Rencontres - Lycée International Alexandre Dumas
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10 11<br />
Axel Kahn,<br />
<strong>Rencontres</strong><br />
un scientifique raisonnable<br />
et humain<br />
Axel Kahn est un médecin, généticien et essayiste français, connu du grand public pour ses<br />
prises de positions sur certaines questions éthiques et philosophiques. De passage à Alger, il<br />
a animé une conférence qui s’est tenue au lycée dans la matinée du 2 octobre 2012. Quand la<br />
morale est au service de la science… La conférence, portant sur les enjeux de la bioéthique et<br />
inscrite dans le cadre du programme de philosophie de Terminale, en aura captivé plus d’un.<br />
C<br />
’est à peine arrivées au CDI que nous<br />
nous présentons toutes deux à notre<br />
illustre conférencier non sans être un peu<br />
intimidées d’avoir été choisies par M.<br />
Bernard pour nous retrouver face à l’une<br />
des plus grandes figures emblématiques<br />
de la science. Timidité vite dissipée car<br />
notre orateur ne tarde pas à détendre<br />
l’atmosphère, nous mettant à l’aise<br />
et plaisantant avec humour. Seules<br />
premières noyées dans une mare de<br />
terminales, nous prenons place au<br />
premier rang. Le professeur Kahn s’est plu<br />
à mener la conférence avec une volubilité<br />
ponctuée d’éclats de rire. Il introduisit sa<br />
thèse avec un dilemme auquel nous avons<br />
tous déjà été confrontés : la prise de<br />
décision. « Quand on a à faire un choix,<br />
déclare t-il, on a l’envie, l’intérêt, mais<br />
aussi l’ordre moral. ». L’ordre moral,<br />
qu’il définit comme ce qui est bien et ce<br />
qui n’est pas bien nous est dicté par les<br />
autorités, les philosophes et les hommes<br />
de religion. Mais la récence des religions<br />
dans l’histoire suscite une question<br />
chez Kahn, qu’il pose à l’auditoire :<br />
« Est-il possible que les hommes et les<br />
femmes, depuis 200 000 ans, aient<br />
attendu les textes sacrés pour définir la<br />
morale ? ». D’autre part, la diversité des<br />
textes sacrés et l’absence de croyance de<br />
certains poussent notre conférencier à se<br />
demander de nouveau « Est-il dans ce<br />
cas possible de définir une notion de bien<br />
et de mal valable pour la terre entière ? ».<br />
Pour répondre à ces questions, Axel<br />
Kahn remonte au temps de l’antiquité<br />
mésopotamienne, et nous plonge dans<br />
l’un des textes fondateurs les plus anciens<br />
du monde: l’épopée de Gilgamesh. « Il y a<br />
très longtemps, à une période avoisinant<br />
celle des premiers hiéroglyphes, quelque<br />
part entre le Tigre et l’Euphrate, vivait<br />
un roi dur et intransigeant, un tyran,<br />
Gilgamesh, qui régnait sur la cité d’Utak.<br />
Pour punir Gilgamesh et le remettre<br />
dans le droit chemin, les dieux décident<br />
de lui créer un semblable, Enkidu,<br />
un être bon mais sauvage, dénué de<br />
toute humanité, qu’ils confient à une<br />
communauté de prostituées. Les deux<br />
personnages se rencontrent en duel, mais<br />
comme ils disposent chacun d’une force<br />
surnaturelle, la bataille est interminable<br />
et aucun des deux ne prend le dessus<br />
sur l’autre. Ils tombent alors, exténués,<br />
et se mettent à s’aimer d’amitié. Ils<br />
s’allient, partent tous deux et vivent de<br />
nombreuses aventures. Mais Enkidu,<br />
pour s’être allié à celui qu’il était censé<br />
combattre, et puni par les dieux. Il tombe<br />
malade et meurt. Gilgamesh est alors<br />
au comble du désespoir. » Le récit de<br />
Kahn se termine, et il ne manque pas de<br />
nous faire remarquer qu’aux prémices<br />
de l’humanité apparaissent déjà des<br />
prescriptions morales universelles et qui<br />
resteront par la suite inchangées quelle<br />
que soit la religion, basées sur la valeur<br />
du prochain : « le défendre lorsqu’il<br />
est faible c’est bien, le tyranniser et le<br />
violenter c’est mal. » C’est à travers<br />
l’exemple d’Enkidu, qui, confié à une<br />
communauté gagne en humanité, ou<br />
encore celui de la célèbre histoire de<br />
Frankenstein qui après avoir observé<br />
des couples et des familles aimantes<br />
