La notion de lyrisme - L'esprit Livre
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•« Je est un autre » Dans la « lettre du voyant », du 15 mai 1871, Rimbaud prend ses distances<br />
avec la conception romantique <strong>de</strong> la poésie et formule ce que pourrait être une poésie future<br />
fondée sur l’idée d’altérité, <strong>de</strong> voyance. Il remet en question les fon<strong>de</strong>ments du cogito<br />
cartésien : le ‘je’ en tant que fon<strong>de</strong>ment psychologique, en tant que fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> toute<br />
pensée, <strong>de</strong> tout langage, ce ‘je’ n’est plus le centre du poème. Si le sujet est comme transi par<br />
une vision qui le dépasse, la poésie accomplit alors une métamorphose du moi, mène au<br />
dépassement <strong>de</strong>s bornes étroites <strong>de</strong> la subjectivité et à une exploration différente <strong>de</strong>s<br />
possibilités que recèlent le langage. Si l’on doit imaginer un renouveau du <strong>lyrisme</strong> au 20ème<br />
siècle, ce n’est plus en terme <strong>de</strong> subjectivité, ni d’intériorité mais <strong>de</strong> projection et d’ouverture<br />
à l’autre. Le <strong>lyrisme</strong> <strong>de</strong> René Char est précisément lié à la question du partage, <strong>de</strong> la<br />
communication. Le poème, souvent, sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’interpellation ou <strong>de</strong> la dédicace impulse<br />
l’éloge d’un TU souvent féminin. Les métaphores ou les allégories tentent <strong>de</strong> le rendre<br />
présent, <strong>de</strong> faire exister cet autre en le dotant d’une voix, fût-ce au prix <strong>de</strong> la disparition du<br />
sujet. Le poème n’est plus exclusivement l’expression d’un sujet, mais l’affirmation conjointe<br />
du lien et <strong>de</strong> la séparation qu’il y a entre le « je » et son (ou sa) <strong>de</strong>stinataire, reléguant ce<br />
<strong>de</strong>rnier dans une <strong>de</strong>mi-obscurité à laquelle le ‘je’ n’a pas accès, réservant un message ou un<br />
signe invisible, repoussant son apparition, et exerçant malgré son éloignement et son caractère<br />
inaccessible, un étrange pouvoir <strong>de</strong> fascination.<br />
•Lyrisme et littéralité A la fin du 20ème siècle, le <strong>lyrisme</strong> reste néanmoins encore attaché <strong>de</strong><br />
façon péjorative au romantisme. Dans les années 80-90, si beaucoup <strong>de</strong> poètes envisagent la<br />
poésie contemporaine comme l’expression d’un sentiment personnel et souhaitent un retour<br />
au chant lyrique, que se soit Lionel Ray, dans Les métamorphoses du biographes, ou Jean-<br />
Michel Maulpoix dans <strong>La</strong> voix d’Orphée, dans la même pério<strong>de</strong> se constitue un mouvement<br />
<strong>de</strong> résistance anti-lyrique avec Christian Prigent, animateur <strong>de</strong> la revue TXT qui dénonce « la<br />
béance baveuse du moi », en parlant du <strong>lyrisme</strong>. Jean-Marie Gleize, dans A Noir dénonce<br />
l’idéalisme, le subjectivisme au nom <strong>de</strong> la « littéralité » et d’un certain réalisme poétique<br />
(Suivant en l’héritage mallarméen qui annonçait la « disparition élocutoire du poète », le<br />
retrait du sujet lyrique par rapport au langage, puis la réflexion qui a animée la revue TEL<br />
QUEL <strong>de</strong> Philippe Sollers, la poésie à partir <strong>de</strong> 1960 met l’accent sur la littérarité,<br />
l’autonomie référentielle du poème) . Le <strong>lyrisme</strong> leur apparaît comme antagoniste au travail<br />
poétique c'est-à-dire au travail sur le signifiant et sur la littéralité <strong>de</strong> l’énoncé. Cette querelle<br />
oppose somme toute <strong>de</strong>ux inconciliables : d’une côté, une poésie qui se veut l’expérience du<br />
mon<strong>de</strong>, et l’expression <strong>de</strong>s émotions d’un sujet, <strong>de</strong> l’autre, une poésie qui s’intéresse au<br />
langage et à ses possibilités phoniques, rythmiques, sémantiques. Il est plus intéressant en<br />
revanche <strong>de</strong> voir comment certains poètes contemporains, prenant acte <strong>de</strong> la crise du sujet, ont<br />
tenté <strong>de</strong> rapprocher <strong>lyrisme</strong> et réalité. Si le <strong>lyrisme</strong> est, selon l’expression <strong>de</strong> Bau<strong>de</strong>laire,<br />
«l’aspiration humaine vers une beauté supérieure », ne peut-on pour autant imaginer un<br />
<strong>lyrisme</strong> qui ne serait pas l’exaltation du sublime et <strong>de</strong> l’idéal, un <strong>lyrisme</strong> proche <strong>de</strong> la réalité,<br />
un <strong>lyrisme</strong> dépouillé <strong>de</strong> tout ornement ?<br />
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