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que faire des stéréotypes que la littérature adresse à la jeunesse

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QUE FAIRE DES STÉRÉOTYPES<br />

QUE LA LITTÉRATURE ADRESSE<br />

À LA JEUNESSE ?<br />

Par Max BUTLEN<br />

IUFM <strong>des</strong> Pays de <strong>la</strong> Loire et INRP<br />

Les actuels textes officiels de l’école et du collège se rejoignent pour inviter<br />

les enseignants <strong>à</strong> s’appuyer sur <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> afin de <strong>faire</strong> découvrir<br />

aux élèves <strong>des</strong> univers singuliers d’auteurs et plus généralement <strong>des</strong><br />

univers littéraires où les thèmes, les personnages, les situations, les images<br />

ne cessent de se répondre. Mais ceux-ci s’inscrivent dans <strong>des</strong> formes <strong>que</strong> les<br />

lecteurs en formation doivent apprendre progressivement <strong>à</strong> connaitre,<br />

identifier, apprécier.<br />

Comme le relève le document « Littérature » d’application <strong>des</strong><br />

programmes du cycle 3, <strong>la</strong> formation du lecteur s’accompagne nécessairement<br />

de reprises, de répétitions qui favorisent <strong>la</strong> reconnaissance.<br />

« Combien de fois le thème du mensonge a-t-il été exploré par un auteur<br />

ou celui de <strong>la</strong> peur au moment de s’endormir ? Combien de jouets ont-ils<br />

voulu devenir <strong>des</strong> humains ? Combien de fois le loup a-t-il été cruel, le<br />

renard malin ? » Semb<strong>la</strong>blement, combien de textes littéraires ont-ils mis<br />

en scène <strong>des</strong> amours impossibles, <strong>des</strong> amitiés trahies, <strong>des</strong> adolescents<br />

intransigeants et révoltés, <strong>des</strong> aventuriers perdus, <strong>des</strong> héros sans peur et<br />

sans reproche ?<br />

La <strong>littérature</strong> est ainsi grande utilisatrice et pourvoyeuse de modèles, de<br />

types, de prototypes 1 , d’archétypes 2 produisant inévitablement <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong><br />

qui peuvent se dégrader en quantité de lieux communs, poncifs et<br />

images toutes faites. Nous posons pourtant comme hypothèse <strong>que</strong> <strong>la</strong> catégorie<br />

du stéréotype, ordinairement assez dépréciée dans les valeurs éducatives<br />

et littéraires entre de façon inévitable dans <strong>la</strong> formation <strong>des</strong> jeunes<br />

lecteurs ; elle peut aider les enseignants <strong>à</strong> penser une continuité de l’action<br />

pédagogi<strong>que</strong> en offrant <strong>des</strong> cadres de référence pour concevoir <strong>des</strong><br />

programmations et <strong>des</strong> progressions dans <strong>la</strong> construction d’une culture<br />

littéraire. Cette orientation de travail conduit <strong>à</strong> prendre en compte les<br />

<strong>stéréotypes</strong> dans <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> en prenant appui sur <strong>des</strong> recher-<br />

1. Prototype <strong>que</strong> l’on définira comme l’exemp<strong>la</strong>ire initial, et aussi le modèle exemp<strong>la</strong>ire qui<br />

au sens d’une catégorie recouvrirait parfaitement l’ensemble <strong>des</strong> propriétés présentes ou<br />

déclinées chez les autres éléments du groupe d’appartenance.<br />

2. L’archétype désigne les symboles fondamentaux qui servent de matrice <strong>à</strong> <strong>des</strong> séries de<br />

représentations. Au sens <strong>la</strong>rge, l’archétype est l’image primordiale, l’image mère, celle qui<br />

alimente les images « personnelles » et qui les nourrit <strong>à</strong> partir d’un même fonds<br />

« archaï<strong>que</strong> », qu’exploitent mythologies, <strong>littérature</strong> et religions.


Le Français aujourd’hui n° 149, La <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> : repères, enjeux et prati<strong>que</strong>s<br />

ches re<strong>la</strong>tivement récentes 3 pour tenter finalement d’envisager <strong>des</strong><br />

parcours de lecture susceptibles de favoriser les rencontres, l’appréciation,<br />

<strong>la</strong> maitrise progressive de ces stéréotypies aux différents niveaux de <strong>la</strong> sco<strong>la</strong>rité.<br />

Les criti<strong>que</strong>s traditionnelles<br />

Les bonnes raisons <strong>que</strong> l’on peut avoir de criti<strong>que</strong>r les <strong>stéréotypes</strong> ont été<br />

