Les effets pervers de notre système fiscal - Janson Baugniet
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( F o c u s ) E n c o u v e r t u r e<br />
PHOTO NEWS<br />
Comparaison <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> l’impôt sur le<br />
revenu dans différents pays européens<br />
Données<br />
Situation familiale<br />
Marié, <strong>de</strong>ux enfants<br />
Autres revenus professionnels<br />
du ménage ou personnels du ménage<br />
Aucun<br />
Nature <strong>de</strong> l’activité<br />
Salariée<br />
Année <strong>de</strong> revenus 2008<br />
Résultats Célibataire Marié, <strong>de</strong>ux enfants<br />
Revenu Impôt Revenu Impôt<br />
taxable (en euros) taxable (en euros)<br />
(en euros)<br />
(en euros)<br />
Belgique 20.000 4.989 20.000 1.341<br />
50.000 19.495 50.000 14.539<br />
100.000 45.774 100.000 40.818<br />
France 20.000 1.243 20.000 0<br />
50.000 8.192 50.000 2.469<br />
100.000 23.937 100.000 11.930<br />
Pays-Bas 20.000 428 20.000 428<br />
50.000 9.647 50.000 9.647<br />
100.000 35.470 100.000 35.470<br />
Royaume-Uni 20.000 2.680 20.000 2.680<br />
50.000 9.591 50.000 9.591<br />
100.000 29.591 100.000 29.591<br />
Allemagne 20.000 3.007 20.000 796<br />
50.000 13.816 50.000 9.012<br />
100.000 35.961 100.000 27.633<br />
Luxembourg 20.000 1.245 20.000 0<br />
50.000 11.146 50.000 4.633<br />
100.000 30.621 100.000 22.293<br />
Note : le calcul d’impôt est estimatif. Il prend en compte les déductions<br />
généralement applicables dans chaque pays, considérant le<br />
revenu comme correspondant à l’imposable ordinaire selon les dispositions<br />
<strong>de</strong> la législation locale. Aucune cotisation complémentaire<br />
n’est calculée (ex. « CSG » en France)<br />
Source : J.-L. Davain, Loyens & Loeff, 01/04/2008.<br />
L’avis <strong>de</strong> Jean-Louis Davain<br />
44 Fo c u s Trends-Tendances 10 avril 2008<br />
«Je partage totalement le<br />
constat d’une progressivité<br />
abrupte, affirme l’avocat <strong>fiscal</strong>iste.<br />
Des comparaisons ponctuelles<br />
montrent que <strong>notre</strong><br />
pays pratique une <strong>fiscal</strong>ité systématiquement<br />
plus élevée<br />
que nos voisins (voir tableau<br />
Comparaison <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong><br />
JEAN-LOUIS DAVAIN,<br />
AVOCAT FISCALISTE<br />
«Notre pays pratique une<br />
<strong>fiscal</strong>ité systématiquement<br />
plus élevée que nos voisins.<br />
Nous sommes taxés très<br />
vite et très fort.»<br />
Chez nous, ce modèle «du bas» été instauré à partir <strong>de</strong> 1989<br />
(voir encadré «Comment en est-on arrivé là?»). Dans d’autres<br />
pays, c’est un système au top <strong>de</strong>s revenus qui a été retenu.<br />
Avantage ? Cela permet <strong>de</strong> raboter d’autant la tranche <strong>de</strong> revenus<br />
à payer aux taux les plus élevés et donc procurer au contribuable<br />
un net réellement supérieur.<br />
Un effet <strong>de</strong> seuil détestable<br />
L’essentiel <strong>de</strong> la charge <strong>fiscal</strong>e est donc reporté sur la partie<br />
haute <strong>de</strong>s revenus. Dès lors, chaque euro supplémentaire<br />
s’ajoutant à cette par tie supérieure peut être lour<strong>de</strong>ment<br />
imposé, s’il a pour conséquence <strong>de</strong> dépasser le barème en<br />
vigueur. Dans ce cas <strong>de</strong> figure, le contribuable peut subir un<br />
désavantage, ce qui est paradoxal puisqu’il a réussi à gagner<br />
<strong>de</strong>s revenus en plus. «C’est ce qu’on appelle l’effet <strong>de</strong> seuil,<br />
poursuit Jacques Autenne. Prenons l’exemple d’un subsi<strong>de</strong><br />
octroyé pour ai<strong>de</strong>r à honorer la facture du mazout. Admettons<br />
qu’il s’élève à 210 euros et soit offert aux contribuables<br />
dont le revenu n’excè<strong>de</strong> pas 23.281 euros. Si une personne<br />
gagne 1 euro <strong>de</strong> plus, elle perdra son subsi<strong>de</strong>. De telle sorte<br />
que cet euro supplémentaire sera en fait indirectement taxé<br />
à 21.000 % !»<br />
De telles situations sont évi<strong>de</strong>mment injustes. C’est pourquoi<br />
<strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> dégressivité (où l’avantage est gommé par<br />
palier) ont été inventées pour tenter d’atténuer ce passage<br />
d’une tranche d’imposition à une autre d’une partie <strong>de</strong>s revenus.<br />
Cependant, dans les faits, elles ne remplissent que très<br />
imparfaitement leur rôle.<br />
Un crédit d’impôt qui complique tout<br />
Le système du crédit d’impôt, introduit lors <strong>de</strong> la réforme<br />
<strong>fiscal</strong>e <strong>de</strong> 2001, est venu ajouter <strong>de</strong> la complexité. Certes,<br />
l’objectif initial était louable : il est une ristourne accordée à<br />
ceux qui sont proches du salaire minimum. But : améliorer<br />
leur revenu net. Il est versé par le fisc lors <strong>de</strong> l’enrôlement<br />
et inter vient après un calcul très compliqué. En 2002, son<br />
montant maximal était <strong>de</strong> 510 euros.<br />
«La principale critique que l’on peut lui adresser est qu’il<br />
introduit <strong>de</strong> véritables discriminations entre les contribuables<br />
<strong>de</strong>s bas et <strong>de</strong>s moyens salaires», estime <strong>notre</strong> expert<br />
(voir graphique «<strong>Les</strong> <strong>effets</strong> cachés du crédit à l’impôt»), qui a<br />
l’impôt sur le revenu dans différents<br />
pays européens). Nous<br />
sommes taxés très vite et très<br />
fort. Le système belge est le<br />
fruit d’une forme <strong>de</strong> consensus<br />
politique qui a cherché à épargner<br />
<strong>fiscal</strong>ement les revenus les<br />
plus faibles. Le problème, c’est<br />
que, en vertu d’une série <strong>de</strong><br />
mécanismes, nous avons<br />
abouti à faire peser davantage<br />
<strong>de</strong> <strong>fiscal</strong>ité sur les autres revenus.<br />
Chez nous, les ren<strong>de</strong>ments<br />
<strong>de</strong> l’IPP se font essentiellement<br />
sur les moyens et les hauts<br />
revenus. Peu à peu, le mon<strong>de</strong><br />
politique prend conscience <strong>de</strong><br />
certains déséquilibres. Seulement<br />
voilà, il hésite à toucher<br />
au système. Il préfère prendre<br />
<strong>de</strong>s mesurettes ponctuelles. Par<br />
exemple, une exonération partielle<br />
du précompte professionnel<br />
sur les salaires <strong>de</strong>s<br />
chercheurs. Finalement, tout<br />
cela ne fait que compliquer<br />
encore la situation.<br />
Aujourd’hui, quel est encore le<br />
contribuable qui peut calculer<br />
lui-même sa charge <strong>fiscal</strong>e ?»<br />
L’avis <strong>de</strong> Thierry Afschrift<br />
«A la question <strong>de</strong> savoir si la<br />
progressivité est satisfaisante<br />
ou non, je préférerais en<br />
poser une autre : faut-il vraiment<br />
un impôt progressif ?,<br />
s’interroge l’avocat <strong>fiscal</strong>iste.<br />
Sur le plan international, ce<br />
débat reste très actuel. C’est<br />
que l’impôt proportionnel,<br />
appelé aussi flat tax, intrigue.<br />
Surtout <strong>de</strong>puis qu’il ne s’est<br />
pas révélé plus injuste dans<br />
les pays qui l’ont appliqué.<br />
C’est le cas <strong>de</strong> nombreux<br />
pays <strong>de</strong> l’Est : <strong>de</strong> la Russie (un<br />
100%<br />
80%<br />
60%<br />
40%<br />
20%<br />
0%<br />
-20%<br />
-40%<br />
-60%<br />
-80%<br />
-100%<br />
0<br />
Taux d'imposition<br />
3.000<br />
Revenus annuels imposables<br />
taux unique <strong>de</strong> 13 %) à la<br />
Lituanie (24 %). Il est d’autant<br />
moins incongru d’ouvrir ce<br />
débat que, chez nous, l’impôt<br />
est très peu progressif et qu’il<br />
ressemble... à une flat tax à<br />
très haut taux ! La courbe <strong>de</strong>s<br />
niveaux <strong>de</strong> taxation monte en<br />
effet très tôt à la verticale<br />
puis reste plate. Tous les<br />
contribuables sont fortement<br />
taxés. Et cela n’est pas près<br />
<strong>de</strong> changer. Car la <strong>fiscal</strong>ité<br />
n’est jamais qu’un volet <strong>de</strong> la<br />
politique budgétaire d’un<br />
pays. Or, tant que les pouvoirs<br />
publics auront un train<br />
<strong>de</strong> vie élevé (pour payer les<br />
