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La frontière entre le civilisé et le sauvage dans l ... - Euxin - UCL

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<strong>La</strong> frontière <strong>entre</strong> <strong>le</strong> civilisé <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />

<strong>sauvage</strong> <strong>dans</strong> l'imaginaire de<br />

l'Occident latin :<br />

usages <strong>et</strong> mésusages des critères<br />

antiques<br />

par<br />

Monique Mund-Dopchie<br />

Professeur à l'Université de Louvain<br />

<br />

Les Folia E<strong>le</strong>ctronica Classica ont à deux<br />

reprises déjà fait écho aux colloques organisés<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong> cadre du proj<strong>et</strong> EUxIN (coord.<br />

scientifique : prof. Bernard Coulie, <strong>UCL</strong>).<br />

Prenant en compte quelques-uns des<br />

imaginaires qui ont fait l'Europe, ce proj<strong>et</strong>,<br />

réunissant cinq universités européennes, tente<br />

de définir des outils de décision culturel<strong>le</strong><br />

utilisab<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s instances de l'Union<br />

européenne. Le premier colloque était<br />

consacré à l'utopie, <strong>le</strong> deuxième aux langues.<br />

Le troisième <strong>et</strong> dernier, qui s'est tenu à<br />

Bruxel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s 4 <strong>et</strong> 5 décembre 2003, était<br />

intitulé " Les frontières pour ouvrir l'Europe ".<br />

Outre la contribution du prof. Monique Mund-<br />

Dopchie (ci-dessous), <strong>le</strong>s FEC publient deux<br />

textes du prof. Paul-Augustin Deproost, d'une<br />

part l'adresse qu'il a prononcée en introduction


au colloque, d'autre part sa communication<br />

sur <strong>le</strong>s paradoxes de la frontière romaine.<br />

[Note de l'éditeur - 17 décembre 2003]<br />

Plan<br />

• Introduction<br />

• Les critères d'évaluation de l'état civilisé<br />

• Application des critères de civilisation aux<br />

confins de l'Europe <strong>et</strong> aux autres continents<br />

• Conclusion<br />

• Notes<br />

Introduction<br />

<strong>La</strong> réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs constitutives de<br />

l’Europe <strong>et</strong> sur <strong>le</strong>s frontières de cel<strong>le</strong>-ci ne date<br />

pas d’aujourd’hui. El<strong>le</strong> a été véritab<strong>le</strong>ment<br />

inaugurée à la Renaissance [1], qui a intégré <strong>le</strong><br />

mot Europe <strong>dans</strong> <strong>le</strong> langage courant <strong>et</strong> qui a<br />

donné de la consistance à l’ensemb<strong>le</strong> ainsi désigné<br />

en lui associant une idéologie dynamique <strong>et</strong><br />

conquérante, propre à lui faire surmonter ses<br />

divisions internes <strong>et</strong> à diffuser son modè<strong>le</strong> à<br />

l’extérieur [2]. Mais, contrairement à ce qui se<br />

passe actuel<strong>le</strong>ment, c<strong>et</strong>te réf<strong>le</strong>xion durant <strong>le</strong> " long<br />

seizième sièc<strong>le</strong> " n’a pas été confiée à des groupes<br />

de spécialistes, tels que la Convention pour une<br />

Constitution européenne [3] ; el<strong>le</strong> a été menée de<br />

façon diffuse <strong>et</strong> par différents canaux. Ainsi, on<br />

constate, à travers <strong>le</strong>urs divers témoignages, que<br />

<strong>le</strong>s voyageurs percevaient l’existence d’une entité<br />

Europe, dotée d’un c<strong>entre</strong> <strong>et</strong> de limites ;<br />

néanmoins, <strong>le</strong>urs représentations étaient variées,<br />

sinon contradictoires [4].


De même, <strong>le</strong>s cartographes ont joué un rô<strong>le</strong><br />

essentiel <strong>dans</strong> l’émergence de l’Europe en<br />

produisant <strong>le</strong>urs cartes des continents, car ils<br />

visualisaient de la sorte des unités territoria<strong>le</strong>s ;<br />

cependant <strong>le</strong>ur vision ici aussi était loin d’être<br />

univoque, eu égard aux contradictions auxquel<strong>le</strong>s<br />

ils étaient confrontés. Pour n’en donner qu’un seul<br />

exemp<strong>le</strong>, l’utilisation qu’ils faisaient de la<br />

Géographie de Ptolémée <strong>et</strong> des cartes<br />

d’Agathodémon [5] pour délimiter <strong>le</strong>s trois anciens<br />

continents <strong>le</strong>ur posait des problèmes quasi<br />

insolub<strong>le</strong>s. En ce qui concerne plus<br />

particulièrement l’Europe, si <strong>le</strong>s mers <strong>et</strong> océans<br />

constituaient des frontières naturel<strong>le</strong>s au nord, au<br />

sud <strong>et</strong> à l’ouest, - encore fallait-il donner un statut<br />

aux î<strong>le</strong>s océanes <strong>et</strong> méditerranéennes -, seul <strong>le</strong><br />

Tanais (<strong>le</strong> Don) marquait une séparation à l’est,<br />

séparation qui, selon Ptolémée, pouvait être<br />

prolongée au-delà des sources de ce f<strong>le</strong>uve par un<br />

méridien. Mais <strong>le</strong> choix d’un f<strong>le</strong>uve comme<br />

frontière naturel<strong>le</strong> <strong>et</strong> l’emplacement de ce<br />

méridien n’étaient pas évidents: d’une part, <strong>le</strong>s<br />

cours d’eaux constituaient des frontières poreuses,<br />

vu l’importance du trafic fluvial [6], d’autre part,<br />

<strong>le</strong>s cartographes avaient des avis divergents sur <strong>le</strong><br />

tracé d’un méridien qui tantôt situait Moscou en<br />

Asie, tantôt en Europe [7]. Les critères politiques -<br />

changeants du fait des guerres, des conquêtes <strong>et</strong><br />

des héritages dynastiques - n’étaient pas<br />

davantage pertinents. Quant aux critères religieux,<br />

ils faisaient éga<strong>le</strong>ment difficulté : certes, la<br />

Chrétienté englobait la Moscovie, mais que faire<br />

de la Tartarie qui venait d’être annexée par c<strong>et</strong>te<br />

dernière ou de la Roumélie <strong>et</strong> des autres terres<br />

grecques placées sous <strong>le</strong> pouvoir ottoman ?<br />

Outre <strong>le</strong>s voyageurs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s cartographes, <strong>le</strong>s<br />

humanistes ont éga<strong>le</strong>ment contribué à définir<br />

l’Europe, <strong>dans</strong> la mesure où ils ont constitué<br />

consciemment <strong>et</strong> volontairement une République<br />

des L<strong>et</strong>tres, qui transcendait <strong>le</strong>s limites des États<br />

<strong>et</strong> des entités territoria<strong>le</strong>s [8]. Partie de l’Italie du<br />

Trecento, c<strong>et</strong>te communauté de savants avait<br />

progressivement conquis tout l’Occident latin <strong>et</strong><br />

s’arrêtait aux territoires contrôlés par <strong>le</strong>s<br />

Ottomans <strong>et</strong> par <strong>le</strong>s Moscovites [9]. El<strong>le</strong> avait pour<br />

fondements l’utilisation d’une langue commune, <strong>le</strong><br />

latin classique, <strong>et</strong> la fréquentation régulière des


textes antiques. Or ces derniers avaient amené <strong>le</strong>s<br />

humanistes non seu<strong>le</strong>ment à redécouvrir à travers<br />

<strong>le</strong>s sources origina<strong>le</strong>s un passé qu’ils admiraient <strong>et</strong><br />

imitaient, mais aussi à élaborer des critères<br />

constitutifs de l’état civilisé <strong>et</strong> une échel<strong>le</strong> de<br />

va<strong>le</strong>urs qui perm<strong>et</strong>tait de déterminer <strong>le</strong> degré de<br />

civilisation atteint par <strong>le</strong>s uns <strong>et</strong> <strong>le</strong>s autres.<br />

L’ensemb<strong>le</strong> des sources relatives à l’émergence<br />

d’un concept laïc de l’Europe à l’époque de la<br />

Renaissance <strong>et</strong> aux limites de son extension est<br />

donc très vaste <strong>et</strong> n’a pas fini d’être étudié. Dans<br />

<strong>le</strong> cadre de ce colloque, je me contenterai<br />

d’analyser <strong>et</strong> d’illustrer par quelques textes<br />

emblématiques l’apport des humanistes en la<br />

matière <strong>et</strong> l’influence qu’ils ont exercée à travers<br />

<strong>le</strong>ur enseignement sur ceux qui fréquentaient <strong>le</strong>s<br />

allées du pouvoir.<br />

[R<strong>et</strong>our au plan]<br />

Les critères d’évaluation de l’état civilisé<br />

Un premier critère inspiré par <strong>le</strong>s Anciens aux<br />

humanistes <strong>et</strong> à <strong>le</strong>urs élèves <strong>et</strong> cerc<strong>le</strong>s d’amis a<br />

