10.11.2012 Views

Vandale chez les Wendel - PCFbassin

Vandale chez les Wendel - PCFbassin

Vandale chez les Wendel - PCFbassin

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

FEUILLETON DE L’ARGENT<br />

ACTU HUMANITE.FR - 28-07-2008<br />

Le Fric-Frac, c’est chic (1/5)<br />

<strong>Vandale</strong> <strong>chez</strong> <strong>les</strong> <strong>Wendel</strong><br />

Un jour, Ernest-Antoine Seillière s’est<br />

confessé : « Ce que je préfère, c’est giberner<br />

avec une bouteille de bordeaux entre amis,<br />

laisser librement galoper la pensée. » Sous la<br />

pression d’une cousine qui lui reproche<br />

d’avoir empoché 79 millions d’euros au<br />

détriment des actionnaires familiaux du<br />

groupe <strong>Wendel</strong>, le baron pourrait bientôt<br />

renouer avec son sport favori.<br />

Un jour, Ernest-Antoine Seillière a confessé un fort étrange loisir : « Ce que je<br />

préfère, c’est giberner avec une bouteille de bordeaux entre amis, laisser librement<br />

galoper la pensée. » Sous la pression d’une lointaine cousine qui lui reproche d’avoir<br />

empoché 79 millions d’euros au détriment des actionnaires familiaux du groupe<br />

<strong>Wendel</strong>, le baron, avec ses manières très Ancien Régime et son appétit de rapace de la<br />

finance du XXIe siècle, pourrait bientôt renouer avec son sport favori.<br />

Les Leclerc de Hauteclocque, <strong>les</strong> La Panouse, <strong>les</strong> Montaigu, <strong>les</strong> Guéna, <strong>les</strong> La<br />

Rochefoucauld, <strong>les</strong> Mitry, <strong>les</strong> Panafieu, <strong>les</strong> Montalembert, <strong>les</strong> Broglie, <strong>les</strong> Polignac, <strong>les</strong><br />

Rohan, <strong>les</strong> Noail<strong>les</strong>, <strong>les</strong> <strong>Wendel</strong>, <strong>les</strong> Gargan, <strong>les</strong> Curel… Tous <strong>les</strong> ans, quand le<br />

printemps s’apprête à s’éclipser, sous un arbre généalogique vieux de trois cents ans,<br />

mille fleurs s’épanouissent à l’orée du bois de Boulogne. En costume strict pour <strong>les</strong><br />

messieurs, en robe de cocktail pour <strong>les</strong> dames, des centaines d’héritiers des maîtres<br />

des forges descendent des limousines et foulent la pelouse du pavillon Dauphine. Les<br />

900 cousins actionnaires sont invités à l’assemblée générale de la Société lorraine de<br />

participations sidérurgiques (SLPS), la holding familiale qui contrôle le groupe<br />

financier <strong>Wendel</strong>. Et une fois <strong>les</strong> formalités expédiées, tout ce beau monde et la<br />

marmaille se retrouvent autour des petits fours, des macarons et du champagne. Avec<br />

en sus, chaque année, un cadeau lié à un investissement récent : un stylo, un châle,<br />

une écharpe, des outils de jardinage et même, une fois, la saga familiale rédigée par<br />

Jacques Marseille !


Touche pas au grisbi, madame<br />

Plaisir de retrouver la famille, joie de toucher <strong>les</strong> dividendes : dans la dynastie<br />

capitaliste la plus célèbre de France, c’est la fête à date fixe. Enfin, d’habitude… Car,<br />

en 2008, l’assemblée générale a tourné au psychodrame. Sophie Boegner, une<br />

cousine de seconde zone, nommée presque par hasard administratrice de la SLPS, a<br />

pris son rôle un peu trop à cœur. Et voilà qu’elle vient chercher des poux dans la tête<br />

d’« Ernekid » lui-même, l’enfant chéri du clan <strong>Wendel</strong>, Ernest-Antoine Seillière de<br />

Laborde surnommé ainsi par sa nurse alsacienne… Début juin, l’effrontée dépose une<br />

plainte contre X pour « abus de bien social et recel » : en fait, elle reproche aux<br />

dirigeants du fonds d’investissements <strong>Wendel</strong>, au premier rang desquels on retrouve<br />

l’ex-patron des patrons français, de s’être partagé une partie du capital du groupe au<br />

détriment des actionnaires familiaux. De son côté, Ernest- Antoine Seillière réplique<br />

immédiatement en demandant des poursuites pour « dénonciation calomnieuse » et<br />

« diffamation ».<br />

« J’dis pas que Louis était toujours très social, non, il avait l’esprit de droite. Quand<br />

tu parlais augmentation ou vacances, il sortait son flingue avant que t’aies fini, mais il<br />

nous a tout de même apporté à tous la sécurité. » Les Tontons flingueurs<br />

Le 11 juin, le jour de l’assemblée générale convoquée pour approuver <strong>les</strong> comptes,<br />

François de <strong>Wendel</strong>, administrateur de la holding SLPS, tire autorité de son prénom<br />

et de son nom – ce sont ceux de l’ancêtre commun – pour présenter, à l’occasion d’un<br />

incident de séance, une motion pour la révocation de Sophie Boegner. « Sa plainte est<br />

inadmissible, lit-il. Elle consiste, on le sait, avant même que la justice ne se prononce,<br />

à traîner un homme dans la boue et avec lui, sa famille, et le nom que je porte… » Le<br />

texte est approuvé par 82,2 % des voix. Soie maculée, flanelle froissée, cachemire en<br />

lambeaux : <strong>chez</strong> <strong>les</strong> <strong>Wendel</strong>, on a toujours lavé son linge sale en famille et, pour la<br />

majorité des descendants, il n’est pas question, nob<strong>les</strong>se oblige, de déroger aux<br />

traditions ancestra<strong>les</strong>. « Je lui ai dit que je réprouvais qu’elle porte ce débat sur la<br />

place publique, se désole dans la presse Josselin de Rohan, sénateur UMP et beau-<br />

frère de Sophie. Un autre beau-frère a fait comme moi, mais nous nous sommes<br />

heurtés à un mur. Cette fille a le sentiment qu’elle est chargée d’une mission, elle se<br />

prend pour Jeanne d’Arc ! »


