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60 PRENDRE UN TEMPS D’AVANCE 2 Pour autant, quelques organisations et beaucoup de petites structures témoignent d’une robuste capacité à innover et à anticiper les attentes du marché au point qu’il est possible d’isoler quelques bonnes pratiques. Même si les mettre en œuvre reste un art difficile ! Anticiper = favoriser l’émergence des innovations et tenter d’organiser l’inorganisable Il est assez aisé de créer un environnement propice à l’indiscipline, donc, croit-on, à l’innovation, mais l’expérience prouve que la démarche est difficilement généralisable à l’entreprise dans son ensemble (ainsi, dans les années 1980-1990, la vague d’intrapreneurship à grande échelle a rapidement montré ses limites). Dès lors, l’idée fait son chemin que cet effort doit être confié à de petites structures mobiles, y compris à l’intérieur des grands groupes. De ce point de vue, la constitution d’équipes multidisciplinaires, de cultures et d’horizons variés, apparaît comme une bonne pratique en émergence. Ces équipes, relativement peu nombreuses (généralement une douzaine de collaborateurs de haut niveau), viennent en appui des équipes de ventes ou de marketing (plus rarement des équipes industrielles ou en charge de la logistique) et ont pour mission de détecter les signaux faibles qui annoncent, pourvu qu’on y soit attentif, les transformations du marché et les changements de comportement d’achat ou d’usage. Ainsi, à la différence des tables rondes clients, qui à l’expérience se révèlent inefficaces à identifier les « bénéfices clients non satisfaits », la constitution de petites équipes pluridisciplinaires, rompues à l’exercice de décomposition des attentes du (ou plutôt des) marché(s) et dont la composition évolue chaque fois qu’un de ses membres intègre une direction fonctionnelle de l’entreprise (un renouvellement par tiers tous les trois ans apparaît comme un bon équilibre), sera autrement plus féconde. Non seulement l’objectif d’anticipation des attentes clients sera atteint, mais chaque « transfuge » ensuite intégré dans la structure classique de l’entreprise assurera au passage le transfert de compétences de l’équipe « innovation » au sein des directions de l’entreprise. Elle contribuera ainsi à faire souffler un vent d’innovation dans la structure ou, en tout cas, la culture de l’initiative et de la prise de risque. L’innovation n’est pas en effet un phénomène isolé, en suspension dans l’air, elle est surtout le fruit d’un processus qui suppose l’échange, la confrontation à l’autre, ce qui avait fait dire à un responsable de centre de recherche que sa capacité d’innovation était une fonction exponentielle du nombre de machines à café et que celles- La constitution d’équipes multidisciplinaires, de cultures et d’horizons variés, apparaît comme une bonne pratique en émergence. LES CAHIERS ERNST & YOUNG
2 PRENDRE UN TEMPS D’AVANCE 61 ci méritaient bien de trôner en bonne place dans l’architecture intérieure ! Disposer d’une organisation « client centric » fait également partie des idées reçues comme étant une bonne pratique de management pour favoriser l’innovation. Pour autant, il s’agit de savoir de quoi on parle. Ici, ce n’est pas tant l’organisation ou l’aptitude de l’entreprise à disposer d’un outil de gestion de la relation client (CRM) qui est en cause, qu’une erreur de « focus » : faire le point sur un détail que l’on a devant les yeux grâce à l’outil CRM sera certainement utile à l’amélioration du produit ou du service, mais inefficace s’il s’agit de faire émerger une innovation sur ce produit ou ce service. Le CRM décompose en effet les groupes de clients en fonction de critères objectifs comme la taille du chiffre d’affaires, la localisation géographique, la récurrence des achats, le circuit de distribution, l’âge du client, le sexe, mais rarement en fonction des comportements d’achat et des communautés de clients : or, ce sont les communautés qui dictent les évolutions de comportements à l’intérieur d’un groupe. D’où, par exemple, les déconvenues associées à des stratégies de lancement d’un produit ou d’un service innovant fondées sur les avantages que procure l’innovation à partir d’une analyse trop frustre adossée sur le seul CRM. De nombreux échecs dans la mise sur le marché d’une innovation proviennent en effet d’une absence (ou insuffisance) d’anticipation de la résistance au changement, autrement dit plus le produit est innovant, plus la résistance à l’innovation peut être fatale. Contraire- ment aux idées reçues, les clients ne sont pas d’abord demandeurs d’innovations (en tant que telles) ; celles-ci s’imposent, grâce à un marketing spécifique et à l’effet boule de neige, plus souvent qu’elles ne sont tirées par les clients. Le passage du « nice to have » au « must have » s’anticipe en étant plutôt à l’écoute des sources de résistance à l’innovation, au changement de comportement, comme s’anticipe l’innovation en écoutant les signaux faibles des marchés. Un point mérite encore d’être souligné dans ce qui domine la subtile dialectique entre innover et anticiper : il s’agit de la nécessaire mise en tension d’une équipe ou d’une organisation, un peu comme si les ingrédients d’une bonne recette (celle de l’innovation) ne suffisaient pas dès lors qu’on oublierait d’allumer le feu sous la casserole et de remuer régulièrement. Cette mise sous tension requiert un dosage délicat, car engendrer de l’inquiétude (sur l’avenir de l’équipe ou des individus, par exemple) est peu propice à une bonne qualité d’écoute et de créativité. Toutefois, à l’inverse, un trop grand « confort » se révèle bien souvent stérile, comme si l’existence d’un déséquilibre constituait une condition sine qua non pour stimuler la capacité d’innovation d’un individu ou d’une équipe. Cette tension dynamique est régulièrement citée comme l’explication fondamentale de la capacité d’innovation des petites structures versus les grands groupes : « j’ai bien cru qu’on y arriverait pas, il a fallu s’accrocher mais sinon, on disparaissait » et dans cette LES CAHIERS ERNST & YOUNG
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