version pdf - Catharisme d'aujourd'hui
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Les aveugles de Bram<br />
Publié le 5 décembre 2012 par Éric de Carcassonne dans Vivre le catharisme au quotidien<br />
Bram 1210<br />
Au printemps 12010, après avoir repris Montlaur et Alzonne, Simon de Montfort mit le siège<br />
devant Bram. Après trois jours il lança l'assaut et vainquit la résistance des habitants. Désireux de<br />
semer l'effroi chez les résistants encore actifs et dans l'espoir que les villes se rendent sans<br />
combattre, il fit prendre une centaine d'hommes parmi les prisonniers et les fit mutiler. On leur<br />
coupa le nez et leur creva les yeux, sauf à l'un d'entre-eux que l'on éborgna seulement. Ensuite, on<br />
les envoya sur les routes, guidés par ce borgne, vers Cabaret.<br />
Si les motivation de Simon de Montfort n'ont rien à voir avec notre compréhension de ce monde,<br />
l'image de ces suppliciés errant dans la campagne nous en dit long sur notre propre situation.<br />
En effet, non seulement nous sommes de pauvres aveugles qui errent ici ou là, mais quand nous<br />
croyons voir c'est en fait pire qu'à travers un épais brouillard.<br />
Comme des handicapés nous finissons par nous habituer à notre situation et, parfois nous<br />
l'oublions et pensons agir en pleine possession de nos moyens.<br />
Nous nous basons sur des éléments que nous devrions prendre avec beaucoup de précautions et en<br />
tirons des conséquences souvent bancales que nous affectons de croire indiscutables.<br />
Or, il ne faut pas oublier que la plupart des témoignages qui nous sont parvenus sont le fait de<br />
simples témoins de circonstances, souvent de sympathisants pas forcément bien au fait des détails<br />
de la vie des bons-chrétiens et dans de plus rares cas de croyants dont la maîtrise du sujet s'étiole au<br />
fil de la persécution inquisitoriale.<br />
Au mieux certains croyants citent les paroles des bons-chrétiens, mais tant en raison de leur<br />
mémoire et du temps passé qu'en raison des vraisemblables altérations dues à leur choix de dire ce<br />
qui leur semble judicieux de dire ou des choix opérés par le scribe, souvent un notaire peu au fait<br />
des subtilités du catharisme, ces témoignages doivent être considérés avec une certaines distances.<br />
Comment penser la vie chrétienne évangélique aujourd'hui ?<br />
Gardons à l'esprit que malgré nos recherches et nos études, malgré notre culture générale et notre<br />
pratique de la philosophie, de l'histoire et de la théologie, nous ne sommes au mieux que des<br />
croyants privés de bons-chrétiens pour leur enseigner les rudiments du catharisme et pour redresser<br />
nos chemins tordus.<br />
Même si la prégnance mondaine <strong>d'aujourd'hui</strong> s'exerce différemment de celle du Moyen Âge, ne<br />
croyons pas qu'elle est moins puissante. Au contraire, je crois que les facilités qui nous sont faites<br />
en matière d'apprentissage et d'accès à l'information favorise l'égo et la vanité.<br />
En outre, la découverte relativement récente d'une possible résurgence cathare, pour reprendre le<br />
titre de l'ouvrage de Yves Maris 1 , a levé chez nous tous un immense enthousiasme d'autant plus fort<br />
que l'attente était longue. Pour parfaitement légitime qu'il soit cet élan est un facteur favorable à une<br />
emprise mondaine qui va pousser notre orgueil à nous laisser penser et nous convaincre que nous<br />
sommes finalement des croyants avancés et capables de comprendre ce qui est nécessaire, voire de<br />
corriger des bons-chrétiens dont le jugement peut parfois nous paraître erroné, ne serait-ce qu'en<br />
