Le Laos, pays de la tranquillité - Marina.ch

Le Laos, pays de la tranquillité
Le Laos ne dispose d’aucun accès à la mer, mais la plus grande partie du Mékong, un fleuve de 4500 kilomètres au
rôle primordial pour bon nombre d’espèces vivantes, coule sur son territoire. Le dixième fleuve du monde en volume
d’eau influence le quotidien des Laotiens au rythme de la montée et de la baisse de ses eaux. Nous traversons la
région grandiose qui s’étend au sud du pays à bord du bateau «Mekong Island».
TexTe eT phoTos : daniel B. peTerlunger
au début était l’eau. et l’eau s’appelait Mékong. les
laotiens ont affectueusement baptisé ce fleuve
Mae nam Khong, mère de toutes les eaux. les rives
de ce fleuve majestueux ont vu naître et mourir un
grand nombre de royaumes. le Mékong prend sa
source au Tibet, façonne la frontière entre la Birmanie
et la Thaïlande, traverse le laos, le Cambodge
et le Vietnam pour enfin se jeter en mer de
Chine méridionale. il influence littéralement la vie
de millions d’êtres humains. impossible ici de surestimer
son importance. et pourtant, peu de bateaux
le parcourent. surtout au laos, pays limitrophe
qui comporte la plus grande partie du fleuve
(1900 kilomètres). outre des cargos en bois et des
petits ferries, seuls trois bateaux consacrés exclusivement
au tourisme et équipés de cabines et de
couchettes naviguent sur le Mékong: le Mekong
explorer, le Mekong sun et notre bateau, le Mekong
island.
notre bateau, le Mekong island, n’est pas comme
la plupart des embarcations qui parcourent le
Mékong: il a été construit il y a 15 ans et a été rénové
avec beaucoup de goût en acajou et en bois de rose
il y a 3 ans. un maître menuisier suisse était impliqué
dans le projet, un allemand s’est occupé de
l’installation électrique et les treize membres de
l’équipage laotien assurent la navigation et le bienêtre
des passagers sur ce bateau confortable de 29
mètres de long. grâce à un tirant d’eau de 80 centimètres
seulement, nous pouvons accoster partout,
nous laisser glisser sur des bancs de sable,
nous amarrer à la rive dans les villages, attacher
l’amarre de proue à un taquet et partir à la découverte
de la région.
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Un temple sur la rive
nous accostons. au sud de pakse, le Mékong glisse
calmement à travers un paysage calme et se blottit
contre les rives et leurs cultures de légumes, de canne
à sucre et de cacahuètes. les nombreuses clôtures en
bambou protègent les jardins des porcs qui se baladent
ici en liberté.
soudain, des forces invisibles brassent l’eau couleur
café au lait du fleuve. des tourbillons attirent des
morceaux de bois dans les entrailles du Mékong.
là où les dragons sont à l’affût! pour les calmer, il
faut faire des sacrifices sur l’autel du bateau… nous
larguons les amarres.
derrière le village endormi de Champasak s’élève
une montagne dont le sommet était interprété par
les khmers hindous qui vécurent jadis ici comme le
pénis de shiva: le lingam, le phallus de shiva, un
objet auquel est voué un véritable culte sur cette
montagne sacrée. Ce n’est pas pour rien si ce
temple, hindouiste à l’origine, a été construit ici.
edifié au Vie siècle et donc plus vieux que les légendaires
angkor Wat du Cambodge, Wat phu a
résisté au temps en se transformant en temple
bouddhiste. si l’on partait d’ici en ligne droite vers
le sud-ouest, on finirait par arriver devant le légendaire
angkor Wat après avoir parcouru 250 kilomètres:
au niveau de leur architecture, ces constructions
cambodgiennes rappellent Wat phu qui a
cependant été édifié 600 ans plus tôt. les savants
se disputent encore et toujours concernant l’histoire
de cette construction. Tout le monde est par
contre unanime à propos de la situation de ce monument
inscrit au patrimoine mondial de l’unesco
et qui est comme suspendu entre deux hibiscus: une
situation idyllique!
un ferry traverse également le Mékong depuis le milieu
du village de Champasak. Mais depuis qu’un
nouveau pont a été construit à 30 kilomètres, à pakse,
ce ferry doit faire face à la concurrence. le canotier
explique très calmement: «le nombre de véhicules qui
utilisent mon ferry a considérablement baissé à cause
du pont. donc je monte les prix.» plutôt surprenant.