été la vie menée à l’intérieur de vastes<br />

communautés <strong>dans</strong> des espaces urbains<br />

organisés, regroupant des habitations <strong>et</strong> des<br />

constructions en dur. Ces ensemb<strong>le</strong>s<br />

architecturaux de l’Antiquité ne répondaient pas<br />

uniquement à des contraintes pratiques : ils<br />

répondaient éga<strong>le</strong>ment à une philosophie <strong>et</strong> à une<br />

idéologie politiques ; d’une part, ils manifestaient<br />

une habi<strong>le</strong>té technique (murs en pierres taillées,<br />

ornementations sculptées, fresques), qui<br />

établissait la suprématie de l’artificiel sur <strong>le</strong><br />

naturel ; d’autre part, ils évoquaient en même<br />

temps, par <strong>le</strong>ur intégration <strong>dans</strong> un plan<br />

urbanistique, l’ordre <strong>et</strong> <strong>le</strong>s lois qui président à la<br />

vie en commun <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent l’organisation d’un


État ; ainsi s’explique l’intérêt porté à<br />

l’aménagement de temp<strong>le</strong>s <strong>et</strong> de places publiques<br />

(agora, forum), qui symbolisaient <strong>dans</strong> la cité<br />

l’ordre religieux <strong>et</strong> la loi. L’extrait que voici du<br />

traité De architectura de Vitruve atteste<br />

l’importance, <strong>dans</strong> une tel<strong>le</strong> perspective, de la<br />

sédentarisation des groupes humains <strong>et</strong> du<br />

progrès technique, envisagé en particulier <strong>dans</strong> la<br />

construction :<br />

" Dans <strong>le</strong>s temps anciens, <strong>le</strong>s hommes<br />

naissaient comme des bêtes <strong>sauvage</strong>s <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s<br />

forêts, <strong>le</strong>s grottes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s bocages <strong>et</strong> survivaient<br />

en mangeant des aliments crus. Un jour,<br />

quelque part, cependant, de vieux arbres,<br />

secoués par <strong>le</strong>s vents <strong>et</strong> <strong>le</strong>s tempêtes, <strong>et</strong><br />

frottant <strong>le</strong>urs branches <strong>le</strong>s unes contre <strong>le</strong>s<br />

autres, prirent feu. Terrifiés par <strong>le</strong>s flammes,<br />

ceux qui étaient près de c<strong>et</strong> endroit<br />

s’enfuirent. Quand la tempête se calma, ils<br />

revinrent <strong>et</strong>, constatant que la cha<strong>le</strong>ur du feu<br />

était agréab<strong>le</strong> à <strong>le</strong>ur corps, ils empilèrent du<br />

bois. Le feu ainsi <strong>entre</strong>tenu, ils firent venir<br />

certains de <strong>le</strong>urs semblab<strong>le</strong>s <strong>et</strong>, montrant <strong>le</strong><br />

feu avec de grands gestes, ils <strong>le</strong>ur indiquèrent<br />

l’usage qu’ils pouvaient en faire. Puis, donnant<br />

des noms aux choses <strong>le</strong>s plus fréquemment<br />

utilisées, ils commencèrent à par<strong>le</strong>r grâce à<br />

c<strong>et</strong> événement fortuit, <strong>et</strong> à avoir des<br />

conversations <strong>entre</strong> eux. Ainsi, depuis la<br />

découverte du feu, un début d’association<br />

humaine s’est formé, <strong>et</strong> aussi d’union <strong>et</strong><br />

d’échanges mutuels ; <strong>et</strong> depuis, beaucoup se<br />

sont rassemblés en un seul lieu, dotés par la<br />

nature d’un don qui allait au-delà de celui des<br />

autres animaux, de sorte qu’ils marchaient,<br />

non pas en regardant par terre, mais droit, <strong>et</strong><br />

voyaient la magnificence de l’univers <strong>et</strong> des<br />

étoi<strong>le</strong>s. De plus, ils faisaient faci<strong>le</strong>ment avec<br />

<strong>le</strong>urs doigts ce qu’ils voulaient, <strong>et</strong> certains,<br />

<strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te société, commencèrent à faire des<br />

toits de feuil<strong>le</strong>s, d’autres à creuser des grottes<br />

<strong>dans</strong> <strong>le</strong>s collines ; certains, imitant <strong>le</strong>s nids <strong>et</strong><br />

<strong>le</strong>s constructions des hirondel<strong>le</strong>s, bâtirent des<br />

abris avec de la boue <strong>et</strong> des branchages. Puis,<br />

trouvant d’autres refuges <strong>et</strong> inventant des<br />

choses nouvel<strong>le</strong>s grâce au pouvoir de <strong>le</strong>ur<br />

pensée, ils construisirent avec <strong>le</strong> temps de<br />

meil<strong>le</strong>ures habitations " [10].<br />

Un autre texte, emprunté c<strong>et</strong>te fois à la biographie<br />

d’Agricola rédigée par Tacite, explicite a contrario<br />

ce critère en affirmant que pour civiliser un<br />

" <strong>sauvage</strong> ", il faut lui apprendre à construire des


monuments en matériau solide autour d’une place<br />

publique. Il sous-entend dès lors une<br />

condamnation de la vie nomade <strong>et</strong> de l’habitat<br />

adapté au milieu naturel (huttes de palmes,<br />

maisons de torchis, de bois…) :<br />

" Afin que ces hommes (i.e. <strong>le</strong>s Britanniques)<br />

dispersés, <strong>sauvage</strong>s <strong>et</strong> par là même toujours<br />

prêts à la guerre, s’accoutumassent, par <strong>le</strong>s<br />

plaisirs, au repos <strong>et</strong> à la tranquillité, Agricola<br />

<strong>le</strong>s exhorta en son nom particulier, <strong>le</strong>s aida<br />

des deniers publics à construire des temp<strong>le</strong>s,<br />

des forums, des maisons […]. De plus il faisait<br />

instruire <strong>le</strong>s enfants des chefs <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s arts<br />

libéraux [11] ".<br />

C<strong>et</strong> éloge de la vie urbaine pouvait évidemment<br />

être appliqué par <strong>le</strong>s humanistes à la réalité de<br />

<strong>le</strong>ur époque, à c<strong>et</strong>te différence près que <strong>le</strong>s<br />

constructions symboliques de la vil<strong>le</strong> y<br />

comprenaient éga<strong>le</strong>ment des espaces célébrant <strong>le</strong><br />

commerce <strong>et</strong> l’industrie : marchés, hal<strong>le</strong>s, maisons<br />

de corporations <strong>et</strong>c. Quant à l’importance du<br />

développement technique, el<strong>le</strong> fut à ce point<br />

intégrée <strong>dans</strong> la conscience intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> de la<br />

Renaissance que beaucoup de <strong>le</strong>ttrés furent peu à<br />

peu amenés à célébrer la supériorité de <strong>le</strong>ur temps<br />

sur l’Antiquité. Je n’en veux pour preuve que c<strong>et</strong>te<br />

réf<strong>le</strong>xion exprimée en 1620 par A<strong>le</strong>ssandro<br />

Tassoni <strong>dans</strong> sa Comparaison <strong>entre</strong> <strong>le</strong>s ta<strong>le</strong>nts des<br />

Anciens <strong>et</strong> des Modernes :<br />

" Qu’ont inventé <strong>le</strong>s Grecs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Romains qui<br />

puisse se comparer à l’imprimerie ? … Passons<br />

au compas <strong>et</strong> à la carte maritime… Quel<strong>le</strong> joie<br />

pour celui qui a appris aux Portugais à<br />

naviguer vers un pô<strong>le</strong> inconnu, d’un horizon à<br />

un autre !… Quel<strong>le</strong> invention aussi terrib<strong>le</strong> a-ton<br />

jamais imaginé qui puisse rivaliser avec nos<br />

artil<strong>le</strong>ries ?… Qu’auraient dit <strong>le</strong>s Grecs <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

<strong>La</strong>tins de la brillante invention des horloges<br />

mécaniques, qui sonnent <strong>et</strong> montrent <strong>le</strong>s<br />

heures <strong>dans</strong> une ronde perpétuel<strong>le</strong> contre <strong>le</strong>s<br />

mouvements des planètes ? À lui seul, <strong>le</strong><br />

té<strong>le</strong>scope, qui vous perm<strong>et</strong> de voir <strong>le</strong>s choses<br />

