enquete - Supply Chain Magazine
enquete - Supply Chain Magazine
enquete - Supply Chain Magazine
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
E n q u ê t e<br />
QUAND LA CHIMIE<br />
S’EVEILLERA<br />
34<br />
Elle fournit la quasi-totalité des autres industries (automobile,<br />
construction, sidérurgie, textile, etc.) et fait travailler en France<br />
180.000 salariés, pour un CA 2008 de 85,8 Md€, dont 45,4 Md€ à l’export.<br />
Elle, c’est la chimie, qui a dû affronter de plein fouet les effets de la crise<br />
et du déstockage de ses clients. En 2009, la baisse de production<br />
était estimée à 15 % et la visibilité en ce début d’année 2010<br />
reste réduite. Autant le <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> Management n’a pas semblé jouer<br />
un rôle crucial dans la première partie de la crise, autant il peut s’avérer<br />
salutaire pour gérer convenablement la remontée du niveau des<br />
commandes, dans un secteur où la flexibilité est si difficile à atteindre.<br />
©Rhodia<br />
N°41 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2010
La volatilité, les acteurs du<br />
monde de la chimie savent<br />
très bien ce que cela veut<br />
dire. Sauf qu’aujourd’hui,<br />
ce terme s’applique non<br />
plus seulement aux propriétés<br />
physiques de certains de leurs<br />
produits, mais également aux commandes<br />
de leurs clients. La chimie, en<br />
particulier la pétrochimie, est l’un<br />
des secteurs où la visibilité sur la<br />
demande est la plus faible quant à une<br />
éventuelle reprise du marché. La<br />
chute de la demande a commencé fin<br />
2008, entraînant dans la plupart des<br />
cas en 2009 un déstockage massif de<br />
la part des clients. Depuis, le marché<br />
a connu un léger mieux. En novem -<br />
bre 2009, la note de conjoncture du<br />
Cefic (Conseil européen de l’industrie<br />
chimique) confirmait « l’amélioration<br />
régulière de la production<br />
chimique européenne depuis la chute<br />
brutale enregistrée en décembre<br />
2008 ». Cela dit, sur la période de janvier<br />
à août 2009, la production chimique<br />
européenne est encore en deçà<br />
de 16,9 % par rapport à 2008. « Il n’y<br />
a plus une journée qui ressemble à<br />
une autre, ni d’indicateurs pertinents,<br />
ni de prévisions fiables. Depuis plus<br />
d’un an, on jongle avec des volumes<br />
annoncés le jour A, dénoncés le jour<br />
B, réduits de moitié le jour C »,<br />
déplore Nicolas Fromentin, Directeur<br />
du département logistique des produits<br />
chimiques chez le prestataire<br />
logistique Daher.<br />
Les deux chimies<br />
Pour affronter dans l’urgence cette<br />
crise sans précédent, tant par son<br />
ampleur que par sa rapidité, le <strong>Supply</strong><br />
<strong>Chain</strong> Management ne semble pas<br />
avoir été le levier le plus naturel. Dans<br />
un premier temps en effet, la réaction<br />
des industriels a été souvent assez<br />
radicale : certaines usines ont suspendu<br />
leur production pendant des<br />
semaines, avec mises au chômage<br />
35<br />
©Chevron Oronite<br />
JANVIER-FÉVRIER 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - N°41
E n q u ê t e<br />
36<br />
«<br />
Friedrich Laubscher,<br />
Directeur Service Clients et Logistique<br />
de Bayer Cropscience France<br />
« Nous avons réduit<br />
les stocks de moitié<br />
entre 2003 et 2008 »<br />
En matière de <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong>,<br />
chez Bayer Cropscience<br />
France, notre problématique<br />
principale se situe à deux niveaux.<br />
Sur la partie aval tout d’abord,<br />
il y a un besoin fort de réactivité<br />
pour livrer nos clients le plus rapidement<br />
possible. La moindre<br />
variation climatique, une attaque<br />
soudaine d’insectes ou l’apparition<br />
d’une maladie ou de champignons<br />
peuvent multiplier la<br />
demande de certains produits par<br />
deux du jour au lendemain.<br />
Heureusement, cela ne concerne<br />
pas 100 % de la demande, mais<br />
environ 20 % – tout en allant du<br />
simple au double pour certains<br />
produits spécifiques –, ce qui est tout de même<br />
considérable. Par ailleurs, plus en amont, les délais<br />