Quand <strong>les</strong> millions d’euros pleuvent…<br />

Après avoir demandé pendant des mois des explications au sein du conseil<br />

d’administration de la SLPS, Sophie Boegner titille maintenant <strong>les</strong> gazettes. Et livre<br />

tous <strong>les</strong> détails du montage financier et fiscal ultrasophistiqué d’un « plan<br />

d’intéressement » au terme duquel, le 29 mai 2007, une dizaine de cadres dirigeants<br />

du groupe <strong>Wendel</strong> ont raflé 4,5 % du capital du groupe, soit une valeur totale de 324<br />

millions d’euros à l’époque : en gros, après avoir racheté pour des clopinettes Solfur,<br />

une obscure société-écran du groupe, <strong>les</strong> managers la revendent à <strong>Wendel</strong> au prix<br />

fort, avant de la liquider. Certes, <strong>les</strong> 900 actionnaires familiaux réunis dans la SLPS y<br />

gagnent indirectement, puisqu’en supprimant un « étage » dans <strong>les</strong> poupées gigognes<br />

du groupe, ils bénéficient d’un abattement sur l’impôt de solidarité sur la fortune<br />

(ISF). Mais pendant ce temps, ce sont <strong>les</strong> vrais artistes qui festoient : Jean- Bernard<br />

Lafonta, premier président du directoire de <strong>Wendel</strong> désigné en dehors de la famille,<br />

reçoit une montagne d’actions pour une valeur de 83 millions d’euros ; Ernest-<br />

Antoine Seillière, président du conseil de surveillance, empoche 79 millions d’euros ;<br />

et treize autres managers se répartissent le reste, de 36 millions à un million d’euros<br />

par tête de pipe.<br />

… <strong>les</strong> noms d’oiseaux prennent leur envol<br />

Dans le Figaro, le patriarche « Ernekid » s’étrangle devant l’étalage de sa juteuse<br />

opération : « L’idée de la moindre suspicion m’est odieuse. Ma seule mission depuis<br />

trente-deux ans : la réussite de <strong>Wendel</strong> au service de la famille. Et de l’ensemble des<br />

actionnaires. Quelle mouche l’a piquée ? Sophie Boegner est une héritière dont le<br />

patrimoine est au-dessus de la moyenne des 900 membres de la famille pour <strong>les</strong>quels<br />

nous avons créé en moyenne 1,5 million d’euros de richesse sur la période 2002-<br />

2008. Il est manifeste qu’elle cherche à ternir ma qualité de chef de famille. Elle se<br />

répand dans <strong>les</strong> médias et fait de la démagogie familiale. » Mais alors que <strong>les</strong><br />

meilleurs cabinets d’affaires, recrutés par <strong>les</strong> dirigeants de <strong>Wendel</strong>, fournissent des<br />

attestations de « parfaite légalité du dispositif » et que <strong>les</strong> conseillers en<br />

communication de RSCG se chargent de démolir la rebelle bannie pour le compte de<br />

Seillière, Sophie Boegner refuse de flancher. « J’estime qu’il y a eu une captation<br />

déloyale du capital de la société, confie-t-elle à l’Express. <strong>Wendel</strong>, qui existe depuis<br />

1704, est un groupe fondé sur des principes d’éthique et de transparence, auxquels <strong>les</strong><br />

actionnaires familiaux sont tous très attachés. Or le management y a dérogé, par le<br />

biais d’opérations dissimulées qui l’ont considérablement enrichi. Au-delà, je déplore


une stratégie de prise de contrôle rampante sur le groupe, qu’il faut arrêter tant qu’il<br />

en est temps. » La rentrée sociale sera chaude… Au moins <strong>chez</strong> <strong>les</strong> <strong>Wendel</strong> & Co.<br />

Thomas Lemahieu pour l’Humanité du Lundi 28 Juillet.


ACTU HUMANITE.FR - 29-07-2008<br />

Feuilleton de l’argent (2/5)<br />

Doux délices d’initiés<br />

« La connaissance elle-même est pouvoir »,<br />

disait un philosophe anglais. « Tu l’as dit,<br />

bouffi », pourrait opiner John Paulson, le<br />

nouveau prince de Wall Street. En tête du<br />

classement, le courtier a gagné trois<br />

milliards d’euros en pariant dès le début de<br />

la crise sur l’effondrement des subprimes.<br />

Spectaculaire ? Certes, mais il est possible de<br />

faire mieux…<br />

« La connaissance elle-même est pouvoir », disait à la fin du XVIe siècle un vicomte<br />

philosophe anglais. « Tu l’as dit, bouffi », pourrait opiner John Paulson, le nouveau<br />

prince de Wall Street. En tête du classement de la feuille de chou locale, le Trader<br />

Monthly, le courtier a gagné trois milliards d’euros en pariant dès le début de la crise<br />

sur l’effondrement des subprimes. Spectaculaire ? Certes, mais il est possible de faire<br />

mieux quand on sait plus tôt encore que le pire est certain…<br />

« C’est un procès joué d’avance. Du mauvais théâtre. Point. Cela doit être dit<br />

clairement, je pense. » Ton glacial et voix sépulcrale. Derrière l’aridité des formes<br />

sourd un magma de fureur qui, certains le craignent, pourrait momifier l’assemblée<br />

en deux temps trois mouvements. Le 12 juillet dernier, à la veille de la biennale<br />

aéronautique de Farnborough en Grande-Bretagne, Thomas Enders, président<br />

d’Airbus en exercice, est ultra décontracté – polo jaune, ceinturon, jeans et bottes, sa<br />

tenue en témoigne… Sauf quand un journaliste évoque l’enquête judiciaire ouverte<br />

contre X sur <strong>les</strong> délits d’initiés présumés <strong>chez</strong> EADS. La veille, le 11 juillet, Andreas<br />

