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Migration et gouvernance urbaine : deux thématiques ... - Groupe URD

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<strong>Migration</strong> <strong>et</strong> <strong>gouvernance</strong> <strong>urbaine</strong> : <strong>deux</strong> <strong>thématiques</strong><br />

fondamentales <strong>et</strong> indissociables dans le cadre de la<br />

reconstruction de la ville de Port-au-Prince<br />

Richener NOEL, <strong>URD</strong><br />

Avril 2012<br />

Résumé<br />

Les villes haïtiennes se trouvent présentement dans une situation très cruciale. Déjà sousdéveloppé,<br />

Port-au-Prince a été surpris dès les premiers moments des grands flux migratoires<br />

des années 60 <strong>et</strong> 70. Aujourd’hui encore, les questions d’habitat, d’infrastructure <strong>urbaine</strong>, de<br />

planification <strong>urbaine</strong> <strong>et</strong> de développement urbain sont toujours d’actualité <strong>et</strong> se posent dans<br />

les mêmes termes qu’à c<strong>et</strong>te période. Sinon, la situation a dégénéré jusqu’à devenir<br />

apparemment irrémédiable. Une transition <strong>urbaine</strong> qui n’en finit pas. Ce propos tente de<br />

montrer que la migration rurale évoquée à tort <strong>et</strong> à raison n’est pas la raison du maldéveloppement<br />

de la ville. L’exode rural est au contraire intégré dans le contexte d’un<br />

processus historique <strong>et</strong> sociologique de quête de mieux-être des populations rurales. L’échec<br />

urbain à Port-au-Prince <strong>et</strong> en Haïti en général s’explique par le fait que les politiques ne<br />

pouvaient comprendre que la non-intégration des migrants dans un cadre productif formel<br />

ou légal, l’absence de planification <strong>urbaine</strong> <strong>et</strong> de fortes institutions pouvaient déboucher sur<br />

un processus d’auto-occupation très corsé de l’espace <strong>et</strong> une organisation adaptée à c<strong>et</strong>te<br />

réalité. Et, le « poteau-mitan» de ce processus de reconstruction est le remembrement des<br />

institutions territoriales de <strong>gouvernance</strong> <strong>urbaine</strong>.<br />

1


Sommaire<br />

Introduction ................................................................................................................................. 3<br />

1. Éléments historiques <strong>et</strong> caractéristiques de la migration en Haïti ........................................... 5<br />

« La traite verte » : ................................................................................................................... 5<br />

Vers l’Amérique du nord <strong>et</strong> l’Europe avant 1950 ........................................................................ 5<br />

Deuxième moitié du XXe siècle :................................................................................................ 5<br />

2. Contexte <strong>et</strong> facteurs de la migration : pauvr<strong>et</strong>é, désenchantement de la paysannerie,<br />

changement culturel <strong>et</strong> nécessité de l’amélioration de cadre de vie ............................................... 7<br />

Des changements culturels ....................................................................................................... 8<br />

3. La migration vers Port-au-Prince ............................................................................................... 9<br />

L’ère de la migration vers les villes haïtiennes ........................................................................... 9<br />

4. Eff<strong>et</strong> de la migration sur le développement de la ville .............................................................. 12<br />

5. Renforcement des structures de <strong>gouvernance</strong> <strong>urbaine</strong> ............................................................ 15<br />

Aux faiblesses structurelles <strong>et</strong> institutionnelles ....................................................................... 15<br />

Vers la valorisation des connaissances <strong>et</strong> des techniques de planification au service de la gestion<br />

<strong>urbaine</strong>. ................................................................................................................................. 17<br />

Conclusion : ............................................................................................................................... 18<br />

Bibliographie .............................................................................................................................. 19<br />

2


Introduction<br />

Dans les pays du nord, le XIX e siècle marque le début de l’époque de l’urbanisation. Les<br />

paysans, attirés par les nouveaux débouchés apportés par l’industrialisation, envahissent les<br />

villes <strong>et</strong> y provoquent un important bouleversement. La gestion de ces espaces devenus très<br />

grands <strong>et</strong> assez complexes se pose alors comme un grand défi <strong>et</strong> les problèmes liés à l’urbain<br />

deviennent de véritables préoccupations des politiques <strong>et</strong> des scientifiques. C<strong>et</strong>te<br />

préoccupation n’a toutefois pas véritablement infléchi l’élan attractif de la ville (Bailly, Huriot<br />

<strong>et</strong> al : 1999). Et les nombreuses crises qu’ont connues les villes ont certes causé des<br />

mouvements importants <strong>et</strong> de graves problèmes (environnemental, économique <strong>et</strong> social),<br />

mais ne les m<strong>et</strong>tent pas en question comme cadre spatial, culturel <strong>et</strong> social de vie le plus<br />

prisé de nos époques.<br />

En Haïti, comme dans la plupart des villes du Sud, ce phénomène est relativement récent.<br />

Avant 1950, aucun signal n’avait présagé un essor ou prototype urbain tel qu’on le connaît<br />

aujourd’hui dans le pays ; les villes n’attiraient pas autant de ruraux. La forte dynamique<br />

migratoire rurale connue, avant c<strong>et</strong>te période, concernait surtout d’autres pays de la région.<br />

C<strong>et</strong>te date est pourtant charnière quant à l’évocation d’une ère marquée par un gain<br />

d’intérêt progressif pour la ville en Haïti.<br />

Cependant, l’ampleur que prend chaque jour l’occupation sauvage <strong>et</strong> excessive des espaces<br />

inappropriés dans la région métropolitaine de Port-au-Prince est révélatrice d’un grand<br />

malaise, on dirait d’une grande crise, du passage massif à l’urbain dans le pays. Les contextes<br />

étant différents, l’urbanisation n’a pas produit à tous les niveaux les mêmes eff<strong>et</strong>s que dans<br />

d’autres pays de la région de l’Amérique latine, dont la réalité est comparable à celle d’Haïti<br />

sur bien des points. On se pose actuellement les questions « que faire pour éviter que<br />

d’autres migrants continuent à arriver», « que deviendra c<strong>et</strong>te ville dans cinq ou dix ans ».<br />

Certaines activités d’aide aux cultivateurs n’ont pour perspective que de stopper ou, du<br />

moins, d’amortir l’élan des gens vers la ville. C<strong>et</strong>te approche est-elle la bonne <br />

La migration est définie comme tout déplacement d'une personne ou d'un groupe de<br />

personnes, soit entre pays, soit dans un pays entre <strong>deux</strong> lieux situés sur son territoire. La<br />

notion de migration englobe tous les types de mouvements de population impliquant un<br />

changement du lieu de résidence habituelle, quelles que soient leur cause, leur composition,<br />

leur durée, incluant ainsi notamment les mouvements des travailleurs, des réfugiés, des<br />

personnes déplacées ou déracinées (OIM). L’exode rural en Haïti, le vol<strong>et</strong> le plus important<br />

de la migration, n’a pas été motivé par l’industrialisation ni par une forte demande de maind’œuvre<br />

dans le secteur des services dans les villes haïtiennes, comme ce fut le cas dans les<br />

villes du Nord – les villes haïtiennes n’ont jamais été attractives. Les ruraux n’ont pas été<br />

accueillis dans des conditions leur perm<strong>et</strong>tant de répondre à leur besoin d’emploi, ce qui<br />

accentue une situation de misère <strong>urbaine</strong>. C<strong>et</strong> attrait pour la ville doit être expliqué, bien<br />

sûr, par c<strong>et</strong>te quête de mieux être (éducation, emploi, accès au service de base, <strong>et</strong>c.), mais<br />

aussi par la dégradation avérée <strong>et</strong> le contexte de désenchantement de la vie rurale. La ville,<br />

en dépit de ses faiblesses, semble représenter un bien meilleur espace de combat pour la<br />

survie. C’est peut-être la raison pour laquelle les villes continuent d’attirer plus de monde.<br />

Le séisme du 12 janvier 2010 a envenimé davantage la situation. La catastrophe a mis à nu<br />

3


les faiblesses organisationnelles, le manque de planification <strong>et</strong> l’absence des politiques<br />

publiques en matière d’urbanisme, qui dans de rares cas où elles existent ne peuvent être<br />

appliquées, pour cause de manque de cadre opérationnel. D’ailleurs, beaucoup de gens, à<br />

