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'L I B RAHY<br />
OF THE<br />
U N IVLRS1TY<br />
Of ILLINOIS<br />
9I4.43G<br />
C\Zc<br />
1909
oins<br />
ERNES'<br />
Georges i^Tl<br />
de Paris<br />
PARIS
Coiq^ de pari?
a t tir de cet ouvrage,<br />
vingt exemplaires<br />
sur papier des Manufactures Impriales du Japon,<br />
tous numrots et parafs par l'diteur.<br />
DU MEME AUTEUR<br />
Promenades dans Paris. 1 vol. in-16 jsus, avec 125 illus-<br />
trations et plans d'aprs les documents fournis par l'auteur.<br />
(Douzime mille). Prix 5<br />
(Ouvrage couronn par l'Acadmie franaise.)<br />
Prix Berger, 1907.<br />
Nouvelles Promenades dans Paris. 1 vol. in-16 jsus,<br />
avec 135 illustrations et 20 plans anciens et modernes.<br />
(Huitime mille). Prix 5<br />
A Travers Paris. 1 vol. in-16 jsus, avec 148 illustrations<br />
et 16 plans anciens et modernes. (Cinquime mille). ... 5<br />
Les Thtres de Paris. (Le boulevard du Crime. Les thtres<br />
du Boulevard), avec 376 reproductions de documents<br />
anciens. 1 vol. in-16 gr. jsus. (Fasquelle, diteur.) Prix. . 5<br />
Coins de Paris. 1 vol. grand in-8 carr (18x23) avec<br />
100 illustrations documentaires. (Septime mille), puis.<br />
Il reste quelques exemplaires cartonns toile au prix de . .10
ItUE DU CHAUME EN 1866 [AUJOURD'HUI RUE DES ARCHIVES)<br />
HTEI, DE SOUBISE TOUR DE CLISSON.<br />
Dessin de A. Maignan.
Ouvrage couronn par l'Acadmie Franaise (Prix Berger 1907).<br />
Georges Cain<br />
Conservateur du Muse Carnavalet et des Collections historiques<br />
de la Ville de Paris.<br />
Coins de Paris<br />
PREFACE<br />
DE<br />
Victorien Sardou<br />
de l'Acadmie Franaise.<br />
Avec io5 illustrations documentaires.<br />
Nouvelle dition.<br />
PARIS<br />
ERNEST FLAMMARION, DITEUR<br />
26, RUE RACINE, 20<br />
Tous droits de traduction et de reproduction rservs pour tous les pays,<br />
y compris la Sude et la Norvge.
9 t4. 4s<br />
C /:<br />
A G. LENOTRE<br />
En tmoignage de trs sincre affection.<br />
G. C.<br />
Dcembre igo5.
PREFACE<br />
(^J~yetit-fils et fils de deux artistes d'un rare<br />
JL mrite et d'une clbrit ; P.-J. Mne<br />
jufle<br />
et Augufle Cain; mon excellent ami Georges Cain<br />
a fuffisamment prouv quil ejl le digne hritier de<br />
leur talent. Il veut conflater aujourd'hui qu'il fait,<br />
comme disaient nos Anciens,<br />
manier la plume auffi<br />
bien que le crayon que le Muse Carnavalet na<br />
pas seulement en lui le Confervateur actif pafi<br />
fionn que nous voyons tous les jours l'uvre, mais<br />
auffi le guide le plus clair en fait d'rudition pari-<br />
(enne, il a crit ce livre charmant qui voque<br />
mes yeux le Taris de mon enfance et de ma jeunejfe,-<br />
1
COINS DE PARIS<br />
ce Taris d'autrefois qui a fubi bien des trans-<br />
formations au cours des ficles; mais pas une auffi<br />
rapide, auffi .complte que celle dont j'ai<br />
tmoin.<br />
C'efl au point que j'ai peine<br />
t le<br />
retrouver<br />
dans certains quartiers, sous la ville de Napolon III,<br />
celle de Louis-Philippe, qui ferait aujourd'hui inha-<br />
bitable, tant donnes les exigences de la vie.<br />
moderne, mais qui rpondait aux befoins et aux<br />
habitudes de fort temps. On s'accommodait de<br />
dfauts que l'on jugeait invitables, aucune capitale<br />
n'en tant exempte. Et, en fomme, avec fes tares &<br />
fes verrues, ce Taris4 avait bien auffi fon charme !<br />
La plupart de fes rues taient trs troites et<br />
dpourvues de trottoirs. Il fallait fe garer des<br />
voitures fur le feuil des boutiques, fous les portes<br />
cochres ou l'abri de bornes plantes a l,<br />
cet effet. Toutefois, l oit la circulation tait la<br />
plus active, le piton courait moins de risques<br />
cheminer fur la chauffe qu'<br />
traverser aujourd'hui<br />
le Boulevard... Ce Boulevard, qui ne voyait paffer
PRFACE<br />
alors qu'un omnibus tous les quarts d'heure, dejfer-<br />
vant la place de la Madeleine & celle de la Bas-<br />
tille ; ou Von redoutait si peu d'tre<br />
"I<br />
craf, que,<br />
devant la Madeleine, j'ai vu les curieux faire cercle<br />
autour du btonniste, la place mme ou est aujour-<br />
d'hui le et<br />
refuge, que, fur la<br />
place<br />
de la Bafille, je jouais tranquillement<br />
au cerceau autour de l'l-<br />
phant<br />
de la Colonne de Juillet. On n'avait gure<br />
craindre dans tout Paris que les claboujfures des<br />
ruifeaux coulant au milieu des rues... quand ils<br />
coulaient; car, par les grandes chaleurs de l't, les<br />
eaux mnagres y croupijfaient jufqtiaux pluies<br />
d'orage. En hiver, la neige n'tant jamais balaye,<br />
l'emploi du fel<br />
tant inconnu, c'tait chose hor-<br />
rible que le dgel/ Tous les recoins des maifons mal<br />
alignes taient confacrs aux dpts<br />
d'ordures G*<br />
aux liberts qu autorifait che\ les pajfjants Vabfence<br />
de kiofques dont l'injlallation s'ejl fait trop long-<br />
temps dfirer. Ces rues enfin, caufe mme de leur<br />
croitejfe,<br />
taient plus bruyantes que les ntres. Le<br />
'
COINS DE PARIS<br />
roulement des lourds camions sur de gros pavs<br />
arrondis, mal ajufls, o ils rebondiff aient en bran-<br />
lant les maisons les vitres, les cris incejfants des<br />
marchands et marchandes de fruits, lgumes, pois-<br />
sons' fleurs, etc.. pouffant leurs charrettes bras,<br />
des marchands d'habits, de parapluies, de petits<br />
balais; des vitriers des ramoneurs; lafonnerie des<br />
fontainiers soufflant dans leurs robinets; V appel des<br />
porteurs d'eau, faifant claquer<br />
tour de bras les<br />
anfes de leurs faux ; les chanteurs ambulants por-<br />
tant de cour en cour leurs clarinettes leurs tam-<br />
bours de bafque : tout cela enfomme tait la gaiet<br />
de la rue. Ce qui n'tait pas tolrable, c'tait<br />
l'obsejfion des orgues de barbarie, fe relayant fous<br />
vos fentres, fans rpit, du matin aufoir,<br />
vous<br />
infligeant un/upplice auquel aujourd'hui encore je<br />
ne fong'e pas Jans colre/<br />
Enfin l'clairage de ces rues tait dplorable. La<br />
plupart en taient encore au rverbre, dont l'allu-<br />
mage, fur la chauffe<br />
arrtait toute circulation.
Mais, en revanche, la ville tait mieux garde, la<br />
nuit,011 elle ne ef prfentement, grce aux rondes,<br />
des<br />
patrouilles grifes qui circulaient fous le<br />
manteau, pas lents, la file indienne, rafant les<br />
murs et Je croifant en route, de faon fe prter<br />
main-forte au moindre appel. Heureux temps o,<br />
une heure du matin, dans mon quartier dfert^<br />
ftais affur de me heurter a l'une d'elles, et oit Von<br />
pouvait s'attarder, fans revolver en poche. Cefl,<br />
dit-on, que<br />
Paris tait moins<br />
grand,<br />
moins peupl,<br />
& la tche de la<br />
police plus facile. Ceft<br />
elle<br />
mefurer la protection fur le danger<br />
le nombre<br />
de fes agents fur celui des malfaiteurs, pour qui,<br />
du refle, on riavait pas alors les affectueux gards<br />
qrion leur prodigue aujourd'hui.<br />
Pour se faire pardonner fes rues troites, mal<br />
paves, mal claires, mal entretenues, Paris avait<br />
alors un attrait qu'il ri a plus :<br />
fes jardins.<br />
On fe le figure comme un fouillis de vieilles<br />
maisons, prives de jour,<br />
d y<br />
air falnbrede verdure.
VIII COINS DE PARIS<br />
En ralit* les maifons vieilles ou neuves n'exiflaient<br />
qu'en bordure fur la rue. Derrire elles, dans tout<br />
lefpace compris d'une rue Vautre, de vajles enclos<br />
leur affur aient le foie il, le filence<br />
la verdure,<br />
dont elles taient privesfur leurs faades. Nombre<br />
d'habitations s'taient taill, dans le morcellement<br />
des anciens htels des communauts religieufes<br />
des derniers fiecles, de grandes cours des jardins<br />
particuliers qui, Jpars par de baffes cltures, fe<br />
prtaient mutuellement leurs ombrages.<br />
Il en tait<br />
ainfi dans toute la ville, sauf dans la Cit et dans le<br />
centre, aux abords de l'Htel de Ville & des Halles.<br />
Il suffit d'un coup d'il fur les anciens plans de la<br />
Ville pour conflater que ces terrains non btis occu-<br />
paient fous Louis XVI la moiti, & fous Louis-<br />
Philippe le tiers de fa fuperficie<br />
actuelle. Dans les<br />
quartiers du Marais, de l'Arfenal, dans les fau-<br />
bourgs Saint-Antoine, du Temple, Popincourt,<br />
Courtille, dans la chauffe d'Antin, les Porcherons,<br />
le Roule, le faubourg Saint-Honor fur toute la<br />
la
ive Gauche, privilgie<br />
l'REFACK IX<br />
cet<br />
gard,<br />
ce n'taient<br />
qu'habitations clairfemes, au milieu de vergers,<br />
potagers, treilles, baffes-cours, bofquets grands<br />
parcs plants dy arbres<br />
fculaires. On s'acharne<br />
dtruire le peu qui en fubsifte<br />
au point de vue de<br />
l'hygine & de t agrment, cefl grand dommage.<br />
De ma fentre, rue d'Enfer, place de l'Ejlrapade,<br />
impaffe des Feuillantines, je ne voyais autour de moi,<br />
perte de vue, que profusion de feuillages. Rue<br />
Neuve-Saint- Etienne, de l'habitation de Bernardin<br />
de Saint Pierre, j'apercevais, au del de grandes<br />
alles d'arbres taills, les tours de Notre-Dame',<br />
je pouvais me dire, comme le bon Rollin, dans le<br />
distique grav fur fa porte, quelques pas<br />
de l :<br />
Ruris et urbis incola Habitant de la ville de<br />
la campagne . C'est au travers de ces jardins, de<br />
ces rues filencieuses, fi propices au travail, parfu-<br />
mes par les lilas, fleuries par<br />
les marronniers<br />
blancs & rofes, que l'on a trac les grandes voies<br />
nouvelles : les boulevards Saint-Germain 6' Saint-
X COINS DE PARIS<br />
Michel, les rues de Rennes, Cay-Lussac,<br />
la rue<br />
Monge qui a raf le pavillon champtre oii ejl mort<br />
Pafcal, dans cette mme rue Saint-tienne ; et la<br />
rue Claude-Bernard qui a fupprim<br />
les Feuillan-<br />
tines, o Victor Hugo enfant faisait lu chaffie aux<br />
papillons. Bientt le dernier furvivant<br />
religieux du quartier Saint-Jacques,<br />
Urfulines,<br />
velles/...<br />
va faire place<br />
des enclos<br />
celui des<br />
trois rues nou-<br />
La jouiffiance de ces jardinets attenant la plu-<br />
part des logis tait vivement apprcie par le petit<br />
bourgeois parisien, qui a toujours<br />
t d'humeur<br />
cafanire. On l'en raillait, au dernier ficle, dans<br />
un opufcule bien connu : Voyage de Paris Saint-<br />
Cloud par terre et par mer. Sa curiofit<br />
pays lointains n tait point<br />
des<br />
sollicite comme elle<br />
Vefl aujourd'hui par les rcits de voyages, les gra-<br />
vures, les photographies, les affiches<br />
en couleurs.<br />
Et le dplacement tait fort coteux ! Les chemins de<br />
fer ne lavaient pas encore mis la porte de toutes
PRFACE XI<br />
les bourfeS) par la rduction defes prix fes trains<br />
circulaires bon march. Unjimple ouvrier va plus<br />
facilement aujourd'hui Biarrit\,<br />
en Suisse ou<br />
Monte-Carlo que ne le faifait alors un rentier du<br />
Marais. Paris tait si peu dlaijje, par les grandes<br />
chaleurs de l't, que jamais les thtres ne faisaient<br />
plus grojfes recettes, furtout les fcnes populaires<br />
telles que V Ambigu, la Porte-Saint-Martin, la<br />
Gaiet, le Cirque, les Folies-Dramatiques,<br />
le Petit<br />
La\ary, Madame Saqui, le Thtre Hiflorique, etc.,<br />
groups au boulevard du Temple. La belle faifon<br />
permettait aux fpectateurs les plus loigns<br />
de venir<br />
pied<br />
cette foire dramatique, en<br />
conmifant,<br />
pour l'aller le retour, le prix d'une voiture,<br />
de faire queue fans avoir craindre le froid ou la<br />
pluie,- car le bon public de ce temps-l, qui aimait<br />
le spelacle pour lui-mme, ne rpugnait pas<br />
cette<br />
longue fanon entre deux barrires, avant l'ouver-<br />
ture des guichets, qui se faisait alors de f<br />
6 heures<br />
du soir. C'tait une des conditions, un des stimulants
XII COINS DE PARIS<br />
de son plaifr, quelque chofe comme V apritif du<br />
speclacle.<br />
Les vacances elles-mmes ne faisaient pas dans<br />
Paris des vides bien senfibles, si ce nef sur la rive<br />
Gauche. De mai octobre, la majorit de la claffe<br />
moyenne, petits commerants, fonctionnaires<br />
ren-<br />
tiers; employs, commis, travailleurs de toute sorte<br />
se contentaient, comme les hros de Paul de Kock,<br />
de parties de campagne, avec dners sur Vherbe,<br />
dans toute la banlieue parifenne : Vincennes, Mont-<br />
morency, Saint-Cloud, Romainville, etc. A Paris,<br />
les boutiquiers dreffaient leur couvert en plein air,<br />
dans les cours, les jardins, ou, dfaut,<br />
dans la<br />
rue. Quand je rentrais de mes promenades du<br />
dimanche, Vheure du dner, de 4
DMOLITION DE LA RLE SAINT-HYACI\TIIE-SAINT-MICHEI.<br />
la hauteur de la rue Soufflot.<br />
Kau-forle le Martial.
PRFACE<br />
au pajfage par quelque fillette aux yeux bands<br />
qui, pour me reconnatre, promenait fa<br />
main<br />
fur<br />
ma figure,<br />
aux<br />
grands<br />
clats de rire de tous les<br />
dneurs ! Et fi par les longues joires d't, quelque<br />
partie de barres commence la grande<br />
alle du<br />
Luxembourg nous entranait, mes camarades moi,<br />
dans la rue de Vaugirard, la petite place Saint-<br />
Michel, & la rue d'Enfer..., les bonnes gens qui<br />
prenaient le frais fur le pas de leurs portes<br />
n ac-<br />
cordaient aucune attention cette galopade de<br />
gamins en pleine rue.<br />
Bref, c tait la province !<br />
Ces murs bourgeoifes, que Von peut caral-<br />
rifer d'un mot en difant quelles<br />
taient dix-huit-<br />
cent-trente , ont furvcu la Rvolution de 1848<br />
& perfifl jusqu'au Second Empire, o<br />
chemins de fer, l'afflux des<br />
l'extenfiondes<br />
trangers, les grandes<br />
entreprises indufirielles & commerciales, la prosp-<br />
rit<br />
croiffante, le fouci du confort & du luxe, la vie<br />
publique plus aclive, la concurrence plus pre, la
XVI COINS DE PARIS<br />
lui te pour la vie plus acharne ont enfant les murs<br />
ahuelles! Transformation furprenante laquelle<br />
n'a pas peu contribu la cration d'un nouveau Paris<br />
fur les ruines de l'ancien. Que de fois je me fuis fli-<br />
cit d'avoir, ds Vge de quinze ans, donn pour but<br />
mes flneries des jours de cong la recherche dans<br />
les vieux quartiers aujourd'hui ventrs, morcels,<br />
difparus, des moindres veftiges du pajp, comme si<br />
f avais prvu qu' bref<br />
dlai ils seraient mis en<br />
pouffire par la pioche du dmoliffeur !<br />
Le Paris de Louis-Thilippe tait, peu de<br />
chofe prs,<br />
celui de la Rvolution du Premier<br />
Empire. Chaque pas y rveillait des fouvenirs dont<br />
on n'tait gure proccup en mon jeune temps, le<br />
Romantisme tant tout au Moyen Age<br />
Renaissance, plus curieux de la Saint-Barthlmy<br />
que des maffacres de Septembre. IL regardait ten-<br />
drement la vieille tourelle d'angle de la place de<br />
Grve, & ne donnait pas un coup d' il fur la mme<br />
place. l'enseigne oh fut<br />
la<br />
accroch le malheureux
mi<br />
s
PRFACE<br />
Foulon. Il dplorait la disparition de la Porte<br />
Barbette qui vit le meurtre de Charles d'Orlans,<br />
& n'allait pas voir,<br />
lets, la borne ou fut dcapit<br />
XIX<br />
trois pas de l^ rue des Bal-<br />
le cadavre de Madame<br />
de Lamballe. Peintres, romanciers, potes, historiens<br />
ces<br />
ddaignaient<br />
localits encore chaudes du drame<br />
rvolutionnaire dont ils prtendaient retracer quel-<br />
ques pifodes. Ary Schejfer<br />
veut nous montrer<br />
'<br />
l<br />
arreftation de Charlotte Corday. Il n'a garde de<br />
confulter les documents trs prcis qui la feraient<br />
revivre<br />
attitude<br />
fes yeux<br />
jufqu<br />
aux ntres, avecfon vifage,fon<br />
sa toilette. Il ne fonge mme pas<br />
aller rue des Cordeliers, vifiter le logement de<br />
Marat, encore intal, jufqu<br />
son cordon de fon-<br />
nette ! Et il nous offre une Charlotte de fon cru,<br />
toute de chic, qui a l'air d'une femme de chambre<br />
arrte par le concierge, au moment oh elle fort,<br />
ayant fur le dos la robe de fa matrejfe !<br />
Alfred de Vigny, dans fon Stello, ejl auffi peu<br />
soucieux de l'exactitude des localits que de celle
COINS DE PARIS<br />
des Il<br />
faits. dreffe Vchafaud d y<br />
Andr Chnier,<br />
**<br />
fur la place de la Rvolution / aprs Vy avoir<br />
conduit dans une charrette charge de plus de<br />
quatre-vingts vicliinesf! dont quelques femmes<br />
avec leurs enfants<br />
Et ainfi des autres !<br />
la mamelle lit<br />
Mieux avif, je nai pas ddaign ces vieilles<br />
pierres, humbles tmoins de fi grands faits, grce<br />
elles foi revcu la Rvolution sur place. Elles<br />
taient condamnes difparatre. On ne fonde une<br />
ville nouvelle que fur les dbris de l'ancienne, il<br />
efl bien difficile de concilier les exigences du pr-<br />
Cent avec le culte du pajf. D'ailleurs, la plupart<br />
de ces vieilleries, celles mmes qui pouvaient<br />
tre<br />
fauves, feraient trifte mine au milieu des fplen-<br />
deurs de la ville acluelle. Ce qui me fche, c efl -de<br />
conftater quon les a remplaces quelquefois de<br />
faon les jaire plutt regretter.<br />
Ainfi, par la<br />
exemple., Cit! La dmolition de<br />
Ces mafures, de fes ruelles finiftr-es, na pu cha-
PRFACE<br />
griiier que les enrags de pittoresque<br />
ou les admi-<br />
rateurs des Mystres de Paris. Mais il faut bien<br />
avouer que Notre-Dame avait, dans fin vieux<br />
parvis, plus grande allure qu'<br />
XXI<br />
l'extrmit de ce<br />
grand dsert, oh elle femble pofer btement pour<br />
le photographe, entre le vide, de la rivire cet<br />
affreux Htel-Dieu qui<br />
a l'air d'un abattoir l<br />
il n'tait pas non plus bien ncefjair, en dpla-<br />
ant le March aux fleurs, d'interdire aux vendeuses<br />
les jolies logettes qu'elles improvif aient autrefois<br />
l'aide de feuillages, de branchages<br />
de fleurs,<br />
de leur impof'er ces toitures en \iiic qui ne devraient<br />
abriter que des fleurs artificielles, pour complter<br />
le charme de ce bofquet adminiftr atif !<br />
On pouvait aujji se difpenfer d'ventrer la<br />
place Dauphine, que j'ai vue aufi charmante que la<br />
place Royale, avec fes briques rofes, pour nous<br />
montrer le monument funbre qui efl l'entre du<br />
Palais de Juftice<br />
escalier.<br />
l'horrible baluftrade de fou
XXII COINS DE PARIS<br />
Auffi bien, puifque le hafard de la promenade<br />
nia conduit au Pont-Neuf, je pourfuis de ce ct<br />
ma petite flnerie rtrofpelive.<br />
On peut fliciter le Pont-Neuf plus neuf<br />
que jamais, d'avoir perdu fes hauts trottoirs, les<br />
dcrotteurs, tondeurs' de chiens, coupeurs de chats,<br />
blottis entre fes bornes, & les boutiques de mer-<br />
cerie, papeterie, parfumerie, pommes de terre<br />
frites, briquets phofphoriques, allumettes chimiques<br />
allemandes, etc., inflalles jdans les gurites en<br />
demi-lune que Von a rafes pour y inftaller des<br />
bancs. Mais quel vandalifme que le badigeonnage<br />
des deux maifons en briques qui font face laftatue<br />
de Henri IV. Elles ont t construites pour la place<br />
qu elles occupent. Elles font corps avec le pont<br />
contribuent grandement<br />
sa dcoration. S'il plat<br />
aux propritaires, qui les ont dj blanchies, de les<br />
remplacer par des conftruclions quelconques, cen<br />
ejl fait de run des plus jolis aspects<br />
Paris.<br />
du vieux
On pouvait aufi pargner<br />
PRFACE XW<br />
Saint-Germain-<br />
l Auxerrois le voifinage de cette tour, qui fe donne<br />
pour gothique, et de cette mairie, qui Je croit<br />
Renaijfance. Vglife y perd toute fa grce & l'en-<br />
femble efl ridicule.<br />
Du moins, en lui tournant le dos, on a lafatif-<br />
faction de ne plus<br />
voir devant la Colonnade un<br />
terrain vague, entour de palijfades pourries. Il ne<br />
lui manquait que des croix pour avoir l'air d'un<br />
cimetire.<br />
Et, par le fait, cen tait un!<br />
mme o<br />
Sous la Reflauratioi, on y avait enfoui,<br />
efl la ftatue queflre de Velasque\, des<br />
momies d'Egypte, dcompofes par leur trop long<br />
sjour dans l'humidit des falles bajfes<br />
En 1830,<br />
l<br />
du Louvre.<br />
la mme place, les corps des aff aillants<br />
tus J attaque du Louvre furent jets la hte<br />
dans une fofje commune. Dix ans plus tard, quand<br />
on voulut donner ces braves une plus noble fpul-<br />
ture, on exhuma ple-mle patriotes 6" momies. Et
XXVI COINS DE PARIS<br />
les contemporains des Pharaons sont pieusement<br />
enfevelis fous la colonne de la Baflille, comme<br />
combattants de Juillet!<br />
J'ai connu la cour du Louvre avec une ftatue<br />
du duc d'Orlans mije au rebut aprs 1848, &<br />
laquelle fuccda<br />
e<br />
celle de Franois I \ par Clefin-<br />
ger. Quelque imbcile le rayant Sire<br />
baptife<br />
de<br />
Framboisy , cette plaifanterie tait trop idiote pour<br />
n avoir pas le plus grand Juccs. Elle n'a pas t<br />
trangre<br />
un meilleur sort.<br />
la disparition d'une uvre qui mritait<br />
La cour a, de plus qu'autrefois, des ftatuettes<br />
dans quelques-unes de fes niches : l'ingnieux trac<br />
fur le fol du Louvre de te<br />
Philippe-Auguj & des<br />
parterres qui fe font pardonner leur inutilit par<br />
leur mode f de.<br />
Aucune defcription ne fuirait donner Vide de<br />
ce qu'tait alors la place du Carroufel, dans l'tat<br />
provifoire auquel la condamnait, depuis le Premier<br />
tmpire, la runion du Louvre aux Tuileries, tou-
PRFACE XXVII<br />
fours projete, toujours ajourne. Ce n tait que<br />
tronons de rues ventres, maifons ifoles, demi<br />
dmolies, tayes par des poutres. Le fol ingal,<br />
effondr, dpav, n tait plus, les jours de pluie,<br />
quun vaste bourbier. La grande galerie<br />
du Louvre<br />
tait flanque d'un affreux corridor en planches,<br />
la galerie de bois , toujours prte flamber/<br />
Car il ejl de tradition qu' proximit du Mufe il<br />
y ait une caufe permanente<br />
d'incendie! Du mme<br />
ct, la lifte civile avait conftruit des baraques<br />
qui, de la petite cour du Sphinx jufquau guichet<br />
f ai faut face au pont des Saints- Pres, envelop-<br />
paient les ruines de V ancienne glife Saint-Thomas-<br />
du-Louvre de fes dpendances, telles que le<br />
prieur<br />
o<br />
Thophile Gautier, Grard de Nerval,<br />
Nanteuil, Arfne Houffaye<br />
leur Bohme galante<br />
. Ces<br />
autres avaient inftall<br />
baraques, pour qui il<br />
faut plaider les circonjlances attnuantes, taient<br />
loues des marchands de couleurs, de gravures,<br />
de tableaux et de curiofits de toute Jorte. Je vois
XXVIII COINS DE PARIS<br />
encore un grand magafin de bibelots o, dans le<br />
plus amufant des fouillis, au milieu d'ufs d'au-<br />
truches, de crocodiles empaills<br />
de chevelures de<br />
Teaux-Rouges, le collectionneur de merveil-<br />
faifait<br />
leufes trouvailles. Et que de richejjes aujji<br />
dans les<br />
cartons que les marchands de gravures expofaient<br />
devant leurs portes<br />
la curiofit des amateurs. Ce<br />
n'taient, outre les gravures, que dejfms, croquis,<br />
sanguines, gouaches de Cochin, Moreau, Boucher,<br />
Lawrence, Fragonard, Saint-Aubin, Prudhon,<br />
Boilly, Isahey,<br />
etc. J'ai l<br />
paff<br />
des heures dli-<br />
cieufes fouiller dans ces cartons, o je ne pouvais,<br />
hlas! qu'admirer, n ayant pas le moyen d'acheter<br />
des chefs-d'uvre dont je prsentais la valeur<br />
future &> que l'on donnait alors vil prix, les<br />
pdants de l'cole de David ayant en fouverain<br />
mpris Van franais<br />
aimable<br />
trop fpirituel<br />
du xvm e<br />
leur gr.<br />
ficle, trop<br />
Monsieur,<br />
me disait plus tard un de ces marchands, j'ai roul<br />
des gravures de Pou (fin, dont je ne donnerais, pas
PRFACE XNXI<br />
aujourd'hui quarante Jous, dans des Debucourt que<br />
je ne cderais pas pour mille francs !<br />
Tout cela a t balay par la runion des deux<br />
Palais par le prolongement<br />
de la rue de Rivoli<br />
qui nous a dots, en outre, d'une trs belle place<br />
devant le Palais-Royal, en<br />
fort mefquine,<br />
change de- V ancienne,<br />
de fon chteau d'eau, monument<br />
a jf e \ dcoratif, mais tout noir de craffie &<br />
d'humidit.<br />
Quant au Palais- Royal, que<br />
le duc d'Orlans<br />
femblait avoir confint pour qu'il ft le forum de<br />
la Rvolution, s'il n'tait plus le rendez-vous des<br />
politiques, des clubifles, des des orateurs<br />
ga\etiers,<br />
en plein vent des agioteurs, le champ de bataille<br />
des fans-culottes<br />
des mufcadins, des royalif.es<br />
des demi-foldes , la promenade officielle des Mer-<br />
veilleufes, de tous les demi-caflors<br />
de toutes les<br />
impures ; s'il n'avait plus fes galeries de bois, fon<br />
camp des Tartares, fa grotte hollandaife, fes<br />
maifons de jeu, il tait toujours le quartier gnral
XXH COINS DE PARIS<br />
des nymphes<br />
du voifinage ; & grce fes deux<br />
thtres, fes reftaurants, fes cafs renomms,<br />
fes riches boutiques, furtout<br />
celles des joailliers,<br />
il tait encore la grande attraclion de Paris pour<br />
les nouveaux dbarqus de la province & de<br />
V tranger. A la moindre onde, la circulation<br />
devenait impoffible fous fes portiques,<br />
en tout<br />
temps, le dimanche furtout, jour i de rendez-vous,<br />
il y avait cohue dans la galerie vitre ou tout<br />
rcemment, je me fuis vu feul, abfolument feul!<br />
tait<br />
Du palais- des Tuileries, que dire? finon qu'il<br />
qu'il nef plus!... Que je regrette les<br />
magnifiques ombrages de fa grande alle fans<br />
rivale, mme Ver failles, fes maffifs de marron-<br />
niers qui bravaient le plus ardent soleil / La nature<br />
seule eft coupable de leur difparit'wn, mas On<br />
aurait pu les remplacer par des plantations moins<br />
piteufes que l'invitable platane l'acacia, qui,<br />
fleurs part, eft bien le plus bte le plus mal<br />
fait de tous les arbres. Cela promet<br />
une belle
PLACE DE l.A CONCORDE.<br />
Dessin .original de G. de Saint-Aubin. (Collect. G. Gain.)
PRFACE XXXV<br />
frondaifon pour l'avenir, fi l'avenir n'efl pas, pour<br />
ce malheureux jardin, fa suppreffion totale ou tout<br />
au moins son morcellement/...<br />
T ai vu la place de la Concorde fans fes fon-<br />
taines<br />
fes Jlatues, fauf les quatre<br />
Marly : ceux de Coyfevox<br />
ceux de Coujlou<br />
chevaux de<br />
la grille des Tuileries,<br />
l'entre des Champs-lyfes.<br />
On travaillait dans mon enfance, reflaurer les<br />
socles des futures villes de France. Ils taient,<br />
depuis Louis XV, coiffs de calottes de pltre,<br />
pareils<br />
des couvercles de marmites, ddaigns<br />
au celui<br />
point que qui porte<br />
la ville de<br />
Strafbourg<br />
a" un<br />
ignoble tuyau de<br />
pole... Du<br />
tait flanqu<br />
moins, tait-il le feul qui choqut la vue. Compte\<br />
ceux qui couronnent aujourd'hui les monuments de<br />
Gabriel! On s'objlinait encore<br />
conferver autour<br />
de la place les foffs qui avaient fait tant de<br />
viclimes en s'oppofant, les jours de fte, l'cou-<br />
lement de la foule. Un foir qu'on tirait un feu<br />
d'artifice pour la fte du Roi fur le pont<br />
de la
XXXVI COINS DE PARIS<br />
Concorde, je n'eus que le temps de me rfugier fur<br />
une de leurs baluflrades, d'oii je faillis<br />
tre jet<br />
dans le fojf par ceux qui fuivaient mon exemple.<br />
L'oblifque, lui, venait d'tre<br />
rig<br />
au centre<br />
de la place, oh il n avait pas d'autre raifon d'tre<br />
que<br />
de tirer d'embarras la Monarchie de Juillet.<br />
Elle ne J avait qu'y mettre pour mnager toutes les<br />
opinions. Cette vieille pierre, indiffrente<br />
partis, fymbolifait<br />
bien leur Concorde.<br />
tous les<br />
Tour qui a vu les Champs- lyfes fous Louis-<br />
Philippe, ils ! Ils font mconnaiffables<br />
n'taient<br />
pas, en ce temps-l,<br />
comme le boulevard des Ita-<br />
liens, le rendez-vous de ce qu'on appelait, avec la<br />
fotte mode de V anglomanie, la Fashion . Oh<br />
n'y prenait pas des glaces comme au perron de<br />
Tortoni. Les mondains & mondaines n'y 'pajf aient<br />
qu'<br />
cheval ou en voiture, abandonnant ddaigneu-<br />
fement les contre-alles des promeneurs plus<br />
modejles, aux petites gens qui s'y boufculaient dans<br />
la poujfire,<br />
aux flneurs, aux dfuvrs, t<br />
aux
'<br />
PRKKACE XXXVII<br />
trangers, aux convaie f cents, aux coliers en pro-<br />
menade, aux nourrices, aux bonnes d'enfants<br />
aux<br />
toudourous ; aux joueurs de barres, de boules de<br />
ballon du carr Marigny, & l'innombrable mar-<br />
maille qui fe ruait fur la voiture aux chvres<br />
pouffait, des cris de joie devant les guignols/<br />
On n'y voyait pour tous cafs, que trois pavil-<br />
lons indignes de ce nom, des petites buvettes ambu-<br />
lantes fur trteaux, avec carafes de limonade et<br />
d'orgeat,<br />
les marchands de coco fecouant leur<br />
clochette ; pour tous reftaurants, deux infimes<br />
traiteurs, les marchands de (rteaux de Nanterre,<br />
de pain d'pices, de gaufres, et les oublieux<br />
faifant grincer leur crcelle ; pour concerts, les<br />
rcleurs de violon, de guitare & de harpe, les chan-<br />
fonniers populaires<br />
fpectacles et rjouijfance<br />
l'homme-or cheflre ; pour<br />
avant l'ouverture du<br />
jardin zMabille, le cirque d't de Franconi, le<br />
Panorama du colonel Langlois, les balanoires, les<br />
chevaux de bois, le tir l'arbalte, la<br />
toupie
XXXVIII COINS DE PARIS<br />
hollandaife<br />
le jeu de Siam ; pour luminaire,<br />
quelques becs de ga\, les chandelles des petits<br />
dbitants les lanternes rouges des marchandes<br />
d'oranges. Et pas une peloufe, pas un majfif<br />
d'arbufles, pas une corbeille de fleurs ! Rien,<br />
abfolument rien de ce qui fait aujourd'hui le charme<br />
de cette exquife promenade !<br />
Au Rond-Point finirait Paris!<br />
Au del, ce n'tait qu'une forte de faubourg,<br />
avec, de loin en loin, quelque bel htel du dernier<br />
ficle : un grand jardin, des terrains vendre, non<br />
btis, des maifons de rapport ajfe\ minables, de<br />
grands dpts de meubles, des remifes, des manges<br />
des carroffiers, fur tout des carroffiers ! Aux<br />
abords de la rue de Chaillot, l'avenue tait borde<br />
gauche par un grand talus galonn. J'y ai vu,<br />
dans la belle faifon, des dneurs dcouper leur<br />
melon leur gigot, avec la joie nave de citadins<br />
refpirant le bon air des champs.<br />
Aux abords de l'Arc de Triomphe, l'avenue
XXXIX<br />
tait de plus en plus dferte & mal habite, &<br />
quand on avait franchi la barrire de l'Etoile, ce<br />
n'tait plus le faubourg, mais la banlieue. L o<br />
l'on a trac les belles avenues du Bois ViSlor-<br />
Hugo, on ne voyait que terrains vagues, cultures<br />
marachres, carrires & mafures inquitantes.<br />
Quant au bois de Boulogne, il tait fi laid, le jour<br />
fi dangereux la nuit, qu'il vaut mieux n'en rien<br />
dire.<br />
A droite de l'avenue, le Roule tait plus<br />
civilif, mais au del, vers Moujfeaux, il n'en tait<br />
pas de mme. Un foir, j'eus la curiofit<br />
de voir la<br />
maifon que Bal\ac venait de faire dans la<br />
conflruire<br />
rue qui porte fon nom... Aprs quoi je m'engageai<br />
au hafard dans ce quartier des Ternes qui m'tait<br />
inconnu. La nuit furvint je ne tardai pas<br />
m garer. Je longeais fur ma gauche un grand<br />
coquin de mur qui n'en finijfait plus, , la lueur<br />
de ples rverbres, trs efpacs, je ne voyais<br />
ma<br />
droite que des curies, des chantiers, des tables de
XL COINS DE PARS<br />
nourrijjeurs, de laitiers, exhalant des odeurs de<br />
poulaille & de fumier,<br />
rouges qui me rappelaient que,<br />
parages,<br />
amis avait t<br />
des gargotes<br />
rideaux<br />
dans ces mmes<br />
la mme heure, un profejfeur de mes<br />
pris au collet par un grand diable<br />
lui criant ; Ton argent, faquin ! Mon ami<br />
fumait un cigare. Ruf comme le fage Ulyjfe, il<br />
fait mine de s'excuter en plongeant fa main<br />
gauche dans le gouffet de fon gilet, tandis que, de<br />
la droite, il retire le cigare de fa bouche, du petit<br />
doigt fait tomber la cendre le plante<br />
dans l'il<br />
du malandrin qui lche prife en hurlant comme<br />
Polyphme ! Ce fouvenir mobfdait, aprs avoir<br />
traverf un mifrable<br />
hameau o<br />
je n tais guid<br />
vers Paris que par la pente du terrain, je refpirai<br />
enfin aux abords de la Ppinire, jurant bien quon<br />
ne me rattraperait plus dans ce coupe-gorge !<br />
Or, fy demeure!<br />
Ce coupe-gorge ejl aujourd'hui<br />
le quartier<br />
Monceau, l'avenue Hoche, l'avenue de Mefilne, les
CHEMIN DE RONDE DE LA BARRIRE DE L'TOILE EN 1854<br />
(Aujourd'hui avenue de Wagram.)<br />
Eau-forte de Martial.
