Particularités de la prise en charge de l'asthme aigu grave ... - SFMU

URGENCES
2010
co-fondateurs
Chapitre 76
Particularités
de la prise en charge
de l’asthme aigu grave au Maghreb
H. NEJMI, A. EJLAIDI, K. FATH, K. HASNI,
K. NOUR-IDRISSI, B. LAGHLA
1. Introduction
Les enquêtes épidémiologiques et les études cliniques ont mis en exergue une
augmentation significative ces 20 dernières années de la prévalence de l’asthme
à travers le monde et notamment dans les pays du Maghreb. De plus, cette
affection chronique est associée à une morbidité importante et à une mortalité
non négligeable et coûte aux systèmes de soins (1). Cette situation, véritable
problème de santé publique, nécessite une prise en charge codifiée des patients
(soins, mesures d’éducation et de prévention) par tout médecin et surtout par le
médecin urgentiste faisant face aux décompensations graves de la maladie.
2. Épidémiologie
Selon les statistiques nationales et mondiales sur la santé, l’asthme a atteint des
proportions d’épidémie. Les données épidémiologiques les plus récentes révèlent
en effet que 300 millions de personnes dans le monde souffrent d’asthme, soit
une prévalence variant de 2 % à 9 % ; le fardeau mondial augmentera vraisemblablement
de 100 millions de cas d’ici à 2025 (2).
La comparaison des données de la littérature sur l’asthme est très difficile.
Des différences vraies existent entre les différentes populations étudiées. Néanmoins
ces différences semblent exagérées par plusieurs facteurs : la diversité
des définitions épidémiologiques de l’asthme, les contraintes linguistiques des
Faculté de médecine et de pharmacie de Marrakech.
Correspondance : Service d’accueil des urgences-SAMU, CHU Mohammed VI, Marrakech, Maroc.
PARTICULARITÉS DE LA PRISE EN CHARGE DE L’ASTHME AIGU GRAVE AU MAGHREB
861

URGENCES
2010
co-fondateurs
populations étudiées et la variabilité des techniques des enquêtes mises en
œuvre (3). Parmi les nombreuses études épidémiologiques consacrées à
l’asthme, peu ont été fondées sur une méthodologie rigoureuse, standardisée,
permettant des comparaisons dans les différents pays du monde. Cependant, les
résultats de deux études : une chez l’enfant (étude ISAAC, International Study of
Asthma and Allergies in Childhood) (4) et l’autre chez l’adulte (étude ECRHS,
European Community Respiratory Health Survey) (5) répondent depuis dix ans à
ces critères. Ainsi, la prévalence actuelle des symptômes d’asthme, rapportée
pour les enfants de 13-14 ans de l’étude ISAAC (4) varie de 10 à 18 % en
France et de 1 à 36 % pour l’ensemble des pays étudiés. Dans l’étude ECRHS
(5), réalisée chez des adultes de 20-44 ans, on observe, comme dans l’étude
ISAAC, des pays qui possèdent une prévalence très élevée, comme l’Angleterre
(7,5 à 8,4 %), la Nouvelle-Zélande (9 à 11,3 %), l’Australie (11,9 %), et des pays
qui ont une prévalence très basse comme l’Islande (3,4 %) et la Grèce (2,9 %).
En plus de cette variabilité sur le plan mondial, il existe aussi une très grande
variabilité à l’intérieur même de certains pays. Un gradient Est-Ouest (avec des
prévalences plus basses à l’Est) et un gradient Nord-Sud (avec des prévalences
plus basses au Sud) sont retrouvés dans les deux études (4, 5).
Au Maroc, la prévalence se situe entre 5 et 20 % de la population générale.
Dans les grandes villes comme Casablanca, la prévalence serait de 20 %. Dans
les zones du sud ou de l’intérieur, elle varie entre 12 et 14 %. La prévalence de
l’asthme en Algérie oscille entre 4 et 6 % pour les sujets adultes et touche entre
8 à 10 % des enfants. La prévalence de l’asthme en Tunisie est entre 3 et 10 %
de la population générale (3).
La prévalence des crises aiguës graves est surtout évaluée indirectement par le
taux d’hospitalisation ou de décès par asthme. La mortalité varie entre 1 et
5/100 000 habitants et atteint 2 000 cas par an en France. Elle est estimée à
5 000 cas par an en Algérie (6).
L’AAG représente 25-35 % des crises d’asthme se présentant aux urgences (7).
Chez 10 % des patients asthmatiques la maladie reste symptomatique malgré
un traitement avec fortes doses de corticostéroïdes inhalés (8).
3. Particularités de la prise en charge
Nous avons réalisé une enquête prospective à l’aide d’un questionnaire préétabli,
destiné à 100 médecins maghrébins, urgentistes et réanimateurs. Le taux de
réponse n’était que de 36 %.
3.1. Prise en charge préhospitalière
Elle est fondamentale dans le traitement de la crise aiguë. Elle doit être la plus
précoce possible, car tout patient appelant le SAMU pour crise inhabituelle est
potentiellement en situation grave. À l’exception da la Tunisie où il y a une forte
862
■ SESSION CONJOINTE SFMU/SOCIÉTÉ MAGHRÉBINE DE MÉDECINE D’URGENCE :
ASTHME AU MAGHREB