Que va-t-il se passer? les passagers motorisés vontils
payer ce «supplément de solidarité» afin que ce
ferry puisse continuer à exister? ou alors, le canotier
fait-il sombrer son bateau avec sa politique de prix?
l’avenir nous le dira: je dois lui rendre visite plus tard
(il a déjà survécu pendant deux ans).
«Sabaidee!»
avant que la nuit tropicale ne tombe sur le Mékong,
le paysage se met à rougeoyer, affichant tour à tour
des teintes orangées et rouges pour ensuite laisser
place à l’obscurité. et voilà que la lumière revient: notre
équipage a fait un feu sur un banc de sable et la
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grillade Mékong peut commencer. Bien que nous
ayons deux capitaines qui se relaient à bord, on ne
navigue jamais pendant la nuit, car trop dangereux.
le niveau de l’eau qui peut varier de 10 à 12 mètres
entre la saison sèche et la saison des pluies oblige en
effet les hommes à mémoriser l’apparence du Mékong
mètre par mètre à chaque niveau des eaux, à connaître
parfaitement les zones navigables et à identifier les
endroits critiques en se basant sur certains arbres
situés sur la rive. les capitaines du Mékong doivent
avoir une mémoire photographique.
le matin, l’atmosphère est brumeuse. un bateau pétarade
devant nous. ses passagers nous lancent un
amical «sabaidee!», la formule de salutation laotienne.
heureusement qu’il n’y a pas de bateaux de
sport au sud du laos. on ne les croise et les entend
qu’un peu plus au nord. sans pot d’échappement, ils
filent bruyamment sur l’eau. et attention s’il tombent
sur un morceau de bois flottant. leur coque fine de
bois peint exploserait comme une bulle de savon. les
passagers doivent donc porter des casques. une
obligation de porter des casques sur l’eau! C’est le
seul endroit au monde où l’on rencontre une telle
obligation, que les laotiens suivent pourtant sans
rechigner. la vie à bord d’un bateau du sud du laos
est tranquille et ne nécessite pas le port d’un tel
casque. Fini les réclamations sur ces bateaux de
transport de passagers ouverts ou couverts d’un toit
en tôle! les déchargements, les transbordements, les

voyages aux petits soins
Le magazine de Coop organise en collaboration avec Touriqum Spezialreisen
(Zurich) des voyages de lecteurs à différentes dates à bord du bateau cité dans
cet article. Ces voyages de 14 jours (le premier commence le 24 novembre 2012
et le dernier le 30 mars 2013) englobent la croisière sur le fleuve et les visites de
l’ancienne cité royale de Luang Prabang sur les bords du Mékong ainsi que
d’Angkor Wat au Cambodge (patrimoine mondial de l’Unesco).
