que faire des stéréotypes que la littérature adresse à la jeunesse
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Le Français aujourd’hui n° 149, La <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> : repères, enjeux et prati<strong>que</strong>s<br />
On trouve bien évidemment ce type de procédures dans <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> de<br />
<strong>jeunesse</strong> d’hier et d’aujourd’hui. De ce point de vue, les exemples ne<br />
man<strong>que</strong>nt pas, ils ont souvent été épinglés et commentés 7 y compris dans<br />
<strong>des</strong> ouvrages devenus <strong>des</strong> c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong>s et parmi les titres les mieux installés sur<br />
le marché. On pense <strong>à</strong> Mme « Juivet » dans Les Mémoires d’un âne de <strong>la</strong><br />
comtesse de Ségur 8 , aux noirs Africains de Tintin au Congo 9 (dont <strong>la</strong><br />
version initiale est épurée en 1946 <strong>des</strong> détails les plus choquants), ou<br />
encore <strong>à</strong> Prince Éric dans <strong>la</strong> collection « Signe de pistes », <strong>à</strong> propos de<br />
<strong>la</strong><strong>que</strong>lle Isabelle Jan a commenté une scène de fraternisation entre une<br />
patrouille scoute et un groupe de <strong>jeunesse</strong>s hitlériennes. Au del<strong>à</strong> de ces cas<br />
limites, assez datés et aujourd’hui heureusement moins fré<strong>que</strong>nts, désormais<br />
ce sont probablement les représentations exagérément simplifiées <strong>des</strong><br />
bons sentiments ou de ce qu’il est convenu de considérer ici et l<strong>à</strong> comme<br />
le vrai, le beau, le bon pour les enfants et les adolescents qui écrasent les<br />
processus de stéréotypie dans <strong>la</strong> production pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> ; ce phénomène<br />
a été analysé par Daniel B<strong>la</strong>mpain dès 1979 10 .<br />
À cha<strong>que</strong> épo<strong>que</strong>, les préoccupations morales et éducatives de l’heure<br />
nourrissent une <strong>littérature</strong> qui cherche <strong>à</strong> enrôler <strong>des</strong> publics de plus en plus<br />
segmentés en répondant <strong>à</strong> <strong>des</strong> interrogations, mais au ris<strong>que</strong> de présenter<br />
<strong>des</strong> représentations caricaturales ou démagogi<strong>que</strong>s. Ainsi selon les<br />
angoisses, les valeurs et les dominantes de l’actualité, tel auteur, telle collection,<br />
tel éditeur s’empressent-ils de (re)produire <strong>des</strong> livres « opportunistes »<br />
qui mettent en scène les misères du monde, avec plus ou moins de réussite :<br />
tantôt <strong>des</strong> adolescents <strong>à</strong> problèmes, fugueurs, drogués, délinquants, tantôt<br />
<strong>des</strong> victimes de l’exclusion sociale, de <strong>la</strong> pollution, du handicap, du sida,<br />
de <strong>la</strong> violence familiale, de l’inceste, de <strong>la</strong> pédophilie… Il arrive donc <strong>que</strong><br />
le cours de français soit l’occasion de dénoncer les facilités de ce type de<br />
<strong>littérature</strong> quand elle ne parvient pas <strong>à</strong> se hisser au niveau de modèles<br />
devenus <strong>des</strong> c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong>s.<br />
Pourtant, comme l’avait bien remarqué Jean-C<strong>la</strong>ude Passeron, de tels<br />
rejets ne sont pas sans ris<strong>que</strong>s puisqu’ils reviennent <strong>à</strong> exclure le lecteur en<br />
même temps <strong>que</strong> le livre ou l’auteur blâmé. Plutôt <strong>que</strong> de traiter ces<br />
ouvrages par un mépris désobligeant <strong>à</strong> l’égard de leurs lecteurs et de leurs<br />
auteurs, beaucoup d’enseignants considèrent désormais <strong>que</strong> les voies du<br />
débat, de <strong>la</strong> comparaison, de <strong>la</strong> confrontation <strong>à</strong> d’autres livres, <strong>à</strong> d’autres<br />
lectures et lecteurs sont bien plus efficaces. De nombreux exemples témoignent<br />
<strong>à</strong> cet égard d’expériences encourageantes dans <strong>la</strong> rubri<strong>que</strong> « Lecture<br />
7. Cf. Marc Soriano dans son Guide de Littérature pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>.<br />
8. Les Mémoires d’un âne, chapitre 14, La Bibliothè<strong>que</strong> électroni<strong>que</strong> du Québec, coll. « À<br />
tous les vents », Volume 263, p. 82-86. Mme Juivet est mercière. « Impatiente de vendre »,<br />
âpre au gain, peu scrupuleuse, malhonnête. Elle abuse de l’ignorance de petites filles qui<br />
entendent acheter <strong>des</strong> vêtements pour une mendiante ; elle provo<strong>que</strong> un scandale et<br />
déclenche une indignation générale en leur faisant payer « deux fois trop cher de vieilles<br />
marchandises dont personne ne veut. »<br />
9. L’album donne un bel exemple du credo colonial en représentant les noirs africains<br />
comme <strong>des</strong> groupes souvent souriants, serviables et sympathi<strong>que</strong>s mais aussi et tout <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />
fois peureux (comme Coco), immatures, paresseux, amoraux et globalement quasi débiles.<br />
10. Daniel B<strong>la</strong>mpain, La Littérature de <strong>jeunesse</strong> pour un autre usage, Paris, Nathan et Éditions<br />
Labor, 1979.<br />
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