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CXC<br />
10
ED<br />
ito<br />
L’auteur invité de ce numéro est québécois. Plusieurs de nos articles sont consacrés<br />
à la bande dessinée de la Belle province. Pourtant, ce Comix Club n’est pas un<br />
numéro « spécial BDQ ». Trop souvent, les revues sur la BD n’abordent certains<br />
thèmes qu’à l’occasion de numéros spéciaux <strong>et</strong> les négligent le reste <strong>du</strong> temps. Les<br />
pro<strong>du</strong>ctions d’éditeurs comme la Pastèque ou Mécanique Générale étant depuis<br />
<strong>quelques</strong> années facilement disponible en Europe, il n’y a pas lieu de traiter les pro<strong>du</strong>ctions<br />
québécoises comme des pro<strong>du</strong>its exotiques. Pas plus, en tout cas, que celles<br />
de leurs voisins anglophones.<br />
À l’orée de c<strong>et</strong>te année 2009, Comix Club change de peau pour une maqu<strong>et</strong>te toute<br />
nouvelle toute belle. Autre nouveauté : le premier de ce qui, nous l’espérons,<br />
deviendra une série d’articles consacrée aux structures d’édition, sous forme d’entr<strong>et</strong>iens<br />
avec leurs animateurs. Ce n’est certes pas la matière qui manque dans le foisonnant<br />
paysage éditorial actuel. Tant d’auteurs s’y expriment, tant d’œuvres y<br />
voient le jour, tant d’initiatives sont lancées qu’un Comix Club mensuel n’y suffirait<br />
pas.<br />
Et puis, les journées n’ont que vingt-quatre heures...<br />
Jean-Paul Jennequin<br />
Directeur de publication : Big Ben Rédacteur en chef : Jean-Paul Jennequin Graphisme : Cyril Mellerio<br />
Maqu<strong>et</strong>te : Fafé <strong>et</strong> Big Ben Illustration de couverture : Michel Rabagliati<br />
Editions Groinge - 9 rue Beaumont, 06300 Nice, France email : contact@groinge.fr site : http://groinge.fr<br />
ISSN 1764-3619 ISBN 978-2-914249-47-8 dépôt légal à parution<br />
Achevé d’imprimer en France en janvier 2009 Conditions d’abonnement en page 6<br />
Publié avec le soutien <strong>du</strong> Centre National <strong>du</strong> Livre
OMm<br />
Auteurs<br />
Entr<strong>et</strong>ien avec Michel Rabagliati, Jean-Paul Jennequin - p.10<br />
Ici <strong>et</strong> là<br />
La bande dessinée au Québec, Maël Rannou - p.71<br />
Les 24 heures de la bandes dessinée de Montréal, Julie Delporte - p.89<br />
Le p<strong>et</strong>it vingt-<strong>et</strong>-unième, Leif Tande - p.100<br />
Bsk - p.105
aire<br />
Réflexions<br />
Bsk - p.24<br />
Graver, Gautier Ducatez - p.29<br />
De l’adaptation en bandes dessinées, Gilles Suchey - p.43<br />
Inadapté, Big Ben - p.50<br />
Rencontre avec La Caf<strong>et</strong>ière, Jean-Paul Jennequin - p.55<br />
Des choses étranges voire improbables, dans ma bibliothèque, Bsk - p. 66
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Groinge (pour faire votre choix, consulter les différents auteurs des 12<br />
mois en ligne sur groinge.fr).<br />
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janvier 2004 épuisé<br />
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janvier 2006 12€<br />
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Comix Club n°8<br />
juin 2008 11€<br />
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A lire en ligne, le Comix Pouf!, supplément satirique <strong>du</strong> Comix Club<br />
http://comixpouf.blogspot.com
Auteurs
NTERview
ichel<br />
RABA<br />
C’est peut-être bien l’auteur de bande dessinée québécois le plus<br />
connu en Europe <strong>et</strong> dans le monde anglo-saxon. Né en 1961,<br />
nourri à Hergé, Franquin <strong>et</strong> Gotlib, graphiste de formation,<br />
Michel Rabagliati vient à la bande dessinée fin 1999 avec la<br />
parution de Paul à la campagne aux Éditions de la Pastèque.<br />
gliati<br />
Par la lecture de vos livres, on sait que vous aimez la BD en tant que lecteur depuis<br />
que vous êtes enfant. Comment êtes-vous devenu auteur Il semble que vous vous<br />
y soyez mis sur le tard <br />
À l’âge de 9 ans, mon choix de carrière était<br />
déjà fait, c’était simple : je voulais faire de la<br />
BD. Je lisais beaucoup Tintin dans les années<br />
60, <strong>et</strong>, bien que j’adore Hergé, il ne m’a pas<br />
donné envie faire ce métier, c’est en découvrant<br />
les planches de Franquin en 70 que l’idée<br />
de faire ce métier m’est venue. Je regardais chacune<br />
de ses cases très attentivement, la façon<br />
dont il plaçait ses personnages, sa calligraphie,<br />
la façon dont il dessinait les mains. Les mains<br />
de Franquin sont formidables. Pour moi<br />
Franquin était le roi incontestable de c<strong>et</strong>te discipline.<br />
En plus, à la bibliothèque de mon<br />
école, ils avaient le livre Comment on devient<br />
créateur de bandes dessinées où Franquin <strong>et</strong><br />
Jijé nous expliquaient un tas de trucs <strong>du</strong><br />
métier. C’était fantastique pour un gamin qui<br />
s’intéressait à ça. Mais penser faire ce métier<br />
au Québec dans ces années-là était impensable.<br />
C’était un métier qui n’existait tout simplement pas ici. La seule série made in<br />
Québec qui ait vraiment marché ici a été Red K<strong>et</strong>chup par Réal Godbout <strong>et</strong> Pierre<br />
Fournier dans les années 80, <strong>et</strong> pendant c<strong>et</strong>te période j’étais déjà très occupé par ma<br />
clientèle en graphisme. J’ai donc délaissé mes rêves de faire de la BD pendant de<br />
11
Réflexions
RA<br />
ver<br />
« J’ai trouvé dans la gravure ce que je cherchais<br />
pour parler à des milliers d’hommes. »<br />
Frans Masereel<br />
BlackBookBlack de Miles O'Shea <strong>et</strong> Olivier Deprez (Frémok, 2008)<br />
Le linoléum, mot dans lequel on reconnaît « lin » <strong>et</strong> « oleum » est un mélange<br />
d’huile de lin, de poudre de liège, de gomme de kauri <strong>et</strong> de résine. Pour renforcer la<br />
structure <strong>du</strong> lino, on le coule de façon homogène sur une maille en toile de jute. Le<br />
matériau a été inventé vers 1863 par Frederick Walton, mais a servi en gravure bien<br />
plus tard.<br />
En termes de repères historiques grossiers, on peut définir dans l’art européen un<br />
âge d’or de la linogravure à travers les années 1950. C<strong>et</strong>te décennie correspond à<br />
l’émergence <strong>du</strong> groupe Cobra <strong>et</strong> à l’intérêt porté par Picasso à c<strong>et</strong>te technique.<br />
Comparativement au bois, le linoléum est également plus facile à graver <strong>et</strong> sans<br />
doute plus résistant à long terme. Mais il est aussi plus âpre, <strong>et</strong> ses contours sont<br />
moins fins.<br />
Sortie de ce contexte, l’utilisation domestique massive <strong>du</strong> linoléum <strong>et</strong> <strong>du</strong> bois, tout<br />
comme la possibilité de repro<strong>du</strong>ire une gravure à des centaines d’exemplaires sans<br />
in<strong>du</strong>strie particulière, en ont fait de formidables vecteurs de culture populaire là où<br />
la photocopieuse n’arrivait pas (1).<br />
J’appuie sur l’exemple de la linogravure car c’est un medium qui m’est particulièrement<br />
proche, mais on peut étendre les propos tenus dans c<strong>et</strong> article à tout processus<br />
de fabrication artisanale de livres (sérigraphie, pointe sèche, mais aussi les techniques<br />
de reliure à la main, <strong>et</strong>c.).<br />
Il s’agit peut-être là <strong>du</strong> moyen efficace de contourner le front de la « guerre <strong>du</strong> mètre<br />
29
Gravures rebelles,<br />
" Col blanc "<br />
de Giacomo Patri<br />