Port-au-Prince ém<strong>et</strong>tent l’hypothèse d’une augmentation de la population dans la capitale<br />

après le séisme. Ils se basent sur l’idée que l’afflux de l’aide humanitaire, la possibilité de<br />

s’établir modestement dans n’importe quel espace sans la moindre contrainte, pourraient<br />

être, entre autres, des facteurs d’intensification de l’attraction des gens dans la zone<br />

métropolitaine.<br />

Au niveau des autorités haïtiennes, elles ont émis l’idée que le séisme doit être une bonne<br />

occasion pour repenser le cadre urbain de la capitale. Deux ans après, elles semblent<br />

s’écarter de ce discours, car il s’avère plus difficile de traduire les intentions en des proj<strong>et</strong>s<br />

élaborés. En même temps, les gens, des acteurs eux aussi du processus, ont leurs propres<br />

stratégies. Ils sont capables d’apprivoiser le territoire urbain par eux-mêmes <strong>et</strong> de défier les<br />

autorités de leur plan. Le problème est donc plus corsé <strong>et</strong> les solutions semblent dépendre<br />

d’actions plus concertées <strong>et</strong> décisives.<br />

Quel est l’historique <strong>et</strong> le sens de la migration rurale à Port-au-Prince Quels sont ses<br />

impacts sur le développement de la ville Comment faire en sorte que l’envahissement des<br />

rurbains ne soit pas davantage une occasion une de chute pour la Capitale <strong>et</strong> ainsi limiter les<br />

dégâts dans l’éventualité d’une prochaine catastrophe<br />

Dans c<strong>et</strong> article, nous tenterons donc de procéder à l’intelligibilité de ce binôme migration <strong>et</strong><br />

reconstruction <strong>urbaine</strong>, en parlant renforcement des institutions territoriales, à Port-au-<br />

Prince. Nous aborderons le dysfonctionnement institutionnel <strong>et</strong> ses impacts sur l’occupation<br />

de l’espace par les rurbains. Ainsi, sous un angle fonctionnel <strong>et</strong> de manière analytique, nous<br />

allons montrer que la migration n’est pas la raison du mal développement de la ville. L’exode<br />

rural au contraire doit être situé dans le contexte d’un processus historique, peut-être<br />

irréversible. Pour le besoin de l’analyse, nous présumons qu’il est nécessaire pour<br />

approvisionner la ville en travailleurs, d’une part ; parce que, le milieu rural ne saurait<br />

assurer le bien-être des populations, d’autre part. Notre propos constitue aussi un plaidoyer<br />

pour une réflexion plus approfondie sur la migration interne en Haïti en ce moment<br />

d’incertitude sur la voie à suivre pour la reconstruction.<br />

On verra que notre concept s’articulera autour du renforcement institutionnel <strong>et</strong> structurel<br />

des gouvernements locaux comme étape fondamentale <strong>et</strong> transversale à toutes les actions<br />

du processus de reconstruction dans la capitale.<br />

4


1. Éléments historiques <strong>et</strong> caractéristiques de la migration en Haïti<br />

« La traite verte » : La question migratoire a été véritablement posée en Haïti, un peu après<br />

l’occupation étasunienne de 1915. Le processus de remembrement des grands domaines<br />

situés dans les grandes plaines du pays a conduit à la ferm<strong>et</strong>ure de nombreuses p<strong>et</strong>ites<br />

entreprises agricoles <strong>et</strong> familiales desquelles vivaient bon nombre de paysans sans terre.<br />

C<strong>et</strong>te situation a fabriqué un prolétariat rural d’un genre nouveau 1 . En conséquence, un<br />

nombre croissant de paysans, dépossédés ou éjectés de leurs anciennes activités <strong>et</strong> de leur<br />

terre, ont été contraints de se rendre massivement vers la République Dominicaine <strong>et</strong> Cuba.<br />

Ces <strong>deux</strong> pays possédaient déjà des mises en place agro-industrielles capitalistes qui<br />

nécessitaient de la main-d’œuvre haïtienne à bon marché pour répondre à leurs besoins en<br />

denrées (Casimir : 2006). D’après Lundhal (1982), entre 1913 <strong>et</strong> 1932, plus de 400 000<br />

haïtiens se rendent ainsi à Cuba, <strong>et</strong> presque autant vers la République Dominicaine. En tout,<br />

de 1911 à 1937, on a dénombré 223 843 cas de migration légale rien que vers Cuba. Il est à<br />

remarquer que c<strong>et</strong>te force de travail a été utilisée dans des conditions d’exploitation<br />

maximale dans les plantations de canne à sucre. Ces modalités de travail ont même été<br />

souvent comparées à l’esclavage (Corten : 1972, cité par (Icart : 1997). Les procédés de<br />

voyage, de gestion <strong>et</strong> de traitement des migrants ont été très macabres. C<strong>et</strong>te migration<br />

n’ayant rapport qu’à la saison de la récolte de la canne a pris le nom de « traite verte ». Ces<br />

questions ne sont pas l’obj<strong>et</strong> de ce papier, si ce n’est pour placer la migration dans une<br />

perspective historique.<br />

Constituée de jeunes pour la plupart, c<strong>et</strong>te migration saisonnière massive bouleversa<br />

énormément la vie rurale haïtienne. Elle a aussi fragilisé les sociétés d’accueil <strong>et</strong> engendré<br />

des comportements répulsifs, suite à la crise du sucre connue après les années 30. On allait<br />

ainsi assister à la déportation des Haïtiens qui cherchaient à s’y adapter de manière<br />

permanente ; plus de 8 000 cas en juill<strong>et</strong> 1934, plus de 30 000, entre 1936 <strong>et</strong> 1937, sont<br />

recensés, auxquels il faut ajouter des cas de tortures, de persécution <strong>et</strong> même d’assassinats.<br />

En République Dominicaine, la situation dégénéra jusqu’au point culminant du massacre<br />

d’environ 15 000 Haïtiens en 1937. En 1938, il ne restait que 80 000 Haïtiens à Cuba contre<br />

60 000 en République Dominicaine. À Cuba, bien que le flux migratoire ne perdura pas audelà<br />

des années 60, il reste une importante communauté constituée majoritairement de<br />

descendants d’Haïtiens migrés à c<strong>et</strong>te période (données tirées de Walter F. Wilcox : 1969,<br />

Mats Lundhal : 1982, Suzy Castor : 1971 par Icart, idem p. 36).<br />

Vers l’Amérique du nord <strong>et</strong> l’Europe avant 1950 : A partir de 1930, le phénomène de<br />

migration scolaire de la classe moyenne haïtienne vers l’Europe prend de l’ampleur. Et à<br />

partir de 1940, l’Amérique du Nord commence elle aussi à attirer les Haïtiens ; on comptait<br />

alors une communauté haïtienne de plus de 5 000 personnes à New-York.<br />

Deuxième moitié du XXe siècle : Sous le régime des Duvalier, la migration haïtienne<br />

s’intensifie encore davantage. Entre 1960 <strong>et</strong> 1970, les courants migratoires d’Haïtiens vers<br />

Bahamas, Venezuela <strong>et</strong> les Antilles françaises sont assez considérables. Les Haïtiens partent<br />

1 Dorvilier Fritz, Les causes de la crise de la transition démographique en Haïti : une analyse néoinstitutionnelle,<br />

http://www.google.ht/urlsa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCMQFjAA&ur<br />

l=http%3A%2F%2Fwww.uclouvain.be%2Fcps%2Fucl%2Fdoc%2Fdemo%2Fdocuments%2FDorvillier.pdf&ei=14<br />

aIT-ioLIn49QSVoZz6CQ&usg=AFQjCNH2TCRLutPi8ZGvcItuwajKNAN96Q, consulté le 10 avril 2010.<br />

5


dans les quatre directions. Il s’agit de plusieurs types de migrations : migration scolaire,<br />

migration permanente, migration à relais, migration d’exil, migration légale <strong>et</strong> illégale, <strong>et</strong>c.<br />

La décennie des années 60 marque le début de l’ère de la fuite des cerveaux d’Haïti. « Vers<br />

le milieu des années 60, 80% des professionnels haïtiens se trouvaient à l’étranger : l’OEA <strong>et</strong><br />

l’ONU avaient plus d’économistes haïtiens sur leurs listes de paye que le Gouvernement<br />

haïtien. En 1969, seulement 3 des 246 diplômés de la Faculté de Médecine de l’Université<br />

d’État d’Haïti, entre 1959 <strong>et</strong> 1969, pratiquaient dans le pays. Entre 1970, il y avait plus de<br />

médecins haïtiens à New York ou à Montréal qu’en Haïti (King, cité par Icart, Idem, p. 38) ».<br />

