Compagnons & Maîtres d'Œuvre 334

TORONTO
Un espace de liberté pour la modernité
Alors qu’à Paris, politiques, architectes, défenseurs du
patrimoine et associations de tout poil s’étripent sur le
fait de savoir s’il faut, ou non, édifier la Tour Triangle,
immeuble de très grande hauteur (pour Paris) de 180 m porte
de Versailles et où respect de la règle haussmannienne et
paresse d’esprit semblent l’emporter, au Canada, Toronto,
capitale de l’Ontario déjà regorgeante de tours avec en tête la
First Canada Place : 72 étages, 298 m de hauteur, présente à ce
jour le plus grand nombre de constructions de très grande
hauteur, en projet ou en cours, juste derrière New York, bureaux
et appartements confondus.
Loin de nous l’idée saugrenue de comparer deux villes que
tout oppose : Paris déjà amplement pourvue, à présent saturée
d’architectures « culturelles » récentes jusqu’à l’indigestion,
futures reliques des XX e et XXI e siècles conjugués, et Toronto où
l’architecture qui marque la ville c’est celle du Centre d’affaires
promu au rang de centre de la ville, de par l’importance de sa
place financière. Dans ce désir de Manhattan canadien, à
Toronto on se sent déjà aux États-Unis : le gratte-ciel a
révolutionné la ville, image de prestige et d’assouvissement
des ambitions tout autant qu’affirmation de la puissance
technique, force et énergie, mais avant tout modernité
revendiquée dans la provocation calculée d’une architecturechoc
dont « le ciel est la seule limite ».
Rationalisation et fonctionnalisme directement issus du style
international, à l’instar des États-Unis, sont les marqueurs de
ces constructions où l’acier est le matériau privilégié, associé au
verre ; elles débouchent alors sur un purisme de formes
simples où l’on ressent l’influence de l’architecte américain
Mies van der Rohe, auteur du Toronto Dominion Centre.
Dans une démarche poétique, la beauté de certains immeubles
réside dans la transparence de la paroi laissant apparaître la
structure, hymne à la construction en hauteur, moteur de
l’évolution de toutes les techniques du bâtiment.
Si, en parcourant la ville on découvre des immeubles de
différentes factures en dépit de leur unicité, cela tient
essentiellement à l’interpénétration des horizontales et des
verticales, ballet géométrique constant d’une extraordinaire
dynamique, engendrant le carré, module de base répétitif.
Mais c’est surtout l’extrême concentration des tours qui
provoque ce sentiment d’irréalité qui nous fascine. À titre
d’exemple, en un lieu situé à l’arrière des rues et des avenues,
une vaste esplanade, ancien centre de dispatching de
locomotives résume tout. Comparable à une immense piste de
cirque, site dégagé à l’extrême, le spectacle ici n’est pas au
centre, mais à la périphérie qui l’enserre : nous sommes au pied
d’une muraille de buildings qui nous surplombe. L’effet est
grandiose, l’image de modernité absolue qui se dégage de