(l'Échappée, 2008)<br />
support gravé, <strong>et</strong> il faudra à c<strong>et</strong> éditeur se poser avec son auteur, la question <strong>du</strong><br />
medium le plus adapté comme véhicule de son livre. Il faut donc être armé d’une<br />
solide connaissance des possibilités d’impression artisanale.<br />
Dès lors, <strong>et</strong> surtout si l’ouvrage est abordé par le biais de la gravure, se soulèvent<br />
d’autres problèmes. Il faut savoir qu’imprimer artisanalement prend <strong>du</strong> temps (14).<br />
On pourrait être tenté de répondre que si le p<strong>et</strong>it éditeur ne prend pas ce temps,<br />
personne ne le fera, mais plus un livre sera artisanal, plus on pourra imaginer que<br />
l’auteur m<strong>et</strong>te la main à la pâte de sa fabrication, ce qui laisse moins de temps pour<br />
l’écriture.<br />
Au-delà de ces considérations, la gravure est une activité de plus longue haleine que<br />
le dessin, ne serait-ce que par la façon dont elle s’élabore dans le cerveau : « Killoffer<br />
m’a dit que je m<strong>et</strong>tais des obstacles entre moi <strong>et</strong> le dessin, explique Joëlle Joliv<strong>et</strong>. Et<br />
c’est vrai qu’avant, je faisais des dessins spontanés au pinceau <strong>et</strong> que maintenant, j’ai<br />
plus de mal à en réaliser. Alors je m’oblige à refaire des croquis mais j’ai besoin d’une<br />
zone de gris entre l’image <strong>et</strong> ma main. Et je crois qu’en fait, la gravure c’est une façon<br />
de prendre <strong>du</strong> recul avec l’image. »<br />
Wandrille, revenant sur la conception de ses Pages noires, pointe une certaine limite<br />
technique, qui explique d’ailleurs que les livres de Masereel <strong>et</strong> Nückel aient été<br />
mu<strong>et</strong>s : « Concernant le l<strong>et</strong>trage, il était hors de question pour moi de l<strong>et</strong>trer directement<br />
à l’envers : [...] déjà, faire une bande dessinée en gravure sur bois, ça relevait<br />
de la science-fiction pour moi, mais en plus, j’ai un vrai non-talent pour le l<strong>et</strong>-<br />
36
trage [...]. Finalement, Benoît Pr<strong>et</strong>eseille est venu à mon secours <strong>et</strong> m’a proposé de<br />
tout bien l<strong>et</strong>trer [...]. Son trait à la plume, un peu épais, se marie bien avec l’histoire<br />
<strong>et</strong> ne prend pas le pas sur l’image, ce qui est souvent le cas dans les récits en gravure<br />
sur bois : <strong>du</strong> fait de la difficulté de la technique notamment pour réaliser de p<strong>et</strong>its<br />
détails, le texte est souvent énorme. »<br />
Le temps, les difficultés techniques, Joëlle Joliv<strong>et</strong> explique d’ailleurs que ce sont là<br />
des raisons qui l’ont poussée à ne plus faire de bande dessinée : « Ça fait très longtemps<br />
que je n’ai rien fait [en bande dessinée], <strong>et</strong> je voulais faire quelque chose pour<br />
Denoël Graphic mais pas en lino justement, parce qu’un album entier ça me paraissait<br />
au-dessus de mes forces, <strong>et</strong> je n’ai pas trouvé d’équivalent qui me satisfasse ».<br />
Même son de cloche chez Olivier Philipponneau : « Au final, je ne pense pas que<br />
la gravure soit adaptée à la bande dessinée. Cela ajoute une étape supplémentaire au<br />
processus de création de la planche, ce qui fige beaucoup le dessin. Pour mes nouveaux<br />
proj<strong>et</strong>s, je me suis remis à travailler à l’encre de Chine <strong>et</strong> je me sens beaucoup<br />
plus libre... Le dessin est plus spontané ! »<br />
Olivier Deprez, lui, plaide pour la prise <strong>du</strong> temps nécessaire à l’élaboration de ses<br />
livres, condition sine qua non pour travailler la bande dessinée en gravure : « L’idée<br />
de pro<strong>du</strong>ire chaque année un livre de bande dessinée, voire plusieurs, me paraît<br />
insensée ».<br />
Ainsi en va-t-il des difficultés pour l’auteur de concevoir ses livres en gravure.<br />
Concernant l’éditeur, la gestion de la vie de tels livres, voire d’un tel catalogue, n’est<br />
pas moindre : que faire lorsqu’un ouvrage est épuisé La réponse ne peut être<br />
Gravures rebelles,<br />
" la Passion d'un homme "<br />
de Frans Masereel<br />
l'Échappée, 2008)<br />
37
« Rollmops » d'Olivier Philipponneau dans Turkey Comix 17 (The Hoochie Coochie, 2009)<br />
unique, étant donnés les facteurs qui entourent le premier tirage <strong>du</strong> livre : en combien<br />
de temps s’est-il épuisé La forme <strong>du</strong> livre donnait-elle vraiment satisfaction <br />
Quel investissement représenterait un second tirage artisanal, <strong>et</strong> de combien d’exemplaires<br />
sera-t-il composé <br />
Je crois que l’essentiel est pour une p<strong>et</strong>ite maison d’édition de maintenir en fonds les<br />
livres qui ont dressé l’identité de son catalogue, plutôt que de tout sacrifier à la<br />
sacro-sainte nouveauté.<br />
Il faudra essentiellement veiller à assumer pleinement chaque édition d’un même<br />
livre, quelle que soit leur différence. Il serait particulièrement malsain d’envisager<br />
non pas une première édition artisanale, mais une sorte de tirage de tête, flattant<br />
ainsi les collectionneurs de bande dessinée dont les comportements obsessionnels<br />
maintiennent souvent ce domaine de création dans une alarmante indigence.<br />
C’est la grande séparation entre collectionnite <strong>et</strong> patrimoine, travail de mémoire qui<br />
a encore <strong>du</strong> mal à porter ses (si superbes) fruits. C’est aussi la sensibilisation des<br />
Wandrille, Les Pages noires<br />
38
jeunes générations au maintien <strong>du</strong> susdit patrimoine <strong>et</strong> à la valeur d’un livre que de<br />
leur faire goûter à ces méthodes artisanales.<br />
Ainsi, montrer par le biais d’ateliers pédagogiques qu’il n’est pas si difficile de graver<br />
deux plaques de linoléum sur lesquelles sont imposées les pages d’un p<strong>et</strong>it fascicule,<br />
puis de les imprimer – même sans presse, juste à la pression de la main – en<br />
recto verso, perm<strong>et</strong> un acte salutaire de nos jours : prouver qu’un livre est le fruit<br />
de gestes <strong>et</strong> de pensées humaines, <strong>et</strong> non le pro<strong>du</strong>it anonyme d’une in<strong>du</strong>strie, aussi<br />
culturelle soit elle.<br />
Conclusion<br />
Il est à mon avis nécessaire de multiplier ce genre de manifestations pour maintenir<br />
le livre en vie. Cela n’empêche en rien la lecture numérique de se développer, bien<br />
au contraire, mais il faut se rendre à l’évidence : on ne lit pas un livre comme on lit<br />
un écran, de même qu’on ne lit pas une peinture pariétale comme on lit un livre.<br />
Dans ce texte prônant la défense <strong>du</strong> livre par la p<strong>et</strong>ite édition, la gravure est une<br />
technique qui n’a eu valeur d’exemple que parce que je la pratique au quotidien,<br />
mais on peut évidemment étendre le propos à toute forme d’impression artisanale<br />
(les exemples d’éditeurs sérigraphes ne manquent pas), voire mélanger les genres.<br />
C’est ainsi que j’ai récemment acquis un obj<strong>et</strong> plutôt curieux : il s’agit d’un poster<br />
sérigraphié représentant une gravure de Masereel numérisée, sur lequel, <strong>du</strong> fait de<br />
l’agrandissement <strong>du</strong> scan original, on voit le crénelage des pixels.<br />
Cela me fait penser qu’il serait peut-être intéressant de se pencher sur l’idée d’un<br />
conservatoire de la gravure, qui perm<strong>et</strong>trait de perpétuer les tirages des livres de<br />