Parallèlement à ces migrants de la classe moyenne <strong>urbaine</strong> qui partent plus ou moins sur<br />

une base légale, les données sont plus qu’abondantes pour décrire l’énormité de gens qui<br />

prennent des options illégales <strong>et</strong> informelles vers la République Dominicaine, Cuba,<br />

l’Amérique du Nord <strong>et</strong> les Antilles. Les boat-people sont les migrants irréguliers les plus<br />

célèbres. Il n’est pas facile aujourd’hui de faire le décompte d’Haïtiens ou de leurs<br />

descendants à l’étranger; le ministre des Haïtiens vivant à l’étranger en estime le nombre à 4<br />

millions en 2010, soit plus de 3 Haïtiens sur 10.<br />

Graphique 1 : vue générale des flux migratoires des Haïtiens avec les principales dates<br />

jusqu’à 1980 2<br />

Ce graphique nous montre qu’un nombre significatif d’Haïtiens se trouvaient dans les pays<br />

de l’Afrique de l’ouest nouvellement indépendants. Ces Haïtiens pour la plupart allaient se<br />

2 Georges Anglade (1982). Espace <strong>et</strong> liberté. Éditons ERCE, Montréal : Version numérique disponible en ligne,<br />

file:///D:/0212OH_Data/0212OH_<strong>URD</strong>/Bureau/<strong>Migration</strong>%20en%20Ha%C3%AFti/atlas_critique_haiti_intro.ht<br />

ml, consulté le 8 avril 2012.<br />

6


trouver quelques années après en Amérique du Nord.<br />

La migration n’est donc pas un phénomène nouveau, pas plus que ne le sont ses eff<strong>et</strong>s sur la<br />

société. Elle implique des gens de plusieurs catégories sociales 3 . « Nul n’est plus important<br />

dans l’Haïti contemporaine que l’émigration (Girault ; 1975, cité par Icart) ».<br />

2. Contexte <strong>et</strong> facteurs de la migration : pauvr<strong>et</strong>é, désenchantement de la<br />

paysannerie, changement culturel <strong>et</strong> nécessité de l’amélioration de cadre de<br />

vie<br />

Sur le plan économique sévit dans les milieux ruraux une très n<strong>et</strong>te décroissance. Ce constat<br />

a été fait dès le XIXe siècle, mais la situation allait s’aggraver à partir des années 50. La<br />

dépravation environnementale dont l’érosion des sols, l’augmentation de la population qui<br />

engendre la diminution de l’espace moyen cultivable par paysan (moins d’un hectare en<br />

moyenne par habitant vers la fin du XXe siècle), l’archaïsme des techniques <strong>et</strong> des moyens<br />

de productions agricoles, les problèmes fonciers, les mauvais choix ou le déficit en matière<br />

de politiques agricoles sont parmi les causes de c<strong>et</strong>te paupérisation. L’agriculture de type<br />

extensif caractérisée par la jachère ne peut aucunement assurer un niveau de vie décent au<br />

cultivateur <strong>et</strong> à sa famille.<br />

À noter que le pays en entier vit depuis 1950 une décroissance économique progressive <strong>et</strong><br />

remarquable. À l’exception des années 70, on a toujours chiffré des taux de croissance<br />

négatifs du PIB national (-2,0% de 1980 à 1990, <strong>et</strong> de -2,7% de 1990 à 2000). En même<br />

temps, on assiste à la réduction de la contribution du secteur agricole dans la richesse<br />

nationale, qui regroupe à lui seul plus de 49% des actifs global du pays <strong>et</strong> de 93% en milieu<br />

rural; elle est passée de 30,9% en 1996 à 26,2% en 2000, à 25,4% en 2006 <strong>et</strong> à 23.9 en 2011 4 .<br />

Le milieu rural connaît une très forte augmentation de sa population <strong>et</strong> parallèlement une<br />

très forte décroissance en termes de production <strong>et</strong> de rentabilité. C<strong>et</strong>te réduction de la<br />

paysannerie n’est pas compensée par les autres secteurs, car le PIB national ne cesse de<br />

diminuer.<br />

Paul Moral décrit une paysannerie d’une pauvr<strong>et</strong>é extrême :<br />

L’alimentation paysanne se caractérise par son extrême irrégularité journalière <strong>et</strong><br />

saisonnière. Des enquêtes fragmentaires donnent des chiffres inférieurs à une<br />

consommation journalière de 1500 calories. Dans les régions les plus sèches du pays, la<br />

menace de la dis<strong>et</strong>te est toujours latente. La malnutrition aggrave l’état sanitaire du monde<br />

rural, le manque d’hygiène est absolu <strong>et</strong> général. La famille rurale s’alimente en eau à la<br />

3<br />

À noter que la diaspora haïtienne joue un rôle fondamental dans la société haïtienne. Au niveau<br />

socioéconomique, elle participe à la survie de nombreuses familles, en envoyant plus de 1 500 Millions de<br />

Dollars chaque année <strong>et</strong> d’autres ressources en Haïti <strong>et</strong> en y faisant des investissements significatifs,<br />

notamment dans le secteur du logement. De plus, elle se mobilise pour soutenir les institutions haïtiennes<br />

(comme par exemple dans la santé). Après la catastrophe du 12 janvier, c<strong>et</strong> appui a pris une forme encore plus<br />

évidente en participant à la réponse à tous les niveaux (ce qui revête d’une extrême importance dans ce<br />

contexte) (Grünewald <strong>et</strong> al, Décembre 2011).<br />

4 Banque République d’Haïti ; Banque Mondiale, Rapport sur le développement dans le monde. Combattre la<br />

pauvr<strong>et</strong>é, Washington, Banque Mondiale, 2001 ; Doura F., Économie d’Haïti. Dépendance, crises <strong>et</strong><br />

développement, Tome 2, Montréal, Les Éditions AMI, 2002.<br />

7


ivière, au canal ou à la mare. Les campagnes n’ont pratiquement pas de médecins <strong>et</strong> leur<br />

isolement se traduit également par l’analphabétisme quasi général 5 .<br />

Dorvillier perm<strong>et</strong> aussi de saisir brièvement la situation rurale à travers le paragraphe<br />

suivant :<br />

Et, sur le plan spatial, il ressort que le milieu rural (63% de la population) contribue<br />

davantage à la pauvr<strong>et</strong>é extrême ; l’incidence de la pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> de l’extrême pauvr<strong>et</strong>é y<br />

est largement plus importante. S’agissant de la pauvr<strong>et</strong>é extrême, elle est trois fois plus<br />

élevée que dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. La grande majorité des pauvres<br />

du pays (74%) habite donc en milieu rural, où l’agriculture représente paradoxalement la<br />

principale activité génératrice de revenus <strong>et</strong> où les services sociaux de base sont quasi<br />

inexistants 6 .<br />

Ces données décrivent un monde rural en perte de vitesse en termes de proportion, mais qui<br />

continue de progresser en valeur absolue. Le pays reste encore un des pays détenant le plus<br />

fort taux de population rurale au monde (plus de 50% en 2011).<br />

Des changements culturels. Les transformations qui s’opèrent dans la paysannerie haïtienne<br />

ne sont pas seulement économiques, mais aussi culturelles <strong>et</strong> sociales (Faustin : 2003). Les<br />

paysans, très attachés à la terre <strong>et</strong> qui voulaient surtout léguer un héritage foncier <strong>et</strong> des<br />

techniques agricoles à leurs enfants réclamaient l’éducation à l’instar des urbains. Ces<br />

changements sont soutenus <strong>et</strong> décrits par de nombreux auteurs haïtiens. En eff<strong>et</strong>, dès 1883,<br />

Louis Joseph Janvier, à partir des observations de la situation de la paysannerie prévoyait des<br />

perspectives douloureuses pour l’avenir du pays : « La structure agraire, le renforcement du<br />

latifundisme condamnent Haïti à avoir le sort de l’Irlande. Être une gueuse avec des paysans<br />

exploités 7 » ; mais les élites haïtiennes ne se préoccupaient guère de c<strong>et</strong>te crise annoncée.<br />