éloignées de quinze ou vingt mil<strong>le</strong>s comme si<br />

el<strong>le</strong>s étaient devant vous, <strong>et</strong> qui découvre des<br />

étoi<strong>le</strong>s invisib<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> <strong>le</strong> ciel, surpasse de loin<br />

n’importe quel<strong>le</strong> invention des Grecs <strong>et</strong> des<br />

<strong>La</strong>tins tout au long de ces sièc<strong>le</strong>s tant<br />

vantés [12]"


Par ail<strong>le</strong>urs, c<strong>et</strong>te réaction emblématique de<br />

Tassoni atteste une confiance <strong>dans</strong> l’avenir que<br />

n’éprouvaient pas nécessairement <strong>le</strong>s Anciens :<br />

car l’idée de progrès, attestée <strong>dans</strong> des textes<br />

aussi célèbres que <strong>le</strong> Prométhée enchaîné, <strong>le</strong><br />

chœur d’Antigone célébrant la merveil<strong>le</strong> humaine,<br />

<strong>le</strong> mythe de Prométhée exposé <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Protagoras<br />

ou encore <strong>le</strong> dénigrement des temps primitifs<br />

exprimé <strong>dans</strong> <strong>le</strong> prologue de l’histoire de Diodore<br />

de Sici<strong>le</strong>, était demeurée <strong>le</strong> fait d’une minorité,<br />

face à la conception infiniment plus répandue du<br />

temps cyclique <strong>et</strong> de l’éternel r<strong>et</strong>our.<br />

Un deuxième critère de civilisation développé par<br />

<strong>le</strong>s Anciens a été la domestication de la nature <strong>et</strong><br />

l’exaltation de l’agriculture <strong>et</strong> de la viticulture : il<br />

suffit d’évoquer <strong>le</strong>s " Mangeurs de pain ",<br />

qu’Ulysse souhaitait à tout prix r<strong>et</strong>rouver au cours<br />

de ses errances <strong>dans</strong> un monde de merveil<strong>le</strong>s <strong>et</strong><br />

de monstruosités, <strong>et</strong> de rappe<strong>le</strong>r à l’inverse la<br />

condescendance des Grecs à l’égard des Scythes,<br />

buveurs de lait fermenté <strong>et</strong> de vin pur, sans<br />

respect pour <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s grecques de bienséance,<br />

qui imposaient de couper <strong>le</strong> vin d’eau. Adoptant<br />

une perspective semblab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s humanistes de la<br />

Renaissance considérèrent qu’être civilisé, c’est<br />

apprivoiser la nature <strong>et</strong> la m<strong>et</strong>tre au service de<br />

l’homme. Ils encourageaient de la sorte <strong>le</strong>urs<br />

discip<strong>le</strong>s à promouvoir une campagne cultivée <strong>et</strong> à<br />

aménager autour des maisons des jardins<br />

structurés <strong>et</strong> soigneusement dessinés à l’antique.<br />

En revanche, on n’éprouvait que du mépris pour<br />

<strong>le</strong>s reliquats de nature <strong>sauvage</strong> : marais, forêts,<br />

landes, déserts, comme en témoignent <strong>le</strong> sort<br />

tragique réservé par Edmund Spenser <strong>dans</strong> sa<br />

Reine des fées (1594) à Dame Belge, partageant<br />

<strong>le</strong> triste destin des Pays-Bas dévorés par <strong>le</strong><br />

monstre espagnol, l’enchantement ressenti par <strong>le</strong><br />

futur doge de Venise Niccolò Contarini (1620) face<br />

à la campagne vénitienne ou encore <strong>le</strong> vœu<br />

utopique proféré par Robert Burton (1621) :<br />

" Adieu, sols cultivés <strong>et</strong> vil<strong>le</strong>s joyeuses,<br />

Dans <strong>le</strong>squels el<strong>le</strong> (sc. Belge) promenait son<br />

bonheur !<br />

[…]


Seuls ces marais <strong>et</strong> ces sombres marécages<br />

Où <strong>le</strong>s terrib<strong>le</strong>s lézards bâtissent <strong>le</strong>ur repaire<br />

M’offrent l’hospitalité parmi <strong>le</strong>s grenouil<strong>le</strong>s<br />

croassantes " [13].<br />

" Ces champs qui avaient été <strong>le</strong>s plus affreux<br />

des marais, ces lacs <strong>et</strong> ces étangs profonds<br />

étaient transformés par <strong>le</strong> savoir-faire, l’effort<br />

<strong>et</strong> l’investissement en terrains ferti<strong>le</strong>s, bel<strong>le</strong>s<br />

prairies <strong>et</strong> jardins charmants… Les forêts <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

collines étaient devenues <strong>le</strong> règne non<br />

seu<strong>le</strong>ment de la cognée mais aussi de la<br />

charrue " [14].<br />

" Je ne veux pas de marécages, de marais, de<br />

tourbières, de vastes forêts, de déserts, de<br />

landes… Je ne veux pas un seul arpent aride<br />

sur tous mes territoires, même au somm<strong>et</strong> des<br />

montagnes : là où la Nature échoue, que l’art<br />

la remplace ! " [15].<br />

Mais ici encore la similitude du propos cache des<br />

divergences <strong>dans</strong> la représentation du monde<br />

durant l’Antiquité <strong>et</strong> à la Renaissance. Pour <strong>le</strong>s<br />

Anciens, la nature appartenait davantage au<br />

monde des apparences qu’il fallait traverser pour<br />

parvenir à une réalité accessib<strong>le</strong> seu<strong>le</strong>ment à la<br />

raison ; pour <strong>le</strong>s hommes du " long seizième<br />

sièc<strong>le</strong> ", la nature était, conformément au<br />

message de la Genèse, au service de l’homme, qui<br />

était de la sorte invité à l’observer pour avoir prise<br />

sur el<strong>le</strong> <strong>et</strong> pour la transformer. C’est la conclusion<br />

que tirait, par exemp<strong>le</strong> Francis Bacon en c<strong>et</strong>te fin<br />

du " long seizième sièc<strong>le</strong> " (1623-1624) :<br />

" Dans tous <strong>le</strong>s cas il faut trouver la science<br />

<strong>dans</strong> la lumière de la nature <strong>et</strong> ne pas essayer<br />

de la r<strong>et</strong>rouver <strong>dans</strong> l’obscurité de l’Antiquité.<br />

Peu importe ce qui a été fait ; ce qui compte,<br />

c’est ce qui peut être fait " [16].<br />

Un troisième critère emprunté aux Anciens a été <strong>le</strong><br />

culte de la " civilité " ou " urbanité ". Comme<br />

l’avait d’emblée proclamé un Lorenzo Valla,<br />

l’utilisation d’un latin expurgé de ses médiévismes<br />

contribuait au progrès des <strong>le</strong>ttres, des sciences <strong>et</strong><br />

des arts. Le r<strong>et</strong>our aux sources antiques inspirait<br />

par ail<strong>le</strong>urs un nouvel art de vivre, fait de douceur,<br />

de mœurs raffinées, de contrô<strong>le</strong> - extérieur tout<br />

au moins - de soi <strong>et</strong> posait <strong>le</strong>s jalons d’une culture


universel<strong>le</strong>, qui perm<strong>et</strong>tait d’exprimer ses<br />

expériences <strong>et</strong> de <strong>le</strong>s m<strong>et</strong>tre en perspective :<br />

" <strong>La</strong> langue de Rome se distingue par <strong>le</strong>s<br />

contributions <strong>le</strong>s plus importantes au bien-être<br />

général de l’humanité (publicae hominum<br />

utilitati ac saluti) : c’est <strong>le</strong> latin qui a éduqué<br />

<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s arts libéraux, qui <strong>le</strong>ur a<br />

donné <strong>le</strong>s lois <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>ures, qui <strong>le</strong>ur a ouvert<br />

