Bulletin du 16 mai - Festival Passages
Bulletin du 16 mai - Festival Passages
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Côté<br />
spectateurs<br />
Claire sort de la Tour<br />
Vagabonde où elle<br />
vient de voir La <strong>mai</strong>son<br />
des chiens. Œdipe. Elle<br />
aime le théâtre qui<br />
vient de l’Est (elle<br />
prépare un mémoire<br />
sur le sujet), elle a tout<br />
vu depuis le début de<br />
<strong>Passages</strong>, en parle avec<br />
passion, amour. Mais là,<br />
son visage est comme<br />
tétanisé, un masque de<br />
marbre pétrifie ses<br />
beaux yeux. Peur ?<br />
Colère ? Angoisse ? Les<br />
mots ne se bousculent<br />
pas au bord de ses<br />
lèvres. Plus tard, elle<br />
écrira : « on a<br />
l’impression que le<br />
texte veut nous<br />
suggérer que la mise<br />
au tombeau <strong>du</strong> peuple<br />
lui fera peut être ouvrir<br />
les yeux sur son<br />
identité. Le spectacle<br />
est d’une cruauté<br />
extrême. On inflige au<br />
spectateur l’oppression<br />
de la soumission sans<br />
aucun espoir<br />
d’apaisement. Il se peut<br />
que le théâtre passe<br />
aussi par la violence et<br />
qu’il faille parfois<br />
accepter de souffrir<br />
lorsque l’on assiste un<br />
spectacle. Mais si le<br />
théâtre est une fenêtre<br />
ouverte sur le monde<br />
comme aime à le dire<br />
Vlad Troïtskyi, on ne<br />
devrait pas le dénuer<br />
de tout espoir. »<br />
Citation <strong>du</strong> jour :<br />
«Là où ça sent la merde ça sent l'être»<br />
Antonin Artaud<br />
Rencontre avec Chloé Grunhertz<br />
Quelle que soit la situation, Chloé reste calme et trouve une<br />
solution. Elle est chargée de la logistique <strong>du</strong> festival et ce n’est<br />
pas rien. Le bien être des dix-huit compagnies invitées à <strong>Passages</strong><br />
repose sur ses frêles <strong>mai</strong>s solides épaules. Depuis le choix de<br />
l’hôtel très en amont <strong>du</strong> festival jusqu’au moment de leur retour<br />
dans le pays. Un long compagnonnage et un marathon<br />
quotidien.<br />
À dix heures <strong>du</strong> matin, elle est à l’aéroport <strong>du</strong> Luxembourg pour<br />
accueillir une actrice ukrainienne, à midi la voici sur le<br />
campement pour veiller au bon déroulement <strong>du</strong> repas, que<br />
chacun ait bien son ticket rouge le midi, bleu le soir. A 14 heures,<br />
elle attend à la gare de Metz, l’arrivée de techniciens lituaniens.<br />
Des badges et des cadeaux de bienvenue en <strong>mai</strong>n (spécialités<br />
lorraines, tee-shirt <strong>du</strong> festival), avec les stagiaires veilleront sur<br />
elles, Chloé accueille les équipes qui débarquent, fatiguées par le<br />
voyage et souvent un peu déboussolées. Elle sait les rassurer de<br />
sa voix ja<strong>mai</strong>s énervée. Chloé pense à tout et, face à un imprévu,<br />
réagit avec un remarquable sang froid.<br />
On ne soupçonne pas au premier abord, l’efficacité de cette<br />
jeune femme de 26 ans qui ne se sépare ja<strong>mai</strong>s de son joli<br />
cartable en cuir vieilli. Fraîchement diplômée d’un master<br />
d’ingénierie culturelle, elle a fait partie de l’équipe <strong>du</strong> Centre<br />
Pompidou Metz lors de la préparation de l’exposition<br />
inaugurale. C’est forcément formateur. Elle a rejoint l’équipe de<br />
<strong>Passages</strong> au début de l’année 2011, et s’en réjouit: « je rencontre<br />
énormément d’artistes, c’est un fabuleux temps d’échanges. »<br />
Chloé a étudié les arts plastiques <strong>mai</strong>s est ravie de découvrir le<br />
milieu théâtral « je n’ai pas trop le temps d’aller voir les<br />
spectacles pour le moment, c’est le côté énervant de la<br />
logistique. » Elle est allée voir La <strong>mai</strong>son des chiens. Œdipe hier<br />
soir et en est sortie un peu intriguée « je prépare la loge de ces<br />
comédiens, j’ai réservé leur hôtel, je mange à côté d’eux. Les voir<br />
ainsi sur scène, ça fait un drôle d’effet. »<br />
Réalisé par Claire Counilh, Virginie<br />
Joalland et Jean-Pierre Thibaudat<br />