de réalisation (Lead Times) de nos produits, à partir<br />
de composants de synthèse, dépassent les<br />
12 mois. C’est très long par rapport aux fluctuations<br />
de la demande. La difficulté est d’apprécier le<br />
juste équilibre entre le service au client et le niveau<br />
des stocks. L’enjeu est important. Nous travaillons<br />
avec nos clients sur l’amélioration de la partie prévisions<br />
et sur la gestion des stocks à différents<br />
niveaux (matières premières, matières actives, produits<br />
pré formulés, conditionnés). Depuis 2005,<br />
nous avons mis en place un processus S&OP avec<br />
une gestion des prévisions sur 24 mois mobiles par<br />
article et par mois. Cela a amorcé un changement,<br />
une perception différente par rapport à des problématiques<br />
dont tout le monde n’avait pas forcément<br />
conscience. Les commerciaux,<br />
notamment, sont désormais<br />
sensibilisés aux contraintes<br />
de stock. Pour la partie France,<br />
nous avons réduit les stocks de<br />
moitié entre 2003 et 2008.<br />
D’autres actions sont en cours de<br />
réflexion, comme l’harmonisation<br />
du conditionnement et une rationalisation<br />
du catalogue article<br />
entre les différents pays ».<br />
©Bayer Cropscience<br />
Nom :<br />
Bayer Cropscience France<br />
(groupe Bayer)<br />
Secteur :<br />
chimie fine phytosanitaire<br />
Livraisons : 25.000 t par an<br />
(1 t par livraison en moyenne)<br />
Nombre de références :<br />
entre 300 et 330<br />
partiel, voire même des fermetures de<br />
sites. « Il y a très peu de latitude sur<br />
l’utilisation de la capacité de production,<br />
car c’est généralement un nonsens<br />
économique de faire tourner une<br />
usine chimique à 70 % de sa capacité,<br />
alors que d’autres secteurs disposent<br />
d’un peu plus de flexibilité », fait<br />
remarquer Luc Baetens, Directeur<br />
France du cabinet de conseil Möbius.<br />
Tout en faisant tout de même le distinguo<br />
entre deux types d’activités :<br />
d’une part, la chimie de base et<br />
d’autre part, la chimie de produits de<br />
spécialités. Dans la chimie de base,<br />
de très grosses usines produisent en<br />
continu un nombre limité de produits<br />
différents, mais en très grande quantité,<br />
avec une densité de valeur assez<br />
faible. Sur ce segment, il y a très peu<br />
de latitude sur l’utilisation de la capacité.<br />
« La seule chose que l’on puisse<br />
encore faire, sur le court terme, c’est<br />
d’augmenter le volume de ce que l’on<br />
appelle le « swap ». Si l’on fabrique<br />
trop de tel produit, on peut échanger<br />
avec un concurrent qui n’en fabrique<br />
pas assez pour ses besoins mais trop<br />
de tel autre », explique Luc Baetens.<br />
Au contraire, dans la chimie de spécialités,<br />
réalisée à partir de la chimie<br />
de base, on trouve des gammes de<br />
produits très étendues, plus différenciés<br />
et à plus forte valeur ajoutée. « Il<br />
y a davantage de liberté d’utilisation<br />
de la capacité, les installations sont<br />
plus petites. Les techniques d’optimisation<br />
<strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> issues d’autres<br />
secteurs sont valables comme le calcul<br />
de stock de sécurité ou la planification<br />
sur les tailles de lot basées sur<br />
des prévisions de vente », ajoute-t-il.<br />
Sortir de la logique d’achat<br />
transport ligne à ligne<br />
« Sur la partie production, en chimie<br />
lourde, ce sont souvent des flux poussés,<br />
avec un nombre d’articles limité.<br />
En fait, la complexité de planification<br />
et d’ordonnancement se retrouve surtout<br />
du côté de la chimie fine, où les<br />
outils de production sont généralement<br />
multi produits, pour un grand<br />
nombre de produits, avec un séquen-<br />
N°41 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2010
cement des productions, des con -<br />
traintes de nettoyage de cuves, et la<br />
possibilité de jouer sur des tailles de<br />
lots », affirme Arnaud Proriol, Direc -<br />
teur du développement chez Ortems,<br />
éditeur français d’outils d’ordonnancement<br />
et d’optimisation de production<br />
et des stocks, notamment pour le<br />
secteur de la chimie. « Il y a une vraie<br />
segmentation du secteur, confirme de<br />