www.coopzeitung.ch/leserreisen
salutations et les au-revoir se déroulent avec patience
et sans hâte. on a le temps…
Une histoire incroyable
le lan xang (ou Million d’éléphants) a été fondé au
xiVe siècle, mais il ne reste aujourd’hui plus que
quelques milliers de pachydermes. le bouddhisme a
été déclaré religion officielle de l’etat. Mais ce pays
pacifique s’est ensuite divisé en trois royaumes: celui
de Vientiane, la capitale actuelle, celui de Champasak
et celui de luang prabang. en 1893, la France force le
pays à intégrer sa colonie, l’indochine. durant la seconde
guerre mondiale, le laos est occupé par le
Japon. a la fin de la guerre, le laos déclare son indépendance
tout comme son voisin le Vietnam. Mais
les deux pays sont reconquis par la France qui ne veut
pas abandonner ses colonies. Ce n’est qu’avec la défaite
des Français lors de la bataille de diên Biên phu,
au Vietnam, que le chapitre de la colonisation se termine
également pour le laos: le pays gagne son indépendance
en 1954. puis c’est la guerre du Vietnam
qui touche également le laos. et avec violence! des
avions américains ont lâché plusieurs bombes, du
même type que celles qui ont touché l’allemagne durant
la seconde guerre mondiale, sur le nord et l’est
du laos et dans le plus grand secret! les dirigeants
du pathet lao communiste considéraient cette région
et ses nombreuses grottes comme un terrain de retraite
idéal. dans le village du nord du laos Muong
ngoi, les adultes portent des t-shirts avec des photos
de ce fouillis méprisant la vie humaine et les parois
des maisons sont couvertes d’affiches qui indiquent
aux enfants ce qu’ils ne doivent pas toucher, mais
annoncer lorsqu’ils jouent dans les champs: des
bombes qui n’ont pas éclaté. et ils font ça souvent,
plus de 35 ans après la fin de la guerre! de grandes
bombes vides font parfois office d’échasses solides
pour des maisons ou encore d’embarcations
lorsqu’elles sont coupées en deux. au moins, ces
concepts pervers sont convertis en des objets utiles.
Mais revenons brièvement à l’histoire du pays après
la guerre du Vietnam: les groupes royalistes et socialo-communistes
qui opéraient sous le nom de
pathet lao ont été à l’origine de luttes confuses rappelant
les guerres civiles, qui se sont terminées par la
victoire du pathet lao. le palais royal de luang prabang
a ainsi été transformé en un musée après 1975
et un vent communiste s’est mis à souffler sur le pays.
Mais le bouddhisme et les moines ont été à nouveau
autorisés une petite année plus tard. le peuple l’exigeait.
Bouddha n’était pas un rouge.
a la fin des années 1980, le laos socialiste réagit aux
changements que connaissent les etats communistes
sur toute la planète: il libéralise son économie et se
dote en 1991 d’une nouvelle constitution sans le socialisme
comme doctrine étatique.
Mekong Power
après le retrait de la France, les etats-unis ont commencé
à faire des plans pour le Mékong: ils voulaient
dynamiter les rapides, construire des écluses et
construire des douzaines de barrages réservoirs sur
ses affluents. Mais la guerre du Vietnam empêche
l’application de ces plans. de la chance dans son malheur,
dirait-on aujourd’hui. a l’époque, on ne prenait
presque pas en considération les effets secondaires
des modifications prévues du paysage naturel.
le laos est l’un des pays les plus pauvres d’asie. Mais
son gouvernement veut changer la donne jusqu’en
2020. et le Mékong joue justement un rôle important,
quoique délicat, dans ce processus. le potentiel des
affluents laotiens du Mékong est énorme: cinquante
fois la puissance de la centrale nucléaire de Mühleberg.
Mais les barrages du pays ont entretemps entraîné
des conséquences fâcheuses, comme celles qui
ont touché la Chine et les affluents en Thaïlande: les
pêcheurs se sont plaints d’une diminution de leurs
prises et les paysans des modifications des sols et de
la baisse de qualité de l’eau due au limon moins fertile
que le Mékong déposait dans ces endroits.
Mais les enfants profitent de leur journée sur les
rives du Mékong, alors que l’eau du fleuve est
justement pompée pour l’agriculture. des tuyaux
gros comme des troncs d’arbres alimentent des
Marchés: Pas de pénurie de
légumes le long du Mékong...
Grand marché de Pakse (en
haut à g.). Jeu d’enfants durant
le marché de nuit (haut).
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Les ferries étaient il y a
quelques années encore les
seuls moyens pour traverser
le Mékong. Travail manuel
(en haut à droite).