Masereel, de Joliv<strong>et</strong> ou de Deprez dans leur forme originale.<br />
On peut aussi imaginer la transmission de gravures qui seraient re-gravées depuis le<br />
dernier tirage obtenu. Passant ainsi de graveurs en graveurs, l’image évoluerait<br />
jusqu’à avoir sa vie propre. En bref, voici la possibilité de gravures à contrainte.<br />
Autant de possibles innovations qui nient tout archaïsme dans ces pratiques.<br />
Gautier Ducatez<br />
Merci à Joëlle Joliv<strong>et</strong> qui m’a accordé <strong>quelques</strong> heures de son temps pour un entr<strong>et</strong>ien, à Wandrille Leroy<br />
<strong>et</strong> Olivier Philipponneau pour leurs collaborations par mails interposés, à Carmela Chergui <strong>et</strong> Ève Deluze<br />
pour leur aide précieuse autour des publications <strong>du</strong> Frémok, ainsi qu’à Claire Beaumont pour la relecture<br />
<strong>et</strong> la correction de c<strong>et</strong> article.<br />
Bibliographie non exhaustive<br />
CANTEL, Raymond <strong>et</strong> KUNZ, Stanislas (dir.), Brésil/Cordel, Paris, éditions de l’amateur,<br />
2005.<br />
COLLECTIF, revue Chroniques d’encre, Toulouse, Ex-Abrupto, 2001.<br />
DAVID B <strong>et</strong> JOLIVET, Joëlle, « Lune descendante » dans Lapin n°10, Paris, L’Association,<br />
1996.<br />
DEPREZ, Denis, Paris lunaire, Wezembeek, Belgique, Frigo Pro<strong>du</strong>ction, 1991.<br />
DEPREZ, Olivier, Le Château, d’après Franz Kafka, Anderlecht, Belgique, Frémok, 2003.<br />
39
40<br />
ENJARY, Alain <strong>et</strong> PHILIPPONNEAU, Olivier, 8 heures<br />
à la fontaine, Paris, Ambre, 2006.<br />
JOLIVET, Joëlle, Vues d’Ivry, Paris, Cornélius, 2001.<br />
LONG, Jean-Christophe, Modo Quid, Anderlecht,<br />
Belgique, Frémok, 2002.<br />
MARCEAU, Fani, JOLIVET, Joëlle, Vues d’ici, Paris,<br />
Naïve, 2007.<br />
MASEREEL, Frans, La Ville, 1925, (réédition Grenoble,<br />
Cent Pages, 2008).<br />
MASEREEL Frans, WARD Lynd, PATRI Giacomo ,<br />
HYDE Laurence , préface de George A. Walker (2008),<br />
Gravures rebelles, 4 romans graphiques, l'Échappée,<br />
Montreuil<br />
NÜCKEL, Otto, Destin, 1930 (réédition Paris, IMHO, 2005).<br />
O’SHEA, Miles, DEPREZ, Olivier, BlackBookBlack, Anderlecht, Belgique, Frémok, 2008.<br />
PHILIPPONNEAU, Olivier, « Rollmops » dans Turkey Comix 17, Paris, The Hoochie<br />
Coochie, janvier 2009.<br />
WANDRILLE, Les Pages noires, Paris, Warum, 2008.<br />
Notes<br />
(1) Brésil/Cordel, éditions de l’amateur, 2005 – malheureusement<br />
déjà disponible chez les soldeurs.<br />
(2) « Je sais que je m’adresse aussi à un secteur économique »,<br />
une des phrases inaugurales <strong>du</strong> discours de Franck Bondoux,<br />
délégué général <strong>du</strong> FIBD, lors de la cérémonie de remise des<br />
prix <strong>du</strong> festival d’Angoulême 2008.<br />
(3) D’ailleurs, si la tendance narcissique <strong>et</strong> indivi<strong>du</strong>aliste<br />
contemporaine perm<strong>et</strong> d’identifier à peu près l’auteur d’un<br />
blog, on peut se demander qui en est l’éditeur...<br />
(4) Il va devenir nécessaire de <strong>du</strong>rcir les discours à l’encontre<br />
de Pénélope Jolicoeur <strong>et</strong> de Boul<strong>et</strong>, qui ne sont que des « coups<br />
éditoriaux », comme Frantico en son temps. Je serai à peine<br />
moins sévère avec Bastien Vivès, qui n’est autre qu’un très bon<br />
communiquant, appliquant avec maestria ses rec<strong>et</strong>tes, tel le<br />
dernier des peintres pompiers.<br />
(5) Otto Nückel (1888-1955), auteur de Destin (1930, réédition<br />
2005), éditions IMHO.<br />
(6) Frans Masereel (1889-1972), dont La Ville (1925) a été<br />
rééditée en avril 2008, aux éditions Cent Pages.<br />
(7) Certains insèrent dans c<strong>et</strong>te filiation, l’illustrateur mexicain<br />
José Guadalupe Posada (1852-1913).<br />
(8) http://www.philipponneau.com<br />
(9) Et je ne parle pas ici d’animation commerciale, telle que la chose est souvent appréhendée.<br />
(10) Barques, plus que le livre de Vincent Fortemps, il faut surtout essayer de voir les représentations<br />
de la Cinémécanique pour comprendre.<br />
(11) À condition d’y apporter tout l’entr<strong>et</strong>ien nécessaire.<br />
(12) « La formule est aussi comme un fauteuil-club, entourant l’homme de ses bras tièdes. Mais l’effort<br />
pour se libérer de ces liens est la condition d’un bond en avant vers de nouvelles valeurs, <strong>et</strong> finalement<br />
vers de nouvelles formules », est une sentence énoncée par Wassily Kandinsky dans Point <strong>et</strong> ligne sur<br />
plan, <strong>et</strong> que tout éditeur devrait se répéter tel un mantra à l’heure d’aborder la conception d’un nouveau<br />
livre.<br />
(13) Et The Hoochie Coochie n’est pas exempt de tout reproche sur ce point : la couverture de Victor<br />
Anthracite <strong>et</strong> les trafiquants de parapluies était un proj<strong>et</strong> sérigraphique, ce que nous n’avons pas su<br />
appréhender.<br />
(14) Temps variable selon le mode d’impression, la sérigraphie restant relativement plus rapide à l’impression<br />
que la gravure, par exemple ; elle demande toutefois une préparation plus lourde.<br />
BlackBookBlack de Miles O'Shea <strong>et</strong> Olivier Deprez (Frémok, 2008)
de<br />
’ADAP<br />
tation<br />
e n b a n d e s d e s s i n é e s<br />
A la recherche <strong>du</strong> temps per<strong>du</strong>, François Ayroles d’après Marcel Proust.<br />
Adapter : arranger une oeuvre littéraire pour la transposer<br />
dans un autre mode d’expression. Depuis deux ans, les romans<br />
adaptés en bandes dessinées s’accumulent dans des collections à<br />
forte valeur pédagogique ajoutée. Un phénomène <strong>du</strong>rable (tant<br />
que le r<strong>et</strong>our sur investissement reste à la hauteur).<br />
L’in<strong>du</strong>strie <strong>du</strong> livre est une in<strong>du</strong>strie. Dans un secteur<br />
très concurrentiel, comme on dit, l’éditeur surveille ses<br />
confrères, joue des épaules, suit la tendance pour rester<br />
dans la course. Le Graal de c<strong>et</strong>te économie particulière se<br />
nomme best-seller : un titre (Da Vinci Code, Persépolis)<br />
ou une série (Harry Potter, Millenium) grâce auxquels<br />
on pourra éponger les d<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> accumuler un trésor de<br />
guerre, réinvestir dans des beaux ouvrages difficiles ou,<br />
pourquoi pas, s’offrir un club de rugby.<br />
En matière de bandes dessinées, c’est sur ce principe que<br />
se sont généralisés romans graphiques de troisième zone<br />
<strong>et</strong> mangas de fond de catalogue. L’adaptation trône ces<br />
jours-ci en tête de gondole, en attendant les prochains<br />
43
44<br />
défis. Vu depuis 2007 : Delcourt crée un label spécialisé, Ex-Libris. On y accommodera<br />
Voltaire, Kafka, Mary Shelley, Hugo, Dumas, Molière... Gallimard fait la<br />
même chose avec sa marque Fétiche, réservée aux auteurs maison : Saint-Exupéry,<br />
Jules Verne, Raymond Queneau... Casterman s’acoquine avec Rivages pour une<br />
transposition de romans noirs (Pelot, Thomson, Lehane). Glénat s’investit dans la<br />
collection « Romans de toujours en BD », dont le but est de « diffuser sous une<br />
forme agréable <strong>et</strong> moderne les Trésors de la littérature romanesque mondiale ».<br />
Soleil est un peu à la traîne. Il faudra attendre l’automne 2008 pour qu’apparaisse<br />
le premier titre de Soleil cherche futurs, rayon consacré aux romans de SF – personne<br />