<strong>le</strong> chemin ‘vers toute sagesse’ (ad omnem<br />

sapientiam) ; en somme, c’est <strong>le</strong> latin qui <strong>le</strong>s a<br />

libérés de la barbarie. Le latin ne s’est pas<br />

imposé aux barbares par la force des armes,<br />

mais à force de bienfaits, grâce au pouvoir de<br />

l’amour, de l’amitié <strong>et</strong> de la paix (beneficiis,<br />

amore, concordia). On trouve en eff<strong>et</strong>,<br />

embrassés par <strong>le</strong> latin, tous <strong>le</strong>s arts <strong>et</strong><br />

sciences propres à l’homme libre ; dès lors,<br />

quand <strong>le</strong> latin f<strong>le</strong>urit, tous <strong>le</strong>s savoirs<br />

f<strong>le</strong>urissent, quand au contraire il décline, tous<br />

à <strong>le</strong>ur tour déclinent " [17].<br />

On comprend dès lors aisément pourquoi <strong>le</strong>s<br />

princes <strong>et</strong> <strong>le</strong>urs cours, <strong>le</strong>s marchands <strong>et</strong> <strong>le</strong>s riches<br />

bourgeois ont soutenu <strong>le</strong>s humanistes : ceux-ci<br />

<strong>le</strong>ur ouvraient <strong>le</strong>s portes d’un otium érudit,<br />

pendant <strong>le</strong>quel on discutait <strong>dans</strong> des formes<br />

raffinées, à la manière des cerc<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttrés évoqués<br />

par Cicéron [18], de choses de l’esprit, d’art, de<br />

politique <strong>et</strong> de philosophie mora<strong>le</strong>, <strong>et</strong> ils<br />

confirmaient par ce biais <strong>le</strong> statut d’élite réservé<br />

aux membres de la classe supérieure face au<br />

commun marqué par la grossièr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> par la<br />

barbarie. En témoigne notamment c<strong>et</strong> éloge du<br />

mode de vie adopté par Niccolò Niccoli, qui fut<br />

l’arbitre des élégances du début du<br />

Quattrocento <strong>et</strong> un célèbre col<strong>le</strong>ctionneur de<br />

manuscrits :<br />

" Il avait la plus agréab<strong>le</strong> des présences au<br />

point qu’il paraissait toujours souriant,<br />

absolument charmant <strong>dans</strong> la conversation. Il<br />

était toujours vêtu de magnifiques étoffes<br />

dorées qui lui descendaient jusqu’au pied […].<br />

C’était l’homme <strong>le</strong> plus raffiné du monde. De<br />

même, sa tab<strong>le</strong> était p<strong>le</strong>ine de vases de<br />

porcelaine <strong>et</strong> d’autres tout aussi précieux.<br />

Pour boire, il utilisait des coupes de cristal ou<br />

d’autres pierres précieuses. Le voir à sa tab<strong>le</strong>,<br />

‘antique’ comme il était, c’était un vrai délice "<br />

[19].


En revanche, <strong>le</strong>s discours des humanistes <strong>et</strong> de<br />

<strong>le</strong>ur entourage, à l’instar des Anciens, traitaient<br />

dédaigneusement ceux qui ne se livraient pas aux<br />

activités de l’esprit, à savoir <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs<br />

manuels - paysans <strong>et</strong> ouvriers - [20], assimilés<br />

par eux à des <strong>sauvage</strong>s, voire à des bêtes. On ne<br />

manquera pas de rappe<strong>le</strong>r à ce propos <strong>le</strong>s<br />

imprécations insultantes proférées par Luther à<br />

l’égard des paysans qui s’étaient révoltés en 1525<br />

<strong>et</strong> qui devaient, selon lui, être écrasés sans pitié.<br />

Comme <strong>le</strong>urs modè<strong>le</strong>s antiques, certains<br />

humanistes allaient même jusqu’à vouer à<br />

l’esclavage ceux qui travaillaient pour <strong>le</strong>s autres,<br />

tel Balthasar Castiglione reprenant à son compte<br />

<strong>dans</strong> son traité Le Courtisan <strong>le</strong>s affirmations<br />

d’Aristote. <strong>La</strong> confrontation des textes suivants est<br />

suffisamment éloquente pour ne pas être<br />

commentée :<br />

" Tous <strong>le</strong>s êtres donc qui sont aussi différents<br />

des autres que l’âme l’est du corps <strong>et</strong> l’homme<br />

de la brute (tel est <strong>le</strong> cas de tous ceux dont<br />

l’activité se réduit à user de <strong>le</strong>ur corps <strong>et</strong> qui<br />

tirent par là <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur parti de <strong>le</strong>ur être) sont<br />

par nature esclaves […]. Ainsi celui-là est<br />

esclave par nature qui peut appartenir à un<br />

autre [...] <strong>et</strong> qui n’a part à la raison que <strong>dans</strong><br />

la mesure seu<strong>le</strong>ment où il peut la percevoir,<br />

mais non pas la posséder lui-même" [21].<br />

" Il y a beaucoup d’hommes qui n’ont que des<br />

activités physiques <strong>et</strong> ceux-là diffèrent autant<br />

des hommes versés <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s choses de l’esprit<br />

que l’âme diffère du corps. En tant que<br />

créateurs raisonnab<strong>le</strong>s, cependant, ils<br />

participent assez à la raison pour être<br />

capab<strong>le</strong>s de la reconnaître ; mais ils ne la<br />

possèdent pas eux-mêmes <strong>et</strong> n’en tirent pas<br />

profit. Ce sont donc essentiel<strong>le</strong>ment des<br />

esclaves <strong>et</strong> il est plus bénéfique pour eux<br />

d’obéir que de commander " [22].<br />

On observe cependant que tous <strong>le</strong>s intel<strong>le</strong>ctuels de<br />

la Renaissance ne partageaient pas ce mépris pour<br />

<strong>le</strong> travail manuel <strong>et</strong> technique dévolu aux classes<br />

" inférieures " face aux activités désincarnées de<br />

l’esprit qui étaient recommandées au philosophe <strong>et</strong><br />

au citoyen. Car <strong>le</strong> christianisme s’opposait sur ce<br />

point aux conceptions antiques en affirmant <strong>le</strong><br />

caractère rédempteur du travail, même manuel,<br />

même presté pour une autre personne. C<strong>et</strong>te


vision chrétienne du labeur sous-tendait, par<br />

exemp<strong>le</strong>, " <strong>le</strong> sarcasme libérateur d’un texte<br />

brillant du seizième sièc<strong>le</strong> ", dû à la plume de<br />

Georg Agricola, ami d’Érasme <strong>et</strong> de Mélanchthon :<br />

" Assurément, si la métallurgie […] est une<br />

activité honteuse <strong>et</strong> déshonorante pour un<br />

nob<strong>le</strong> au motif que <strong>le</strong>s serfs jadis ont extrait<br />

<strong>le</strong>s métaux, alors l’agriculture ne sera pas plus<br />

honorab<strong>le</strong> puisque <strong>le</strong>s serfs l’ont jadis<br />

pratiquée <strong>et</strong> puisque <strong>le</strong>s Turcs la pratiquent<br />

aujourd’hui, <strong>et</strong> pas davantage l’architecture,<br />

parce que des serfs s’y sont employés, ni la<br />

médecine parce qu’un bon nombre de<br />

médecins ont été serfs, <strong>et</strong> ce que je dis là à<br />

propos de ces arts peut être dit de beaucoup<br />

d’autres qui ont été bien souvent exercés par<br />

des captifs " [23].<br />

[R<strong>et</strong>our au plan]<br />

Application des critères de civilisation aux confins<br />

de l’Europe <strong>et</strong> aux autres continents<br />

Il convient à présent d’évaluer <strong>le</strong> poids de ces<br />

critères sur la représentation de l’Europe <strong>et</strong> des<br />

autres continents <strong>dans</strong> l’imaginaire des<br />

humanistes <strong>et</strong> de ceux qui <strong>le</strong>s ont fréquentés.<br />

De la représentation de l’Asie, de l’Amérique <strong>et</strong> de<br />

l’Afrique, on r<strong>et</strong>iendra essentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />

stéréotypes suivants. Si l’Asie apparaît autre, <strong>et</strong> de<br />

plus en plus autre au fur <strong>et</strong> à mesure qu’on<br />

s’avance vers l’Extrême-Orient, el<strong>le</strong> se révè<strong>le</strong><br />

néanmoins civilisée selon <strong>le</strong>s critères des Anciens<br />

<strong>et</strong> des humanistes : ses territoires septentrionaux<br />

mis à part, el<strong>le</strong> est dotée de vil<strong>le</strong>s<br />

somptueusement bâties, de campagnes cultivées<br />

<strong>et</strong> d’élites citadines pratiquant un art de vivre qui<br />

n’a rien à envier aux Européens. Même l’Empire<br />

ottoman trouve grâce aux yeux des <strong>le</strong>ttrés<br />

européens : bien que cruels <strong>et</strong> ennemis de la foi,


<strong>le</strong>s Turcs apprécient indiscutab<strong>le</strong>ment la science <strong>et</strong><br />