son côté Nicolas Fromentin (Daher).<br />
Les acteurs de la chimie de base ou<br />
de la pétrochimie considèrent qu’ils<br />
37<br />
©Arkema Saint Auban<br />
n’ont pas besoin de <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong><br />
poussée et se contentent de gérer les<br />
priorités. Mais il y a 15 à 20 % des<br />
flux, sur certains segments de spécialités<br />
chimiques, qui nécessitent des<br />
systèmes spécifiques de pilotage de la<br />
<strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> », estime-t-il. Daher<br />
fait d’ailleurs partie d’une alliance,<br />
Eurteam, créée en 2007 avec d’autres<br />
prestataires européens, dont l’objectif<br />
est de se positionner comme organisateur<br />
de <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> mondiale<br />
dans le domaine de la chimie. A en<br />
croire les prestataires logistiques, le<br />
domaine n’est pas aujourd’hui le plus<br />
dynamique en la matière. « La chimie<br />
est le secteur où nous rencontrons le<br />
Suite page 38<br />
JANVIER-FÉVRIER 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - N°41
E n q u ê t e<br />
38<br />
Olivier Clément,<br />
Directeur <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong><br />
de Chevron Oronite S.A.<br />
« Nos clients et fournisseurs<br />
ne sont pas encore<br />
tout à fait prêts<br />
pour le ferroviaire »<br />
« 15 ans, nous avons beau-<br />
Depuis coup progressé en termes de massification<br />
dans le domaine du transport<br />
maritime, qui représente la moitié<br />
de nos flux. Notre démarche aujourd’hui<br />
est d’aller plus loin sur la partie<br />
ferroviaire et fluviale, pour des raisons<br />
qui sont liées à la fois au développement<br />
durable et à la préservation de la<br />
planète, à la sécurité des personnes, à<br />
notre situation géographique au<br />
Havre (projets Port 2000 et Grand Port<br />
de Paris), mais aussi à la possibilité de<br />
réduire la complexité des opérations.<br />
Chevron Oronite participe aux discussions<br />
en cours avec la Chambre de<br />
Commerce et d’Industrie havraise au<br />
sujet de la constitution d’un opérateur<br />
ferroviaire de proximité (OFP) au Havre qui devrait<br />
agréger des trains complets à partir de wagons isolés<br />
issus de différents acteurs de la zone portuaire. Mais<br />
nous constatons que ni nos clients, ni nos fournisseurs<br />
ne sont encore totalement prêts pour ce changement.<br />
Ils sont pourtant nombreux à disposer d’un embranchement<br />
fer, mais n’ont pas toujours l’infrastructure<br />
permettant de le relier aux réservoirs de stockage. Et<br />
cela représente des investissements dépassant la centaine<br />
de milliers d’euros, que nos fournisseurs et clients<br />
ne semblent pas encore prêts à consentir. Même si un<br />
wagon de 55 t contient le double d’un semi-remorque,<br />
le transport ferroviaire reste encore souvent économiquement<br />
moins intéressant et avec<br />
des taux de livraisons dans les délais<br />
qui ont du mal à dépasser les 75 %. Il<br />
faudrait pouvoir fournir à nos clients<br />
des projections chiffrées de l’évolution<br />
du taux de fret ferroviaire par<br />
rapport à la route sur les années qui<br />
viennent et rendre plus intelligibles<br />
les futures réglementations sur le<br />
transport routier. Cela dit, je pense<br />
que la situation devrait évoluer d’ici<br />
2011 ou 2012, et que la réflexion sur<br />
le long terme l’emportera. »<br />
©Chevron Oronite<br />
Nom : Chevron Oronite S.A.<br />
Couverture : Europe, Afrique,<br />
Moyen-Orient<br />
Usine principale : Le Havre<br />
Secteur : additifs pour<br />
les lubrifiants, carburants et<br />
produits chimiques<br />
Livraisons : environ 300.000 t<br />
par an<br />
Nombre de références :<br />
environ 250<br />
Suite de la page 37<br />
plus de difficultés à nous positionner<br />
en tant qu’organisateur transport et<br />
<strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong>, par comparaison avec<br />
le secteur FMCG par exemple, constate<br />
Hervé Montjotin, Directeur général<br />
du Groupe Norbert Dentressangle<br />
en charge de l’activité Transport. Au<br />
quotidien, il est difficile de sortir de<br />