n’avait encore investi ce créneau. D’autres éditeurs apportent leur pierre à<br />
l’édifice sans créer de collection particulière (1). Le maître-mot est toujours « événement<br />
».<br />
La dynamique concurrentielle motive la multiplication des p<strong>et</strong>its pains, mais n’explique<br />
pas pourquoi on s’emballe ainsi pour l’adaptation. Avançons la conjonction<br />
de deux facteurs : l’explosion <strong>du</strong> nombre de bandes dessinées publiées, avec son cortège<br />
d’artistes disponibles <strong>et</strong> impatients qui espèrent tirer leur épingle <strong>du</strong> jeu (affamés,<br />
un crédit sur le dos, un pourtour de piscine en bois exotique à rembourser <strong>et</strong>c.)<br />
D’autre part, l’engouement relativement récent de l’É<strong>du</strong>cation Nationale pour le<br />
neuvième art (2).<br />
On compte plus de dessinateurs que de scénaristes de bandes dessinées. Sans doute<br />
parce que la vocation naît avec l’envie de dessin <strong>et</strong> que ceux qui aiment raconter des
histoires ont la possibilité de s’exprimer ailleurs. En 2008, sans compagnon de jeu, le<br />
dessinateur en panne d’inspiration déprime, tapote nerveusement sur sa pal<strong>et</strong>te graphique,<br />
s’endort sur la table de la cuisine. Il a le choix entre : a) trouver un vrai<br />
métier ; b) extirper de son ennui quotidien la matière d’une autobiographie molle ;<br />
ou c) fouiller sa bibliothèque à la recherche d’une bonne histoire. La pratique de<br />
l’adaptation n’est pas récente. Le bât blesse quand c<strong>et</strong>te pratique devient systématique,<br />
quand la commande in<strong>du</strong>strielle prend le pas sur la spontanéité artistique.<br />
Revenons à l’É<strong>du</strong>cation Nationale. Les bibliothécaires <strong>et</strong> enseignants <strong>du</strong> vingt-<strong>et</strong>unième<br />
siècle ont grandi avec une bande dessinée ouverte, en mutation, de moins en<br />
moins complexée (mais pas totalement décomplexée quand même, comme on va le<br />
voir). Les albums <strong>et</strong> p<strong>et</strong>its formats sont désormais notablement installés sur les<br />
rayonnages des CDI. On les utilise, on les étudie même dans des salles de classe où<br />
l’apprentissage de la langue <strong>et</strong> le goût de la lecture demeurent les enjeux principaux.<br />
Un véritable cocon pour l’adaptation littéraire qui trouvera ici naturellement sa<br />
place. Naturellement <br />
L’attention portée à l’adaptation en tant que béquille pédagogique naît d’un malenten<strong>du</strong>.<br />
Il faut d’abord relever une singularité : le roman <strong>et</strong> la bande dessinée sont<br />
très proches quant à la forme. Ils s’apprécient sur le même support, partagent l’utilisation<br />
de l’écrit. On passe de la lecture à la lecture. Adaptation rime avec ré<strong>du</strong>ction<br />
(<strong>du</strong> texte original), ce qui nécessite des partis pris audacieux dont la pertinence<br />
n’est pas toujours avérée. On vous attend au tournant (3). Sous prétexte que l’enfant<br />
vient à la lecture par le biais de l’image <strong>et</strong> qu’on approche plus facilement une<br />
image qu’un texte, la bande dessinée souffre d’une perpétuelle comparaison avec les<br />
nobles l<strong>et</strong>tres — entendez celles qui n’ont pas besoin des p<strong>et</strong>its miqu<strong>et</strong>s pour faire<br />
sens. Même débarrassée des attributs de<br />
l’enfance, elle prête toujours allégeance à la<br />
(grande) littérature <strong>et</strong> ce sont les acteurs<br />
<strong>du</strong> médium qui font les plus belles génuflexions.<br />
Si un ouvrage de l’éditeur P<strong>et</strong>it à P<strong>et</strong>it est<br />
brandi dans une salle de classe, est-ce pour<br />
l’album lui-même, pour le talent graphique<br />
<strong>et</strong> narratif des auteurs Ou parce que<br />
l’enseignant pense qu’il va réussir à<br />
con<strong>du</strong>ire ses élèves vers la matrice littéraire<br />
par l’intermédiaire de la BD <br />
Les éditeurs entr<strong>et</strong>iennent le hiatus.<br />
Delcourt propose un accompagnement<br />
pédagogique de ses adaptations, ce qu’il ne<br />
fait pas pour les autres livres. Écartons un<br />
temps les galip<strong>et</strong>tes intergalactiques <strong>et</strong> les<br />
blagues récessives, passons aux choses<br />
sérieuses. Enfin quoi, il s’agit de littérature<br />
!<br />
Maison réputée, Gallimard joue sur <strong>du</strong><br />
45
48<br />
Une excellente adaptation en bande dessinée : ré<strong>du</strong>ction de A la recherche <strong>du</strong> temps per<strong>du</strong><br />
en une planche. François Ayroles d’après Marcel Proust @OuBaPo n°1 - janvier 1997
La<br />
AFE<br />
tière<br />
Les années 1990 <strong>et</strong> 2000 voient se multiplier les p<strong>et</strong>ites<br />
structures d’édition. Si certaines disparaissent au bout de<br />
<strong>quelques</strong> années, d’autres poursuivent discrètement leur chemin<br />
grâce au travail obstiné <strong>et</strong> à l’énergie apparemment inépuisable<br />
d’animateurs passionnés. Créée en 1997, la Caf<strong>et</strong>ière a franchi<br />
sans encombre la décennie d’existence en se bâtissant, au fil des<br />
ans, un catalogue éclectique au sein <strong>du</strong>quel des talents confirmés<br />
de la scène alternative côtoient de nouveaux venus. L’édifice<br />
repose tout entier sur les épaules d’une seule personne :<br />
Philippe Marcel.<br />
Pourrais-tu nous expliquer la genèse de la Caf<strong>et</strong>ière <br />
La Caf<strong>et</strong>ière est issue voilà plus de dix ans de la rencontre entre deux fanzineurs,<br />
votre ser<strong>vite</strong>ur <strong>et</strong> Benoît Houbart. La tenue respective de deux revues, (in memoriam<br />
Le Goinfre <strong>et</strong> Rêve-en-Bulles) avait généré chez nous autant d’envies de travailler<br />
avec des auteurs que de frustrations de ne pas pouvoir le faire tranquillement,<br />
puisque soumis à la perpétuelle pression <strong>du</strong> « prochain numéro » <strong>et</strong> aussi lassés<br />
de se taper une bonne partie <strong>du</strong> (sale) boulot. C’est drôle de remarquer que ça<br />
nous est arrivé simultanément, à une période où les deux fanzines en étaient à leur<br />
point d’équilibre le plus fragile. Portés à bout de bras par un p<strong>et</strong>it groupe jusqu’à<br />
un relatif niveau d’excellence (qui nous a peut-être valu de recevoir chacun un<br />
Alph-<strong>Art</strong> (1)), chaque titre avait vu s’amoindrir son équipe pour deux raisons antagonistes<br />
- abandon par lassitude d’une part <strong>et</strong> de l’autre passage en professionnel - <strong>et</strong><br />
menaçait de mourir par anémie. D’autres fanzines morts suite à un Alph-<strong>Art</strong>, il y en<br />
a eu <strong>quelques</strong>-uns, sans doute pour les mêmes raisons. Bref, on a décidé de stopper<br />
55
pour mieux sauter. Nous avions eu le temps de nous constituer un joli stock de<br />
contacts qui nous a permis de démarrer.<br />
Au départ, la Caf<strong>et</strong>ière est une Asbl (belge), puis elle devient une association loi de<br />
1901 (française).<br />
C’est simplement parce que Benoît (le Belge) avait besoin de prendre l’air à un<br />
moment (ceci rentre dans des considérations de vie d’ordre personnel) <strong>et</strong> que je suis<br />
assez c... pour avoir voulu continuer. Bref, il a fallu faire un transfert administratif<br />
entre les deux pays. On a fait bien attention à ce que ce soit le plus transparent possible<br />
