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television - Le Monde

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ENTRETIEN<br />

Jacques Malaterre : entre science et imaginaire<br />

<strong>Le</strong> réalisateur de « L’Odyssée de l’espèce », gros succès sur France 3 en 2003, vient d’achever<br />

le tournage d’« Homo sapiens », un nouveau « docu-fiction », genre hybride qu’il défend ardemment<br />

DEPUIS Zingaro (La Sept), son<br />

premier film, en 1990, sur le<br />

cabaret équestre de Bartabas,<br />

jusqu’au portrait de l’écrivain<br />

Pascal Quignard, pour la collection « A mimots<br />

» d’Arte, en 2003, Jacques Malaterre a<br />

toujours pratiqué le<br />

documentaire. A partir<br />

de 1996, il tourne aussi<br />

des fictions et lance<br />

des séries, pour M6, TF1,<br />

France 2… En janvier<br />

2003, sur France 3,<br />

plus de 8 millions de<br />

téléspectateurs découvraient<br />

L’Odyssée de l’espèce, le premier<br />

grand « docu-fiction » français, dont il est<br />

le réalisateur. En 2005, la chaîne devrait diffuser<br />

la suite de cette reconstitution de l’histoire<br />

de l’homme sur près de 10 millions<br />

d’années, Homo sapiens. Cette année, Jacques<br />

Malaterre a aussi mis en scène deux<br />

pièces de théâtre : La Vie sexuelle de Catherine<br />

M., de Catherine Millet, et Agatha, de<br />

Marguerite Duras.<br />

Selon vous, d’où vient la dénomination<br />

« docu-fiction » ?<br />

Je crois qu’on a commencé à parler de<br />

« documentaire-fiction » quand le budget<br />

dévolu au documentaire est devenu équivalent,<br />

voire supérieur, à celui d’une fiction.<br />

En 1999, la série « Sur la Terre des dinosaures<br />

» (coproduction BBC-France 3), réalisée<br />

en images de synthèse, a nécessité un<br />

budget de plusieurs millions d’euros, infiniment<br />

supérieur au coût habituel d’un documentaire.<br />

On ne pouvait donc plus vraiment<br />

l’appeler documentaire, d’autant<br />

qu’on procédait, sur des bases scientifiques,<br />

à la recréation d’événements pour lesquels<br />

il n’existait aucune archive visuelle.<br />

Patricia Boutinard-Rouelle, qui dirige<br />

l’unité documentaire de France 3, a décidé<br />

de produire en France ce genre de grand<br />

documentaire-fiction. Nous nous sommes<br />

donc lancés dans L’Odyssée de l’espèce. Ce<br />

qui veut dire que les chaînes aussi peuvent<br />

être de vrais créateurs. Patricia Boutinard-<br />

Rouelle a pris de vrais risques, elle a même<br />

joué sa place de directrice. Sans elle, il n’y<br />

aurait pas eu d’Odyssée de l’espèce, ni<br />

d’Homo sapiens.<br />

En quoi le docu-fiction se distingue-t-il<br />

du documentaire et de la fiction ?<br />

Schématiquement, le documentaire<br />

consiste à capter la vie, alors que la fiction<br />

consiste à la reconstituer. Mais même pour<br />

réaliser un documentaire, je ne filme pas<br />

en continu, je fais des choix. Je ne restitue<br />

donc pas toute la vérité d’un personnage<br />

ou d’un événement. Je transmets un point<br />

de vue. Ensuite, en montant les plans les<br />

uns à la suite des autres, je fais aussi de la<br />

mise en scène. D’une manière ou d’une<br />

autre, on scénarise toujours. On ne peut<br />

donc pas dire que dans le documentaire<br />

l’histoire qu’on raconte est vraie. C’est tout<br />

simplement le témoignage de celui qui<br />

filme !<br />

<strong>Le</strong> documentaire pur et dur suppose que<br />

l’on soit là où ça se passe. Il nécessite une<br />

équipe souple et légère pouvant se fondre<br />

dans le milieu et attraper au vol l’instant où<br />

6/LE MONDE TÉLÉVISION/SAMEDI 21 AOÛT 2004<br />

PHOTOS PHILIPPE GLAIZE/BORÉALES ET SYLVAIN LEGRAND/FRANCE 3<br />

« D’une manière<br />

ou d’une autre,<br />

on scénarise<br />

toujours. On ne<br />

peut donc pas<br />

dire que dans<br />

le documentaire<br />

l’histoire<br />

qu’on raconte<br />

est vraie. »<br />

De gauche à<br />

droite et de<br />

haut en bas :<br />

tournage<br />

d’« Homo<br />

sapiens » ;<br />

Bartabas,<br />

maître<br />

du Théâtre<br />

équestre<br />

Zingaro ;<br />

l’écrivain<br />

Pascal<br />

Quignard,<br />

dans un<br />

portrait pour<br />

la collection<br />

d’Arte, « A<br />

mi-mots ».<br />

quelque chose se passe. Si, dans la fiction,<br />

on apporte tout avec soi sur le plateau et<br />

on maîtrise l’évolution dramatique, dans le<br />

documentaire, c’est le film qui s’enroule<br />

