ce monde qui nous est donné - Le site des auxiliaires du Sacerdoce

Depuis Lyon où elle vit en communauté, Thérèse pose
un reg ard d e foi sur l’état d u mond e d ’aujourd ’hui.
M ond e passionnant, mond e d éconcertant, mond e
inq uiétant parfois. E lle essaie d ’y retrouver le projet d e
Dieu sur l’humanité.
CE MONDE QUI NOUS EST DONNÉ
« F ra n ç a is , c o m m e v o u s a v e z c h a n g é » , te l e s t le titre q u e d e u x
s o c io lo g u e s d o n n a ie n t à le u r liv re p a ru e n 2 0 0 4 1 . L e c o n s ta t e s t fa c ile à
v é rifie r, ta n t d a n s n o tre v ie p e rs o n n e lle q u e d a n s n o tre v ie e n s o c ié té e t
o n p e u t l’é te n d re b ie n a u -d e là d e s fro n tiè re s d e l’h e x a g o n e , s e lo n le s
é c h o s q u i n o u s p a rv ie n n e n t d e s q u a tre c o in s d u m o n d e .
L e p h ilo s o p h e M ic h e l S e rre s p e n s e q u e c e rta in s p h é n o m è n e s ,
a p p a ru s d e p u is le s a n n é e s 5 0 e t p re s q u e to u jo u rs lié s a u x re c h e rc h e s
s c ie n tifiq u e s , n ’o n t p a s d ’é q u iv a le n t d a n s l’h is to ire . P o u r lu i, « un
h o m m e no uv e a u e s t e n tr a in d e na ître » .
D e s o n c ô té , le jo u rn a lis te e t e s s a y is te J e a n -C la u d e G u ille b a u d n e
c ra in t p a s d ’a ffirm e r : « N o us v iv o ns d e s te m p s a p o c a ly p tiq ue s » , n o n
a u s e n s c o m m u n d e c a ta s tro p h e d o n n é a u c o n c e p t d ’a p o c a ly p s e , m a is
a u s e n s g re c d e ré v é la tio n , s u rg is s e m e n t.
O u i, le m o n d e a c h a n g é . E n m ie u x ? E n p ire ?
L e s e s p rits c h a g rin s s ’o b s tin e ro n t à re g re tte r « le b o n v ie u x te m p s »
e t le s in c o n d itio n n e ls d u p ro g rè s s e p â m e ro n t d ’a d m ira tio n d e v a n t
to u te ré a lis a tio n s c ie n tifiq u e o u te c h n iq u e , p o u rv u q u ’e lle s o it
« n o u v e lle » . D e fa it, c e m o n d e n o u v e a u q u i s u rg it d e v a n t n o u s e t q u e
n o u s a v o n s b ie n d u m a l à d é c ry p te r, e s t p o rte u r d e p ro m e s s e s e n -
th o u s ia s m a n te s e t d e m e n a c e s a n g o is s a n te s .
P h ilo s o p h e s e t s o c io lo g u e s s e s o n t e s s a y é s à d é c rire le s g ra n d s
c o u ra n ts e t p h é n o m è n e s q u i a p p a ra is s e n t d a n s c e m o n d e e t le s
s itu a tio n s e t c o m p o rte m e n ts q u i e n d é c o u le n t.
P o u r m a p a rt, je n e re tie n d ra i d e c e s u rg is s e m e n t q u e tro is a s p e c ts
q u i m e fra p p e n t p a rtic u liè re m e n t :
1 H e n ri M e n d ra s e t L a u re n c e D u b o y s -F re s n e y « F ra n ç a is , c o m m e v o u s a v e z c h a n g é » T a illa n -
d ie r 2 0 0 4.
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–l’interdépendance entre les hommes et les communautés qui fait
de notre monde un village à l’échelle planétaire ;
–le saut énorme réalisé ces dernières années dans le champ
d’activités des sciences et de la technique ;
–enfin, au moins pour notre monde occidental, une société qui a
perdu ses repères religieux dans le domaine public.