administrations, la <strong>de</strong>tte,<br />
etc.), les recettes <strong>de</strong>vront suivre<br />
en conséquence.»<br />
THIERRY AFSCHRIFT,<br />
AVOCAT FISCALISTE ET<br />
PROFESSEUR DE DROIT<br />
FISCAL À L’ULB<br />
«Tant que les pouvoirs<br />
publics auront un train <strong>de</strong><br />
vie élevé (pour payer les<br />
administrations, la <strong>de</strong>tte,<br />
etc.), les recettes <strong>de</strong>vront<br />
suivre en conséquence.»<br />
mené <strong>de</strong>s calculs inédits sur le sujet. On peut les percevoir en<br />
comparant le taux net d’imposition (c’est-à-dire le taux moyen<br />
appliqué à l’ensemble <strong>de</strong>s revenus) et le taux marginal (le<br />
taux auquel est soumis l’euro supplémentaire <strong>de</strong> revenu ; il est<br />
considéré comme un <strong>de</strong>s indicateurs <strong>de</strong> la progressivité <strong>de</strong><br />
l’impôt). Le premier affiche une progression apparemment<br />
harmonieuse. Le second montre, lui, <strong>de</strong>ux faits particulièrement<br />
troublants.<br />
D’abord, le crédit d’impôt bénéficie surtout aux personnes<br />
déclarant entre 3.750 et 5.010 euros <strong>de</strong> revenus imposables<br />
(pour les isolés sans enfant). Entre ces <strong>de</strong>ux montants, chaque<br />
euro supplémentaire <strong>de</strong> revenu est taxé à un taux négatif pouvant<br />
aller jusqu’à - 40 %. A partir <strong>de</strong> 5.010 euros, l’avantage s’estompe.<br />
Et après 5.690 euros, il ne joue plus. Autrement dit, 700<br />
euros <strong>de</strong> revenus supplémentaires peuvent tout changer...<br />
Ensuite, le ca<strong>de</strong>au n’est pas gratuit. Son coût budgétaire a<br />
été récupéré sur d’autres tranches <strong>de</strong> revenus. Ainsi, ce sont<br />
les personnes gagnant entre 12.530 et 16.280 euros qui sont<br />
clairement mises le plus à contribution. Certes, leur taux net<br />
d’imposition varie entre<br />
19 % et 23 % environ. Mais<br />
si l’on examine le taux marginal,<br />
tout change. Chaque<br />
euro supplémentaire se<br />
voit frappé à <strong>de</strong>s taux pouvant<br />
aller jusqu’à 60 %.<br />
<strong>Les</strong> <strong>effets</strong> cachés du crédit d’impôt<br />
Simulation effectuée par Jacques Autenne sur les revenus 2002<br />
(sans tenir compte <strong>de</strong> la cotisation sociale généralisée)<br />
Contribuables principaux<br />
bénéficiaires du crédit d’impôt<br />
Situation valable pour un isolé sans enfant<br />
Taux d’imposition net<br />
3.241<br />
3.672<br />
3.751<br />
4.167<br />
4.392<br />
5.011<br />
5.350<br />
5.690<br />
7.074<br />
7.806<br />
9.350<br />
10.827<br />
12.223<br />
12.490<br />
13.187<br />
Taux d’imposition marginal<br />
(taux d’imposition appliqué au <strong>de</strong>rnier euro perçu)<br />
Contribuables principaux contributeurs<br />
du coût budgétaire du crédit d’impôt.<br />
▲<br />
Source : Jacques Autenne<br />
14.429<br />
16.097<br />
22.887<br />
27.737<br />
32.587<br />
47.690<br />
67.120<br />
87.120<br />
197.120<br />
<strong>Les</strong> remè<strong>de</strong>s<br />
possibles<br />
Selon le professeur Jacques<br />
Autenne, il conviendrait <strong>de</strong> :<br />
> Supprimer les exonérations<br />
d’impôt sur le bas<br />
<strong>de</strong>s revenus et les placer sur<br />
le haut.<br />
> Retravailler les barèmes<br />
fiscaux et les taux d’imposition<br />
avec pour objectif<br />
d’élargir les tranches d’imposition<br />
et <strong>de</strong> produire une<br />
échelle <strong>de</strong> progressivité<br />
plus harmonieuse.<br />
> Démanteler ou à tout le<br />
moins réduire le mécanisme<br />
du crédit d’impôt.<br />
> Soumettre les allocations<br />
sociales à l’impôt,<br />
tout en les augmentant. Par<br />
ce fait-là, les revenus, qu’ils<br />
soient tirés du travail ou <strong>de</strong>s<br />
allocations, seraient mis sur<br />
un pied d’égalité. Ajouté<br />
aux trois premières mesures,<br />
cela permettrait <strong>de</strong> se<br />
débarrasser <strong>de</strong>s «pièges à<br />
l’emploi».<br />
Trends-Tendances 10 avril 2008 Fo c u s 45<br />
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