LE BULLETIN<br />
n°9<br />
Hier à 19h : première de La <strong>mai</strong>son des chiens. Oedipe<br />
Sous la grille, les acteurs prisonniers évoluent le dos courbé...<br />
Le journal <strong>du</strong> festival <strong>Passages</strong><br />
<strong>du</strong> 7 au 21 <strong>mai</strong><br />
à Metz et en Lorraine<br />
Retrouvez l’actualité <strong>du</strong> festival sur :<br />
www.festival-passages.fr<br />
<strong>Bulletin</strong> n°9 - Lundi <strong>16</strong> <strong>mai</strong> 2011-
Échos <strong>du</strong> chapiteau<br />
Installé Place de la<br />
République, le campement<br />
a sa vie propre avec ses<br />
habitudes.<br />
Le matin on voit l’un des<br />
frères Forman, sortir de sa<br />
caravane en short et s’en<br />
aller par les rues de Metz<br />
promener son chien.<br />
En fin de matinée et en<br />
début d’après midi, quand<br />
le soleil est de la partie, on<br />
voit les jeunes comédiens<br />
ukrainiens -belles filles,<br />
beaux gars- prendre le<br />
soleil sur les bancs aux<br />
pieds jaunes posés ici et là<br />
dans le campement, quand<br />
ils ne répètent pas un<br />
chant, ne s’affairent pas à<br />
changer un décor ou à<br />
raccommoder une robe.<br />
Entre temps, les équipes de<br />
festival, côté scènes et côté<br />
coulisses, se sont retrouvées<br />
sous l’Etoile rouge pour le<br />
déjeuner. C’est le moment<br />
où, entre une entrée<br />
parfumée et un plat rompu<br />
aux épices, le grain de sel<br />
des problèmes à résoudre<br />
trouve une solution<br />
miracle. C’est l’heure aussi<br />
où le bulletin <strong>du</strong> jour arrive<br />
et se répand comme une<br />
rumeur sur tous les<br />
chapiteaux <strong>du</strong> campement.<br />
Le soir, pas tous le soirs, on<br />
voit un homme de l’équipe<br />
organiser une rencontre<br />
impromptue entre Roméo<br />
et Juliette, les estampes<br />
d’Hokusai et le poème de<br />
Mallarmé Un coup de dé<br />
ja<strong>mai</strong>s n’abolira le hasard.<br />
Tard le soir, on se lâche sous<br />
l’ Étoile rouge. C’est l’heure<br />
où la clarinette ou<br />
l’accordéon vous<br />
ensorcellent. On se dit qu’il<br />
faudrait rentrer pour écrire<br />
le bulletin, <strong>mai</strong>s on est<br />
bien, on s’attarde…<br />
Metz vu par la Hongroise<br />
Dòra Bereti<br />
La charmante jeune femme réservée et avec une<br />
pointe d’accent que l’on ne saurait identifier, qui<br />
vous accueille, c’est Dòra. Le temps <strong>du</strong> festival, elle<br />
est venue en renfort à la billetterie de <strong>Passages</strong>.<br />
Originaire de Szeged, grande ville de Hongrie, elle<br />
était venue à Metz en 2006, passer quatre mois dans<br />
le cadre d’un séjour Erasmus. « Puis je suis revenue,<br />
l’année suivante. Pour mon amoureux, sourit-elle,<br />
<strong>mai</strong>s aussi pour la ville ! » Et pour ses études en<br />
sociologie de l’art. Elle s’est attachée à Metz. « Il y a<br />
quelque chose ici que je ne saurais expliquer <strong>mai</strong>s<br />
qui me retient. Metz éveille des souvenirs de ma<br />
propre ville en Hongrie. Ce sont deux villes<br />
imprégnées d’histoire. » Elle y a construit ses propres<br />
histoires : « quand je suis triste, il y a un parking près<br />
de la cathédrale où j’aime aller. Sur ce parking, il y a<br />
un petit recoin, qui offre une magnifique vue sur la<br />
cathédrale, ce lieu me rappelle mes premières<br />
années à Metz quand je venais d’arriver. »<br />
Vlad et Slava<br />
Sous le chapiteau <strong>Passages</strong>, le zakouski <strong>du</strong> dimanche matin<br />
mariait hier les concombres marinés dans la saumure et le<br />
saucisson russe avec les croissants et les pains au chocolat.<br />
Chacun, en grignotant, pouvait assister à un dialogue<br />
impromptu entre l’Ukrainien Vlad Troïtskyi, fondateur <strong>du</strong><br />
théâtre Dakh que tout le monde appelle Vlad, et le Russe<br />
Viacheslav Kokorine que tous ceux qui travaillent avec lui<br />
surnomment Slava. Les deux parlant en russe étaient<br />