Sperl, patron de l’usine de Dresde (Allemagne), a été mis en examen, à l’issue de<br />

quarante- huit heures de garde à vue. Alors que tout l’état-major d’EADS sent le vent<br />

du boulet, Louis Gallois, le patron du consortium franco-allemand, affiche sa<br />

solidarité : « Il n’y a pas de culpabilité sans jugement. »<br />

Des dithyrambes aux dividendes<br />

Le 27 avril 2005, à Toulouse, l’A380 décolle pour son premier vol d’essai. Sous le<br />

soleil et <strong>les</strong> vivats. Le temps n’est couvert que de dithyrambes ; c’est une pluie de<br />

superlatifs qui s’abat sur la carlingue du fleuron. En vitrine, Airbus, c’est le génie<br />

aéronautique, une affaire qui roule, une action à la Bourse dont <strong>les</strong> promesses de<br />

dividendes s’envolent, ou encore une sublime incarnation, comme dira Jacques


Chirac à un mois du référendum, de « l’Europe que nous souhaitons, c’est-àdire<br />

l’Europe de l’union, l’Europe du progrès, l’Europe de l’ambition ». Mais, en coulisses,<br />

avec la perspective du désengagement accéléré de Lagardère et Daimler, avec <strong>les</strong><br />

problèmes qui s’accumulent sur <strong>les</strong> chaînes de montage de l’A380 et de l’A350, le<br />

tocsin ne va pas tarder à résonner… Et c’est l’Autorité des marchés financiers (AMF)<br />

qui, dans un rapport finalisé fin mars 2008 et transmis depuis au parquet, le raconte<br />

en détail. Pour le gendarme de la Bourse, dès juin 2005, le conseil d’administration<br />

d’EADS est informé d’un décalage entre la « rentabilité prévisionnelle » de<br />

l’avionneur – nouveaux retards dans <strong>les</strong> livraisons, surcoûts de fabrication, résultats<br />

opérationnels dégradés – et celle imaginée par <strong>les</strong> analystes. Pendant tout l’automne<br />

2005, à plusieurs reprises, des responsab<strong>les</strong> de haut niveau d’Airbus tirent la<br />

sonnette d’alarme en des termes on ne peut plus explicites : « Si un courtier réalise<br />

cet écart et le fait comprendre au marché, cela pourrait avoir un immense impact<br />

négatif sur le cours de l’action », estime, par exemple, l’un d’eux, dans un document<br />

saisi par <strong>les</strong> enquêteurs de l’AMF. Le 7 mars 2006, Noël Forgeard, coprésident<br />

d’EADS, avertit lui-même son conseil d’administration que <strong>les</strong> résultats attendus<br />

pour 2007 ne seront pas atteints. Le lendemain, Airbus publie des prévisions très<br />

optimistes à l’intention des marchés. Et entre le 8 et le 24 mars 2006, la plupart des<br />

dirigeants d’EADS et d’Airbus lèvent massivement leurs stock-options. L’action EADS<br />

culmine alors à 35,13 euros, son plus haut niveau historique depuis l’introduction en<br />

Bourse.<br />

Liquidation totale au prix fort<br />

Selon le rapport de l’AMF, 17 membres (sur 21) des comités exécutifs d’EADS et<br />

d’Airbus ont, à l’occasion de ces opérations qui seront toutes interrompues à compter<br />

du 24 mars 2006, réalisé une plus-value collective de près de 20 millions d’euros.<br />

Certains d’entre eux ont même choisi d’exercer leurs options malgré <strong>les</strong><br />

inconvénients fiscaux : quelques mois plus tard, <strong>les</strong> gains réalisés n’auraient plus été<br />

imposab<strong>les</strong>… De son côté, le 4 avril 2006, le groupe Lagardère annonce,<br />

conjointement à Daimler, la vente de 7,5 % d’EADS et empoche une cagnotte nette<br />

évaluée à 1,2 milliard d’euros.<br />

« - Entre nous, une supposition, que j’ai un graveur, du papier et que j’imprime pour<br />

un milliard de biftons. En admettant, c’est toujours une supposition, qu’on soit cinq<br />

sur l’affaire ça rapporterait net combien à chacun ?<br />

• Vingt ans de placard. Les bénéfices, ça se divise ; la réclusion ça s’additionne. »


Le Cave se rebiffe<br />

La Caisse des dépôts et la Caisse nationale des Caisses d’épargne en rachètent une<br />

partie non négligeable au prix fort : 32 euros l’action. Après un premier décrochage le<br />

16 mai lors de la publication des comptes semestriels, le titre dévisse définitivement<br />

le 13 juin avec l’annonce par Airbus des nouveaux retards de livraison de ses<br />

fleurons : il ne vaut plus que 18 euros. Dans son rapport, l’AMF se fait cinglante :<br />

« Alors qu’aucun des deux groupes n’avait à faire face à un besoin de trésorerie<br />

pressant en 2006, la décision de Daimler et de Lagardère de procéder à des<br />

opérations à terme assises sur le prix de marché d’EADS de 2006, plutôt que<br />

d’attendre 2007 pour réaliser une cession au comptant, pourrait témoigner d’une<br />

anticipation d’une baisse future du cours du titre, interprétation que ni l’analyse<br />

détaillée de la chronologie et des modalités des opérations ni <strong>les</strong> explications<br />

recueillies auprès des deux groupes n’ont permis d’écarter. »<br />

Pendant <strong>les</strong> affaires, <strong>les</strong> affaires continuent<br />