<strong>la</strong>rgement énoncées aussi bien dans les sciences sociales, qu’en <strong>littérature</strong><br />

ou en analyse du discours. En tant <strong>que</strong> représentations toutes faites et<br />

figées, en tant <strong>que</strong> schèmes préexistants, <strong>à</strong> l’aide <strong>des</strong><strong>que</strong>ls chacun filtre <strong>la</strong><br />

réalité ambiante, les <strong>stéréotypes</strong> peuvent présenter un caractère nocif,<br />

déplorable et déploré quand ils nuisent aux individus pour les disqualifier<br />

sans aucune base objective. En ce qui concerne l’enseignement du français,<br />

les discours sur les <strong>stéréotypes</strong> peuvent être développés de trois points de<br />

vue qui renvoient <strong>à</strong> l’histoire <strong>des</strong> formes littéraires, <strong>à</strong> <strong>la</strong> position <strong>des</strong> auteurs<br />

et enfin <strong>à</strong> <strong>la</strong> formation du lecteur. En <strong>littérature</strong>, <strong>la</strong> criti<strong>que</strong> s’est intéressée<br />

aux dimensions esthéti<strong>que</strong>s mais aussi sociales <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong>. Le stéréotype<br />

se niche dans une formule banale, une figure, un discours, une vision<br />

exprimant ou résumant une opinion toute faite qui réduit les particu<strong>la</strong>rités.<br />

Il surdétermine un schéma littéraire ou <strong>la</strong> mise en scène d’une situation.<br />

On l’associe fré<strong>que</strong>mment au cliché dans un renvoi <strong>à</strong> <strong>des</strong> représentations<br />

condensées, schématisées, <strong>à</strong> <strong>des</strong> lieux communs, <strong>des</strong> idées reçues pour<br />

présenter, décrire, analyser <strong>à</strong> l’aide de formes répétitives, attendues, sans<br />

originalité, quasi pétrifiées. De l<strong>à</strong>, l’illégitimité et <strong>la</strong> condamnation<br />

fré<strong>que</strong>nte de toute <strong>littérature</strong> qui repose sur ce procédé. La posture de<br />

l’écrivain <strong>à</strong> l’égard du stéréotype est d’ailleurs une revendication et un trait<br />

de distinction. Par réflexe esthéti<strong>que</strong> ou individualiste l’écrivain cherche<br />

autre chose <strong>que</strong> <strong>la</strong> doxa ou l’expression banale. La <strong>littérature</strong> de masse et <strong>la</strong><br />

para<strong>littérature</strong> ont été dépréciées par <strong>la</strong> criti<strong>que</strong> et marginalisées au motif<br />

<strong>que</strong> ce type de production use et abuse du procédé pour f<strong>la</strong>tter un lecteur<br />

prisonnier par ailleurs de <strong>que</strong>l<strong>que</strong>s formes simples. La <strong>littérature</strong> de<br />

<strong>jeunesse</strong> a souvent été c<strong>la</strong>ssée dans cette para<strong>littérature</strong> pour <strong>des</strong> raisons du<br />

même ordre. S’adressant <strong>à</strong> de jeunes enfants qu’il convient d’édu<strong>que</strong>r,<br />

nombre d’auteurs, d’illustrateurs et d’éditeurs ont longtemps stipulé <strong>que</strong><br />

les textes qu’on leur <strong>des</strong>tine ne doivent pas rechercher <strong>la</strong> subtilité de l’effet<br />

littéraire ou esthéti<strong>que</strong> mais l’efficacité pédagogi<strong>que</strong> et commerciale.<br />

Georges Chaulet, créateur de Fantomette, confiait <strong>que</strong> dans un roman<br />

pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>, « D’abord et avant tout, il faut qu’il y ait <strong>des</strong> bons et <strong>des</strong><br />

méchants ». De l<strong>à</strong>, un assez <strong>la</strong>rge recours aux <strong>stéréotypes</strong> et clichés pour<br />

raconter <strong>des</strong> histoires et faciliter leur appropriation <strong>à</strong> partir de principes<br />

fort simples et de techni<strong>que</strong>s rodées. Dans les cas les plus célèbres, il apparait<br />

<strong>que</strong> c’est précisément, <strong>la</strong> simplicité <strong>des</strong> comparaisons et <strong>des</strong> représen-<br />

3. Ruth Amossy, Les Idées reçues : sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan, 1991, coll. « Le<br />

Texte <strong>à</strong> l’œuvre » ; Jean-Louis Dufays, Stéréotype et lecture. Essai sur <strong>la</strong> réception littéraire,<br />

Liège, Mardaga, 1994, coll. « Philosophie et <strong>la</strong>ngage » ; Ruth Amossy & Anne Herschberg-<br />

Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris, Nathan « Université », 1997.<br />

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« Que <strong>faire</strong> <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong> <strong>que</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>adresse</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> ? »<br />

tations, <strong>la</strong> précision première <strong>des</strong> images, le jeu <strong>des</strong> oppositions<br />

antithéti<strong>que</strong>s entre les personnages et les valeurs qu’ils défendent qui<br />

contribuent <strong>à</strong> garantir le succès <strong>des</strong> récits et <strong>à</strong> créer <strong>à</strong> partir d’archétypes <strong>des</strong><br />

<strong>stéréotypes</strong> reconnus universellement :<br />

« Peu après, (<strong>la</strong> reine) eut une petite fille qui était aussi b<strong>la</strong>nche <strong>que</strong> <strong>la</strong> neige,<br />

aussi rouge <strong>que</strong> le sang et aussi noire de cheveux <strong>que</strong> l’ébène, et <strong>que</strong><br />

pour cette raison on appe<strong>la</strong> B<strong>la</strong>ncheneige » 4 .<br />