PRFACE XLIII<br />
boulevards de Courcelles, Malesherbes, Hauff-<br />
manjti ce que Von appelait autrefois la Pologne,<br />
ou le gnral Lagrange me difait avoir chajf la<br />
perdrix dans fa jeunejfe.<br />
Et la conclufion de ce bavardage,<br />
car il<br />
faut bien conclure, cefl que V ancien<br />
je regrette<br />
Paris, mais que j'aime, bien le nouveau.<br />
Victorien SARDOU.
Paris<br />
! Que<br />
AVANT-PROPOS<br />
de visions voque ce mot magique<br />
: le<br />
Paris historique, avec ses palais, ses glises, ses<br />
monuments, ses rues et ses places publiques; le Paris<br />
littraire et son admirable dfil d'crivains, de potes,<br />
de penseurs, de dramaturges, de philosophes et d'humo-<br />
ristes : le Paris mondain, ses ftes, ses rceptions, ses<br />
modes, ses lgances et son snobisme; le' Paris des poli-<br />
ticiens, le Paris des journalistes, le Paris religieux, le<br />
Paris policier, le Paris bohme,<br />
bien d'autres encore i<br />
Tant de passions, tant d'vnements,<br />
le Paris industriel. Com-<br />
tant d'intrts<br />
s'y heurtent, s'y enchevtrent, s'y renouvellent, qu'une<br />
tude sur cette ville admirable et si complexe n'est pas<br />
plutt acheve qu'il convient presque de l'crire nou-<br />
veau : la vrit de la veille n'tant plus celle du lende-<br />
main,<br />
matin.<br />
le document exact hier se trouvant infirm ce
4G COINS DE PARIS<br />
Notre ambition est plus modeste et notre titre est un<br />
programme<br />
: Coins de Paris.<br />
Ngligeant de parti pris le trop connu, le trop dcrit,<br />
n'ayant surtout ni le dsir, ni la prtention de refaire un<br />
Guide de l'tranger dans Paris , ne recherchant que<br />
le rare, sinon l'indit, nous voudrions simplement donner<br />
ceux qui, comme nous, adorent notre vieille Cit, un<br />
peu de. la joie que nous avons chaque jour flner<br />
dans cette incomparable Ville. Notre but serait de con-<br />
tinuer, par des promenades dans ce qui<br />
nous reste du<br />
prcieux Paris d'autrefois, la srie des documenis peints,<br />
dessins ou gravs que renferme le Muse Carnavalet.<br />
La maison qu'aima tant Madame de Svign est, en<br />
effet, devenue le muse des Collections Historiques de<br />
Paris.<br />
C'est un coin dlicieux o palpite encore un peu de<br />
l'me ancienne de la grande Ville ! Nos prdcesseurs<br />
et nous-mme nous sommes efforcs de runir les<br />
documents de tout ordre qui retracent la vie de Paris.<br />
Chartes, plans, gravures, tableaux, autographes, placards<br />
jaunis et pierres commmoratives; enseignes de<br />
fer forg qui guidaient aux cabarets les buveurs du<br />
xvi e<br />
sicle; costumes de soies changeantes que portaient<br />
les jolies Parisiennes de Louis XV ; bonnets rouges de<br />
la Terreur ; ceintures dont se paraient les jeunes filles<br />
autour du char funbre de Voltaire ; souliers aux bouf-<br />
fettes tricolores qui foulrent le sol du Champ-de-Mars<br />
lors de la Fte de la Fdration ; cravate lgre de tulle
1.E MISE CARNAVALET.<br />
Karl Fichot.
AVANT-PROPOS 49<br />
noir que portait Marie-Antoinette, allant poser pour<br />
son portrait chez Dumont, le miniaturiste; pique de<br />
citoyenne ou sabre d'honneur; pierre commmorative<br />
de la Bastille ; bonnets de grisettes 1830 ou cothurnes<br />
de Merveilleuses ; ordre de comparution de la veuve<br />
Capet devant le Tribunal Rvolutionnaire ; affiche du<br />
spectacle des grands danseurs du Roy<br />
et convocations<br />
aux sances de la Convention : les grandes poques de<br />
la Royaut, les glorieuses journes de la Rvolution, les<br />
tragdies de la Terreur; les proclamations de l'Empire,<br />
les bulletins de victoires, les messes de Requiem, les<br />
joies, les douleurs, la vie enfin du peuple le plus impres-<br />
sionnable, le plus nerveux, le plus enthousiaste et le<br />
plus artiste qui ait jamais exist, tout se trouve<br />
Carnavalet, et le mme carton rassemblant avec un<br />
effrayant clectisme la succession foudroyante des vnements<br />
qui se sont passs au mme endroit nous mon-<br />
tre, pour une priode d' peine vingt annes et dans les<br />
mmes Tuileries, par exemple : l'arrive de Louis XVI,<br />
la prise du chteau le 10 aot, l'excution du Roi et<br />
celle de la Reine, la fte de l'tre suprme, Thermidor,<br />
Prairial et l'invasion de la Convention, les sections<br />
foudroyes Saint-Roch par Bonaparte, les revues du<br />
Carrousel, l'apothose du Roi de Rome, le dpart de<br />
l'Empereur, l'arrive de Louis XVIII, sa fuite, le retour<br />
de Napolon, la rentre de Louis XVIII, etc.<br />
Voil, j'imagine,<br />
de philosophie.<br />
une srieuse leon d'histoire... et<br />
4
50 COINS DE PARIS<br />
Notre but, je le rpte, serait donc simplement de<br />
continuer dans quelques promenades, que nous nous<br />
efforcerons de rendre aussi attrayantes que possible, la<br />
recherche de documents qui disparaissent, hlas ! un<br />
peu tous les jours.<br />
Nous diviserons Paris en trois grandes sections : la<br />
Cit et l'Ile Saint-Louis, la Rive gauche, la Rive droite.<br />
Aprs le document crit ou dessin,<br />
le document<br />
vivant, ou tout au moins ce qu'il en survit.<br />
Ce volume Coins de Paris est en grande partie<br />
la rdition d'un ouvrage Croquis du Vieux-Paris<br />
tir trs pelit nombre et publi en 1904 avec autant<br />
de luxe que de got la Librairie Conard.<br />
Depuis, non seulement ce volume fut revu et considrablement<br />
augment, mais encore toute une illustra-<br />
tion nouvelle fut choisie. Un artiste de grand talent,<br />
M. Tony Beltrand, mort hlas trop tt, avait orn les<br />
Croquis du Vieux-Paris d'admirables compositions<br />
dont il avait t, de plus, l'habile graveur. Nous avons<br />
d remplacer cette illustration par une srie de reproductions<br />
de tableaux, de dessins, d'eaux-fortes, de litho-<br />
graphies empruntes des collections particulires,<br />
des Muses, des Bibliothques, et c'est, pour nous,<br />
un devoir trs doux que de dire publiquement l'infinie<br />
bonne grce avec laquelle on a bien voulu nous venir en<br />
aide. Qu'il soit permis notre profonde reconnaissance<br />
de citer les noms de MM. Sardou, Claretie, Dtaille,<br />
Lavedan, Lentre, Bouchot, H. Martin, Funck-Brentano,
AVANT-PROPOS<br />
A. Maignan, Massenet, Pigoreau, Ch. Drouet,<br />
51<br />
de Roche-<br />
gude, Beaurepaire, Ch. Sellier, L.-P. Aubey, Bach,<br />
J. Robiquet, nos matres ou nos amis, qui nous ont<br />
le D r<br />
prt le plus prcieux concours. D'ailleurs, quand il<br />
s'agit de Paris, toutes les portes s'ouvrent et tous les<br />
curs battent.<br />
Notre tche fut facile ; si nous n'avons pas su mieux<br />
la remplir, la faute en est nous seul; il convient donc<br />
de terminer cet avant-propos par la vieille formule...<br />
plus que jamais<br />
de l'auteur .<br />
de circonstance : Excusez les fautes
Paris<br />
Coirs de Paris<br />
LA CITE<br />
est n dans cette le de la Seine qui a la forme<br />
d'un berceau et dont Sauvai parle de si pittoresque<br />
faon : L'le de la Cit est faite comme un grand na-<br />
vire enfonc dans la vase et chou au fil de l'eau, au<br />
milieu de la Seine.<br />
Celle particularit a certainement frapp les hral-<br />
distts de tout temps, et c'est de l que nous vient la nef<br />
qui blasonne le vieil cusson de Paris.<br />
La Cit s'offre donc avec sa proue au couchant et sa<br />
poupe au levant.<br />
La poupe, c'est Notre-Dame, et la proue relie aux<br />
deux rives par deux cordages de pierres, c'est le vieux<br />
Pont-Neuf, lev sur cette pointe extrme qui fut autre-<br />
fois l'lot du Passeur-aux-Vaches, o, le 11 mars 1314,<br />
furent brls Jacques de Molay, grand-malre des<br />
Templiers, et Guy, prieur de Normandie; le Pont-Neuf,<br />
dont Henri III, le 31 mai 1578, posa la pierre de ddi-<br />
cace, dcore des armes du Hoi, de la Reine iMre et<br />
de la Ville de Paris. Lorsque la premire pile mergea
56 COINS DE PARIS<br />
de l'eau, du cl du quai des Augustins, le roi s'y rendit<br />
du Louvre dans une magnifique barque, accompagn de<br />
la Reine Mre Catherine de Mdicis, et de la Reine<br />
Louise de Vaudmont,<br />
sa femme. Henri III avait l'air<br />
lugubre; le malin mme il avait enterr, l'glise Saint-<br />
Paul, Qulus, le plus cher de ses favoris, mort des blessures<br />
reues quelques semaines auparavant, lors du<br />
fameux duel des Mignons.<br />
Les Parisiens, irrvrencieux, n'hsitaient pas d-<br />
clarer que, par respect pour la tristesse Royale, le<br />
nouveau pont devrait s'appeler le Pont des Pleurs ,<br />
mais cette opinion ne dura pas! et, ds que<br />
Henri IV l'et inaugur, en juin 1603, encore mal<br />
asseur et inachev, le Pont-Neuf devint l'endroit le<br />
plus gai de Paris : Mondor y<br />
vend son baume et Tabarin<br />
y dbite ses sornettes, le singe de Rrioch y rcre les<br />
passants; on y fredonne les mazarinades, les duellistes<br />
y dgainent et les bandes de Cartouche et de Mandrin<br />
y dtroussent galamment les passants. Sur ce joyeux<br />
Pont-Neuf tout Paris se promne, s'amuse, se donne<br />
rendez-vous; Lorety va faire sa cueillette d'informations<br />
pour<br />
la Gazette rime :<br />
Ds le xvii e<br />
Si j'eusse t cette semaine<br />
Visiter la Samaritaine,<br />
J'eusse appris parmi les badauds<br />
Tout ce qui se passe...<br />
sicle, on assure- qu'il est impossible de<br />
traverser les douze arches de ce pont si populaire sans
\IK DU PONT-\KUI\ PRISE Il IN OEII.-DE-HOEUI DE LA COI.OWADE DL I.OUYHE.<br />
Aquarelle de Nicolle. Muse Cirnavaiet.
LA CITE 59<br />
croiser un moine, un cheval blanc et deux femmes<br />
aimables; c'est le passage officiel des processions<br />
I.E PETIT BRAS DE LA SEINE ET LE PONT-NEUF<br />
RoyaLes se rendant au Parlement, et c'est galement le<br />
Pont-Neuf qu'envahissent en hurlant les meutes popu-<br />
laires allant brler en effigie, place Dauphine, les
60 COINS DE PARIS<br />
Prsidents suspects de rendre plus de services que<br />
d'arrts; c'est enfin sur ce pont que le peuple contraint,<br />
en 1789, ceux qui mnent carrosses s'arrter et<br />
saluer bien bas l'effigie du bon Roy<br />
Henri dont la<br />
statue, soutenue aux quatre angles par les quatre figures<br />
d'esclaves qu'y fit placer Richelieu, se dresse au milieu<br />
du terre-plein, ce terre-plein o se signeront, en 1792,<br />
les enrlements volontaires, o retentira le canon<br />
d'alarme aux heures tragiques de la Rvolution ! Toute<br />
l'histoire de Paris est mle ce vieux et admirable<br />
Pont-Neuf, clbre dans le monde entier, le chefd'uvre<br />
d'Androuet du Cerceau et de Germain Pilon;<br />
le Pont -Neuf, qui fut la principale artre du vieux<br />
Paris.<br />
C'est donc par la Cit qu'il convient de commencer<br />
nos promenades : nous y rencontrerons quelques rares<br />
vestiges de la vieille Lutce; on y retrouva, maintes<br />
reprises, des restes de remparts, derrire le chevet de<br />
Notre-Dame et quelques-unes des pierres qui formaient<br />
cette antique dfense provenaient des arnes construites<br />
par les Romains. Les gradins du cirque avaient contribu<br />
arrter l'invasion normande; le mur de Pricls<br />
l'Acropole ne renferme-t-il pas des fragments briss<br />
d'antiques statues de marbre!...<br />
Mais la gloire de la Cit : c'est Notre-Dame! Suivons<br />
la tortueuse et si pittoresque rue Chanoinesse o le<br />
grand Balzac logeait M me de la Chanterie, et, au n 18,<br />
gravissons l'escalier branlant de la Tour Dagobert,
ATELIERS ET TRAVAUX DES FONDATIONS DE LA CASERNE<br />
DE I.A CIT EN 1864-1865.<br />
Photographie Richebourp, 29, quai de l'Horloge.
LA CIT<br />
vieux et prcieux dbris des constructions canoniales<br />
qui jadis enserraient la cathdrale de Paris : quelques<br />
dizaines de marches uses nous amneront une troite<br />
plate -forme, d'o nous dcouvrirons un admirable<br />
spectacle (*) :<br />
Notre-Dame, radieusement belle, merge comme une<br />
grande fleur de pierre, d'une masse de toits plats, noirs,<br />
gris ou bleus, et les majestueuses silhouettes de ses tours<br />
se dtachent immenses sur l'horizon. Sous, tous les<br />
caprices de l'heure ou de la lumire; que le soleil dore<br />
cette splendeur ou que la neige, ouatant les sculptures,<br />
tende sous ses pieds un tapis immacul; que le ciel<br />
en feu mette derrire sa masse violace un cadre d'or<br />
en fusion, ou que l'orage l'enveloppe de ses nuages<br />
cuivrs, toujours la noble cathdrale apparaLra dans<br />
son clatante beaut, dans son incomparable splendeur.<br />
L'lgante flche qui la termine se dcoupe nette et fire<br />
dans les airs, et des vols de corneilles tournent en<br />
poussant des cris stridents autour des toits fleuris de la<br />
Basilique parisienne. L-bas, au-dessus d'un blouissement<br />
de sculptures, de chemines, de pignons, de ponts,<br />
de clochers, de rues, les lointains bleus se fondent en<br />
teintes douces et finissent par se confondre l'hori-<br />
zon dans une note imprcise; les btes d'Apocalypse,<br />
que les gniaux artistes des temps passs ont accoudes<br />
aux balustrades des tours, se penchent grima-<br />
(1) Cette pauvre Tour Dagobert fut hlas dmolie l'an passt'\..<br />
G. G. (1909).<br />
63
64 COINS DE PARIS<br />
antes et narquoises sur ce grand Paris qui s'agite<br />
fivreusement au-dessous d'elles! C'est un des plus nobles<br />
aspects de la Ville que viennent de reflter nos yeux<br />
enchants.<br />
De l'autre ct, c'est la Seine, trane d'argent que<br />
sillonnent les bateaux et les barques; puis, plus loin, les<br />
nobles lignes du vieux Paris et, se profilant sur les nuages<br />
bas, au premier plan, Saint-Gervais et Saint-Protais,<br />
antique et prcieux<br />
sanctuaire du xvi e<br />
sicle, un des seuls<br />
qui gardent le charme intime de ces glises de province,<br />
o l'me se sent, dans la pnombre des chapelles, plus<br />
recueillie, plus mue, plus rapproche de l'infini,<br />
l'ombre des vitraux obscurcis par la poussire des<br />
sicles et la fume des encens.<br />
Dans le prolongement de Notre-Dame et derrire<br />
l'Iltel-Dieu, on rencontrait autrefois, un peu avant<br />
d'arriver au Palais de Justice, un ddale de ruelles<br />
sinueuses, troites et malodorantes : la rue de la Jui-<br />
verie, la rue aux Fves, la rue de la Calandre,<br />
la rue des<br />
Marmousets ; la plus basse prostitution y tenait ses<br />
assises depuis des sicles; des teinturiers y avaient<br />
install leurs baquets multicolores, et des ruisseaux<br />
bleus, rouges ou verts coulaient au milieu de ces rues<br />
aux vieux noms parisiens. D'humbles petites chapelles<br />
taient tapies contre Notre-Dame : Sainte-Marine, Sainl-<br />
Pierre-aux-Bufs et Saint-Jean-le-Rond o fut dpos<br />
d'Alembert. L'Htel-Dieu s'ouvrait droite de la<br />
cathdrale et formait avec le parvis Notre-Dame un
LA CIT 67<br />
cadre vraiment imposant cette admirable glise. Sur<br />
leur emplacement, le Second Empire a difi le nouvel<br />
Htel-Dieu et la Prfecture de Police, et ces deux<br />
immeubles, tristes et laids, semblent tre les repoussoirs<br />
naturels de cette gloire franaise : Notre-Dame-<br />
de-Paris.<br />
Rue Massillon, derrire un porche de pierres que le<br />
temps a verdies, s'ouvre, au n 6, une petite cour aux<br />
pavs suintants o passe parfois la cornette blanche<br />
d'une sur de charit ; un vieil et monumental escalier<br />
de bois, contemporain de Henri IV, dessert en un arrire<br />
btiment quelques pauvres logis. Dans cette humble et<br />
provinciale maison, d'un aspect quasi monastique, qui<br />
se croirait au cur de Paris, deux pas de l'Htel de<br />
Ville et de la Prfecture de Police! Disparu le Clotre<br />
dont les jardins en contre-bas existaient encore, il y a<br />
sept ans. Une norme et hideuse btisse, aux allures de<br />
brasserie, cache aujourd'hui tout le chevet de Notre-<br />
Dame, et l'antique Motte-aux-Papelards , rendez-vous<br />
habituel du personnel de la Mtropole, est remplace par<br />
un square, sorte de petit muse ciel ouvert, o sont<br />
rangs les dbris de pierres sculptes que le temps ou<br />
de regrettables mais ncessaires restaurations ont<br />
arrachs de la cathdrale.<br />
Rue de la Colombe passait l'enceinte gallo-romaine<br />
de la Cit, prs de la maison qu'habita Fulbert, l'oncle<br />
aux froces arguments de l'infortune Hlose, l'amie<br />
d'Ablard. Rue des Ursins on retrouve encore, au
68 COINS DE PARIS<br />
n 19, les restes d'une chapelle du xn e<br />
sicle, la<br />
chapelle Saint-Aignan ; saint Bernard y prcha, dit-on.<br />
Ce fut un des nombreux sanctuaires o, pendant la<br />
Terreur, des prtres rfractaires, sous les plus bizarres<br />
dguisements: porteurs d'eau, gardes nationaux, conducteurs<br />
de chariots, maons, parcourant la ville, venaient<br />
dire presque rgulirement la messe aux fidles que<br />
n'effrayrent jamais ni la guillotine, ni les rabatteurs de<br />
Fouquier, ni les porteurs d'ordres des Comits rvolu-<br />
tionnaires. Chose tonnante, pas un jour, pas une heure,<br />
mme aux plus terribles poques de la Terreur, les<br />
secours religieux ne firent dfaut ceux qui les invo-<br />
quaient. C'tait le temps o l'vque d'Agde, dguis<br />
en marchand des quatre-saisons, la barbe longue,<br />
portant les sacrements sous sa carmagnole, courait<br />
Paris, officiant et confessant dans les greniers, dans les<br />
rue Neuve-des-<br />
soupentes, dans les arrire-boutiques ;<br />
Capucins, on disait la messe dans une chambre, audessus<br />
mme du logis qu'habitait le terrible conven-<br />
tionnel Babuf !<br />
Du fond de son cachot, o il relevait le courage des<br />
dtenus (<br />
Il les empche de crier , disait Fouquier-<br />
Tinville) l'abb Emery, suprieur de Saint-Sulpice,<br />
n'avait-il pas organis dans les prisons de Paris un<br />
service de religieux desservant toutes les sinistres<br />
geles, dguiss en commissionnaires, en marchands<br />
d'habits, en blanchisseurs, en commis marchands de<br />
vins ? Jusque sur le chemin de l'chafaud, les malheu-
LE PETIT-PONT ET LES TOUHS DE NOTRE-DAME<br />
Eau-forte de Meryon.
LA CITE 7i<br />
reux que -Ton menait au supplice rencontraient les<br />
secours de la reli-<br />
gion.<br />
parcours<br />
rettes,<br />
Sur le sinistre<br />
des char-<br />
certaines fe-<br />
ntres indiques par<br />
avance, des prtres<br />
aposts envoyaient<br />
aux condamns l'ab-<br />
solution in extremis.<br />
Traversons la<br />
place du Parvis-<br />
Notre-Dame, o s'levaient<br />
autrefois<br />
l'Htel-Dieu et ses<br />
dpendances<br />
: l se<br />
trouvait le Tour aux<br />
enfants trouvs et les<br />
Cagnards,<br />
cet ancien<br />
repaire de dbauche,<br />
dont Meryon nous a<br />
laiss de si impressionnanteseaux-for-<br />
tes, et devant les-<br />
quels, tout enfant,<br />
nous nous arrtions<br />
plein d'effroi, en sui- mm PREFECTimE DE 1>0L1CE .<br />
vant de l'il les nor- Ancienne rue de Jrusalem. (Dessin de A. Maignan.)
72 COINS DE PARIS<br />
mes rats qui y logeaient et y dambulaient en plein<br />
jour, mangeant les ordures accumules.<br />
Entre Notre-Dame et le Palais de Justice, un lacis<br />
de petites rues enserrait jadis la Sainte-Chapelle et<br />
la Prfecture de Police, dont les jardins s'avanaient<br />
presque jusqu'au bord de l'eau. A la hauteur du Pont<br />
Saint-Michel quelques vieilles bicoques subsistent encore<br />
qui virent passer les meutes de 1793, de 1830 et de<br />
1848; une entre autres est encore debout quai des<br />
Orfvres, o travaillait le clbre Sabra, dentiste populaire,<br />
qui modestement s'intitulait le quenotier du<br />
peuple . C'est aujourd'hui un des coins bnis des bou-<br />
quinistes en plein air et aussi des pcheurs la ligne<br />
qui peuvent, au soleil et loin des bateaux-mouches, s'y<br />
livrer leur impassible sacerdoce.<br />
Ce vieux Coin de Paris a t jet bas il y a quel-<br />
ques mois, on difie actuellement sur ses ruines les<br />
annexes du Palais de Justice (1909).<br />
Avant de dcrire la Conciergerie, traversons la Cour<br />
du Mai ; l, devant le perron du Palais de Justice,<br />
droite, chaque jour les sinistres charrettes venaient<br />
pendant la Terreur charger 4 heures de releve<br />
leur lugubre fourne de condamns mort, sous l'il<br />
vigilant de Fouquier-Tinville qui, de la fentre de son<br />
bureau, comptait froidement, en se curant les dents, le<br />
nombre des victimes qui allaient l-bas .<br />
C'est de cette cour sinistre que, par un jour brumeux<br />
de novembre 1793, partit pour l'chafaud, les
LA CITE 75<br />
cheveux coups et les mains lies, la pauvre Manon<br />
Roland, dont la joyeuse enfance s'tait coule dans la<br />
maison de briques roses et blanches qui faisait l'angle<br />
du quai de l'Horloge et du terre-plein du Pont-Neuf,<br />
quelques mtres de la Conciergerie !<br />
Ce paysage charmant o elle avait fait de si beaux<br />
rves de gloire et de libert, elle le revit une dernire<br />
fois, alors que, sous les hues des aboyeurs et des furies<br />
de guillotine, on la menait l'chafaud. Sanson avait<br />
fait suivre son horrible cortge le chemin accoutum :<br />
le Pont-au-Change, le quai de la Mgisserie, la place<br />
des Trois-Marie ; de l, tournant ses yeux vers l'autre<br />
rive de la Seine, la pauvre femme qui allait mourir put<br />
contempler une dernire fois le dcor de ses annes<br />
heureuses, que dominait la masse imposante du Panthon<br />
franais, c'tait le nom nouveau de l'glise Sainte-<br />
Genevive, que la Convention venait de dbaptiser et<br />
de vouer au culte de nos gloires nationales<br />
La Conciergerie ouvrait sa porte cintre, dfendue<br />
par un triple guichet, au fond de l'troite et sinistre<br />
petite cour aux pavs verdis par l'humidit, qui s'tend<br />
droite du grand escalier du Palais de Justice.<br />
Les neuf marches qui la mettent au niveau de la<br />
Cour du Mai furent gravies par tous les condamns<br />
de la Rvolution. La Reine et Charlotte Corday, Madame<br />
Elisabeth et la veuve d'Hbert, le vertueux Bailly et<br />
Madame du Barry, Fouquier-Tinville et M. de Males-<br />
herbes, Danton, Robespierre, Camille Desmoulins,
76 COINS DE PARIS<br />
l'abbesse de Montmartre, Madame de Monaco et Ana-<br />
charsis Clootz : les princesses et les conventionnels, les<br />
ducs et les hbertistes, les gnraux de la Rpublique<br />
et les moutons de Fouquier , les plus nobles, les plus<br />
purs, les plus braves, les plus fous et les plus misrables<br />
franchirent ce seuil sinistre.<br />
Sanson, ses listes de mort en main, attendait en<br />
haut de cet escalier, devant les charrettes.<br />
Les tricoteuses et les aboyeurs de guillotine gar-<br />
nissaient les hauts degrs du Palais et se penchaient,<br />
hurlant, vomissant l'injure, et souvent jetant des ordures<br />
sur ces pauvres gens qui allaient mourir. La lugubre<br />
toilette des condamns avait t faite dans la rotonde<br />
o tait install le concierge, prs de la petite salle<br />
aux murs blanchis la chaux o le greffier enregistrait<br />
l'arrive des nouveaux venus ;<br />
l Sanson venait donner<br />
dcharge des malheureux qu'on lui livrait.<br />
Le fauteuil du greffier et sa table charge de registres<br />
occupaient environ la moiti de cette pice troite. Des<br />
tablettes places le long du mur supportaient les hardes<br />
laisses par les condamns, leurs pauvres souvenirs,<br />
les cheveux qui leur avaient t coups ; une grille en<br />
bois sparait cette chambre de l'arrire-greffe, o les<br />
moribonds attendaient pendant les longues heures qui<br />
sparaient la condamnation de l'excution ; si bien que<br />
les entrants pouvaient causer avec ceux dont le bourreau<br />
allait prendre possession. Des chiens froces venaient<br />
flairer et reconnatre les dtenus, pendant que des amis,
LA SAINTE-CHAPELLE EN 1875.<br />
Eau forte de Toussaint.
LA CIT 79<br />
des parents, tchaient d'obtenir de la piti des geliers<br />
quelques nouvelles des tres chers que<br />
renfermait la<br />
sinistre prison.<br />
Le jour de mon entre, crivait Beugnot dans ses<br />
Mmoires, deux hommes attendaient l'arrive du bour-<br />
de leurs habits et avaient<br />
reau. Ils taient dpouills<br />
dj les cheveux pars et le col prpar. Leurs traits<br />
n'taient pas altrs. Soit avec ou sans dessein, ils<br />
tenaient leurs mains dans la posture o ils allaient tre<br />
attachs et s'essayaient en des attitudes fermes et ddai-<br />
gneuses. Des matelas tendus sur le plancher indi-<br />
quaient qu'ils y avaient pass la nuit, qu'ils avaient dj<br />
subi ce long supplice.<br />
On voyait, ct, les restes du dernier repas qu'ils<br />
avaient pris. Leurs habits taient jets et l, et deux<br />
chandelles qu'ils avaient nglig d'teindre repoussaient<br />
le jour pour n'clairer cette scne que d'une lueur<br />
funbre.<br />
Il faut lire, dans les centaines de Souvenirs de<br />
prison qui parurent ds la chute de Robespierre, ce<br />
qu'tait l'existence des prisonniers, manquant de tout,<br />
dvors de vermine, brutaliss par les gardiens ivres ou<br />
froces,<br />
et il faut voir la sinistre cour o ils venaient<br />
respirer, troit triangle de terrain compris<br />
entre les<br />
murs de la prison et la Cour des femmes ; mais, avan-<br />
tage inapprciable, une simple grille de fer sparait ces<br />
deux cours. On pouvait se regarder , se parler, chan-<br />
ger le suprme baiser d'adieu, les dernires tendresses.
80 COINS DE PARIS<br />
Elle existe encore cette grille noire, sinistre, rouille,<br />
grinante comme autrefois, et il est facile d'voquer les<br />
fantmes qui la franchirent. Madame Elisabeth, Madame<br />
Roland, Ccile Renaud, Lucile Desmoulins, Madame de<br />
Montmorency et Charlotte Corday<br />
l'ont frle de leurs<br />
robes, la Du Barry, une des rares femmes qui aient<br />
trembl devant la mort Encore une minute,<br />
monsieur le Bourreau s'y est cramponne !<br />
Celte grille, la chapelle dite des Girondins, le couloir<br />
appel la rue de Paris , la petite<br />
infirmerie et le<br />
cachot de la Reine sont, avec la cellule grillage o les<br />
femmes attendaient leur excution, les seuls vestiges<br />
de l'ancienne prison ; plus loin, un gros mur nouvelle-<br />
ment lev ne permet plus de suivre le lugubre parcours<br />
des condamns, et ferme l'ancienne entre du<br />
greffe de la Conciergerie.<br />
Parcourons rapidement la Prison, hlas ! modifie et<br />
remanie ; arrtons-nous toutefois devant la porte du<br />
cachot o, pendant les trente-cinq derniers jours qu'elle<br />
avait vivre, fut enferme Marie-Antoinette.<br />
La Restauration, qui avait pris tche de faire dis-<br />
paratre bien des choses, a commenc par ce triste lieu.<br />
D'abominables verrires colores (et de quel coloris !)<br />
ont. remplac la fentre aux trois quarts obstrue et<br />
soigneusement grillage derrire laquelle la Reine,<br />
qui l'humidit de la prison et le manque de soins<br />
avaient abm la vue, allait quter un peu d'air et de jour.<br />
Le carrelage seul subsiste de cette pice de trois
LA CITE 83<br />
mtres sur cinq, qu'un bas paravent sparait de la<br />
chambre o se tenaient en permanence deux gen-<br />
darmes geliers ; c'est l qu'agonisa<br />
lentement cette<br />
malheureuse femme, manquant du ncessaire, dvore<br />
d'inquitude, sans nouvelles des siens, rduite<br />
emprunter la charit de la concierge Richard le linge<br />
indispensable, et dont la dernire dame d'atours fut<br />
l'humble servante Rosalie Lamorlire, qui sans oser<br />
lui faire une seule rvrence, de peur de la compro-<br />
mettre ou de l'affliger , lui jeta sur les paules<br />
un mou-<br />
choir de toile blanche, une heure avant le dpart pour<br />
l'chafaud.<br />
Contraste saisissant : ce cachot lugubre n'est spar<br />
que par une mince cloison de la salle de pharmacie o<br />
Robespierre, la mchoire fracasse, pendante, les bas<br />
rabattus sur les chevilles cause de ses plaies vari-<br />
queuses, encore vtu de ce bel habit bleu qui faisait<br />
tant de jaloux, quelques semaines plus tt, lors de la<br />
fte de l'Etre suprme, souill de sang et de boue, fut<br />
jet comme un hideux paquet.<br />
Sinistre, muet, ne donnant d'autre signe de vie que<br />
les soubresauts de douleur que lui arrachaient ses souf-<br />
frances, impassible devant les insultes des lches qui<br />
l'acclamaient la veille, l'Incorruptible y attendit qu'on<br />
vint le prendre pour l'attacher, pantelant, aux ridelles<br />
de la charrette qui, sous les hues de tout un peuple, le<br />
trana jusqu' l'chafaud.<br />
Au-dessus de ces cachots et relie eux par un
84 COINS DE PARIS<br />
troit escalier en pas de vis, se tenait l'audience publique<br />
du terrible Tribunal rvolutionnaire. Chose bizarre, les<br />
documents manquent presque totalement sur ce coin<br />
passionnant du Palais, o de si grands<br />
drames se<br />
jourent.<br />
Seul tableau de Boilly Le Triomphe de Marat<br />
figurant au muse de Lille, nous montre l'entre du<br />
Tribunal Rvolutionnaire.<br />
L'Ami du peuple , aprs son acquittement, sort<br />
triomphalement de la salle, frntiquement acclam par<br />
son escorte habituelle d'aboyeurs et de fidles !<br />
Dans le fond, entre deux piliers, au-dessous d'un<br />
bas -relief reprsentant la Loi, s'ouvre une sorte<br />
d'avant-corps en planches, avec cette inscription<br />
bunal Rvolutionnaire ! C'est l !<br />
: Tri-<br />
La salle o furent jugs la Reine, les Girondins et<br />
Madame Roland s'appelait salle de la Libert. Dans<br />
l'autre salle, dite salle de l'galit, comparurent Danton,<br />
Camille Desmoulins, Westermann, Hbert et Charlotte<br />
Corday. Les fentres donnaient sur le quai de l'Horloge,<br />
et la tradition rapporte que les clats de la puissante<br />
voix de Danton parvenaient durant son procs par les<br />
croises ouvertes jusqu' la foule anxieuse masse de<br />
l'autre ct de la Seine.<br />
Les derniers travaux excuts dans cette partie du<br />
Palais de Justice ont, hlas! tout boulevers, tout mo-<br />
difi, et du greffe de Richard et de Bault, qui aurait d<br />
rester jamais sacr, de cette unique issue de la Prison
LE TRIOMPHE DE MARAT.<br />
Fragment d'un tableau de Boilly. (Muse de Lille.)