autour d’un personnage, c’est lui qui fait<br />

l’histoire. A nous de le suivre et de nous<br />

adapter, même si parfois on l’aide ou on le<br />

contraint un peu.<br />

<strong>Le</strong> docu-fiction peut donc prendre<br />

toutes les formes possibles entre ces<br />

deux genres ?<br />

Oui. Mais ce qui compte, pour moi, ce<br />

n’est pas le genre du film, c’est le traitement<br />

– sur la forme et sur le fond. L’important,<br />

c’est qu’il y ait création. Et la création,<br />

elle tient à l’émotion qu’on insuffle dans le<br />

film, pour un plaisir partagé avec le spectateur.<br />

C’est formidable qu’il y ait eu plus de<br />

huit millions de téléspectateurs pour la première<br />

diffusion de L’Odyssée de l’espèce,<br />

mais aussi pour le documentaire de Patrick<br />

Rotman, Eté 44 [le 31 mai sur France 3],<br />

qui n’est constitué que d’archives…<br />

La notion de « création documentaire<br />

» n’est pas née, dans votre cas,<br />

avec L’Odyssée de l’espèce ?<br />

Non. Il y a dix ans, j’ai réalisé des documentaires<br />

pour la série « <strong>Le</strong>s Seigneurs des<br />

animaux », produite par Frédéric Fougea<br />

(Boréales), une série qui a fait le tour du<br />

monde. Il s’agissait de films ethniques. On<br />

partait vivre plusieurs semaines dans une<br />

tribu, pour observer et pour trouver un personnage<br />

fort, comme dans un casting. <strong>Le</strong><br />

« personnage » nous racontait sa vie, celle<br />

de son clan, de ses ancêtres, et des légendes<br />

; on revenait en France écrire un scénario<br />

condensé en vingt-six minutes, avec une<br />

dramatique et une chute ; puis on repartait<br />

tourner sur place, en demandant au personnage<br />

principal de rejouer des scènes repérées<br />

la première fois. Tout était donc vrai et<br />

faux à la fois. Mais à l’époque, on n’appelait<br />

pas encore ça « documentaire-fiction »,<br />

alors qu’on était typiquement à la croisée<br />

entre le véridique et la scénarisation.<br />

Dans L’Odyssée de l’espèce ou dans<br />

Homo sapiens, que reste-t-il de spécifique<br />

au documentaire ?<br />

MARC ENGUERAND<br />

ARTE<br />

Même si je dispose de l’ingénierie de la fiction<br />

pour tourner ces films, je m’interdis<br />

tout ce qui est machinerie (travellings,<br />

grues, steady-cam), j’essaie de ne faire<br />

qu’une seule prise par plan, et je tourne toujours<br />

avec une seule caméra pour conserver<br />

une prise de risque et une fraîcheur, comme<br />

je le fais en documentaire. Même si, au<br />

montage, on doit s’apercevoir que les plans<br />

ne sont pas « raccords », qu’entre le plan 1<br />

et le plan 2, par exemple, l’homme n’a plus<br />

la lance dans la même main. Et alors ? Comment<br />

aurais-je fait en documentaire ? Je<br />

n’aurais pas demandé à la personne de replacer<br />

sa lance dans l’autre main !<br />

Avez-vous des projets en chantier ?<br />

Oui, L’Homme du futur, sur l’évolution<br />

de l’homme (son mental, sa sensibilité,<br />

etc.) et de la planète Terre, hors contexte<br />

géopolitique. De même que, pour les<br />

précédents films, je me suis appuyé sur<br />

les travaux du paléontologue Yves<br />

Coppens, et sur ceux d’autres scientifiques<br />

pour le lointain passé, je travaille<br />

maintenant avec Joël de Rosnay, à partir<br />

des projections des scientifiques pour la<br />

période allant de 2030 à 2500.<br />

Ce nouveau genre de documentaire<br />

élargit-il le champ du possible ?<br />

Dans le documentaire-fiction, ce qui me<br />

pose problème, c’est lorsque le dialogue<br />

entre en jeu. Dans les périodes que je<br />

traite (passé ou futur lointains), le langage<br />

ou les dialogues relèvent de la fiction (à<br />

partir des données scientifiques disponibles).<br />

Mais un documentaire-fiction sur le<br />

Débarquement, par exemple, en quoi<br />

est-il documentaire, en quoi est-il film historique<br />

? Je ne sais plus trop où se situe la<br />

marge. Moi, jusqu’ici, j’ai gardé ma liberté<br />

de narration ; et peut-être d’imaginaire<br />

aussi. Est-ce que je ne tuerais pas l’imaginaire<br />

si je faisais un documentaire-fiction<br />

sur Churchill ? Quand il y a encore des témoins<br />

vivants, ne vaut-il pas mieux réaliser<br />

un documentaire de facture classique ?<br />

Ou passer carrément à la fiction ?<br />

Propos recueillis par<br />

Martine Delahaye

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