Malgré l’impressionnante quantité de textes édités, de telles réussites<br />

demeurent assez rares dans <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>des</strong>tinée <strong>à</strong> l’enfance. En fait l’inf<strong>la</strong>tion<br />

spectacu<strong>la</strong>ire de <strong>la</strong> production pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> et <strong>la</strong> rentabilité actuelle<br />

de ce secteur éditorial s’accompagnent de l’entrée sur le marché d’un<br />

nombre croissant de textes qui font un usage bien moins glorieux du<br />

procédé. De nombreux textes (sur l’animal, fidèle compagnon ou repoussoir,<br />

le monstre sympathi<strong>que</strong> et protecteur, l’enfant rejeté et malheureux<br />

mais finalement reconnu pour ce qu’il est, le héros solitaire, solidaire et<br />

courageux, <strong>la</strong> jeune fille pure aux traits angéli<strong>que</strong>s…) n’offrent <strong>que</strong> <strong>des</strong><br />

répli<strong>que</strong>s sans originalité de thèmes et de motifs maintes fois consacrés et<br />

transformés en poncifs. Le lecteur comprendra-t-il pour autant qu’il n’a<br />

af<strong>faire</strong> qu’<strong>à</strong> <strong>des</strong> reprises formelles de modèles qui ont perdu leur signification<br />

et leur force initiale ? L’éditeur et l’auteur qui continuent <strong>à</strong> les<br />

exploiter savent <strong>que</strong>l surprenant pouvoir de séduction elles gardent.<br />

Encore faudrait-il expli<strong>que</strong>r plus finement les causes et formes <strong>des</strong> adhésions<br />

pour mieux les prendre en compte et proposer d’autres horizons de<br />

lecture. Si de nombreux travaux ont fait l’éloge d’une <strong>littérature</strong> de<br />

<strong>jeunesse</strong> dite de qualité (qui n’est pas nécessairement <strong>la</strong> plus lue), on<br />

commence seulement <strong>à</strong> disposer d’étu<strong>des</strong> sur <strong>des</strong> ouvrages et <strong>des</strong> séries mal<br />

perçus par <strong>la</strong> criti<strong>que</strong> (mais parfois plébiscités par plusieurs générations de<br />

jeunes lecteurs 5 ). Mais alors <strong>que</strong> <strong>faire</strong> <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong> véhiculés par les<br />

ouvrages de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> ? Que peuvent-ils apporter <strong>à</strong> l’enseignement<br />

du français ?<br />

De l’ambivalence <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong><br />

Les travaux sur les <strong>stéréotypes</strong> et les clichés ont pris une réelle ampleur<br />

dans <strong>la</strong> sphère universitaire. Prenant appui sur les théories de <strong>la</strong> réception,<br />

ils conduisent tout d’abord <strong>à</strong> mieux prendre en compte l’ambivalence du<br />

stéréotype et permettent d’envisager <strong>des</strong> applications pédagogi<strong>que</strong>s. Dans<br />

leur versant négatif, les <strong>stéréotypes</strong> en tant <strong>que</strong> schèmes collectifs de<br />

pensée, images réductrices du réel ou en tant <strong>que</strong> représentations culturelles<br />

datées et figées 6 , renvoient aux préjugés qui alimentent l’incompréhension,<br />

le mépris et les tensions entre individus ou entre groupes sociaux.<br />

4. J. & W. Grimm, « B<strong>la</strong>ncheneige », Contes, traduction de Marthe Robert, Gallimard,<br />

« Folio », 1973.<br />

5. Cf. les recherches de Pierre Bruno, et aussi de Laurence Decréau, Ces héros qui font lire,<br />

Paris, Hachette « Éducation », 1994. Voir également sur ce point l’article de Francis Marcoin,<br />

infra.<br />

6. Ruth Amossy et Anne Herschberg-Pierrot, op. cit., p. 26.<br />

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Le Français aujourd’hui n° 149, La <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> : repères, enjeux et prati<strong>que</strong>s<br />

On trouve bien évidemment ce type de procédures dans <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> de<br />

<strong>jeunesse</strong> d’hier et d’aujourd’hui. De ce point de vue, les exemples ne<br />

man<strong>que</strong>nt pas, ils ont souvent été épinglés et commentés 7 y compris dans<br />

<strong>des</strong> ouvrages devenus <strong>des</strong> c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong>s et parmi les titres les mieux installés sur<br />

le marché. On pense <strong>à</strong> Mme « Juivet » dans Les Mémoires d’un âne de <strong>la</strong><br />

comtesse de Ségur 8 , aux noirs Africains de Tintin au Congo 9 (dont <strong>la</strong><br />

version initiale est épurée en 1946 <strong>des</strong> détails les plus choquants), ou<br />

encore <strong>à</strong> Prince Éric dans <strong>la</strong> collection « Signe de pistes », <strong>à</strong> propos de<br />