L’écrivain-auteur représente donc l’un des premiers tenant dans la lutte pour la fin de la<br />

dualité ville-campagne. En 1972, Hubert De Ronceray fait le constat suivant : « Les couches<br />

sociales démunies n’acceptent plus l’ignorance comme un fait normal admissible. La volonté<br />

de changement s’affirme comme une pression accrue sur le système éducationnel.<br />

L’éducation constitue l’une des aspirations essentielles des masses (p. 59)». Le sociologue<br />

Claude Souffrant (1995), présentant la macrocéphalie rurale comme une anomalie, voit la<br />

décroissance de la paysannerie comme la résultante d’une situation de crise m<strong>et</strong>tant face à<br />

5<br />

Paul Moral (Le paysan haïtien) Cité par INTERKERKELIJKE ORGANISATIE VOOR<br />

INTWIKKELINGSSAMENWERKING (ICCO) (mars 2008). État des lieux de la sécurité alimentaire (Rapport).<br />

Version électronique page 12-13. Ce rapport fait état de multiples plaidoyers, depuis les années ‘20-‘30, avec<br />

Jean Price Mars dans « La vocation des élites » <strong>et</strong> à travers ses conférences dans les grandes villes du pays en<br />

essayant d’alerter les classes dirigeantes <strong>et</strong> dominantes d’Haïti sur leur responsabilité face à l’abandon du<br />

milieu rural <strong>et</strong> les menaces de crises graves qui s’annoncent pour le pays. Il mentionne aussi la commission<br />

Rosenberg des Nations Unis en 1949 qui avait aussi souligné les défaillances socio-économiques du pays <strong>et</strong> le<br />

niveau de pauvr<strong>et</strong>é d’alors en ces termes: «Une industrie insignifiante, une structure agraire très limitée devant<br />

satisfaire les nécessités d’une population croissante, à revenu limité pouvant à peine couvrir ses besoins en<br />

matière d’aliments, de vêtements <strong>et</strong> de logement <strong>et</strong> dont le niveau de vie est tellement bas qu’on ne peut le<br />

réduire d’avantage (p. 13)». Rémy Bastien (1951), développe le même point de vue d’un monde rural un<br />

monde particulier, coupé du reste de la société <strong>urbaine</strong>.<br />

6 Op. cit., p.7.<br />

7 Louis Joseph Janvier : les Affaires d’Haïti, p. 162 cité par G. Pierre-Charles (L’économie haïtienne <strong>et</strong> sa voie de<br />

développement : 1967).<br />

8


face un ordre ancien <strong>et</strong> un ordre nouveau. Il cite (p. 87) l’<strong>et</strong>hnologue Roger Dorsainvil (1986)<br />

qui a prévu l’effacement de la base agricole sur laquelle reposait Haïti. Il évoque aussi (p. 98)<br />

Jacques Stephen Alexis qui voyait dans l’exode rural un moyen de fuir l’isolement rural <strong>et</strong><br />

d’augmenter les luttes sociales <strong>urbaine</strong>s. Le sociologue laisse comprendre qu’il ne voit<br />

aucune raison d’avoir peur de La fin des paysans, qui est normalement une tendance<br />

mondiale <strong>et</strong> inévitable. Il plaide en faveur d’un paysan mobile qui puisse s’adapter au monde<br />

nouveau en améliorant ses conditions d’existence.<br />

L’exode rural se situe donc dans ce contexte des changements internes caractérisés par une<br />

nouvelle dynamique des paysans, qui ne veulent plus supporter la même exclusion<br />

historique <strong>et</strong> les eff<strong>et</strong>s négatifs de la société à <strong>deux</strong> vitesses, la dichotomie ville-campagne 8 .<br />

D’ailleurs, pour beaucoup de familles rurales le fait de s’adonner uniquement à la culture de<br />

la terre constitue une raison pour rester dans la pauvr<strong>et</strong>é. La migration rurale s’inscrit dans<br />

ce mouvement de quête de mieux-être <strong>et</strong> de début d’un citoyen-paysan plus actif <strong>et</strong> même<br />

« militant », car pendant longtemps ils n’ont pas été considérés comme des ayants-droit par<br />

l’État <strong>et</strong> les élites <strong>urbaine</strong>s 9 . Les gens sont intelligents <strong>et</strong> savent comment <strong>et</strong> à quel moment<br />

réagir à une situation donnée. La migration constitue ainsi une stratégie individuelle <strong>et</strong><br />

familiale (Samuel : 1978).<br />

3. La migration vers Port-au-Prince<br />

L’ère de la migration vers les villes haïtiennes : Hormis la migration internationale, la<br />

migration interne constitue elle aussi un phénomène très important. À partir de la <strong>deux</strong>ième<br />

moitié du XX e siècle, timidement, mais selon un rythme croissant, l’exode vers les villes<br />

haïtiennes est enclenché, ce qui fait que c<strong>et</strong>te période marque le début d’un long processus<br />

d’urbanisation dans le pays. Toutes les villes principales haïtiennes 10 sont concernées par<br />

l’ampleur de c<strong>et</strong>te réalité. Certaines servent de relais ; les ruraux s’y établissent pour<br />

atteindre d’autres villes. D’autres sont de véritables pôles d’attraction, comme les grands<br />

centres régionaux <strong>et</strong> Port-au-Prince.<br />

8 Outre sur plan économique, il y a une abondante littérature décrivant dans les faits c<strong>et</strong>te situation<br />

défavorable envers les paysans sur le plan culturel <strong>et</strong> éducatif. Certains auteurs évoquent, sur le plan culturel,<br />

un paysan perçu péjorativement, comme un « citoyen » de second rang ; on aura créé termes pour plâtrer<br />

c<strong>et</strong>te perception, «Nèg mòn », nèg « andeyò », littéralement « Nègre morne », « nègre en dehors » (Bastien,<br />

D’Ans : 1987, Denis : 1958, Delince : 1993, <strong>et</strong>c.). Sur le plan éducatif, bon nombre d’entre eux font état de<br />

l’existence de <strong>deux</strong> systèmes éducatif : rural <strong>et</strong> urbain, (Chéry : 2001, Trouillot : 2003).<br />

9 Michel Rolph Trouillot (1986) a montré comment l’occupation du pays en 1915 par les Américains a renforcé<br />

le système d’exploitation de la paysannerie en renforçant le rôle du café dans los exportations <strong>et</strong> la<br />

contribution des impôts douaniers au maintien de l’État. Du coup augmentant la prouesse sur les cultivateurs,<br />

la masse paysanne. Lequel État n’était qu’au service des élites <strong>urbaine</strong>s. Il a même évoqué le terme<br />

« parasitaire » pour expliquer c<strong>et</strong>te forme d’exploitation à la sangsue des ressources de la plus-value du travail<br />

paysan. Il indique à travers des chiffres « De 1916–21 à 1932–33, l’apport du café aux exportations passait de<br />

67% à 78%, augmentant ainsi la dépendance inhérente à la monoculture, malgré la création de diverses<br />

enclaves de plantation Pendant toute la durée de l’occupation, le café représenta environ 74% de la valeur<br />

totale des exportations ». Et, durant les dernières années de l’occupation, les impôts de douane représentaient<br />

80 à 83% des rec<strong>et</strong>tes totales de l’État.<br />

10 Villes ayant une influence sur une population plus ou moins grande <strong>et</strong> dans un rayon plus ou moins long. On<br />

trouve principalement dans c<strong>et</strong>te catégorie, les chefs-lieux des départements <strong>et</strong> certaines villes des chefs-lieux<br />

des arrondissements.<br />

9


La question migratoire est devenue une importante préoccupation à Port-au-Prince,<br />

précisément à partir du recensement de 1971. De moins de 150 000 en 1950, la population<br />

passe à près de 500 000 âmes, soit un accroissement de plus de 200%. Même si en partie<br />

c<strong>et</strong>te augmentation peut s’expliquer par un fort taux d’accroissement interne (4,1% par an),<br />

la migration inter<strong>urbaine</strong> <strong>et</strong> l’exode rural constituent un facteur explicatif essentiel. Ces<br />

chiffres montrent d’ailleurs un processus d’urbanisation à une vitesse de croisière, à plus de<br />

10% l’an. Ce rythme de croissance est constaté dans le recensement général de la<br />

population de 1982 (plus de 800 000 habitants dans la région métropolitaine).<br />