Débarqué avec un parachute doré de 8,5 millions d’euros et une plus-value de 4,3<br />

millions d’euros au printemps 2006, Noël Forgeard est aujourd’hui mis en examen<br />

pour « délit d’initié ». « Je ne suis pas un capitaliste, s’épanche-t-il dans Le Nouvel<br />

Obs. J’étais un dirigeant normal, dont un élément de la rémunération était ces<br />

foutues stockoptions. Je <strong>les</strong> ai vendues, comme 95 % des cadres, en mars 2006, parce<br />

que c’était un moment pertinent pour prendre ses bénéfices. C’est d’une simplicité<br />

biblique. J’ai exercé toutes mes options disponib<strong>les</strong> parce que je voulais faire une<br />

donation à mes enfants. » Dans le Financial Times Deutschland, Andreas Sperl (816<br />

000 euros de plusvalue) dénonce, lui, <strong>les</strong> conditions « inhumaines » de sa garde à<br />

vue : « On m’a pris ma montre, ma ceinture et mes lunettes. Dans la cellule, il n’y a<br />

pas de table, juste un matelas sale et des toilettes communes. » À Farnborough,<br />

Airbus vient d’arracher une commande de 11 milliards de dollars pour la compagnie<br />

nationale des Émirats arabes unis, grâce au concours déterminant de Jean-Paul Gut<br />

(1,8 million d’euros de plus-value), lui aussi mis en examen, devenu consultant après<br />

avoir été prié de démissionner de son poste de directeur marketing et stratégie<br />

d’EADS. Pendant <strong>les</strong> affaires, <strong>les</strong> affaires continuent. De quoi détendre Thomas<br />

Enders (711 000 euros de plus-value) avant son hypothétique entrée en scène dans ce<br />

« mauvais théâtre ».<br />

Thomas Lemahieu pour l’Humanité du Mardi 29 Juillet.


Société, tu m'auras pas<br />

Génétiquement modifiée par <strong>les</strong> savants fous de la finance, dérobée par<br />

<strong>les</strong> pickpockets du capital, elle ne pond que des œufs d’or. Bien sûr, faut<br />

pas rêver, le bon peuple n’est pas convié aux agapes.<br />

Troisième épisode de notre série le feuilleton de l’argent.<br />

Feuilleton de l’argent (3/5)<br />

Ah, si vous connaissiez leur poule, vous en perdriez tous la boule…<br />

Génétiquement modifiée par <strong>les</strong> savants fous de la finance, dérobée<br />

par <strong>les</strong> pickpockets du capital, elle ne pond que des oeufs d’or. Un<br />

vrai miracle, cette cocotte, un tonneau des Danaïdes qui ne serait pas<br />

percé pour tout le monde. Bien sûr, faut pas rêver, le bon peuple<br />

n’est pas convié aux agapes, juste invité à se prosterner devant ceux<br />

qui le spolient, à regarder de loin ces petits pacto<strong>les</strong> entre amis.<br />

Un bonheur n’arrive jamais seul. Le 14 juillet, en tant que « président du directoire<br />

d’un groupe industriel », Pierre Bastid est élevé au grade de chevalier de la Légion<br />

d’honneur sur proposition du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi.<br />

Quelques jours plus tard, le 20 juillet, à l’occasion de la recapitalisation de<br />

Converteam, l’entreprise qu’il dirige depuis son externalisation du groupe Alstom,<br />

deux ans et demi plus tôt, ce parfait inconnu empoche 320 millions d’euros. Une<br />

success story, une médaille : ainsi va la France de Nicolas Sarkozy, surtout quand, à<br />

Bercy, Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Lagarde, a lui aussi fait<br />

fortune par le biais du jackpot assuré du « leverage buyout » (LBO). La version<br />

postmoderne du sacro-saint principe du capitalisme : « Tout est à nous – <strong>les</strong><br />

actionnaires ; rien n’est à eux – <strong>les</strong> salariés et la société ; tout ce qu’ils ont, ils l’ont<br />

volé ! »<br />

Faire sauter la banque, de joie<br />

En juillet 2004, Pierre Bastid crée une toute petite holding financière, Magenta<br />

Participations, y investit 37 000 euros de sa poche et s’associe au fonds<br />

d’investissement Barclays Private Equity en vue du rachat, en novembre 2005, sous la<br />

forme d’une LBO, d’Alstom Power Conversion pour la somme de 130 millions<br />

d’euros. Comme la banque s’engage à apporter l’essentiel de la mise de départ, <strong>les</strong><br />

futurs managers de l’entreprise, rebaptisée Converteam, peuvent se contenter<br />

d’investir 700 000 euros. C’est Byzance, et le mécanisme des LBO fait le reste : peu


d’argent frais, un endettement colossal et la trésorerie de l’entreprise utilisée pour<br />

renflouer <strong>les</strong> caisses… Une paire d’années plus tard, la boîte, dont le résultat<br />

d’exploitation a été multiplié par six, est désormais valorisée 1,9 milliard d’euros.<br />

Barclays réalise une plus value de 700 millions d’euros – douze fois son avance –, <strong>les</strong><br />

huit principaux dirigeants de Converteam se partagent la même somme – mille fois<br />

leur mise – et, là-dedans, Pierre Bastid gagne à lui tout seul 320 millions d’euros –<br />

près de dix mille fois son apport initial. Et <strong>les</strong> 4 600 salariés de Converteam dans tout<br />

ça ?<br />

« On donnait dans le social. On faisait semblant de faire de la charité… Nous ne<br />

donnions jamais d’argent car on nous avait prévenus : Quand on donne de l’argent<br />

aux pauvres, ils le boivent. » Le Corps de mon ennemi<br />

Le 10 juillet, au siège de Massy- Palaiseau, Pierre Bastid tente de <strong>les</strong> amadouer : avec<br />

<strong>les</strong> autres managers de Converteam, il compte bien, annonce- t-il, réinvestir ses<br />

mirobolants bénéfices jusqu’au dernier centime, ce qui permettra à la direction de<br />

contrôler directement un tiers du capital. Par ailleurs, fanfaronne le président de<br />