voit naitre en lui le besoin d’échanger<br />
avec un semblable que Kahn souligne<br />
l’importance des relations humaines.<br />
« Comment prendre conscience de ce que<br />
l’on est sans le regard de l’autre ? » lance<br />
t-il à l’auditoire, tout en évoquant l’image<br />
de deux buches dans l’âtre de la cheminée<br />
et de l’étincelle qui jaillit de leur contact.<br />
Mais Kahn va plus loin encore, abordant<br />
ce qu’il appelle la « théorie de l’esprit ».<br />
Car l’homme dans cet échange avec<br />
son semblable, va jusqu’à s’interroger<br />
sur les états d’esprit de l’autre, et cette<br />
interrogation passe par la question<br />
permanente « que pense t-il de moi ? »,<br />
question qui le rend si dépendant qu’un<br />
simple regard méprisant peut engendrer<br />
agressivité et violence. Car la violence<br />
n’est-elle pas elle-même typiquement<br />
humaine, née de la jouissance d’une<br />
domination sur l’autre ? « Rien n’est plus<br />
humain que l’inhumanité. » affirme Axel<br />
Kahn.<br />
Kahn revient ensuite sur la question<br />
du bien et du mal dont il avait parlé<br />
précédemment pour nous initier à la<br />
bioéthique. La bioéthique étudie les<br />
questions et les problèmes moraux<br />
qui peuvent apparaitre à l’occasion de<br />
pratiques médicales nouvelles impliquant<br />
la manipulation d’être vivants. Nous<br />
nous demandons alors sur quoi se base le<br />
comité d’éthique pour trancher la validité<br />
d’une avancée scientifique. Axel Kahn<br />
rentre alors dans le vif du sujet. Il nous<br />
répond que le critère le plus important<br />
réside dans la valeur du progrès<br />
scientifique. Pour appuyer ses propos,<br />
il fait appel à Socrate et Protagoras,<br />
philosophes de l’antiquité, qui avançaient<br />
des idées contraires. Socrate défendait<br />
l’idée que « Seul celui qui ne connaissait<br />
pas la vérité commettait le mal », tandis<br />
que Protagoras clamait qu’ « il fallait<br />
rechercher le bien et non la vérité. ».<br />
Ce sont ces deux théories de l’antiquité<br />
qui permettent de modéliser les choix<br />
des membres du comité d’éthique. La<br />
prescription religieuse a aussi un rôle<br />
dans la prise de décision mais celui-ci<br />
demeure limité.<br />
Axel Kahn en vient ainsi à nous citer les<br />
affaires les plus connues de la bioéthique,<br />
de celle du bébé-médicament destiné<br />
Axel Kahn<br />
en quelques dates<br />
1944 : Kahn nait au Petit-<br />
Persigny en Indre et Loire. Il<br />
est le fils du philosophe Jean<br />
Kahn-Dessertenne, ainsi que<br />
le frère du journaliste Jean-<br />
François Kahn et du chimiste<br />
Olivier Kahn.<br />
1970 : A l’âge de 26, alors<br />
qu’il n’est encore qu’un jeune<br />
médecin, son père se suicide<br />
en lui laissant, à lui seul, un<br />
message : « [...] sois raisonnable<br />
et humain [...] », événement qu’il<br />
considère de grande importance<br />
dans sa vie.<br />
1974 : Diplômé des facultés<br />
de médecine et de sciences de<br />
Paris, Axel Kahn devient docteur<br />
en médecine puis docteur en<br />
sciences en 1976. Chargé de<br />
recherche à l’Inserm en 1974, il<br />
occupe par la suite des fonctions<br />
de directeur de recherche.<br />
1992 : Il est nommé membre<br />
du comité consultatif national<br />
d’éthique<br />
1997-1999 : Il occupe le poste<br />
de Directeur Scientifique Adjoint<br />
pour les Sciences de la Vie de la<br />
Société Rhône Poulenc.<br />
2001-2008 : Il prend la<br />
direction de l’Institut Cochin<br />
et de l’institut fédératif de<br />
recherche Alfred Jost.<br />
2007-2011 : Il est président de<br />
l’université Paris Descartes.<br />
à sauver Molly, à l’affaire Perruche ou<br />
le préjudice d’être né, en passant par<br />
des sujets plus que jamais d’actualité :<br />
enjeux du clonage, fécondation in-vitro<br />
et homoparentalité. Il en est venu à<br />
traiter chaque sujet avec une lucidité et<br />
une logique implacable, un raisonnement<br />
clair devant un auditoire passionné et<br />
avide d’en savoir plus. Ce fut le moment<br />
le plus intéressant de la conférence, un<br />
passage de la théorie au concret que nous<br />