Tableau 1.- Évolution de la population selon le milieu de résidence<br />

Milieu de résidence 1950 1971 1982 2003<br />

Ensemble du pays 3 097 220 4 329 991 5 053 190 8 373 750<br />

Urbain 377 355 880 551 1 042 102 3 418 508<br />

Rural 2 719 865 3 449 440 4 011 088 4 011 088<br />

Institut haïtien de statistiques <strong>et</strong> d’informatique (IHSI) 11<br />

En 1971, au moment où les villes commencent à subir les eff<strong>et</strong>s de migration de masse, les<br />

études de la Division d’Analyse <strong>et</strong> de Recherche Démographiques (DARD) de l’Institut Haïtien<br />

de Statistique <strong>et</strong> d’Informatique (IHSI : 2000) ont montré que le département du Sud était le<br />

plus grand pourvoyeur de ruraux <strong>et</strong> le département de l’Ouest leur destination la plus prisée.<br />

En termes de causalité, les recherches ont permis de constater que les communes les plus<br />

urbanisées ont perdu moins de leurs populations par la migration, tandis que celles qui ont<br />

des proportions très élevées de leur Population Économiquement Active (PEA) en agriculture<br />

ont connu de plus fortes émigrations de leur population (Duval : mai 2005). En ce sens, il est<br />

logique d’affirmer que les migrants sont généralement des ruraux <strong>et</strong> les populations<br />

déplacées sont surtout en quête d’activités économiques.<br />

Graphique 2 : Évolution de la population de la région métropolitaine de Port-au-Prince par<br />

rapport au pays en général à partir de 1950<br />

3 500 000<br />

3 000 000<br />

2 500 000<br />

2 000 000<br />

1 500 000<br />

1 000 000<br />

500 000<br />

0<br />

1950<br />

1971<br />

1982<br />

2003<br />

Population<br />

<strong>urbaine</strong> totale<br />

Population<br />

<strong>urbaine</strong> de la<br />

région<br />

métropolitaine de<br />

Port-au-Prince<br />

11 État de la population au Recensement de 1971, Résultats anticipés au Recensement Général de la Population<br />

<strong>et</strong> du Logement de 1982 <strong>et</strong> Recensement General de la Population <strong>et</strong> de l’Habitat de 2003, Port-au-Prince, 2009.<br />

10


Le choix de se diriger massivement vers Port-au-Prince, Georges Anglade l’explique à partir<br />

de son approche géohistorique basée sur le concept de métropolisation (1982) 12 . Le<br />

phénomène « port-au-princien » constitue, pour lui, la dernière des trois grandes formes de<br />

structuration dans l’évolution de l’espace haïtien. L’auteur voulait surtout expliquer la<br />

relation qui existe entre l'espace, la formation de l'État <strong>et</strong> de la Nation. « Deux processus<br />

sont à la base de c<strong>et</strong>te liaison : les étapes de la construction d'un marché national <strong>et</strong><br />

l'évolution des modalités d'exercice des pouvoirs (pp. 10-11) ». En tout premier lieu, il<br />

mentionne « l’espace morcelé », qui est caractéristique de la période coloniale. À c<strong>et</strong>te<br />

étape, le territoire s’organise en habitations qui elles-mêmes sont regroupées en paroisses,<br />

jouissant d’une certaine autonomie. Ensuite, on r<strong>et</strong>rouve la « régionalisation de l’espace »,<br />

qui est spécifique du XIX e siècle haïtien (1804-1915). Le pays connaît un ensemble de régions<br />

politiquement autonomes, dans une certaine mesure, car elles ont chacune leurs propres<br />

armées, <strong>et</strong> économiquement elles établissent leurs propres relations commerciales<br />

internationales à travers les ports ouverts provinciaux. La dernière, la « métropolisation de<br />

l’espace » qui décrit l’aboutissement de la centralisation enclenchée à partir de 1915, date à<br />

partir de laquelle, Port-au-Prince est devenu une balise omnidirectionnelle qui attire <strong>et</strong><br />

redistribue tous les flux. Les services, les pouvoirs, les investissements publics comme privés,<br />

<strong>et</strong>c. y sont concentrés, du coup il est devenu le plus grand miroir d’attraction avec<br />

aujourd’hui plus de 2/3 de la population <strong>urbaine</strong> du pays. Trouillot (op. cit.) décrit ce<br />

processus de centralisation <strong>et</strong> ses eff<strong>et</strong>s sur la société dans les termes suivants:<br />

(…) L’occupation renforça donc les problèmes économiques les plus importants: la<br />

dépendance <strong>et</strong> l’extraction d’un surplus massif de la paysannerie par les nonproducteurs.<br />

Mais ce n’était pas tout. L’occupation accéléra la centralisation politique <strong>et</strong> militaire en<br />

systématisant l’arbitraire <strong>et</strong> en faisant de la seconde armée d’Haïti l’instrument idéal de<br />

la violence d’État exercée contre la Nation.<br />

L’occupation américaine marqua le commencement de la fin pour les pyramides<br />

régionales. Dans l’année fiscale 1932–1933, Port-au-Prince fournit 47% des reçus de<br />

douanes (69% des importations <strong>et</strong> 23% des exportations). C<strong>et</strong>te centralisation contribua<br />

à l’homogénéisation des marchands <strong>et</strong> des politiciens à la capitale, au renforcement de<br />

leur puissance, <strong>et</strong> à la croissance des groupes de parasites urbains qui se taillent des<br />

places de choix, toujours de plus en plus coûteuses dans l’appareil d’État. C<strong>et</strong>te<br />

croissance des groupes parasitaires eut, <strong>et</strong> continue d’avoir un impact énorme sur la<br />

politique haïtienne.<br />

L’auteur de « Les racines historiques de l’État duvaliérien » a voulu montrer comment les<br />

contradictions au sein de la société haïtienne ont pu engendrer le régime dictatorial des<br />

Duvalier.<br />

La dualité ville-campagne est l’une des formes prises par c<strong>et</strong>te contradiction. Beaucoup<br />

d’auteurs haïtiens l’ont évoqué, avec des données, pour expliquer le mépris de l’État envers<br />

12<br />

Version numérique disponible en ligne, URL:<br />

http://classiques.uqac.ca/contemporains/anglade_georges/atlas_critique_haiti/atlas_critique_haiti.html<br />

consulté le 2 avril 2012.<br />

IHSI (Novembre 2000). Enquête Budg<strong>et</strong> Consommation des Ménages (EBCM 1999—2000), Volume 1,<br />

Population Ménages <strong>et</strong> emploi, Port-au-Prince, p 52.<br />

11


le monde rural, lequel État n’était qu’au service des élites <strong>urbaine</strong>s. Le terme « parasitaire »<br />

utilisé par l’auteur, tout en étant cinglant, campe bien l’idée de c<strong>et</strong>te forme d’exploitation à<br />

la sangsue des ressources de la plus-value du travail paysan. Les statistiques agricoles de la<br />

période de l’occupation du pays par les Américains décrivent le renforcement de ce système<br />

d’exploitation de la paysannerie en renforçant le rôle du café dans les exportations <strong>et</strong> la<br />

contribution des impôts douaniers au maintien de l’État, du coup augmentant la pression sur<br />

les cultivateurs, la masse paysanne. Il indique, à travers des chiffres « De 1916–21 à 1932–<br />

33, l’apport du café aux exportations passait de 67% à 78%, augmentant ainsi la dépendance<br />

inhérente à la monoculture, malgré la création de diverses enclaves de plantation pendant<br />

toute la durée de l’occupation, le café représenta environ 74% de la valeur totale des<br />

exportations ». Et, durant les dernières années de l’occupation, les impôts de douane<br />

représentaient 80 à 83% des rec<strong>et</strong>tes totales de l’État.<br />

4. Eff<strong>et</strong> de la migration sur le développement de la ville<br />

La réalité des bidonvilles n’est pas nouvelle en Haïti. Sous le vocable « quartiers populaires »,<br />

plusieurs auteurs font référence à des quartiers urbains de Port-au-Prince, des Gonaïves <strong>et</strong><br />

du Cap-Haïtien qui présentent, dans une certaine mesure, depuis le XIXe siècle, à peu près<br />

les mêmes caractéristiques que les bidonvilles actuels. Séméxant Rouzier (1890), parlant de<br />