<strong>le</strong>s arts <strong>et</strong> ils consacrent beaucoup de soins aux<br />

raffinements de l’existence quotidienne (propr<strong>et</strong>é<br />

des maisons, soin apporté à l’hygiène corporel<strong>le</strong>,<br />

n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é des vêtements), <strong>le</strong>squels raffinements sont<br />

trop souvent ignorés des Européens. Quant au<br />

Japon situé à l’opposite de l’Europe, il se voit<br />

attribuer la quintessence de la civilisation, une<br />

civilisation néanmoins caractérisée par une<br />

radica<strong>le</strong> altérité, que m<strong>et</strong> en avant ce témoignage<br />

d’A<strong>le</strong>ssandro Valignano :<br />

" On peut dire en vérité que <strong>le</strong> Japon est un<br />

monde à l’inverse de l’Europe ; tout y est si<br />

différent <strong>et</strong> si opposé qu’ils sont <strong>le</strong> contraire de<br />

nous. Si grande est la différence <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur<br />

manière de se nourrir, de se vêtir, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>urs<br />

honneurs, <strong>le</strong>urs cérémonies, <strong>le</strong>ur langage,<br />

l’ameub<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong>urs maisons, <strong>le</strong>ur façon de<br />

négocier, de s’asseoir, de bâtir, de soigner <strong>le</strong>s<br />

malades <strong>et</strong> <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssés, d’enseigner <strong>et</strong> d’é<strong>le</strong>ver<br />

<strong>le</strong>s enfants, <strong>et</strong> <strong>dans</strong> tout <strong>le</strong> reste, que cela ne<br />

peut être décrit ni compris. Tout cela ne serait<br />

pas surprenant s’ils étaient comme tant de<br />

barbares, mais ce qui m’étonne est qu’ils se<br />

conduisent <strong>dans</strong> tous ces domaines comme<br />

des gens très prudents <strong>et</strong> très raffinés. Voir à<br />

quel point tout est à l’inverse de l’Europe,<br />

malgré <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong>urs cérémonies <strong>et</strong> <strong>le</strong>urs<br />

coutumes sont tel<strong>le</strong>ment élaborées <strong>et</strong> fondées<br />

sur la raison, n’est pas une mince surprise<br />

pour celui qui comprend ces choses " [24].<br />

Les stéréotypes véhiculés à propos de l’Amérique<br />

nous demeureraient à jamais incompréhensib<strong>le</strong>s si<br />

nous ne nous rappelions pas que la première<br />

rencontre eut lieu <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s Caraïbes, paradis<br />

naturel dont <strong>le</strong>s habitants mi-hortico<strong>le</strong>s michasseurs<br />

ne répondaient à aucun des critères<br />

constitutifs de l’état civilisé. Les indigènes des î<strong>le</strong>s<br />

représentaient au contraire, selon <strong>le</strong>s diverses<br />

gril<strong>le</strong>s d’interprétation utilisées par <strong>le</strong>s<br />

Découvreurs, tantôt l’âge d’or perpétué tantôt<br />

l’animalité primitive. <strong>La</strong> conquête des empires<br />

fortement urbanisés des Mexica <strong>et</strong> des Inca porta<br />

assurément un coup à la doub<strong>le</strong> représentation du<br />

" bon <strong>sauvage</strong> " <strong>et</strong> du " canniba<strong>le</strong> ", sans<br />

cependant parvenir à l’éliminer tota<strong>le</strong>ment. C’est<br />

pourquoi <strong>le</strong>s Amérindiens incarnèrent pour certains<br />

humanistes l’enfance de l’humanité, dont <strong>le</strong>s<br />

Européens étaient sortis depuis longtemps <strong>et</strong> que


l’éducation prodiguée par <strong>le</strong>s missionnaires<br />

dominicains, franciscains <strong>et</strong> jésuites transformerait<br />

en un âge adulte - on rappel<strong>le</strong>ra à ce propos que<br />

<strong>le</strong>s élites indiennes furent jugées dignes<br />

d’apprendre <strong>le</strong> latin [25] - ; pour d’autres, <strong>le</strong>s<br />

Amérindiens étaient manifestement privés de<br />

raison <strong>et</strong> dotés uniquement de la vie instinctive<br />

des animaux ; ils correspondaient ipso facto aux<br />

esclaves définis par Aristote <strong>et</strong> pouvaient par<br />

conséquent être utilisés comme des instruments<br />

de travail animés [26]. Est-il besoin de rappe<strong>le</strong>r<br />

que ces interprétations divergentes du statut des<br />

Amérindiens alimentèrent de nombreux débats,<br />

dont la controverse de Valladolid en 1550<br />

constitua l’exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus célèbre ?<br />

L’Afrique noire, à peine eff<strong>le</strong>urée par l’exploration<br />

de ses côtes, fut perçue, pour sa part, de façon<br />

fort négative <strong>et</strong> ne suscita aucun débat sur <strong>le</strong> sort<br />

que méritaient ses habitants. Ployant déjà sous <strong>le</strong><br />

poids de la malédiction biblique proférée à l’égard<br />

de son ancêtre-fondateur Cham, <strong>le</strong> fils<br />

irrespectueux de Noé, el<strong>le</strong> ne fut pour <strong>le</strong>s<br />

Européens de la Renaissance qu’une terre riche en<br />

or <strong>et</strong> pourvoyeuse d’esclaves renommés pour <strong>le</strong>ur<br />

endurance au travail [27]. Les hommes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s<br />

femmes arrachés à <strong>le</strong>urs terres lointaines <strong>dans</strong> des<br />

conditions effroyab<strong>le</strong>s n’inspirèrent aucune<br />

compassion aux <strong>le</strong>ttrés <strong>et</strong> ne furent même pas<br />

jugés dignes de bénéficier du sauv<strong>et</strong>age de <strong>le</strong>urs<br />

âmes [28]. Car <strong>le</strong> lien <strong>entre</strong> l’esclavage <strong>et</strong> une<br />

moindre humanité établi par Aristote <strong>et</strong> réaffirmé<br />

par de nombreux penseurs à la Renaissance s’était<br />

trouvé inversé à propos des Africains noirs : au<br />

lieu d’affirmer qu’une " moindre humanité "<br />

prédisposait à l’esclavage, on considéra que l’état<br />

d’esclave signifiait " une moindre humanité ". C’est<br />

pourquoi <strong>le</strong>ur ignorance des lieux <strong>et</strong> des gens<br />

n’empêcha pas certains voyageurs de raconter<br />

"que <strong>le</strong>s habitants de la région sont des gens qui<br />

vivent comme des bêtes, sans dieu, sans loi, sans<br />

religion ni sens de l’intérêt public " [29]. C’est<br />

pourquoi <strong>La</strong>s Casas, si soucieux de défendre la<br />

cause indienne, ne s’intéressa pas au travail forcé<br />

des Africains. C’est pourquoi enfin, comme <strong>le</strong><br />

recommandait du reste <strong>La</strong>s Casas, de nombreux<br />

Noirs furent envoyés en Amérique remplacer <strong>le</strong>s


Indiens dont la santé ne résistait pas aux durs<br />

traitements qui <strong>le</strong>ur étaient infligés.<br />

On aurait pu penser que, face aux continents<br />

" autres ", l’Europe se présenterait comme un bloc<br />

homogène : il n’en fut rien, du fait que ses parties<br />

constitutives n’étaient pas éga<strong>le</strong>s <strong>dans</strong><br />

<strong>le</strong>ur " européanité ". Car, selon un schéma<br />

classique de l’altérité, l’" européanité " se révélait<br />

particulièrement forte au c<strong>entre</strong> <strong>et</strong> très diluée à la<br />

périphérie ; encore fallait-il s’accorder sur ce qui<br />

constituait <strong>le</strong> c<strong>entre</strong> <strong>et</strong> sur ce qui était relégué à la<br />

périphérie. Disons d’emblée que la position des<br />

<strong>le</strong>ttrés fut fluctuante à c<strong>et</strong> égard. S’il ne fait pas de<br />

doute que l’Italie, la France <strong>et</strong> l’Empire<br />

germanique appartenaient au c<strong>entre</strong>, sans que ce<br />

choix soit exclusif, <strong>le</strong> c<strong>entre</strong> du c<strong>entre</strong> varia en<br />

fonction des circonstances <strong>et</strong> de la zone<br />

géographique de ceux qui en parlaient [30). Rome<br />

bénéficia longtemps de c<strong>et</strong>te position du fait de<br />

ses prestigieuses racines antiques <strong>et</strong> de la<br />

présence du siège de saint Pierre ; c<strong>et</strong>te primauté<br />

fut toutefois disputée par d’autres vil<strong>le</strong>s italiennes<br />

<strong>et</strong> el<strong>le</strong> ne fut en tout cas plus reconnue par<br />

l’ensemb<strong>le</strong> du monde <strong>le</strong>ttré, lorsque la Réforme<br />

eut triomphé au Nord de l’Europe <strong>et</strong> lorsque <strong>le</strong> roi<br />

