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Mathilde Raggenbass
email: raggenbass38@ hotmail.com
La relation entre le sens et la dénotation d'un nom propre est-elle univoque?
Dans son article intitulé "Sens et dénotation", Frege donne un exemple, très clair à
mon sens, qui permet d'illustrer et d'expliquer certains termes spécifiques sur lesquels repose
en grande partie son travail. Ces termes sont au nombre de trois: le sens, la dénotation et la
représentation. Ils permettent de définir trois types majeurs d'expressions: les prédicats, les
phrases et les noms propres.
L'exemple dont il est question est en fait la situation d'une personne observant la lune à
travers un télescope. La lune étant l'objet lui-même, elle est la dénotation. La représentation
de la lune, qui est elle subjective, se réfère à l'image rétinienne de l'observateur, différente
pour chacun. Enfin, le sens, que Frege appèle aussi le mode de donation de l'objet, se réfère à
l'image réelle produite dans la lunette par l'objectif. Cette image est objective dans le sens où
elle est offerte à plusieurs observateurs, mais peut-être différente selon le point de vue de
l'observation adopté.
Pour Frege, ces trois notions sont intimement liées. La question est de savoir plus
précisément la nature des relations que le sens et la dénotation d'un nom propre entretiennent
entre eux.
Une première remarque consisterait à dire que plusieurs expressions peuvent se voir
attribuer un sens différent, mais avoir la même dénotation. L'expression d'étoile du soir et
celle d'étoile du matin n'ont pas le même sens et pourtant correspondent bien au même objet
dans le monde. Elles ont donc bien la même dénotation.
A l'inverse, il est possible de montrer qu'à un seul sens correspond plusieurs
dénotations. La dénotation d'un prédicat comme "…est bleu" ne se réduit pas à un seul objet
mais bien à l'ensemble de choses auxquelles il s'applique.
Un autre constat intéressant est celui de concevoir un sens pour une expression sans
pour autant avoir de certitudes concernant la dénotation de celle-ci. Quand nous parlons de la
suite qui converge le moins rapidement, nous savons que cette expression a un sens mais nous
pouvons aisément démontrer qu'elle n'a pas de dénotation, car il est possible de montrer que
pour toutes suites convergentes données, il y en aura une qui convergera plus lentement.
Ces deux remarques préliminaires nous permettent déjà de faire une constatation
importante. Le sens et la dénotation d'un nom propre n'entretiennent pas une relation
univoque.
A présent, il nous faut se pencher sur le sens et la dénotation de phrases dans
lesquelles figurent des noms propres. Le contenu d'une phrase est une pensée. Mais cette
pensée correspond-elle au sens ou à la dénotation? Il suffit pour répondre à cette question de
remplacer un mot dans la phrase par un autre mot ayant la même dénotation, mais un sens

différent. La dénotation de la phrase resterait inchangée, mais le sens, lui, serait changé. La
pensée ne peut donc pas être la dénotation de la phrase, mais plutôt le sens de la phrase.
A ce point de la réflexion, il apparaît évident de se poser la question de l'existencede
la dénotation chez la phrase. Frege répond par l'affirmativeet par la négative. En effet,
certaines phrases se voient correspondre une dénotation et d'autresphrases n'ontpas de
dénotation. Ces dernières sont les phrases qui contiennent des noms propres sans dénotation.
L'exempledonné par Frege est le suivant: dans la phrase qui a un sens Ulysse fut déposé sur
le sol d'Ithaque dans un profond sommeil, il apparaît douteux que le nom propre Ulysse ait
une dénotation. Dès lors, il serait logique de penser que la phrase entière n'apas de
dénotation. Mais comme nous savons que la pensée de la phrase est son sens, il nous faut
nous contenter du sens de la phrase. La question de savoir si la phrase a une dénotation ou pas
devient superflu. Selon Frege, "…si l'on veut déterminer le sens de la proposition, seul entre
en compte le sens de cette partie, nullement sa dénotation. La pensée demeure identique que
le nom d'Ulysse ait ou non une dénotation." C'estbien la recherche et le désir de la vérité qui
poussent chacun de nous à passer du sens à la dénotation.
En conclusion, il apparaît que la relation entre le sens et la dénotation d'u nom propre
ne peut pas être univoque. Cela reviendrait à dire que pour tout sens donné correspond une et
une seule dénotation et inversement. Le plaisir artistique dut à la lecture d'unefiction, par
exemple, et la conception de pensées abstraites ne seraient dès lors plus possible.