LA CIT 87<br />
o il se fit de si terribles et dchirants adieux, de cette<br />
antichambre de la Mort dont tous les condamns de<br />
tous les partis foulrent les dalles, rien ne subsiste<br />
aujourd'hui !<br />
Les vandales administratifs en ont fait la Buvette<br />
du Palais . On<br />
y dbite de la viande froide, de la bire<br />
et de la limonade. On y a install un tlphone<br />
et un<br />
percolateur caf ! De maigres fusains s'tiolent dans<br />
la petite cour troite et sombre qui a vu tant d'illustres<br />
agonies! Immane nefas, rptait Paul- Louis Courier.<br />
Derrire le Palais de Justice s'levait autrefois la<br />
dlicieuse place Dauphine, o se firent les premires<br />
Expositions publiques de la Jeunesse , composes<br />
d'oeuvres d'artistes n'appartenant pas aux Acadmies<br />
officielles. Le Muse Carnavalet possde<br />
un bien<br />
amusant dessin au crayon sign Duch de Vancy et<br />
dat de mai 1783, qui porte cette inscription<br />
manuscrite :<br />
Vue pittoresque de l'Exposition des tableaux et dessins,<br />
place Dauphine, le jour de la petite Fte-Dieu . Le dimanche<br />
de la Fle-Dieu, en effet, lorsqu'il ne pleuvait<br />
pas , les artistes avaient licence dans la matine<br />
de soumettre leurs ouvrages au public ; s'il pleuvait et<br />
c'tait le cas en 1783 la fte tait remise au jeudi<br />
suivant : les tableaux taient exposs dans l'angle nord<br />
de la place, sur des tentures blanches apposes par les<br />
soins des commerants sur la faade de leurs boutiques,<br />
et l'exposition se prolongeait jusque sur le pont, face<br />
la statue du bon Henri IV. Oudry, Restout, de Troy,
88 COINS DE PARIS<br />
Grimoud, Boucher, Nattier, Louis Tocqu et enfin Chardin<br />
y ont accroch leurs uvres. Dans une excellente tude<br />
consacre aux Expositions de la Jeunesse, M. Prosper<br />
Dorbec prcise l'apport de Chardin cet phmre<br />
Salon de la place Dauphine; en 1728, Chardin, g de<br />
vingt-neuf ans, y figure avec deux chefs-d'uvre,<br />
la Raie<br />
et le Buffet, qui sont aujourd'hui deux des gloires de<br />
l'Ecole franaise au Muse du Louvre.<br />
Jusqu' la Rvolution, cette petite manifestation<br />
artistique passionna Paris. Quel joli spectacle devaient<br />
offrir la place Dauphine, les faades roses des deux mai-<br />
sons d'angle et le vieux Pont-Neuf dcor exquis,<br />
pittoresque et charmeur encombrs d'amateurs, de<br />
badauds, de critiques, de belles dames, d'artistes, d'aimables<br />
modles en claire toilette, se pressant affairs,<br />
babillards, enthousiastes, joyeux, par une douce matine<br />
de mai, devant les toiles fraches closes des<br />
Petits Exposants de la place Dauphine!
L'le<br />
L'ILE SAINT-LOUIS<br />
Saint-Louis est en quelque sorte le prolongement<br />
de la Cit. C'est une manire de province dans Paris.<br />
Les rues y sont silencieuses et dsertes; pas de boutiques,<br />
pas de promeneurs, pas de commerce; quelques vieux<br />
htels aristocratiques avec leurs hautes faades, leurs<br />
frontons blasonns et leur architecture svre disent seuls<br />
le glorieux pass de ce noble quartier.<br />
La flche ajoure de l'glise Saint-Louis-en-1'Ile met<br />
sa note lgante dans cet ensemble un peu triste. Les<br />
quais d'Orlans et de Bthune contiennent de vastes logis<br />
de fire allure. Rue Saint-Louis, se dresse l'admirable<br />
htel Lambert, ce chef-d'uvre de l'architecte Le Vau,
92 COINS DE PARIS<br />
que perdit au jeu, en une nuit, M. Dupin de Chenonceaux,<br />
cet lve ingrat de J.-J. Rousseau. Le Brun y peignit la<br />
galerie<br />
des Ftes et Le Sueur le salon des Muses.<br />
C'tait alors le rendez-vous de tous les beaux esprits :<br />
Madame du Chtelet y trnait, Voltaire y habitait, et<br />
l'htel Lambert rayonnait sur Paris bloui.<br />
Puis vinrent les mauvais jours, les chefs-d'uvre de<br />
Le Sueur furent vendus, la plupart migrrent au Louvre,<br />
et de l'uvre de ce grand peintre il ne reste gure<br />
l'htel Lambert qu'une grisaille place sous un escalier<br />
et quelques rares panneaux rpartis<br />
et l<br />
Enfin dchance suprme l'htel fut occup par<br />
des fournisseurs de lits militaires : les fines sculptures,<br />
les peintures somptueuses, les arabesques dores, dis-<br />
parurent sous une paisse poussire blanchtre provenant<br />
des cardes de laine. Dans la grande galerie que dco-<br />
rrent si somptueusement Le Brun et van Opstal, des<br />
matelassires installrent leurs trteaux et des quipes<br />
de femmes se mirent coudre des toiles grossires.<br />
Plus tard le prince Czartorisky acquit cette noble<br />
demeure et la sauva de la ruine.<br />
En aval de l'htel Lambert, s'lve le pont Marie, au<br />
pied duquel atterrissait le fameux coche d'eau d'o des-<br />
cendit pour la premire fois Paris, le 19 octobre 1784,<br />
un tout jeune homme ple, au front volontaire et qui<br />
ouvrait de grands yeux profonds sur l'horizon de l'im-<br />
mense Ville : c'tait Bonaparte, lve de l'cole de<br />
Brienne, qui venait continuer ses tudes l'cole mili-
l'le saint-louis<br />
95<br />
le futur Csar eut de ce<br />
taire, et la premire vision que<br />
grand Paris qui devait l'acclamer, fut le chevet de Notre-<br />
Dame, la vieille et admirable Noire-Dame, la Notre-Dame<br />
du sacre de Napolon, qui dut, ce jour-l, 2 dcembre<br />
1804, faire abattre dix-huit maisons, afin que la pompe<br />
de son Couronnement pt s'y dployer sans obstacle et<br />
dans toute sa magnificence!<br />
On rencontre enfin, quai d'Anjou, un des plus beaux<br />
htels de l'ancien Paris, l'htel Lauzun, que la gnreuse<br />
initiative du Conseil municipal sauva de la destruction,<br />
l'htel Lauzun avec ses incomparables boiseries, ses<br />
vieilles dorures, son glorieux pass, et qui est destin<br />
devenir le muse du xvn e<br />
sicle (*).<br />
Dans ce vieux quartier de l'le Saint-Louis, au<br />
confluent des deux bras de la Seine, les peintres, les<br />
crivains, les potes ont de tout temps lu domicile :<br />
George Sand, Beaudelaire, Thophile Gautier, Grard de<br />
Nerval, Mry, Daubigny, Corot, Barye, Daumier, y firent<br />
de longs sjours. Le club des fumeurs de haschich tint<br />
ses sances l'htel Lauzun, et la Vierge mutile qui, du<br />
fond de sa niche, l'angle de la rue Le-Regrattier,<br />
jadis rue de la Femme-sans-Tte, a vu dfiler toute la<br />
Pliade romantique, continuera longtemps encore rece-<br />
voir la visite de tous les amoureux du Paris d'autrefois.<br />
C'est enfin du quai Bourbon qu'il faut se donner la<br />
(1) Ce beau projet n'a pu<br />
tre ralis. La ville de Paris a re-<br />
nonc son acquisition et a rtrocd l'htel au baron Pichon,<br />
fils du collectionneur clbre.
96 COINS DE PARIS<br />
joie de contempler l'un des plus beaux spectacles du<br />
monde : un coucher de soleil sur Paris.<br />
La grande masse violace de Notre-Dame profile son<br />
imposante et superbe silhouette sur l'or empourpr du<br />
ciel en feu. Toute la ville disparat sous un poudroiement<br />
de lumire rose, pendant que les grands toits du Louvre,<br />
la flche de la Sainte-Chapelle, les poivrires de la<br />
Conciergerie, la tour Saint-Jacques et les campaniles de<br />
l'Htel de Ville, tout ce paysage charg d'histoire,<br />
s'illumine des derniers clats du soleil son dclin : La<br />
Seine charrie de l'or en fusion.<br />
C'est une sublime apparition.
Non<br />
Construction du Panthon. (Fragment d'une aquarelle de Saint-Aubin.)<br />
Muse Carnavalet.<br />
LA RIVE GAUCHE<br />
moins que la Cit, la rive gauche est riche de sou-<br />
venirs. C'est l que l'occupation romaine a laiss les<br />
traces les plus profondes. On y trouve les arnes de<br />
Lutce, et surtout les Thermes de Julien, sauvs de la des-<br />
truction par le got et l'initiative de Du Sommerard, alors<br />
que ces ruines grandioses, servant de magasins<br />
des ton-<br />
neliers, allaient tre abattues, entranant dans leur chute<br />
le merveilleux htel de Cluny, ce bijou du xv e sicle. Des<br />
restes de substructions romaines ont t, tout rcem-<br />
ment, signals par la Commission du Vieux Paris, prs
100 COINS DE PARIS<br />
du Collge de France, rue Saint-Jacques<br />
et boulevard<br />
Saint-Michel, mais la gloire de la rive gauche, c'tait<br />
surtout l'Universit et la Sorbonne.<br />
11 en reste peu de choses aujourd'hui, de ces vieux<br />
murs, mais, il y a quelque dix ans, la montagne Sainte-<br />
Genevive gardait encore beaucoup du pittoresque de<br />
jadis.<br />
Ici la rue Saint-Jacques, avec ses bouquinistes et<br />
ses maisons du xvn e<br />
sicle, et surtout terrible souvenir<br />
la porte aux lourds battants du lyce Louis-<br />
le-Grand, o Robespierre,<br />
Camille Desmoulins et le<br />
futur marchal Brune avaient fait leurs tudes sous la<br />
direction du bon abb Berardier. Il tait bien noir, bien<br />
triste aussi, j'en conviens,<br />
le Louis-le-Grand de notre<br />
jeunesse avec ses cours verdtres, ses salles enfumes,<br />
ses chambres d'arrts, perches sous les toits, o l'on<br />
gelait si fort en hiver, et o l'on touffait si bien en t,<br />
ces arrts o la tradition rapporte que fut enferm Saint-<br />
Huruge; tout prs du cul-de-sac Saint-Jacques<br />
o des<br />
Auvergnats vendaient de si beaux bibelots, et de la petite<br />
rue Cujas remplie du bruit qui nous rendait rveurs<br />
fait par les tudiants tapageurs.<br />
Plus loin la Sorbonne, avec sa cour dalle, o nous<br />
attendions ples, fivreux, anxieux, l'apparition de la<br />
petite affiche blanche portant les noms de ceux de<br />
MM. les aspirants au baccalaurat admis subir leurs<br />
preuves orales , et l'on mourait de peur l'ide de<br />
comparoir devant le terrible M. Berns, comme on bnis-
LA RIVE GAUCHE 103<br />
sait les dieux d'avoir pour examinateur l'indulgent et<br />
spirituel If. Mzires, qui, lui du moins, n'a pas vieilli.<br />
COUR INTRIEURE DE 1,'COLE POLYTECHNIQUE.<br />
Eau-forie de Maartil.<br />
A quelques mtres, derrire Sainte-Barbe, se ren-<br />
contre la rue de la Montagne-Sainte-Genevive, si vivante,
104 COINS DE PARIS<br />
si grouillante avec ses vieux htels convertis en dispen-<br />
saires ou en locaux industriels, ses petits mtiers, ses<br />
bals-musette et enfin sa clbre cole polytechnique,<br />
chre tous les Parisiens, et qui met dans ce quartier<br />
un peu sombre sa note de joyeuse gaiet.<br />
Tout proche, voici la rue Clovis, o s'levait autrefois<br />
l'abbaye de Sainte-Genevive, dont la tour carre existe<br />
encore et fait regretter le reste; la rue Clovis o l'on<br />
retrouve dcrpit, tombant de vtust, comme enseveli<br />
sous les plantes grimpantes, les lichens, les lierres, les<br />
sauges et les mousses, un gros pan de mur d'aspect sau-<br />
vage, un reste de l'enceinte de Philippe-Auguste, cette<br />
ceinture de pierres, de grosses tours hautes et solides,<br />
derrire laquelle, pendant des sicles, les maisons, les<br />
palais, les collges, les glises, les abbayes s'entassrent,<br />
se serrant les unes contre les autres. L'glise Saint-<br />
Etienne-du-Mont ouvre son lgant portail, quelques<br />
mtres de la rue Clovis. D'illustres morts y furent<br />
inhums : Pascal, Racine, Boileau. Un crime s'y commit:<br />
Le 3 janvier 1858, le premier jour de la neuvaine de<br />
Sainte-Genevive, dont les reliques reposent dans une<br />
des chapelles latrales de l'glise, des cris affreux reten-<br />
tirent. On vient d'assassiner Monseigneur ,<br />
et bientt<br />
un homme ple, vtu de noir, les mains rouges de sang,<br />
apparut sur la place, tran par des agents qui venaient<br />
de l'arrter. Il se nommait Verger; la juridiction piscopale<br />
lui avait interdit d'exercer plus longtemps son
Dessin Je A. Maignan.<br />
RUE CI.OVIS KN 1867.
LA RIVE GAUCHE 107<br />
ministre sacerdotal et, pour se venger, le dtraqu<br />
avait plant son couteau dans le cur de Monseigneur<br />
Sibour, archevque<br />
de Paris !<br />
C'est aux premiers jours de janvier qu'il faut venir<br />
voir cette charmante glise :<br />
Une sorte de petite foire religieuse se tient devant le<br />
porche. Toute une librairie liturgique se dbite sous<br />
des parapluies semblables ceux qui, jadis, abritaient les<br />
marchands d'oranges, Rosiers de Marie, Miracles de<br />
Lourdes, Prcis des Neuvaines, Actes de foi, Actes de<br />
contrition, Vie des Saints, Glorifications de Bienheureux;<br />
on y vend des chapelets, des images saintes, des cartes<br />
postales dvotes, des rituels orthodoxes, des mdailles,<br />
des scapulaires malheureusement ces objets valent<br />
plus par le sentiment qui s'y rattache que par leur valeur<br />
artistique. Cela forme un dlicieux tableau parisien<br />
dans un des plus jolis dcors de la grande Ville.<br />
Au bout de la rue Clovis, se rencontre la rue du<br />
Cardinal-Lemoine o le peintre Le Brun possdait une<br />
ravissante demeure, encore debout au n 49, tapisse de<br />
lierre et de chvrefeuille, deux pas du collge des<br />
cossais, actuellement Institution Chevallier,<br />
converti, comme la plupart des maisons d'ducation, en<br />
prison pendant la Terreur. Saint-Just y fut amen, aprs<br />
avoir t mis hors la loi, le 9 thermidor, et ses amis<br />
vinrent l'y chercher huit heures du soir, ainsi que son<br />
collgue Couthon, enferm au Port-Libre (l'ancien couvent<br />
de Port-Royal). L'on se reprsente facilement, sur ces
COINS DE PARIS<br />
,,es raides de la rue Saint-Jacques, les gendarmes<br />
jrant autour du sige mcanique que faisait mouvoir<br />
creusement, l'aide de manivelles, l'impotent Couthon,<br />
dant l'Htel de Ville, lanc toute vitesse sur<br />
rs pavs, entour de sectionnaires affols, parmi<br />
ameurs, l'appel aux armes et le bruit du tocsin,<br />
jus des trombes d'eau, en plein orage, cet orage<br />
'i, dispersant les bandes Robespierristes campes<br />
our de l'Htel de Ville, permit aux troupes de<br />
., Convention d'envahir sans rsistance la Maison<br />
Commune.<br />
Une heure plus tard, Robespierre avait la mchoire<br />
fracasse par la balle de Merda, son frre se jetait par<br />
la fentre, Lebas se suicidait, Saint-Just,<br />
hautain et<br />
impassible, se laissait arrter sans mot dire, Couthon,<br />
aux jambes mortes, tait lanc sur un tas d'ordures,<br />
puis, inerte et sanglant, tir par les pieds jusqu'au<br />
parapet du quai, il faisait le mort . Jetons-le<br />
l'eau, hurlrent des voix froces. Pardon, citoyens,<br />
murmura Couthon, mais je vis encore . Alors on le<br />
rserva pour l'chafaud.<br />
Derrire Saint-tienne-du-Mont, il est un coin presque<br />
ignor des Parisiens : un petit clotre tapi tout contre<br />
l'abside de l'glise et qui renferme d'admirables vitraux<br />
de Pinaigrier, ce grand artiste, qui faisait payer, en 1568,<br />
la Parabole des Convis , vitrail trois compartiments,<br />
un chef-d'uvre, qui dcore la chapelle du Crucifix,
LA RIVE GAUCHE 109<br />
801<br />
92 livres 10 sous, y compris l'armature et le treillage<br />
en fer . < n9 q<br />
C'est un des refuges de posie et de recueillement^<br />
frquents et parfois si insouponns dans ce grande<br />
bruyant Paris, et quelle inoubliable impression /iwat<br />
quitter le quartier Latin rsonnant de rires, de jafesaas<br />
de chansons, pour s'enfoncer dans le petit clotre dusej^l<br />
plein de rve et de mlancolie, et si proche pourtant-de<br />
la place du Panthon, ensoleille et bruyante o,rJp<br />
27 juillet 1830, aux applaudissements du peuple etliie<br />
l'arme, un comdien du thtre de l'Odon, rc<br />
Besnard, replaait l'inscription Aux grands hommes la<br />
Patrie reconnaissante sur le beau temple difi par<br />
Soufflot, que la Restauration avait vou au culte de<br />
Sainte-Genevive.<br />
Le Panthon est certainement le monument parisien<br />
qui, le plus souvent, aura t baptis, dbaptis et<br />
rebaptis. lev, la suite d'un vu fait par Louis XV,<br />
malade Metz, sur les jardins dpendant de l'antique<br />
abbaye de Sainte-Genevive,<br />
d'une partie des fonds provenant des trois loteries qui,<br />
chaque mois, se tiraient Paris.<br />
il fut construit l'aide<br />
Soufflot, dont les plans grandioses avaient t agrs,<br />
entreprit ses travaux en 1755; vers 1764, l'difice commence<br />
se dessiner, et les Parisiens enthousiasms<br />
admirent ces somptueuses constructions qui modifient<br />
l'antique silhouette de leur cit. Mais des craquements,<br />
des fissures, des tassements se produisent; une folle
liO COINS DE PARIS<br />
terreur succde l'merveillement : Le monument va<br />
s'crouler et sa chute entranera une partie du vieux<br />
quartier de la Sorbonne . On taye. on remblaie, on<br />
solidifie, Paris respire; mais le pauvre Soufflot, dsespr,<br />
ne peut survivre tant de tragiques motions, il<br />
meurt en 1781, sans avoir pu achever son uvre.<br />
En 1791, l'Assemble constituante voue au Culte<br />
des Grands Hommes l'glise primitivement ddie<br />
Sainte-Genevive, et le corps de Mirabeau y<br />
est amen<br />
triomphalement au son du trombone et du tam-tam,<br />
dont les notes, violemment dtaches, arrachaient les<br />
entrailles et brisaient le cur , dit une relation de<br />
l'poque.<br />
Le Grand Tribun ne devait faire au Panthon<br />
c'tait le nom nouveau de l'glise dsaffecte qu'un<br />
court sjour, car le 27 novembre 1793, sur la propo-<br />
sition de Joseph Chnier, et aprs avoir tudi les pices<br />
trouves dans l'armoire de fer, pices qui ne laissaient<br />
aucun doute sur la grande trahison du comte de Mira-<br />
beau , la Convention, considrant qu'il n'y a pas de<br />
grand homme sans vertu, dcrte que le corps de Mirabeau<br />
sera retir du Panthon et que celui de Marat y<br />
sera inhum. La sentence fut excute nuitamment, et<br />
le vertueux Marat remplaa Mirabeau, pas pour<br />
longtemps, toutefois, car, quelques mois plus tard, le<br />
corps de Marat, dpanthonis son tour, fut jet<br />
la fosse commune du petit cimetire Saint-tienne-du-<br />
Mont. Voltaire et Rousseau connurent plus tard les hon-
LA RIVE GAUCHE 111<br />
neurs du iriomphe. Le corps de Voltaire, aprs avoir<br />
Saint-Aubin, del.<br />
LB PANTHON EN CONSTRUCTION.<br />
pass la nuit sur les ruines de la Bastille, avait t
112 COINS DE PARIS<br />
amen au Panthon sur un char triomphal, escort par<br />
cinquante jeunes filles, habilles l'antique par les soins<br />
de David, et par les artistes du Thtre- Franais en cos-<br />
tumes de scne. Les filles et la- veuve de l'infortun<br />
Calas marchaient derrire, prs du drapeau dchir de la<br />
Bastille. Pour faire de cet enterrement une fte inou-<br />
bliable, on avait tout prvu, sauf le temps. Un affreux<br />
orage s'abattit sur le cortge : Mrope, Lusignan, les<br />
Vierges, Brutus et les dlgations de la Politique, des<br />
Arts et de l'Agriculture, tremps jusqu'aux os, crotts et<br />
lamentables, durent s'empiler dans des fiacres ou<br />
s'abriter sous des parapluies.<br />
C'est ainsi que, le 12 juillet 1791, Voltaire fit son<br />
entre au Panthon !<br />
J.-J. Bousseau l'y suivit trois ans plus tard, le<br />
11 octobre 1794; son corps ramen d'Ermenonville, sous<br />
un berceau d'arbustes en fleurs, aux sons aimables du<br />
Devin du village , avait pass la nuit prcdente sur<br />
le bassin des Tuileries, transform pour<br />
la circonstance<br />
en Ile des Peupliers . Sans tre aussi pompeux que<br />
celui de Voltaire, son triomphe fut celui des mes sen-<br />
sibles ,<br />
et l'homme de la nature fut inhum suivant<br />
les rites qu'il avait lui-mme prescrits. Plus tard, Napolon<br />
peupla le Panthon avec les mnes d'obscurs sna-<br />
teurs et de quelques artistes, amiraux et gnraux. La<br />
seconde Bpublique, enfin, a dfinitivement vou l'di-<br />
fice au culte des grands hommes, c'est l que par une<br />
journe radieuse, le 3 mai 1885, le corps de Victor Hugo
Meunier, fecit.<br />
PROCESSION DEVANT SAINTE-GENEVIEVE.<br />
Muse Carnavalet.<br />
8
LA RIVE GAUCHE 115<br />
fut amen, dans l'humble corbillard des pauvres, aux<br />
acclamations d'un peuple immense, aprs avoir pass une<br />
nuit d'apothose sous l'Arc de Triomphe qu'il avait si<br />
noblement chant. Depuis, Baudin, le Prsident Carnot,<br />
La Tour-d'Auvergne, Emile Zola, y furent inhums, une<br />
admirable dcoration, uvre de nos meilleurs artistes<br />
contemporains, garnit les vastes murailles de cette<br />
ncropole. Puvis de Ghavannes, Humbert, Henri -Lvy,<br />
Cabanel, Jean-Paul Laurens y sont noblement reprsents,<br />
enfin, Edouard Dtaille, se surpassant lui-mme,<br />
a, dans une admirable envole d'art, voqu, sur une<br />
toile immense, une foudroyante chevauche des vieux<br />
cavaliers de la Rpublique et de l'Empire tendant vers<br />
l'image rayonnante de la Patrie les tendards ennemis,<br />
conquis par leur indomptable hrosme.<br />
Autour du Panthon c'tait, et c'est encore, un ddale<br />
de petites rues tasses et pauvres, peuples jadis par la<br />
clientle des collges, si nombreux en ce quartier<br />
Sorbonne.<br />
de la<br />
La rue des Carmes nous reste comme un parfait<br />
spcimen du pass, avec ses maisons dont les murs<br />
branlants s'tayent les uns contre les autres, ses faades<br />
qui tombent, ses escaliers dlabrs; et puis, par-ci par-l,,<br />
les restes d'une splendeur disparue, l'entre de deux<br />
importants collges, mus aujourd'hui en repaires de<br />
misre, en logis de pauvret. troite et bossue, la rue<br />
des Carmes monte pniblement entre des boutiques aux<br />
couleurs dlaves parles orages, fltries par la poussire
110 COINS DE PARIS<br />
et le vent; et cependant elle reste pleine de charme et<br />
de posie, cette rue minable, couronne, dans le haut,<br />
par la masse auguste du Panthon, et, dans le bas,<br />
encadrant de ses deux lignes de maisons noires, d'htels<br />
borgnes et de bals-musette, la flche lgante et fine<br />
de Notre-Dame qui se profile l'horizon sur le ciel<br />
clair.<br />
Ce fut l'angle de cette rue des Carmes et de la rue<br />
des Sept-Voies, non loin de l'glise Sainte-Genevive,<br />
que Georges Cadoudal sauta sept heures du soir, le<br />
9 mars 1804 dans le cabriolet qui devait le conduire<br />
la nouvelle cache que lui avaient prpare ses amis<br />
chez Caron, le parfumeur royaliste de la rue du Four-<br />
Saint-Germain. Georges tait troitement surveill, toute<br />
la police de Paris tait sur pied : il est reconnu, poursuivi<br />
par des inspecteurs de la Prfecture dont deux<br />
bondissent sur lui, l'angle de la rue Monsieur-le-Prince<br />
et de la rue de l'Observance. Il en tue un d'un coup de<br />
pistolet au front et blesse le second. Mais la foule<br />
ameute empche toute fuite, un chapelier du quartier<br />
se saisit du proscrit qui est tran chez le commissaire<br />
de police. Son calme, la dignit, l'esprit de ses rponses<br />
dconcertaient; comme on lui reprochait d'avoir tu un<br />
agent homme mari, pre<br />
de famille . Faites-moi<br />
dornavant arrter par des clibataires , rpliqua-t-il.<br />
Aprs qu'il eut reconnu le poignard saisi sur lui, on<br />
lui demanda si la marque grave sur la lame n'tait<br />
pas le contrle anglais. Je Tignore, rpondit-il, mais
LA RIVE GAUCHE 119<br />
je puis assurer que je ne l'ai pas fait contrler en<br />
France !<br />
Tout prs, voici le Luxembourg, palais et prison, le<br />
Luxembourg,<br />
o Marie de Mdicis donna de si belles<br />
ftes, o Gaston d'Orlans billa si fort, o la Grande<br />
Mademoiselle fronda en soupirant pour le beau Lauzun;<br />
o le comte de Provence prpara si habilement, avec<br />
M. d'Avaray, sa sortie de France, le mme soir que<br />
Louis XVI et Marie-Antoinette prenaient si mal leurs<br />
dispositions pour ce lugubre voyage qui devait les<br />
amener Varennes, le Luxembourg dont la cour servit<br />
de prau aux prisonniers qu'y entassa la Terreur, le<br />
Luxembourg<br />
d'o Camille Desmoulins crivit sa Lucile<br />
ces lettres dchirantes o la trace des larmes est encore<br />
visible, le Luxembourg o, quelques semaines plus tard,<br />
Robespierre tait amen comme prisonnier et o,<br />
faute de place , le concierge Hally<br />
se refusait le<br />
recevoir, le Luxembourg o le peintre David, aprs<br />
Thermidor, peignait, de son cachot, l'alle ombreuse o<br />
il pouvait apercevoir ses enfants jouant au ballon, le<br />
Luxembourg de Barras, de Bonaparte, des ftes du Direc-<br />
toire, le Luxembourg aussi de Nodier, de Sainte-Beuve,<br />
de Murger, de Michelet, des tudiants, des travailleurs et<br />
de la bohme, des chansons du bon Nadaud et de Mimi<br />
Pinson, prs de Bullier et de la Closerie des Lilas, et<br />
aussi de l'Observatoire et du sinistre mur tigr de<br />
balles , o tomba le marchal Ney. Partout, toujours ce<br />
mlange de gaiet et de douleur, de rires et de sang.
