />

Berges de la Seine<br />

Entre du guichet du Louvre<br />

Paris vu de la pointe de la Cit<br />

151<br />

152<br />

153<br />

Une vue de Seine<br />

155<br />

Le Pont Neuf vers 1855<br />

157<br />

Le Pont Neuf vers .1889<br />

161<br />

La rue Galande<br />

I65<br />

La place Maubert<br />

"*><br />

Ancien amphithtre de chirurgie, l'angle de la rue de l'Htel-<br />

Colbert'<br />

I69<br />

Saint-Nicolas-du-Chardonnet et la rue Saint-Victor. . . 173<br />

L'glise<br />

La rue Saint-Julien-le-Pauvre<br />

175


TABLE DES FIGURES 323<br />

Jardin des Plantes. Le cdre du Liban et le labyrinthe. . . . 177<br />

Jardin des Plantes. Le cdre du Liban 179<br />

Jardin des Plantes. Ancien amphithtre. 180<br />

Jardin des Plantes au xvin* sicle 181<br />

Jardin des Plantes Un observateur 183<br />

Les tanneries sur la Bivre 187<br />

La Bivre vers 1900 Bief de Valence 191<br />

Le pont de Constantine et l'estacade 195<br />

Le Pont-Royal en 1800 199<br />

Htel de Lesdiguires 201<br />

Bal commmoratif sur les ruines de la Bastille 203<br />

L'htel de Sens vers 1835 , 207<br />

Htel du prvt Hugues Aubryot Cour et passage Charlemagne<br />

en 1867 215<br />

Place Royale vers 1651 (actuellement place des Vosges) .... 219<br />

L'htel de Ville au xvn e sicle 223<br />

Rue Grenier-sur-1'Eau en 1866 225<br />

Htel Barbette 227<br />

Port Saint-Paul 229<br />

La rue des Prouvaires et la rue Saint-Eustache vers 1850. . . . 237<br />

Les Halles en 1822 238<br />

Les Halles en 1828 239<br />

Les Halles et la pointe Saint-Eustache 240<br />

Le trottoir des Halles, prs Saint-Eustache en 1867 241<br />

Vieillos rues du quartier des Halles, vers 1865 243<br />

des Grands-Augustins. . . . 2i5<br />

L'ancien march la Valle, quai<br />

Le march des Innocents au xviii6 sicle 249<br />

Saint-Jacques-la-Boucherie, vers 1848 253<br />

La maison de Beaumarchais 257<br />

Vue de l'Ambigu-Comique sur le boulevard du Temple 261<br />

Le boulevard du Temple vers 1860<br />

Thtre des Funambules, boulevard du Temple<br />

265<br />

269<br />

Une cour de la prison Saint- Lazare . 272<br />

Rue Saint-Martin en 1866 La Tour du Vert-Bois 273<br />

Rue de Clry<br />

275<br />

La Porte Saint-Denis 279<br />

Le boulevard des Italiens 283


324 TABLE DES FIGURES<br />

Pages<br />

Thtre des Varits vers 1810 287<br />

Mdaille commmorative du sige de Paris 289<br />

Un pisode du sige<br />

de Paris 290<br />

Les boulevards, l'Htel de Salm et les Moulins de Montmartre . 291<br />

Une plume estampille de pigeon voyageur<br />

293<br />

La rue des Rosiers 294<br />

Rue Montmartre 295<br />

Place de la Concorde en 1829 299<br />

Place de la Concorde 301<br />

Entre des Tuileries par le pont tournant en 1788 ....... 303<br />

Pavillon d'angle de la place Louis XV vers 1850 305<br />

L'alle des Veuves et le cours la Reine, vers 1835 307<br />

Le Chteau de Madrid 311<br />

Pavillon de Bagatelle<br />

314<br />

Vue du Jardin des Tuileries en 1808 315<br />

Une reprsentation l'Hippodrome sous le second Empire. . . 317<br />

L'Arc de Triomphe de l'toile vers 1850 319<br />

FIN DE LA TABLE DES FIGURES


LISTE DES OUVRAGES CITS OU CONSULTS<br />

Histoire et recherches des Antiquits de la Ville de Paris, par<br />

H. Sauvai (1724).<br />

Histoire de la Ville et du Diocse de Paris, par<br />

(1883).<br />

Tableau de Paris, par Mercier (1782).<br />

Histoire de Paris, par Du lame (1825).<br />

Tableau de Paris, par Texier (1850).<br />

Paris dmoli, par E. Fournier (1855).<br />

nigme des rues de Paris, par E. Fournier (1860).<br />

Chronique des rues de Paris, par E. Fournier 1864).<br />

Paris travers les ges, par E. Fournier (1875).<br />

Mon Vieux Paris, par E. Drumont (1879).<br />

l'abb Lebeuf<br />

Paris, par Auguste Vitu (1889).<br />

Paris (Histoire des vingt arrondissements), par Labdollire.<br />

Paris Rvolutionnaire, par Lentre (1895).<br />

Vieux papiers, Vieilles maisons (1900).<br />

La Bivre et Saint-Sverin, par Huysmans (1898).<br />

La Chronique des Rues, par Beaurepaire (1900).<br />

Paris-Atlas, par F. Bournon.<br />

Nouvel Itinraire-Guide de Paris, par Ch. Normand.<br />

A Travers le Vieux Paris, par le marquis de Bochegude (1903>.<br />

Procs-verbaux de la Commission municipale du Vieux Paris<br />

(depuis 1898).

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