Raboteau des Gonaïves, Belair de Port-au-Prince <strong>et</strong> La Foss<strong>et</strong>te du Cap-Haïtien, évoque tout<br />

simplement des quartiers habités par le peuple dans des conditions de misère en dehors de<br />

toutes infrastructures <strong>urbaine</strong>s. Hubert De Ronceray (op. cit.) présente La Foss<strong>et</strong>te comme<br />

un quartier historiquement marqué par la pauvr<strong>et</strong>é, les luttes, la criminalité, la délinquance<br />

<strong>et</strong> le banditisme (p. 184). Lamauthe décrit un Port-au-Prince vers 1920 entouré de p<strong>et</strong>its<br />

quartiers où dominent l’insalubrité <strong>et</strong> la pauvr<strong>et</strong>é. Notons que tous ces quartiers ont pour<br />

origine plus ou moins interne de la population <strong>et</strong> est surtout liée à la marginalisation des<br />

pauvres urbains.<br />

Cependant, la réalité <strong>urbaine</strong> actuelle découlant en grande partie de l’exode rural n’est pas<br />

comparable aux quartiers populaires urbains historiquement connus ; au moins en termes<br />

d’ampleur <strong>et</strong> d’étendue. Il y a non seulement une prise d’assaut de ces quartiers anciens,<br />

mais aussi un déferlement incontrôlé vers les périphéries de la ville, qui, progressivement, a<br />

provoqué c<strong>et</strong>te conurbation entre les différentes villes entourant la commune de Port-au-<br />

Prince. Hernando De Soto (2005) fait un constat tout à fait alarmant en décrivant la situation<br />

de Port-au-Prince : « constructions incontrôlées, n’importe où, n’importe comment, l’échec<br />

cuisant des structures de <strong>gouvernance</strong> des services, la ville est devenue invivable » (p. 28).<br />

Dezabas fait une évaluation semblable : « C<strong>et</strong>te conurbation regroupe à elle seule plus de<br />

1/5 ème de la population haïtienne qui correspond à 2/3 de la population <strong>urbaine</strong> d’Haïti … Le<br />

non-respect des rares articles réglementant de l’urbanisme <strong>et</strong> la construction, a généré une<br />

vaste tache <strong>urbaine</strong> qui chaque jour se diffuse un peu plus, grignotant continuellement<br />

plaines <strong>et</strong> mornes sur près de 80 km 2 [il est dans le contexte des années 90] (op. cit., p.<br />

35) ».<br />

À cause du manque de planification <strong>et</strong> de tout réalisme dans l’appréhension du phénomène,<br />

à chaque situation difficile, les autorités semblent confuses par les eff<strong>et</strong>s nocifs de l’exode<br />

rural. Hubert de Ronceray a reconnu que « le processus d’urbanisation à Port-au-Prince a<br />

surpris les services publics au point qu’il paraît difficile d’en contrôler les eff<strong>et</strong>s avec<br />

12


efficacité (op. cit. p. 136). »<br />

Hormis certaines recherches commanditées par des ministères <strong>et</strong> des organisations<br />

internationales, aucun effort sérieux n’a été fait pour accommoder la ville selon les besoins<br />

des populations qui y vivent <strong>et</strong> y vivront. Aucun grand ouvrage d’aménagement <strong>et</strong><br />

d’assainissement n’a été entrepris depuis 1980. Les réponses, quand elles existaient,<br />

n’étaient pas toujours à la hauteur des besoins. Sur le plan éducatif, la faiblesse de la<br />

réponse a provoqué de multiples initiatives individuelles. Plus de 80% des écoles sont<br />

privées dont la grande majorité est informelle <strong>et</strong> n’a pas les moyens <strong>et</strong> les structures<br />

nécessaires pour répondre à leur vocation, <strong>et</strong> en conséquence, offre une formation au<br />

rabais. Sur le plan du logement, la situation est encore plus catastrophique. On assiste<br />

aujourd’hui à la plus grande crise du logement de l’histoire d’Haïti. On pourrait défiler des<br />

exemples dans d’autres secteurs.<br />

Le problème qui se pose est surtout l’absence de la <strong>gouvernance</strong> <strong>urbaine</strong>. On n’a jamais pu<br />

faire la mise en place institutionnelle en vue d’organiser la ville. Il en résulte une adaptation<br />

informelle <strong>et</strong> illégale. L’auteur de Le mystère du capital, pose c<strong>et</strong> élément essentiel dans<br />

l’étude de la <strong>gouvernance</strong> de la ville de Port-au-Prince : l’extralégalité. « On estime que 85%<br />

des parcelles <strong>urbaine</strong>s relèvent de la propriété informelle <strong>et</strong> se trouvent dans l’une ou l’autre<br />

des situations suivantes : elles ont été bâties en violation de lois expresses, ou elles ne<br />

respectent pas les conditions d’utilisation des terrains, ou elles avaient un statut formel au<br />

départ mais sont devenues informelles, ou encore elles ont été construites par les pouvoirs<br />

publics sans respecter les obligations légales (p. 48). » Il adm<strong>et</strong> que ce problème n’est pas dû<br />

à l’afflux des rurbains, ni à la croissance <strong>urbaine</strong>, puisque beaucoup de villes du monde ont<br />

connu pendant le XX e siècle d’extension <strong>et</strong> de croissance de manière plus impressionnante<br />

encore, mais s’explique du fait que les politiques ne pouvaient comprendre que le<br />

développement du secteur extralégal <strong>et</strong> la non-intégration des migrants dans un cadre<br />

productif formel ou légal pouvaient déboucher sur une organisation adaptée à c<strong>et</strong>te réalité à<br />

l’échelle plus large (p.92). Tous les nouveaux arrivés sont appelés à reproduire <strong>et</strong> produire ce<br />

mode d’occupation <strong>et</strong> sont capables d’inventer des arrangements extralégaux qui subsistent<br />

aux faibles lois <strong>et</strong> institutions. C<strong>et</strong>te auto-occupation de l’espace peut être qualifiée, selon<br />

un terme de l’auteur (p. 27), d’occupation sauvage.<br />

13


Extension vers le sud-ouest (commune de Pétion-Ville)<br />

Bord de mer (Port-au-Prince)<br />

Au lieu d’être profitable, en y apportant de la main-d’œuvre <strong>et</strong> augmentant le dynamisme<br />

urbain, la capitale ne fait que subir les eff<strong>et</strong>s de l’augmentation incontrôlée de sa<br />

population.<br />

Le discours politique dominant en Haïti, précisément après le séisme du 12 janvier 2010,<br />

affirme <strong>et</strong> fait état de multiples mesures visant à provoquer le phénomène inverse, le r<strong>et</strong>our<br />

des gens dans leurs milieux d’origine ou bien les attirer auprès des villes régionales. Les<br />

termes « pôles de développement » ont souvent été évoqués au moment des dernières<br />

élections présidentielles. Ce discours n’apparaît pas payant puisqu’il ne prend pas en compte<br />

certains paramètres fondamentaux liés à la migration. D’abord, la situation des villes de<br />

province est déjà aussi catastrophique <strong>et</strong> les risques de détérioration persistent. Ensuite,<br />

l’exode rural est un processus irréversible ; les gens n’ont pas l’intention de r<strong>et</strong>ourner. Enfin,<br />

face à la migration, il faut surtout une attitude de responsabilité <strong>et</strong> le plus grand remède<br />

c’est le développement intégral. Ce discours présuppose un rapport simple de dépendance<br />

entre les provinces <strong>et</strong> la capitale <strong>et</strong> voit carrément la décentralisation dans la perspective de<br />

limiter l’accès à la capitale. Par contre, dans la réalité, partout sur le territoire national, là où<br />

les villes laissent le cadre « primitif » ayant existé jusque vers les années 80, la situation s’est<br />

dégradée <strong>et</strong> est devenue chaotique. Une explication fondamentale : dans les 2 à 3 décennies<br />

qui précèdent, il n’y a pas eu d’activité d’assainissement urbain important <strong>et</strong> de mise en<br />

place structurelle, tenant compte de l’augmentation de population. L’adaptation à<br />

l’augmentation des populations s’est faite selon ce que peut donner l’auto-occupation des<br />

espaces par les nouveaux occupants. La réalité d’une p<strong>et</strong>ite ville n’est différente d’une<br />

grande ville qu’en termes de quantité <strong>et</strong> d’étendue. Les villes du Cap-Haïtien, des Gonaïves,<br />

de Saint-Marc, de Port-de-Paix, de Miragoâne, pour n’indiquer que celles-ci, ne diffèrent de<br />

