Toujours plus, toujours mieux - Philosophie Management
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<strong>Philosophie</strong> & <strong>Management</strong> asbl<br />
Compte-rendu du Séminaire du 16 janvier 2010<br />
«<strong>Toujours</strong> <strong>plus</strong>, <strong>toujours</strong> <strong>mieux</strong> ? Quel avenir pour la<br />
consommation, la croissance et leur gestion ? »<br />
Patrick Viveret<br />
C’est dans ce contexte, bien avant l’élaboration économique, qu’on voit apparaître<br />
des ouvrages tels que ceux de Mandeville ou Bentham. Ils prôneront que si nous<br />
travaillons sur les passions, on va se rendre compte que celles-ci ont une capacité<br />
d’autorégulation. De quelles façons ? Soit elles se neutralisent et leurs excès sont<br />
neutralisés par d’autres passions. C’est ce que Montesquieu applique sur le plan<br />
politique en énonçant que la passion de pouvoir est la meilleure façon d’arrêter le<br />
pouvoir de l’autre. Soit on met alors en place une théorie que l’on appelle<br />
« arithmétique des passions ». Chez Adam Smith, on ne peut comprendre sa théorie<br />
de la main invisible sans comprendre sa théorie des sentiments moraux. Il n’est pas<br />
problématique de laisser des individus calculateurs, égoïstes guidés par leur seul<br />
intérêt car l’agencement même de ces intérêts individuels va être une source de bien<br />
commun collectif. Il prend l’exemple d’un boulanger qui lui donne un pain : il ne le fait<br />
pas par bienveillance mais dans son intérêt, intérêt qui va créer du bien commun<br />
partagé pour eux deux.<br />
On voit qu’il y a une part de vérité dans cette affaire mais de l’absolutisation de celleci<br />
découle une généralisation du type « peu importe que chacun poursuive son<br />
intérêt sans aucune préoccupation du bien commun, une alchimie globale va en<br />
résulter. » On l’appellera « main invisible du marché ».<br />
Elle constitue un saut théorique qui n’est compréhensible que par le fait que l’on<br />
reste encore extraordinairement marqué par l’idée d’une providence extérieure<br />
guidant, malgré tout, l’ensemble du système. La main invisible du marché n’est<br />
possible dans ce contexte que parce que, culturellement, Dieu est bon. C’est bien la<br />
Providence divine qui est, en réalité, derrière la main invisible. Vous ne pouvez pas<br />
saisir le libéralisme sans le christianisme. L’une des raisons de la crise actuelle du<br />
libéralisme est la déchristianisation. Tout l’ensemble structuré du « salut par<br />
l’économie » n’est appréhendable que parce que l’imprégnation chrétienne des<br />
sociétés occidentales reste déterminante. Dans ce cas-là, il n’y a pas de risque de<br />
laisser une part de <strong>plus</strong> en <strong>plus</strong> prépondérante à cette économie car elle reste<br />
structurée, en dernière analyse, par une vision marquée par le rapport au<br />
christianisme. Mais s’il n’y a <strong>plus</strong> de christianisme – choc culturel avec d’autres<br />
civilisations – qu’il perd sa position hégémonique, c’est-à-dire, comme l’écrivait<br />
Gramsci, un sens commun, un bain culturel tel qu’il y a évidence, la posture libérale<br />
économique se trouve comme un poisson en-dehors de son bocal. Le terreau<br />
culturel même qui permettait de penser la main invisible est amputé de son substrat<br />
anthropologique.<br />
L’hypothèse de Daniel Cohen est que ce modèle sur lequel l’Occident a vécu et qu’il<br />
a cherché à exporter dans le monde est à bout de course.<br />
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