120 COINS DE PARIS<br />
C'est que chaque rue, chaque carrefour, chaque maison<br />
presque, a vu dfiler quelque sombre cortge ou clbrer<br />
quelque fte de victoire.<br />
Sur tous ces vieux murs noirs de Paris, des mains de<br />
femmes ou d'artistes ont su placer des fleurs ou des<br />
cages d'oiseaux, et il n'est si triste ruelle qui<br />
lie recle<br />
un peu de posie et de rve, des girofles et des<br />
chansons.<br />
La prison des Carmes est proche, rue de Vaugirard,<br />
l'angle de la rue d'Assas, et le dcor est rest intact<br />
qui servit l'horrible drame des gorgements de 1792.<br />
On retrouve encore, au pied de l'escalier, le carrelage<br />
de la petite pice o entre deux couloirs, Maillard plaa<br />
la chaise et la table qui constiturent le tribunal sanglant<br />
des massacres de Septembre; le balcon, tapiss de<br />
plantes grimpantes, par o dbouchrent les malheureux<br />
qui tombaient assomms, lards de coups de pique, ou<br />
que l'on tirait dans le grand jardin ; et l'on peut lire,<br />
au premier tage, sur le mur qui porte l'empreinte<br />
rouge des sabres dgouttant de sang<br />
dont se servirent<br />
les tueurs, les signatures des belles prisonnires qui,<br />
pendant de longs jours, anxieuses, terrifies, attendaient<br />
chaque soir le fatal bulletin de comparution au Tribunal<br />
: Mesdames d'Aiguillon, Terezia Cabarrus-Tallien,<br />
Josphine de Beauharnais. A cette poque, Tallien,<br />
suspect lui-mme, tranant aprs lui une meute d'espions,<br />
rdait du soir au matin autour de celte sinistre prison
VS<br />
w<br />
&<br />
w<br />
ri
LA RIVE GAUCHE 123<br />
o tait enferme la femme qu'il aimait. Un jour il<br />
trouva sur sa table, 17, rue de la Perle, un poignard<br />
qu'il reconnut, un bijou d'Espagne familier aux mains de<br />
Terezia. C'tait un ordre impratif, et le 7 thermidor ce<br />
billet lui fut remis de la Force : L'administrateur<br />
de police sort d'ici. Il est venu m'annoncer que demain<br />
je monterai au Tribunal, c'est--dire sur l'chafaud.<br />
Cela ressemble bien peu au rve que j'ai fait cette<br />
nuit : Robespierre n'existait plus et les prisons taient<br />
ouvertes... Mais, grce votre insigne lchet, il ne se<br />
trouvera bientt plus personne en France capable de le<br />
raliser!<br />
En effet, la belle Terezia, vise particulirement par<br />
le Comit, avait t mystrieusement transfre des<br />
Carmes la Force, c'est de l qu'elle faisait parvenir<br />
ce testament de vengeance et de mort. Alors Tallien<br />
jura de sauver la Patrie; la Patrie, pour lui,<br />
c'tait la<br />
femme qu'il adorait : fou d'amour et de rage, exploitant<br />
contre Robespierre toutes les rancunes, toutes les<br />
terreurs, toutes les haines, il passait la nuit et la<br />
journe du 8 prparer cette terrible et tragique sance<br />
du 9 thermidor, ce duel mort entre deux partis. Il<br />
en appelait Fouch, Collot d'Herbois, comme<br />
Durand-Maillane et Louchet, Cambon comme<br />
Vadier, Thuriot comme Legendre, ce qui restait<br />
des Dantonistes comme aux ternels trembleurs du<br />
Marais, puis bondissait la tribune un poignard la<br />
main, menaant Robespierre, nerveux, inquiet, affol,
124 COINS DE PARIS<br />
sentant sa toute-puissance s'effondrer, et obtenait enfin,<br />
aprs une effroyable lutte de cinq heures, ce terrible<br />
dcret de mise hors la loi qui jetait sous le couteau de<br />
Sanson ceux-l mmes qui, depuis deux ans, avaient<br />
fauch la Convention.<br />
En face du Luxembourg, la rue de Tournon o<br />
habitrent Throigne de Mricourt et M lle<br />
Lenormand;<br />
la comtesse d'Houdetot logeait au n 12, dont l'aspect<br />
s'est peine modifi ; s'il revenait errer dans ces parages,<br />
Jean-Jacques Rousseau retrouverait, presque intact,<br />
le logis de sa grande passion. Voici la rue Servan-<br />
doni, une sombre et humide ruelle, cache sous les<br />
murs de Saint-Sulpice, o Gondorcet trouva pendant la<br />
Terreur, chez M me Vernet, au n 15, un refuge inacces-<br />
sible. C'est l qu'il termina, dans quelles horribles<br />
son Tableau des progrs de l'esprit humain :<br />
conditions,<br />
Sa femme vivait Auteuil, elle y faisait des portraits au<br />
pastel. Nulle industrie ne prospra davantage<br />
sous la<br />
Terreur : Chacun se htait de fixer sur la toile une<br />
ombre de cette vie si peu sre , a dit Michelet. Le<br />
6 avril 1794, son travail achev, Condorcet, vtu comme<br />
un ouvrier, la barbe longue, le bonnet enfonc sur la<br />
tte, un Horace sous le bras et, dans sa poche, le<br />
poison librateur que lui avait prpar Cabanis,<br />
s'chappa de chez M me Vernet. Tout le jour il erra dans<br />
la campagne, du ct de Fontenay-aux-Roses ; il esprait<br />
trouver chez des amis, M. et M me Suard, un asile qui lui<br />
fut refus. Il passa la nuit dans les bois, puis le len-
u I
LA. RIVE GAUCHE 127<br />
demain, mourant de faim, l'air gar, il entra dans un<br />
cabaret de Clamart. Il mangeait avidement en lisant son<br />
cher Horace. Interrog, suspect, il est tran au district,<br />
on le hisse sur une haridelle, et c'est dans cet quipage<br />
que ce grand homme fut conduit la maison d'arrt de<br />
Bourg-la-Reine. Le lendemain, au petit jour, en pntrant<br />
dans le cachot, les geliers se heurtrent un<br />
cadavre. Le poison avait termin cette noble existence<br />
de travail, de gloire et de misre.<br />
Saint-Sulpice dresse au-dessus de ce quartier tran-<br />
quille ses deux tours ingales sur lesquelles Chappe<br />
planta les grands bras de son tlgraphe arien. C'est<br />
dans la belle sacristie de cette imposante glise, sacristie<br />
demeure intacte avec ses admirables boiseries, que<br />
Camille Desmoulins signa au registre des mariages,<br />
son adore<br />
lorsque, le 29 dcembre 1790, il pousa<br />
Lucile Duplessis. Quel roman que ce mariage, aussi<br />
Paris s'crasait-il aux grilles de Saint-Sulpice pour voir<br />
dfiler le cortge; l'on flicitait les maris,<br />
et l'on<br />
acclamait les tmoins aux noms dj populaires : Sillery,<br />
Ption, Mercier et Robespierre. Puis, par la rue de<br />
Cond, on remonta djeuner chez Camille, n 1, rue du<br />
Thtre-Franais (aujourd'hui n 38, rue de l'Odon), au<br />
troisime tage. C'est l que, le 20 mars 1794, le jour de<br />
la mort de sa mre, il fut arrt,<br />
faiteur, et conduit tout prs, au Luxembourg.<br />
li comme un mal-<br />
Le 5 avril<br />
Camille tait excut aux acclamations de ce peuple qui<br />
l'avait tant adul. Lucile le suivit sur l'chafaud huit
128 COINS DE PARIS<br />
jours de distance! Ils avaient jur de s'aimer la vie,<br />
la mort... L'idylle finit dans le sang.<br />
Autour de Saint-Sulpice, se trouvent la rue Frou, la rue<br />
Cassette, la rue Garancire, la rue Monsieur-le-Prince,<br />
la rue Madame, aux noms antiques, l'aspect provincial,<br />
muets et dvots quartiers aux allures monastiques et<br />
quasi mystrieuses et par cela mme pleins d'un charme<br />
infini.<br />
On y entend de tous cts des cloches conventuelles,<br />
des sonneries liturgiques; les rares boutiques d'aspect<br />
svre y sont voues aux commerces religieux : on y<br />
trouve des chasubliers, des marchands d'images saintes,<br />
de livres et d'orfvreries d'glise. Derrire de longs murs<br />
sombres, la fuse de verdure, le panache d'un arbre<br />
dbordant joyeusement fait songer de grands jardins<br />
abandonns, trs sauvages, pleins de fleurs et d'oiseaux<br />
o de pieuses personnes et de vieilles gens se promnent<br />
en priant, en rvant ou en regrettant les temps<br />
qui ne sont plus!<br />
Dans cet immense Paris, bruyant, persifleur, affol<br />
de bruit et de mouvement, de tramways et de Mtro ,<br />
c'est le refuge du pass, le quartier de la prire, du<br />
silence et de l'oubli ;<br />
l semblent vivre encore quelques<br />
voix dolentes des regrets du pass, qui sonnent le couvre-<br />
feu ,<br />
Tombe.<br />
disait Chateaubriand dans ses Mmoires d'Oulre-<br />
Les vieux htels y abandonnent.<br />
Dans la seule rue de Varenne, chaque portail voque
LA RIVE GAUCHE 131<br />
les plus illustres noms de la noblesse de France : Broglie,<br />
Bourbon, Cond, Villeroy, Castries, Rohan-Chabot,<br />
Tess, Bthune-Sully, Montmorency, Roug , Sgur,<br />
Aubeterre, Narbonne-Pelet, etc.. Quelques-uns des htes<br />
de ces aristocratiques demeures se retrouvrent cer-<br />
tainement dguiss, travestis en maquignons, en tou-<br />
cheurs de bufs, en paysans, en manouvriers, dans<br />
cette auberge de la Coupe d'Or, l'angle de la rue de<br />
Varenne, clbre dans l'histoire de la Chouannerie.<br />
Les hros de Tournebut, l'uvre charmante de mon<br />
cher ami Lentre, le plus passionn comme le plus pas-<br />
sionnant des historiens y sont descendus. Ce fut l'un<br />
des rendez-vous des affids de Georges Cadoudal, qui<br />
se ru-<br />
lui-mme s'y cacha maintes fois; l galement<br />
nirent les conspirateurs royalistes pour y prparer, en<br />
vendmiaire an IV, les dispositions relatives l'enlve-<br />
ment de la Convention.<br />
Tout prs, rue des Cannettes, autre rendez-vous<br />
d'migrs et de chouans, chez le parfumeur Caron, o se<br />
trouvait une cache fameuse. Hyde de Neuville, dans<br />
ses pittoresques mmoires, nous rapporte qu'il suffisait<br />
de se glisser derrire le tableau qui servait d'enseigne<br />
la parfumerie, tableau qui surplombait la rue, puis de<br />
rabattre sur soi l'un des volets de la chambre contigu,<br />
et toute la police de Fouch pouvait impunment fouiller<br />
la maison, ce dont d'ailleurs elle ne se fit pas faute.<br />
Puis nous rencontrons l'Odon, le vieil Odon,
132 COINS DE PARIS<br />
toujours solide malgr les plaisanteries sans nombre<br />
dont il fut l'objet, avec ses galeries fameuses o, depuis<br />
bien des annes, les flneurs vont consulter les der-<br />
nires productions de la littrature contemporaine. Que<br />
de longues slations devant tous ces bouquins feuillets<br />
GALERIE DE L ODEON RUE ROTROU).<br />
d'un doigt, parcourus de profil en entre-billant deux<br />
pages non encore coupes!<br />
C'est sous trois arcades de cette galerie Odonesque<br />
qu'en 1873 s'installa bien modestement le trs aimable<br />
diteur Ernest Flammarion, associ avec Ch. Marpon.<br />
Travailleurs infatigables, bienveillants et spirituels, ils<br />
puisaient des trsors d'ingniosit pour faire tenir<br />
dans un trop petit espace tous les beaux et bons livres
RUE DE 1,'COLE DE MDECINE EN 1866.<br />
Anoienne rue des Cordeliers.<br />
(C'est dhns la maisonnette qui suit la maison tourelle que ManU fut assassine.)<br />
Dessin de A. Maignan.
qu'ils aimaient si fort et qu'ils<br />
aimer.<br />
LA. RIVE GAUCHE 435<br />
savaient si bien faire<br />
Mais bientt les trois arcades furent vraiment insuf-<br />
fisantes, et progressivement, l'infatigable Flammarion<br />
envahit deux des cts du vaste monument, avant de<br />
conqurir Paris et d'y installer tant de librairies. Il avait<br />
ses fidles : un vieil amateur peu fortun lui a avou<br />
avoir lu entirement l'talage L'Origine des Espces, de<br />
Darwin (450 pages) !<br />
D'autres clients moins scrupuleux ont parfois em-<br />
port le volume commenc, mais le bon Flammarion a<br />
pour ces distraits des trsors d'indulgence<br />
dsir de s'instruire l'emporte sur leur dlicatesse!<br />
: Le<br />
murmure-t-il en manire d'excuse, et il passe philo-<br />
sophiquement, avec un sourire indulgent,<br />
larcins aux profits et pertes !<br />
ces modestes<br />
Par la rue de l'cole-de-Mdecine, en passant devant<br />
le Muse Dupuytren qui fut autrefois le rfectoire du<br />
couvent des Cordeliers, nous gagnons le boulevard Saint-<br />
Germain, dont la perce supprima tant de prcieux<br />
souvenirs : le logis o fut assassin Marat, le collge<br />
Mignon et l'abbaye de Saint-Germain, dont la faade<br />
s'ouvrait devant cette suite de vieilles maisons aux<br />
tranges pignons qui ont, jusqu' prsent, chapp aux<br />
ingnieurs.<br />
Ces maisons sinistres ont entendu les cris<br />
des victimes des massacres de Septembre ;<br />
claires par le reflet des quatre-vingt-quatre pots<br />
elles furent<br />
feu
136 COINS DE PARIS<br />
que fournit le sieur Bourgain, chandelier du quartier,<br />
afin que les familles des massacreurs et les amateurs<br />
de beaux spectacles pussent venir contempler l'ouvrage;<br />
les boutiquiers du quartier, tmoins bienveillants,<br />
donnaient des dtails. Elles ont vu Billaud-Varennes,<br />
fliciter les travailleurs et leur distribuer de<br />
bons de vin. Elles ont vu sortir Maillard, dit Tape-<br />
Dur, qui, sa besogne faite, les mains croises derrire<br />
les pans de sa longue redingote grise, regagnait pai-<br />
siblement sa demeure comme un bon employ sortant<br />
de son bureau, en toussant, car il avait la poitrine<br />
dlicate.<br />
Ce sont, avec le presbytre actuel, les seuls tmoins<br />
qui restent de cette pouvantable tuerie.<br />
Tout prs de l s'ouvrait autrefois le passage du<br />
Commerce, o retentirent les crosses de fusils des sec-<br />
tionnaires qui, au petit jour, vinrent arrter Danton<br />
pour le conduire au Luxembourg;<br />
il est facile de s'ima-<br />
giner ce que dut tre cette heure de terreur, d'affole-<br />
ment, de stupfaction. Arrter Danton! le Titan de la<br />
Rvolution, celui dont la formidable loquence avait<br />
fait sortir de terre quatorze armes! le Danton du<br />
10 aot, Danton jusqu'alors intangible. Ce mme matin,<br />
les porteurs d'ordre du tribunal avaient incarcr Camille<br />
Desmoulins, si cruellement spirituel; le Camille du<br />
Palais-Royal, de la Lanterne, des Rvolutions de France et<br />
le Camille enfin du Vieux<br />
du Brabant, du Brissoi dvoil;
LA RIVE GAUCHE 137<br />
o il<br />
Cordelier, ce chef-d'uvre d'esprit et de courage<br />
osa parler de clmence Robespierre et de respect<br />
humain l'ignoble Hbert! Sur l'emplacement de la<br />
DEMOLITIONS SUR L ACTUEL EMPLACEMENT DU BOULEVARD SAINT-GERMAIN.<br />
maison de Danton s'lve aujourd'hui la statue du tribun ;<br />
nous regrettons la maison (*).<br />
(1) Notre matre regrett, Victorien Sardou, avait acquis le fronton<br />
de bois sculpt qui surmontait<br />
Madame Sardou et ses enfants ont<br />
la porte du logis de Danton.<br />
bien voulu disposer de cette<br />
prcieuse relique parisienne<br />
grces leur soient ^rendues.<br />
><br />
en faveur du Muse Carnavalet :
138 COINS DE PARIS<br />
La cour de Rohan (qui devrait s'crire de Rouen, car<br />
elle dpendait, au xv e<br />
sicle, de l'ancien htel possd<br />
par le cardinal de Rouen) rejoint le passage du Com-<br />
merce, deux pas de la librairie o le philanthropique<br />
docteur Guillotin essaya sur un mouton le couperet de sa<br />
machine dcapiter ; la cour de Rohan si pittoresque,<br />
si curieuse, o reste encore le puits de la maison<br />
qu'habita Coictier, le mdecin de Louis XI; o l'on<br />
retrouve le pas de mule dont se servaient, pour des-<br />
cendre de leurs montures, les docteurs en Sorbonne qui<br />
frquentaient en ce quartier, et qui gardait une trs<br />
ancienne muraille supportant un jardin plant de lilas<br />
et de gazon hlas disparu depuis Tan dernier.<br />
Cette muraille tait, comme celle de la rue Clovis, un<br />
dont la<br />
fragment du mur d'enceinte de Philippe-Auguste<br />
base d'une des tours se retrouve encore passage du<br />
Commerce, au n 4, . chez un serrurier qui y a install<br />
sa forge !<br />
Les maisons y sont vieilles, dlabres, sordides, mais<br />
d'un pittoresque achev; les plus tranges industries y<br />
fleurissent, et l'on y pouvait dernirement lire cette<br />
annonce bien parisienne : On demande des petites<br />
mains pour fleurs et plumes , ct de la plaque<br />
indicatrice du journal le Ciel, au quatrime, la porte<br />
gauche!<br />
La rue de l'Ancienne- Comdie (jadis rue des Fosss-<br />
Saint-Germain), est toute proche;<br />
dans une cave ses presses et son imprimerie. Au n 14,<br />
l Marat avait install
LA COUR DE HOHAX EN 1901.<br />
Aquarelle de D. Bourgoin.
LA RIVE GAUCHE 141<br />
un marchand<br />
dans la cour d'un vieil htel occup par<br />
de papiers peints, s'levait jadis la salle mme du<br />
. . . .<br />
SAU.E DE L'ANCIEN THATRE-FRANCAIS.<br />
Thtre-Franais. La grande porte d'entre, les escaliers<br />
desservant les loges d'artistes, les coulisses, le plancher<br />
inclin de la salle, les frises mmes subsistent encore.
142 COINS DE PARIS<br />
Les comdiens du Roi y jourent, le 18 avril 1689,<br />
Phdre et le Mdecin malgr lui, et y donnrent leurs<br />
reprsentations jusqu'en 1770.<br />
Les encyclopdistes, d'Alembert, Diderot et ses amis,<br />
se runissaient en face, au caf Procope,<br />
dont subsiste<br />
encore un beau balcon de fer, d'o il tait charmant<br />
de voisiner avec le balcon de la Comdie. Le caf Procope,<br />
clbre au xvme sicle, le fut encore sous le second<br />
Empire : Gambetta, en 1867, la veille du procs Baudin,<br />
y lanait devant la jeunesse des coles, vibrante d'en-<br />
thousiasme,<br />
les clairs et les tonnerres de son admirable<br />
loquence. Le grand tribun habitait, en 1859, n 7, rue<br />
de Tournon, l'htel du Snat et des Nations, qui existe<br />
encore. Sa petite chambre avait une admirable vue sur<br />
les toits de Paris. Elle n'a pas t modifie.<br />
Tout prs de l, rue Bourbon-le-Ghteau, n 1, le<br />
23 dcembre 1850, deux malheureuses femmes furent<br />
assassines. L'une d'elles, Mlle Ribault, dessinatrice au<br />
Petit Courrier des Dames, dirig par M. Thiry, eut la<br />
force d'crire sur un paravent avec son doigt tremp<br />
dans son : sang L'assassin, c'est le commis de M. Thi... .<br />
Ce commis, Laforcade, fut arrt le lendemain.<br />
Que de coins dlicieux, presque ignors des Parisiens,<br />
renferme encore cette Rive gauche.<br />
Ils ne sont pas jamais disparus, ces grands jardins<br />
ces htels sculaires enfouis dans des<br />
mlancoliques,<br />
rues o l'herbe pousse et dont les nobles mais tristes
LA RIVE GAUCHE 143<br />
faades ne laisseraient jamais deviner les richesses qu'ils<br />
contiennent. Beaucoup se rencontrent aux alentours de<br />
l'htel des Invalides. D'autres existent rue Vaneau, rue<br />
Bellechasse, rue de Varenne, rue Saint-Guillaume, rue<br />
Bonaparte; on en rencontre encore rue Visconti, et cette<br />
ruelle troite et sombre compte<br />
d'illustres souvenirs. La<br />
Champmesl,<br />
trent l'htel de Ranes, bti sur l'emplacement du Petit-<br />
la Clairon et Adrienne Lecouvreur habi-<br />
Pr-aux-Glercs, et J. Racine y mourut en 1697; cette<br />
maison qui porte le n 21, est aujourd'hui une pension<br />
de jeunes filles! Enfin, au n 17, le grand Balzac<br />
fonda l'imprimerie o il se ruina et dont plus tard Paul<br />
Delaroche fit son atelier. C'est l que se passa<br />
le drame<br />
sentimental et commercial dont MM. Hanoteauxet Vicaire<br />
nous ont cont, d'loquente faon,<br />
poignante histoire.<br />
Toutes ces maisons vocatrices,<br />
l'inoubliable et<br />
tous ces souvenirs<br />
sont encore visibles mais combien peu de Parisiens les<br />
connaissent!<br />
Quai Voltaire ex-quai<br />
des Thatins habitrent<br />
Vivant-Denon, Ingres, Alfred de Musset, le prsident<br />
Perrault, Chamillard, Gluck, et Voltaire... qui y mourut<br />
et dont le cadavre, revtu d'une robe de chambre, sou-<br />
tenu par des courroies, comme un voyageur endormi,<br />
partit nuitamment, dans le fond d'une berline de voyage,<br />
le 30 mai 1778, de la cour de l'htel de M. de Villette,<br />
(dont l'entre se trouve toujours rue de Beaune), pour tre<br />
inhum hors Paris, l'abbaye de Scellires, en Champagne.
144 COINS DE PARIS<br />
L'appartement o s'teignit Voltaire n'a pas t<br />
modifi, la dcoration est reste presque intacte avec<br />
ses trumeaux, ses plafonds peints et ses petits salons de<br />
glaces pris dans l'paisseur des murs.<br />
L'Institut est tout proche, mais ce n'est pas un jour<br />
ordinaire qu'il convient de tenter la silhouette de l'ancien<br />
Collge des Quatre-Nations; c'est un jour de grande<br />
sance, un jour de rception sensationnelle, alors que<br />
les jolies toilettes des plus lgantes Parisiennes y<br />
frlent les habits verts des Acadmiciens. D'un ct,<br />
la beaut, le charme, la grce; de l'autre, les plus<br />
nobles intelligences, les plus illustres noms de la<br />
Littrature, des Arts, des Sciences. C'est la grande fte<br />
intellectuelle de la France dans l'un des plus jolis dcors<br />
de Paris.<br />
Mais le document presque inconnu c'est en haut<br />
des interminables escaliers de l'Institut qu'il faut<br />
aller le chercher, dans les combles mmes du palais,<br />
en visitant les troites logettes o l'on renfermait<br />
jadis les candidats au prix de Rome pour le concours<br />
de musique.<br />
Dans ces chambrettes, que refuseraient les somp-<br />
tueux prisonniers de Fresnes-les-Rungis, sur ces tristes<br />
murs dcrpits, les plus beaux talents de notre cole<br />
moderne ont laiss trace de leurs passages : musique,<br />
vers, dessins, penses d'ordres varis. Je n'oserais, je<br />
l'avoue, reproduire, mme expurgs, les grafiti que la<br />
rage d'tre enferms sous clef, loin du pav de Paris,
H .2<br />
?
LA BIVE GAUCHE 147<br />
loin des amis... et des amies, ont inspir ces char-<br />
mants artistes. Saint-Sans rougirait certainement, la<br />
grande ombre de Bizet serait trouble, notre illustre et<br />
spirituel Massenet renierait srement ses vigoureuses<br />
apostrophes, et je serai discret, n'importe..., c'est<br />
bien amusant, bien drle, bien gaulois.<br />
Entre l'htel des Monnaies et le lion-caniche de<br />
l'Institut ( l'abri duquel, si nous en croyons ses joyeux<br />
mmoires,<br />
Alexandre Dumas contribua si vaillamment<br />
au triomphe de la Rvolution de 1830), s'enfonce une<br />
petite place d'aspect provincial; Madame Permon, mre<br />
de la future Madame Junot, Duchesse d'Abrants, y habita<br />
jusqu' la Rvolution. C'est dans cet htel, l'angle de<br />
gauche, au troisime tage, dans une petite pice mansarde,<br />
que logeait s'il faut en croire ses mmoires<br />
Bonaparte pendant ses trs rares sorties de l'cole militaire.<br />
Les belles boiseries sculptes sont encore aux<br />
murs du salon situ au rez-de-chausse et donnant sur<br />
la Seine, o le futur Csar venait conter ses espoirs;<br />
et la chemine de marbre est toujours la mme place,<br />
il y faisait scher ses grosses bottes rapices et qui<br />
fumaient beaucoup , nous apprend cette bavarde<br />
Madame d'Abrants. Ainsi, tout en rvant, le petit sous-<br />
lieutenant pouvait de la fentre voir en face de lui le<br />
palais d'o, pendant tant d'annes, il devait rgler en<br />
conqurant<br />
les destins du monde bloui.<br />
Devant l'Institut s'ouvre le Pont des Arts. La vision<br />
y est ferique : c'est la Seine, le plus gai, le plus mou-
1 COINS DE PARIS<br />
vement des fleuves, encombre par l'incessant va-etvient<br />
des bateaux-mouches, des remorqueurs, des cha-<br />
lands, des barques ; le ciel gris ou bleu s'y<br />
reflte et ses<br />
eaux coulent majestueusement entre deux quais ver-<br />
LES CARDEUSES DE MATELAS<br />
Eau-forte de A. Lepre.<br />
doyants, couronns par les botes des bouquinistes et<br />
habits par la plus pittoresque des populations.<br />
Que d'tranges mtiers sur ces berges! Barbiers pour<br />
mariniers et tondeurs pour chiens, dchargeurs de<br />
bateaux et tireurs de sable, douaniers et cardeurs de
' .2<br />
M fc .|
LA RIVE GAUCHE 151<br />
matelas, pcheurs la ligne, amateurs de bains froids,<br />
blanchisseuses de bateaux-lavoirs, c'est une population<br />
BERGES DE LA SEINE<br />
Lithographie de A. Lepre.<br />
part ayant ses murs, ses habitudes, son langage particulier;<br />
et dans quel cadrejnerveilleux vit ce petit monde<br />
bizarre entrevu du Pont des Arts !
152 COINS DE PARIS<br />
D'un ct on dcouvre le Louvre et les frondaisons<br />
Fragmenlrd'une<br />
aquarelle de Baltard Muse Carnavalet.<br />
ENTRKE DU GUICHET DU LOUVIiE.<br />
vertes des Tuileries et des Champs-Elyses, avec,
LA RIVE GAUCHE 155<br />
l'horizon, les minarets du Trocadro et les hauteurs de<br />
Ghaillot; de l'autre, c'est tout l'ancien Paris, une suite<br />
de monuments aurols de souvenirs : le Palais de<br />
Justice, la Conciergerie, la Sainte-Chapelle, Notre-Dame,<br />
Saint-Germain-PAuxerrois, Saint-Gervais, Saint-Paul, la<br />
Pointe de la Cit.<br />
La nuit, ces nobles silhouettes vocatrices prennent<br />
UNE VUE DE SEINE. *v*^*'<br />
Robert Dupont, del.<br />
' -<br />
une majest plus imposante encore : les tares modernes,<br />
les badigeons criards, les annonces hontes, s'effacent.<br />
La lune tend sur ces vieux murs sa dlicate lumire<br />
blanche, et un Paris d'argent surgit dans la nuit noire.<br />
Parfois encore, sous le ciel rougi par l'orage, se dresse<br />
une ville toute sombre dont les coups de foudre dcou-<br />
pent seuls l'immense et tragique vision!
156 COINS DE PARIS<br />
C'est Paris qui rit au soleil ou Paris qui surgit dans<br />
la nuit !<br />
En redescendant du ct de la Seine, par ces rues si<br />
pittoresques qui entourent l'Institut, la rue Dauphine,<br />
la rue de Nesles, la rue Mazarine, nous rencontrons,<br />
rue Contrescarpe-Dauphine, actuellement rue Mazet,<br />
les restes de l'ancienne auberge du Cheval-Blanc. Les<br />
curies y existent encore avec leurs vieilles mangeoires<br />
et leurs pittoresques auvents. Elles datent de Louis XIV;<br />
alors, chaque semaine, cette vaste cour s'emplissait de<br />
voyageurs qui se rendaient Orlans et Blois, et la<br />
lourde voiture s'branlait dans un nuage de poussire, au<br />
milieu de claquements de fouet, d'appels de cornet, de cris<br />
d'adieux, de mouchoirs agits; les chevaux piaffaient,<br />
les femmes pleuraient, les chiens aboyaient, les postil-<br />
lons juraient... Aujourd'hui, la vie s'est teinte, mais le<br />
dcor est demeur, vieillot, impressionnant, toujours<br />
charmant, ce point que le matre Massenet, tout mu,<br />
y murmurait un matin : C'est srement ici que Manon<br />
a d d<br />
descendre du coche ( )!<br />
La maison voisine fut autrefois le restaurant Magny,<br />
chez qui se donnrent ces clbres dners dont Goncourt<br />
(1) Hlas, cette indication n'est plus exacte : depuis le jour o<br />
nous crivions ces lignes, la cour du Cheval Blanc si dlicieusement<br />
vocatrice n'existe plus... Le pic du dmolisseur a miett<br />
tous ces jolis souvenirs et une maison moderne immense, con-<br />
fortable et hideuse a remplac l'ancienne auberge du xvi e sicle !
LA RIVE GAUCHE 159<br />
parla si souvent dans ses Mmoires et qui runissaient<br />
Renan, Sainte-Beuve, George Sand, Flaubert, Thophile<br />
Gautier, Gavarni et tant d'autres.<br />
Tout proche et faisant communiquer la rue Maza-<br />
rine, o jourent Molire et sa troupe, avec la rue de<br />
Seine, traversons le passage du Pont-Neuf, lev sur<br />
l'ancienne entre du thtre, et o Zola plaa son ter-<br />
rifiant roman Thrse Raquin.<br />
Que voici donc un coin typique, sordide, noir et<br />
puant, mais trangement pittoresque, avec ses marchands<br />
de pommes de terre frites et ses mouleurs italiens.<br />
Les boutiques qu'il contient semblent dater d'un autre<br />
ge; une seule tait encore achalande il y a quelques<br />
mois, celle du marchand de papier dessin. Le matre<br />
Bonnat nous racontait y avoir achet son papier Ingres ,<br />
alors qu'il tait lve dans cette cole des Beaux-Arts<br />
dont il est aujourd'hui le trs minent Directeur. La<br />
boutique tait reste la mme depuis soixante ans et<br />
la marchande assurait que les tortillons estomper,<br />
qu'elle y dbitait, taient identiquement ceux dont se<br />
servait Monsieur Flandrin . Devant nous, l'Institut,<br />
dont il nous est impossible de longer l'interminable<br />
mur noir qui le ferme du ct de la rue Mazarine, sans<br />
songer ce douloureux passage de la prface du Fils<br />
Naturel, o Dumas fils, racontant son enfance, voque<br />
le souvenir du retour de la premire reprsentation,<br />
l'Odon, de Charles VIF chez ses grands vassaux, le<br />
20 octobre 1831.
160 COINS DE PARIS<br />
La soire avait t houleuse et le succs plus que<br />
douteux. C'tait donc la continuation de la misre.<br />
Alexandre Dumas avait de lourdes charges supporter :<br />
sa mre, un mnage, un enfant;<br />
il fallait vivre et faire<br />
vivre les autres avec les modestes appointements que<br />
lui rapportait sa place d'employ la liste civile de<br />
M. le duc d'Orlans. Il doutait non pas de lui, mais de<br />
son toile; et Dumas fils revoyait toujours la grande<br />
ombre de son pre se profilant sous un coup de lune<br />
sur ce mur humide et mlancolique de l'Institut, et lui,<br />
craintif, devinant les angoisses paternelles et s'efforant<br />
de suivre, avec ses petites jambes de huit ans, les grandes<br />
enjambes du bon gant!<br />
En 1791, Madame Roland logeait l'htel Britan-<br />
nique, rue Gungaud; elle y tenait salon politique !<br />
Quel plaisir pour la petite Manon de montrer tout ce<br />
quartier du Pont-Neuf o s'tait coule son enfance,<br />
qu'elle tait devenue une dame et recevait des gens<br />
en vue. Brissot, Buzot, Ption, Robespierre, Danton luimme,<br />
prenaient plaisir venir entre deux sances<br />
causer chez cette aimable femme; et j'imagine que ce<br />
qui les attirait, c'tait le charme de cette jolie Parisienne<br />
plus que les vertus de l'austre Roland qui devait tre<br />
bien ennuyeux! C'est laque, le 21 mars 1792, Dumouriez<br />
vint sonnera la porte de Roland pour lui annoncer : Vous<br />
tes Ministre , et quelques jours plus tard la petite<br />
Manon du quai des Lunettes s'installait triomphalement
LA RIVE GAUCHE 163<br />
l'htel de Calonne : c'tait hlas pour<br />
elle le chemin<br />
de l'chafaud!<br />
En longeant les quais, nous rencontrons la place<br />
Saint-Michel, puis la rue Galande. Malgr ses rcentes<br />
dmolitions, cette vieille rue renferme encore quelques<br />
anciennes demeures; mais elle a perdu la si bizarre<br />
maison dite le Chteau Rouge, ou plus prosaquement<br />
la Guillotine .<br />
Dans ce qui fut, au xvn e sicle, une somptueuse<br />
demeure l'htel, dit-on, de Gabrielle d'Estres<br />
derrire le haut et vaste perron qui occupait le fond de<br />
la cour, le logis s'ouvrait enfum, sordide, puant le vin,<br />
la crasse, la dbauche et le vice.<br />
Il fallait passer par-dessus des corps d'ivrognes et<br />
d'ivrognesses pour pntrer dans les bouges o ces<br />
malheureux venaient chercher une faon de gte, une<br />
heure d'oubli. C'tait hideux et lugubre. Les ama-<br />
teurs de vilains spectacles pouvaient continuer leurs<br />
tudes tout prs, chez le pre Lunette, rue des Anglais.<br />
Le personnel tait le mme, un monde de bagne, la<br />
bestialit dans toute son horreur comme chante M-<br />
dans la Damnation de Faust. De rcents<br />
phistophls<br />
travaux d'dilit et d'assainissement ont fait disparatre<br />
le Chteau-Rouge.<br />
Rue Saint-Sverin, un pittoresque enchevtrement<br />
de vieilles maisons tale autour de l'antique glise<br />
gothique cette a flore de pierres , l'une des plus
164 COINS DE PARIS<br />
curieuses peut-tre de Paris; l'une de celles qui gardent<br />
le mieux les traces d'un pass d'art, de recueillement et<br />
de prire.<br />
Les sublimes artistes qui, en plusieurs sicles, surent<br />
crer cette fort de fines sculptures dont est dcore<br />
l'abside, ont, hlas, laiss d'insuffisants successeurs.<br />
A ct d'anciens vitraux provenant de Saint-Germain-des-<br />
Prs, de froides et modernes verrires, au ton criard,<br />
ont enlev Saint-Sverin le mystre religieux et potique,<br />
le demi-jour discret o se complaisaient les mes<br />
des fidles; et leur lumire crue ne laisse que trop voir<br />
les traces de mutilations successives dont fut victime<br />
cette belle glise. Dans la rue avoisinante, le presbytre<br />
actuel est construit sur l'ancien cimetire o, en 1461,<br />
nous apprend l'rudit M. de Rochegude, fut publiquement<br />
tente la premire opration de la pierre sur<br />
un condamn mort..., qui gurit, l'heureux homme!<br />
et fut graci par Louis XL Tout ce quartier est l'un des<br />
plus grouillants de Paris, et parfois c'est une vritable<br />
cour des Miracles. Il semblerait que les malandrins, les<br />
ribauds et leurs compagnes, les penailleux<br />
des sicles<br />
passs aient laiss l leurs descendants les plus directs.<br />
On y vit dans la rue, on y mange des rogatons dans<br />
des bibines abominables; une odeur d'alcool flotte dans<br />
l'air au coin de chaque carrefour, les mastroquets, les<br />
bars, regorgent de clients. Une partie de l'argent<br />
mendi ou vol Paris se dpense ici!<br />
Saint-Mdard est tout proche, avec son petit square
Lansyer, pinxit.<br />
LA RIE GALA Mil:.<br />
Muse Carnavalet.
LA RIVE GAUCHE 167<br />
poussireux, vieillot, et sa tour carre, l'extrmit de<br />
la rue Monge, au coin de la rue Moufetard. C'est une<br />
glise lugubre et pauvre, comme use, o les rats ont<br />
lu domicile, enclave dans de vieilles maisons couvertes<br />
de rclames au badigeon criard. Il est loin le temps o<br />
le tombeau du diacre Paris y faisait ses miracles, o la<br />
Cour et la ville s'touffaient dans le petit cimetire dont<br />
une porte subsiste encore, celle-l peut-tre sur laquelle<br />
on inscrivit le fameux distique :<br />
De par le Roi, dfense Dieu<br />
De faire miracle en ce lieu.<br />
La rue Mouffetard passe devant le porche de l'glise,<br />
dbordante de vie, d'activit. Mille petits mtiers y fonc-<br />
tionnent; les portes des maisons elles-mmes, les vieilles<br />
portes du xvm e<br />
sicle, abritent des marchandes de fleurs,<br />
de lait, de pommes de terre frites, de moules cuites;<br />
Manon la ravaudeuse, avec son tonneau, n'y serait nullement<br />
dplace; des enfants jouent au milieu de la<br />
chausse, les voitures y sont rares. Les commres<br />
jacassent sur le pas de leurs portes, on y vit en famille,<br />
et dans la rue. Le passage des Patriarches, qui s'ouvre<br />
au n 99, eut un pass clbre. Les calvinistes qui y<br />
tenaient leurs prches y eurent de sanglants dmls<br />
avec les catholiques de Saint-Mdard. Aujourd'hui, ce<br />
n'est qu'une ruelle humide, triste et sale, peuple de<br />
brocanteurs, de marchands de ferraille, de revendeurs
168 COlftS DE PRt<br />
d'objets sans nom. a sent le vieux chiffon, le vieux<br />
plomb<br />
La place Maubert est le centre o aboutissent ces<br />
et le chou-fleur!<br />
Lansyer, pinxit.<br />
LA PLACE MAUBERT.<br />
rues tranges; maintenant embourgeoise<br />
et de belle<br />
ordonnance, orne, si j'ose dire, d'une dplorable statue<br />
d'Etienne Dolet qui y fut brl en 1516, elle ne nous
ANCIEN AMPHITHEATRE DE CHIRURGIE.<br />
A l'anale de la rue de THtel-Colbert<br />
Eau-forte de Martial.
LA RIVE GAUCHE 171<br />
rappelle que bien vaguement cette plac'Maub' encore<br />
visible il y a six ou sept ans, mal fame, troite, borde<br />
de vieilles maisons aux toits pointus, un repaire de ma-<br />
landrins, plein de douteux recoins o la police pouvait<br />
presque coup sr jeter ses filets. Sainte-Croix logeait<br />
ct, impasse Maubert. C'est dans ce mystrieux cul-de-<br />
sac que Madame de Brinvilliers, la triste hrone du<br />
drame des Poisons si bien cont par notre spirituel ami<br />
F. Funck-Brentano, venait retrouver son complice et<br />
prparer avec lui celte terrible poudre de succession ,<br />
compose, d'aprs les aveux de l'empoisonneuse, de<br />
vitriol, de venin de crapaud<br />
et d'arsenic rarfi dont<br />
elle se servit pour faire mourir son pre, ses deux frres,<br />
et tenter de faire disparatre ses surs et son mari.<br />
En 1304, le Dante frquenta, tout prs, l'une des<br />
nombreuses coles de la rue du Fouarre,<br />
et l'ancienne<br />
Facult de mdecine possdait son amphithtre l'angle<br />
de la rue de l'Htel-Colbert. 11 est encore peu prs<br />
intact, ce curieux logis avec son ancienne coupole, et<br />
fournirait un admirable dcor quelque muse rtros-<br />
pectif de chirurgie (*).<br />
Tout prs, la rue Matre-Albert, qui, jusqu'en<br />
1844, s'appela rue Perdue , doit son nom actuel<br />
au dominicain Matre Albert, lequel, au xm c<br />
sicle, professait<br />
en plein air sur la place Maubert. Elle renferme<br />
(1) L'ancienne Facult de Mdecine est aujourd'hui la Maison<br />
des tudiants .