Henry VIII fit sortir l’Ang<strong>le</strong>terre du giron de<br />

l’Eglise. Face à un c<strong>entre</strong> quelque peu mouvant, la<br />

représentation de la périphérie fut tout aussi floue.<br />

Les humanistes <strong>et</strong> <strong>le</strong>urs élèves avaient tendance à<br />

considérer comme des marges de l’Europe <strong>le</strong>s<br />

régions qui échappaient à <strong>le</strong>ur influence <strong>et</strong> qui <strong>le</strong>ur<br />

étaient mal connues ou diffici<strong>le</strong>ment accessib<strong>le</strong>s :<br />

tel<strong>le</strong> était la situation des î<strong>le</strong>s océanes - excepté la<br />

Grande-Br<strong>et</strong>agne - <strong>et</strong> de la Moscovie dont ils ne<br />

savaient, faute de frontière naturel<strong>le</strong> évidente, si<br />

el<strong>le</strong> était d’Europe ou d’Asie. Mais ils furent parfois<br />

contraints de rem<strong>et</strong>tre en cause <strong>le</strong>urs classements<br />

grâce à l’action vigoureuse menée avec <strong>le</strong>urs<br />

propres armes par des <strong>le</strong>ttrés issus de contrées<br />

" marginalisées ". Ceux-ci utilisèrent avec succès<br />

<strong>le</strong> latin <strong>et</strong> des références antiques pour démontrer<br />

que <strong>le</strong>urs patries répondaient aux exigences de la<br />

République des L<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> qu’el<strong>le</strong>s devaient y être<br />

intégrées au même titre que <strong>le</strong>s autres pays<br />

cultivant <strong>le</strong>s bonae litterae ; ils ne parvinrent pas


pour autant à éliminer des stéréotypes qui se<br />

transm<strong>et</strong>taient de générations en générations.<br />

Les Irlandais, <strong>le</strong>s Islandais <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Moscovites furent<br />

ainsi, pour reprendre une formu<strong>le</strong> heureuse de<br />

John Ha<strong>le</strong> [31], " <strong>le</strong>s Amérindiens de l’Europe<br />

chrétienne ". Car <strong>le</strong>s uns <strong>et</strong> <strong>le</strong>s autres ne<br />

répondaient pas - ou presque pas - aux critères de<br />

civilisation élaborés par <strong>le</strong>s humanistes. Situés par<br />

<strong>le</strong>s Anciens <strong>dans</strong> <strong>le</strong> même environnement<br />

britannique au bout du monde, occupant des î<strong>le</strong>s<br />

qui portaient des noms presque semblab<strong>le</strong>s<br />

(Irlande, Islande), <strong>le</strong>s Irlandais <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Islandais<br />

apparaissaient quasiment interchangeab<strong>le</strong>s [32].<br />

Ils s’occupaient peu d’agriculture, ce qui <strong>le</strong>ur était<br />

reproché sans qu’il soit tenu compte des<br />

contraintes climatiques, <strong>et</strong> vivaient<br />

essentiel<strong>le</strong>ment de chasse <strong>et</strong>/ou de pêche. Pour se<br />

loger, ils se contentaient d’aménager la nature :<br />

grottes, igloos, cabanes en bois <strong>et</strong> ne<br />

connaissaient pas (ou peu) <strong>le</strong>s constructions en<br />

dur <strong>et</strong> <strong>le</strong> regroupement en agglomérations. Leurs<br />

mœurs se révélaient conformes à la rudesse de<br />

<strong>le</strong>ur cadre de vie. Qu’il soit dressé par des <strong>le</strong>ttrés<br />

italiens ou anglais, <strong>le</strong> portrait moral des Irlandais<br />

était loin d’être flatteur : " il y a chez eux une race<br />

<strong>sauvage</strong>, inculte, sotte, rude, qui à cause de sa<br />

culture particulièrement indigente <strong>et</strong> de ses<br />

mœurs rustiques est appelée ‘sylvestre’ " faisait<br />

remarquer en 1534 l’historiographe des Tudor,<br />

Polydore Virgi<strong>le</strong> [33] ; " <strong>le</strong>s Irlandais méprisent <strong>et</strong><br />

dédaignent tout ce qui est nécessaire à la vie civi<strong>le</strong><br />

de l’homme " renchérissait en 1615 Sir John<br />

Davies, qui connaissait pourtant bien <strong>le</strong> pays <strong>et</strong><br />

s’efforçait en général d’être équitab<strong>le</strong> [34]. Les<br />

Islandais n’étaient guère mieux lotis. Certes, on<br />

<strong>le</strong>ur reconnaissait une certaine culture, puisqu’ils<br />

gravaient sur des roches <strong>le</strong>s hauts faits de <strong>le</strong>urs<br />

ancêtres <strong>et</strong> des autres ; ils n’en restaient pas<br />

moins primitifs <strong>et</strong> rustauds, allant jusqu’à préférer<br />

<strong>le</strong>urs chiots à <strong>le</strong>urs enfants <strong>et</strong> ne pratiquant aucun<br />

art digne de mention, comme <strong>le</strong> résumait<br />

méchamment Arnold Mercator en 1554 :<br />

" Il en est qui disent que <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> est à ce<br />

point capab<strong>le</strong> de jouer de la lyre qu’il séduit<br />

<strong>le</strong>s poissons <strong>et</strong> <strong>le</strong>s oiseaux par la douceur de<br />

son chant. Je suis d’autant moins porté à


croire en une tel<strong>le</strong> affirmation, que j’ai compris<br />

combien c<strong>et</strong>te race est barbare (quantum<br />

barbarum sit hominum genus), el<strong>le</strong> qui ne<br />

s’adonne à aucun autre art que prendre des<br />

poissons " [35].<br />

Les Irlandais <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Islandais n’étaient cependant<br />

pas tota<strong>le</strong>ment irrécupérab<strong>le</strong>s. D’une part, <strong>le</strong>urs<br />

mœurs s’adoucissaient au contact des marchands<br />

du continent. D’autre part, <strong>le</strong>ur caractère<br />

naturel<strong>le</strong>ment superstitieux <strong>le</strong>ur inspirait un grand<br />

respect pour <strong>le</strong>s autorités religieuses, ce qui en<br />

faisait des ouail<strong>le</strong>s très soumises, une fois qu’el<strong>le</strong>s<br />

étaient christianisées. On comprend dès lors<br />

pourquoi ces î<strong>le</strong>s océanes ont été associées au<br />

Nouveau Monde au point de constituer avec lui<br />

une même zone de confins de l’œcoumène,<br />

semblab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> des Anciens, avec toutefois plus<br />

d’épaisseur : l’imaginaire de l’Europe humaniste<br />

considérait en quelque sorte que <strong>le</strong>s découvertes<br />

<strong>et</strong>hnologiques en Amérique avaient été précédées<br />

par des découvertes équiva<strong>le</strong>ntes <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s î<strong>le</strong>s<br />

lointaines de l’Océan occidental, où des groupes<br />

humains avaient été conservés <strong>dans</strong> l’état<br />

d’enfants avant d’être pris en charge par l’Eglise <strong>et</strong><br />

de bénéficier d’échanges commerciaux avec <strong>le</strong><br />

continent [36].<br />

À l’autre extrémité de l’Europe, la Moscovie, terre<br />

de culture métisse du fait de sa<br />

position, apparaissait plus barbare que civilisée.<br />

Certes, ses habitants avaient conquis sur la forêt<br />

des champs sur <strong>le</strong>squels ils produisaient du blé en<br />

abondance <strong>et</strong> des cultures maraîchères admirées<br />

par <strong>le</strong>s voyageurs occidentaux : ils connaissaient<br />

donc une campagne aménagée à côté de vastes<br />

étendues marécageuses ou boisées, dont<br />

l’immensité, l’uniformité <strong>et</strong> <strong>le</strong>s dangers rebutaient<br />

ces mêmes voyageurs. Certes, <strong>le</strong>s Moscovites<br />

s’étaient regroupés <strong>dans</strong> des villages <strong>et</strong> <strong>dans</strong> des<br />

vil<strong>le</strong>s ; mais ces dernières étaient constituées<br />

essentiel<strong>le</strong>ment de maisons de bois séparées <strong>le</strong>s<br />

unes des autres par des enclos <strong>et</strong> des rues sa<strong>le</strong>s <strong>et</strong><br />

boueuses tracées sans plan urbanistique ; <strong>le</strong>s<br />

bâtiments en pierres <strong>et</strong> en briques y étaient<br />

suffisamment rares pour être l’obj<strong>et</strong> de mentions<br />

particulières <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s récits de voyage. Sans être


amenés au premier stade de l’évolution<br />

technique, celui des habitations " naturel<strong>le</strong>s ", <strong>le</strong>s<br />

