DEJA - Laboratoire de Linguistique Formelle

Quel que soit son mode de présence dans le texte, le point de vue sur Z non stabilisé, en tant que
premier point de vue, est toujours convoqué par déjà 11 . Il y a toujours altérité de points de vue sur
Z mais c’est déjà qui la fonde.
3. Les termes de « stabilisé » / « non stabilisé » utilisés dans la formulation de l’altérité des
points de vue p et q reçoivent des interprétations variables.
4. La contrainte évoquée ci-dessus concernant la forme niée du verbe tient au fait que par
rapport à non p signifiant « p n’est pas le cas », point de vue stabilisé, il est difficile de
construire une séquence pouvant s’interpréter comme premier point de vue non stabilisé.
Avec ne plus, qui pose non p (valeur de référence actualisée) comme le dépassement
dans le temps de p, la prise en compte de deux points de vue redevient possible ; cf. il
n’est déjà plus là.
Avant de décrire de façon systématique la variation de déjà, nous montrerons comment
cette caractérisation sur l’identité sémantique de déjà permet de rendre compte des principaux
emplois associés à déjà.
a. valeur « phasique »
(15) – Paul est là – Non, il est déjà parti.
Pour ce qui est du « départ de Paul », q, qui correspond à Paul est là, est réinterprété en tant que
premier point de vue sur Z, en termes de « Paul n’est pas (encore) parti » 12 . Le second point de
vue (point de vue de référence) correspond à Z stabilisé (« le départ a eu lieu »). La notion de
précocité, souvent utilisée pour décrire cette valeur, repose sur l’altérité des points de vue
convoqués par déjà 13 .
b. valeur « itérative » et passé d’expérience
(16) – Tu regardes A bout de souffle ce soir à la télé Non, je l’ai déjà vu trois fois.
(17) – Es-tu déjà allé à Rome – Oui, six fois / Non, jamais.
En (16) du point de vue de q, Z (« regarder A bout de souffle ») n’est pas stabilisé : il s’agit d’une
proposition. L’énoncé avec déjà marque que ce qui est présenté comme « à stabiliser » est en fait
stabilisé. L’exemple (17) est un exemple de passé d’expérience : la question ne porte pas sur une
occurrence de procès (envisagée sous l’angle de l’actualisation de telle ou telle phase de son
déroulement) mais sur l’existence dans le temps d’au moins une occurrence de procès (point de
vue stabilisé) par rapport à la non-existence d’une telle occurrence (point de vue non stabilisé).
Comme il s’agit d’une question (ce qui revient d’une certaine façon à mettre sur le même plan les
deux points de vue), la réponse peut sélectionner aussi bien l’existence d’une ou plusieurs
occurrences (oui, trois fois = p) que la non-existence d’une occurrence (non, jamais = q).
c. valeur d’oubli
(18) Quel est son nom déjà
Si elle est répertoriée par tous les auteurs ayant étudié déjà, la description du mécanisme qui fait
que déjà impose l’interprétation comme « oubli » et non comme simple ignorance est dans la
plupart des articles problématique. Ainsi, Mosegaard Hansen (2000) écrit que déjà signifie que
« l’obligation de poser la question se présente plus tôt que prévu ». Mais cela laisse ouverte la
question de savoir ce qui dans la sémantique même de déjà fonde la notion d’oubli 14 . Concernant
cet emploi, il faut préciser qu’il n’intervient que dans les questions qui portent sur l’identification
d’un des éléments de la relation prédicative (questions en qui, que, où, quand, …). Comme dans
le cas du passé d’expérience, on a coexistence dans le cadre de la question de deux points de
vue sur Z : le point de vue non stabilisé correspond au fait que, sur la classe des éléments
susceptibles d’instancier telle place d’argument, on ne peut pas identifier l’élément instanciant
11
Cette prise en compte d’un premier point de vue ne doit pas être interprétée comme signifiant que déjà est un
connecteur, au sens où il mettrait en relation deux points de vue sur Z. Déjà ne porte que sur p qui en tant que
second point de vue présuppose l’existence d’un premier point de vue.
12
Cette interprétation de Paul est là en termes de « ne pas être (encore) parti » n’est pas nécessaire, comme le montre
la possibilité de (15a) –Paul est là – Non, il est parti.
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L’impossibilité d’avoir déjà avec un verbe au passé simple tient au fait que le passé simple présente le procès
comme compact (le plus souvent dans un enchaînement), ce qui bloque toute mise en perspective d’une phase du
procès.
14
I. Tahara (2004) fait une remarque similaire, à la différence près que ce n’est pas la question mais l’oubli lui-même
qui est présenté comme « précoce ». Ici encore la responsabilité de déjà dans l’émergence de cette valeur n’est pas
vraiment abordée.
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