cette logique d’achat transport ligne<br />
à ligne, avec un rapport de force qui<br />
alterne, soit en faveur de l’acheteur<br />
comme c’est le cas actuellement, soit<br />
en faveur du transporteur, comme en<br />
2006-2007. » Malgré cela, Norbert<br />
Dentressangle, dont la division transport<br />
réalise 20 % de son chiffre d’affaires<br />
(soit 300 M€) avec des clients<br />
de la chimie, a tout de même réussi à<br />
développer des approches partenariales<br />
à plus long terme sur le pilotage<br />
du transport avec certains groupes<br />
comme Exxon ou Huntsman.<br />
L’approche globale des<br />
prestataires a peu d’écho<br />
Hervé Montjotin avance un début<br />
d’explication au comportement court<br />
terme de cette industrie : « Les entreprises<br />
du secteur de la chimie sont<br />
peut-être restées plus cloisonnées<br />
dans leurs fonctions, avec d’une part<br />
les achats transport et d’autre part la<br />
<strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong>, sans avoir une vision<br />
consolidée de l’ensemble pour le<br />
moment. C’est pourtant là où nous<br />
avons le plus de valeur à apporter à<br />
nos clients ». Son concurrent Geodis<br />
BM fait la même analyse. « Jusqu’à<br />
présent, nous avons constaté que les<br />
industriels de la chimie, contrairement<br />
aux gaziers, préféraient généralement<br />
l’approche classique des<br />
négociations de prix transport sur<br />
trois, voire deux ans, à des approches<br />
plus globales de type pilotage de flux<br />
(4PL, modélisation de plan de transport,<br />
mise en œuvre d’économies<br />
grâce à l’informatique embarquée,<br />
etc.) », note Olivier Mélot, son PDG.<br />
A quelques exceptions près, qui<br />
confirment la règle. Comme dans le<br />
secteur des lubrifiants, où Geodis BM<br />
gère depuis trois ans pour un groupe<br />
anglo-saxon le transport en vrac et la<br />
N°41 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2010
livraison vers les ateliers d’entretien<br />
automobile, sur un modèle facturé au<br />
litre transporté et livré, et avec des<br />
indicateurs de performance à respecter.<br />
C’est le prestataire qui reçoit<br />
les commandes directement depuis<br />
l’ERP (SAP) de son client, modélise<br />
les tournées (par semi-remorques<br />
multi compartimentés) et déclenche<br />
même éventuellement la production<br />
d’huile chez son client. « Le client n’a<br />
pas de charges fixes, c’est à nous<br />
d’être capables, par la visibilité sur<br />
les commandes, d’anticiper les pics<br />
d’activité, ce qui permet de réduire<br />
les stocks. En termes de <strong>Supply</strong><br />
<strong>Chain</strong>, il y a un vrai intérêt à travailler<br />
en étant beaucoup mieux<br />
connecté », insiste Olivier Mélot.<br />
Le S&OP a un rôle critique<br />
Paradoxalement, cette plus grande<br />
collaboration, notamment avec les<br />
prestataires, est pourtant appelée de<br />
©Geodis BM<br />
Olivier Mélot,<br />
PDG de Geodis BM :<br />
« Jusqu’à présent, nous avons<br />
constaté que les industriels de<br />
la chimie, contrairement aux<br />
gaziers, préféraient généralement<br />
l’approche classique des<br />
négociations de prix transport... »<br />
ses vœux depuis plusieurs années par<br />
l’ensemble de la profession au niveau<br />
européen, si l’on en juge par les rapports<br />
publiés sur le sujet en 2004 et<br />
2005 par le CEFIC et l’EPCA (Euro -<br />
pean Petrochemical Associa tion). Les<br />
titres parlent d’eux-mêmes : « <strong>Supply</strong><br />
<strong>Chain</strong> Excellence in the European<br />
Chemical Industry » et « Maximising<br />
Performance : the Power of<br />
<strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> Collaboration ». Ces<br />
documents soulignent d’ailleurs que<br />
l’industrie chimique est l’un des secteurs<br />
où la dépense en transport et<br />
logistique a la part relative la plus<br />
importante, puisqu’elle représente<br />
environ 10 % du CA. Malgré cela, et<br />
contrairement à d’autres secteurs, les<br />
Responsables <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> sont très<br />
rarement représentés aux Comités de<br />
Direction. Ce qui n’empêche pas la<br />
plupart des grands groupes d’avoir<br />