URGENCES
2010
sollicitation des SAMU (40 %) ; dans les autres pays, les malades se présentent
dans la majorité des cas directement aux urgences par leurs propres moyens.
Pour les malades qui ont bénéficié d’un transport médicalisé par le SMUR, la
prise en charge était identique aux recommandations internationales, essentiellement
la Conférence d’actualisation de la Société Française d’Anesthésie et de
Réanimation de 1998 (9) et la 3 e conférence de consensus de la société française
de médecine des urgences de 1988 révisée en 2002 (10).
co-fondateurs
Après évaluation de la gravité clinique de la crise, le traitement initial est institué.
Celui-ci comprend deux volets :
– Le traitement par inhalation : il comporte l’oxygénothérapie à 6 ou 8 L·min -1 ,
afin d’obtenir une saturation percutanée en oxygène à 90 % chez l’adulte.
L’oxygène sera le gaz vecteur de la nébulisation de bêta 2-mimétiques tels que
le Salbutamol (solution pour aérosol) à la dose de 5 mg dilué dans 4 ml de sérum
physiologique ou les dosettes de Terbutaline 5 à 10 mg prêtes à l’emploi, éventuellement
associées à 0,5 mg de bromure d’Ipratropium dans la même nébulisation.
Il a été montré que 8 à 10 bouffées de bêta 2-mimétiques, administrées
en spray par l’intermédiaire d’une chambre d’inhalation, ou en poudre, avaient
la même efficacité qu’une nébulisation. Dans notre étude, l’adrénaline nébulisée
était l’alternative en cas d’indisponibilité des produits de référence.
– Le traitement systémique comprend l’administration systématique de corticoïdes
par voie IV comme 100 à 200 mg d’Hémisuccinate d’hydrocortisone ou
1 mg·kg -1 de Méthylprednisolone. La voie sous-cutanée peut être utilisée pour sa
simplicité, en attendant la mise en place de la nébulisation. Les bêta 2-mimétiques
sont concernés (Salbutamol ou Terbutaline aux doses de 0,5 mg ou, pour
certains, 0,25 mg d’Adrénaline). Le problème de la voie sous-cutanée est que la
résorption y est variable, donc le délai et la durée d’action sont variables. Au
bout de deux cycles de nébulisation (soit environ 30 min), un bilan clinique est
rapidement effectué et le malade, quelle que soit l’évolution, transporté vers le
service des urgences le plus proche. Ce transfert sera médicalisé dans presque
50 % des cas en Tunisie et toujours paramédicalisé en Algérie et au Maroc.
Aucune intubation pour AAG n’a été réalisée en préhospitalier.
3.2. Prise en charge hospitalière
Elle peut être soit dans la continuité de celle déjà instituée en période préhospitalière,
soit initiale, si le patient arrive aux urgences par un moyen non médicalisé.
Les résultats de l’enquête ont objectivé plusieurs insuffisances :
essentiellement une sous utilisation du DEP dans la surveillance, l’absence de
gazométrie dans les services des urgences et une instauration souvent tardive
d’une assistance ventilatoire.
Selon les recommandations françaises, le traitement comporte tout d’abord, une
estimation clinique rapide de la gravité de la crise, à laquelle succède la mise en
place d’un traitement initial identique à celui débuté en préhospitalier. Au bout
d’une heure, un bilan clinique et, éventuellement paraclinique, sera effectué.
PARTICULARITÉS DE LA PRISE EN CHARGE DE L’ASTHME AIGU GRAVE AU MAGHREB
863