Les facteurs de l’interdépendance sont multiples : globalisation de
l’économie et de la finance, mobilité des populations provoquée par les
nécessités professionnelles ou, pire, par le besoin d’échapper à la famine
ou à la guerre, surtout développement des transports et instantanéité de la
communication. A insi, certains voient dans la cybernétique un sixième
continent.
Tout cela ouvre un immense espace à l’échange, au dialogue, au
brassage des cultures, et en mê me temps une possibilité de choix
multiples qui, paradoxalement, génère un progrès de l’individualisme.
Q ue dire aussi de ceux que l’âge, la maladie ou la précarité tiennent
à l’écart de ces réseaux ? A l’heure de la plus grande communication,
la solitude reste présente.
Le scientifique A lbert Jacquard compare l’interdépendance de tous
les hommes à ce qui se passe entre les molécules qui s’assemblent pour
former les cellules ou aux cellules qui s’assemblent pour former les
organes, avec cette différence que les humains peuvent décider de la
forme de leur interdépendance alors que les cellules, les organes,
agissent les uns sur les autres selon les lois de la nature.
Les humains peuvent se regarder avec indifférence ; ils ne sont alors
qu’un agglomérat d’humains. Ils peuvent se regarder avec crainte, ce
qui engendre des processus d’opposition, d’agression, de défense. Ils
peuvent enfin voir en l’autre une source leur apportant les moyens de
la construction d’eux-mê mes, de l’accès à des possibilités nouvelles.
Et le scientifique d’en arriver à cette conclusion désarmante de
simplicité : « L’indiffé rence comme l’ag ressivité ne peuvent g é né rer
que des catastrophes. L’ouverture confiante peut ê tre b é né fique ;
pourquoi hé siter ? 2 »
On ne peut que rendre hommage à ces hommes et à ces femmes,
responsables politiques ou personnes influentes, qui, malgré des
obstacles persistants, tentent, à force de dialogues et de négociations,
de mettre fin à des conflits qui durent depuis des dizaines d’années.
2 A lbert Jacquard « Dieu ? » Stock /B ayard 2003
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Les avancées de la science et de la technique sont devenues en
elles-mêmes et à cause de cette interdépendance entre les hommes, un
immense espoir et une inquiétante menace.
Dans le domaine des « sciences du vivant », les progrès de la
recherche permettent de guérir certaines maladies, de retarder au moins
leur issue fatale, de soulager la souffrance. En même temps, les manipulations
génétiques nous font craindre des perspectives effrayantes
pour l’espèce humaine.
Les réalisations techniques ouvrent des connaissances jusqu’ici
insoupçonnées, améliorent les conditions de vie, réduisent la pénibilité
du travail.
Pourtant, certains abus produisent des nuisances qui dégradent notre
planète. La sophistication des armements rendrait terrifiants de
possibles conflits internationaux.
Accaparés que nous sommes par l’urgence, nous avons besoin de
ces « indicateurs », tels le philosophe Edgar Morin qui plaide pour « la
conscience d’une communauté de destin », ou d’autres comme Y ann
Arthus-Bertrand ou Jean-Marie Pelt pour « une écologie responsable ».
Il faut reconnaître que, grâce à cette sensibilisation, des avancées se
font jour, trop timides sans doute, tant elles exigeraient la modération
de notre soif de confort et de consommation.
Dans ce monde, dans la société occidentale, plus précisément dans
notre société française, quelle place pour Dieu ? Quel rapport de
l’homme du vingt et unième siècle à Dieu ?
Je ne vais pas développer ici le constat bien connu de la situation
sociologique de l’É glise de France (celle qui m’est la plus proche) :
baisse de la pratique religieuse, raréfaction et vieillissement des
prêtres, pénurie des vocations sacerdotales et religieuses, ignorance des
symboles chrétiens ; no tre so ciété laïcisée ne no us parle plus de
Dieu.