Converteam, 38 millions d’euros ont été ponctionnés sur le 1,8 milliard de plus-value<br />

pour octroyer à tous des primes d’un montant équivalent à deux mois de salaire,<br />

ouvrir 5% du capital aux salariés et mettre en place un mécanisme d’abondement<br />

d’un euro versé par l’entreprise pour un euro versé par le salarié. Aux nombreux<br />

récalcitrants qui continuent de trouver la répartition des richesses un brin<br />

déséquilibrée, Pierre Bastid répond au cours de cette mémorable allocution : « Mais<br />

ça, c’est un problème de société ! »<br />

Rompre <strong>les</strong> pains, mais pas <strong>les</strong> gains<br />

« Il ne nous reste qu’à applaudir la performance, ironise la CGT de Converteam dans<br />

un tract. Et, comme si rien ne s’était passé, nous remettre au boulot en attendant le<br />

prochain discours sur <strong>les</strong> bienfaits de notre travail qui permettra aux actionnaires de<br />

repasser à la caisse en toute quiétude. Mais même <strong>les</strong> meilleures histoires ont une fin.<br />

Les possibilités de multiplier <strong>les</strong> gains ne sont pas infinies. À ce jour, le seul qui ait<br />

réussi cet exploit, c’est Dieu, et encore avec des petits pains ! Nous doutons que notre<br />

direction générale puisse en faire autant avec <strong>les</strong> parts de marché sans aucune<br />

conséquence sociale. » Et le syndicat d’avertir :<br />

« Nous sommes très intéressés par <strong>les</strong> problèmes de société. En particulier, quand il<br />

s’agit de la redistribution du fruit du travail des masses laborieuses. » De son côté, la<br />

CFDT fait ses calculs : « La plus-value représente dix années de masse salariale, elle<br />

ne se concrétise pas par des embauches en Europe de l’Ouest et elle donne une image


du travail des salariés totalement dévaluée. » Chez Cegelec comme <strong>chez</strong> Editis, la<br />

même cause produit le même effet. Rachetée par le fonds souverain du Qatar après<br />

une énième LBO, la première, ancienne société d’ingénierie d’Alstom, a permis à son<br />

PDG, exilé en Belgique, d’amasser un magot évalué à 170 millions d’euros. Et <strong>chez</strong> le<br />

second, géant de l’édition française tombé dans <strong>les</strong> mains de <strong>Wendel</strong> en juin 2004, <strong>les</strong><br />

douze principaux dirigeants se partagent 37 millions d’euros, prélevés sur une plus-<br />

value totale de près de 500 millions d’euros lors de la cession à l’espagnol Planeta, en<br />

mai 2008. D’un côté comme de l’autre, <strong>les</strong> salariés noient leur tournis dans la<br />

bagarre, tout juste ont-ils réussi, et encore seulement <strong>chez</strong> Editis, à arracher de haute<br />

lutte une prime de 1 000 euros.<br />

À vot’ bon coeur, Mister Total<br />

Même au casino royal du CAC 40, et sans verser dans <strong>les</strong> LBO, <strong>les</strong> bandits manchots<br />

sont détraqués. En 2007, le groupe pétrolier Total, première capitalisation boursière<br />

de la place de Paris, a engrangé 12 milliards d’euros de bénéfices. Et <strong>les</strong> perspectives<br />

sont meilleures encore pour cette année – merci, la flambée du baril ! À la mi-juin,<br />

Christophe de Margerie, directeur général et grand seigneur, a accepté, « sans que<br />

rien ne l’y contraigne », insiste-t-il, de verser 102 millions d’euros à l’État comme<br />

contribution au financement de la « prime à la cuve » pour le fioul domestique.<br />

Une paille ou des miettes ? C’est vite vu car, pendant ce temps-là, derrière la mise en<br />

scène médiatique, Total dilapide 4,5 milliards d’euros, plus d’un tiers de son résultat<br />

net, en <strong>les</strong> versant sous forme de dividendes à ses actionnaires. Et cerise sur le<br />

gâteau : le groupe dépense 1,87 milliard d’euros en rachetant, selon <strong>les</strong> coutumes des<br />

mastodontes de la Bourse, ses propres actions. En quatre ans, Total aura flambé la<br />

bagatelle de 11 milliards d’euros dans ces grandes manoeuvres purement<br />

spéculatives. « Faire des profits, c’est la première des responsabilités de<br />

l’entreprise », se gargarise Christophe de Margerie, début juillet, devant le parterre<br />

rassemblé à Aix-en- Provence par le Cercle des économistes. Quand <strong>les</strong> doigts de fée<br />

de la finance sortent <strong>les</strong> griffes, c’est « un problème de société ». À moins que ça ne<br />

soit le problème de la société…<br />

Thomas Lemahieu


Un petit coin de paradis<br />

Quatrième épisode du feuilleton de l’argent. Où il est beaucoup question<br />

en cet été 2008, d’évasion… fiscale. Oh, pas toujours très loin : Suisse et<br />

Belgique recèlent des trésors.<br />

Les voyages forment la richesse. Pense-<strong>les</strong> comme Johnny : si <strong>les</strong> Belges<br />

ne veulent pas de toi afin que tu puisses installer tes économies<br />

défiscalisées sur le caillou monégasque, va à Gstaad pour mieux vivre à<br />

Los Ange<strong>les</strong>. « Aux États-Unis, quand quelqu’un a une belle voiture, on lui dit : “Ah,<br />

elle est belle, votre voiture !” Alors qu’en France on la lui raye. » Sociologue sauvage<br />

comme le rock-and-roll, Jean- Philippe Smet sait bien, lui, que si <strong>les</strong> riches<br />

décampent, ce n’est pas qu’ils ne sont pas solidaires, c’est parce qu’on ne leur donne<br />

pas assez d’« amûr ».<br />

Ils toussent, ils s’étranglent, ils dérapent. Quand éclate à la mi-février le scandale de<br />

l’évasion fiscale au Liechstenstein, Pierre Mirabaud, le président des banquiers<br />

suisses, s’emploie à dissiper l’odeur de soufre qui se répand sur <strong>les</strong> Alpes, et morigène<br />