déjà mis en place des processus de<br />
type S&OP (Sales & Operations<br />
39<br />
JANVIER-FÉVRIER 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - N°41
E n q u ê t e<br />
40<br />
«<br />
Matthieu Yence,<br />
en Charge du projet Inventory Step<br />
Change chez Rhodia<br />
« Nous avons mis en place<br />
une démarche mondiale<br />
d’amélioration continue »<br />
Fin 2005, la direction industrielle de<br />
Rhodia a lancé un grand programme<br />
d’optimisation des stocks baptisé<br />
Inventory Step Change. A l’origine, le<br />
groupe était confronté à un problème<br />
de besoin en fonds de roulement (BFR)<br />
important et cherchait à libérer du cash.<br />
L’objectif était de dimensionner le stock<br />
de manière optimale et de mettre<br />
en place des chantiers d’amélioration<br />
ciblés, de type Lean Manufacturing, afin<br />
de réduire les contraintes qui pèsent sur<br />
les stocks. Nous avons adapté les principes<br />
existants de dimensionnement des<br />
stocks aux spécificités de notre métier<br />
(équipements, process, terminologie) afin de définir les<br />
« stocks juste nécessaires » (Just Needed Inventory)<br />
pour l’ensemble de nos lignes de production. Le stock<br />
comporte sept composantes qui reflètent l’ensemble<br />
des contraintes industrielles ou commerciales de la<br />
ligne de production ou du marché concernés. Suivant<br />
qu’il s’agisse d’une ligne mono ou multi produits par<br />
exemple, la taille des campagnes pourra influer ou non<br />
sur l’une des composantes du stock. Cette « grille d’évaluation<br />
» utilisée pour le suivi des stocks permet non<br />
seulement de déterminer le stock optimal mais aussi de<br />
guider nos actions prioritaires sur nos process, visant à<br />
améliorer les contraintes industrielles. Une composante<br />
du stock peut être liée par exemple à la taille de nos<br />
campagnes de production, qui est aujourd’hui principalement<br />
déterminée par le coût et la durée des opérations<br />
d’inter campagnes (lavage des cuves). De ce fait,<br />
si nous sommes capables de réduire ces temps et ces<br />
coûts, il est alors possible de gagner en flexibilité et au<br />
niveau de nos stocks. Même chose concernant des<br />
actions sur la partie qualité, sur la maintenance préventive<br />
ou sur les démarches de type VMI. Pour résumer,<br />
nous avons mis en place une démarche mondiale<br />
d’amélioration continue de nos stocks, s’appuyant sur<br />
des indicateurs et des tableaux de bord homogènes<br />
ainsi que sur une formation déployée auprès de l’ensemble<br />
des <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> Managers, sur la totalité des<br />
160 lignes de production que compte le groupe. Tous<br />
ces efforts ont contribué significativement à la réduction<br />
régulière du BFR de Rhodia depuis plusieurs<br />
trimestres. »<br />
N°41 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2010<br />
©Rhodia<br />
Planning, voir encadré Bayer Crops -<br />
cience p. 36). C’est le constat que fait<br />
l’éditeur américain WAM System,<br />
spécialisé dans les logiciels de planification<br />
pour la chimie, qui mène<br />
chaque année depuis 2006 un benchmark<br />
sur le sujet. « Nous vivons une<br />
période de grande incertitude où il y<br />
a davantage de variabilité dans<br />
tous les domaines, le prix des<br />
matières premières, les réglementations,<br />
la demande, les tarifs, en particulier<br />
depuis deux ans, résume John<br />
Kamal, son Directeur Général. Le<br />
S&OP permet de construire des<br />
modèles de planification sur des horizons<br />
de 12 à 24 mois, de bâtir différents<br />
scenarios, en fonction de l’évolution<br />
du cours des matières premières,<br />
de la demande. Nous avons<br />
constaté qu’il y a une forte corrélation<br />
entre les sociétés qui ont mis en<br />
œuvre ce type de processus et leurs<br />
performances opérationnelles. C’est<br />
aussi celles qui ont les niveaux de<br />
stocks les moins élevés », place-t-il.<br />
Même dans une période où la fiabilité<br />
des prévisions est mise à mal. « Je<br />
pense que dans la situation fluctuante<br />
actuelle, les processus de la <strong>Supply</strong><br />
<strong>Chain</strong> s’en trouvent renforcés. En particulier,<br />