<strong>la</strong><strong>que</strong>lle Isabelle Jan a commenté une scène de fraternisation entre une<br />

patrouille scoute et un groupe de <strong>jeunesse</strong>s hitlériennes. Au del<strong>à</strong> de ces cas<br />

limites, assez datés et aujourd’hui heureusement moins fré<strong>que</strong>nts, désormais<br />

ce sont probablement les représentations exagérément simplifiées <strong>des</strong><br />

bons sentiments ou de ce qu’il est convenu de considérer ici et l<strong>à</strong> comme<br />

le vrai, le beau, le bon pour les enfants et les adolescents qui écrasent les<br />

processus de stéréotypie dans <strong>la</strong> production pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> ; ce phénomène<br />

a été analysé par Daniel B<strong>la</strong>mpain dès 1979 10 .<br />

À cha<strong>que</strong> épo<strong>que</strong>, les préoccupations morales et éducatives de l’heure<br />

nourrissent une <strong>littérature</strong> qui cherche <strong>à</strong> enrôler <strong>des</strong> publics de plus en plus<br />

segmentés en répondant <strong>à</strong> <strong>des</strong> interrogations, mais au ris<strong>que</strong> de présenter<br />

<strong>des</strong> représentations caricaturales ou démagogi<strong>que</strong>s. Ainsi selon les<br />

angoisses, les valeurs et les dominantes de l’actualité, tel auteur, telle collection,<br />

tel éditeur s’empressent-ils de (re)produire <strong>des</strong> livres « opportunistes »<br />

qui mettent en scène les misères du monde, avec plus ou moins de réussite :<br />

tantôt <strong>des</strong> adolescents <strong>à</strong> problèmes, fugueurs, drogués, délinquants, tantôt<br />

<strong>des</strong> victimes de l’exclusion sociale, de <strong>la</strong> pollution, du handicap, du sida,<br />

de <strong>la</strong> violence familiale, de l’inceste, de <strong>la</strong> pédophilie… Il arrive donc <strong>que</strong><br />

le cours de français soit l’occasion de dénoncer les facilités de ce type de<br />

<strong>littérature</strong> quand elle ne parvient pas <strong>à</strong> se hisser au niveau de modèles<br />

devenus <strong>des</strong> c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong>s.<br />

Pourtant, comme l’avait bien remarqué Jean-C<strong>la</strong>ude Passeron, de tels<br />

rejets ne sont pas sans ris<strong>que</strong>s puisqu’ils reviennent <strong>à</strong> exclure le lecteur en<br />

même temps <strong>que</strong> le livre ou l’auteur blâmé. Plutôt <strong>que</strong> de traiter ces<br />

ouvrages par un mépris désobligeant <strong>à</strong> l’égard de leurs lecteurs et de leurs<br />

auteurs, beaucoup d’enseignants considèrent désormais <strong>que</strong> les voies du<br />

débat, de <strong>la</strong> comparaison, de <strong>la</strong> confrontation <strong>à</strong> d’autres livres, <strong>à</strong> d’autres<br />

lectures et lecteurs sont bien plus efficaces. De nombreux exemples témoignent<br />

<strong>à</strong> cet égard d’expériences encourageantes dans <strong>la</strong> rubri<strong>que</strong> « Lecture<br />

7. Cf. Marc Soriano dans son Guide de Littérature pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong>.<br />

8. Les Mémoires d’un âne, chapitre 14, La Bibliothè<strong>que</strong> électroni<strong>que</strong> du Québec, coll. « À<br />

tous les vents », Volume 263, p. 82-86. Mme Juivet est mercière. « Impatiente de vendre »,<br />

âpre au gain, peu scrupuleuse, malhonnête. Elle abuse de l’ignorance de petites filles qui<br />

entendent acheter <strong>des</strong> vêtements pour une mendiante ; elle provo<strong>que</strong> un scandale et<br />

déclenche une indignation générale en leur faisant payer « deux fois trop cher de vieilles<br />

marchandises dont personne ne veut. »<br />

9. L’album donne un bel exemple du credo colonial en représentant les noirs africains<br />

comme <strong>des</strong> groupes souvent souriants, serviables et sympathi<strong>que</strong>s mais aussi et tout <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />

fois peureux (comme Coco), immatures, paresseux, amoraux et globalement quasi débiles.<br />

10. Daniel B<strong>la</strong>mpain, La Littérature de <strong>jeunesse</strong> pour un autre usage, Paris, Nathan et Éditions<br />

Labor, 1979.<br />

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« Que <strong>faire</strong> <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong> <strong>que</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>adresse</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> ? »<br />

cursive » sur le site de <strong>la</strong> revue Le Français aujourd’hui et dans divers exemp<strong>la</strong>ires<br />

du Supplément <strong>à</strong> <strong>la</strong> revue 11 . À leur manière, avec prudence et<br />

distinction, les Programmes du collège encouragent désormais <strong>la</strong> recherche<br />

de points d’appui pour faciliter les passages même s’ils ne les envisagent<br />

<strong>que</strong> dans un sens. Ainsi, en c<strong>la</strong>sse de 3 e , il est conseillé de ménager <strong>des</strong><br />

