n° 91 - Université Paul Valéry
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BON À SAVOIR ■ 3<br />
La mort de l’enchanteur<br />
L’écrivain Max Rouquette est mort à Montpellier le 24 juin<br />
dernier, dans sa 97 e année. Avec lui s’est éteinte l’une des<br />
grands voix du vingtième siècle occitan.<br />
Né le 8 décembre 1908 à Argelliers,<br />
à une vingtaine de kilomètres de<br />
Montpellier, dans une famille de<br />
vignerons, il avait commencé assez tôt à<br />
écrire, en même temps qu’il entamait des<br />
études de médecine. Il était notamment<br />
l’auteur d’une série de proses narratives et<br />
poétiques rassemblées dans les cinq tomes<br />
de Verd Paradís (publiées en version<br />
française aux éditions Max Chaleil et<br />
prochainement rééditées par les éditions<br />
du Rocher), de recueils de poèmes (Los<br />
Saumes de la nuòch / Les Psaumes de la<br />
nuit, Lo Maucòr de l’unicòrn / Le Tourment<br />
de la licorne, D’aicí mila ans de lutz / À<br />
mille années lumière), de trois ou quatre<br />
romans et de plus d’une quinzaine de<br />
pièces de théâtre.<br />
Une vocation d’écrivain s’accomplit dans<br />
n’importe quelle langue, car elle trouve son<br />
origine au-delà des idiomes particuliers,<br />
dans un rapport singulier avec le langage<br />
et la vie. Cependant, le choix de l’occitan<br />
comme langue d’écriture, c’est-à-dire le<br />
choix d’une langue longtemps niée comme<br />
telle bien que fondatrice de la poésie européenne,<br />
a surdéterminé son écriture et ses<br />
thèmes. Max Rouquette a fondé son œuvre<br />
dans la splendeur solaire des garrigues<br />
montpelliéraines et sur la conscience obsédante<br />
du temps et du néant. Cette attitude<br />
paradoxale, faite d’éblouissement devant<br />
la beauté du monde et du sentiment<br />
douloureux d’en être exilé, reflète sans<br />
doute le rapport de l’écrivain à sa propre<br />
langue, dont il éprouvait à la fois la noblesse<br />
et la fragilité. Sa tâche d’écrivain était<br />
d’exprimer au plus près ce paradis et cette<br />
douleur secrète. L’univers de Max Rouquette<br />
est foncièrement tragique. Se mettant à<br />
l’écoute des voix multiples de la nature, sa<br />
prose et sa poésie essaient de dire à hauteur<br />
de plante ou de bête la vie humble et<br />
sauvage qui la peuple. L’agonie d’un renard<br />
ou d’un vagabond, d’un sanglier ou d’un<br />
chasseur, revêt la même dignité tragique,<br />
dans la splendeur indifférente du paysage.<br />
Dans Secret de l’herbe, l’une des<br />
premières proses de Verd Paradís, le tout<br />
jeune écrivain évoquait ses impressions<br />
d’enfance quand il observait le peuple des<br />
fourmis ou écoutait les contes du vieux<br />
Prien. La vingtaine de pages de ce texte<br />
fondateur, qui n’ont rien perdu de leur<br />
pouvoir d’éblouissement, ont éveillé des<br />
vocations d’auteurs occitans quarante ou<br />
cinquante ans après leur composition. De<br />
nombreuses nouvelles sont devenues des<br />
classiques. Le Hautbois de neige, par<br />
exemple, est la reprise d’une légende<br />
répandue où l’on voit un musicien<br />
ambulant affronter le diable et ses loups<br />
dans un Larzac hivernal et nocturne. La<br />
Bonté de la nuit est le tableau, nocturne lui<br />
aussi, de la vie d’un petit village (Argelliers,<br />
jamais nommé) où se nouent et se<br />
dénouent en quelques heures dans une nuit<br />
superbe et torride de juin des tragédies<br />
cruelles et secrètes, avec pour fil directeur<br />
un vagabond aveugle dont les enfants<br />
étranglent le chien par jeu en le pendant à<br />
un figuier. Lo Trescalan (le Millepertuis) est<br />
une expérience de l’éternité faite par frère<br />
Bénézet (Benoît), qui cueille des simples<br />
dans les bois, la nuit de la Saint-Jean (le<br />
jour précisément où l’écrivain est mort).<br />
Car si l’œuvre de Max Rouquette s’inscrit<br />
dans une nature solaire, on y trouve aussi<br />
de somptueux nocturnes.<br />
La poésie de Max Rouquette procède,<br />
dans une forme différente, de la même<br />
inspiration que Verd Paradís. Le poète tente<br />
de pénétrer dans un univers dont l’homme<br />
est exclu : l’intimité, par exemple, de l’araignée,<br />
du grillon, du crapaud, du merle, de<br />