la revue S&OP a chez nous un<br />
rôle encore plus critique, car c’est le<br />
moyen de rapprocher les gens pour<br />
prendre des décisions, des risques en<br />
commun, pour estimer ensemble comment<br />
évolue la demande », considère<br />
Olivier Clément, Directeur <strong>Supply</strong><br />
<strong>Chain</strong> de Chevron Oronite (voir encadré<br />
page 38).<br />
La VMI mise<br />
entre parenthèses<br />
Avec les clients, l’idée de la collaboration<br />
fait son chemin. Des projets de<br />
VMI (Vendor Managed Inventory) se<br />
sont développés ces dernières années,<br />
par exemple chez Solvay, Arkema ou<br />
l’Allemand Kruse. Dans ce cas, le<br />
fournisseur est le seul responsable de<br />
l’approvisionnement chez son client.<br />
L’objectif est de pouvoir réagir plus<br />
rapidement, même en cas de consommations<br />
imprévisibles, et de mieux<br />
Suite page 42
E n q u ê t e<br />
42<br />
Suite de la page 40<br />
planifier sa production et ses tournées<br />
de livraisons à partir de la quantité<br />
exacte mesurée directement dans<br />
les réservoirs des clients. « La valeur<br />
ajoutée qu’apporte le VMI au fournisseur,<br />
c’est de pouvoir lisser la<br />
charge de travail en choisissant le<br />
moment opportun de réapprovisionner<br />
le client. Pour que cela soit intéressant,<br />
il faut que les capacités de<br />
stockage à l’arrivée soient suffisamment<br />
importantes par rapport aux<br />
flux de réapprovisionnement. Or,<br />
dans la période actuelle de réduction<br />
des stocks, la marge de manœuvre est<br />
assez réduite. Le déstockage actuel ne<br />
va pas dans le sens du VMI », relativise<br />
Olivier Clément. Un autre type<br />
de collaboration horizontale, spécifique<br />
au secteur de la chimie, tend à<br />
se développer : celui des échanges<br />
avec ses concurrents quand l’industriel<br />
n’a pas la capacité suffisante<br />
pour répondre à la demande d’un<br />
client. « Les process de type EST<br />
(Exchange, Swaps and Tolls, soit en<br />
français échanges, trocs et péages)<br />
sont de plus en plus utilisés comme un<br />
mécanisme permettant tout à la fois<br />
de réduire les coûts de transport,<br />
d’ouvrir l’accès à de nouveaux marchés<br />
et de réduire l’empreinte carbone<br />
», affirme ainsi Declan Supple,<br />
Consultant chez Accenture.<br />
La revanche<br />
de la <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong><br />
Mais cet accord un peu contre nature<br />
ne peut s’envisager qu’au coup par<br />
coup, sur le court terme. Pour faire<br />
face à la remontée attendue des commandes,<br />
dans un avenir plus ou moins<br />
proche, les équipes de <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong><br />
Management devraient théoriquement<br />
jouer les premiers rôles. « Avec<br />
la réduction des stocks, le caractère<br />
urgent des commandes clients s’intensifie<br />
et la réactivité du fournisseur<br />
est un vrai argument, encore plus<br />
qu’avant », souligne Nicolas Fro -<br />
men tin. Les nécessités de réduction<br />
du besoin en fonds de roulement<br />
(BFR) ont conduit jusque-là à rationaliser<br />
les processus achats et à faire<br />
©Möbius<br />
©Ortems<br />
Luc Baetens,<br />
Directeur France chez Möbius :<br />
« En chimie de spécialités,<br />
les techniques d’optimisation<br />
<strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> issues d’autres<br />
secteurs sont valables comme<br />
le calcul de stock de sécurité ou<br />
la planification sur les tailles de lot<br />
basées sur des prévisions<br />
de ventes »<br />
Arnaud Proriol,<br />
Directeur du développement<br />
chez Ortems :<br />
« Lors des pics d’activité, il faut<br />
prendre en compte les articles<br />
prioritaires, les clients prioritaires,<br />
c’est là où il y a besoin<br />
de planification et où<br />
l’ordonnancement entre en jeu ».<br />
baisser les niveaux de stocks (en utilisant<br />
des techniques de Lean comme<br />
chez Rhodia, voir encadré page 40),<br />
mais la démarche a évidemment des<br />
limites. « Plutôt que de réduire encore<br />
nos stocks, nous choisissons de mieux<br />
livrer nos clients. Car aujourd’hui, audelà<br />
des efforts de coûts, il nous est<br />