pour le lecteur, l’enseigne n’a pas bougé. Et donc pas trop d’incidence.<br />
Qu’est-ce que c<strong>et</strong>te origine un peu complexe a eu comme eff<strong>et</strong>s (positifs <strong>et</strong> négatifs)<br />
sur la maison d’édition telle qu’elle existe aujourd’hui <br />
La question serait plutôt, économiquement parlant, de savoir s’il est plutôt viable<br />
de gérer, en ces temps difficiles, une association qu’une société Les mises de fonds<br />
ne sont pas les mêmes, ni les enjeux de survie (gagner sa croûte avec), les rigueurs<br />
administratives non plus. Les impôts peuvent te taxer pareil, par contre... En ce qui<br />
me concerne, c’est également un choix car j’ai un autre travail, d’ailleurs pas antinomique<br />
puisqu’en tant que bibliothécaire, j’ai toujours le nez dans les bouquins. J’ai<br />
songé à un moment sauter - prudemment - le pas, mais lâch<strong>et</strong>é ou lucidité, je ne m’y<br />
risquerai pas. Parlez-en à PMJ (2), tiens...<br />
Je pensais aussi aux eff<strong>et</strong>s au niveau de la cohérence <strong>du</strong> catalogue, de l’image de<br />
marque auprès des libraires <strong>et</strong> des lecteurs...<br />
C<strong>et</strong>te question entraîne plus des réponses au niveau personnel que structurel.<br />
Quand on me demande la ligne éditoriale de La Caf<strong>et</strong>ière, je pense être toujours<br />
dans l’évidence en disant qu’elle publie de la bande dessinée d’auteurs, mais finalement,<br />
j’ai toujours l’impression de dire par là... qu’il n’y a pas de thème directeur, ne<br />
serait-ce qu’au sein des collections. Donc, il y aurait « simplement » ce qu’apportent<br />
56
les auteurs eux-mêmes, <strong>et</strong> ce fil con<strong>du</strong>cteur serait les tripes qu’ils y m<strong>et</strong>tent, leur sincérité.<br />
En fait, je fais souvent une définition en creux, sur ce que ça n’est pas, sur ce<br />
que je ne veux pas y m<strong>et</strong>tre, c’est-à-dire des pro<strong>du</strong>its calibrés d’avance, avec investissement<br />
créatif limité. La p<strong>et</strong>itesse de la structure m’empêche de toute façon de<br />
publier pour publier <strong>et</strong> me force donc à être relativement drastique dans mes choix.<br />
L’aspect « goût personnel » intervient à haut degré, c’est évident. Mais, avec l’expérience,<br />
peut me venir la réflexion de publier tel titre avant tel autre parce qu’il me<br />
semble qu’il peut être moins difficile financièrement parlant, <strong>et</strong> donc apporter un<br />
peu plus de confort avant une prise de risques plus importante, car chaque titre en<br />
est une. Je me suis aussi demandé si les qualités d’un bibliothécaire sont bien en<br />
phase avec celles d’un éditeur. L’un veut communiquer, l’autre aussi, mais avec en<br />
plus un aspect financier (je ne dis pas mercantile). D’autre part, mais ça ne tient qu’à<br />
moi, j’ai longtemps été un meilleur gestionnaire qu’un réel commercial. Le sens <strong>du</strong><br />
profit, même intelligemment pensé, m’a longtemps fait défaut.<br />
Beaucoup de maisons d’édition associatives ont été fondées par des auteurs pour<br />
publier leurs œuvres. La Caf<strong>et</strong>ière est plus proche de structures comme PLG ou<br />
Mosquito qui font de la p<strong>et</strong>ite édition pour... euh... Pourquoi, au fait Par amour<br />
de la BD Pour donner leur chance à de jeunes auteurs Pour proposer une bande<br />
dessinée différente de celle déjà publiée par les structures commerciales Pour le<br />
plaisir de charrier des cartons de bouquins <br />
Si on avait su que cela allait entraîner de la manutention, on se serait abstenus !<br />
Quels grands naïfs nous étions ! Amour de la bande dessinée Oui alors, grand<br />
dithyrambe sur le fait qu’on a été baignés dedans (j’ai appris à lire avec) <strong>et</strong> que c’est<br />
57
tion de « grand frère », modestie mise à part. La grande difficulté pour lui a été de<br />
réaliser c<strong>et</strong> album avec des contraintes autres que celles avec lesquelles il a déjà<br />
publié Baston de rue <strong>et</strong> Tarzan avec The Hoochie Coochie, ne serait-ce que parce<br />
qu’il avait devant lui quelqu’un d’autre que lui ou ses proches pour parler de sa création.<br />
On a remis plusieurs fois l’ouvrage sur le métier, avec des ajouts, des modifications.<br />
L’autre proj<strong>et</strong>, intitulé Le doigt de Dieu, vient d’un auteur israélien, un jeune prof<br />
de graphisme, Ronny Edry. Son récit, d’inspiration autobiographique, m<strong>et</strong> en scène<br />
les parcours croisés d’un couple israélien obligé d’aller à l’hôpital suite à un accident<br />
domestique <strong>et</strong> d’un jeune Palestinien instrumentalisé pour provoquer un attentat à<br />
Tel-Aviv. Autant une satire sur un suj<strong>et</strong> grave vécu de l’intérieur (les attentats terroristes),<br />
qu’une peinture acide mais non dénuée d’humour (noir) de la vie quotidienne<br />
en Israël.<br />
J’ai reçu son récit par la poste. Immédiatement, j’ai été sé<strong>du</strong>it par l’énergie débordante<br />
de son verbe <strong>et</strong> de son dessin. C’était presque too much ! À tel point que cela<br />
nécessitait de parfois revenir vers des processus plus classiques de narration pour<br />
être mieux assimilé. Et, là aussi, on a pas mal r<strong>et</strong>ravaillé ensemble.<br />
À noter que ce dernier ouvrage va inaugurer une nouvelle collection, Credo. Elle<br />
sera composée de récits basés sur le réel, révélant des points de vue d’auteurs sur le<br />
monde actuel. L’idée germait depuis déjà <strong>quelques</strong> temps, qui correspond à mon<br />
envie de m’engager encore un peu plus, au sens de citoyen <strong>du</strong> monde.<br />
Comment, en tant que p<strong>et</strong>it éditeur, utilises-tu (ou pas) les aides <strong>du</strong> Centre<br />
National <strong>du</strong> Livre – voire d’autres aides – <strong>et</strong> pourquoi <br />
De l’époque où Benoît Houbart était encore à mes côtés, afin de pouvoir souffler<br />
budgétairement, nous avions demandé par deux fois un prêt au CNL, pour Le<br />
conteur <strong>du</strong> Caire de Barrack Rima puis Femmes fatales de Lian Ong <strong>et</strong> nous avions<br />
obtenu leurs aides à chaque fois. Il s’agissait de prêts gratuits. Le problème d’un prêt<br />
c’est qu’il faut le rembourser. J’imagine que cela ne doit pas forcément être un bon<br />
calcul de ne fonctionner que comme ça... on finit par ne travailler que pour le CNL !<br />
Récemment, j’ai refait des demandes pour les proj<strong>et</strong>s en cours. J’avoue que ce n’est<br />
pas toujours très clair de savoir quelles sont les chances réelles d’obtention selon que<br />
l’on demande un prêt ou une subvention. Il existe depuis peu des aides de la région<br />
Ile-de-France, qui sont davantage tournées vers des proj<strong>et</strong>s patrimoniaux, ou de collection<br />
d’ampleur. Faire un dossier auprès de tels organismes demande, il est vrai,<br />
une bonne charge de travail, ce qui est finalement normal, ils veulent savoir si c’est<br />
viable.<br />
Entr<strong>et</strong>ien réalisé par courriel entre octobre 2007 <strong>et</strong> août 2008<br />
par Jean-Paul Jennequin<br />
Notes<br />
(1) Le Goinfre en 1994, Rêve-en-Bulles en 1995.<br />
(2) Pierre-Marie Jam<strong>et</strong>, créateur des éditions PMJ.<br />
64
ici <strong>et</strong> là
a Bande a<br />
essinée
u<br />
QUÉ<br />
bec<br />
Siris, Baloney n°1, 1995<br />
De manière générale, la culture au Québec paraît toujours, aux yeux des Français,<br />