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China
Karte «Asien Grundkarte» Format: 6,5 cm x 6,5 cm hoch Kohli Kartografie
dien bien Phu
seaside
bassins d’accumulation d’où partent des conduites
d’irrigation vers l’arrière-pays. les bassins où
s’accumule une eau brune de limon et agréablement
fraîche sont les terrains de jeux et d’aventure des
enfants des villages: comme dans un parc aquatique,
les garçons et les filles se jettent dans le courant en
criant de joie! et pas qu’une seule fois!
Le sac de couchage de l’Asie
un port typique du Mékong se compose d’une berge.
point final. il y a parfois un bureau portuaire de la taille
d’une cabine téléphonique sur la rive. «au laos, on
aime les petites choses», explique l’homme qui surveille
l’exploitation tranquille des ferries entre l’île
habitée du Mékong dong Khoi et le continent. et il
dit «lao» sans s à la fin. il ne s’agit pas là d’une faute:
la prononciation du nom du pays trahit peut-être son
caractère. l-a-o, le «s» n’est prononcé que par les
étrangers. Cette sonorité douce qui débute par la
lettre «l» dans la zone du larynx pour ensuite tomber
dans le ventre avec le «a» et le «o» où elle diminue
petit à petit reflète l’atmosphère paisible qui règne
dans le pays. la lettre «s» ajoutée justement par les
étrangers donne une dynamique nerveuse à cette
sonorité qui ne correspond pas du tout à la réalité
luang Prabang
Laos
vientiane
mekong
Thailand
vieTnam
kambodsCha
ban napé
savannakhet
Pakse
Golf von
Tonking
quotidienne des laotiens. Cette transformation sonore
trahit-elle l’impuissance des puissances coloniales
à saisir ou comprendre le caractère de ce pays
asiatique? le laos a déjà été affublé du titre de «sac
de couchage de l’asie». Quelle distinction dans un
monde de plus en plus stressé!
sur les plus grandes îles du Mékong telles que dong
Khoi se trouvent des villages où la vie s’écoule à un
rythme aussi calme que celui du fleuve. le 1er capitaine
accoste à quelque part sous une maison en
effectuant un très bel arc de cercle. Mais nous ne
sommes pas n’importe où: c’est là que vivent sa
femme et ses cinq enfants, qu’il ne voit que rarement.
nous montons à bord d’un petit bateau et nous baladons
dans la région des quatre mille îles de si phan
done. au milieu de ce magnifique labyrinthe tropical
se trouve un endroit intéressant: une base de chargement.
Celle-ci doit son existence au fait que les plus
grandes chutes d’eau d’asie, les chutes de Khone
(dont la traduction signifie «grand vacarme»), grondent
quelques mètres plus haut. le Mékong gronde
ici en plongeant sur une largeur de 16 kilomètres découpée
par des falaises. Terminus. Voilà pourquoi les
colonialistes français contournaient cet obstacle
grâce à une petite ligne de chemin de fer et deux bases
de chargement. Mais les dépenses étaient alors importantes
et le bénéfice insuffisant: l’installation a été
abandonnée. la seule locomotive qui circulait au laos
a ainsi rouillé jusqu’en 2010 dans la jungle. elle est
aujourd’hui devenue un témoin muet de l’histoire,
bien abritée dans un pavillon. les chemins de fer
n’étaient pas la bonne solution: les bateaux continuent
à naviguer en aval et en amont des chutes d’eau.
des routes qui relient le laos à la Thaïlande, au Vietnam
et à la Chine ont toujours été construites et le
sont aujourd’hui encore. C’est également le cas de la
«route coloniale 13» qui traverse le laos du nord au
sud et allait à une certaine époque jusqu’à saigon. le
chiffre 13 est un chiffre porte-bonheur au laos, mais
pas pour les voies navigables. il risque de perdre en
importance avec la construction des routes, mais pas
son côté magique.
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