demandé de garantir une fiabilité de la<br />
<strong>Supply</strong>, avec des plans de contingentement,<br />
de secours, pour ne pas tomber<br />
en rupture. C’est récent et c’est sans<br />
doute lié à la baisse des stocks chez<br />
nos clients », avance Olivier Clément.<br />
« La crise fait apparaître de manière<br />
criante le besoin d’outils précis pour<br />
accroître la visibilité future, permettre<br />
de faire des simulations et remettre en<br />
cause les plans beaucoup plus rapidement<br />
chaque fois que le contexte de<br />
la demande change », souligne pour<br />
sa part Arnaud Proriol.<br />
Eviter les à-coups<br />
du redémarrage<br />
Dans certains cas, faute de stocks, les<br />
industriels seront parfois amenés à<br />
faire un choix cornélien. Selon Luc<br />
Baetens, « il est possible de décider<br />
quels clients livrer ou pas, en fonction<br />
de leur caractère stratégique ou non,<br />
ou de leur politique multi fournisseurs.<br />
Dans ce cas, il faut pouvoir être à<br />
même de refuser la commande tout de<br />
suite, pratiquement dans les 24 heures,<br />
afin de laisser le temps au client<br />
d’acheter le produit chez un concurrent.<br />
Cela nécessite d’avoir une visibilité<br />
sur toutes les commandes, les<br />
stocks et les produits en cours de production.<br />
C’est là que se joue l’équilibrage<br />
à court terme. On entre dans des<br />
logiques ATP (Available to Promise)<br />
qui dépendent énormément de la<br />
maturité de la planification ». Et de la<br />
mise en place d’outils informatiques<br />
d’ordonnancement. « Les redémarrages,<br />
que certains ont commencé à<br />
percevoir depuis mi 2009, ont tendance<br />
à créer des pics d’activité qui<br />
remontent la chaîne, déroule Arnaud<br />
Proriol. Les clients finaux, qui avaient<br />
destocké, relancent la production et<br />
les commandes. Et si tout le monde se<br />
N°41 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2010
©Norbert Dentressangle<br />
Hervé Montjotin,<br />
Directeur Général du groupe<br />
Norbert Dentressangle en charge<br />
de l’activité Transport :<br />
« Les entreprises du secteur<br />
de la chimie sont peut-être restées<br />
plus cloisonnées dans leurs<br />
fonctions, avec d’une part<br />
les achats transport et d’autre part<br />
la <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong>, sans avoir<br />
une vision consolidée<br />
de l’ensemble pour le moment »<br />
met à commander en même temps,<br />
cela crée des goulots d’étranglement,<br />
avec un effet d’à coups. Dans ce cas,<br />
il faut prendre en compte les articles<br />
prioritaires, les clients prioritaires.<br />
C’est là où il y a besoin de planification<br />
et où l’ordonnancement entre en<br />
jeu. Sur du très court terme, il est en<br />
effet crucial de savoir comment<br />
séquencer finement les productions<br />
durant la semaine pour répondre à tel<br />
ou tel changement de priorité ou de<br />
commandes. » Un autre levier de<br />
flexibilité possible, pour les industriels<br />
multi sites, est de jouer sur les<br />
zones de chalandises respectives. Si<br />
les croissances et décroissances des<br />
marchés géographiques ne tombent<br />
pas au même moment, il peut être<br />
envisageable de modifier les flux des<br />
différentes usines pour maintenir des<br />
niveaux de production économiquement<br />
viables. « C’est là où l’anticipation<br />
avec le processus S&OP est cruciale,<br />
car si l’on est capable de voir<br />
cela trois ou quatre mois à l’avance,<br />
on peut se préparer et trouver la<br />
capacité de transport sur une zone<br />
donnée. Cela suppose également que<br />
dans le contrat commercial avec son<br />
client, l’on ait inclus la possibilité de<br />
changer de source d’approvisionnement.<br />
Idem pour le transport, il faut<br />
essayer d’avoir autant que faire se<br />
peut le même prestataire de transport<br />
qui livre les mêmes marchés à partir<br />
des différentes usines », précise Luc<br />
Baetens.<br />
Le chantier du volet<br />
transport<br />
Le transport, sous toutes ses formes,<br />
est d’ailleurs un point important sur<br />
l’agenda du Responsable <strong>Supply</strong><br />