172 COINS DE PARIS<br />
de curieuses maisons, aujourd'hui repaires des vagabonds<br />
qui y logent la nuit. En 1819, un vieux ngre d'aspect<br />
misrable, d'allure trange, descendait tous les soirs,<br />
en se dissimulant de son mieux, cette sombre rue pour<br />
aller se nourrir dans quelque pauvre gargote; on se le<br />
dsignait en chuchotant sur son passage : c'tait Zamore,<br />
le ngrillon de la Dubarry, ce petit singe avec lequel<br />
avait jou Louis XV, Zamore, qui fut une puissance<br />
choye et courtise par les grands seigneurs, les belles<br />
dames et les princes de l'glise jaloux de plaire la<br />
favorite, et qui, plus tard, officier municipal de Marly<br />
sous la Terreur, ingrat, lche et vil, trahit sa bienfai-<br />
trice, la livra, la jeta sous le couteau de la guillotine. De<br />
chute en chute, Zamore tait venu se terrer au n 13 de<br />
cette triste rue Perdue, au deuxime tage, sur la cour.<br />
Il y mourut le 7 fvrier 1820.<br />
Saint-Nicolas-du-Chardonnet et Saint-Julien-le-Pauvre<br />
sont les deux glises les plus proches; l'une, Saint-<br />
Nicolas-du-Chardonnet, a pour<br />
sombre petit sminaire o,<br />
annexe un triste et<br />
sous la direction de l'abb<br />
Dupanloup, l'minent philosophe E. Renan fit une partie<br />
de ses tudes thologiques. Il faut lire dans les Souvenirs<br />
d'Enfance et de Jeunesse les pages admirables que ce<br />
merveilleux crivain a consacres son sjour dans<br />
cette studieuse maison! Cette paroisse qui tirait son<br />
nom du champ de chardons bien connu des tudiants de<br />
l'Universit de Paris au Moyen Age, tait alors le centre<br />
d'un quartier riche, habit surtout par la magistrature...
LA RIVE GAUCHE 173<br />
L'internat me tuait... Je n'tais pas le seul souffrir...<br />
Mon meilleur ami, un jeune homme de Coutances, je<br />
LGLISE SAINT-NICOLAS-DU-CHARDON\ET ET I.A RUE SAINT-VICTOR.<br />
Dessin de Heidbrendk. Muse Carnavalet.<br />
crois, transport comme moi, excellent cur, s'isola, ne<br />
voulut rien voir, mourut. Les Savoisiens se montraient
174 COINS DE PARIS<br />
bien moins acclimatables encore. Un d'eux, plus g que<br />
moi, m'avouait que chaque soir il mesurait la hauteur<br />
du dortoir du troisime tage au-dessus du pav de la<br />
rue Saint-Victor. Je tombai malade, selon toutes les<br />
apparences, j'tais perdu. Le Breton qui est au fond de<br />
moi s'garait en des mlancolies infinies. Le dernier<br />
anglus du soir que j'avais entendu rouler sur nos chres<br />
collines et le dernier soleil que j'avais vu se coucher sur<br />
ces tranquilles campagnes me revenaient en mmoire<br />
comme des flches aigus. Selon les rgles ordinaires,<br />
j'aurais d mourir; j'aurais peut-tre mieux fait...<br />
La mre du peintre Le Brun fut enterre dans la<br />
chapelle Saint-Charles, de l'glise Saint-Nicolas-du-<br />
Chardonnet, et aussi Pierre de Chamousset, l'inventeur<br />
de la petite Poste aux lettres... Parisiennes, bnissez sa<br />
mmoire!<br />
L'glise<br />
Saint-Julien-le-Pauvre est affecte au culte<br />
grec. Elle tombe en ruine, cette triste chapelle enclave<br />
dans les anciens btiments de l'Htel-Dieu ; une margelle<br />
bouche de puits d'o sortent quelques pauvres herbes,<br />
semble en garder la porte, qui s'ouvre sur une cour sale,<br />
encombre de dtritus, o picorent quelques maigres<br />
poules. En ce coin de misre et de souffrances, les<br />
murs sont humides et noirtres; dans ces cours som-<br />
bres, poussent difficilement quelques arbres rachitiques.<br />
Il y a trois ans encore, de temps en temps, s'y arrtaient<br />
des civires ou des voitures d'ambulances : on en des-<br />
cendait les malheureux qu'un accident, un crime ou la
LA RIVE GAUCHE 175<br />
maladie avaient frapps brusquement dans la rue. Dans<br />
ce grand Paris indiffrent, affair, partag entre ses<br />
LA RUE SAINT-JULIEN-LE-PACVRE.<br />
plaisirs ou ses affaires, l'pave humaine tait apporte
176 COINS DE PARIS<br />
l'Assistance publique, dans cette triste rue Saint-<br />
Julien- le-Pauvre, au nom suggestif. L, ces vaincus<br />
de la vie achevaient leur misrable existence, l'ombre<br />
de la vieille glise, contemporaine au moins de Notre-<br />
Dame, o Grgoire de Tours dit avoir log, o Dante<br />
a longuement pri, et dont la sombre silhouette semble<br />
tout indique pour abriter de son ombre les pires<br />
misres du pauvre peuple parisien.<br />
Pour nous reposer de ce pnible spectacle, reprenons<br />
les admirables quais parisiens, suivons ce beau fleuve, si<br />
vivant sous les jeux de lumire du jour et les coups de<br />
lune de la nuit, longeons la Seine, le plus gai, le plus<br />
merveilleux spectacle que nous offre Paris; passons<br />
devant les beaux htels des Miramionnes, de Nesmond,<br />
du prsident Rolland, devant la Halle aux Vins, ces<br />
catacombes de la soif , et arrtons-nous au vieux<br />
Jardin des Plantes, cher Buffon; un reste du charme<br />
des choses passes et non encore abolies y subsiste<br />
encore !<br />
Les arbres sont sculaires, les dcors des charmilles<br />
n'ont pas t modifis;<br />
il est des coins de volires et de<br />
huttes chvres qui sont tels que Daubigny et Charles<br />
Jacques les dessinrent en 1843, pour l'illustration du<br />
bel ouvrage dit par Curmer.<br />
Les reptiles sont mieux logs que dans notre enfance,<br />
mais l'hippopotame se roule dans le mme bassin, la<br />
girafe allonge son cou par-dessus les mmes cltures,
LA RIVE GAUCHE 179<br />
et l'lphant tend toujours travers les mmes grillages<br />
sa trompe engloutisseuse de petits pains.<br />
La fosse aux ours n'a pas chang, et la foule des<br />
badauds continue engager l'ternel Martin refaire<br />
l'ascension du mme tronc d'arbre. Le labyrinthe, le<br />
dlicieux labyrinthe, offre toujours aux enfants criards ses<br />
capricieux mandres, et<br />
le cdre du Liban (Cedrus<br />
Lybani (Linnus) que<br />
M. de Jussieu, assure la<br />
tradition, rapporta dans<br />
son chapeau continue<br />
abriter sous ses bran-<br />
ches somptueuses les<br />
rveurs, les flneurs, les<br />
travailleurs et la gri-<br />
sette, la dernire gri-<br />
sette, qui vient, l'abri<br />
de son ombrevnrable,<br />
lire l'mouvant roman-<br />
feuilleton qui remplit de<br />
douces motions son<br />
cur assoiff d'idal!<br />
JAR1IN DES PLANTES.<br />
Le cdre du Liban.<br />
Est-il enfin rien de plus coquet que les petites pices<br />
des anciens btiments de Louis XVI, qui constiturent<br />
jadis le Cabinet d'histoire naturelle de Buffon, dont les<br />
fines boiseries grises servirent de cadres aux admirables<br />
collections des papillons de tous les pays.
180 COINS DE PARIS<br />
Dans ces salles si dlicatement dcores et d'une<br />
intimit si douce, c'tait comme une idale floraison,<br />
une ferie de couleurs exquises, la magie d'une clatante<br />
palette.<br />
Ils taient tous l, les beaux papillons aux clats<br />
mtalliques des Indes et du Brsil, comme aussi les papil-<br />
lons aux mille couleurs de France, depuis le grand<br />
LE JARDIN DES PLANTES.<br />
sphynx<br />
tte de mort<br />
jusqu'au minuscule pa-<br />
pillon bleu des prairies.<br />
Peut-tre le temps<br />
avait-il comme poudr<br />
et lgrement teint<br />
l'clat merveilleux de<br />
leurs colorations pre-<br />
mires, mais cela valait<br />
mieux ainsi : trop cla-<br />
Ancien amphithtre.<br />
tants, ils eussent dtonn<br />
dans ce milieu un peu vieillot, et c'tait un charme<br />
de plus de voir ces joyaux de l'air si lgrement recou-<br />
verts d'un rien de la poussire du pass! Aujourd'hui,<br />
hlas ! ces salles toutes fleuries de sculptures sont<br />
closes et abandonnes, une partie<br />
de leurs boiseries<br />
somptueuses a disparu... O sont passes ces prcieuses<br />
dcorations? Pourquoi ces ternelles et coupables muti-<br />
lations qui, je le sais, dsolent M. Prier, l'minent<br />
Directeur du Musum? Les collections de papillons<br />
sont maintenant transfres dans le vaste et somptueux
LA RIVE GAUCHE 183<br />
hall central du nouveau pavillon consacr l'Histoire<br />
naturelle, je les aimais davantage dans le cadre dis-<br />
cret qui les enfermait autrefois et qui leur convenait<br />
si bien.<br />
Les fleurs d'eau s'panouissent, comme jadis, dans<br />
les mmes serres touffantes et basses, prs des orchides<br />
aux formes tranges, et dans le vieil amphithtre,<br />
o professrent tant d'illustres<br />
savants, une noble<br />
artiste, M me Madeleine<br />
Lemaire le seul pro-<br />
fesseur femme qui ait<br />
enseign au Musum<br />
initie un auditoire attentif et<br />
charm la divine beaut<br />
des fleurs !<br />
De tout temps d'ailleurs,<br />
les artistes sont venus ins-<br />
taller leur lger chevalet<br />
peindre ou leurs selles<br />
modeler devant les cages<br />
des lions ou dans le Jardin mme, sur l'herbe, en face<br />
des antilopes, des biches, des chassiers ou des chvres<br />
du Thibet.<br />
JARDIN DES PLANTES.<br />
Un observateur.<br />
Gavarni, del.<br />
Nous nous souvenons, mon frre et moi, d'y avoir,<br />
tout enfants, accompagn notre pre qui travaillait<br />
d'aprs les tigres et les lions dans le corridor des animaux<br />
froces. L'odeur tait alcaline et violente, la
184 COINS DE PARIS<br />
chaleur lourde, on entendait le sifflement des fouines<br />
installes dans les rotondes d'entre et de sortie; parfois<br />
encore un rugissement terrible, une plainte de<br />
colre, de douleur ou d'ennui,<br />
vitres.<br />
venait branler les<br />
La plupart du temps les malheureux animaux privs<br />
d'air, de lumire, enferms dans d'horribles cages troites<br />
et puantes, se mouraient lentement de consomption ;<br />
ils se familiarisaient trs vite avec ceux qui passaient<br />
des semaines entires les tudier et leurs grosses<br />
ttes se frottaient clinement contre les pais barreaux<br />
des cages, pendant que leurs yeux lumineux se fai-<br />
saient doux et presque tendres.<br />
Souvent encore c'tait la mnagerie des reptiles,<br />
un vieux btiment croulant de vtust, que nous allions,<br />
coliers curieux et fureteurs, passer de longues heures,<br />
piant les camlons, contemplant les boas, essayant de<br />
faire tressaillir les crocodiles endormis, et qui parais-<br />
saient dj empaills !<br />
Que<br />
de souvenirs dans ce vieux<br />
et charmant Jardin des Plantes, un des rares Coins de<br />
Paris demeur peu prs intact!<br />
A ct, l'ancienne maison de Cuvier ne semble<br />
gure solide et s'effriterait peut-tre<br />
sans le rseau de<br />
plantes qui l'enserre : les lierres, les aristoloches, les<br />
chvrefeuilles,<br />
les lianes de toutes sortes lont comme<br />
caparaonne de verdure. Ce sont des nappes, des cascades<br />
d'un vert lustr et brillant la fois : un bouquet<br />
de feuilles dans un jardin.
LA RIVE GAUCHE 185<br />
Derrire le Jardin des Plantes, voici la Sal-<br />
ptrire, aux murs sinistres, la Salptrire<br />
sacres de Septembre, la Salptrire<br />
des mas-<br />
d'o s'vada si<br />
facilement M me de Lamotte aprs sa condamnation ;<br />
avec ses grands jardins et ses affreux praux entours<br />
de grilles o Ton enferme les femmes plus folles<br />
que les autres disait de Goncourt ; la Salptrire<br />
enfin, dont le dme, visible de partout, domine comme<br />
un phare de misre tout ce quartier qu'empuantit la<br />
Bivre, la triste Bivre huileuse, strie par tous les<br />
acides des tanneries, ensanglante par les peaux de<br />
moutons frachement corchs qui y trempent; qui<br />
coule misrable et sordide, au milieu des choppes,<br />
des amidonneries, des peausseries, aprs avoir tra-<br />
vers les jardinets de Gentilly, et s'tre donn, dans le<br />
quartier de la Fontaine--Mulard, l'illusion de la vraie<br />
campagne.<br />
11 est loin le temps o cette rivire infortune baignait<br />
des prairies verdoyantes et voyait les saules se mirer<br />
dans ses eaux claires. Dompte, domestique, soumise<br />
toutes les besognes, elle roule, puante et sale, acca-<br />
pare sans trve par les tanneurs, les corroyeurs, les<br />
mgissiers,<br />
les teinturiers! Pour la suivre dans ses<br />
dtours, il faut monter rue du Moulin-des-Prs, puis<br />
s'engager rue de Tolbiac. L, par une porte grille<br />
elle pntre dans un corridor sombre et lugubre, d'o<br />
elle ne sortira que pour glisser en une sorte de canal<br />
sinistre, entre de noires usines l'aspect farouche. De
186 COINS DE PARIS<br />
place en place, le long des maigres berges, quelques<br />
blanchisseuses ont plac leurs tonneaux au ras de cette<br />
eau et chantent en battant le linge, ou de misrables<br />
gamins tentent la pche illusoire de quelque poisson<br />
gar dans ce ruisseau mphitique. Puis la Bivre<br />
disparat nouveau sous terre pour ne reparatre<br />
qu' la rue des Gobelins. Ici, tout au moins, se<br />
retrouvent quelques traces d'un glorieux pass. Les<br />
vieilles maisons d'autrefois sont restes debout. Mais<br />
combien transformes! Les usiniers et les commerants,<br />
aprs avoir asservi la rivire, ont acquis les htels qui<br />
la bordent.<br />
Des bureaux, des entrepts, des resserres cuir ont<br />
envahi les nobles logis du xvi e<br />
sicle,<br />
et la Bivre<br />
circule comme honteuse au milieu de pauvres jardins<br />
dchus, comme elle, de leur antique splendeur.<br />
Puis ce sont encore des usines, des corroiries, des<br />
peausseries, des coins noirs, toujours puants et sordides,<br />
o des milliers de peaux de lapins suspendues dans<br />
avec des<br />
l'air, racornies et sches, s'entrechoquent<br />
claquements de bois. Jusqu'au bout, la malheureuse<br />
rivire, traque, utilise, torture, nettoie des peaux<br />
sanglantes, meut de lourdes roues, ou lave d'tranges<br />
dtritus, au milieu d'une odeur de barge. Enfin, elle<br />
vient s'ensevelir sous le boulevard de l'Hpital, dans de<br />
nausabonds trous noirs.<br />
Mais avant la chute finale, la Bivre voit le jour<br />
presque pour la dernire fois dans une ruelle bizarre,
Eau-forte de Martial.<br />
LES TANNERIES SUR LA BIVRE.
LA RIVE GAUCHE 189<br />
tonnante, l'une des plus tranges de cet trange quar-<br />
tier: la ruelle des Gobelins. Elle coule, teinte en rouge,<br />
en vert, en jaune, au milieu de maisons rapices,<br />
lpreuses, misrables, hors d'aplomb, dans une odeur<br />
d'ammoniaque. Cependant, prs de ces taudis, parmi des<br />
monceaux de tan, ct de fosses o macrent des<br />
peaux de btes corches, un bijou sculpt surgit comme<br />
un rappel de beaut, un vestige de splendeur passe :<br />
les restes sculpts d'un adorable pavillon Louis XV dont<br />
M. de Julienne avait fait un rendez-vous de chasse, et<br />
ce paradoxe charmant, cette fleur de pierre jete au<br />
milieu de cet amas de hideurs n'est pas l'une des moin-<br />
dres surprises de ce stupfiant quartier.<br />
Cependant, quelques mtres de cette sentine, les<br />
artistes de la Manufacture des Gobelins ont dispos<br />
leurs jardins de travail et d'tudes, o clatent la<br />
pourpre, l'or et l'azur des plus jolies fleurs de France<br />
qui, habilement distribues, jettent un tapis de couleurs<br />
exquises et fulgurantes dans ce<br />
misre.<br />
triste et sombre pays de<br />
Aux confins de la ville se rencontre la Butte-aux-<br />
Cailles, un vaste terrain inculte, triste et morne qui,<br />
jusqu'en 1863, fut une sorte de frache campagne avec<br />
des moulins et des fermes. C'est aujourd'hui un quartier<br />
de dur labeur o des tribus de chiffonniers trient les<br />
paves de Paris; l'angle de la ruelle des Peupliers, des<br />
marchands de bches ont tabli leurs cabanes, et des
190 COINS DE PARIS<br />
masures se dressent dans des rues tranges construites<br />
avec des dbris d'autres rues.<br />
Jadis, ces vastes espaces n'taient que jardins et<br />
cultures marachres arross par la Bivre.<br />
Dans un livre charmant, un peu oubli aujourd'hui,<br />
Alfred Delvaunous dit ce qu'taient, sous Louis-Philippe,<br />
le faubourg Saint-Marceau, la Butte-aux-Cailles, la rue<br />
Croulebarbe et aussi la rue du Champ-de-1'Alouette o<br />
fut assassine la Bergre d'Ivry , un crime trange<br />
qui bouleversa Paris en 1827 : un garon<br />
marchand de<br />
vin, Honor Ulbach, y poignarda une jeune fille, Aime<br />
Millot, gardeuse de chvres, populaire Ivry. On la<br />
voyait chaque jour avec un grand chapeau de paille sur<br />
la tte et un livre la main surveillant les chvres de<br />
sa matresse; on l'appelait la Bergre d'Ivry en 1827,<br />
il y avait encore des bergres Paris.<br />
Le procs qui s'ensuivit et se termina par<br />
damnation mort d'Ulbach un malheureux fou<br />
la con-<br />
passionna la ville entire : il s'agissait d'amour et de<br />
jalousie; la victime avait dix-neuf ans, elle tait sage<br />
et bergre ; les femmes maudissaient l'assassin tout<br />
en le plaignant peut-tre , nous disent les journaux de<br />
l'poque, et du coup la girafe, rcemment arrive au<br />
Jardin du Boi, fut dlaisse pour le drame d'Ivry.<br />
Le 27 juillet, Ulbach tait condamn mort, et le<br />
10 septembre 1827, quatre heures du il soir, montait<br />
sur l'chafaud dress place de Grve !<br />
Une crche municipale occupe rue des Gobelins,
Schaan, pinxll.<br />
LA BIEVRE VERS 1900.<br />
BIEF DE VALENCE.<br />
Muse Carnavalet.
LA RIVE GAUCHE 193<br />
n 3, un bel htel Louis XIII qu'habita le marquis de<br />
Saint-Mesme, lieutenant gnral, poux d'Elisabeth<br />
Gobelin, tout proche d'un beau btiment d'aspect sei-<br />
gneurial qui, dans le quartier, porte<br />
de la Reine Blanche .<br />
le nom d' htel<br />
La lgende est fausse, assure le trs rudit<br />
M. Beaurepaire, l'aimable bibliothcaire de la ville de<br />
Paris: ce fut simplement le logis de Catherine<br />
d'Hausserville,<br />
o Charles VI faillit tre brl vif dans<br />
la reprsentation d'un ballet 5 le feu prit son travestisse-<br />
ment . L'difice est de noble allure et dtonne un peu<br />
dans ce pauvre mais si pittoresque quartier.<br />
Un autre bel htel encore, rue Scipion, htel bti<br />
par Scipion Sardini, sous Henri III, avec des mdail-<br />
lons en terre cuite, rares spcimens parisiens de cette<br />
si jolie dcoration qui nous charme tant Florence,<br />
Pise, Vrone. Ce Scipion Sardini fut un homme<br />
trange, dont l'histoire mrite d'tre conte. D'origine<br />
toscane, il vint en France aprs la mort de Henri II,<br />
alors que Catherine de Mdicis s'emparait du pouvoir.<br />
Aimable, spirituel, insinuant, grand manieur d'argent,<br />
habile dans ses entreprises, sans scrupules, il prend<br />
vite une place prpondrante dans cette cour frivole,<br />
dissolue, joyeuse.<br />
Il savait mener de front les affaires<br />
et les plaisirs : une illustre alliance lui semblant nces-<br />
saire pour faire oublier la bassesse de sa condition<br />
premire et la rapidit de sa fortune: il pouse la belle<br />
Limeuil une des plus sduisantes beauts de l'Es-<br />
13
194 COINS DE PARIS<br />
cadron volant de la Reyne.<br />
Toutes bastantes pour<br />
meltre le feu par tout le Monde . disait Brantme. Cette<br />
aimable personne avait t successivement adore par<br />
les plus nobles Seigneurs de la Cour avant de faire,<br />
en 1563, la conqute de Cond, dont elle eut un enfant.<br />
A Dijon, pendant une rception de la Reine, la demoi-<br />
selle de Limeuil se trouva mal et accoucha d'un garon:<br />
Pour une personne si avise, crit Mzeray, on ne<br />
s'explique pas trop comment elle prit si mal ses me-<br />
sures ; scandale, indignation de la reine-mre; empri-<br />
sonnement de la belle Isabelle, que Cond, toujours<br />
amoureux, russit faire vader. Mais les Prolestants<br />
veillaient et russirent loigner<br />
leur chef de sa com-<br />
promettante amie. C'est alors que se prsenta Scipion<br />
Sardini, le plus riche financier de l'poque, le banquier<br />
du roi, du clerg, des seigneurs. Il sut se faire agrer, se<br />
maria, et s'tablit dans ce joli htel que nous admirons<br />
encore, cit par Sauvai comme un des plus<br />
beaux de<br />
Paris, au milieu des vignes, des vergers et des champs<br />
que bordait la Bivre. Il y vcut, entour de luxe, d'u-<br />
vres d'art, de livres et de fleurs; il y mourut vers 1609,<br />
et ds 1636 l'htel tait un hpital qui, en 1742, fut<br />
transform en boulangerie ; et cette boulangerie dessert<br />
aujourd'hui les Hpitaux de la ville de Paris.<br />
Longeons la Halle aux Vins, ces catacombes de la<br />
soif , et, avant de regagner la rive droite, arrtons-<br />
nous respectueusement sur le pont de l'Estacade, tout<br />
prs du petit monument lev par ses admirateurs
LA RIVE GAUCHE 197<br />
l'illustre sculpteur Barye, le grand Barye qui, mconnu,<br />
bafou, saisi par ses cranciers, venait souvent le soir,<br />
au sortir de son modeste atelier du quai des Clestins,<br />
oublier ses souffrances et rver, cette place mme,<br />
devant le splendide panorama de Paris que couronne la<br />
noble silhouette du Panthon. C'est Pun des plus admi-<br />
rables aspects de la grande Ville.<br />
Rien n'est plus relatif qu'une impression ressentie;<br />
pour certains esprits amoureux du Pass, telle ruine<br />
est beaucop plus impressionnante que le plus moderne<br />
des palais, et aussi les rues, les maisons, les pavs.<br />
Il est une heure exquise pour voquer l'me du<br />
vieux Paris: c'est le crpuscule.<br />
La couleur particulire chaque chose s'est fondue<br />
dans les teintes gnrales que rpandent le jour qui<br />
s'en va et la nuit qui commence.<br />
De fines silhouettes denteles se profilent sur le ciel<br />
pendant que de grandes masses violettes, noires et<br />
bleues mettent des rues entires dans un mystre infini.<br />
Alors la pense s'veille, les souvenirs s'animent, se<br />
prcisent; on revit les scnes dont ces rues, ces maisons,<br />
furent les impassibles tmoins. On entend les cris de<br />
fureur ou de joie, les tambours battent, les cloches<br />
sonnent, des groupes passent en chantant dans ces<br />
dcors de rve. La vision est revenue!<br />
Ce pont de l'Estacade qui, de sa barrire de poutres<br />
noires, ferme pour ainsi dire l'est l'antique Paris,
*<br />
198 COINS DE PARIS<br />
est une des meilleures places qu'il<br />
convient de choisir<br />
pour se donner cette fte intime.<br />
La Ville s'endort dans le calme du soir; au loin son-<br />
nent des cloches; les hirondelles passent en criant dans<br />
l'air embaum de la nuit qui descend; des bruits mon-<br />
tent, vagues, imprcis, et qui peuvent<br />
se modifier au<br />
gr du rve poursuivi : la vie semble s'endormir, l'me<br />
du pass s'veille. C'est l'heure souhaite.
Boilly, pinxit.<br />
le pont -royal en^1800. Muse Carnavalet.<br />
LA RIVE DROITE<br />
Ie quartier de l'Arsenal, construit sur l'emplace-<br />
I cernent de deux Palais Royaux, l'htel Saint-Paul,<br />
le palais des Tournelles, et le sol de l'le Louviers,<br />
runie la rive en 1843, sert de transition<br />
naturelle entre le vieux Paris et le Paris moderne..<br />
Malgr son nom guerrier, le quartier<br />
de l'Arsenal<br />
est l'un des plus paisibles de Paris. Depuis bien des<br />
sicles, les palais qui y apportaient la richesse, le mou-<br />
vement, la vie ont disparu; sur leurs ruines, sur leurs<br />
immenses jardins, d'humbles rues paisibles ont t<br />
difies; la rue de la Cerisaie, o le marchal de Villeroy<br />
reut Pierre le Grand dans le somptueux htel Zamet;<br />
la rue Charles-V, o, dans ce qui fut l'lgant logis de
200 COINS DE PARIS<br />
la marquise de Brinvilliers, au numro 12, une bonne<br />
sur de charit en cornette blanche distribue aujourd'hui<br />
de l'huile de foie de morue et des chaussons de<br />
laine des enfants pauvres et souffrants ; la rue des<br />
Lions-Saint-Paul, la rue Beautreillis, o naquit Victorien<br />
Sardou; c'est prs de l que logea le grand Balzac:<br />
Je demeurais alors, dit-il dans son admirable rcit<br />
Facino Cane, dans une petite rue que vous ne connaissez<br />
sans doule pas, la rue de Lesdiguires ; elle commence<br />
la rue Saint-Antoine, en face d'une fontaine prs de<br />
la place de la Bastille, et dbouche dans la rue de la<br />
Cerisaie. L'amour de la science m'avait jet dans une<br />
mansarde o je travaillais pendant la nuit et je passais<br />
le jour dans une bibliothque voisine, celle de Monsieur.<br />
Quand il faisait beau, peine me promenais-je sur le<br />
boulevard Bourdon . Elle existe encore en partie cette<br />
modeste rue de Lesdiguires ;<br />
sur l'emplacement qu'oc-<br />
cupent les n os 8 et 10, on pouvait voir encore, il y a<br />
quelques annes, un des murs de clture de la Bastille ;<br />
des maisons troites y ont t plaques, et, au n 10,<br />
c'est le mur mme de la vieille forteresse parisienne<br />
qui forme le fond de la loge de la concierge ! Quelle<br />
destine pour un mur de prison !<br />
De ce qui fut l'Arsenal, l'htel du Grand Matre<br />
subsiste seulement, c'est aujourd'hui la Bibliothque<br />
de l'Arsenal (ex-bibliothque de Monsieur dont parle<br />
Balzac), un fier logis qu'habita Sully, plein de livres sans<br />
prix, d'autographes,<br />
d'crits rarissimes : Dans un coffret
LA RIVE DROITE 201<br />
fleurdelis, on y peut contempler le livre d'heures de<br />
HTEL DE LESDIGCIERES. Martial, aq .<br />
saint Louis, ct d'un fragment de son manteau royal,
202 COINS DE PARIS<br />
la soie bleue use par le temps, seme de fleurs de lis<br />
d'or, et le vieux livre porte cette inscription vnrable :<br />
C'est le psautier de Monseigneur Loys, lequel fut sa<br />
mre ;<br />
il provient des trsors disperss<br />
de la Sainte-<br />
Chapelle. Voici la Bible de Charles V, avec cette note de la<br />
main mme du Roi : Ce livre moy, Roy de France ;<br />
ct, un missel dont chaque<br />
incomparable guirlande due au pinceau<br />
fleurs , ce grand artiste dont on ignore<br />
feuille est encadre d'une<br />
du matre aux<br />
le nom. Les<br />
manuscrits prcieux, les reliures merveilleuses, les di-<br />
tions introuvables, les romans de Chevalerie,<br />
siques, les potes de tous les temps<br />
les clas-<br />
se retrouvent au<br />
grand complet dans ce beau palais ; les lettres de Latude,<br />
la bote qui servit son attentat ridicule contre M me de<br />
Pompadour, y voisinent avec l'interrogatoire de la Brin-<br />
villiers et l'acte de dcs de l'Homme au masque de fer ;<br />
les lettres d'amour de Henri IV, embrassant un mylyon<br />
de fois la marquise de Verneuil, sont ici, comme<br />
aussi les pices relatives l'affaire du Collier. Que de<br />
choses encore... !<br />
Ajoutons que le conservateur, l'rudit Henri Martin,<br />
ses adjoints, Funck-Brentano, l'historien de la Bastille,<br />
le pittoresque conteur de tous ses drames, Sheffer,<br />
pote charmant et artiste accompli, et Eugne Muller,<br />
sont non seulement des savants dont l'loge n'est plus<br />
faire, mais d'aimables gens accueillants et courtois,<br />
et vous comprendrez bien vite pourquoi l'Arsenal est<br />
un des coins rares de Paris o il est dlicieux d'aller
BAL COMMEMORAT!*- SLR l,ES RUINES DE LA BASTILLE<br />
Ici l'on danse.<br />
D'aprs une gravure en couleur du xvnr sicle.