raison de l'époque lointaine à laquelle ils vivaient.<br />
1. La résurgence cathare – Le manifeste. Yves Maris – Éditions le Mercure Dauphinois 2007 Grenoble.
Les fondamentaux de la vie évangélique cathare<br />
N'oublions pas que ces bons-chrétiens, quelle qu'ait pu être leur connaissance scientifique à<br />
l'époque, n'en demeuraient pas moins de redoutables penseurs et des spirituels de haut vol.<br />
Ils ne l'étaient pas par hasard ou par une onction divine spécifique mais parce qu'ils avaient suivi un<br />
long apprentissage, qui dans les périodes les plus difficiles de sa mise en œuvre n'était pas inférieur<br />
à trois carêmes — c'est-à-dire une année calendaire — et qui durait assez régulièrement environ<br />
trois ans. Ce noviciat était alors suivi, dès la réception dans la communauté des bons-chrétiens via<br />
le Consolamentum, d'une période de compagnonnage destinée à poursuivre la formation et à définir<br />
les compétences du nouveau bonhomme en vue de son affectation à une mission adaptée.<br />
Ce compagnonnage consistait à occuper la place de socius ou socia (nous pourrions dire le second<br />
en quelque sorte) auprès d'un autre bon-chrétien qui assurait la formation avant d'en rejoindre un<br />
autre, et ainsi de suite pendant plusieurs années.<br />
Le temps n'a pas la même valeur chez les bons-chrétiens que pour nous. Peu importe qu'il faille<br />
trois, cinq ou dix ans pour former un bon-chrétien. Ce qui importe c'est la qualité et la fermeté dans<br />
sa foi du ministre ainsi formé.<br />
Mettre en œuvre la vie évangélique de nos jours<br />
Même si notre volonté mondaine nous tenaille, nous devons développer une grande modestie visà-vis<br />
de nos prédécesseurs et une grande humilité en regard de ce que nous croyons savoir et<br />
pouvoir afin que notre vouloir ne s'égare pas.<br />
Résistons aux stimulations diverses qui nous donnent à penser que nous sommes aptes à guider les<br />
autres et même à prendre des décisions définitives pour ce qui nous concerne car il est fort possible<br />
que ce soient des voies sans issue qui s'ouvriront devant nous.<br />
Gardons présent à l'esprit que nous sommes fortement handicapés par l'absence certaine de bonschrétiens<br />
cathares aptes à nous aider dans notre avancement. Ceux d'entre-nous qui nous semblent<br />
les plus avancés n'en restent pas moins de simples croyants qui n'ont suivi aucun noviciat et qui se<br />
forment par eux-mêmes, parfois en essayant de s'assister l'un l'autre mais toujours de façon bancale.<br />
Pour espérer qu'un jour nous puissions regarder un des nôtres comme relativement ressemblant à ce<br />
que pouvait être éventuellement un bon-chrétien débutant, il faudra lui avoir laissé plusieurs années<br />
de formation et d'approfondissement de sa foi dans le cadre d'une vie évangélique avérée et<br />
indiscutable quant à ses fondamentaux.<br />
Pour celles et ceux qui feront ce choix de vie, il faudra résister à l'amicale pression de ceux qui<br />
pourraient être éventuellement trompés sur leur compte et croiront voir en eux des bons-chrétiens<br />
avant l'heure.<br />
Notre monde est habitué à contracter le temps mais le catharisme <strong>d'aujourd'hui</strong> n'est pas plus<br />
dépendant du temps que ne l'était celui du Moyen Âge. À l'époque du tout nouveau tout beau et de<br />
l'obsolescence programmée, nous devons valoriser l'émergence lente et assidue et le<br />
perfectionnement durable.<br />
J'ai l'espoir d'être un jour en mesure de faire ce choix de vie et le simple fait de l'avoir annoncé a<br />
pu — sans que je me risque à l'affirmer — donner à certains l'impression que j'étais de ce fait<br />
supérieur à eux. C'est inexact. Je reste profondément perfectible et ma mondanité est encore<br />
extrêmement prégnante.<br />
C'est pourquoi je me préviens fortement de toutes les manifestations bienveillantes en ce sens car je<br />
connais mon pire défaut, la vanité, et je sais que pour moi, la modestie et l'humilité sont des Everest<br />
presque inaccessibles.<br />
La recherche de guides spirituels<br />
C'est en raison de notre angoisse vis-à-vis d'une possible évolution dans notre foi que nous avons
tendance à nous chercher des guides spirituels.<br />
En outre, nous pensons parfois qu'avec de tels guides le cheminement serait peut-être plus facile,<br />
mieux balisé, moins pentu. C'est un leurre !<br />
Ce sont nos propres pas qui traceront la route de notre cheminement. Il faut voir les guides comme<br />
des supporters qui encouragent le marathonien du bord de la route. L'effort et le choix d'avancer ne<br />
leur appartient pas.<br />
Les seuls guides spirituels que j'espère n'ont pas de consistance charnelle dans notre monde. C'est<br />
sur vous mes sœurs et mes frères en esprit que je compte pour m'aider à corriger mes erreurs et pour<br />
m'encourager dans mes efforts.<br />
S'il plaît à Dieu quand j'aurai éloigné du mieux possible ma mondanité par une vie simple et<br />
essentiellement tournée vers le spirituel ; quand j'aurai surmonté les exigences de mon corps par une<br />
ascèse morale et physique permanente ; quand je sentirai sans aucun doute que votre Bienveillance<br />
m'investit d'une cohérence dans mes choix et mes actions, je pourrai peut-être considérer que j'ai<br />
suffisamment avancé pour accompagner à mon tour l'avancement des autres.<br />
En attendant je resterai un simple croyant qui doit consacrer les prochaines années à servir sa<br />
communauté et à améliorer ses connaissances sans jamais croire possible ce qui aurait semblé<br />
ridicule à Peire Maury lui-même.<br />
Il me semble que nous devons rester vigilants sur ce point car à vouloir avancer trop vite nous<br />
finirions par nous retrouver comme ces pauvres suppliciés de Bram, dans la position d'aveugles<br />
guidés dans la brume par des borgnes.