la bruyère et de l’herbe d’eau. Il tente<br />
d’entendre et de rendre à son tour, par une<br />
parole saisie à sa source, « le chant du<br />
monde ». Le troisième recueil, D’aicí mila<br />
ans de lutz (1994, Jorn), continue de méditer<br />
sur l’infini de la durée et de l’espace,<br />
sur le temps destructeur, sur la matière qui<br />
se dissout dans les miroirs et les reflets, dans<br />
l’eau, la neige et les nuages, les ruines et<br />
les pierres, celles du château d’Aumelas<br />
par exemple.<br />
Ses deux derniers romans (La Cèrca de<br />
Pendariés/ La Quête de Pendariés, Tota la<br />
sabla de la mar / Tout le sable de la mer)<br />
sont une longue méditation sur le mystère<br />
cosmique du corps humain exploré par un<br />
médecin montpelliérain du XVI e siècle, au<br />
temps de la peste, adepte de la dissection,<br />
ou sur celui des trois règnes, animal, végétal<br />
et minéral, dans lesquels s’enfonce la<br />
sibylle de Cumes condamnée à une<br />
éternelle vieillesse.<br />
Le théâtre de Max Rouquette se compose<br />
de farces (Lo Jòc de la cabra / Le Jeu de<br />
la chèvre, Lo Miralhet / La Comédie du<br />
miroir) ou de féeries (La Podra d’embòrnha<br />
/ La Poudre aux yeux, La Ròsa bengalina /<br />
La Rose bengaline) où triomphent l’illusion<br />
et la tromperie, dans une langue populaire<br />
et raffinée, pleine de richesse et d’invention.<br />
On se souvient de son drame Medelha<br />
/ Médée, qu’on a pu voir en 2004 à<br />
Montpellier, interprété dans une mise en<br />
scène en français de Jean-Louis Martinelli<br />
par des acteurs burkinabés, chantant en<br />
bambara les<br />
« psaumes »<br />
qui entrecoupent<br />
la pièce. Max Rouquette avait écrit ce<br />
drame en rêvant d’un théâtre de pleine<br />
nature, sis quelque part dans la garrigue<br />
entre la Boissière et Aniane, joué par des<br />
gens du peuple avec une Médée « caraque »<br />
(gitane). Par ailleurs, la version française de<br />
sa comédie Le Glossaire a été montée au<br />
théâtre du Vieux Colombier. Mais le théâtre<br />
de Max Rouquette, trop peu joué, reste<br />
encore à découvrir.<br />
Max Rouquette a été traduit dans<br />
plusieurs langues, anglais, allemand, néerlandais,<br />
italien, catalan... Cependant la<br />
langue occitane qu’il avait choisie explique<br />
sans doute sa reconnaissance tardive et trop<br />
limitée encore. Cette reconnaissance, l’université<br />
<strong>Paul</strong>-<strong>Valéry</strong> avait voulu y contribuer<br />
en lui dédiant de son vivant et en sa<br />
présence l’un de ses amphithéâtres (l’amphi<br />
B), au côté d’autres noms illustres de<br />
la poésie occitane comme Raimbaut<br />
d’Orange ou Azalaïs de Portiragne. Max<br />
Rouquette venait régulièrement chez nous<br />
pour rencontrer les étudiants de l’université,<br />
répondre à leur questions sur son écriture<br />
et son engagement, avec chaleur et<br />
simplicité. Plusieurs thèses y ont été soutenues<br />
sur son œuvre. Dernièrement il avait<br />
pu assister au Teatre de la Vinheta (Théâtre<br />
de l’université <strong>Paul</strong>-<strong>Valéry</strong> – La Vignette) à<br />
une représentation en occitan de l’Epopèia<br />
de Pappà Popòv, l’une de ses dernières<br />
œuvres théâtrales, encore inédite, jouée<br />
par des étudiants. C’était l’un de ses grands<br />
bonheurs que de voir des jeunes gens<br />
donner par leur voix et leur corps vie et<br />
présence à sa parole poétique : c’était la<br />
promesse que la langue occitane perpétuerait<br />
par-delà les générations. Max<br />
Rouquette reconnaissait par là le rôle essentiel<br />
que joue notre université dans la transmission<br />
de la langue historique de notre<br />
région. Comme maître Albarède, le musicien<br />
du Hautbois de neige, il aura été<br />
jusqu’au bout cet enchanteur qui nous offre<br />
l’été en plein cœur de l’hiver, celui qui fait<br />
rêver avec les accents d’un langue qu’il a<br />
contribué à maintenir vivante. ■<br />
Jean-Claude Forêt<br />
Romancier occitan,<br />
chargé de cours de littérature occitane<br />
à l’université <strong>Paul</strong>-<strong>Valéry</strong><br />
Pour en savoir plus, voir le site web du<br />
Servici de la lenga occitana :<br />
http://melior.univ-montp3.fr/slo/roqueta/fr