<strong>les</strong> Allemands à l’origine de la révélation de l’affaire, accusés d’avoir employé des<br />

« méthodes dignes de la Gestapo ». Dans toute l’Europe, aux États-Unis ou en Russie,<br />

c’est le branle-bas de combat : des milliers de nababs pensaient avoir enterré leurs<br />

pécu<strong>les</strong> dans l’une des caches <strong>les</strong> plus sûres au monde, et voilà qu’aujourd’hui,<br />

bêtement piratés puis âprement monnayés par un informaticien vénal, leurs noms<br />

risquent d’apparaître à la une des gazettes. Le tohu-bohu est énorme en Allemagne :<br />

Klaus Zumwinkel, boss de la Deutsche Post et détenteur de comptes à Vaduz, quitte<br />

ses fonctions sous <strong>les</strong> lazzi, <strong>les</strong> arrestations se multiplient et, début juin, 700<br />

personnes sont déjà inculpées de « fraude fiscale ».<br />

Faites comme si je n’étais pas là<br />

En France, Eric Woerth met illico presto le tam-tam en sourdine : parmi <strong>les</strong> 200<br />

Français soupçonnés d’avoir transféré des actifs dans le confetti alpin pour un<br />

montant cumulé d’un milliard d’euros, il n’y a, assure le ministre du Budget, que des<br />

quidams, de parfaits inconnus. « Le secret fiscal existe, ajoute-t-il. On ne lâche pas <strong>les</strong><br />

noms en pâture. » Le gouvernement UMP connaît ses classiques en matière d’exil<br />

fiscal. Malheureusement, tout le monde ne sait pas que, dans le monde des fuyards et<br />

des évadés, la discrétion est la règle d’or.<br />

En décembre 2006, l’Événement, un mensuel chic de Bruxel<strong>les</strong>, tout à sa joie d’épater<br />

<strong>les</strong> nouveaux venus, livre un volumineux dossier sur ces Français « célèbres, fortunés,


entreprenants, qui ont choisi de vivre en Belgique ». « Ce qu’ils aiment <strong>chez</strong> nous, ce<br />

qu’ils fuient <strong>chez</strong> eux », crâne le canard. Mais alors que, d’après une estimation des<br />

banquiers autochtones, <strong>les</strong> richissimes Français auraient déjà délocalisé outre-<br />

Quiévrain près de 3 milliards d’euros de patrimoine, ces « SDF », des « sans<br />

difficultés financières » selon leur affectueux sobriquet, sont furax de trouver leur<br />

blaze étalé sur la place publique : <strong>les</strong> Mulliez, <strong>les</strong> Taittinger, <strong>les</strong> Bich, <strong>les</strong> Darty et <strong>les</strong><br />

centaines de famil<strong>les</strong> qui ont choisi le plat pays pour ses avantages fiscaux (pas<br />

d’impôt sur la fortune, pas de taxation des plus-values, transmission aisée du<br />

patrimoine, etc.) colonisent <strong>les</strong> quartiers chics de Bruxel<strong>les</strong> et <strong>les</strong> villages proches de<br />

la frontière, mais ils n’apprécient <strong>les</strong> feux de la rampe que lorsqu’ils <strong>les</strong> allument eux-<br />

mêmes.<br />

Dans la Confédération helvétique, au moins, ces forfanteries de parvenus ne risquent<br />

pas d’arriver : luxe sans ostentation, calme jusqu’à l’ennui et volupté du secret<br />

bancaire. Selon l’hebdomadaire économique Bilan, dont le palmarès ne prend en<br />

compte que <strong>les</strong> patrimoines supérieurs à 100 millions de francs suisses (61 millions<br />

d’euros), une très grande fortune de Suisse sur dix est française. Et dans son édition<br />

2007, le journal fait l’inventaire, d’Éric Peugeot (4,8 milliards d’euros) et Benjamin<br />

de Rothschild (3 milliards) à Claude Berda, Philippe Hersant et Robert-Louis Dreyfus<br />

(900 millions chacun)… Sans oublier Antoine Zacharias (240 millions d’euros), une<br />

vieille connaissance.<br />

La tentation de Genève<br />

Débarqué de la présidence de Vinci, le numéro un mondial du BTP, le 1er juin 2006,<br />

« Zach » le proscrit a trouvé refuge à Genève. Grâce à son parachute doré de 13<br />

millions d’euros et son matelas de stock-options estimé à 174 millions d’euros, il s’est<br />

payé rubis sur l’ongle un pied-à-terre de 6,5 millions d’euros dans la cité de Calvin.<br />

Au Point, le paria du patronat confie qu’il adore cheminer dans <strong>les</strong> vignes de la<br />

campagne voisine et se planter devant le théâtral jet d’eau sur le Léman. À ses heures<br />

perdues, Antoine Zacharias gère son patrimoine avec une prudence de Sioux : des<br />

brico<strong>les</strong> dans un projet immobilier au Cambodge, quelques modestes participations<br />

dans une poignée de boîtes, mais lui ne se gêne pas pour le clamer, rien de rien dans<br />

le caritatif. « L’ancien empereur du BTP profite surtout de la vie », nous rassure<br />

l’hebdomadaire. Mais derrière cette image de petit père tranquille, Gargantua - c’est<br />

l’un de ses nombreux surnoms - s’apprête à sortir de sa retraite. Momentanément :<br />

un aller-retour éclair, simple blitz en classe affaires, direction le tribunal de


commerce de Nanterre, où, fin mars 2008, Antoine Zacharias compte bien récupérer<br />