étapes dans les découvertes et, par exemple, de partir d’autobiographies<br />

considérées comme familières aux adolescents d’aujourd’hui (R. Gary, La<br />

Promesse de l’aube, Azouz Begag, Le Gone du Chaâba) pour aller <strong>à</strong> <strong>la</strong><br />

rencontre de Chateaubriand, Rousseau, Nathalie Sarraute…<br />

Évolution <strong>des</strong> prati<strong>que</strong>s<br />

L’évolution <strong>des</strong> prati<strong>que</strong>s invite <strong>à</strong> explorer davantage encore <strong>la</strong> catégorie<br />

du stéréotype. C’est le sens du travail de Ruth Amossy et Anne Herschberg-Pierrot<br />

qui, <strong>à</strong> <strong>la</strong> suite de Jean-Philippe Leyens, Vincent Yzerbyt et<br />

Georges Schadron, mettent en évidence un versant positif du stéréotype 12 .<br />

Ils distinguent les <strong>stéréotypes</strong> comme produits, du stéréotypage comme<br />

procès. Si l’on gagne <strong>à</strong> apprendre <strong>à</strong> se dégager de l’emprise <strong>des</strong> premiers,<br />

on ne saurait éviter le second phénomène qui correspond <strong>à</strong> une étape dans<br />

toute formation individuelle et collective parce <strong>que</strong> <strong>la</strong> démarche de catégorisation<br />

et de schématisation se conjugue assez nécessairement avec <strong>la</strong><br />

distinction, l’individualisation. Les <strong>stéréotypes</strong> participent d’une réflexion<br />

sur l’identité sociale, et contribuent <strong>à</strong> <strong>la</strong> construction de l’image de soi et<br />

de l’image de l’autre. En ce sens, ils comportent aussi <strong>des</strong> fonctions constructives.<br />

De plus, ils se révèlent utiles et finalement inévitables non seulement<br />

dans le cadre de <strong>la</strong> cognition sociale mais encore dans le champ de <strong>la</strong><br />

formation du lecteur.<br />

Parallèlement, <strong>des</strong> didacticiens se sont employés <strong>à</strong> démontrer <strong>que</strong> les<br />

<strong>stéréotypes</strong> offrent <strong>des</strong> points d’appui <strong>à</strong> <strong>la</strong> formation du lecteur de <strong>littérature</strong><br />

dans <strong>la</strong> mesure où ils « sont constitutifs <strong>des</strong> textes qui peuvent s’en<br />

jouer mais non s’en passer 13 ». Chacun appréhende un texte avec, en<br />

mémoire, les traces <strong>des</strong> textes qu’il a lus et c<strong>la</strong>ssés, avec pour <strong>la</strong> fiction une<br />

collection de scénarios préfabriqués pour les contes aussi bien <strong>que</strong> pour les<br />

récits d’aventure, les romans sentimentaux, les romans policiers, les<br />

romans d’épouvante, les autobiographies, les tragédies, les comédies… Le<br />

lecteur enfantin apprend très vite <strong>à</strong> dire <strong>à</strong> quoi il peut s’attendre en fonction<br />

d’un titre, d’une couverture, d’un incipit, il sait même parfois dès le<br />

cycle 2 ou dès l’école maternelle <strong>que</strong>l type d’univers ris<strong>que</strong> de représenter<br />

un album de Grégoire Solotareff, de C<strong>la</strong>ude Boujon, de Pef ou de C<strong>la</strong>ude<br />

Ponti. Il arrive même qu’il sache déc<strong>la</strong>rer de <strong>que</strong>lle manière ce<strong>la</strong> peut se<br />

réaliser. Il en va de même pour les personnages <strong>que</strong> Philippe Hamon défi-<br />

11. Notamment le Supplément au FA n° 141 de juin 2003 , dossier « Donner libre cours <strong>à</strong><br />

<strong>la</strong> lecture cursive ».<br />

12. J.-P. Leyens, V. Yzerbyt & G. Schadron, Stéréotypes et cognition sociale, trad. G. Schadron,<br />

Bruxelles, Mardaga, 1996. Voir aussi R. Amossy, Les Idées reçues. Sémiologie du stéréotype ?<br />

1991, op. cit., et encore R. Amossy & A. Herschberg-Pierrot, 1997, op. cit., p. 49-50.<br />

13. R. Amossy, 1991, op. cit.<br />

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Le Français aujourd’hui n° 149, La <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> : repères, enjeux et prati<strong>que</strong>s<br />

nissait comme « référentiels 14 » et <strong>que</strong> le lecteur un peu plus âgé apprend <strong>à</strong><br />

associer <strong>à</strong> <strong>des</strong> signifiés sûrs et immédiatement repérables en les renvoyant<br />