tra<strong>du</strong>its par Olga, la fille de Kokorine, actrice <strong>mai</strong>s aussi<br />
pédagogue comme son père. Vlad et Slava ne s’étaient<br />
ja<strong>mai</strong>s rencontrés <strong>mai</strong>s ils sont immédiatement tombés<br />
d’accord pour évoquer la <strong>du</strong>reté des temps dans ce vieux<br />
monde vérolé de pesanteurs et de bêtises. Une petite<br />
musique douce de la désespérance quotidienne que<br />
Tchékhov a si bien décrite. Et on avait vraiment l’impression<br />
de côtoyer deux personnages échappés d’une pièce encore<br />
inconnue d’Anton Pavlovitch Tchékhov. Ils protestèrent. Puis<br />
ils se mirent à parler… de Tchékhov.<br />
La <strong>mai</strong>son des chiens. Œdipe<br />
Histoire d’une première<br />
On se croirait sur un chantier ou dans une usine.<br />
Des tas de tubulures et des grilles que déplace<br />
une tracto-pelle s’entassent devant l’entrée de la<br />
Tour vagabonde. Les comédiens de la troupe <strong>du</strong><br />
théâtre Dakh de Kiev s’affairent. On les a vu<br />
jouer, chanter, danser dans Le roi Lear, Prologue<br />
et Presque une pièce, presque Pirandello, les voici<br />
qui assemblent des grilles, serrent des boulons,<br />
montent une cage de fer. C’est là tout le décor de<br />
ce spectacle hors normes qu’est La <strong>mai</strong>son des<br />
chiens. Œdipe: une grille métallique infernale. Un<br />
peu de douceur tout de même: on dispose un<br />
violoncelle et deux contrebasses sur la grille : pas<br />
un spectacle <strong>du</strong> théâtre Dakh sans musique.<br />
Presque une pièce, presque Pirandello parlait<br />
déjà de la mort, on imagine que ce spectacle sera<br />
bien plus noir. On ne se trompe pas.<br />
Hier, 19h. Le public qui a pu acheter des billets pour la première de ce spectacle à la<br />
jauge forcément limitée (autour de cinquante places) attend devant l’entrée de la Tour<br />
Vagabonde. Charles Tordjman, perché sur les marches, explique que le spectacle ne<br />
peut pas être sous-titré, qu’il va se dérouler en deux parties, la première écrite et mise<br />
en scène par Klim (écrivain et metteur en scène russe), la seconde puisant dans Œdipe<br />
roi de Sophocle, mise ne scène par Vlad Troïtskyi. Puis il résume à grandes lignes ce que<br />
l’on va voir (il en sera ainsi à chaque représentation)<br />
Loin de prendre place dans la configuration habituelle de la Tour vagabonde, les<br />
spectateurs s’installent sur le pourtour de la grille infernale, se serrant sur un seul<br />
rang. Tout se passe littéralement sous leurs yeux, c’est à dire sous la grille, un peu<br />
comme dans ces réserves où l’on surplombe un marigot plein de caïmans. Ici ce sont<br />
des hommes et surtout des femmes qui sont ré<strong>du</strong>its à l’état de bêtes. Procession de la<br />
misère hu<strong>mai</strong>ne. Des êtres dans des cages se traînent, animaux fatigués, soumis. Fin.<br />
Plus d’un spectateur sort, éprouvé par la violence <strong>du</strong> propos et de la scénographie.<br />
Après l’entracte tout se renverse. Le public est installé sur des chaises sous la grille<br />
infernale. Les acteurs évoluent au dessus, sur la grille. Œdipe, Créon, Tirésias écrasent<br />
littéralement les spectateurs qui subissent, en une abrupte contre-plongée, la tragique<br />
destinée <strong>du</strong> roi de Thèbes. On regrette de ne pas savoir l’ukrainien pour mettre <strong>du</strong> sens<br />
derrière la longue lamentation <strong>du</strong> héros. Malgré tout, il en ressort une vibrante poésie<br />
où chaque mot vient se cogner sur les barreaux de cette grille qui emprisonne les<br />
spectateurs.<br />
A la fin, la violence <strong>du</strong> propos s’affranchit des mots, les acteurs de la tragédie<br />
deviennent eux-mêmes les bourreaux et enferment le public en recouvrant de planches<br />
la grille infernale. Etouffement, obscurité. Cris. Protestations. Révolte. Un chant s’élève<br />
dans les rangs <strong>du</strong> public : debout les damnés de la terre !<br />
<strong>Bulletin</strong> n°9 - Lundi <strong>16</strong> <strong>mai</strong> 2011-