LA RIVE DROITE 205<br />
travailler ou flner. C'est du reste une tradition dans la<br />
maison : Nodier, le bon Nodier, qui fut l'un des prd-<br />
cesseurs de M. de Bornier et du matre J.-M. de Heredia,<br />
l'admirable auteur des Trophes, avait su faire de l'Ar-<br />
senal le centre du Paris littraire et artistique. Hugo,<br />
Lamartine, Musset, Balzac, Mry, de Vigny et Frdric<br />
Souli s'y runissaient; l'on y disait de beaux vers en<br />
regardant le soleil s'irradier rouge et flambant derrire<br />
les tours de Notre-Dame !<br />
Les tours de Notre-Dame taient l'H de son nom !<br />
a crit Vacquerie, en parlant de Hugo !<br />
De ce qui fut la Bastille, rien ne reste que quelques<br />
pierres qui formaient le soubassement d'une des<br />
fameuses tours. Elles ont d'ailleurs t soigneusement<br />
dplaces et transportes quai des Clestins, le long<br />
de la Seine, o elles sont visibles aujourd'hui. C'est donc<br />
en vain que Ton chercherait une trace quelconque de<br />
cette forteresse sombre. sur laquelle planrent tant de<br />
lgendes. La grande ombre de Latude elle-mme ne<br />
s'y reconnatrait plus ; pourtant quelle place la lgen-<br />
daire Bastille ne tient-elle pas dans l'histoire de Paris:<br />
cette Bastille que le peuple stupfi de sa si facile<br />
victoire, ne se laissait pas, ds le 15 juillet 1789, de<br />
venir visiter avec un tel empressement et une telle<br />
curiosit que le gouverneur Souls, nomm par la muni-<br />
cipalit parisienne, dut devoir suspendre les visites,<br />
sous le curieux prtexte que de tels dgts avaient
206 COINS DE PARIS<br />
t dj faits la forteresse par les visiteurs, qu'il en<br />
coterait plus de 200.000 livres pour la rparer .<br />
Rparer<br />
la Bastille ! Les souvenirs manuscrits de Par<br />
nous disent les fureurs que cette trange prtention<br />
excitrent chez Danton, sergent d'une compagnie de la<br />
Garde nationale, qui, avec sa section, tait venu se<br />
heurter celte consigne.<br />
Danton se fait conduire devant le maladroit Souls,<br />
l'empoigne<br />
au collet et le trane l'Htel de Ville : la<br />
consigne est leve, les visites continuent, et le citoyen<br />
Palloy peut enfin mettre en coupe rgle la clbre<br />
prison d'Etat; les pierres sont tailles en images de<br />
la forteresse, et ddies aux dpartements et aux assem-<br />
bles ou en pierres commmoratives destines<br />
aiguiser les courages . Palloy dcoupe les plombs sous<br />
forme de mdailles et fait des anneaux avec les chanes<br />
de fer; avec les marbres, il confectionne des jeux de<br />
dominos et a la dlicate pense d'offrir l'un de ces<br />
jeux au jeune Dauphin, pour lui inspirer l'horreur de<br />
la tyrannie. .<br />
Des bals sont ouverts sur l'emplacement de la Bas*<br />
tille, le vin coule, les violons grincent,<br />
imprimes de l'poque nous reprsentent<br />
et les indiennes<br />
les ruines de<br />
la vieille citadelle parisienne surmontes de cette ins-<br />
: cription Ici l'on danse .<br />
Le vaste espace laiss vide par cette dmolition tait<br />
combler. Napolon<br />
I er<br />
, dont les conceptions artistiques<br />
taient parfois dconcertantes, y fit difier, en 1811, par
LA RIVE DROITE 207<br />
Alavoine, un projet de fontaine trange et d'aspect<br />
bizarre: un lphant colossal de vingt-quatre mtres de<br />
hauteur jetant l'eau par sa trompe.<br />
Bti provisoirement en pltras et en torchis, cet l-<br />
phant s'effrita vite sous l'action du temps et de la pluie;<br />
ce fut bientt une lamentable ruine entoure de planches<br />
disjointes. Les gamins du quartier s'y livraient des<br />
luttes homriques, mais les vrais familiers de l'lphant<br />
taient les rats qui y avaient lu domicile, ce point<br />
que, lorsque la dmolition fut commence, de vritables<br />
battues avec hommes et chiens durent tre organises,<br />
et pendant de longs mois ces affreux rongeurs envahirent<br />
le quartier terroris. En 1840, la colonne actuelle fut<br />
rige; depuis, le gnie de la Libert pose<br />
sur Paris un<br />
pied lger et le beau lion de Barye veille sur le repos des<br />
victimes de 1830 inhumes dans la crypte du monument.<br />
La rue Saint- Antoine renferme quelques beaux<br />
htels : l'htel Coss, o mourut Qulus ; l'htel de<br />
du Cerceau sur<br />
Mayenne et d'Ormesson, construit par<br />
les restes de l'htel Saint-Paul et de l'atelier de Germain<br />
Pilon; l'htel Sully, dont la noble faade fut rcemment<br />
mutile. Tout ct, l'angle de la rue du Figuier et de<br />
la si pittoresque rue de l'Htel-de-Ville, qui fut autrefois<br />
la rue de la Mortellerie, s'lvent les restes de l'htel de<br />
Sens, le seul spcimen, avec l'htel de Cluny, de ce que<br />
fut l'architecture prive au xv e sicle. Aprs avoir t<br />
habit par les Princes de l'glise, les vques, les Cardinaux,<br />
et aussi par Marguerite de Valois (la Reine
208 COINS DE PARIS<br />
Margot),<br />
l'htel de Sens connut la mauvaise fortune. Il<br />
devint Bureau des coches , et les rouliers,<br />
d'curie,<br />
les valets<br />
les ramasseurs de crotin succdrent aux<br />
Princes de l'glise!<br />
En ces derniers temps, on faisait des confitures en<br />
gros dans l'htel de Sens devenu officine de confiseurs!<br />
Au n 5 de la rue du Figuier, nous rencontrons un<br />
puits margelle sculpte, d'un beau caractre, et nous<br />
ne saurions manquer d'voquer le souvenir de Rabelais,<br />
l'admirable Rabelais, mort ct, dans la rue des Jardins<br />
; au n 15, rue de l'Ave-Maria, s'ouvrait la porte du<br />
xvi e<br />
sicle par laquelle les acteurs de l'Illustre Thtre,<br />
install dans l'ancien Jeu de Paume de la Croix-Noire,<br />
gagnaient leurs loges. C'est devant cette porte que<br />
Molire fut arrt et conduit au Chtelet, parce qu'il<br />
devait 142 livres Antoine Fausseur, matre chandelier,<br />
son fournisseur de luminaire !<br />
Traversons la place de la Bastille; descendons la<br />
rue du Faubourg-Saint-Antoine : c'est l, au n 115,<br />
devant une vieille maison du xvnr sicle, que fut tu<br />
sur une barricade le dput Baudin,<br />
Au n 303 s'levait, sous Napolon<br />
du D r<br />
le 3 dcembre 1851.<br />
er<br />
I , la maison de sant<br />
Dubuisson, o fut intern le gnral Mallet, c'est l<br />
qu'il combina le prodigieux complot dont bientt nous<br />
voquerons la dconcertante histoire. Plus loin, prs la rue<br />
de Montreuil, nous passons devant les restes des magasins<br />
de papiers peints de Rveillon, saccags le 17 avril 1789 ;<br />
leur pillage fut l'un des prludes de la Rvolution.
l'htel de seiss veks 1835.<br />
D'aprs une lithographie de Rouargue.<br />
14
LA niVE DROITE 211<br />
Enfin, au n 70 de la rue de Charonne, se trouvait la<br />
maison de sant du D r<br />
Belhomme, qui<br />
servait de Prison<br />
spciale sous la Rvolution. Ceux-l seuls y taient<br />
reus qui pouvaient payer, et fort cher. Les irrfutables<br />
mmoires de M. de Saint-Aulaine nous montrent Belhomme<br />
familier, cynique, exigeant son salaire et tutoyant<br />
les duchesses court d'argent qui lui marchandaient<br />
leur vie. Le plus aimable des historiens, mon excellent<br />
ami, G. Lentre, qu'il faut toujours citer quand il s'agit<br />
des faits de l'poque rvolutionnaire, a reconstitu cette<br />
terrible et tonnante histoire de la maison Belhomme,<br />
o l'on riait, o l'on dansait, o l'on flirtait mme<br />
sous l'il effrayant de Fouquier-Tinville; il a racont,<br />
avec son habituelle documentation, l'tonnante liaison<br />
de la duchesse d'Orlans, veuve de Louis-Philippe<br />
Egalit, avec le convenlionnel Rouzet, enterr plus tard<br />
Dreux, sous le nom du Comle de Folmon , dans le<br />
caveau de famille des d'Orlans.<br />
En poursuivant notre route et aprs avoir pa-s devant<br />
o fut inhum Louis XVII. . .,<br />
l'glise Sainle-Marguerite,<br />
ou son sosie, nous arrivons la barrire du Trne (du<br />
Trne renvers, disait-on en 1793). L'chafaud, qui<br />
momentanment avait quitt la place de la Rvolution, y<br />
fut dress pendant la plus terrible poque de la Terreur.<br />
Les grandes fournes y furent excutes. On y tua<br />
1,300 victimes en six semaines, dont Andr Chnier, le<br />
baron de Trenck, l'abbesse de Montmorency, Ccile<br />
Renaud, Madame de Sainte-Amaranthe, le pote Roucher
212 COINS DE PARIS<br />
et bien d'autres ! Les corps de ces malheureux, dpouills<br />
de leurs vtements, taient chargs chaque soir sur des<br />
tombereaux couverts, les ttes coupes entre les jambes,<br />
et l'horrible voiture, qui laissait derrire elle un sanglant<br />
sillage, tait dverse dans quelque foss creus au fond<br />
des jardins du couvent de Picpus, o existe encore le<br />
cimetire des supplicis de la Rvolution.<br />
En revenant sur nos pas, nous rencontrons, au n 9<br />
de la rue de Reuilly, les restes de ce qui fut la brasserie<br />
de l'Hortensia, tenue en 1789 par le fameux Santerre,<br />
commandant de la Garde nationale. La maison n'a pas<br />
beaucoup chang; toutefois, l'heure actuelle, c'est un<br />
pensionnat de jeunes filles qui occupe les grandes pices<br />
o le tonitruant Gnral organisa ces terribles descentes<br />
sur Paris et dchana ces effrayants bataillons du fau-<br />
bourg qui terrorisaient jusqu' la Convention elle-mme.<br />
De l'autre ct de la place de la Bastille, rue Saint-<br />
Antoine, prs de l'glise Saint-Paul, s'ouvre le passage<br />
les vieux sou-<br />
Gharlemagne, pittoresque au possible par<br />
venirs qu'il renferme et l'trange population qu'il abrite :<br />
rempailleurs de chaises, cardeurs de matelas, marchandes<br />
de lait, fleuristes en plein vent, se groupent<br />
autour des restes de l'htel charmant qui fut, sous<br />
Charles V, la somptueuse demeure du prvt Hugues<br />
Aubryot.<br />
La faade, encore remarquable et de belle allure,<br />
tonne et dtonne dans ce fouillis de maisonnettes pauvres<br />
et basses qui l'enserrent. Des poules picorent au
LA RIVE DROITE 213<br />
pied des tourelles du xv" sicle qui renferment encore<br />
un escalier de belle allure et du linge rapic sche<br />
sur des fils de fer entre les fentres cariatides du<br />
xvii e sicle remplaant celles derrire lesquelles rvrent<br />
jadis le duc d'Orlans, le duc de Berri et, en 1409, Jean<br />
de Montaigu, dcapit pour crime de sorcellerie ! qui<br />
furent les htes illustres de ce logis fastueux autre-<br />
fois ().<br />
Et maintenant arrtons-nous place des Vosges, de<br />
l'autre ct de la place de la Bastille. C'est l'un des rares<br />
coins de notre vieille Cit qui ont pu, travers les sicles,<br />
conserver peu prs<br />
intact leur ancien caractre : les<br />
maisons de style Louis XIII n'ont pas chang. Le dcor<br />
est rest le mme, les Prcieuses y pourraient refaire<br />
leurs promenades favorites et les raffins d'honneur y<br />
dgaineraient comme au beau temps de Richelieu et des<br />
frondeurs d'dits, seul le public des spectateurs serait<br />
profondment modifi. Les belles dames du pays de<br />
Tendre, les Cydalises et les Aramynthes, les Seigneurs<br />
qui jadis habitrent ces nobles logis, ceux qui, le 16 mars<br />
(1) Pourquoi faut-il si souvent indiquer par une note que telle<br />
relique encore debout il y a quatre ans est aujourd'hui d-<br />
molie, miette. Insoucieux de son histoire et de son glorieux<br />
pass, Paris laisse sans une protestation les vandales dtruire<br />
ses plus vnrables souvenirs. Depuis six mois l'htel Aubriot<br />
n'existe plus. Il a fallu huit jours des goujats pour faire dispa-<br />
ratre un bijou de pierre que les Franais admiraient depuis quatre<br />
sicles (aot 1909) !
214 COINS DE PARIS<br />
1612, assistrent au carrousel donn parla Reine rgente<br />
Marie de Mdicis, en l'honneur de la paix conclue avec<br />
l'Espagne, ou ceux qui se rendaient en grand carrosse<br />
chez la belle Marion de Lorme ou chez Madame de<br />
Svign, sont aujourd'hui remplacs par de petits rentiers,<br />
de modestes commerants retirs des affaires et<br />
des officiers retraits. D'humbles mnagres travaillent<br />
leur ouvrage aux places o reposaient les chaises<br />
porteur des nices de Mazarin, et la colonie nombreuse<br />
des Isralites qui habitent le quartier s'y donne rendez-<br />
vous le samedi. C'est un curieux spectacle que ces<br />
hommes et ces femmes, au type si fortement accus, se<br />
rendant la Synagogue, toute proche d'un reste d'hlel<br />
du xvm e<br />
sicle, encore orn de dlicates ornementations,<br />
occup aujourd'hui par un boucher, rue du Pas-de-la-<br />
Mule. Beaucoup de vieillards portent encore la longue<br />
lvite, les boucles d'oreilles et les cheveux en tire-bouchon.<br />
Des jeunes filles l'il velout, coiffes de ban-<br />
deaux, et vtues de faon spciale, s'y rencontrent cer-<br />
tains jours de ftes religieuses. Etrange vocation : il<br />
semblerait que, dans ces quartiers paisibles, les tra-<br />
ditions bibliques se fussent conserves dans quelques<br />
familles isralites.<br />
Mais c'est une exception, et la place des Vosges, qui<br />
fut la place Royale, qu'habitrent Richelieu, Fronsac,<br />
Chabannes, le marchal de Chaulnes, Rohan-Chabot,<br />
Rotrou, Dangeau, Canillac, le prince<br />
de Talmont et<br />
Mademoiselle du Chtelet ; o naquit Madame de Svign,
HOTEL DU PREVOT HIT. CE S AlBRYOT.<br />
COUR ET PASSAGE CHARLEMAGNE EN 1867.<br />
Dessin de A. Maignan.
LA RIVE DROITE 217<br />
o vcurent la tragdienne Rachel, Thophile Gautier et<br />
Victor Hugo, est aujourd'hui compltement dlaisse.<br />
Ce dlicieux coin de Paris o se dpensa tant<br />
d'esprit, o de si belles dames firent assaut de grce et<br />
d'lgance, o tant de Raffins dgainrent, n'est plus<br />
qu'un grand jardin solitaire, provincial et triste, fr-<br />
quent peu prs uniquement par les lves des pensions<br />
voisines qui y jouent aux barres, au cheval fondu ou<br />
au roi dtrn, l'ombre dbonnaire de la statue de<br />
Louis XIII, qu'encadrent philosophiquement le kiosque<br />
de la loueuse de chaises et le thtre de Guignol 1 (*)<br />
Dans l'ancienne rue Culture-Sainte-Catherine (qui<br />
s'appelle aujourd'hui rue de Svign), sur l'emplacement<br />
de l'actuel n 11, s'levait le thtre du Marais, construit<br />
aux frais de Beaumarchais. En 1792. on y reprsenta la<br />
Mre coupable, au bnfice, disait l'affiche, du premier<br />
soldat qui enverra au citoyen Beaumarchais l'oreille d'un<br />
Autrichien . Ce n'est plus qu'un modeste tablissement<br />
de bains chauds, prcd d'un petit jardinet, o, encadres<br />
de caisses de fusains, reluisent des boules tames.<br />
Le mur norme, sombre et rbarbatif, sur lequel s'ap-<br />
puie le lger pavillon thermal, est l'ancien mur de la<br />
Prison de la Force, de sinistre mmoire, o fut gorge<br />
sur une borne, au coin de la rue des Balais, Madame de<br />
(1) Depuis l'poque o ces lignes furent crites, la Ville de Paris<br />
a install son Muse Victor Hugo dans le logis mme qu'habita<br />
l'illustre pote. G. G. (1909).
218 COINS DE PARIS<br />
Lamballe, o fut transfre Madame Tallien, o fut<br />
dtenue la Princesse de Tarente, l'aeule de l'aimable,<br />
accueillant et rudit Duc de la Trmolle, qui n'eut qu'<br />
entr'ouvrir son incomparable Chartrier de famille pour<br />
nous donner ces passionnants et pittoresques Sou-<br />
venirs de Madame de Tarente , un<br />
documents sur la priode rvolutionnaire.<br />
des plus prcieux<br />
L'htel Carnavalet, la chre Carnavalette de<br />
Madame de Svign, est tout proche, et aussi l'ancien<br />
htel Le Peletier-Saint-Fargeau, aujourd'hui Bibliothque<br />
de la Ville de Paris. C'est un beau et vaste logis, de<br />
noble allure, qui renferme des merveilles, livres, cartes,<br />
plans, manuscrits. L'histoire crite de Paris est l, et<br />
tous les travailleurs connaissent le joli cabinet aux fines<br />
sculptures de l'aimable et savant M. Pote, conserva-<br />
teur de ces belles collections. MM. Beaurepaire, Jacob,<br />
Jarach et Wilhem, la Bibliothque; MM. Ptre et<br />
Stirling aux Travaux Historiques,<br />
sont les htes avertis<br />
et accueillants de cette admirable Bibliothque pari-<br />
sienne.<br />
Tout ce quartier du Marais renferme, du reste, de<br />
somptueux htels dont aucun, hlas ! ne fut respect ?<br />
Tous sont livrs au commerce et l'industrie. L'htel<br />
Lamoignon est occup par des polisseurs de glaces, des<br />
fabricants de siges rustiques; l'htel d'Albret, par un<br />
marchand de bronzes d'clairage; les htels de Tallard,<br />
de Maulevrier, de Sauvigny, de Brevannes, d'pernon, etc. ,<br />
sont encore debout, mais en quel tat ! La rue des
^m=J&
Nonnains-d'Hyres<br />
LA RIVE DROITE 221<br />
nous offre son curieux bas-relief de<br />
pierre peinte reprsentant un gagne-petit en costume<br />
du xvm e<br />
sicle. En 1748, une M me de Pannelier tenait<br />
dans cette mme rue bureau d'esprit ; Lalande, Sau-<br />
tereau, Guichard, Leclerc de Merry y frquentaient. Les<br />
sances, qui avaient lieu le mercredi, taient prcdes<br />
d'un excellent dner. La tradition s'en est heureusement<br />
conserve Paris.<br />
Rue Franois-Miron,<br />
se rencontre un vaste et bel<br />
htel fronton circulaire, avec cussons et guirlandes.<br />
C'est l'htel de Beauvais, bti par Le Pautre en 1658.<br />
On ne se douterait gure, aujourd'hui, voir cette<br />
vieille maison dans cette triste rue, que les carrosses<br />
dors du Roi Soleil ont pass sous la vote obscure de<br />
la porte d'entre, et que, du haut du balcon du pavillon<br />
central, la Reine Anne d'Autriche, accompagne de la<br />
Reine d'Angleterre, du cardinal Mazarin, du marchal<br />
de Turenne et d'autres illustres seigneurs, vit passer le<br />
cortge de son fils Louis XIV et de sa belle-fille, la nou-<br />
velle reine Marie-Thrse d'Autriche, faisant, par la<br />
porte Saint-Antoine, leur entre solennelle dans Paris,<br />
le 26 aot 1660 !<br />
Les propritaires successifs ont tous plus ou moins<br />
dgrad cette noble demeure. Seul, le grand escalier<br />
est peu prs intact, et c'est une merveille. Les<br />
sculptures sont de Martin Desjardins<br />
et la cour ovale<br />
garde encore quelques traces de son lgance d'au-<br />
trefois.
222 COINS DE PARIS<br />
Par son aspect pittoresque et les beaux htels qu'elle<br />
contient, la rue Geoffroy-l'Asnier est l'une des plus<br />
curieuses de Paris. Au n 26 se dresse l'htel de Chlons-<br />
Luxembourg, avec sa porte monumentale et son mer-<br />
veilleux heurtoir. Au fond de la cour s'lve un fort<br />
lgant pavillon Louis XIII, briques et pierres, aux pro-<br />
le deuxime<br />
portions dlicates; l'htel avait t bti pour<br />
Conntable de Montmorency, et tout perdu qu'il est dans<br />
ce triste quartier il garde encore fre allure.<br />
Aprs la Rvolution, cette rue dont presque tous les<br />
propritaires avaient migr ou avaient t guillotins,<br />
se trouva compltement dchue de son ancienne splendeur.<br />
De petits rentiers, de modestes employs, de<br />
pauvres gens se fixrent dans ces grandes maisons abandonnes;<br />
l'herbe poussait dans les rues, beaucoup d'h-<br />
tels avaient t vendus comme biens nationaux, et la rue<br />
Geoffroy-l'Asnier subit le sort commun, elle se dmo-<br />
cratisa !<br />
Entre cette rue et la rue des Barres, l'il tonn<br />
peroit une sorte de fissure ce point troite que deux<br />
personnes pourraient difficilement y passer de front,<br />
une manire de corridor o siffle le vent entre deux<br />
ranges de maisons dlabres et hors d'aplomb, c'est la<br />
rue Grenier-sur-l'Eau, pauvre et sale, mais pittoresque<br />
au possible avec, comme fond, la glorieuse tour de<br />
Saint-Gervais-Saint-Protais qui se dtache en lumire<br />
sur le ciel.<br />
C'est la nuit, avec un ciel d'orage, qu'il faut voir la
L'HTEL DE VILLE AU XVII e SICLE.
LA RIVE DROITE<br />
sinistre petite rue des Barres, derrire Saint-Gervais<br />
est alors facile de se<br />
reprsenter ce que dut<br />
tre ce paisible quar-<br />
tier lorsque, le 9 ther-<br />
midor, vers 11 heures<br />
du soir, la lueur des<br />
torches, parmi les ap-<br />
pels aux armes, les<br />
coups du tocsin et les<br />
clameurs de la foule,<br />
le corps de Lebas mort<br />
y fut apport et, sur une<br />
chaise, Augustin Robes-<br />
pierre qui<br />
s'tait bris<br />
les cuisses en sautant<br />
par une des fentres de<br />
l'Htel deVille. Le mort<br />
et le mourant taient<br />
trans l'htel des<br />
Barres transform en<br />
comit de section. Le<br />
lendemain matin on<br />
enterrait Lebas, et<br />
Augustin Robespierre<br />
tait port au Comit<br />
de Salut public, d'o il ,<br />
r<br />
RCE GRENIER-SUR-L EAU EN 18bb.<br />
partit pour l'chafaud. Dessin de A. Maif<br />
.<br />
15
226 COINS DE PARIS<br />
Dans cette pittoresque rue des Barres qui descend<br />
jusqu' la Seine, prs du vieux quai<br />
de l'Htel-de-<br />
Ville, o viennent s'amarrer les gros bateaux plats chargs<br />
de pommes, de pierres ou de sable s'ouvre l'une des<br />
sorties de la charmante glise Saint-Gervais dont les<br />
beaux vitraux, chefs-d'uvre de Pinaigrier et de Jean<br />
Cousin, furent presque totalement dtruits il y a quelque<br />
vingt ans par une explosion de dynamite. Tout contre<br />
l'glise, dans les restes dsaffects d'une ancienne chapelle,<br />
un confiseur a install ses alambics et ses bassines<br />
de cuivre rouge, et c'est un bien curieux spectacle, que<br />
de voir les fourneaux allums de toute cette trange cui-<br />
sine sous ces antiques votes ogivales, entre ces piliers<br />
noircis portant encore la trace des cires qui brlaient<br />
devant les images saintes, sur ce sol, jadis charnier, qui<br />
contient encore des ossements. Les communs de la<br />
vieille glise subsistent encore, merveilleusement pitto-<br />
resques et s'ouvrent rue Franois-Miron, n 2, gauche<br />
du portail d'entre de l'glise, entre une boutique de<br />
blanchisseuse et une entreprise de dmnagements !<br />
A ct, la petite rue de l'Htel-de- Ville nous amne<br />
rue Vieille-du-Temple, o nous pouvons admirer au<br />
n 47 ce qui nous reste du curieux htel des ambassa-<br />
deurs de Hollande o Monsieur Caron de Beaumar-<br />
chais et Madame son pouse comme les appelle un<br />
almanach de 1787, installrent en 1784 un Institut de<br />
Bienfaisance pour les pauvres mres nourrices . C'est<br />
mme au bnfice de cette uvre que fut donne la
HTEL BARBETTE.<br />
Rue Paradis-des-Francs-Bourgeois et rue Vieille-du-Temple en 1866<br />
Dessin de A. Maignan.
50 e<br />
LA RIVE DROITE 229<br />
reprsentation du Mariage de Figaro. Plus loin,<br />
sur la droite, l'angle de la rue des Francs-Bourgeois,<br />
se dressent la jolie tourelle construite vers 1500 pour<br />
Aquarelle de Boggs.<br />
PORT SAINT-PAUL.<br />
Colleet. G. Cain.<br />
Jean Hrouet, et enfin le beau palais des Rohan, aujour-<br />
d'hui Imprimerie nationale. C'est un noble et vaste logis
230 COINS DE PARIS<br />
que l'lgant Cardinal s'tait plu orner somptueusement.<br />
On y rencontre un chef-d'uvre, les Chevaux<br />
d'Apollon , merveilleux bas-relief de Pierre Le Lorrain<br />
le salon des Singes, par Huet, est charmant, et le cabinet<br />
du directeur de l'Imprimerie nationale, renferme une<br />
admirable pendule de Caffieri. Pourquoi faut-il que ce<br />
beau palais soit, hlas! condamn aune prochaine dis-<br />
parition. L'htel de Rohan va tomber sous le pic des<br />
dmolisseurs, et c'est l'tat qui commettrait ce sacri-<br />
lge !<br />
Puissent les efforts des amoureux de Paris russir<br />
et nous conserver ce prcieux vestige d'un pass qui<br />
disparat, hlas ! chaque jour un peu plus !<br />
Un cocher dont la surprise dut tre grande fut le<br />
nomm Georges qui, le 22 octobre 1812, 11 heures<br />
et demie du soir, par une pluie battante transformant<br />
en cloaque le sol fangeux du cul-de-sac Saint-Pierre<br />
(maintenant impasse Villehardouin), prs<br />
la rue Saint-<br />
Gilles, vit descendre de son cabriolet, compltement nu,<br />
et tenant sous le bras ses effets d'uniforme, un militaire<br />
qu'il venait, vingt minutes auparavant, de charger place<br />
du Louvre. Cet trange voyageur s'appelait le caporal<br />
Rteau, il se rendait au rendez-vous que le gnral Malet<br />
lui avait assign, du fond de la maison de sant du<br />
D r<br />
o il tait<br />
Dubuisson, 303, Faubourg-Saint-Antoine,<br />
intern par mesure administrative. Rteau, dans son<br />
dsir de revtir plus vite le bel uniforme d'officier d'or-<br />
.donnance qui lui tait destin, s'tait dshabill dans
LA RIVE DROITE 231<br />
la voiture, et c'est entirement dvtu qu'il monta quatre<br />
quatre le sombre escalier de la plus triste maison de<br />
cette triste ruelle.<br />
Elle existe encore, noire, sordide, misrable, la<br />
bicoque o Malet avait donn rendez-vous aux complices<br />
chez l'abb<br />
qu'il, s'tait choisis, au troisime tage,<br />
ahuri et sortant<br />
Cajamanos, un vieux prtre espagnol<br />
de Bictre^).<br />
C'est une prodigieuse aventure que celle du gnral<br />
Malet et qui dconcerte. Ainsi, en 1812, alors que Napolon<br />
semblait au fate des grandeurs humaines, du fond<br />
d'une sorte de cachot, avec l'aide de cinq ou six obscurs<br />
comparses, d'un vieux prtre sachant peine le franais,<br />
d'un officier gnral mis en rforme, d'un sergent presque<br />
illettr et de quelques cerveaux brls; le gnral Malet,<br />
suspect, dtenu, surveill, avait pu tout combiner, tout<br />
prparer pour accrditer le bruit de la mort de l'Em-<br />
pereur, dont on manquait de nouvelles, perdu qu'il<br />
tait dans les steppes glacs de la Russie !<br />
Et<br />
ces<br />
calculs se trouvrent justes! Tous les dignitaires imp-<br />
riaux, depuis le ministre de la police Savary jusqu'au<br />
prfet de la Seine Frochot, acceptrent sans contrle,<br />
sans discussion, sans preuves, les allgations du gnral<br />
Malet. Tous surtout crurent ses belles promesses, et<br />
l'on ne saurait dire o se serait arrt le prodigieux<br />
(1) L'impasse Villehardouin n'existe plus : une importante maison<br />
de commerce a install ses ateliers sur le thtre o se joua la<br />
tragdie de 1812 (1909).
232 CONS DE PARIS<br />
mystificateur, si un officier, ne connaissant que sa<br />
consigne, se refusant toute discussion et ne se payant<br />
pas de belles paroles, n'avait demand vrifier les pouvoirs.<br />
Malet, pris de court, impatient, rpliqua par un<br />
coup de pistolet; le commandant Doucet lui mit la main<br />
au collet et la comdie finit en drame.<br />
On mit, faire disparatre tous les organisateurs de<br />
ce complot, qui avait si bien failli russir, d'aulant plus<br />
d'empressement qu'il fallait au plus vite supprimer ces<br />
gnants tmoins de tant de lchets, de mensonges et<br />
de compromissions.<br />
Le pauvre logis de l'impasse Villehardouin fut fouill<br />
par toute la police de Paris; les papiers, les uniformes,<br />
les bicornes et les pes furent repchs dans le petit<br />
puits qui existe encore et o ils avaient t perdument<br />
jets. En quelques heures, Malet, Lahorie, Rteau,<br />
Guidai furent jugs, condamns et excuts. Les<br />
rponses du gnral devant le tribunal, qui le jugea som-<br />
mairement, sont dconcertantes; comme on lui deman-<br />
dait (un peu tard) quels taient ses complices : Vous<br />
tous, rpondit-il ses juges, si j'avais russi!<br />
Amen devant le sinistre mur de la plaine de Gre-<br />
nelle, il voulut commander lui-mme le feu du peloton<br />
d'excution, et fit, comme au terrain de manuvre,<br />
recommencer le mouvement Enjou! qui n'avait pas<br />
t excut avec une prcision toute militaire. Un officier,<br />
le capitaine Borderieux, qui n'avait d'ailleurs absolu-<br />
ment rien compris ce drame prodigieux dont il avait
LA RIVE DROITE 233<br />
t l'un des plus pittoresques comparses, mourut, en<br />
criant : Vive l'Empereur!<br />
Entre les Archives et la rue Sainte-Croix-de-la-Bre-<br />
tonnerie s'levait jadis un vaste couvent qui, en 1631,<br />
devint la proprit des Carmes Billettes, du nom d'un<br />
ornement que ces religieux portaient sur leur robe.<br />
La Rvolution supprima le couvent, mais le petit clotre<br />
nous est rest avec ses proportions charmantes et son<br />
intimit monacale. C'est aujourd'hui une cole muni-<br />
cipale, l'glise voisine fut affecte au culte protestant.<br />
A ct la rue de Venise, une des plus anciennes de<br />
Paris ; ruelle infecte et sordide o grouille la plus basse<br />
prostitution. Un monde de malandrins des deux sexes<br />
hantent les bouges qui la bordent. Des femmes sans<br />
ge, abominables, dambulent et tranent des savates<br />
limes devant des entres de couloirs o se devinent<br />
de gluants escaliers noirs; des linges rapics pendent<br />
aux fentres, d'acres fumes sortent travers d'pais<br />
barreaux obturant d'anciens htels mus en repaires de<br />
vagabonds, et clos par de lourdes portes hrisses de<br />
clous rouilles.<br />
C'est hideux et pittoresque, comme tout ce vieux<br />
quartier d'ailleurs, qui, avec la rue Pierre-au-Lard, la<br />
rue Brise-Miche et la rue Taille-Pain, forme cet ensemble<br />
tonnant : le clotre Saint-Merri, du nom de la vieille<br />
glise<br />
dont le tocsin a sonn tant de fois l'alarme<br />
l'poque des meutes du rgne de Louis-Philippe.
234 COINS DE PARIS<br />
A la moindre pousse de livre populaire, cet inextricable<br />
ddale de petites rues se hrissait de barricades.<br />
C'est l'intersection de la rue Saint-Martin et de la rue<br />
Aubry-le-Boucher que s'leva l'effrayante barricade<br />
dfendue par Jeanne et ses intrpides compagnons.<br />
A la suite de l'enterrement du gnral Lamarque, mort<br />
en pressant sur les lvres l'pe que lui avaient offerte<br />
les officiers bonapartistes des Cent-Jours, un immense<br />
mouvement rvolutionnaire avait galvanis Paris; les<br />
anciens soldats de l'Empire, les survivants de la Terreur<br />
et ceux de 1830 groups dans leur haine commune<br />
contre le gouvernement de Louis-Philippe, se joignirent<br />
aux mcontents de tous les partis et aux membres<br />
des socits secrtes, si nombreuses alors. Dans la<br />
soire du 5 juin 1832, le centre de Paris s'tait hriss<br />
de barricades, et la troupe et la garde nationale durent<br />
reconqurir une une les positions perdues on<br />
s'gorgea toute la nuit et, lorsque l'aube du 6 juin<br />
teinta de rose le faite des maisons, la grande bar-<br />
ricade de Saint-Merri tenait toujours. Ses dfenseurs,<br />
une poigne d'hommes hroques, avaient jur de s'en-<br />
sevelir sous ses ruines; il avaient dj repouss dix<br />
furieux assauts; ils attendaient la mort, et la grande<br />
voix du tocsin de Saint-Merri, sonnant sans relche<br />
au-dessus de leurs ttes, semblait tinter le glas des tr-<br />
passs! Une partie de l'arme de Paris dut donner<br />
pour abattre ces insurgs indomptables<br />
des pavs, des fentres, des caves; autour de la barri-<br />
: le feu sortait
LA RIV DROIf 235<br />
cade des corps de gardes nationaux et de soldats, cribls<br />
de balles, trous de coups de couteaux, crass sous les<br />
pavs lancs du haut des toits, tmoignaient<br />
de l'ef-<br />
froyable sauvagerie de cette lutte fratricide: le sol,<br />
longtemps, demeura rouge de sang! Que de boulets, que<br />
de mitraille, que de balles ont reu toutes ces vieilles<br />
faades,<br />
au hasard des chauffoures si nombreuses du<br />
temps de Louis-Philippe.<br />
Au premier appel des tambours, les citoyens<br />
s'armaient et couraient dfendre l'ordre... ou l'attaquer;<br />
les femmes, anxieuses, tapies derrire les volets ferms,<br />
guettaient les civires.<br />
L'meute finie, la vie reprenait et, dans le mme<br />
immeuble, l'insurg ctoyait l'honnte garde national<br />
avec lequel il avait, la veille, chang des coups de<br />
fusil. Parfois, cependant, quelques rancunes subsistaient.<br />
Mes p'arents ont connu une vieille dame, loge rue<br />
Saint-Merri, qui, pendant trente ans, ne passa jamais<br />
qu'en tremblant devant la porte du locataire demeurant<br />
au-dessous d'elle. Comme ou s'tonnait de cette persis-<br />
tante apprhension, elle disait : Si vous saviez ce qui<br />
m'est arriv! et elle contait qu'un soir d'meute,<br />
en 1830, son mari, absent depuis le matin,<br />
faisait le<br />
coup de fusil dans les rangs de la garde nationale. Elle,<br />
reste seule la maison, affole d'angoisse, vit arriver<br />
au tournant de la rue un brancard recouvert d'une ser-<br />
pillre que les porteurs dposrent sa porte. Est-ce<br />
son mari qu'on ramne mort? Elle se prcipite, sou-
236 COINS DE PARIS<br />
lve un coin du drap et, reconnaissant, la joue traverse<br />
d'une balle, sanglant, les yeux hagards, la mchoire<br />
fracasse, le locataire du dessous : Ah! quel bonheur,<br />
s'cria-t-elle; c'est vous, monsieur Vitry!<br />
M. Vitry, depuis ce jour, lui avait battu froid.<br />
Du temps de Charles VI, sous le prtexte trop justifi<br />
d'puration ncessaire, et, sur la prire du cur de<br />
Saint-Merri, on avait expuls de ces rues chauldes la<br />
majeure partie des ribaudes et des prostitues qui y<br />
prenaient leurs bats. Mais, si la morale a des droits, le<br />
commerce en a galement; les bons boutiquiers du<br />
quartier, plus soucieux de leurs intrts que<br />
de la<br />
dcence, protestrent nergiquement contre une pareille<br />
mesure , si prjudiciable leurs petits ngoces. Ils<br />
eurent gain de cause; le 21 janvier 1388, le Parlement<br />
donna tort M. le Prvt, et la bande joyeuse reprit<br />
triomphalement possession du quartier. Nopces et<br />
feslins!<br />
Dans sa Chronique des rues, notre docte ami Beau-<br />
repaire, bibliothcaire de la Ville de Paris, assure que<br />
la rue Pirouette, prs l'glise Saint-Eustache, doit son<br />
nom singulier au pilori des Halles qui s'levait cet<br />
emplacement : c'tait une tour octogonale, perce de<br />
hautes fentres ogivales, au milieu de laquelle tait une<br />
roue de fer, perce de trous o l'on faisait passer la<br />
tte et les bras des criminels, rdeurs, assassins, cour-<br />
tiers de dbauches, blasphmateurs, condamns cette<br />
exposition ^infamante. On les y attachait pendant trois
LA RIVE DROITE 237<br />
jours de march conscutifs, deux heures par jour, et<br />
LA RUE DES PROUVAIRFS ET I.A RUE SA1NT-EUSTACHE VERS 1850.<br />
Aquarelle de Villeret.<br />
Muse Carnavalet.<br />
en les tournant de demi-heure en demi-heure dans une
238 COINS DE PARIS<br />
direction diffrente. En somme, on leur faisait faire la<br />
pirouette,<br />
de l le nom de la rue.<br />
Aprs y avoir t autrefois exposs,<br />
l>.vttffcM<br />
Hj Si I<br />
Caneila, pinxit. LES HALLES EN 1822 1<br />
.<br />
les malfaiteurs<br />
Muse Carnavalet.<br />
viennent y souper aujourd'hui. L' Ange gardien un<br />
tapis franc, exhibe son enseigne presque l'angle de la<br />
rue : Ici l'on rit, l'on boit, l'on chante et l'on prpare<br />
les mauvais coups du lendemain. L'tat-major de l'arme
LA RIVE DROITE 239<br />
du vice s'y runit. C'est l'endroit la mode, quelque<br />
chose comme le Maxim's des chourineurs. C'est l<br />
qu'il est vraiment lgant de se montrer dans le monde<br />
Canella, pinxit. LES HALLES EN 1828. Muse Carnavalet.<br />
des Apaches . Casque-d'Oret ses pareilles y trnent, et<br />
le gredin qui vient de faire un mauvais coup est certain<br />
d'y rencontrer bon souper, bon gte et le reste. 11 n'y a<br />
pas que les chevaliers du surin qui hantent ce noble
240 COINS DE PARIS<br />
logis; d'autres seigneurs y viennent manger des escargots<br />
et boire du Champagne : d'inquitants jeunes gens,<br />
aux cheveux plaqus y mnent tapage. On dpense<br />
LES HALLES ET LA POINTE SAINT-El'STACHE.<br />
Gravure sur bois de A. Lepre.<br />
l l'argent du coup de couteau ou celui du coup de<br />
chantage. C'est l'une des hontes de Paris. Le pro-<br />
pritaire assure que de braves gens font partie de sa
^<br />
EN 18G7.<br />
I,E TROTTOin DES HALI.KS, PISES SA1NT-EUSTACHE,<br />
LA RIVE DROITE 243<br />
clientle : la chose est possible^ mais alors ces infor-<br />
VIEILLES RUES I)U QUARTIER DES HALLES, VERS 1865.<br />
Clich Marville.<br />
tuns rencontrent chez lui bien mauvaise compagnie.