<strong>à</strong> <strong>des</strong> archétypes, (l’ogre, le géant, le nain…), <strong>à</strong> <strong>des</strong> fonctions (le barbon, <strong>la</strong><br />

jeune fille romanti<strong>que</strong>, l’aventurier audacieux ou sans scrupule, le valet<br />

ingénieux, le traitre, le justicier…) ou <strong>à</strong> <strong>des</strong> types de caractère (l’avare, le<br />

séducteur, le fourbe, le misanthrope). Le sens du texte s’é<strong>la</strong>bore et s’infléchit<br />

en prenant appui sur ces bases.<br />

Les <strong>stéréotypes</strong> sont <strong>à</strong> <strong>la</strong> source de <strong>la</strong> formation du lecteur mais ils en<br />

résultent aussi. Ruth Amossy souligne <strong>que</strong> c’est en dernière analyse au<br />

lecteur qu’il revient de construire le stéréotype par un processus de sélection,<br />

d’é<strong>la</strong>gage, d’assemb<strong>la</strong>ges et de déchiffrement de traits pertinents. En<br />

somme s’il n’y a « pas de stéréotype sans activité lectrice », « il n’y a pas<br />

d’activité lectrice sans stéréotype 15 ». Les <strong>stéréotypes</strong> (qu’ils soient verbaux,<br />

thémati<strong>que</strong>s ou narratifs), en activant <strong>des</strong> scénarios intertextuels, permettent<br />

le déchiffrement et l’appropriation <strong>des</strong> textes. Pour Jean-Louis Dufays<br />

« apprendre <strong>à</strong> lire c’est d’abord apprendre <strong>à</strong> maitriser <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong> ».<br />

Cette approche permet de baliser un partage <strong>des</strong> tâches de formation. S’il<br />

en était encore besoin, elle apporte de nouveaux arguments pour développer<br />

<strong>la</strong> présence et l’usage de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> <strong>à</strong> l’école puis<br />

au collège d’abord parce <strong>que</strong> cette production fournit un réservoir considérable<br />

de textes qui multiplient les possibilités de rencontres avec les<br />

éléments récurrents de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>. Voil<strong>à</strong> qui facilite une première découverte<br />

puis une appropriation et enfin une explication <strong>des</strong> divers schémas<br />

narratifs, <strong>des</strong> types majeurs de discours, <strong>des</strong> scénarios fondamentaux, <strong>des</strong><br />

principales galeries de personnages et <strong>des</strong> motifs clefs. Les meilleurs auteurs<br />

pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> savent ajuster l’usage de ces catégories <strong>à</strong> <strong>la</strong> « zone proximale<br />

de développement » <strong>des</strong> lecteurs. Il reste aux enseignants <strong>à</strong> se partager<br />

les tâches en cernant notamment ce qui est indispensable et recevable <strong>à</strong><br />

l’école et ce qu’il ne faut pas <strong>faire</strong> pour le <strong>la</strong>isser au collège.<br />

De l’école au collège, <strong>que</strong>l partage <strong>des</strong> tâches ?<br />

Cette réflexion sur les <strong>stéréotypes</strong> confirme qu’il revient <strong>à</strong> l’école de<br />

multiplier les occasions de rencontres heureuses et utiles avec les textes relevant<br />

du champ éditorial de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> pour <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> car ils servent de<br />

repères et de socle de références pour construire <strong>la</strong> culture littéraire de<br />

cha<strong>que</strong> élève par familiarisation avec <strong>des</strong> formes qui deviendront par <strong>la</strong><br />

suite si coutumières qu’elles lui permettront de recevoir d’autres formes<br />

(apparentées puis éloignées), d’effectuer <strong>des</strong> repérages, d’installer un<br />

horizon d’attente, de devenir progressivement criti<strong>que</strong> <strong>à</strong> l’égard de schémas<br />

trop éculés, d’être sensible <strong>à</strong> <strong>des</strong> variations dont on étudiera les causes et les<br />

effets de façon systémati<strong>que</strong> au collège et au lycée. En ce sens, <strong>la</strong> spécificité<br />

de l’école primaire ne réside certainement pas dans l’explication formelle<br />

<strong>des</strong> processus de stéréotypie ; les maitres se garderont (comme on le leur<br />

14. P. Hamon, « Pour un statut sémiologi<strong>que</strong> du personnage », dans R. Barthes et al., Poéti<strong>que</strong><br />

du récit, Paris, Seuil, coll. « Points », p. 144.<br />

15. R. Amossy, op. cit., p. 74.<br />

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« Que <strong>faire</strong> <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong> <strong>que</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>adresse</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> ? »<br />

conseille sagement) d’introduire trop vite <strong>la</strong> lecture analyti<strong>que</strong> pour<br />

étudier systémati<strong>que</strong>ment les intentions, les techni<strong>que</strong>s, les procédés<br />

d’écriture et les effets. La tâche de l’école primaire consiste bien <strong>à</strong> installer<br />

un cadre de réception et <strong>à</strong> aider cha<strong>que</strong> élève <strong>à</strong> se constituer une bibliothè<strong>que</strong><br />

personnelle par l’abondance <strong>des</strong> lectures et relectures, par <strong>la</strong> familiarisation,<br />

l’imprégnation, <strong>la</strong> discussion collective, les interactions avec<br />

l’enseignant sans recherche de formalisation directe, immédiate <strong>des</strong><br />

savoirs. En revanche, lors<strong>que</strong> les fondamentaux sont bien connus (par<br />

exemple le déroulement c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong> d’un récit policier), rien n’empêche de<br />

piéger les lecteurs en leur faisant découvrir <strong>que</strong> le p<strong>la</strong>isir de <strong>la</strong> lecture peut<br />