tiraillée entre les cultures américaine <strong>et</strong> européenne. La bande dessinée n’échappe pas<br />
à la règle : la tradition anglo-saxonne <strong>du</strong> dessin d’humour issue de Punch, la tradition<br />
américaine <strong>du</strong> daily strip <strong>et</strong> la tradition franco-belge ne cessent de s’y croiser.<br />
Cependant, après avoir dépassé ce point de vue réaliste mais un peu ré<strong>du</strong>cteur, le lecteur<br />
peut découvrir un art qui a su tirer parti de ses influences, c<strong>et</strong> héritage triple,<br />
pour en faire une particularité culturelle. Toutefois, même si la bande dessinée existe<br />
au Québec, elle a plus de mal à trouver son public, les pro<strong>du</strong>ctions locales devant faire<br />
face à la rude concurrence des pro<strong>du</strong>ctions franco-belges <strong>et</strong> des comics, très présents<br />
dans les boutiques. La « déferlante » mangas n’est, bien sûr, pas en reste, même si elle<br />
reste sensiblement moins grande que chez nous, sans doute en raison d’un public<br />
beaucoup moins large. Il reste que les artisans d’une bande dessinée originale francophone<br />
ont bien <strong>du</strong> mal à s’imposer dans ce contexte. Ils existent néanmoins, <strong>et</strong> la viabilité<br />
de certaines structures – comme les Éditions de la Pastèque ou Mécanique<br />
Générale qui ont dépassé la décennie –, prouvent que le public existe mais qu’il faut<br />
aller le chercher. C’est à ces éditeurs <strong>et</strong> à ces auteurs, qui luttent pour imposer leur<br />
identité <strong>et</strong> leur originalité, que c<strong>et</strong> article va être consacré, afin que pour le public<br />
curieux la bande dessinée <strong>et</strong> le Québec puissent faire penser à autre chose qu’au triste<br />
premier volume de la reprise de Lucky Luke (1)...<br />
71<br />
71
Histoire de la Bande Dessinée québécoise<br />
Amorce <strong>et</strong> Précurseurs<br />
Avant d’aborder la bande dessinée contemporaine, il apparaît important de faire un<br />
bref résumé historique afin de comprendre le climat <strong>et</strong> les enjeux encadrant notre<br />
suj<strong>et</strong>. C’est un suj<strong>et</strong> tout à fait vaste <strong>et</strong> passionnant qui mériterait une plus longue<br />
étude. Pour ceux qu’il intéresserait, Michel Viau rédige depuis de nombreuses<br />
années des pages d’histoires de la BDQ (Bande Dessinée Québécoise) pour le fanzine<br />
MensuHell (2) <strong>et</strong> est très actif sur la toile, où son érudition est un passage obligatoire<br />
pour tout passionné.<br />
Pour aborder l’histoire de la bande dessinée québécoise, il est nécessaire d’étudier<br />
l’émergence de la presse dans le pays, <strong>et</strong> plus particulièrement la presse satirique. En<br />
eff<strong>et</strong>, la presse satirique québécoise est dans la droite lignée de la tradition anglosaxonne<br />
où l’utilisation de la caricature est extrêmement fréquente. Au cours <strong>du</strong><br />
XIXe siècle, une réelle effervescence a lieu dans la presse d’opinion. Le Quebec<br />
Mercury paraît dès 1805, Le Canadien en 1806, mais la plupart des titres ne <strong>du</strong>rent<br />
pas, asphyxiés par la censure ou faute de moyens. C’est en 1850, qu’est publiée la<br />
première caricature francophone avec phylactères : La ménagerie annexionniste, de<br />
Leggo, qui raille les membres de ce parti. En 1866 apparaît Baptiste Pacôt dans La<br />
Scie, une série de dessins attribuée au sculpteur Jean-Baptiste Côté. Cependant, les<br />
critiques s’accordent à placer la naissance de la BDQ en 1902 avec Pour un dîner de<br />
Noël, de Raoul Barré, publié dans La Presse. Comme toujours, la date est contestée<br />
car après tout, on pourrait tout aussi bien considérer la série de Côté comme une<br />
bande dessinée, mais plutôt qu’entrer dans ce genre de débats sans grand intérêt,<br />
r<strong>et</strong>enons qu’au début <strong>du</strong> siècle l’idée d’une narration en image n’est pas <strong>du</strong> tout<br />
72<br />
72
ebutante pour le lecteur québécois.<br />
Il faudra attendre le 30 janvier 1904 pour qu’apparaisse un premier « héros » de série<br />
dans la BDQ dans Les Aventures de Timothée d’Albéric Bourgeois. C<strong>et</strong>te série de<br />
strips dominicaux, la première en langue française à posséder des phylactères, s’impose<br />
dans La Patrie où son protagoniste devient rapidement le personnage ved<strong>et</strong>te.<br />
Timothée, un anti-héros, bourgeois mondain assez laid, plaintif, paresseux <strong>et</strong> oisif,<br />
reçoit un accueil très favorable. Cela est sans nul doute dû au talent de dessinateur<br />
de Bourgeois, qui possède un sens <strong>du</strong> strip assez rare : l’expressivité <strong>et</strong> le rythme de<br />
ses planches sont indéniables. Si les gags sont de qualité variable, le succès ne se<br />
dément pas. Face à c<strong>et</strong>te réussite, les autres journaux emboîtent bien sûr le pas <strong>et</strong><br />
un grand nombre de strips sont alors publiés, jamais avec autant de succès. En fait,<br />
pour qu’une bande dessinée reçoive un aussi bon accueil, il faut attendre février<br />
1905. À c<strong>et</strong>te époque, Albéric Bourgeois quitte La Patrie pour rejoindre La Presse.<br />
Il y reprend les aventures <strong>du</strong> Père Ladébauche, une oeuvre de Joseph Charlebois<br />
originellement adaptée de textes d’Hector Berthelot, une figure de la presse québécoise.<br />
C<strong>et</strong>te nouvelle série de Bourgeois prend une véritable teneur politique, le personnage<br />
fait le tour <strong>du</strong> monde, rencontre divers monarques <strong>et</strong> leur donne divers<br />
conseils avec un bon sens paysan qui assure encore une fois le succès à l’auteur. De<br />
son côté, Busnel reprend Les Aventures de Timothée <strong>et</strong> l’entraîne dans de rocambolesques<br />
voyages. Rarement la création en bande dessinée aura été aussi forte au<br />
Québec. Si la date de la première bande dessinée québécoise est assez floue, c’est<br />
bien au début <strong>du</strong> siècle, avec Bourgeois, qu’elle prend sa pleine ampleur <strong>et</strong> s’impose<br />
comme un médium d’importance. C<strong>et</strong>te effervescence, souvent nommée « l’âge d’or<br />
de la BDQ », ne <strong>du</strong>re cependant pas.<br />
En 1908 Busnel décède <strong>et</strong> Timothée cède sa place au Buster Brown de l’Américain<br />
Outcault. Rapidement, à l’image de La Presse, les journaux remplaceront les créations<br />
locales par des importations américaines, moins chères <strong>et</strong> souvent de qualité.<br />
On considère généralement que ces cinq années (1905-1909) ont à la fois marqué la<br />
naissance <strong>et</strong> le déclin de la BDQ. La Bande Dessinée locale ne disparaît pas totalement,<br />
bien sûr, mais est sensiblement freinée par les importations, qui cependant<br />
s’étiolent aussi. De manière générale, il y a simplement moins de bande dessinée dans<br />
les journaux, même si de nouvelles séries se créent. On relance même Les Aventures<br />
de Timothée sous la plume d’<strong>Art</strong>hur LeMay en 1920. Cependant, à la même<br />
période, les strips américains reviennent. C<strong>et</strong>te fois, ils sont diffusés par des syndicates<br />
qui proposent des prix dérisoires pour des séries à la qualité indiscutable, <strong>et</strong><br />
dont le fond est idéologiquement sûr. Même si certains auteurs québécois réussiront<br />
à exister, comme c’est le cas d’Albert Chartier qui débute en 1935, les auteurs québécois<br />