244 COINS DE PARIS<br />
Tout ct, presque porte porte, au n 5, s'ouvre<br />
la cour du Heaume qui nous donne une saisissante<br />
impression de ce qu'taient les logis d'autrefois; ce fut,<br />
au xiv e<br />
sicle, un somptueux htel, ce n'est plus<br />
aujourd'hui qu'une remise de voitures bras qui<br />
tendent vers les vieux plafonds aux poutrelles saillantes<br />
leurs brancards vernisss par l'usure, et une poisson-<br />
nerie o se dbitent les escargots de Bourgogne et<br />
les homards cuits ou crus. C'est l'un des coins les<br />
plus pittoresques de ce pittoresque quartier,<br />
avec ce<br />
qui reste de la rue de la Grande-Truanderie, o, le<br />
10 mai 1797, fut arrt Babeuf, un des anctres du com-<br />
munisme.<br />
La rue de la Tonnellerie, o habita Molire, disparut<br />
galement dans le percement de la rue Turbigo.<br />
Dans ce quartier des Halles o chacun travaille, o<br />
chaque boutique offre la gourmandise de Paris les<br />
meilleures victuailles, les plus frais lgumes, les fruits<br />
les plus savoureux; o toutes les nuits de longues files<br />
de voitures marachres charrient des montagnes de pro-<br />
visions de toutes sortes, chaque rue a, pour ainsi dire,<br />
sa spcialit. Les mnagres savent o trouver les<br />
volailles, o, les langoustes, o, les fromages, o, les<br />
oranges. Toutes ces petites rues, avoisinant les Halles,<br />
reclent d'tonnantes boutiques, des angles de portes,<br />
des coins de caves qui, depuis des gnrations, sont<br />
occups par un monde de braves cultivateurs, de petits<br />
ngociants, de revendeurs, de marchands au panier, qui
LA RIVE DROITE 247<br />
tous ont leurs spcialits et leurs clientles. On rencontre<br />
encore, dans cette curieuse rue Montorgueil, de<br />
vieux logis qui stupfient, comme entre les n 08 64 et<br />
72 cette antique auberge du Compas-d'Or o des-<br />
cendirent tant de gnrations de voituriers. Sa double<br />
entre, encombre elle-mme de petits taux de bou-<br />
chers, de marchands de volailles, de tripiers, s'ouvre<br />
sur une immense cour o picorent les poules dans des<br />
tas de fumier dor, o s'brouent les canards, o blent<br />
des chvres, sous l'il tonn d'une trentaine de che-<br />
vaux, paisibles locataires du rez-de-chausse, dont les<br />
ttes curieuses passent au-dessus des portes-barrires,<br />
par les fentres basses, ou par les soupiraux ouverts.<br />
Au fond, sous l'immense hangar, sont remises les<br />
voitures, dans une saine odeur de campagne, de foin,<br />
de verdure et c'est un spectacle vraiment curieux que<br />
ce coin silencieux, cette remise campagnarde dans cette<br />
rue bruyante, populeuse, encombre, pleine de camelots,<br />
d'ouvriers, de cris, dbordante de vie et de mouvement.<br />
Les restes de la rue Quincampoix, derrire la vieille<br />
Tour Saint-Jacques-la-Boucherie , prcisent l'tranget<br />
de ce quartier o le dcor est demeur en partie, mais<br />
o les habitudes et les habitants se sont, plus peut-tre<br />
que partout ailleurs, modifis et transforms. Rue<br />
Quincampoix, en effet, Law avait install ses bureaux,<br />
la Banque du Mississipi. L, tout Paris connut les<br />
fivres de la spculation. Ce fut comme une frnsie !
248 COINS DE PARIS<br />
Pendant des mois on ne vit que ruines et folies. Tous<br />
jouaient, la duchesse et le prtre, le philosophe<br />
et le<br />
courtisan, le boutiquier et la danseuse, le duc et pair et<br />
son laquais, le traitant et son commis. Pour profiter du<br />
voisinage du clbre agioteur, chaque chambre, chaque<br />
boutique, chaque cave mme, se vit transforme en tripot,<br />
et l'on cite le cas d'un savetier qui louait 100 livres par<br />
jour, des joueuses, son choppe infecte, puant la poix<br />
et le vieux cuir. La fivre de l'or avait aboli toutes les dis-<br />
tances. Puis, fatalement, clatrent la crise finale, l'effon-<br />
drement, la panique : la rue Quincampoix<br />
plus que visages dsesprs. Tous les jours<br />
ne montrait<br />
crises de<br />
folie, meurtres, suicides. En une seule fois, vingt-sept<br />
corps d'assassins ou de suicids sont pchs aux filets<br />
de Saint-Gloud. Pour jouer encore, il fallait tout prix<br />
faire de l'argent : on volait dans les rues main<br />
arme, et les assassins appartenaient toutes les classes<br />
de la socit. Un jeune misrable, parent du Rgent,<br />
le comte de Horn, dj clbre par ses folies, embauche<br />
deux sclrats de son espce, raccroche un jeune agio-<br />
teur fort riche, l'attire dans un cabaret, rue de Venise,<br />
l'gorg et le vole. Quel scandale! La Cour et la Ville<br />
s'affolent. Va-t-on svir enfin, et la justice fera-t-elle<br />
son devoir? On s'meut, on intrigue, le lieutenant-<br />
criminel vient lui-mme prendre les ordres du Rgent,<br />
et de Horn, arrt le 22 mars 1720, fut, le 26, excut,<br />
rompu en place de Grve, aux applaudissements de tout<br />
Paris.
LA RIVE DROITE 251<br />
La rue Quincampoix recle encore quelques vieux<br />
htels o sont venus se loger des spcialits mdi-<br />
des fabricants d'eau<br />
cales , des caves fromagres ,<br />
de seltz , des fantaisies pour confiseurs , etc. Aux<br />
n os 58, 28, 14, 15, et surtout au n 10, se rencontrent<br />
des restes de fer forg, des balcons rompus, des mas-<br />
carons de pierre corns... Mais tout cela se dsagrge,<br />
se disloque, tombe en ruine et ce n'est que par un<br />
srieux effort d'imagination que l'on peut reconstituer,<br />
dans ce dcor de misre, la vie de luxe, de fivre<br />
et d'agiotage qui jadis emplissait cette vieille rue, em-<br />
puantie aujourd'hui de relents pharmaceutiques et<br />
d'odeurs rances de pommes de terre frites.<br />
La prophtie de Coll s'est ralise : On n'est plus<br />
de Paris quand on est du Marais!<br />
Le commerce a mis la main sur les beaux htels de<br />
jadis; la droguerie y a install ses alambics;<br />
cants de jouets y vendent leurs polichinelles;<br />
les fabri-<br />
l'article<br />
Paris et le monde des camelots y rgnent sans conteste.<br />
C'est une population pauvre, laborieuse, intelligente,<br />
active, exerant de petits mtiers, dans ce qui fut de<br />
somptueux htels, et le contraste n'est ni sans grce, ni<br />
sans intrt : une visite ces quartiers des Archives, du<br />
Marais et de Saint-Merri est certainement l'une des<br />
curiosits de Paris.<br />
La ligne si pittoresque des grands boulevards s'tend<br />
de la Bastille la Madeleine.
252 COINS DE PARIS<br />
Il serait impossible de prciser l'aspect gnral des<br />
boulevards, chacun d'eux ayant sa physionomie spciale,<br />
son caractre particulier.<br />
Le boulevard Beaumarchais est tranquille et bour-<br />
geois. Rien n'a survcu du bel htel, surmont d'une<br />
plume en guise de girouette et d'enseigne, qu'y leva<br />
l'auteur du Mariage de Figaro, ni de ces jardins fameux<br />
qui firent l'merveillement de Paris et que l'on ne pou-<br />
vait visiter qu'avec des cartes spciales, signes par<br />
Beaumarchais lui-mme, et parcimonieusement dis-<br />
tribues.<br />
Quelqu'un cependant les a connus, ces jardins cl-<br />
bres; quelqu'un a pntr dans ce qui restait de cette<br />
demeure fastueuse: Victorien Sardou. Pressentait-il qu'il<br />
serait un jour, de par son talent et son esprit, le suc-<br />
cesseur de ce Beaumarchais dont il usurpait ainsi la<br />
proprit?<br />
Toujours est-il qu'en 1839, Victorien Sardou, g<br />
de sept ans, habitait chez ses parents, place de la<br />
Bastille. C'taient, avec ses petits camarades, d'intermi-<br />
nables parties de ballon et de cerceau autour de l'l-<br />
phant et aux abords du Canal; l'entre du boulevard<br />
Beaumarchais actuel, droite, de longues palissades<br />
vermoulues bordaient un terrain vague; sur ces palis-<br />
sades taient accroches des images un sou, de sol-<br />
dats, d'acteurs et d'actrices, et ces images n'avaient pas<br />
de plus fidle amateur que le petit Sardou.<br />
Un jour, en contemplant sa galerie en plein air, il
SAINT-JACQUES-LA-BOUCIIKHIE, VERS 1848.<br />
Lithogr. de A. Durand.
LA HIVE DROITE 255<br />
aperoit, travers l'interstice de deux planches, un<br />
immense jardin. Qu'est-ce que ce jardin? Si on y<br />
entrait? Et le voil, lui et un gamin de son ge, car-<br />
tant et soulevant une planche l'aide des btons de<br />
leurs cerceaux et se glissant, dlicieusement terroriss,<br />
dans ce domaine inconnu... stupeur! ils sont chez la<br />
Belle au Bois dormant. Des herbes folles, des lianes, des<br />
branches, des arbres ont tout envahi. C'est la faune et la<br />
flore des forts vierges, et, pour locataires, des lapins,<br />
des oiseaux, des papillons. Robinson et le fidle Ven-<br />
dredi n'eurent pas plus grande surprise parcourir leur<br />
le que ces deux bambins se perdre dans cet ocan de<br />
verdure.<br />
Sardou se souvient vaguement d'un pavillon ruin<br />
et de vieux murs dcrpits, mais il revoit encore les<br />
talus, les fosss, les escarpements, o lui et son<br />
camarade firent de si dlicieuses escapades, et rien<br />
n'est plus charmant que d'entendre cet exquis et spiri-<br />
tuel Sardou, l'il si fin, au verbe si vocateur, conter<br />
(et avec quel art merveilleux!)<br />
d'autrefois, qu'il regrette si fort et qu'il<br />
bien (*) !<br />
ces histoires du Paris<br />
connat si<br />
Les vieilles demeures ont disparu; une seule subsiste<br />
encore, l'angle del rue Saint-Claude, au n 1; c'est<br />
l'htel clbre o Cagliostro, ce charlatan de gnie,<br />
installa ses fourneaux, ses creusets, ses alambics, ses<br />
(1) Hlas, notre cher et illustre matre n'est plus. V. Sardou est<br />
mort l'an dernier... (1909).
256 COINS DE PARIS<br />
machines transformations, toute l'trange cuisine qui<br />
servait aux sances de magie.<br />
La maison n'a t pas trop modifie; elle reste encore<br />
baroque, mystrieuse, nigmatique,<br />
avec ses escaliers<br />
pris dans l'paisseur des murs, ses corridors secrets,<br />
ses plafonds machins, ses caves multiples issues. Les<br />
plus grands seigneurs, les plus nobles dames frquentrent<br />
ce logis; le cardinal de Rohan en tait le familier.<br />
Le bruit courait qu'on y faisait de l'or et que Cagliostro,<br />
le grand Cophte, avait retrouv le secret de la pierre<br />
philosophale! Il offrait, ajoutait la lgende, des repas de<br />
treize couverts o les convives pouvaient voquer les<br />
morts et c'est ainsi que Montesquieu, Ghoiseul, Voltaire<br />
et Diderot avaient pris part au dernier souper de<br />
Cagliostro.<br />
Tout cela fit du bruit, on murmura, on cria au scan-<br />
dale : Louis XVI haussa les paules et Marie-Antoinette<br />
dfendit qu'on lui parlt<br />
de ce charlatan . Mais chacun<br />
voulait pntrer chez le divin sorcier, et Lorenza, sa<br />
femme, dut ouvrir un cours de magie l'usage des<br />
dames du monde.<br />
Survient l'affaire du Collier. Cagliostro, compromis<br />
avec le cardinal de Rohan et M me de Lamotte, est<br />
arrt et mis la Bastille. Ce ne fut que dix mois<br />
plus tard, le<br />
er<br />
1 juin 1787, qu'il put rentrer dans l'htel<br />
de la rue Saint-Claude, escort par une foule de huit<br />
mille dix mille personnes, obstruant le boulevard, la<br />
cour de l'htel, les escaliers. On l'acclamait, on l'em-
LA RIVE DROITE 259<br />
brassait, on le portait en triomphe. Cette belle journe<br />
n'eut pas de lendemain; quelques heures plus tard, un<br />
ordre du Roi l'exilait de France : l'htel fut clos. On<br />
ne le rouvrit qu'en 1805 pour en vendre les meubles,<br />
et ce dut tre un curieux spectacle! En 1855, on fit des<br />
rparations la maison, les vantaux de la porte cochre<br />
furent changs; ceux qui s'ouvrent aujourd'hui sur la<br />
rue Saint-Claude proviennent des anciens btiments du<br />
Temple. Les portes de la prison de Louis XVI ferment<br />
l'ancien htel de Cagliostro !<br />
Boulevard des Filles-du-Calvaire s'lve le Cirque<br />
d'Hiver, toujours immuable avec ses Jeux Icariens,<br />
ses quilibristes, ses cuyres souriantes qui, depuis<br />
tant d'annes, aux accents d'un pas redoubl, fran-<br />
chissent les mmes cercles de papier et saluent d'un<br />
mme sourire la foule idoltre. Mais si le spectacle n'y<br />
varie gure, le public enfantin s'y renouvelle constam-<br />
ment, et les mmes rires perls de notre enfance y<br />
accueillent les mmes grimaces des clowns. Mon-<br />
sieur Loyal seul n'est plus, l'admirable, l'imposant Mon-<br />
sieur Loyal, sangl dans son bel habit bleu et qui, d'un<br />
si noble geste, rectifiait d'un coup de chambrire les<br />
incartades du clown gouailleur ou les carts de la jument<br />
Rigolette, prsente en libert 4<br />
( ).<br />
Pourrait-on croire aujourd'hui que, pendant plus<br />
d'un sicle, le boulevard du Temple fut le centre de la<br />
(1) Le Cirque d'Hiver s'est notre vif regret totalement<br />
modifi. C'est aujourd'hui un banal cinmatographe (1909).
260 COINS DE PARIS<br />
gaiet de Paris! Une dlicieuse gravure de Saint-Aubin<br />
nous le montre joyeux, pimpant, mouvement : les car-<br />
rosses, les wiskys, les cabriolets, les vis--vis s'y<br />
croisent; les grandes dames, les lgantes, les filles<br />
la mode, y rivalisent de grces, de belles manires, de<br />
jolies toilettes aux tranges dsignations, et le dessinateur<br />
Briou peut crire au bas d'une gravure de mode<br />
de : l'poque L'agaante Julie reposant<br />
vard, en attendant bonne Fortune : elle est en robe du<br />
matin avec un chapeau la Chasseresse aux curs<br />
sur le Boule-<br />
volants . On soupe et l'on danse au Caf Royal, chez<br />
Alexandre; on s'crase devant les boniments de Nicolet;<br />
on fait cercle autour de Fanchon la vielleuse. Curtius y<br />
installe ses luxueux salons de cire; plus tard, les parades<br />
de Bobche et de Galimafr feront la joie de Paris, et<br />
bien longtemps la kermesse continuera.<br />
L'Ambigu, le Thtre Historique, la Gat, les Funambules,<br />
le Cirque Olympique, le Petit-Lazari, les Dlasse-<br />
ments-Comiques; dix thtres y apporteront la fivre, le<br />
bruit, la vie, avec leur personnel trange, nerveux,<br />
grandiloquent, tapageur; les titis, de tous temps pris<br />
de spectacles, acclameront leur passage les hros de<br />
tous ces drames et de tous ces mlodrames, si nombreux<br />
que l'argot populaire avait baptis de ce nom<br />
suggestif : Boulevard du Crime le boulevard du Temple<br />
o de dix heures minuit, chaque soir, tant de sang<br />
coulait sur les planches de ces thtres : M me Dorval,<br />
M lle<br />
George, M 1" Djazet, MM. Bocage, Mlingue, Bouff,
t,.\ RIV DROITE 263<br />
Dumaine, Saint-Ernest, Boutin, Colbrun, Lesueur, De-<br />
burau, le Pierrot idal, et aussi Gobert, qui ressemblait<br />
si fort Napolon I er , comme Taillade, maigre<br />
et nerveux, incarnant Bonaparte. C'tait l'poque o<br />
l'pope bonapartiste tournait ce point les ttes que le<br />
pauvre comdien Briand, charg, dans un des nombreux<br />
Napolon qui se jouaient alors, du rle ingrat<br />
d'Hudson Lowe, disait : Je ne retrouverai jamais pareil<br />
succs. Hier, ils m'ont attendu la sortie et jet dans le<br />
bassin du Chteau-d'Eau!<br />
Tout le quartier se passionnait pour ou contre ses<br />
artistes habituels, pousait leurs querelles, se rptait<br />
leurs bons mots ou leurs aventures; Frdrick-Lemaitre<br />
surtout, tragique, dbraill, buveur, prodigue, gnial,<br />
portant, dans la vie comme au thtre, le panache effi-<br />
loch de Don Csar de Bazan, avait sa lgende; on<br />
s'extasiait sur ses amours avec Clarisse Miroy, trames<br />
de coups de canne et de tendresses folles. Le lendemain<br />
d'une de ces retentissantes querelles, Frederick, racon-<br />
tait-on, sonnant la porte de sa matresse, fut reu par<br />
la mre de Clarisse; la bonne dame, effraye de se<br />
trouver en prsence du brutal artiste, levait dj le bras<br />
pour se garer des coups... Vous battre, moi, vibra<br />
Frederick, avec la voix tonitruante de Richard d'Arlington,<br />
vous battre! pourquoi?... Est ce que je vous<br />
aime?<br />
Le Thtre Historique deviendra le Thtre Lyrique,<br />
et l'admirable M me Miolan-Carvalho, la reine du chant, y
264 COINS DE PARIS<br />
crera, avec quel art, Faust, Mireille, 1rs Noces de<br />
Jeannette, la Reine Topaze, etc. Vers 1861, le glorieux<br />
matre Massenet, encore lve au Conservatoire et la<br />
veille d'obtenir son Prix de Rome, remplira l'orchestre<br />
du thtre les fonctions de timbalier, aux modestes<br />
appointements de 45 francs par mois! Les frres Daven-<br />
port, le prestidigitateur Robin donneront en face leurs<br />
amusantes sances d'hypnotisme et de magie blanche.<br />
On rencontre, sur cet inoubliable boulevard du<br />
Temple, tous les auteurs la mode: Dennery, Thodore<br />
Barrire, Victor Sjour, Paul Fval, Gounod, Berlioz,<br />
A. Adam, Clapisson, Saint-Georges, les frres Cogniard,<br />
Clairville et le grand Dumas passe triomphalement, dis-<br />
tribuant tous des poignes de main. Les cafs refusent<br />
du monde. Les marchands d'oranges font fortune, les<br />
gavroches vendent des contremarques, portent des bouquets<br />
aux jolies actrices, hlent des cabriolets. On<br />
s'interpelle, on crie, on se dispute, on rit surtout, sous<br />
l'il indulgent de la police et au bruit de la sonnette<br />
du marchand de coco : c'est l'ge d'or!<br />
En 1862, une regrettable dcision du baron Hauss-<br />
mann, prfet de la Seine, supprima ce coin vivant, si<br />
joyeux, et sur les ruines de tous ces thtres, qui<br />
apportaient la fortune et la gaiet, s'lvent la caserne<br />
du Prince-Eugne, la vilaine btisse de l'Htel Moderne<br />
et le dplorable monument de la place de la Rpublique.<br />
De tout ce beau et artistique pass, rien ne subsiste que<br />
le minuscule thtre Djazet, au coin du passage Ven-
LA UVE DROITE 267<br />
dme, et le Caf Turc, mais combien diffrent de ce<br />
qu'il fut autrefois, alors que Bailly le peignit sous le<br />
Directoire : les lgantes, les Merveilleuses,<br />
les In-<br />
croyables y venaient alors corcher une glace ou<br />
dguster de petits pots de crme, en y coutant des<br />
concerts de citharistes; de jeunes Savoyards faisaient<br />
danser leurs marmottes devant les mes sensibles et<br />
les bourgeois conomes du quartier menaient leur famille<br />
contempler la haute vie parisienne qui<br />
Turc un de ses sjours d'lection.<br />
faisait du Caf<br />
Les restaurants taient nombreux; souvenirs des<br />
cafs renomms d'autrefois comme le caf Godet et le<br />
caf Yon. On y chantait, on y dansait, on y riait et parfois<br />
aussi l'on y complotait. C'est au restaurant des Ven-<br />
danges de Bourgogne, faubourg du Temple, rendez-vous<br />
ordinaire des repas de noces parisiennes ou des agapes<br />
de la Garde nationale, que, le 9 mai 1831, la fin<br />
d'un banquet donn pour clbrer l'acquittement de<br />
Guinard, de Cavaignac, des frres Garnier, accuss de<br />
complot contre la sret de l'tat variste Gallois,<br />
un couteau la main, porta en trois mots, ce toast<br />
menaant : A Louis-Philippe!<br />
Le grand Flaubert habitait boulevard du Temple, au<br />
n 42; l le dimanche, il runissait, dans de bruyants<br />
djeuners, ses fidles, Zola, Concourt, Daudet, de Mau-<br />
passant, Uuysmans, Card, Georges Pouchet, quatre<br />
pas d'une maison qui fut tragique. C'est, en effet, au<br />
n 50, au troisime tage d'une misrable masure, que,
268 COINS DE PARIS<br />
le 28 juillet 1835, derrire une jalousie, Fieschi avait<br />
install les vingt-cinq canons de fusils bourrs de balles,<br />
qui constituaient sa machine infernale; une rigole<br />
de poudre passait sur les vingt-cinq lumires. Quelle<br />
terrible vole de mitraille devait vomir cet effroyable<br />
engin de mort! L'picier Morey, qui avait aid prparer<br />
ce crime monstrueux, avait mme pris l'utile prcaution<br />
d'avarier quatre des canons de fusil dont l'clatement<br />
devait supprimer Fieschi lui-mme.<br />
Ppin, autre complice, avait eu soin de passer et<br />
repasser plusieurs fois cheval, au petit pas, devant la<br />
fatale fentre, et, derrire la jalousie, Fieschi, excellent<br />
tireur, avait pu tout son aise viser et mettre au point<br />
exact de mire son effroyable machine tuer. Louis-<br />
Philippe, qui, dix fois dj avait chapp aux assassins,<br />
devait cette fois succomber. Mais les conjurs n'avaient<br />
pas song que le Roi, passant<br />
en revue la Garde natio-<br />
nale, suivrait, non pas le milieu du boulevard, en dos<br />
d'ne cause de l'coulement des eaux, mais bien les<br />
chausses beaucoup plus basses le long desquelles<br />
les troupes taient ranges. La vole de balles, renver-<br />
sant femmes, enfants spectateurs, officiers et escorte<br />
placs la gauche du Roi, passa par-dessus sa tte et<br />
n'atteignit que le haut de son chapeau cornes : ce fut<br />
une effroyable tuerie, le boulevard ruissela de sang ;<br />
plus de quarante malheureux gisaient sur la chausse,<br />
dont le glorieux marchal Mortier, qui expira couch<br />
sur une des tables de marbre du Caf Turc, o les
THTRE DES FUNAMBULES, BOULEVARD DU TEMPLE.<br />
Aquarelle de Maniai. (Muse Carnavalet.)
LA RIVE DROITE 271<br />
blesss et les morts avaient t transports. Fieschi,<br />
bless, fut arrt dans l'arrire-cour de la maison voisine,<br />
alors qu'il cherchait fuir par la rue des Fosss-<br />
du-Temple. Le 19 fvrier 1836,<br />
avec ses complices, Ppin et Morey.<br />
il montait l'chafaud<br />
C'est l'angle du boulevard du Temple, droite,<br />
devant la premire maison du boulevard Voltaire, que<br />
tonnait la barricade o fut tu Delescluze, en mai 1871 ;<br />
cette place, s'levait autrefois le Thtre de la<br />
Gat, le Thtre Lyrique ouvrait ses portes sur<br />
l'emplacement actuel de la gare du Mtropolitain, place<br />
de la Rpublique !<br />
Le boulevard Saint-Martin, o Paul de Kock avait<br />
lu domicile pour y tudier de ses fentres, ouvertes<br />
l'entresol, prs la porte Saint-Martin, la vie frmissante<br />
de Paris, n'a maintenant d'animation relle que le soir.<br />
Quatre thtres ; les Folies-Dramatiques, l'Ambigu, la<br />
Porte-Saint-Martin et la Renaissance, y apportent la vie<br />
et le mouvement, et rien n'est plus amusant que l'heure<br />
de la sortie : les cafs s'emplissent, les cigarettes s'allu-<br />
ment, les crieurs de journaux<br />
hurlent les dernires<br />
nouvelles ; on se bouscule, on se pousse ; les camelots<br />
hlent les voitures, o s'engouffrent de jolies femmes<br />
en claires toilettes et en manteaux de soire ; puis,<br />
ce sont les acteurs qui sortent, mentons bleus et cols<br />
relevs, l'air maussade souvent; enfin les jolies actrices,<br />
trs attendues, qui, rapides, se glissent dans un coup
272 COINS DE PARIS<br />
o se dissimule le plus souvent un cavalier que dnonce<br />
seul le point rouge d'une cigarette.<br />
USE COUit DE LA PRISON SAINT-LAZARE.<br />
Prs de la porte Saint-Denis,<br />
Muse Carnavalet.<br />
la hauteur de l'troite
LA RIVE DROITE 273<br />
rue de Clry, commenait autrefois une monte qui fut<br />
RUE SAINT-MARTIN (1866).<br />
LA TOLR DU VERT-noiS. (DessindeA. Maignan.)<br />
le thtre d'une scne tragique. C'est l que, le 21 jan-<br />
18
274 COINS DE PARIS<br />
vier 1793, l'intrpide de Batz avait donn rendez-vous<br />
quelques camarades. On devait tenter une suprme folie,<br />
un dernier effort pour soustraire Louis XVI la honte<br />
de l'chafaud : forcer la ligne des soldats, se jeter sur<br />
l'escorte qui entourait la voiture et enlever le Roi.<br />
Mais, ds la veille au soir, le Comit de Sret<br />
gnrale avait t prvenu par un particulier connu ,<br />
disent les rapports de police, du complot fou qui se<br />
tramait et toutes les prcautions avaient t prises.<br />
Pendant la nuit, les gendarmes mettaient en tat<br />
d'arrestation les suspects dont la liste avait t jointe<br />
la dnonciation. De Batz, au rendez-vous, croyait<br />
trouver cent cinquante complices, ils taient sept. Malgr<br />
leur petit nombre, ils n'hsitrent pas, se lancrent la<br />
tte des chevaux et furent sabrs. Trois restrent sur<br />
la place, de Batz put s'chapper.<br />
Cette bizarre et tortueuse rue de Clry, dont l'arte<br />
coupante se profile si trangement sur le ciel, vit se<br />
d'Andr et de Marie-<br />
jouer un autre drame. Le pre<br />
Joseph Chnier habitait au n 97. C'est l croit-on<br />
que, le 7 thermidor, il attendait, avec quelle anxit !<br />
la mise en libert de son fils Andr, depuis de longs<br />
mois prisonnier Saint-Lazare. Le pauvre homme<br />
n'avait-il pas eu l'ide folle de s'adresser au cur(!)<br />
de Collot d'Herbois pour lui demander l'largissement<br />
du pote. Collot d'Herbois, ancien acteur qui, sur un<br />
autre thtre, se vengeait d'avoir t siffl, n'avait pas<br />
oubli les vers cinglants o Andr Chnier l'avait trill
Gravure sur bois de A. Lepre.<br />
RLE DE CLERY,
LA RIVE DROITE 277<br />
de main de matre ; mais il ignorait en quelle prison se<br />
trouvait le pote. Marie-Joseph Chnier, suspect luimme,<br />
avait su, en effet, gagner du temps, reculer le<br />
procs, faire perdre la trace de son frre. C'tait, cette<br />
heure suprme de la Terreur, la seule chance possible,<br />
et le renseignement si ardemment souhait tait<br />
apport par le pre Chnier lui-mme, qui livrait ainsi<br />
au plus mortel ennemi de son fils, Collot d'Herbois,<br />
ce cabotin sinistre, la tte de son ador Andr !<br />
Demain, avait assur Collot, ton fils sortira de Saint-<br />
Lazare. Il tint parole, le 7 thermidor; l'heure o,<br />
devant la table servie, l'attendait son malheureux pre,<br />
Andr Chnier montait en charrette pour aller l'cha-<br />
faud dress ce jour-l barrire du Trne !<br />
Autour de la pittoresque rue de Clry, s'tend un<br />
quartier bizarre, trange, un enchevtrement de petites<br />
rues, de ruelles, de passages ; la rue Notre-Dame-de-<br />
liecouvrance, la rue Sainte-Foy,<br />
la rue des Petits-Car-<br />
reaux, la rue de la Lune, o Balzac logeait dans une<br />
ignoble mansarde, Lucien de Rubempr, veillant le corps<br />
de Coralie morte, et composant des chansons libertines<br />
pour gagner l'argent<br />
matresse.<br />
ncessaire l'enterrement de sa<br />
Dans ces rues tortueuses, sombres, troites, il est<br />
facile de reconstituer la physionomie du Paris d'autre-<br />
fois ; les vieilles demeures y sont nombreuses encore,<br />
mais, comme au Marais, voues de petits commerces,
278 COINS DE PARIS<br />
de pauvres industries. Le Consulat, aprs la campagne<br />
d'Egypte, y ouvrit un certain nombre de voies, aux<br />
noms de victoires : les rue de Damiette, d'Aboukir, du<br />
Nil. Sur l'emplacement de la place du Caire, s'levait<br />
jadis l'htel des Chevaliers du Temple. Un reste de<br />
chapelle gothique, o l'on conservait le casque et<br />
l'armure de Jacque Molay, fondateur et grand matre de<br />
l'ordre, servait, en 1835, de salle de runion aux adeptes<br />
de ce rite, et le pre de Rosa Bonheur, chevalier du<br />
Temple, y fit baptiser sa fillette sous la vote d'acier,<br />
faite des pes qu'entrecroisaient les chevaliers de<br />
l'ordre, vtus de tuniques blanches, la croix rouge brode<br />
sur la poitrine, botts de daim et la tte couverte d'une<br />
toque carre en drap blanc, surmonte de trois plumes,<br />
jaune,<br />
noire et blanche 1<br />
Un dlicieux tableau de Dagnan, conserv au muse<br />
Carnavalet, nous montre le boulevard Poissonnire en<br />
1834. La plupart des maisons subsistent encore, mais,<br />
hlas !<br />
les grands arbres l'pais feuillage, qui faisaient<br />
de ce boulevard une sorte d'alle de parc, ont depuis<br />
longtemps disparu. Victorien Sardou, cet amoureux de<br />
Paris, qui y est n, qui y est acclam, aim et honor,<br />
se rappelle fort bien avoir connu ces beaux ombrages<br />
et longuement fln devant, le thtre du Gymnase.<br />
prescience! devinait-il les succs qui l'y attendraient<br />
avec les Ganaches, les Vieux Garons, les Bons Villa-<br />
geois, Andra, Frol, Sraphine, Fernande, etc.
LA RIVE DROITE 281<br />
Plus loin, nous rencontrons l'ancien thtre des<br />
Varits, dont l'antique faade raconte un glorieux<br />
pass : Duvert, Lauzanne, Bayard, Scribe, Meilhac,<br />
Ludovic Halvy et surtout Offenbach, dont la musique<br />
enfivre mit pendant vingt ans le diable au corps<br />
Paris.<br />
Ludovic Halvy, cet exquis notateur de la vie pari-<br />
sienne, nous a donn, d'aprs le Pre Dupin, un croquis<br />
charmant de ce qu'tait le boulevard Montmartre vers<br />
1810 : Les acteurs des Varits avaient t obligs de<br />
quitter la salle de la Montansier ; leurs vaudevilles<br />
avaient plus de succs que les tragdies du Thtre-<br />
Franais. L'Empereur rendit un dcret qui leur retira la<br />
salle du Palais-Royal ; on leur permit de reconstruire<br />
une nouvelle salle sur le boulevard Montmartre !... Un<br />
affreux quartier pour un thtre ? Celait presque la cam-<br />
pagne ;<br />
il n'y avait pas une seule de ces grandes maisons<br />
que vous voyez l ! Rien que des petites choppes un<br />
seul tage, des espces de mchantes baraques en bois<br />
et les deux petits panoramas du sieur Boulogne... Pas<br />
de trottoirs, le sol en terre battue entre deux ranges de<br />
grands arbres... Quelques vieux fiacres et cabriolets pas-<br />
saient de temps en temps... La campagne enfin... C'tait<br />
la campagne !!...<br />
A la hauteur des Varits, commenait ce qu'on<br />
appelait, sans qualificatif, le Boulevard. Pour les fl-<br />
neurs, les dsuvrs, les gens d'esprit, les clubmen, les
282 COINS DE PARIS<br />
hommes de lettres et les journalistes du second Empire,<br />
ce fut une sorte de lieu sacr. Grammont-Caderousse,<br />
le prince d'Orange, Khalil-Bey, Paul Demidoff, Aurlien<br />
Scholl, Roqueplan, Aubryet, Jules Lecomte, Auguste<br />
Villemot, y taient rois. Le Caf Anglais, la Maison<br />
Dore, Tortoni, hbergeaient les grands viveurs, les journalistes<br />
succs et les hommes de lettres la mode. Le<br />
gaz y flambait, les bouchons de Champagne sautaient et<br />
rien qu'en s'ouvrant les pianos jouaient tout seuls<br />
l'voh d'Orphe aux Enfers ! Un bon mot dit a propos<br />
coupait court une querelle ; les princes de l'esprit y<br />
tenaient tte aux princes de la naissance ou de l'argent,<br />
comme ce jour o, Tortoni, le duc de Grammont-<br />
Caderousse lanait un paquet de plumes d'oie par la<br />
figure de Paul Mahalin, coupable d'avoir la veille, dans<br />
un petit journal, fortement gratign la diva S..., que le<br />
grand seigneur protgeait.<br />
De la part de Mademoiselle S..., avait dit le<br />
duc.<br />
Et Mahalin de riposter avec son plus grand salut :<br />
Je savais bien, Monsieur, que Mademoiselle S...<br />
ce ft<br />
plumait ses amants, mais je n'osais esprer que<br />
mon profit.<br />
Depuis les sombres jours de 1870, l'lgant boulevard<br />
s'est dmocratis. Les vieilles demeures ellesmmes<br />
ont chang de destination, et l'on vend des<br />
Orfvrerie Christofle dans le dlicieux pavillon lev<br />
par le Marchal de Saxe aprs les guerres<br />
du Hanovre
Gravure sur bois de A. Lepre.<br />
LE BOULEVARD DES ITALIENS.