naitre aussi de l’écart entre une attente modelée par les parcours de lecture<br />

antérieurs et <strong>des</strong> surprises déroutantes, de l’inattendu qui résultent <strong>des</strong><br />

ruses déployées par un auteur pour orienter ses lecteurs vers <strong>des</strong> fausses<br />

pistes. L’assassin n’est pas celui <strong>que</strong> l’on croyait, d’ailleurs faut-il parler<br />

d’assassin ou en sourire comme dans le Journal d’un chat assassin 16 . Si elle<br />

se déploie sur <strong>la</strong> base de connaissances consolidées, <strong>la</strong> prati<strong>que</strong> de ces jeux<br />

de tromperie et de reconnaissances s’avère jubi<strong>la</strong>toire et formatrice. Abusé<br />

une première fois par un écrivain qui sait retourner les situations pour<br />

mieux les <strong>faire</strong> rebondir et les dénouer <strong>à</strong> rebours <strong>des</strong> attentes du public, le<br />

lecteur se promet, qu’une prochaine fois, on ne l’y prendra pas. Voil<strong>à</strong> qui<br />

ouvre de beaux programmes de lecture de l’école <strong>à</strong> l’université en convoquant<br />

successivement d’autres textes qui fonctionnent sur le même principe.<br />

On pense aux c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong>s <strong>que</strong> sont devenus les petits romans de <strong>la</strong> série<br />

Souris noire pour l’école primaire, <strong>à</strong> Mauvais p<strong>la</strong>n, de Sarah Cohen-Scali 17 ,<br />

pour les collégiens et bien sûr aux textes qui offrent les références<br />

premières, Le Mystère de <strong>la</strong> chambre jaune, Le Meurtre de Roger Ackroyd, Le<br />

Crime de l’Orient express. On pourra ultérieurement aller jusqu’<strong>à</strong> interroger<br />

l’habileté d’Agatha Christie comme le fait Pierre Bayard dans Qui a tué<br />

Roger Ackroyd 18 ? La construction de tels repères permettra aux lycéens, au<br />

terme d’une lecture cursive, de porter une appréciation argumentée sur<br />

l’intérêt ou l’habileté re<strong>la</strong>tive de romans comme La Tache, de Philippe<br />

Roth ou encore Jusqu’au dernier, de Deon Meyer 19 .<br />

La découverte de l’intertextualité :<br />

entre familiarisation et distanciation<br />

En amont, au cycle 3, les textes sont l<strong>à</strong> pour être lus et goutés, non pour<br />

servir de prétextes <strong>à</strong> <strong>la</strong> découverte de techni<strong>que</strong>s, ou de concepts, de stratégies<br />

d’écriture. On se contente, <strong>à</strong> cette étape du parcours de formation<br />

du lecteur, de <strong>faire</strong> collectivement l’expérience <strong>que</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> se tisse <strong>à</strong><br />

travers les re<strong>la</strong>tions multiples <strong>que</strong> les œuvres entretiennent entre elles.<br />

Précisons donc notre remar<strong>que</strong> précédente : l’approche par les <strong>stéréotypes</strong><br />

16. A. Fine, Journal d’un chat assassin, Paris, École <strong>des</strong> Loisirs, 1997.<br />

17. S. Cohen-Scali, Mauvais P<strong>la</strong>n, Paris, Hachette <strong>jeunesse</strong>, 1998.<br />

18. P. Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd ? Paris, Éditions de minuit, 2003.<br />

19. P. Roth, La Tache, Paris, Gallimard, 2002 ou encore de D. Meyer, Jusqu’au dernier,<br />

grand prix de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> policière, 2003.<br />

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Le Français aujourd’hui n° 149, La <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> : repères, enjeux et prati<strong>que</strong>s<br />

justifie <strong>la</strong> présence et l’usage de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> <strong>à</strong> l’école non seulement<br />

parce <strong>que</strong> ce domaine fournit un réservoir considérable de textes qui<br />

multiplient les possibilités d’appropriation <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong> mais aussi parce<br />

<strong>que</strong> bon nombre d’ouvrages s’emploient <strong>à</strong> les mettre <strong>à</strong> distance.<br />

Genette circonscrit l’intertextualité <strong>à</strong> <strong>la</strong> présence d’un texte dans un autre<br />

texte, par l’usage de <strong>la</strong> citation, du p<strong>la</strong>giat, de l’allusion. Si on é<strong>la</strong>rgit <strong>la</strong><br />

définition au pastiche, on voit <strong>que</strong> ce dernier apparait comme une <strong>des</strong><br />

dominantes de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> de <strong>jeunesse</strong> d’aujourd’hui, non sans excès. À<br />

l’instar de ce qui se fait au cinéma, c’est devenu une orientation éditoriale<br />

<strong>que</strong> de jouer avec les grands <strong>stéréotypes</strong> fournis par les matrices <strong>des</strong> récits<br />

et <strong>des</strong> contes les plus célèbres ou avec les genres les plus typés comme le<br />

policier, le récit d’épouvante, et plus généralement les c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong>s de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong>.<br />