Port-au-Prince que sur le plan du volume <strong>et</strong> de l’espace. Elles sont toutes caractérisées,<br />

entre autres, par la dégénérescence du cadre de vie, la promiscuité, l’insalubrité, la<br />

destruction de l’environnement, l’étalement incontrôlé de l’espace urbain. Il ne s’agit donc<br />

pas d’une question de Port-au-Prince, mais le pays en entier supporte mal la transition<br />

<strong>urbaine</strong> <strong>et</strong> fait face à l’important défi urbain. La ville à l’haïtienne ne s’offre pas, dans un<br />

cadre normal <strong>et</strong> structuré, les moyens d’une telle transition, celle d’une p<strong>et</strong>ite ville<br />

« traditionnelle » à une métropole ou un agrégat de volume relativement élevé. Et, partout,<br />

c’est une réalité relativement récente <strong>et</strong> qui dégénère chaque jour de mal en pis. Dans c<strong>et</strong>te<br />

situation, le Capois qui vit à l’étranger, dans la durée d’une génération, ne se reconnaît<br />

qu’avec beaucoup de difficultés à l’entrée de la ville du Cap, les quartiers sont tellement<br />

défigurés.<br />

Dans l’état actuel des connaissances, des mises en place institutionnelles <strong>et</strong> des structures<br />

<strong>urbaine</strong>s du pays, les efforts visant à promouvoir l’extension des p<strong>et</strong>ites villes ne feront que<br />

généraliser la dépravation <strong>urbaine</strong> déjà consommée dans les villes importantes.<br />

La pression qu’exerce la vague migratoire dans la quête de s’abriter va contredire la notion<br />

de vocation du sol, car la préoccupation fondamentale des immigrants, c’est de s’abriter,<br />

quel qu’en soit les eff<strong>et</strong>s sur l’environnement. D’ailleurs, l’on comprend bien qu’il ne revient<br />

pas à eux de mesurer les conséquences de leurs actions (Démézier : 2008). À Port-au-Prince,<br />

les quartiers résidentiels historiquement connus <strong>et</strong> les quartiers des catégories aisées sont<br />

14


ceinturés par des habitats pauvres. Chaque jour, « le monstre » prend davantage d’ampleur<br />

en s’étalant vers les plaines <strong>et</strong> ravines, pentes <strong>et</strong> plateaux de la périphérie de Port-au-Prince.<br />

5. Renforcement des structures de <strong>gouvernance</strong> <strong>urbaine</strong><br />

La planification <strong>urbaine</strong> est la principale méthode utilisée par les autorités publiques pour<br />

maîtriser <strong>et</strong> piloter l’étalement, l’extension ou, du moins, le développement des villes. Elle se<br />

traduit, entre autres, par des schémas d’occupation <strong>et</strong> d’aménagement de l’espace urbain <strong>et</strong><br />

a pour l’une de ses bases : des modèles de croissance de la population. Celle-ci prend en<br />

compte non seulement la croissance interne, mais aussi la migration. L’urbanisation <strong>et</strong> la<br />

migration sont ainsi un couple conceptuel ; l’une ne peut être abordée sans l’autre.<br />

En m<strong>et</strong>tant à nu l’échec de l’urbanisation en Haïti, le séisme de 12 janvier 2010 a montré<br />

l’ampleur des efforts à déployer pour entamer la reconstruction <strong>et</strong> le développement de la<br />

ville de Port-au-Prince. Du renforcement des institutions à la mise en place des outils de<br />

pilotage <strong>et</strong> d’exécution en passant par les investissements massifs dans les infrastructures,<br />

l’idée de repenser la ville, de la rendre vivable <strong>et</strong> récupérer l’espace abandonné depuis fort<br />

longtemps, s’impose.<br />

La réponse fondamentale à la crise <strong>urbaine</strong>, c’est le développement économique <strong>et</strong> social.<br />

Comment résoudre définitivement le problème de l’occupation des rues par le p<strong>et</strong>it<br />

commerce sans la création d’emplois Comment créer des emplois sans la croissance<br />

économique De toute façon, on devra comprendre que la transition de la ruralité à<br />

l’urbanité constitue essentiellement un pas de l’agriculture vers l’extension des secteurs<br />

secondaire <strong>et</strong> tertiaire. Seules ces dernières activités sont susceptibles d’employer la maind’œuvre<br />

renvoyée de la paysannerie. Il s’agit en premier lieu d’un problème de pauvr<strong>et</strong>é.<br />

Cependant, en évoquant ce suj<strong>et</strong> de telle sorte, qui est pour le moins essentiel, ne risque-ton<br />

pas d’obstruer les éléments du processus interne <strong>et</strong> factuel de la dégradation de la ville <br />

Aux faiblesses structurelles <strong>et</strong> institutionnelles. L’affaiblissement des institutions de gestion<br />

de la ville est une constante de ces dernières décennies, <strong>et</strong> semble en corrélation positive<br />

avec le pourrissement de la situation. Les institutions étatiques <strong>et</strong> territoriales ne peuvent<br />

pas répondre à leurs missions. La mairie qui naturellement, comme l’élément principal dans<br />

la <strong>gouvernance</strong> locale, devrait appliquer les politiques publiques en matière d’urbanisme, ne<br />

représente aujourd’hui qu’un noyau fonctionnel. On peut constater c<strong>et</strong>te déficience rien que<br />

par son incapacité à répondre aux besoins de la ville. Dans un atelier d’examens <strong>et</strong> de suivi<br />

(monitoring review) du Programme Emergency Food Security and Livelihoods (EFSL), réalisé<br />

par OXFAM en juill<strong>et</strong> 2010, la Mairie de Port-au-Prince estime elle-même ne jouer qu’un rôle<br />

de figurant dans des activités en faveur de certains groupes de victimes, tandis qu’elle<br />

devrait être au cœur de tout proj<strong>et</strong> réalisé dans la commune au profit des citoyens. Tout un<br />

ensemble de facteurs ont conduit à c<strong>et</strong> état de fait. R<strong>et</strong>enons <strong>deux</strong> d’entre eux : les modes<br />

d’actions des Organisations non-gouvernementales <strong>et</strong> internationales <strong>et</strong> certains<br />

comportements de l’État central.<br />

Les situations difficiles, malgré les souffrances qu’elles infligent, sont des opportunités pour<br />

les institutions de s’évaluer <strong>et</strong> se renforcer. Le séisme du 12 janvier 2010 a surpris toutes les<br />

15


institutions haïtiennes : publiques comme non-publiques. Personne ne s’est préparé à<br />

l’éventualité d’un tel événement. Aujourd’hui, plus de <strong>deux</strong> ans après, les modalités de la<br />

réponse <strong>et</strong> la reconstruction risque principalement d’isoler les institutions locales,<br />

notamment les collectivités. Christine Knudsen de l’UNICEF (citée par Andréanne Martel) 13<br />

souligne, en s’appuyant sur l’exemple du séisme de 2010 en Haïti <strong>et</strong> de l’afflux massif de<br />

centaines d’organisations, qu’une absence de partenariat dès les débuts d’une crise peut<br />

exclure du mécanisme de coordination des partenaires essentiels <strong>et</strong> que c<strong>et</strong>te exclusion<br />

risque d’affaiblir la réponse en nous privant d’informations, de connaissances <strong>et</strong> de<br />

ressources. Nous dirions ici que c<strong>et</strong>te situation menace principalement d’étouffer davantage<br />

les capacités d’actions des instances locales. Aujourd’hui la Mairie de Port-au-Prince peut ne<br />

pas apprendre les leçons de la catastrophe, pour se renforcer <strong>et</strong> aussi pour développer les<br />

« spécialités » des réponses aux crises. Andréanne Martel a bien vu en intercédant pour le<br />

transfert aux autorités publiques d’un pays bénéficiaire le contrôle sur une de ses<br />

prérogatives essentielles : celui de coordonner l’afflux d’aide <strong>et</strong> d’acteurs sur son territoire<br />

(idem). Malheureusement c<strong>et</strong> état de fait est déjà récurrent. Le Cadre de Liaison inter-ONG a<br />

fait remarquer que les relations entre ONG <strong>et</strong> collectivités territoriales sont récentes en Haïti<br />