Moscovites se trouvaient ainsi classés de facto<br />

<strong>dans</strong> un stade intermédiaire, selon <strong>le</strong> schéma<br />

développé par Vitruve. C’est néanmoins sur <strong>le</strong> plan<br />

de <strong>le</strong>urs mœurs que <strong>le</strong>s Moscovites se révélèrent<br />

particulièrement dépourvus d’ " européanité ".<br />

L’ensemb<strong>le</strong> des <strong>le</strong>ttrés qui <strong>le</strong>s ont décrits ne<br />

partageaient sans doute pas <strong>le</strong> jugement excessif<br />

de George Tubervil<strong>le</strong>, qui s’était rendu en<br />

Moscovie <strong>et</strong> qui éprouvait à l’égard des Irlandais<br />

un sentiment largement partagé par <strong>le</strong>s suj<strong>et</strong>s de<br />

la reine Elizab<strong>et</strong>h au moment de la colonisation de<br />

l’Irlande par <strong>le</strong>s Anglais :<br />

" Les <strong>sauvage</strong>s Irlandais sont aussi civils<br />

Que des Russes, <strong>entre</strong> <strong>le</strong>s deux il est diffici<strong>le</strong><br />

De dire ce qui vaut <strong>le</strong> mieux, tant ils sont<br />

Sanglants, grossiers <strong>et</strong> aveug<strong>le</strong>s.<br />

Si tu as un peu de sagesse, <strong>et</strong> de la sagesse<br />

Tu en as, <strong>et</strong> si tu veux m’en croire,<br />

Reste tranquil<strong>le</strong>ment à la maison,<br />

Ne te m<strong>et</strong>s pas <strong>dans</strong> la tête<br />

D’al<strong>le</strong>r visiter ces côtes barbares " [37].<br />

Il n’empêche qu’ils ont signalé régulièrement <strong>le</strong>ur<br />

penchant immodéré pour l’alcool, dont la<br />

population tirait une très grande fierté, la<br />

grossièr<strong>et</strong>é de <strong>le</strong>urs manières à tab<strong>le</strong> <strong>et</strong> ail<strong>le</strong>urs,<br />

qu’il s’agisse des humb<strong>le</strong>s ou de la cour du tsar, <strong>et</strong><br />

l’inculture de toutes <strong>le</strong>s catégories socia<strong>le</strong>s, y<br />

compris <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé, comme <strong>le</strong> constata, par<br />

exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> père jésuite Campana :<br />

" Une tel<strong>le</strong> ignorance a envahi ces populations<br />

que même <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s monastères on trouvera<br />

avec difficulté des gens qui sachent lire " [38].<br />

Là où un enseignement était organisé, il l’était<br />

uniquement <strong>dans</strong> la langue des Moscovites <strong>et</strong> il<br />

ignorait superbement <strong>le</strong> latin, <strong>le</strong> grec <strong>et</strong> l’hébreu ;<br />

il ne s’occupait du reste pas davantage des lilterae<br />

humaniores [39]. En revanche, deux qualités ont<br />

été reconnues à ces populations, à savoir <strong>le</strong>ur<br />

endurance <strong>dans</strong> la vie civi<strong>le</strong> <strong>et</strong> au combat <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur<br />

profond amour de la religion, dont certains aspects<br />

ont toutefois été considérés avec un regard<br />

différent, selon que l’observateur était catholique<br />

ou réformé : <strong>le</strong> respect des rites <strong>et</strong> <strong>le</strong> culte des<br />

icônes ont ainsi laissé croire aux uns que <strong>le</strong>s suj<strong>et</strong>s


du tsar pourraient sans trop de difficulté accepter<br />

l’union avec Rome, tandis qu’il démontrait aux<br />

autres la superstition <strong>et</strong> l’idolâtrie de ceux qui s’y<br />

livraient. À bien des égards, <strong>le</strong>s Moscovites<br />

méritaient donc de figurer parmi <strong>le</strong>s<br />

" Amérindiens " de l’Europe, moins primitifs<br />

toutefois <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur gestion de la nature que <strong>le</strong>s<br />

indigènes du Nouveau Monde ; ils étaient<br />

éga<strong>le</strong>ment moins faci<strong>le</strong>s à " éduquer " en raison du<br />

schisme <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel ils se complaisaient <strong>et</strong> de<br />

l’autoritarisme du tsar qui contrôlait <strong>le</strong>s allées <strong>et</strong><br />

venues de ses suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> des étrangers sur<br />

l’ensemb<strong>le</strong> de ses territoires, empêchant de la<br />

sorte l’acculturation de son peup<strong>le</strong>.<br />

[R<strong>et</strong>our au plan]<br />

Conclusion<br />

Comme on peut <strong>le</strong> constater, <strong>le</strong>s hommes de la<br />

Renaissance éprouvèrent <strong>le</strong>s mêmes difficultés que<br />

nous face à la définition <strong>et</strong> à la délimitation de<br />

l’Europe. Les frontières naturel<strong>le</strong>s ne <strong>le</strong>ur étaient<br />

d’aucune utilité, sauf si el<strong>le</strong>s constituaient des<br />

obstac<strong>le</strong>s qui entravaient la circulation des<br />

personnes <strong>et</strong> des biens ; c’est pourquoi <strong>le</strong>s mers à<br />

traverser <strong>le</strong>ur semblaient aptes à distinguer <strong>le</strong>s<br />

continents <strong>le</strong>s uns des autres. Il est permis de se<br />

demander comment ils réagiraient devant la<br />

multiplication <strong>et</strong> la massification des moyens de<br />

transport s’ils tentaient aujourd’hui de cerner<br />

l’essence de l’ " européanité ".<br />

On observe de même que <strong>le</strong>ur concept " Europe "<br />

<strong>et</strong> ses contours flous résultent du croisement de<br />

plusieurs critères, dont chacun a sa propre<br />

histoire. <strong>La</strong> chrétienté, malgré <strong>le</strong> schisme d’Orient,<br />

a en eff<strong>et</strong> continué à différencier l'Europe des<br />

autres continents : el<strong>le</strong> a créé un préjugé<br />

favorab<strong>le</strong> en faveur de l’intégration de la Moscovie,


même si c<strong>et</strong>te dernière n’avait pas de frontière<br />

naturel<strong>le</strong> qui la sépare de l’Asie, même si ses<br />

populations présentaient aux yeux des<br />

Occidentaux des traits qui <strong>le</strong>s apparentaient aux<br />

Mongols, <strong>le</strong>urs anciens envahisseurs. Le r<strong>et</strong>our à<br />

l’Antiquité a fourni d’autres critères, qui<br />

influencèrent la représentation cartographique des<br />

continents <strong>et</strong> qui contribuèrent à établir une<br />

discrimination <strong>entre</strong> <strong>le</strong>s différentes cultures<br />

découvertes ou redécouvertes par <strong>le</strong>s<br />

Occidentaux. L’Europe constitua en quelque sorte<br />

la version profane de la chrétienté, version qui<br />

apparut plus pertinente après la rupture radica<strong>le</strong><br />

de la Réforme <strong>et</strong> <strong>le</strong> renforcement des États. Mais<br />

la première ne supprima pas tota<strong>le</strong>ment la<br />

seconde.<br />

On note enfin que bien des critères de civilisation<br />

élaborés à la Renaissance <strong>et</strong> bon nombre de<br />

stéréotypes ont influencé notre perception des<br />

autres <strong>et</strong> l’influencent aujourd’hui encore.<br />

L’importance du progrès technique, la conquête <strong>et</strong><br />

la maîtrise de la nature, la primauté de la vil<strong>le</strong> ou<br />

du paysage rurbain, l’existence de l’écrit ont été<br />

l’aune à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s différentes cultures ont été<br />

mesurées, avec <strong>le</strong>s conséquences inévitab<strong>le</strong>s que<br />

l’on sait : mépris éprouvé à l’égard des peup<strong>le</strong>s<br />

nomades, incompréhension face aux peup<strong>le</strong>s qui<br />

privilégiaient une intégration à l’environnement<br />

plutôt que sa maîtrise, condescendance témoignée<br />

à des peup<strong>le</strong>s dits " sans histoire ", parce que <strong>le</strong>ur<br />

passé était transmis uniquement par tradition<br />

ora<strong>le</strong>. <strong>La</strong> mondialisation est sans doute en train de<br />

modifier la donne : modifiera-t-el<strong>le</strong> pour autant <strong>le</strong>s<br />

paramètres évaluateurs forgés en Occident <strong>et</strong><br />

favorisera-t-el<strong>le</strong> l’émergence d’une culture<br />

métisse? Face à c<strong>et</strong>te interrogation, qu’il me soit<br />

permis de faire mien <strong>le</strong> souhait exprimé par Amin<br />

Maalouf : " Il faudrait faire en sorte que personne<br />

ne se sente exclu de la civilisation commune qui<br />

est en train de naître, que chacun puisse y<br />

r<strong>et</strong>rouver sa langue identitaire <strong>et</strong> certains<br />

symbo<strong>le</strong>s de sa culture propre, que chacun là<br />

encore, puisse s’identifier, ne serait-ce qu’un peu,<br />

à ce qu’il voit émerger <strong>dans</strong> <strong>le</strong> monde qui<br />

l’entoure, au lieu de chercher refuge <strong>dans</strong> un<br />

passé idéalisé " [40].


