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Venise : vers « un échange de pavillons avec l'Allemagne »

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EXPOSITION<br />

PAGE<br />

06<br />

LE QUOTIDIEN DE L’ART / NUMÉRO 15 / JEUDI 27 OCTOBRE 2011<br />

Gisèle Fre<strong>un</strong>d,<br />

photographe à la lettre<br />

P A R N A T A C H A W O L I N S K I<br />

Colette au foulard rouge, Joyce scrutant à la loupe<br />

<strong>un</strong> livret, Gi<strong>de</strong> sommeillant sous le masque mortuaire<br />

<strong>de</strong> Leopardi : ces portraits d’écrivains sont entrés dans<br />

l’histoire. Une exposition à la Fondation Pierre Bergé-Yves<br />

Saint Laurent rend hommage à leur auteur, Gisèle Fre<strong>un</strong>d.<br />

Il ne s’agit pas d’<strong>un</strong>e rétrospective mais d’<strong>un</strong> éclairage<br />

sur les années 1933-40, pério<strong>de</strong> fructueuse où <strong>un</strong>e je<strong>un</strong>e<br />

sociologue alleman<strong>de</strong>, réfugiée à Paris, <strong>de</strong>vient photographe<br />

et portraiture la crème <strong>de</strong> l’intelligentsia européenne.<br />

L’exposition a pour commissaires Olivier Corpet, directeur<br />

<strong>de</strong> l’Institut Mémoires <strong>de</strong> l’édition contemporaine (IMEC)<br />

qui a reçu en dépôt les archives <strong>de</strong> Gisèle Fre<strong>un</strong>d disparue<br />

en 2000, et Catherine Thieck, directrice <strong>de</strong> la galerie <strong>de</strong><br />

France qui a exposé à plusieurs reprises la photographe.<br />

L’accrochage présente quelques rares images <strong>de</strong> reportage,<br />

mais se concentre surtout sur cette extraordinaire série<br />

<strong>de</strong> visages d’écrivains qui a fait la renommée <strong>de</strong> Gisèle<br />

Fre<strong>un</strong>d et lui a valu, en 1981, <strong>de</strong> réaliser le portrait officiel<br />

<strong>de</strong> François Mitterrand. Elle avait 73 ans et <strong>de</strong>vait sourire<br />

<strong>de</strong> cette reconnaissance tardive, car dans les années 1930,<br />

il fallait être culottée pour convaincre Malraux, Breton<br />

ou Montherlant <strong>de</strong> subir l’épreuve <strong>de</strong> la photo couleur,<br />

assimilée à cette époque à <strong>de</strong> l’imagerie publicitaire.<br />

Alors que le glas <strong>de</strong>s pellicules Kodachrome a sonné, Gisèle<br />

Fre<strong>un</strong>d a été l’<strong>un</strong>e <strong>de</strong>s premières à utiliser ce film en 1938.<br />

Elle se déplaçait chez les écrivains, qu’elle contactait grâce<br />

à la complicité <strong>de</strong> ses amies libraires Adrienne Monnier<br />

et Sylvia Beach. Elle trouvait parfois dans l’alignement<br />

d’<strong>un</strong>e bibliothèque ou le chaos d’<strong>un</strong> bureau l’écho d’<strong>un</strong>e<br />

personnalité, mais préférait le plus souvent cadrer <strong>de</strong> près<br />

les visages. Les modèles ne s’en remettaient pas toujours.<br />

Lors d’<strong>un</strong>e projection le 5 mars 1939, dans la librairie<br />

<strong>«</strong> Shakespeare and Co <strong>»</strong>, Mauriac s’écrie : <strong>«</strong> pourquoi ne<br />

m’avez-vous pas photographié vingt ans plus tôt <strong>»</strong>, et Sartre<br />

lâche : <strong>«</strong> Nous avons tous l’air <strong>de</strong> revenir <strong>de</strong> la guerre <strong>»</strong>.<br />

En 1940, Gisèle Fre<strong>un</strong>d l’exilée repart sur les routes sinistrées<br />

du mon<strong>de</strong> et ne trouvera que bien plus tard les moyens<br />

<strong>de</strong> tirer ses images sur papier. En 1977, à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du<br />

marchand Harry L<strong>un</strong>n, elle réalise trente portfolios <strong>de</strong> dix<br />

portraits dye-transfer. Très recherchés aujourd’hui, ils ne<br />

circulent jamais complets. Démantelés, ils per<strong>de</strong>nt beaucoup<br />

<strong>de</strong> valeur, puisqu’<strong>un</strong> beau tirage dye-transfer <strong>de</strong> Cocteau ou<br />

<strong>de</strong> Sartre n’excè<strong>de</strong> pas 5 500 euros à la galerie Lucie Weill &<br />

Seligmann qui les présente cet automne. Aux cimaises, les<br />

portraits <strong>de</strong> Gisèle Fre<strong>un</strong>d semblent pourtant inestimables.<br />

Benjamin est pensif, Zweig malicieux et Clau<strong>de</strong>l furibond.<br />

Derrière les ri<strong>de</strong>s et le grain <strong>de</strong> la peau, Gisèle Fre<strong>un</strong>d a<br />

capté la vérité intime <strong>de</strong> ces génies préoccupés <strong>de</strong> légen<strong>de</strong>. ❚<br />

Gisèle Fre<strong>un</strong>d, Jean Cocteau, Paris, 1939, épreuve dye-transfer couleurs,<br />

(portfolio édité par Harry L<strong>un</strong>n en 1977), 30 x 20,5 cm, fonds Gisèle<br />

Fre<strong>un</strong>d, IMEC / Fonds MCC. © Gisèle Fre<strong>un</strong>d / IMEC / Fonds MCC.<br />

GISÈLE FREUND, L’OEIL FRONTIÈRE, Paris 1933-1940, jusqu’au<br />

29 janvier 2012, Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, 5 avenue<br />

Marceau, 75116 Paris, tél. 01 44 31 64 31, www.fondation-pb-ysl.net<br />

GISÈLE FREUND, PORTRAITS D’ARTISTES, galerie Lucie Weill &<br />

Seligmann, du 4 novembre 2011 au 29 janvier 2012, 6 rue Bonaparte,<br />

75006 Paris, tél. 01 43 54 71 95, www.galerie-lws.com<br />

Gisèle Fre<strong>un</strong>d. L’oeil frontière. Paris 1933-1940, collectif, coédition IME /<br />

éditions <strong>de</strong> la RMN et du Grand Palais, 220 p., 80 illustrations, 50 euros.<br />

ISBN: 978-2-7118-5924-5<br />

Des inédits bientôt<br />

accessibles<br />

Les archives <strong>de</strong> Gisèle Fre<strong>un</strong>d comprennent<br />

1 600 négatifs noir et blanc et leurs planches-contacts,<br />

8 200 diapositives, 1 200 tirages originaux n&b<br />

et couleurs, ainsi que <strong>de</strong>s manuscrits et <strong>de</strong> la<br />

correspondance. 800 images seront numérisées d’ici<br />

fin 2012 par l’Imec, en partenariat <strong>avec</strong> la RMN. Après<br />

réflexion, il a été décidé que <strong>de</strong>s images inédites ou peu<br />

connues seraient diffusées, comme ces portraits avant<br />

recadrage ou <strong>de</strong>s <strong>vers</strong>ions couleurs <strong>de</strong> portraits que l’on<br />

connaissait en noir & blanc. ❚

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