<strong>et</strong> jusqu’à aujourd’hui, la mise en place des structures devant perm<strong>et</strong>tre le plan de<br />

fonctionnement de ce partenariat tarde encore à venir. Dans la littérature, des auteurs<br />

haïtiens abondent dans le sens que la présence des ONG ne constitue pas seulement une<br />

réponse à la faiblesse de l’État, mais un facteur d’affaiblissement de celui-ci (Sauveur Pierre-<br />

Etienne : 1997).<br />

Des actions gouvernementales contredisent les velléités du renforcement institutionnel. Le<br />

processus d’affaiblissement des institutions a été intensifié ces dernières années, alors que<br />

le Gouvernement haïtien a créé bon nombre de commissions <strong>et</strong> d’instances, dans beaucoup<br />

de secteurs, liées au Gouvernement même en vue de pallier les problèmes d’efficacité des<br />

pouvoirs publics. Dans la plupart des cas, ces solutions paraissent inappropriées <strong>et</strong> ne<br />

peuvent résoudre le problème de la <strong>gouvernance</strong> <strong>urbaine</strong>. Quel rôle a joué l'Office de<br />

sauvegarde du morne l'Hôpital (OSAMH) par rapport à l’occupation sauvage <strong>et</strong> la destruction<br />

de c<strong>et</strong> espace Le nouvelliste affirme, sous un ton ironique, que le ministère de l’Intérieur <strong>et</strong><br />

des Collectivité territoriales, son ministère de tutelle, a d’autres dossiers en souffrance. La loi<br />

du 27 Août 1963 a décrété "Zone sous protection" le bassin hydrographique de Morne<br />

l’Hôpital (Réf: Moniteur No. 81 du Jeudi 5 Septembre 1963) <strong>et</strong> la loi du 30 Aout 1963 a<br />

déclaré d’Utilité publique les travaux déjà réalisés <strong>et</strong> ceux à entreprendre à l’avenir en vue<br />

de la restauration du Morne l’Hôpital (Réf: Moniteur No. 80 du Lundi 2 Septembre 1963).<br />

Ces <strong>deux</strong> lois indiquent qui <strong>et</strong> comment entreprendre des travaux à Morne l’Hôpital mais<br />

n’ont pas prévu de cadre opérationnel entre les différentes instances (gouvernementales <strong>et</strong><br />

territoriales) dans ses applications. Et, de fait, l’OSAMAH ne fait qu’observer passivement la<br />

destruction de c<strong>et</strong> espace combien important pour l’environnement de Port-au-Prince.<br />

L’État a toujours ce tempérament d’accapareur ; ce qui explique que la décentralisation fort<br />

souvent évoquée reste toujours une velléité. Comme conséquences : les Mairies sont<br />

institutionnellement pauvres, sans grands moyens économiques, sans ressources humaines<br />

qualifiées, avec peu de services ou de sections, <strong>et</strong>c., donc sans moyens d’action. Au niveau<br />

13 La coordination humanitaire comme lieu d’exclusion <strong>et</strong> d’affaiblissement des capacités locales Disponible<br />

en ligne sur : http://www.urd.org/La-coordination-humanitaire-comme,1027 , consultée le 9 avril 2011.<br />

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des instances créées, il n’y a aucun ancrage territorial car leurs fonctions rentrent dans les<br />

rôles naturels <strong>et</strong> légitimes de la Mairie. C<strong>et</strong>te situation engendre parfois des conflits de<br />

pouvoirs <strong>et</strong> l’un impute les responsabilités des échecs sur l’autre. De pareils cas se répètent<br />

fort souvent entre la Mairie de Port-au-Prince <strong>et</strong> le Service métropolitain de Collecte de<br />

Résidus solides (SMCRS). Et, de fait, celui-ci n’a pas résolu le problème de ramassage<br />

d’ordures dans la région métropolitaine.<br />

Le morcellement de la ville de Port-au-Prince enclenché vers les années ‘80, en faisant<br />

passer des banlieues au rang de commune n’a pas atteint les objectifs escomptés. La<br />

création des Mairies de Carrefour, de Delmas en 1982 <strong>et</strong> celles de Tabarre <strong>et</strong> de Cité-Soleil<br />

en 2003 ne font qu’augmenter le nombre d’entités, sans avoir un impact important sur la<br />

qualité des services offerts aux citoyens. C<strong>et</strong>te initiative a plutôt amputé des moyens à la<br />

capacité d’action de la Mairie principale.<br />

Aujourd’hui n’y a-t-il pas raison d’enclencher le processus inverse, c’est-à-dire, l’unification<br />

des moyens des mairies C’est peut-être une option à explorer. S’il va être difficile d’unifier<br />

toutes les mairies de la zone métropolitaine en une Mairie de Port-au-Prince, d’une grande<br />

commune de Port-au-Prince, il est toutefois envisageable d’unifier leurs services ou les<br />

spécialiser sur leurs points forts. La Mairie de Port-au-Prince pourrait gérer la collecte des<br />

déch<strong>et</strong>s, <strong>et</strong> la Mairie de Delmas s’occuperait d’un observatoire d’urbanisme pour la région<br />

métropolitaine. C’est le concept de « l’inter-municipalité » évoqué par Caroline Gutton<br />

(Coordonnatrice des activités de l’Initiative de Développement en Haïti).<br />

Vers la valorisation des connaissances <strong>et</strong> des techniques de planification au service de la<br />

gestion <strong>urbaine</strong>. La non-utilisation des connaissances <strong>et</strong> des techniques modernes dans la<br />

planification <strong>urbaine</strong> est l’une des révélations de l’échec cuisant de l’urbanisation en Haïti,<br />

accompli avec la catastrophe du 12 janvier. Faute d’un observatoire ou d’un service<br />

d’urbanisme, les décideurs n’ont pas pu adapter leurs actions selon les informations <strong>et</strong> les<br />

connaissances disponibles sur la ville <strong>et</strong> au regard des modèles (prospectifs) de l’évolution<br />

de la réalité. C’est de fait un élément décrivant le sous-développement des institutions.<br />

Comment planifier l’offre sans les informations sur la demande Les instances concernées<br />

par la gestion <strong>urbaine</strong> à Port-au-Prince ne peuvent planifier les logements, l’eau, les<br />

infrastructures <strong>urbaine</strong>s, <strong>et</strong>c., selon que les besoins seront dans cinq ans. C’est en ce sens<br />

que les services publics ne précèdent généralement pas la construction des quartiers <strong>et</strong> sont<br />

toujours surpris par les conséquences néfastes de l’auto-occupation sur l’environnement.<br />

Ainsi n’est-il pas nécessaires d’établir, au sein même des institutions de décisions, un<br />

observatoire d’architecture <strong>et</strong> d’urbanisme qui donnerait les directives. Généralement, un<br />

observatoire d’urbanisme a pour mission : la vérification de la situation des collectivités<br />

locales <strong>et</strong> d’enseignement (études, expertises, travaux de recherche, la formation des élus,<br />

la communication des savoir-faire). Et, assurer entre les élus <strong>et</strong> les chercheurs une fonction<br />

de canal de transmission <strong>et</strong> de traduction des questions des premiers en thèmes de<br />

recherche pour les seconds <strong>et</strong> recenser d’autres expériences <strong>et</strong> en assurer la vulgarisation.<br />

Dans certains pays, l’intérêt pour les politiques <strong>urbaine</strong>s pousse même à créer le ministère<br />

de la Ville, dans d’autres, le ministère de l’Aménagement du Territoire ; mais ceux-ci ne<br />

remplacent pas les observatoires, qui sont davantage liés aux collectivités.<br />

17


Conclusion :<br />

À ce moment où tous les modèles présagent une accélération de l’exode rural, ajouté à la<br />

croissance interne, donc un accroissement continu de la population de la capitale, on doit<br />

s’attendre à une plus forte pression sur l’espace de la région métropolitaine de Port-au-<br />

Prince. Dans c<strong>et</strong>te situation post-séisme <strong>et</strong> au cours de laquelle toutes les questions se<br />

posent sur les modalités de la reconstruction <strong>et</strong> l’établissement des priorités, il est<br />

indéniable de comprendre que, au fond, la catastrophe ne fait qu’exprimer au grand jour les<br />

conséquences de la faillite institutionnelle de la ville. Pour ainsi dire, les autorités doivent<br />

comprendre que la reconstruction est avant tout un défi institutionnel.<br />

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