URGENCES
2010
co-fondateurs
Dans le contexte Maghrébin, l’absence d’Unité d’Hospitalisation de Courte
Durée, dans la majorité des centres, fait que les malades les plus graves – nécessitant
le recours à une intubation ventilation artificielle – seront admis directement
en réanimation. Dans une étude prospective sur une année, réalisée au
service de réanimation médicale du CHU de Casablanca, et incluant 20 patients
sur un total de 48 admis pour AAG, Fakhar et al. ont montré que la VNI pourrait
faire partie de l’arsenal thérapeutique chez les patient asthmatiques en améliorant
la crise et en réduisant le recours à la ventilation conventionnelle ainsi que
la durée de séjour en réanimation. Son utilisation en préhospitalier reste à évaluer
(11). La ventilation sera à volume contrôlé avec allongement du temps expiratoire
et monitorage de l’auto-peep selon tous les médecins interrogés.
Le traitement à la sortie prescrit par le médecin urgentiste comprendra des bêta
2-mimétiques de courte durée d’action par voie inhalée, des corticoïdes oraux
sur 5 à 15 jours en doses dégressives et une antibiothérapie (30 %). Dans la
majorité des cas, les patients hospitalisés seront transférés en pneumologie.
4. Pronostic
Le pronostic d’une crise dépend de la réponse au traitement instauré. Les progrès
réalisés dans la prise en charge de l’AAG ont diminués la mortalité hospitalière,
qui est nulle chez les malades non ventilés mais reste élevée chez les
patients intubés et ventilés de manière invasive. Chez ces derniers, la mortalité
est de l’ordre de 15-25 %, observée surtout chez les patients intubés en préhospitalier
et présentant une anoxie cérébrale (7). Abouqal et al ont mis en évidence
deux facteurs de surmortalité hospitalière en cas d’AAG : un IGS élevé à l’admission
en réanimation et l’ancienneté de la maladie asthmatique (12). La majorité
des décès liés à l’asthme surviennent en dehors de l’hôpital.
5. Prévention
Les moyens de prévention chez ces malades à risques sont incontournables. Ils
comprennent l’instauration d’un traitement et d’une surveillance adaptés à la
sévérité de l’asthme, l’établissement d’un plan de crise assimilé par le patient et
des mesures éducatives.
Les programmes d’éducation pour ces patients ont démontré l’amélioration de
leur qualité de vie, leur meilleure adhésion au traitement et un recours moindre
à l’hospitalisation. Mahouachi et al., insistant sur l’incapacité des pneumologues
maghrébins à gérer tous les malades asthmatiques, ont proposé d’intégrer la
prise en charge de la maladie asthmatique dans des programmes de santé
publique, à grande échelle et similaires à ceux proposés pour l’endémie tuberculeuse.
Ça serait une manière de palier aux déficits en moyens humains et
matériels observés sous nos cieux (6).
864
■ SESSION CONJOINTE SFMU/SOCIÉTÉ MAGHRÉBINE DE MÉDECINE D’URGENCE :
ASTHME AU MAGHREB

URGENCES
2010
6. Conclusion
co-fondateurs
La maladie asthmatique, véritable problème de santé publique au Maghreb,
nécessite la mise en place d’une politique de santé garantissant une optimisation
du traitement notamment chez les malades de bas niveau économique, social et
éducationnel.
La réduction de la mortalité passe obligatoirement par une prise en charge préhospitalière
médicalisée. La formation et la sensibilisation des secouristes de la
protection civile est obligatoire.
Les actions de prévention et d’éducation sanitaire contribueront à la diminution
de la prévalence de l’asthme maladie et de l’incidence des cas graves.
Références
1. Alaoui Yazidi A. Formation initiale en allergologie dans les pays francophones :
expérience marocaine. Rev Fr Allergol 2008 ; 48 : 162-5.
2. Masoli M, Fabian D, Holt S et al. Global burden of asthma. Global Initiative for
Asthma (GINA) ; 2004.
3. Bouayad Z, Afif H. L’épidémiologie de l’asthme et de la rhinite dans les pays au sud
de la méditerranée. Rev Fr Allergo 1998 ; 38 : 154-9.
4. The international study of asthma and allergies in childhood steering committee.
Worldwide variation in prevalence of symptoms of asthma, allergic rhinoconjunctivitis,
and atopic eczema: ISAAC. Lancet 1998 ; 351 : 1225-32.
5. European community respiratory health survey. Variations in the prevalence of respiratory
symptoms, self-reported asthma attacks, and use of asthma medication in
the European community respiratory health survey (ECRHS). Eur Respir J 1996 ; 9 :
687-95.
6. Mahouachi R, Fennira H, Benkheder A. La prise en charge de l’asthmatique au
Maghreb. Rev Fr Allergol ; 38 : 128-31.
7. Zahhaf A. Asthme aigu grave. Poumonpathologique. ifrance.com
8. Wibart P. Asthme aigu grave : identification et bases de traitement. JARCA 2007 :
1-13.
9. Asthme aigu grave. Conférence d’actualisation. SFAR 1998.
10. Prise en charge des crises d’asthme aiguës graves de l’adulte. 3 e conférence de
consensus en réanimation et médecine d’urgence. SFMU 2002.
11. Fekhar K, Charra B, Benslama A, Motaouakkil S. La ventilation non-invasive et
l’asthme aigu grave. Ann fr Anesth Reanim 2006 ; 25 : 784-7.
12. Abouqal R. Asthme aigu grave. Expérience d’un service de réanimation à propos de
162 épisodes. Med Magh 1999 ; 75 : 7-14.
PARTICULARITÉS DE LA PRISE EN CHARGE DE L’ASTHME AIGU GRAVE AU MAGHREB
865