On voit les limites mais aussi l’intérêt <strong>que</strong> présente cette production<br />

dont <strong>la</strong> fré<strong>que</strong>ntation <strong>à</strong> l’école primaire permet de mettre en œuvre dans <strong>la</strong><br />

lecture non une théorie, mais une prati<strong>que</strong> de <strong>la</strong> coopération interprétative.<br />

Exemple : dès lors <strong>que</strong> les contes types de Charles Perrault sont bien<br />

connus, rien n’interdit d’apprécier le moment venu de <strong>que</strong>lle manière<br />

Yvan Pommaux les recycle dans <strong>des</strong> albums 20 qui jouent avec les <strong>stéréotypes</strong><br />

en croisant les références aux contes initiaux aux c<strong>la</strong>ssi<strong>que</strong>s du cinéma<br />

(<strong>à</strong> <strong>la</strong> série B, <strong>à</strong> Truffaut, <strong>à</strong> Hitchcock), au po<strong>la</strong>r, <strong>à</strong> <strong>la</strong> BD, aux tableaux de<br />

<strong>que</strong>l<strong>que</strong>s grands peintres. Les élèves éprouvent alors (sans nécessairement<br />

le formaliser) <strong>que</strong> pour écrire l’auteur se situe face <strong>à</strong> d’autres textes et face<br />

<strong>à</strong> <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong>, qu’il les utilise, les reproduit ou s’en distancie. Parallèlement<br />

le jeune lecteur prend conscience <strong>que</strong> lui même, en lisant, apprécie<br />

le texte en fonction d’écarts par rapport aux canons connus et reconnus. Il<br />

lui faut activer <strong>des</strong> schèmes préétablis, réviser ses positions initiales. La<br />

rencontre et l’expérience de lecture peuvent commencer <strong>à</strong> lui <strong>faire</strong> entrevoir<br />

<strong>que</strong> <strong>la</strong> valeur esthéti<strong>que</strong> d’une œuvre est pour une part liée <strong>à</strong> <strong>la</strong> capacité<br />

qu’a l’écrivain <strong>à</strong> infléchir, voire <strong>à</strong> bouleverser les habitu<strong>des</strong> ou les idées<br />

toutes faites du public et de son épo<strong>que</strong>.<br />

L’inf<strong>la</strong>tion <strong>des</strong> pastiches, parodies, contes détournés et le succès qu’ils<br />

remportent auprès <strong>des</strong> maitres et <strong>des</strong> élèves incitent cependant <strong>à</strong> une<br />

certaine prudence. Il n’est pas rare <strong>que</strong> l’on découvre désormais les versions<br />

détournées <strong>des</strong> contes avant les textes sources, et les variations autour <strong>des</strong><br />

<strong>stéréotypes</strong> avant les matrices originelles, tout comme les adaptations<br />

tendent <strong>à</strong> remp<strong>la</strong>cer les versions intégrales. Peut-être est-ce même devenu<br />

<strong>la</strong> règle. Voil<strong>à</strong> une sorte d’évidence encore vérifiée récemment lors du<br />

<strong>la</strong>ncement d’une recherche INRP qui a pour objectif de rendre compte <strong>des</strong><br />

prati<strong>que</strong>s d’enseignement de <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> en les saisissant <strong>à</strong> travers<br />

l’approche d’un conte d’Andersen La Petite Sirène, <strong>à</strong> tous les niveaux du<br />

système éducatif. Dans <strong>la</strong> plupart <strong>des</strong> cas <strong>la</strong> surprise <strong>des</strong> élèves mais aussi<br />

celle de leurs maitres est grande lorsqu’ils découvrent <strong>que</strong> ce récit n’est en<br />

rien conforme aux souvenirs ou représentations qu’ils en avaient. De tels<br />

constats incitent <strong>à</strong> opérer <strong>des</strong> rééquilibrages en termes de parcours de<br />

20. Y. Pommaux, John Chatterton détective, Paris, L’École <strong>des</strong> Loisirs, 1993 ; Li<strong>la</strong>s, Paris,<br />

L’École <strong>des</strong> Loisirs, 1995 ; Le Grand sommeil. Une enquête de John Chatterton, Paris,<br />

L’École <strong>des</strong> Loisirs, 1998…<br />

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« Que <strong>faire</strong> <strong>des</strong> <strong>stéréotypes</strong> <strong>que</strong> <strong>la</strong> <strong>littérature</strong> <strong>adresse</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> <strong>jeunesse</strong> ? »<br />

lecture. Sans doute conviendrait-il de ménager un temps d’appropriation<br />

suffisant <strong>des</strong> textes sources au cycle 1 et au cycle 2, au moins et, sans doute<br />

pour une grande part encore, au cycle 3. Des parcours plus complexes et<br />

<strong>des</strong> expériences de lecture plus ambitieuses donneront progressivement,<br />

plus tard, notamment au collège et au lycée, l’occasion de vérifier <strong>que</strong> lire<br />

n’est pas suivre docilement les chemins proposés par l’auteur… ou par le<br />

professeur, c’est aussi essayer d’autres cheminements possibles et évaluer<br />

l’intérêt du parcours <strong>que</strong> l’on a choisi d’emprunter.<br />

Max BUTLEN<br />

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