<strong>Chain</strong>. En France, l’Union des Indus -<br />
triels de la Chimie (UIC) milite activement<br />
pour l’autorisation de circulation<br />
des poids lourds de 44 ton nes<br />
43<br />
JANVIER-FÉVRIER 2010 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - N°41
E n q u ê t e<br />
44<br />
Daniel Marini,<br />
Directeur des Affaires économiques<br />
et internationales à l’UIC<br />
« L’UIC défend ainsi la redéfinition<br />
à horizon 10 ans d’une chimie<br />
innovante basée sur la matière<br />
agricole, durable, renouvelable,<br />
et qui plus est abondante<br />
dans notre pays. »<br />
dans l’Hexagone. « Nous avons écrit<br />
début décembre à trois ministres,<br />
Jean-Louis Borloo, Chris tian Estrosi<br />
et Dominique Bussereau, pour réaffirmer<br />
que nous étions favorables à<br />
l’application du 44 t, dans le cadre<br />
d’une harmonisation européenne avec<br />
certains pays de l’Union, et que cela<br />
contribuerait à baisser le nombre de<br />
camions sur les routes. Une telle<br />
mesure est indispensable si l’on veut<br />
pouvoir rester compétitifs. Nous pensons<br />
que l’impact sur l’environnement<br />
sera positif en réduisant les émissions<br />
de CO 2 de 10 à 14 % », martèle<br />
Daniel Marini, Directeur des Affaires<br />
économiques et internationales à<br />
l’UIC. L’industrie chimique, qui pour<br />
des raisons de sécurité est une grande<br />
utilisatrice du transport ferroviaire,<br />
demeure également très attentive aux<br />
évolutions en cours sur l’offre wagon<br />
isolé et à la création d’opérateurs ferroviaires<br />
de proximité. Au niveau<br />
mondial, la préoccupation actuelle du<br />
Responsable transport concerne la<br />
« situation inédite » du maritime.<br />
« Les grandes compagnies se sont<br />
retrouvées en surcapacité et ont<br />
perdu beaucoup d’argent en 2009.<br />
Elles ont désarmé des navires, mais<br />
cela ne suffit pas. Depuis octobre<br />
2009, elles jouent leur va-tout en<br />
doublant ou en triplant leurs taux de<br />
fret, ce qui a un effet d’étouffement<br />
sur les exportations et les importations<br />
entre l’Europe et l’Asie », commente<br />
Nicolas Fromentin (Daher).<br />
Réinventer la chimie…<br />
et sa <strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong><br />
Ce problème non négligeable pour la<br />
compétitivité de la chimie européenne,<br />
très fortement exportatrice,<br />
vient s’ajouter à la montée en puissance<br />
d’énormes capacités de production<br />
au Moyen-Orient et en Asie.<br />
D’ici 2015, la région Asie-Pacifique<br />
devrait représenter plus de la moitié<br />
de la demande mondiale, et les grands<br />
groupes y sont déjà présents. A la clé,<br />
le risque de disparition de la chimie<br />
de base en Europe. « Il y aurait alors<br />
un risque important de délocalisation<br />
de la chimie de spécialités, les industriels<br />
suivant leurs clients et leurs<br />
fournisseurs. Et c’est toute la chaîne<br />
de valeur qui se déliterait. Notre difficulté<br />
est là, maintenir un tissu industriel<br />
le plus complet possible pour<br />
arriver à nous développer, et cela<br />
passe par une volonté de vrai changement<br />
en rupture pour aller vers<br />
une chimie durable à plus forte<br />
valeur ajoutée, énonce Daniel Marini.<br />
L’UIC défend ainsi la redéfinition à<br />
horizon 10 ans d’une chimie innovante<br />
basée sur la matière agricole, durable,<br />
renouvelable, et qui plus est, abondante<br />
dans notre pays. En termes de<br />
transport et de logistique, cela<br />
implique un changement en rupture<br />
extrêmement fort. De même, il<br />
conviendra pour tendre vers une chimie<br />
plus durable de développer le<br />
recyclage des produits en gardant leur<br />
valeur d’usage. Cela va nécessiter la<br />
création d’une filière, l’organisation<br />
des circuits de tri et de collecte, comme<br />
ce qui est déjà en place pour le recyclage<br />
des emballa ges de matières<br />
plastiques ». De quoi occuper les<br />
<strong>Supply</strong> <strong>Chain</strong> Managers pour les<br />
10 ans qui viennent.<br />
Jean-Luc Rognon<br />
©Bayer Cropscience ©Rhodia<br />
©Arkema<br />
©Norbert Dentressangle<br />
N°41 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2010