81 millions d’euros, le montant des stock-options dont il estime avoir été indûment<br />

privé après son expulsion de Vinci.<br />

Ils reviennent et ils sont plus méchants<br />

À la même période, au printemps dernier donc, d’autres exilés ont eux aussi remis <strong>les</strong><br />

pieds dans l’Hexagone. Bernard Oppetit par exemple, un polytechnicien, ancien de<br />

BNP Paribas, qui a créé à Londres Centaurus, une boîte de capital-risque<br />

immatriculée dans un célèbre paradis fiscal, <strong>les</strong> î<strong>les</strong> Caïmans. Avec un autre fonds<br />

« activiste », Pardus, il s’est emparé d’environ 20 % du capital de l’entreprise<br />

informatique Atos, déjà engagée dans une vaste « restructuration » qui frappe ses 16<br />

000 salariés en France. Mais, insatiab<strong>les</strong>, <strong>les</strong> fonds d’investissement entendent<br />

« réveiller le cours en Bourse » en organisant le démantèlement d’Atos, la<br />

délocalisation massive vers l’Inde ou la vente par appartements aux concurrents…<br />

« Si vous ne faites pas ce qu’on veut, il y aura du sang sur <strong>les</strong> murs », chantent <strong>les</strong><br />

requins des î<strong>les</strong> Caïmans. Las ! Au bout de mois de bastons, l’ouragan venu des<br />

Caraïbes se dégonfle et, en juin, Centaurus et Pardus rentrent sagement - pour l’heure<br />

- au conseil d’administration d’Atos.<br />

« - J’ai des envies d’voyages.L’Océanie, Bora-Bora,<strong>les</strong> vahinés…Tu connais ?<br />

- Pourquoi ? Tu veux m’emmener ?<br />

- On n’emmène pas des saucisses quand on va à Francfort. ».<br />

Le Pacha<br />

Débouté, fin mai, de ses demandes à Nanterre, Antoine Zacharias est retourné à<br />

Genève. Il reviendra en France pour l’appel. En attendant, fort de son magot et de sa<br />

retraite-chapeau (2,2 millions d’euros par an), il a tout le loisir de se raconter de<br />

bel<strong>les</strong> histoires. Celle-ci est vachement bien : la scène se déroule dans un taxi au<br />

lendemain du « putsch » qui l’a renversé et le chauffeur annonce que, pour lui, la<br />

course sera gratuite… « Il avait acheté des actions Vinci quelques années auparavant,<br />

narre l’ex-PDG, toujours dans le Point, et m’a dit : "Vous m’avez payé mon pavillon,<br />

nous sommes quittes." » Thomas Lemahieu


Allô bobo et le CAC 40 voleur<br />

Dernier épisode du feuilleton de l’argent "Le fric-frac,c’est chic ".<br />

On vient de l’apprendre : championne de ski nautique et férue de<br />

kite-surf, Laurence Parisot, la patronne des patrons, s’apprête à<br />

épater le média en sautant en parachute sur l’école<br />

Polytechnique, fin août, au beau milieu de l’université du<br />

MEDEF. D’après « Les Echos », tout en étant « très préoccupée<br />

par le choix de sa combinaison », elle cherche encore des équipiers pour l’aventure.<br />

Choisissez l’or ou l’argent, Laurence, puis ouvrez l’œil, <strong>les</strong> cadors de la haute voltige<br />

pullulent autour de vous…<br />

On n’est plus en sécurité nulle part. Même <strong>les</strong> assemblées généra<strong>les</strong> annuel<strong>les</strong><br />

d’actionnaires sont devenues des coupe-gorge où <strong>les</strong> petits porteurs jouent <strong>les</strong> sans-<br />

culottes. « Nous sommes des grognards, eh bien je vais grogner, tonitrue un premier<br />

gus, le 27 mai dernier, lors de l’AG de la Société Générale, quelques mois après<br />

l’« affaire Kerviel » sur fond de crise des subprimes. Quand on crée <strong>les</strong> conditions<br />

d’un gros bonus, on abaisse le seuil d’honnêteté des gens. On a fait emprisonner<br />

l’employé alors que ce sont ses patrons qui auraient dû quitter <strong>les</strong> lieux. » Olé !<br />

« Monsieur le président, je me demande pour qui vous nous prenez, tance un autre<br />

loustic en dansant la Carmagnole. A qui ferez-vous croire qu’on peut faire des choses<br />

de ce genre impunément ? Ou bien ceci convenait à la hiérarchie de la Société<br />

Générale, ou bien <strong>les</strong> contrô<strong>les</strong> sont nullissimes ! Monsieur Kerviel n’est qu’un pantin<br />

dans tout ça. » Olé !<br />

Hallali à la banque<br />

Les banderil<strong>les</strong> rasent <strong>les</strong> grosses têtes à la tribune. Et <strong>les</strong> visages des argentiers<br />

tournent au violet. Dès qu’ils ouvrent la bouche, des huées. Quand ils bougent le petit<br />

doigt, c’est la curée. Auteur il y a quelques années d’un fumeux rapport sur la<br />

rémunération des grands patrons, vite rédigé, vite lu, vite oublié, Daniel Bouton, PDG<br />

de la Société Générale, multiplie pourtant <strong>les</strong> gestes : pour « participer au<br />

redressement de la banque », il renonce à son salaire fixe pendant <strong>les</strong> six premiers<br />

mois de l’année (environ 700.000 euros), il fait une croix sur son 1,2 million d’euros<br />

de bonus de 2007 et, chevaleresque, il abandonne ses fonctions à la direction<br />

opérationnelle… Tout en demeurant, il est vrai, au conseil d’administration, faute de<br />

quoi il risquait de perdre <strong>les</strong> plus-values futures sur ses 500.000 stock-options,


évaluées à 30 millions d’euros, et il subirait une sévère décote de sa retraite-chapeau :<br />

aujourd’hui, son ancienneté dans la taule ne lui assure qu’un taux de retraite de<br />