avons réellement apprécié.<br />
La conférence se clôt dans une bonne<br />
ambiance pendant que les élèves se ruent<br />
sur notre conférencier pour lui faire part<br />
de leurs impressions ou pour simplement<br />
avoir l’honneur de poser avec lui, ce à<br />
quoi M. Kahn s’est prêté avec amabilité<br />
et sympathie. Nous avons ensuite eu<br />
l’immense privilège de déjeuner à la table<br />
du plus grand généticien de France. Au<br />
menu repas amélioré assaisonné d’un<br />
débat enflammé avec monsieur Kahn<br />
autour de maints sujets. Mais la cloche<br />
retentit, nous ramenant à la réalité. Nous<br />
prenons congé de monsieur Kahn, à<br />
contre cœur. En effet cette rencontre aura<br />
fait de nous des privilégiées l’instant d’une<br />
matinée mais ne nous aura pas permis de<br />
nous dérober à notre vie de lycéennes. Ce<br />
fut une rencontre mémorable qui restera<br />
encrée dans nos esprits. Finalement,<br />
et M. Demeulemeester nous confiera à<br />
table qu’il a partagé la même impression<br />
que nous, Axel Kahn ne nous aura pas<br />
directement donné les réponses aux<br />
questions éthiques que l’on se posait,<br />
mais il nous aura apporté encore plus,<br />
en nous éclairant et nous poussant à<br />
réfléchir pour nous permettre de nous<br />
forger notre propre opinion sur bon<br />
nombre de sujets.<br />
CHEKROUD Yousra Serine<br />
et MEBAREK Amina, 1ère S 1 OIB<br />
<strong>Rencontres</strong><br />
Dire la vérité, défendre la liberté : L’honneur du journalisme<br />
Une interview exclusive et exceptionnelle<br />
avec Edwy Plenel<br />
► Nesma Merhoum (N.M.) : Intéressonsnous<br />
à votre parcours. Vous avez vécu en Martinique,<br />
où votre père était vice-recteur d’académie.<br />
Il a cependant été radié de l’Education<br />
nationale pour ses engagements anticolonialistes,<br />
et s’est installé avec vous et votre famille<br />
ici même à Alger, où il a occupé un poste de<br />
fonctionnaire coopérant. Vous avez donc vécu<br />
votre adolescence et votre première année de<br />
faculté à Alger. Ainsi, vous avez affirmé durant<br />
la conférence que l’Algérie avait influencé vos<br />
valeurs, très marquées par la lutte pour la tolérance<br />
et contre les inégalités. Cela m’amène<br />
à vous interroger sur l’influence que la société<br />
algérienne a pu exercer sur vous.<br />
Avant que M. Plenel ait eu l’occasion de répondre,<br />
un agent de l’institut nous interrompt<br />
pour informer M. Plenel du programme de la<br />
soirée. Ainsi ce dernier nous offre sa première<br />
réponse.<br />
Edwy Plenel (E.P.): L’âge auquel vous êtes,<br />
est celui que j’avais lorsque j’étais en Algérie.<br />
C’est l’âge de tous les possibles, c’est un âge<br />
essentiel où il y a des empreintes parfois douloureuses,<br />
parfois heureuses, mais ce sont ces<br />
empreintes qui vous détermineront profondément.<br />
Et pour moi l’Algérie, à ce moment là,<br />
s’est inscrite dans une notion de déplacement.<br />
Mes parents, de par leurs itinéraires, entre les<br />
Antilles et l’Algérie, nous ont appris à nous<br />
déplacer, à ne pas être dans une fixité, dans<br />
une immobilité, à chercher l’autre et donc à<br />
comprendre que nous – soi – c’est d’abord une<br />
relation à l’autre.<br />
Un poète martiniquais, qui était un ami de Frantz<br />
Fanon, nommé Edouard Glissant, et décédé<br />
il y a deux ans, défend l’idée de « l’identité<br />
relation », contre l’idée de « l’identité racine »<br />
unique, l’identité « immobile » . Ainsi, une<br />
plante qui a une racine unique va finir par<br />
flétrir. Il lui faut des petits liens, des petites<br />
Rédigé par Nesma Merhoum (1.ES/L) et Fouad Boudjedra (T.S OIB)<br />
« L’âge auquel vous êtes, est celui que j’avais lorsque j’étais en Algérie. C’est l’âge de tous les possibles,<br />
c’est un âge essentiel où il y a des empreintes parfois douloureuses, parfois heureuses, mais ce sont ces<br />
empreintes qui vous détermineront profondément. »<br />
L’Institut Français d’Alger a accueilli, l’après-midi<br />
du samedi 13 octobre 2012, M. Edwy Plenel, grande<br />
personnalité du journalisme français, dans le cadre d’une<br />
