Les grandes batailles navales de l'histoire - Marines-editions.

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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE – oOo – Quelques jalons dans l’histoire de la guerre sur mer Entre les premiers navires de guerre, à rames et à éperons, et les bâtiments actuels, remplis d’électronique et d’armes sophistiquées, plus de trois millénaires se sont écoulés. Pendant ces milliers d’années, l’ingéniosité humaine a fait évoluer en permanence les instruments et les méthodes du combat naval, c’est-à-dire les navires, les armes et la tactique. Sans entrer dans le détail de cette évolution, il est utile d’en présenter quelques jalons, afin de mieux comprendre les possibilités et les limites de la guerre sur mer, aux différentes périodes de l’histoire. L’apparition du navire de guerre (II e millénaire av. J.-C.). Les premières grandes civilisations sont nées durant le quatrième et le troisième millénaires de l’ère préchrétienne, le long des fleuves du Proche et du Moyen- Orient : le Tigre et l’Euphrate pour la civilisation mésopotamienne, le Nil pour la civilisation égyptienne et, un peu plus tard, l’Indus pour la civilisation qui porte son nom. Le rôle joué par ces cours d’eau dans la prospérité économique et commerciale des peuples riverains a été déterminant. Très vite, en particulier, une batellerie fluviale s’y est développée pour le transport des hommes et des marchandises. Le passage de la navigation fluviale à la navigation maritime posait des problèmes plus difficiles. Il se fit néanmoins à une période très ancienne. Dès le troisième millénaire, par exemple, des navires égyptiens commerçaient régulièrement avec la Syrie, via les eaux de la Méditerranée. Il n’y avait à l’origine qu’un type de navires, servant à tous les besoins du transport nautique : transport des hommes comme celui des marchandises. Très tôt, les chefs de guerre pensèrent à utiliser les navires pour transporter les soldats vers le sol ennemi. Bien entendu, les chefs adverses eurent la même idée, et l’objectif devint rapidement de s’opposer aux déplacements de l’autre. La fonction des « transports de troupes » évoluait : ils allaient désormais devoir s’intercepter, s’affronter, se poursuivre entre eux, d’où la nécessité d’être plus agiles et plus rapides. Petit à petit, le navire militaire se spécialisa donc et se différencia du navire marchand. C’est au cours du II e millénaire que la distinction devint nette entre les deux familles de bâtiments. Les navires marchands – les navires « ronds » – avaient une forme 21
Les grandes batailles navales de l’histoire large, adaptée à leur fonction de transport : le volume disponible pour la cargaison était la caractéristique essentielle ; la vitesse n’étant pas prioritaire, on adopta la propulsion à voiles, moins rapide que l’aviron, mais aussi moins gourmande en hommes d’équipage. Les plus anciennes représentations de navires de guerre que l’on possède remontent au début du II e millénaire avant notre ère. Elles sont reconnaissables à la forme effilée des bâtiments – les navires « longs » – et à la présence de rames. Leur forme et leur mode de propulsion leur assuraient la vitesse et la manœuvrabilité nécessaires au combat. La généralisation de l’éperon de proue (début du premier millénaire av. J.-C.). À l’origine, les navires de combat ne disposaient pas d’armement propre, hormis l’équipement individuel des soldats embarqués. L’éperon de proue est la plus ancienne des armes navales. Son usage remonte sans doute au début du premier millénaire av. J.-C., bien qu’à une époque plus ancienne (vers 1200-1100 av. J.-C.), certaines représentations de navires montrent une protubérance très nette à l’avant, sans qu’on soit sûr de son rôle. La présence de l’éperon sur les représentations de navires de guerre devint à peu près systématique à partir du VIII e siècle. L’éperon primitif, en bois, avaient la forme un cône dont la pointe était légèrement déviée vers le haut par rapport à l’axe de la quille. Il servait à éventrer les navires ennemis. Il était parfois doublé d’une seconde protubérance située au-dessus de la ligne de flottaison, destinée à endommager les œuvres mortes de l’adversaire, voire à le faire chavirer. Au cours du VII e siècle av. J.-C., l’éperon conique évolua vers la forme « en hure de sanglier ». Au V e siècle, le combat à l’éperon était la manière normale de se battre sur mer ; lorsqu’il évoque le corps à corps des soldats embarqués, Thucydide parle de « combat à l’ancienne mode ». La naissance de la trière (VII e ou VI e siècle av. J.