57,9% de son salaire, alors que, dans trois ans à peine, il aura droit à 70% de sa<br />

rémunération de PDG…<br />

Ailleurs aussi, ça taille sec ! Patricia Russo, directrice générale d’Alcatel-Lucent,<br />

416.000 euros de salaire mensuel, quitte en juillet son poste avec un parachute doré<br />

de 6 millions d’euros ; en décembre, Patrick Kron, PDG d’Alstom, s’offre 11 millions<br />

d’euros de bénéfices en vendant ses titres achetés à un tarif ultra-préférentiel (il<br />

réalise une plus-value de 110 euros par action) ; patron de l’équipementier<br />

automobile Valeo, Thierry Morin est assuré, en juin, de toucher une « indemnité<br />

forfaitaire de départ » de 4,8 millions d’euros, même s’il choisit, lui, de<br />

démissionner ; détenteur de la plus copieuse part privée du capital de Suez-GDF,<br />

Monsieur le richissime baron belge Albert Frère, inénarrable inventeur de l’adage<br />

« Un petit actionnaire minoritaire est un petit con, un gros actionnaire minoritaire<br />

est un gros con », croule sous <strong>les</strong> dizaines de millions d’euros de dividendes versées à<br />

l’occasion de la fusion… Et comment réagit l’opinion publique ? Elle siffle, elle éructe,<br />

elle vomit.<br />

L’embrouille de l’éthique en toc<br />

« Halte au harcèlement moral des patrons ! » Une femme se lève pour défendre sa<br />

corporation. Alors que <strong>les</strong> mirifiques promesses du candidat Nicolas Sarkozy sur le<br />

pouvoir d’achat ont été officiellement remisées quand le président Nicolas Sarkozy a<br />

considéré que <strong>les</strong> caisses étaient « vides », alors que, pour le plus grand monde, tout<br />

augmente sauf <strong>les</strong> salaires, des brûlots à potins comme « L’Expansion » ou « La<br />

Tribune » estiment que <strong>les</strong> revenus des grands patrons ont bondi de 40%, voire de<br />

58% en 2007…<br />

« Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse avec 500 briques ? J’ai calculé,<br />

j’en aurai à peine pour cinq piges. J’aurai cinquante berges, tu voudrais<br />

tout de même pas que j’retourne au charbon à cet âge-là, non ? Tu serais<br />

pas vache avec <strong>les</strong> vieux des fois ? »<br />

Faut pas prendre <strong>les</strong> enfants<br />

Heureusement, Laurence Parisot est là, et elle crache sur <strong>les</strong> braises pour éteindre<br />

l’incendie. « Si on ne compte pas <strong>les</strong> stock-options et <strong>les</strong> parachutes dorés, <strong>les</strong><br />

revenus des dirigeants des entreprises du CAC 40 ont diminué de 1% en 2007 par


apport à 2006 », affirme, fin juin, la présidente du MEDEF sur RTL. Circulez, y a<br />

rien à voir, encourage-t-elle encore, le « comité éthique du MEDEF » fera, roulez<br />

tambours, sonnez trompettes, des « recommandations à la rentrée » : à compter de<br />

tout de suite, <strong>les</strong> parachutes dorés seront développement durable, <strong>les</strong> stock-options<br />

un brin plus équitab<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> cadres dirigeants, <strong>les</strong> bonus socialement responsab<strong>les</strong><br />

parce que décents, <strong>les</strong> émissions de « golden hello » (primes de bienvenue) limitées<br />

pour ne pas entamer la couche de consentement, et <strong>les</strong> jetons de présence, versés aux<br />

mandataires sociaux pour <strong>les</strong> défrayer lors des conseils d’administration si et<br />

seulement si ils s’engagent à en reverser une partie aux bonnes œuvres pour sauver la<br />

planète…<br />

L’homme qui valait 463 millions d’euros<br />

Treizième fortune mondiale selon le célèbre classement de « Forbes », avec un<br />

patrimoine de 25,5 milliards de dollars (16,3 milliards d’euros), Bernard Arnault, à la<br />

fois PDG et actionnaire de référence du géant LVMH, ne goûte guère ces fausses<br />

pudeurs de patrons couards. L’année dernière, le magnat du luxe s’est fait remettre,<br />

en tant que patron, 4,1 millions d’euros de salaire (fixe, variable et jetons de présence)<br />

plus 88 millions de plus-values sur ses stock-options, et comme actionnaire - il<br />

détient via le groupe Arnault 47,4% du capital et 63,4% des droits de vote au sein de<br />

LVMH-, il a décidé de se verser 371 millions d’euros sous la forme de dividendes.<br />

Dans le même temps, <strong>les</strong> employés de l’homme qui valait 463 millions d’euros par an<br />

ne voient rien venir : selon <strong>les</strong> informations « financières » transmises aux marchés,<br />

en France, 12,7% des salariés en CDI à temps complet <strong>chez</strong> LVMH touchent moins de<br />

1.500 euros bruts, 38,5% vivotent entre 1501 et 2250 euros, 17,9% émargent entre<br />

2251 et 3000euros, et 30,9% flambent au-dessus des 3.000 euros.<br />

Mardi dernier, à l’occasion de la présentation de ses insolents comptes trimestriels -<br />

une marge opérationnelle qui frise <strong>les</strong> 20%-, Bernard Arnault n’a pas grand chose à<br />

dire. « C’est un exercice assez facile ce soir puisque <strong>les</strong> résultats sont très bons »,<br />

savoure le propriétaire du château d’Yquem. Du coup, c’est son corps qui parle et qui<br />

trahit. Il se frotte <strong>les</strong> mains. Littéralement. Il y a de quoi et il se sait. Un lapsus<br />

gestuel, comme un bras d’honneur adressé aux perdants sur le champ de bataille du<br />

pouvoir d’achat.<br />

Thomas Lemahieu

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!