conférence intitulée « Le Journalisme d’investigation<br />
à l’heure des nouveaux médias ». À l’issue de cette<br />
intervention, nous (Nesma Merhoum, Fouad Boudjedra<br />
et Lydia Haddag) avons eu l’honneur de rencontrer M.<br />
“ Il a cependant été radié de l’Education<br />
nationale pour ses engagements<br />
anticolonialistes ”<br />
radicelles, des petits réseaux pour qu’elle vive :<br />
c’est ce qui la fait vivre. L’identité relation, je<br />
la théorise aujourd’hui de cette manière, mais<br />
c’est comme ça que j’ai grandi. Je dis souvent,<br />
par rapport à<br />
la question de<br />
l’anticolonialisme,<br />
que les peuples<br />
martiniquais et<br />
algériens m’ont<br />
enseigné de ne pas<br />
oublier ce que je suis. Je suis français, et je<br />
n’ai pas honte de mon pays. Je ne suis pas dans<br />
la repentance des bêtises, je suis dans l’idée<br />
de comprendre cette histoire, et de la lier.<br />
Cela ne vaut pas seulement pour la situation<br />
coloniale, c’est encore une fois une question de<br />
compréhension de l’autre, comment construire<br />
quelque chose avec l’autre, comment l’autre<br />
est au coeur de notre construction personnelle.<br />
C’est ce que m’a appris l’Algérie. C’étaient<br />
les années 60, et dans le monde entier, on<br />
commençait à considérer la jeunesse en tant<br />
classe d’âge à part entière : on pense aux<br />
régimes bureaucratiques en Tchécoslovaquie,<br />
à la révolution culturelle en Chine, au<br />
renversement des dictatures militaires en<br />
Amérique Latine, au festival panafricain à<br />
Alger, à Mai 68 en France, etc. À l’époque,<br />
il y avait aussi un contexte qu’il ne faut pas<br />
enjoliver, car il y a eu des aspects sombres,<br />
lorsque les régimes ont commencé à être plus<br />
autoritaires.<br />
Donc, au fond, mon itinéraire a ses particularités,<br />
mais autrement, il est classique par rapport<br />
à ces personnes qui ont été jeunes dans<br />
les années 1960 et qui ont été marquées par<br />
cette période.<br />
► Lydia Haddag (L.H.) : Ce qui est inté-<br />
“ Mes parents, de par leurs itinéraires, entre les Antilles<br />
et l’Algérie, nous ont appris à nous déplacer, à ne pas être<br />
dans une fixité, dans une immobilité, à chercher l’autre<br />
et donc à comprendre que nous – soi – c’est d’abord une<br />
relation à l’autre. ”<br />
ressant dans ce que vous dites, c’est qu’il y a,<br />
d’un coté cette notion de « tisser des liens »,<br />
que vous avez évoquée durant votre conférence,<br />
et de l’autre celle de « dénouer » les liens.<br />
E.P. : J’ai en effet évoqué la notion de « tisser<br />
des liens », mais aussi celle des « nœuds »,<br />
et c’est là tout autre chose. C’est ce qui fait<br />
souffrir un peu, ce qui oppose de la résistance.<br />
J’ai expliqué ça durant la conférence, et dans<br />
Plenel, au « bureau du livre » de l’IFA.<br />
C’est ainsi qu’installés dans l’atmosphère décontractée<br />
d’un salon, et accompagnés de Mme Fasla (mère de Nesma<br />
Merhoum, et officieux agent de presse et photographe),<br />
nous entamons notre entretien avec Edwy Plenel, toujours<br />
souriant, chaleureux, intéressé et intéressant.<br />
beaucoup de débats depuis un an en France,<br />
pour le cinquantenaire de l’Indépendance de<br />
l’Algérie. Mais, hélas, ce n’est pas encore le<br />
point de vue majoritaire. J’ai expliqué qu’<br />
il y a en France toutes sortes de mémoires.<br />
La mémoire de tous ceux qui font partie de<br />
l’immigration algérienne, de tout ceux qui<br />
ont participé a la fierté de l’Indépendance,<br />
il y a la mémoire vaincue des harkis, mais<br />
“ Cela ne vaut pas seulement pour la situation coloniale,<br />
c’est encore une fois une question de compréhension de<br />
l’autre, comment construire quelque chose avec l’autre,<br />
comment l’autre est au coeur de notre construction<br />
personnelle. C’est ce que m’a appris l’Algérie. ”<br />
qui sont dans une histoire qui était aussi une<br />
histoire coloniale et d’oppression. Il y a aussi<br />
la mémoire vaincue et différente des pieds<br />
noirs, il y a la mémoire des juifs d’Algérie qui<br />
est encore une autre histoire, il y a celle des