LA EIVE DROITE 285<br />
l'angle du Boulevard et de la rue Louis-le-Grand.<br />
Au xvm e sicle on avait eu l'ide de fleurir les toits des<br />
maisons voisines de ce bel htel, et l'on y dnait joyeusement<br />
l'ombre des treilles en regardant au<br />
loin tourner les moulins de Montmartre. L'exemple fut<br />
imit de nos jours et l'on criait presque l'innova-<br />
tion. C^st une erreur de plus, il n'y a rien de nouveau<br />
sous le soleil. On modifie simplement et la plupart du<br />
temps la modification est regrettable !<br />
Le perron de Tortoni n'est plus. Les brasseries, la<br />
soupe l'oignon et les choucroutes garnies remplacent<br />
les aristocratiques restaurants de jadis. C'est une autre<br />
physionomie, mais c'est encore un coin de Paris vraiment<br />
gai, spirituel, amusant, original. La promenade y<br />
est dlicieuse, mais hlas ! rien ne s'y retrouve rap-<br />
pelant le pass, depuis que le terrible incendie de 1887<br />
a dtruit l'Opra-Comique de nos pres, l'Opra-Comique<br />
de Grtry, de Dalayrac, de Mhul, de Boeldieu, d'Hrold ;<br />
cet Opra-Comique dont la faade ne s'ouvre pas sur le<br />
boulevard, suivant le dsir formel exprim en 1782<br />
Heurtier, l'architecte, par les Comdiens du Roi ,<br />
refusant d'tre confondus avec les Comdiens du bou-<br />
levard . En cet Opra-Comique, se runissaient chaque<br />
soir, dans le grand foyer orn des bustes des anctres<br />
de la musique franaise et des compositeurs qui avaient<br />
fait la gloire de la maison des habitus dont la pr-<br />
sence seule tait une protestation contre la musique<br />
moderne : Auber, Adam, Clapisson, Bazin, Maillard;
286 COINS DE PARIS<br />
plus tard, mais avec une tout autre esthtique, G. Bizet,<br />
Lo Delibes, V. Mass, J. Massenet, Carvalho, Meilhac,<br />
Halvy et aussi le pre Dupin,<br />
cet tonnant centenaire<br />
qui regardait un soir, d'un il rancuneux, le buste de<br />
Hrold, en grommelant : M'a-t-il assez fait enrager, ce<br />
gamin-l ! Devant l'ahurissement gnral, il justifia :<br />
J'ai t son correspondant en 1806, au collge Saint-<br />
Louis !<br />
... nous tions en mai 1885! Ce mme Dupin,<br />
ractionnaire obstin,<br />
menaante rplique : Toi,<br />
s'attirait d'un contradicteur cette<br />
nous t'avons rat en 93.<br />
Mais la prochaine Rvolution, nous ne te manquerons<br />
pas !<br />
Ces aimables parloltes, ces charmants rendez-vous<br />
qui runissaient tant de gens d'esprit, de jolis causeurs,<br />
d'arlistes, d'hommes du monde, tels que le foyer de<br />
l'Opra-Comique, celui de l'Opra ou celui de la Comdie-<br />
Franaise n'existent plus gure qu' l'tat de souvenir.<br />
11 n'en faudrait cependant pas conclure que l'usage en<br />
soit aboli ; les runions d'artistes n'en sont ni moins<br />
frquentes ni moins suivies. Beaucoup ont migr<br />
Montmartre, sur la Butte Sacre; cette mamelle du<br />
monde , hurlait l'tonnant Salis dans ses boniments<br />
du Chat Noir, est l'une des plus amusantes curiosits<br />
de Paris.<br />
Gai, travailleur, cynique, blagueur et religieux, ce<br />
quartier composite offre le plus singulier mlange de<br />
potes, de peintres, de sculpteurs, de limonadiers et de<br />
plerins. Sur les boulevards de Clicliy et des Batignolles,
oo cj
LA RIVE DROITE 289<br />
les feux tournants du Moulin Rouge clairent un monde<br />
de viveurs, d'lgants, d'artistes, de filles et de soute-<br />
neurs. Chaque cabaret et il y en a beaucoup recle<br />
un ou plusieurs potes plus ou moins comiques, mais<br />
MDAILLE COMMKMORATIVE 1)11 SIGE DE PA1IIS.<br />
toujours frondeurs et rosses , comme dit le spirituel<br />
Fursy,<br />
un des meilleurs desservants de ces botes<br />
musique . Les grands de la terre, les politiciens, les<br />
ministres y sont chansonns sans, trve et sans merci,<br />
et aussi les menus faits du jour ;<br />
le dernier discours<br />
19
290 COINS DE PARIS<br />
d'un ministre, l'lgance de Pelletan,<br />
les cravates de<br />
Le Bargy, les progrs de l'aviation, la dernire Encyclique<br />
du Pape, l'impt sur les automobiles, le divorce<br />
la mode, les rcentes visites du roi d'Espagne ou du<br />
Gravure de l'poque.<br />
UN EPISODE DU SIEGE DE PARIS.<br />
tzar de Bulgarie, tout est mis en couplets et spiri-<br />
tuellement frond par les Bonneau,<br />
autres successeurs d'Ange Pitou.?<br />
les Numa Bls et<br />
Montmartre, c'est le cabaret de Paris, c'est le rire
S E
LA RIVE DROITE 293<br />
bon enfant, c'est la blague. On s'y amuse la nuit et le<br />
jour on y travaille, car de tous temps les artistes y ont<br />
lu domicile : Henri Monnier, la duchesse d'Abrants,<br />
M me Haudebourg-Lescot, M 1,e<br />
Mars, Horace Vernet,<br />
Berlioz, Ch. Jacque, Reyer, Victor Mass, Vollon, Manet,<br />
Andr Gill, Steinlen, Guillemet, Willette, Jules Jouy,<br />
Mac-Nab, Xanrof, Maurice Donnay. Leur souvenir y est<br />
vivant et respect, la lgende de leurs prouesses s'y est<br />
conserve. C'est Y Iliade de Montmartre.<br />
ONE_PLCME ESTAMPILLEE DE PIGEON VOYAGEUR<br />
ayant apport des nouvelles de province Paris assig.<br />
Muse Carnavalet.<br />
A quelques mtres de ces rues bruyantes, commence<br />
la butte, sur laquelle, la fin du sige, en 1871, les<br />
Parisiens avaient hiss les canons de la Garde natio-<br />
nale. Le Gouvernement tenta vainement de les repren-<br />
dre, et l'on sait le reste : la rsistance, les troupes<br />
dbandes, les gnraux Clment Thomas et Lecomte<br />
arrts, trans dans une petite maison de la rue des<br />
Rosiers et fusills contre un mur de jardin.<br />
Il existe encore en partie, ce mur sinistre, et, si la<br />
maison a disparu o s'est accompli ce drame du 18 mars,
294 COINS DE PARIS<br />
un peu du tragique jardin aux fleurs rares survit derrire<br />
les modernes btisses de YAbri Saint-Joseph, vastes<br />
liturgiques :<br />
LA RUE DES ROSIERS.<br />
Eau-forte de Martial.<br />
hangars servant<br />
de rfectoires aux<br />
troupes de plerins<br />
qu'attire<br />
la basilique du<br />
Sacr-Cur.<br />
Tout ce quar-<br />
tier, d'ailleurs, est<br />
d'aspect triste, si-<br />
lencieux, vieillot<br />
et monacal. Les<br />
marchands de<br />
chapelets, de sca-<br />
pulaires, de cier-<br />
ges, de signets,"de<br />
missels, d'images<br />
de pit, de cor-<br />
dons d'aubes, y<br />
tiennent boutique.<br />
C'est une<br />
sorte de foire<br />
pieuse dans ces<br />
rues aux noms<br />
Saint-Eleuthre, Saint-Rustique, prs de la<br />
rue Girardon et du cimetire du Calvaire, que domine<br />
la silhouette dgingande du vieux Moulin de la Galette,
loutiron, pinxit.<br />
HIE A MONTMARTRE.<br />
Muse Carnavalet.
LA RIVE DROITE 297<br />
rendez-vous ordinaire de flneurs, de boulevardiers<br />
curieux, de modles d'artistes, de filles et de souteneurs<br />
du quartier. L'ancien Montmartre, si pittoresque, se<br />
retrouve surtout dans la rue Saint-Vincent, la rue des<br />
Saules o se rencontre le cabaret du Lapin agile, la rue<br />
de la Fontaine-du-But, rues sordides, bordes de pau-<br />
vres galetas aux fentres garnies de linges schant sur<br />
des cordes et qui semblent, chaque tage, loger une<br />
misre diffrente; rues tranges, comprises gnralement<br />
entre une masure effrite et un enclos de planches<br />
verdies par les pluies et couvertes d'inscriptions ; ces<br />
palissades servent, en effet, d'exutoires aux panchements.<br />
aux confidences des costauds et des gigolettes<br />
du quartier. C'est ainsi que, sans l'ombre de<br />
retenue, le Tatou de la rue de Norvins affiche sa<br />
flamme pour Mireille ; quant Victor le Fris ,<br />
il est ador de son Hermine et s'en vante ; Beau-<br />
ch, nez cass des Batignolles , par contre, nourrit de<br />
noirs dessins contre Hlose la Bouquine . Des rendez-<br />
vous s'y donnent, amoureux ou sinistres, des serments,<br />
des menaces s'y inscrivent. Les grands de la terre y<br />
sont svrement jugs. L'pithte est toujours arnre.<br />
Cela sent la dbauche, le vice et le crime.<br />
Et cependant dans ce coin de Paris que les<br />
embellissements modernes feront certainement dis-<br />
paratre avant peu, il se rencontre d'admirables paysages,<br />
des ruelles exquises pleines de verdure, d'oiseaux, de<br />
pigeons familiers, de merles siffleurs, et l'on se croi-
298 COINS DE PAKIS<br />
rait trs loin, dans quelque paisible province, si, au bout<br />
de toutes ces rues, la grande masse violace de Paris<br />
n'talait sous la lumire du ciel son incomparable et<br />
ferique panorama, ocan de pierres d'o mergent,<br />
comme des mts, les campaniles des palais, les tours,<br />
les clochers, et les flches des glises, o se dcoupent<br />
les dmes, les toits des monuments, les fates des mai-<br />
sons, les masses vertes des jardins. Incomparable, uni-<br />
que vision faite de souvenirs d'art, de grandeur et de<br />
beaut !<br />
Le grand Balzac nous apprend que l'infortun Csar<br />
Birotteau fut ruin par les spculations qu'il<br />
tenta sur<br />
les terrains vagues avoisinant l'glise de la Madeleine ,<br />
il y mangea les bnfices raliss dans l'Eau carmina-<br />
tive et dans la Double Pte des Sultanes . Sa parfu-<br />
merie la Reine des Roses y sombra...<br />
Et cependant Csar Birotteau avait raisonn juste;<br />
aujourd'hui les terrains de la Madeleine sont les plus<br />
haut cots de Paris.<br />
En 1802 c'taient des chantiers de construction d'o<br />
mergeaient des piliers de l'glise commence depuis si<br />
longtemps et qu'on ne finissait pas<br />
de btir.<br />
C'est l que se passa l'pisode charmant retrac par<br />
Duplessis-Bertaux sous ce titre aimable La bienfaisance<br />
ingnue (fait historique du 5 messidor, an X).<br />
Une longue notice place sous le dessin nous apprend<br />
que Pradre, Persuis, Elleviou et son pouse se pro-
TA IUV DROITE 30i<br />
menant par une belle soire boulevard de la Magdeleine,<br />
rencontrent un aveugle, chanteur ambulant qui, par<br />
les accords de son piano, sollicitait la charit publique.<br />
La recette tait dplorable et nos bons et braves artistes<br />
PLACE DE L CONCOI'.DK.<br />
D'aprs une spia du xviu' sicle.<br />
improvisant un petit concert en plein air, corrigent la<br />
mauvaise fortune du pauvre diable. Aprs avoir dlicieusement<br />
chant, Mme Elleviou, son mari et Pradre font<br />
la qute et versent 36 francs dans les mains tremblantes<br />
d'motion de l'aveugle !
302 COINS DE PARIS<br />
a dit Coppe.<br />
Et je n'ai pas trouv cela si ridicule.<br />
Par la rue Royale gagnons les Champs-Elyses,<br />
aprs nous tre arrts un moment devant la cit Berryer,<br />
passage trange o s'levait autrefois l'htel des Mous-<br />
quetaires du Roi. C'est une sorte de march pauvre perdu<br />
dans ce riche quartier.<br />
Place de la Concorde : la plus belle place qu'il y ait<br />
au monde, avec ses perspectives incomparables des<br />
Champs-Elyses, de la Seine, des Tuileries, du Garde-<br />
Meuble, de l'htel Crillon et du logis charmant de Grimod<br />
de la Reynire, aujourd'hui Cercle de l'Union<br />
artistique, l'angle de la rue de la Bonne-Morue.<br />
aujourd'hui rue Boissy-d'Anglas devant laquelle<br />
s'levait encore, jusque sous le Second Empire, un des<br />
pavillons d'angle construits par Gabriel. Que de souve-<br />
nirs : l'rection de la statue de Louis XV, les ftes donnes<br />
en l'honneur du mariage du Dauphin et de Marie-<br />
Antoinette, si tragiquement termines par l'crasement,<br />
dans les fosss, de la foule attire par le feu d'artifice,<br />
premire cause de haine contre l'Autrichienne ; les<br />
revues des gardes suisses, les charges de Lambesc, les<br />
rues du peuple sur le pont tournant, les grilles forces,<br />
les fosss franchis, et puis le sinistre chafaud, fumant<br />
devant la statue de la Libert, et les conventionnels<br />
terrifis, s'arrtant avant d'entrer dans leur salle des<br />
sances et venant regarder de prs cette mort qui,
LA UV DROITE 305<br />
chaque jour, est suspendue sur eux. Hier, me rendant<br />
l'Assemble avec Pnires, crit Dulaure dans ses<br />
Mmoires, nous apermes en passant sur la place de<br />
PAVILLON D ANGLE DE LA PLACE LOUIS XV<br />
Au coin de la rue de la Bonne-Morue, vers 1850 (aujourd'hui rue Boissy-d'Anglas).<br />
Eau forte de Maniai.<br />
la Rvolution, les prparatifs d'une excution. Arr-<br />
tons-nous, me dit mon collgue, accoutumons-nous<br />
ce spectacle. Peut-tre aurons-nous bientt besoin de<br />
signaler notre courage en montant de sang-froid sur<br />
cet chafaud. Familiarisons-nous avec ce supplice.<br />
Des ttes coupes sont prsentes par le bourreau<br />
20
306 COINS DE PARIS<br />
aux quatre coins de l'immense place : Danton, Camille<br />
Desmoulins, Hrault de Schelles, Charlotte Corday,<br />
Madame Roland, Louis XVI, Marie-Antoinette et Robes-<br />
pierre. Ple-mle effroyable, sinistre boucherie,<br />
le sol<br />
est rouge de sang; puis ce sont les soldats de l'Empire<br />
qui dfilent en chantant pour entrer aux Tuileries et<br />
acclamer leur Empereur triomphant, au retour de quelque<br />
victorieuse campagne.<br />
Une tte blanche, de grosses paulettes d'or, un<br />
cordon bleu : c'est Louis XVIII impotent, les jambes<br />
mortes, qui, dans sa calche qu'encadrent les Gardes<br />
du corps, passe comme un clair au triple galop de ses<br />
chevaux.<br />
A l'angle de cette place de la Concorde,<br />
le 28 f-<br />
vrier 1848, Louis-Philippe, bris, vaincu, montera dans<br />
l'humble fiacre qui conduira le deuil de la Monarchie.<br />
Napolon III, l'il bleu et rveur,<br />
la traversera<br />
presque chaque jour, conduisant son phaton, et celui<br />
que les Parisiens d'alors appelaient le petit Prince<br />
montrera sa jolie tte blonde la portire de la berline<br />
escorte par l'escadron de service.<br />
Les grilles des Tuileries s'ouvriront encore, le<br />
4 septembre 1870, sous l'effort des envahisseurs, et les<br />
artilleurs, pendant le sige de Paris, camperont dans<br />
le grand jardin dvast. Enfin, le palais des rois de<br />
France disparatra dans un nuage de feu, parmi les der-<br />
nires convulsions de la Commune expirante, et un pauvre<br />
bonhomme, dans un manteau brl de soleil, dteint
LA RIVE DROITE 309<br />
par les pluies, le chef couvert d'un vieux feutre fan,<br />
passera ses journes distribuer du pain et des graines<br />
aux pigeons et aux moineaux de Paris, la place mme<br />
o s'leva la tribune de la Convention, quelques pas de<br />
l'endroit o se posrent les quatre pieds du cheval blanc<br />
de l'empereur Napolon passant la revue de la Garde,<br />
avant de lcher ses aigles victorieuses sur Moscou,<br />
Madrid, Rome, Vienne ou Berlin !<br />
Les Champs-Elyses sont de cration presque mo-<br />
derne. Il y a une dizaine d'annes, les admirables ave-<br />
nues qui entourent l'Arc de l'Etoile, l'avenue Klber,<br />
l'avenue de Wagram, l'avenue Niel, l'avenue de l'Aima<br />
offraient de bien pittoresques contrastes : ct d'un<br />
htel somptueux surgissaient des choppes lamentables,<br />
de sordides mastroquets, restes des anciens taudis qui<br />
o rien ne<br />
peuplaient ce quartier si luxueux aujourd'hui<br />
rappelle les terrains vagues et dangereux traverser<br />
qu'ils taient encore, il y a soixante ans. Sous le Direc-<br />
toire, la chaumire de M me Tallien, Notre-Dame de<br />
Thermidor , o les Incroyables et les Merveilleuses<br />
n'osaient se rendre sans escorte, s'levait la hauteur de<br />
l'avenue Montaigne. Des guinguettes, des vide-bouteilles<br />
en plein air occupaient l'emplacement actuel des res-<br />
taurants et des cafs-concerts. Une gravure de Carie<br />
Vernet nous montre un campement de Cosaques autour<br />
d'une humble auberge aux allures campagnardes<br />
l'actuel restaurant Le Doyen 1<br />
: c'est
310 COINS DE PARIS<br />
Sous Louis-Philippe<br />
l'on commena modifier les<br />
Champs-Elyses : des alles furent traces, la grande<br />
avenue largie, et Emile Augier racontait que c'tait dans<br />
le creux d'un de ces arbres numrots pour l'lagage<br />
(le 116, je crois), que le porteur de bulletins du thtre<br />
du Gymnase dposait celui destin Balzac, lors des<br />
rptitions de Mercadet. Le grand romancier, pour dpis-<br />
ter ses trop nombreux cranciers, logeait cette poque<br />
rue Beaujon, sous le nom de M me veuve Dupont... (ne<br />
Balzac), ajoutait sur ses enveloppes de lettres Lon Gozlan,<br />
qui avait fini par dcouvrir l'adresse de son illustre ami.<br />
Les curieux mmoires de l'abb de Salamon, inter-<br />
nonce du Pape en 1793, nous donnent un saisissant tableau<br />
du Bois de Boulogne sous la Rvolution : une sorte de<br />
fort, de maquis, o se rfugiaient les malheureux sus-<br />
pects, traqus par les Comits et les policiers,<br />
les rfrac-<br />
taires, les insoumis, ceux enfin qui la prcieuse carte<br />
de civisme avait t refuse : Je restais continuellement<br />
au plus pais du Bois de Boulogne; il me semblait que<br />
chacun de ceux que je rencontrais lisait sur mon visage<br />
que j'tais hors la loi et allait courir me livrer au bourreau.<br />
Je m'tablissais dans la partie la plus carte du<br />
bois; j'allumais du feu avec un briquet et des brindilles,<br />
je faisais cuire mes lgumes et ma soupe tait excellente...<br />
Je trouvai plus tard un autre endroit assez commode, du<br />
ct de la villa Bagatelle, tout prs de la Pyramide, et<br />
non loin de Madrid.
Une nuit, je<br />
LA RIVE DROITE 313<br />
fus rveill au milieu de mes rves<br />
par les cris perants de deux femmes qui reculrent<br />
pouvantes en m'apercevant travers l'obscurit de la<br />
nuit.<br />
C'taient la mre et la fille qui fuyaient elles aussi<br />
un mandat d'amener. Je leur criai : Gardez le silence,<br />
qui que vous soyez! Vous n'avez rien craindre.<br />
Elles me demandrent ce que je faisais dans le bois si<br />
tard : La mme chose que vous y faites sans doute<br />
vous-mmes , leur rpondis-je.<br />
Plus tard, ce fut le rendez-vous ordinaire des duel-<br />
listes; dj, sous Louis XV, des dames, la marquise de<br />
Nesles et la comtesse de Polignac, y avaient chang des<br />
coups de pistolet pour les beaux yeux du duc de Riche-<br />
lieu. Sous la Rvolution, en 1790, Cazals et Barnave y<br />
vident une querelle politique : Je serais dsol de vous<br />
tuer, fait Cazals, mais vous nous gnez beaucoup et je<br />
voudrais vous loigner pour quelque temps de la tri-<br />
bune. Je suis plus gnreux, riposte Barnave, je<br />
dsire peine vous toucher, car vous tes le seul orateur<br />
de votre ct, tandis que du mien on ne s'apercevrait<br />
mme pas de mon absence. Puis, c'est Elleviou et<br />
M. de Biville; le gnral Foy et M. de Corday; le marchal<br />
Soult et le colonel Briqueville; Benjamin Constant<br />
et Forbin des Essarts, avec cette particularit que les<br />
deux adversaires se battirent dix pas, assis dans deux<br />
fauteuils, qui ne furent mme pas touchs... et combien<br />
d'autres !...
314 COINS DE PARIS<br />
Sous Louis-Philippe, le duc d'Orlans,<br />
le duc de<br />
Nemours, lord Seymour, le duc de Fitz-James, Ernest<br />
Le Roy le Jockey-Club sa formation y organisent<br />
des courses. L'enjeu tait modeste et le plus souvent<br />
L.-G. Moreau, pinxit.<br />
PAVILLON DE BAGATELLE.<br />
il ne s'agissait alors que de quelques bouteilles de<br />
Champagne. Puis, la vogue s'y met. Les courses prennent<br />
une extension considrable, c'est aujourd'hui la grande<br />
fte parisienne. Dj, vers 1860, on avait, l'Hippo-
LA RIVE DROITE 317<br />
drome de la place d'Eylau, voqu le souvenir des<br />
anciennes courses de chars chres l'antiquit.<br />
Le Bois de Boulogne est devenu l'endroit la mode.<br />
Le second Empire y tale son luxe. C'est le cadre exquis<br />
des lgances, des mondanits, et Emile Zola peut<br />
UNE REPRESENTATION A I, HIPPODROME DE LA PLACE D EYLAU<br />
crire dans la Cure :<br />
SOLS LE SECOND EMPIRE.<br />
Il tait quatre heures. Le Bois<br />
s'veillait des lourdeurs de la chaude aprs-midi. Le<br />
long de l'avenue de l'Impratrice, des fumes de poussires<br />
volaient, et l'on voyait au loin les nappes tales<br />
des verdures que bornaient les coteaux de Saint-Cloud<br />
et de Suresnes, couronns par la grisaille du Mont Val-
318 COINS DE PARIS<br />
rien. Le soleil, haut sur l'horizon, coulait, emplissait<br />
d'une lumire d'or les creux des feuillages, allumait les<br />
branches hautes, changeait cet ocan de feuilles en un<br />
ocan de lumire... Les panneaux vernis des voitures,<br />
les clairs des pices de cuivre et d'acier, les couleurs<br />
vives des toilettes s'en allaient, au trot rgulier des<br />
chevaux, mettaient sur les fonds du Bois une large barre<br />
mouvante, un rayon tomb du ciel, s'allongeant et suivant<br />
les courbes de la chausse. Les rondeurs moires<br />
des ombrelles miroitaient comme des lunes de mtal.<br />
Le spectacle n'a pas chang. Le mme dfil triom-<br />
phal, chaque jour, rassemble dans ce cadre choisi les<br />
femmes les plus lgantes de Paris, les cavaliers la<br />
mode, les chauffeurs aux trpidantes automobiles, les<br />
clubmen aussi bien que les artistes et les travailleurs<br />
qui viennent jouir de ce beau spectacle, de cette fte des<br />
yeux, de ce dcor unique au monde : le Bois de Bou-<br />
logne, l'avenue du Bois, les Champs-Elyses.<br />
Du haut de l'Arc de Triomphe, aux crpuscules de<br />
mai, la vision est magique, les terrasses du portique<br />
dress la gloire de la Grande-Arme, dominant les<br />
plus somptueux quartiers<br />
du Paris moderne.<br />
Il y a quelque soixante ans, Balzac montrait son<br />
hros rvant sur la colline du Pre-Lachaise et contem-<br />
plant le Monstre qu'il voulait dompter. Aujourd'hui, pour<br />
menacer du poing Paris, c'est sur l'Arc de Triomphe<br />
que devrait se placer Rastignac. C'est de l qu'il pourrait<br />
lancer son fameux dfi : A nous deux mainte-
LA RtVE DhOI 3i9<br />
nant! , car si l'aspect des choses a chang, l'impression<br />
qui se dgage de l'immense Cit est toujours la mme :<br />
impression d'crasement, de lutte imprieuse, de victoire<br />
difficile. C'est que nul n'aborde sans une sorte d'an-<br />
goisse ce grand Paris, si redoutable aux vaillants qui<br />
tentent sa conqute, et si prodigue aux heureux qui ont<br />
su le sduire.<br />
ARC DE TRIOMPHE DE L'TOILE VERS 1850.
TABLE DES GRAVURES<br />
Pages<br />
Rue du Chaume. (Aujourd'hui rue des Archives.) Htel de<br />
Soubise. Tour de Clisson Frootispiee<br />
La place de la Bastille et l'lphant v<br />
Dmolition de la rue Saint-Hyacinthe-Saint-Michel, la hauteur<br />
de la rue Soufflot xm<br />
Htel de Ville en 1838 .' . xvii<br />
Le Louvre vers 1785 xxm<br />
Le Jardin du Palais-Royal en 1791 xxix<br />
Place de la Concorde xxxm<br />
Chemin de ronde de la Barrire de l'toile en 1854- (Aujourd'hui<br />
avenue de Wagram)<br />
xli<br />
Le Muse Carnavalet 47<br />
Le Pont-Royal, les Tuileries et le Louvre (xviii 8 sicle) .... 53<br />
Vue du Pont-Neuf, prise d'un il-de-buf de la colonnade du<br />
Louvre 57<br />
Le petit bras de la Seine et le Pont-Neuf 59<br />
Ateliers et travaux des fondations de la caserne de la Cit<br />
en 1864-1865 61<br />
Vue de Notre-Dame 65<br />
Le Petit-Pont et les tours de Notre-Dame 69<br />
Ancienne Prfecture de Police. (Ancienne rue de Jrusalem). . 71<br />
L'glise Saint-Barthlmy et la petite place en face le Palais de<br />
Justice 73<br />
La Sainte-Chapelle en 1875 77<br />
21
322 TABLE DES FIGURES<br />
Dgagement du Palais de Justice<br />
1<br />
Le triomphe de Marnt<br />
Place Dauphine en 1780<br />
La pompe<br />
89<br />
Notre-Dame<br />
Ile Saint-Louis<br />
ao<br />
99<br />
Construction du Panthon. (Fragment d'une aquarelle de Saint-<br />
Aubin.<br />
Collge<br />
99<br />
Louis-le-Grand Cour intrieure de l'cole polytechnique<br />
M<br />
103<br />
Rue Clovis en 1867<br />
Le Panthon en construction.<br />
Procession devant Sainte-Genevive<br />
Le Luxembourg vers 1790<br />
Billet d'entre l'Assemble nationale<br />
111<br />
H3<br />
H7<br />
121<br />
Soupers fraternels dans les Sections de Paris 125<br />
Bassin du Luxembourg<br />
129<br />
Galerie de l'Odon. (Rue Rotrou)<br />
132<br />
Rue de l'cole-de-Mdecine en 1866. (Maison o Marat fut assassin).<br />
Dmolitions sur l'actuel emplacement du boulevard Saint-Germain .<br />
La cour de Rohan en 1901<br />
133<br />
137<br />
l3^<br />
Salle de l'ancien Thtre-Franais<br />
141<br />
La faade de l'Institut<br />
I45<br />
Les cardeuses de matelas<br />
14<br />
Le Pont des Arts<br />
149<br />
Berges de la Seine<br />
Entre du guichet du Louvre<br />
Paris vu de la pointe de la Cit<br />
151<br />
152<br />
153<br />
Une vue de Seine<br />
155<br />
Le Pont Neuf vers 1855<br />
157<br />
Le Pont Neuf vers .1889<br />
161<br />
La rue Galande<br />
I65<br />
La place Maubert<br />
"*><br />
Ancien amphithtre de chirurgie, l'angle de la rue de l'Htel-<br />
Colbert'<br />
I69<br />
Saint-Nicolas-du-Chardonnet et la rue Saint-Victor. . . 173<br />
L'glise<br />
La rue Saint-Julien-le-Pauvre<br />
175
TABLE DES FIGURES 323<br />
Jardin des Plantes. Le cdre du Liban et le labyrinthe. . . . 177<br />
Jardin des Plantes. Le cdre du Liban 179<br />
Jardin des Plantes. Ancien amphithtre. 180<br />
Jardin des Plantes au xvin* sicle 181<br />
Jardin des Plantes Un observateur 183<br />
Les tanneries sur la Bivre 187<br />
La Bivre vers 1900 Bief de Valence 191<br />
Le pont de Constantine et l'estacade 195<br />
Le Pont-Royal en 1800 199<br />
Htel de Lesdiguires 201<br />
Bal commmoratif sur les ruines de la Bastille 203<br />
L'htel de Sens vers 1835 , 207<br />
Htel du prvt Hugues Aubryot Cour et passage Charlemagne<br />
en 1867 215<br />
Place Royale vers 1651 (actuellement place des Vosges) .... 219<br />
L'htel de Ville au xvn e sicle 223<br />
Rue Grenier-sur-1'Eau en 1866 225<br />
Htel Barbette 227<br />
Port Saint-Paul 229<br />
La rue des Prouvaires et la rue Saint-Eustache vers 1850. . . . 237<br />
Les Halles en 1822 238<br />
Les Halles en 1828 239<br />
Les Halles et la pointe Saint-Eustache 240<br />
Le trottoir des Halles, prs Saint-Eustache en 1867 241<br />
Vieillos rues du quartier des Halles, vers 1865 243<br />
des Grands-Augustins. . . . 2i5<br />
L'ancien march la Valle, quai<br />
Le march des Innocents au xviii6 sicle 249<br />
Saint-Jacques-la-Boucherie, vers 1848 253<br />
La maison de Beaumarchais 257<br />
Vue de l'Ambigu-Comique sur le boulevard du Temple 261<br />
Le boulevard du Temple vers 1860<br />
Thtre des Funambules, boulevard du Temple<br />
265<br />
269<br />
Une cour de la prison Saint- Lazare . 272<br />
Rue Saint-Martin en 1866 La Tour du Vert-Bois 273<br />
Rue de Clry<br />
275<br />
La Porte Saint-Denis 279<br />
Le boulevard des Italiens 283
324 TABLE DES FIGURES<br />
Pages<br />
Thtre des Varits vers 1810 287<br />
Mdaille commmorative du sige de Paris 289<br />
Un pisode du sige<br />
de Paris 290<br />
Les boulevards, l'Htel de Salm et les Moulins de Montmartre . 291<br />
Une plume estampille de pigeon voyageur<br />
293<br />
La rue des Rosiers 294<br />
Rue Montmartre 295<br />
Place de la Concorde en 1829 299<br />
Place de la Concorde 301<br />
Entre des Tuileries par le pont tournant en 1788 ....... 303<br />
Pavillon d'angle de la place Louis XV vers 1850 305<br />
L'alle des Veuves et le cours la Reine, vers 1835 307<br />
Le Chteau de Madrid 311<br />
Pavillon de Bagatelle<br />
314<br />
Vue du Jardin des Tuileries en 1808 315<br />
Une reprsentation l'Hippodrome sous le second Empire. . . 317<br />
L'Arc de Triomphe de l'toile vers 1850 319<br />
FIN DE LA TABLE DES FIGURES
LISTE DES OUVRAGES CITS OU CONSULTS<br />
Histoire et recherches des Antiquits de la Ville de Paris, par<br />
H. Sauvai (1724).<br />
Histoire de la Ville et du Diocse de Paris, par<br />
(1883).<br />
Tableau de Paris, par Mercier (1782).<br />
Histoire de Paris, par Du lame (1825).<br />
Tableau de Paris, par Texier (1850).<br />
Paris dmoli, par E. Fournier (1855).<br />
nigme des rues de Paris, par E. Fournier (1860).<br />
Chronique des rues de Paris, par E. Fournier 1864).<br />
Paris travers les ges, par E. Fournier (1875).<br />
Mon Vieux Paris, par E. Drumont (1879).<br />
l'abb Lebeuf<br />
Paris, par Auguste Vitu (1889).<br />
Paris (Histoire des vingt arrondissements), par Labdollire.<br />
Paris Rvolutionnaire, par Lentre (1895).<br />
Vieux papiers, Vieilles maisons (1900).<br />
La Bivre et Saint-Sverin, par Huysmans (1898).<br />
La Chronique des Rues, par Beaurepaire (1900).<br />
Paris-Atlas, par F. Bournon.<br />
Nouvel Itinraire-Guide de Paris, par Ch. Normand.<br />
A Travers le Vieux Paris, par le marquis de Bochegude (1903>.<br />
Procs-verbaux de la Commission municipale du Vieux Paris<br />
(depuis 1898).