N otons au passage que les valeurs démocratiques dont nous nous
réclamons au nom de la déclaration de 19 48 des droits de l’homme et
du citoyen, ne sont pas sans devoir une bonne part de leur inspiration à
la tradition judéo-chrétienne. R econnaître cela n’est pas récuser
l’héritage des Lumières.
L’individualisme qui caractérise notre société se manifeste en
particulier par un besoin d’exprimer son identité à travers des
comportements privés et des choix culturels. Or, la religion appartient
aujourd’hui au domaine privé, comme une manière parmi d’autres de
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donner du sens à l’existence personnelle et au vivre ensemble. C’est
pourquoi les demandes à l’Église se font surtout lors des grands événements
de la vie : naissance, mariage, décès.
On remarque aujourd’hui une importante fréquentation des divers
lieux d’accueil de l’Église, manifestant un besoin de convivialité et une
recherche de sens. Notre époque connaît les grands rassemblements où
se vivent la joie de la fête, l’enthousiasme de croire ensemble.
Alors, les chrétiens, une minorité ? Sans doute.
Avec son regard d’homme « redevenu chrétien », Jean-Claude
Guillebaud écrit : « L’É glise réelle, celle que je redécouvrais, faisait
plutô t songer à ces communautés des premiers siè cles, solidaires et
joyeuses, mais tenues à l’écart par le pouvoir romain. 3 »
Monseigneur Dagens, dans sa « Méditation sur l’Église », qualifie
celle-ci d’« Église en acte de naissance » et les chrétiens d’« adeptes de
la V oie » comme aux premiers siècles de l’Église.
Notre Église affaiblie et appauvrie, est aussi, dans l’humilité et la
discrétion, en profond renouvellement. Et nous pouvons réentendre,
dans le contexte d’aujourd’hui, le cri du prophète Z acharie : « S ilence,
D ieu se réveille en sa demeure. » (Z a, 2, 17)
Ce rapide regard, d’où émergent quelques crêtes, nous laisse
entrevoir un immense chantier où chacun peut trouver sa place.
Invités à servir le projet de Dieu de rassembler l’humanité, nous
pouvons « choisir la forme de notre appartenance » en nous investissant
dans les relations. Les associations en particulier, nous proposent
mille manières de créer du lien social, d’échanger nos richesses avec
l’autre différent par la culture ou la religion, d’apporter notre humble
voix à la promotion de la justice ou à la poursuite de la paix.
Pour tout cela, auquel tout homme est appelé, notre vie religieuse en
communauté est un précieux laboratoire.
Afin de participer à la protection de la planète et à la juste
répartition de ses richesses, nous sommes invitées à la sobriété de vie,
à des gestes simples d’attention dans le quotidien qui traduisent
concrètement notre solidarité et notre refus du gaspillage. La pauvreté
3 Jean-Claude Guillebaud « Comment je suis redevenu chrétien » Albin Michel 2007
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à laquelle nous nous sommes engagées ne trouve-t-elle pas là un
nouveau visage ?
Enfin, notre lien d’Auxiliaires du Sacerdoce à l’Église nous mobilise
pour servir le monde tel qu’il est aujourd’hui.
« L’Église n’a pas son centre en elle-même, mais à l’ex térieur
d’elle-même », rappelait récemment le Cardinal Barbarin à des
chrétiens engagés dans la mission.
Nous avons maintes occasions d’accompagner des frères et sœ urs,
souvent « passants » dans l’Église, de côtoyer dans le respect ceux qui
appartiennent à d’autres cultures ou religions et de collaborer avec eux
dans la cité.
Mais, plus que de notre faire, il me semble que ce monde a besoin
de notre espérance, de notre conviction que « Dieu est à l’œ uvre en cet
â ge » et de notre disponibilité à en témoigner.
Cela nous sera donné si nous allons à la source, si nous mettons nos
vies sous la Parole, afin d’apprendre de l’Évangile du Christ le projet
de Dieu sur les hommes.
Oui, ce temps d’aujourd’hui est le beau temps que Dieu nous donne
à vivre, le temps de notre foi. Sachons nous en réjouir.
Thérèse LABRIET
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