-C.). Pour fracasser efficacement la coque de l’ennemi, le bâtiment éperonneur devait être animé de la plus grande vitesse possible. Il en résultait la nécessité d’augmenter le nombre de rameurs et donc, en pratique, la longueur du navire. On passa ainsi de vingt rameurs à trente (triacontores), puis à cinquante (pentécontores), répartis en nombre égal à bâbord et à tribord. Arrivés là, les constructeurs antiques atteignaient une limite : ils ne savaient pas rallonger les navires au-delà d’une trentaine de mètres sans compromettre gravement leur solidité. Qu’importe ! Ils trouvèrent une parade à cette contrainte : ils disposèrent les rameurs sur deux niveaux superposés. Ainsi naquit la birème, vaisseau à deux rangées de rames par bord, totalisant une centaine de rameurs au total. Cette invention, attribuée soit aux Phéniciens, soit aux Grecs date de la fin du VIII e siècle ; elle fut vite détrônée par la trière (ou trirème). Il est difficile de dater avec certitude le passage de la birème à la trirème : les historiens hésitent entre le VII e et le VI e siècle. L’adjonction d’un troisième niveau de rameurs ne dut pas être une chose simple, sur le plan Chapitre préliminaire technique 1 ! Toujours est-il que les trières ou trirèmes étaient largement répandues en Méditerranée à la fin du VI e siècle 2 et que, pendant tout le V e siècle, elles furent le navire de guerre idéal. Les débuts de la tactique navale (V e siècle av. J.-C.). Le progrès des navires ne suffisait pas, à lui seul, à gagner les batailles, il fallait savoir aussi les faire évoluer en escadres et les faire manœuvrer à l’heure du combat. Au cours de ce grand V e siècle av. J.-C., les bases de la tactique navale virent le jour. Les chefs d’escadre étudièrent et codifièrent la meilleure manière de se déployer, en ligne de file, en ligne de front, en ligne concave ou convexe. Ils apprirent à se positionner avantageusement par rapport à l’ennemi, à choisir le théâtre d’opérations le plus favorable. Même si l’abordage était une technique de combat occasionnellement intéressante, l’éperon conservait, au V e siècle, la faveur des tacticiens. Autour de lui se développèrent plusieurs méthodes d’attaque et de défense, en particulier le dickplous, le periplous et le kuklos. Le dickplous consistait à traverser la ligne adverse et à l’attaquer ensuite par derrière. Au passage, chaque attaquant s’efforçait d’arracher les avirons du navire ennemi le plus proche afin de lui causer le maximum de dégâts ; lorsque la ligne était franchie, chacun faisait demi-tour et venait éperonner par l’arrière les navires plus ou moins immobilisés par le premier choc. Le periplous consistait à envelopper les navires ennemis. S’il s’agissait de navires isolés, l’attaquant effectuait des cercles de plus en plus resserrés autour d’eux, afin d’exercer une pression psychologique sur leurs équipages. Ceux-ci, paralysés par la peur et la difficulté croissante de manœuvrer, étaient conduits à commettre des erreurs que l’attaquant devait mettre à profit. Si, au lieu de navires isolés, la formation ennemie était déployée en ligne, la manœuvre consistait à déborder cette ligne par les ailes et à l’encercler. Contrairement au dickplous et au periplous, le kuklos était une tactique défensive. Elle se pratiquait quand l’ennemi était supérieur en nombre ou en mobilité. Elle consistait à placer ses navires en cercle immobile, l’arrière tourné vers le centre et l’éperon vers l’extérieur. Ainsi disposés, les bâtiments formaient un bloc compact, difficile à percer. 1. Le fonctionnement des trières a suscité bien des controverses parmi les spécialistes de l’histoire navale. Certains ont affirmé l’impossibilité pratique de faire évoluer en harmonie plusieurs rangées superposées de rameurs. D’autres ont prétendu le contraire, à grands renforts de dessins et de maquettes. Napoléon III a même fait construire une trière en vraie grandeur pour essayer d’en percer le secret. La démonstration eut lieu sur la Seine, et ne fut pas convaincante. Un siècle plus tard, des chercheurs britanniques renouvelèrent l’expérience, avec le concours financier des ministères de la culture et de la marine grecs. La trière Olympias fut lancée en 1987. Elle a permis une bien meilleure connaissance du navire antique. Se reporter à l’ouvrage de J.S MORRISSON, J.E. COATES & N.B. RANKOV : The Athenian Trireme (cf bibliographie in fine). 2. Yvon GARLAN précise, dans La guerre dans l’Antiquité : « Polycrate en envoya 40 au secours du roi de Perse Cambyse en 525 ; en 494, au cours de la révolte de l’Ionie contre les Perses, Chios put en aligner 100, Milet 80, Lesbos 70 et samos 60 ; la flotte envoyée contre les Grecs par Darius en 490 en aurait compris 600, tandis que Gélon de Syracuse, dix ans plus tard, en proposait 200 aux Grecs en échange du commandement général sur mer ; sans compter les Athéniens qui, grâce aux efforts de Thémistocle, purent disposer de plus de 200 trières durant la seconde guerre médique. » 22 23
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