ne font majoritairement pas le poids <strong>et</strong> sont balayés. Le Canada ne votera<br />
jamais de lois protectionnistes comme le fera, par exemple, la France, <strong>et</strong> la BDQ<br />
entre dans la « grande noirceur » (3). C<strong>et</strong>te période au nom imagé montre bien le<br />
vide créatif de l’époque. Les seuls titres qui réussissent à se tenir sont le fruit de<br />
congrégations catholiques luttant contre l’invasion de comics jugés immoraux... Il<br />
faudra attendre les années 1970 pour voir revenir un élan créatif dans la province<br />
sous un autre nom imagé, pour le coup bien plus attrayant.<br />
73
« Le printemps de la Bande Dessinée Québécoise »<br />
Les années 1960/70 sont au Québec, comme partout, des années de bouleversement.<br />
Le désir d’un monde meilleur s’y incarne par la Révolution Tranquille, <strong>du</strong>rant<br />
laquelle le Québec affirme la volonté de prendre en main son économie, son avenir,<br />
<strong>et</strong> revendique son indépendance. Pendant ce temps, la vague de la contre-culture<br />
s’empare de tout le monde occidental. La bande dessinée en fait partie intégrante :<br />
le premier numéro <strong>du</strong> Zap Comix de Robert Crumb paraît en 1968. Le Québec va<br />
s’y m<strong>et</strong>tre. L’exportation de revues comme Pilote ou Charlie convainc les créateurs<br />
qu’une bande dessinée différente est possible, d’autant plus que les dernières revues<br />
locales, les créations d’organismes religieux, ont cessé de paraître à leur tour. Le lecteur<br />
québécois s’est donc ouvert à toutes ces expérimentations <strong>et</strong> est avide de découvertes,<br />
mais rien de notable n’apparaît encore.<br />
On parle souvent <strong>du</strong> groupe Chiendent, expérience notable de coalition de créateurs<br />
divers autour <strong>du</strong> poète Claude Haeffely en 1968. Il fédère un p<strong>et</strong>it nombre d’illustrateurs<br />
qui, ensemble, créent des bandes dessinées réellement novatrices. Mais, au<br />
bout de six mois, l’expérience s’achève face au peu d’enthousiasme des éditeurs. En<br />
1970, la publication par les éditions <strong>du</strong> Cri d’Oror 70 un manifeste psychédélique,<br />
pamphl<strong>et</strong> contre la société de consommation <strong>et</strong> pro-indépendantiste signé André<br />
Philibert, marque l’entrée de la BDQ dans le monde de la bande dessinée a<strong>du</strong>lte.<br />
Dans la vague contestataire, un grand nombre de revues se lance, l’effervescence<br />
créatrice est r<strong>et</strong>rouvée. C’est le joliment nommé Ma®de in Quebec qui ouvre le bal<br />
en 1970. Dans les fanzines <strong>et</strong> les revues qui foisonnent <strong>quelques</strong> noms connus apparaissent<br />
: Rémy Simard, Réal Godbout, Jacques Hurtubise... L’inventaire compl<strong>et</strong><br />
prendrait beaucoup de place : on trouve assez facilement sur intern<strong>et</strong> de bonnes descriptions<br />
des revues éphémères. Il n’empêche qu’on a là, fait notable, une première<br />
74
expérience d’édition par les auteurs. Malheureusement, ils se frottent <strong>vite</strong> à la réalité<br />
<strong>du</strong> marché québécois qui possède à la fois un lectorat restreint mais de plus éparpillé<br />
sur un gigantesque territoire. La diffusion est pratiquement impossible pour les<br />
auteurs <strong>et</strong> éditeurs qui n’ont pas encore de structures comme le seront Zone<br />
Convective, La Pastèque ou Mécanique Générale dans les années 1990/2000, <strong>et</strong> les<br />
subventions sont rares. Quelques albums peu remarquables, tel Bojoual le Huron<br />
kébékois de J. Guilemay, pointent le bout de leur nez.<br />
La renaissance paraît bien timide, mais elle arrive. En eff<strong>et</strong>, les auteurs qui ont<br />
essuyé les plâtres de l’auto-édition en ont r<strong>et</strong>iré des leçons. Ils se réunissent de nouveau<br />
<strong>et</strong> se structurent afin de lancer des revues à tirage moins confidentiel, <strong>et</strong> en<br />
ayant c<strong>et</strong>te fois conscience des réalités <strong>du</strong> marché. Ainsi, les équipes de trois fanzines<br />
qui avaient périclité, Ma®de in Quebec, L’Hydrocéphale illustré <strong>et</strong> Kébec<br />
Poudigne, s’unissent sous l’égide de Jacques Hurtubise <strong>et</strong> de Pierre Fournier pour<br />
créer les éditions de l’Hydrocéphale entêté. Le Capitaine Kébec, d’Hurtubise, dont<br />
le premier album sort en 1973, deviendra une figure de l’imaginaire québécois. De<br />
son côté, la « Coopérative des p<strong>et</strong>its dessins » tente de m<strong>et</strong>tre sur pied un véritable<br />
syndicate québécois en vendant aux journaux des pages de strips d’auteurs locaux.<br />
Bien qu’assez favorablement reçue, l’entreprise ne <strong>du</strong>re que de 1974 à 1976, le journal<br />
indépendantiste Le Jour étant le seul à suivre la démarche. Les bandes dessinées<br />
européennes reviennent à la charge, fortes de leur succès en albums, <strong>et</strong> reprennent<br />
de la place dans les journaux. Progressivement, on commence à parler un peu de la<br />
bande dessinée québécoise <strong>et</strong>, en 1975, a lieu le premier festival de Bande Dessinée<br />
de Montréal. Mais dans sa volonté internationale, il reste surtout une plateforme<br />
de rencontre pour les auteurs québécois cherchant à s’exporter, notamment chez<br />
Dargaud. La « Grande rétrospective de la Bande Dessinée québécoise » que le Musée<br />
d’art contemporain de Montréal monte en 1976 est plus révélatrice d’un enthousiasme<br />
réel. De la même manière, la parution de BDK, une numéro spécial de la<br />
75
Life as a Foot, Conundrum, 2007) <strong>et</strong> introuvable en France. En attendant une<br />
anthologie qui perm<strong>et</strong>tra au public de découvrir c<strong>et</strong> auteur vraiment passionnant, il<br />
est toujours possible de se reporter à ses <strong>quelques</strong> planches publiées de notre côté<br />
de l’océan dans Ferraille Montréal, Comix 2000, Stripburger, La Monstrueuse ou<br />
Crash <strong>et</strong> de lire ses pages réalisées pour les 24h de la BD de Montréal (8).<br />
David Turgeon<br />
Ce touche-à-tout est né en 1975 près de Québec. Dessinateur compulsif, musicien<br />
électronique <strong>et</strong> graphiste, il a crée une œuvre forte <strong>et</strong> rare dont la cohérence n’a<br />
d’égale que l’originalité. La Muse récursive, Minerve, Printemps Lunaire : titres<br />
énigmatiques pour des œuvres qui le sont tout autant. Feuill<strong>et</strong>oniste intarissable <strong>et</strong><br />
hal<strong>et</strong>ant, Turgeon est une des rares personnes qui, bien que ne sachant pas s’arrêter,<br />
ne lasse pas. Des héros incongrus, des figures tirées de diverses mythologies,<br />
latine ou populaire, un graphisme j<strong>et</strong>é, éclaboussé <strong>et</strong> pourtant parfaitement à sa<br />
place dans ces pages : voilà ce qui caractérise David Turgeon, qui crée ce qu’on<br />
appelle une œuvre. Il est difficile de savoir quel pli elle prendra, mais la personnalité<br />
<strong>et</strong> la qualité de l’ensemble sont indiscutables <strong>et</strong> dénuées de redondances. Par ailleurs,<br />
David Turgeon est critique sur <strong>du</strong>9.org, assurément le meilleur site sur la<br />
bande dessinée, <strong>et</strong> nourrit sa création d’une réflexion sur le milieu. Sans concession<br />
dans toutes ses positions, qu’elles soient critiques, musicales ou dessinées, David<br />
86
Turgeon est une découverte qu’il est, une fois faite, difficile de quitter.<br />
À lire : Minerve ou l’histoire de l’Europe (Mécanique Générale, 2006). Un livre<br />
que je serais bien incapable de résumer <strong>et</strong> qui pourtant a été un de mes chocs de<br />
l’année (oui, je l’ai lu avec un peu de r<strong>et</strong>ard). Il faut dire que le dessin me rebutait.<br />
Je n’ai rien contre le dessin vif ou l’esquisse , mais ce travail avait de quoi laisser pantois.<br />
Improvisé en deux semaines au crayon à papier, ce récit à tiroirs s’imbrique,<br />
déborde, explose <strong>et</strong> est radicalement différent de tout ce qu’il m’a été donné de lire<br />
jusqu’ici. Face à la furie d’un Fantasio d’opér<strong>et</strong>te, la déesse de la guerre, lasse,<br />
raconte ses déboires, déambule tandis que d’étranges personnages commentent l’action<br />
en direct. Aujourd’hui, David Turgeon poursuit le récit sur le site GRAND-<br />
PAPIER. Tout était pourtant achevé, rien n’était clos. Chez Turgeon, rien n’est<br />
artificiel, Minerve est une réussite, une p<strong>et</strong>ite bombe passée trop inaperçue. Tout<br />
simplement une réussite.<br />
La richesse culturelle de la Bande Dessinée Québécoise ne se situe pas dans sa partie<br />
émergente mais bien dans le foisonnement éditorial alternatif <strong>et</strong> dans les<br />
recherches de c<strong>et</strong>te bande dessinée d'auteur qui est en train de se forger une identité<br />
forte, n<strong>et</strong>tement perceptible même de ce côté de l'Atlantique.<br />
Maël Rannou<br />
Merci beaucoup à David Turgeon, qui a bien voulu à répondre à mes questions sur le statut d’auteur au<br />
Québec, <strong>et</strong> à Mario Beaulac, professeur à l’Université de Bandes Dessinées <strong>du</strong> Québec en Outaouais qui<br />
m’a éclairé sur le suj<strong>et</strong>.<br />
Merci à Michel Viau pour l’envoi des illustrations concernant la partie historique de c<strong>et</strong> article [NDLR]<br />
Notes<br />
(1) La Belle Province, dessin d’Achdé <strong>et</strong> scénario de Laurent Gerra. Dans c<strong>et</strong> accablant album, le<br />
« comique » entraîne Lucky Luke au Québec, occasion pour lui de se moquer lourdement de l’accent, de<br />
placer x blagues montrant une connaissance de la province limitée à des clichés touristiques <strong>et</strong> de faire<br />
croquer Céline Dion par son comparse.<br />
(2) Il a récemment écrit un article dans la revue Formule, nouvelle revue critique des éditions Mécanique<br />
Générale, qui a l’avantage non négligeable d’être facilement disponible en France. Espérons que ça<br />
<strong>du</strong>rera ! Une autre critique, Mira Falardeau, qui dispose d’une bonne couverture médiatique, a publié<br />
en 2008 une nouvelle version de son Histoire de la bande dessinée québécoise. Si la maqu<strong>et</strong>te, l’iconographie<br />
<strong>et</strong> le style ont été améliorés depuis l’ancienne version, il reste que c<strong>et</strong> ouvrage fait nombre d’impasses<br />
sur des passages majeurs <strong>et</strong> il m’a été vivement déconseillé par divers acteurs de la scène de la BDQ. Pour<br />
exemple, quelqu’un comme Julie Douc<strong>et</strong> n’est mentionnée que sur <strong>quelques</strong> pages <strong>et</strong> présentée comme<br />
mineure ! De manière générale, l’auteure défend une vision de la bande dessinée qui n’est pas celle de la<br />
création <strong>et</strong> de l’œuvre d’auteur.<br />
(3) Il faut cependant noter une loi votée en 1940 limitant les importations de marchandises « non essentielles<br />
» venues des Etats-Unis, parmi lesquelles les comic books. Les éditeurs canadiens anglophones en<br />
profitèrent pour lancer leurs propres créations originales, qui disparurent <strong>quelques</strong> années après la fin de<br />
la Seconde Guerre mondiale. (NDLR)<br />
(4) Est-il nécessaire de renvoyer à Plates-bandes <strong>et</strong> aux multiples articles sur le suj<strong>et</strong> que l’on a pu trouver<br />
ici ou dans diverses autres revues critiques <br />
(5) Même si on peut saluer la création en 2008 <strong>du</strong> Master en Bande Dessinée à Angoulême, faisant suite<br />
à la licence créée il y a <strong>quelques</strong> temps.<br />
(6) http://www.premiereslignes.ca<br />
(7) Ab bédex compilato, L’Association, 2008.<br />
(8) http://24hbd.choq.fm<br />
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es 24 heures M<br />
e la bande<br />
essinée<br />
d
e<br />
ONT<br />
Compte ren<strong>du</strong><br />
d’une 1 ère édition<br />
réal<br />
2 Juin 2008. Au lendemain de la première édition des 24 heures, assis à une large<br />
table de bois dans un bar de Montréal nommé La Quincaillerie, une dizaine d’entre<br />
nous, auteurs <strong>et</strong> bénévoles, se réunissent une dernière fois. Demain, le Français<br />
Boul<strong>et</strong> rejoindra Paris (non sans avoir goûté aux joies d’une dernière poutine) <strong>et</strong> le<br />
Belge David Libens prendra le train pour les États-Unis, où vit sa belle-famille. Mais<br />
pour ce soir encore, nos conversations s’accrochent au sentiment d’enthousiasme qui<br />
nous a fait veiller ensemble – un peu comme une famille, oui, la p<strong>et</strong>ite famille de la<br />
bande dessinée québécoise – toute une nuit. Catherine Lepage, (12 mois sans intérêt,<br />
journal d’une dépression) a exploré, dans l’histoire qu’elle vient d’écrire, un tout<br />
nouveau style, davantage BD, utilisant même ses surligneurs fluo. « Ça m’a tellement<br />
inspirée les 24 heures, j’ai envie de créer, j’ai plein de nouvelles idées ! » : dans<br />
ces paroles <strong>et</strong> <strong>quelques</strong> autres, l’équipe organisatrice de l’événement vient de trouver<br />
un sens à ce qu’elle a fait.<br />
Créer un événement BD à Montréal<br />
Tout commence à l’automne 2007. Christophe Magn<strong>et</strong>te <strong>et</strong> moi-même, Julie<br />
Delporte, animions depuis six mois une émission de radio autour de la bande dessinée,<br />
Dans ta bulle, sur les ondes de la radio universitaire CHOQ.FM. Nous y invitons<br />
de nombreux auteurs québécois <strong>et</strong> <strong>quelques</strong> étrangers de passage. Nous parlions<br />
souvent <strong>du</strong> fait qu’il soit étonnant <strong>et</strong> dommage que Montréal, pourtant capitale<br />
culturelle québécoise, n’abrite plus aucun festival de bande dessinée.<br />
La dernière édition de BD Montréal s’était tenue en été 2006. Organisé en marge<br />
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numéro est paru à l’automne 2007. Cependant, les aléas <strong>du</strong> secteur de l’édition – la<br />
maison des 400 coups, au sein de laquelle évolue la collection bande dessinée<br />
Mécanique Générale, a été récemment rach<strong>et</strong>ée par les éditions pédagogiques<br />
Caractère – laissent c<strong>et</strong>te publication incertaine.<br />
Quoi qu’il se passe au printemps prochain, le but de notre organisme est de contribuer<br />
à faire vivre la bande dessinée d’auteur québécoise, dans sa propre province<br />
comme à l’étranger, en ces temps inquiétants où le gouvernement conservateur canadien,<br />
qui vient tout juste d’être réélu, ré<strong>du</strong>it doucement les budg<strong>et</strong>s alloués aux<br />
domaines culturels.<br />
Julie Delporte<br />
Mélanie Baillairgé, Chasse<br />
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Boul<strong>et</strong>, Sirènes<br />
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Jimmy Beaulieu, La clairière
David Libens, Le roi de l’esquive<br />
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CXC