[R<strong>et</strong>our au plan]<br />

Notes<br />

[1] Ce qui n’empêche pas que de nombreuses va<strong>le</strong>urs<br />

constitutives de son identité remontent au Moyen Age, ainsi<br />

que vient de <strong>le</strong> démontrer J. LE GOFF, L’Europe est-el<strong>le</strong> née<br />

au Moyen Age ?, Paris, Seuil, 2003. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[2] Cf. J. HALE, <strong>La</strong> civilisation de l’Europe à la Renaissance.<br />

Traduit de l’anglais par R. GUYONNET, Paris, Perrin, 1998<br />

(1e éd. en anglais 1993), p.3. Sur la conscience de l’Europe<br />

à la Renaissance, voir notamment <strong>La</strong> conscience européenne<br />

au XVe <strong>et</strong> au XVIe sièc<strong>le</strong>, Paris, L’Eco<strong>le</strong>, 1982. [R<strong>et</strong>our au<br />

texte]<br />

[3] Le " long seizième sièc<strong>le</strong> " cher aux historiens de la<br />

Renaissance, qui l’enclosent <strong>entre</strong> 1450 <strong>et</strong> 1625 (cf. J. HALE,<br />

op.cit. (n.2), p.XI) s’oppose en quelque sorte au " long<br />

Moyen Age, cher aux médiévistes, qui lui font englober <strong>le</strong><br />

XVe sièc<strong>le</strong> ; cf. J. LE GOFF, op.cit. (n.1), pp.255-257.<br />

[R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[4] Cf. p.ex. S.O.T. CHRISTENSEN, The Image of Europe in<br />

Anglo-German Travel Literature, <strong>dans</strong> Voyager à la<br />

Renaissance. Actes du Colloque de Tours 30 juin-13 juil<strong>le</strong>t<br />

1983, éd. J. CEARD <strong>et</strong> J.-C. MARGOLIN, Paris, Maisonneuve<br />

<strong>et</strong> <strong>La</strong>rose, 1987, pp.257-280. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[5] De nombreuses études ont été consacrées à l’influence<br />

de Ptolémée. Cf. p.ex. N. BROC, <strong>La</strong> géographie de la<br />

Renaissance, Paris, Les éditions du C.T.H.S. 1986 (1e éd.<br />

1980), pp.9-15 ; J. BABICZ, <strong>La</strong> résurgence de Ptolémée,<br />

<strong>dans</strong> Gérard Mercator cosmographe. Le temps <strong>et</strong> l’espace,<br />

Anvers, Fonds Mercator Paribas, 1994, pp.50-69. [R<strong>et</strong>our au<br />

texte]<br />

[6] Cf. J. HALE, op.cit. (n.1), p.34. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[7] Cf. p.ex. J. HALE, op.cit. (n.1), pp.27-28 ; S. MUND,<br />

Orbis Russiarum. Genèse <strong>et</strong> développement de la<br />

représentation du monde " russe " en Occident à la<br />

Renaissance, Genève, Droz, 2003, p.290. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[8] Je donne au terme " humaniste " la définition qu’en<br />

propose Jean-Claude Margolin : " L’humaniste est celui qui<br />

enseigne, qui aime ou qui pratique <strong>le</strong>s studia humanitatis ou<br />

<strong>le</strong>s litterae humaniores (encore appelées bonae litterae), ces


‘humanités’ ou ces ‘<strong>le</strong>ttres qui accroissent votre humanité’.<br />

Cel<strong>le</strong>s-ci représentent un ensemb<strong>le</strong> de disciplines - <strong>et</strong>, à la<br />

limite, el<strong>le</strong>s peuvent s’étendre à toutes <strong>le</strong>s disciplines qui ont<br />

l’ambition de rendre compte du savoir <strong>dans</strong> sa diversité <strong>et</strong><br />

son intégralité -, mais la base de c<strong>et</strong> enseignement demeure<br />

la grammaire, la rhétorique, la dia<strong>le</strong>ctique, <strong>le</strong> commentaire<br />

des auteurs (poètes <strong>et</strong> prosateurs), <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur finalité propre,<br />

c’est de perm<strong>et</strong>tre aux jeunes gens d’acquérir ou de faire<br />

fructifier <strong>le</strong>ur humanitas, c’est-à-dire de devenir des<br />

hommes, au sens p<strong>le</strong>in du terme, en combinant<br />

harmonieusement un idéal de connaissance <strong>et</strong> un idéal<br />

d’action ", cf. J.-C. MARGOLIN, Les humanistes <strong>et</strong><br />

l’Amérique, <strong>dans</strong> F. ARGOD-DUTARD éd., Histoire d’un<br />

Voyage en la terre du Brésil. Jean de Léry : Journées d’étude<br />

(10-11 décembre 1999), Bordeaux, C<strong>entre</strong> Montaigne, 2000,<br />

p.10. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[9] Si la Russie orthodoxe demeura fermée à l’humanisme,<br />

l’ouverture fut plus grande du côté laïc : ainsi, <strong>le</strong> tsar Ivan<br />

III invita des architectes italiens à construire la cathédra<strong>le</strong><br />

de l’Assomption, <strong>le</strong> palais à fac<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s remparts du<br />

Kremlin. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[10] VITRUVE, II, cap.1, cité par J. HALE, op.cit. (n.1),<br />

pp.368-369. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[11] TACITE, Agricola, 21, cité par J. HALE, op.cit. (n.1),<br />

p.369. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[12] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), pp.611-612. [R<strong>et</strong>our au<br />

texte]<br />

[13] E. SPENSER, <strong>La</strong> reine des fées, L.V, chant X, 22-23 cité<br />

par J. HALE, op.cit. (n.1), p.529. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[14] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.529. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[15] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.530. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[16] F. BACON, De principiis atque originibus secundum<br />

fabulas Cupidinis <strong>et</strong> Coeli : siue Parmenidis, <strong>et</strong> Te<strong>le</strong>sii <strong>et</strong><br />

praecipue Democriti philosophia, tractata in fabula de<br />

Cupidine (1623-1624), cité par A. SCHIAVONE, L’histoire<br />

brisée. <strong>La</strong> Rome antique <strong>et</strong> l’Occident moderne, traduit de<br />

l’italien par J. <strong>et</strong> G. BOUFFARTIGUE, Paris, Belin, 2003 (éd.<br />

ital. 1996), p.237. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[17] Prologues aux E<strong>le</strong>gantiae de Lorenzo Valla (vers 1440),<br />

tels qu’ils sont résumés par F. RICO, Le rêve de<br />

l’humanisme. De Pétrarque à Erasme, traduction française<br />

de J. TELLEZ, revue par A.-P. SEGONDS, Paris, Les Bel<strong>le</strong>s<br />

L<strong>et</strong>tres, 2002 (1e éd. esp. 1993 ; 2e éd. rev. ital. 1998),<br />

p.20. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[18] Cf. CICERON, De off., I, 42 <strong>et</strong> 150, De oratore, III, 32,<br />

Pro Sex.Rosc., 46 <strong>et</strong> 134. [R<strong>et</strong>our au texte]


[19] V. da BISTICCI, Le vite, cité par F. RICO, op.cit. (n.13),<br />

p.49. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[20] Même <strong>le</strong>s statuts d’artisan <strong>et</strong> d’artiste ne bénéficiaient<br />

pas automatiquement d’une considération socia<strong>le</strong>, comme <strong>le</strong><br />

démontre remarquab<strong>le</strong>ment A. CHASTEL, " L’artiste ", <strong>dans</strong><br />

L’homme de la Renaissance, éd. E. GARIN, trad. franç. de M.<br />

AYMARD <strong>et</strong> de P.-A. LESORT, Paris, Seuil, 1990 (<strong>et</strong> 1992<br />

pour la bibliographie ; 1e éd. en anglais <strong>et</strong> en italien, 1988),<br />

pp.255-288. <strong>La</strong> mention de Giotto <strong>et</strong> de Cimabue au chant<br />

XI du Purgatoire de Dante mis en parallè<strong>le</strong> avec des poètes<br />

choqua <strong>le</strong>s commentateurs parce qu’el<strong>le</strong> glorifiait des " gens<br />

de basse classe ", dépourvus de culture littéraire. Quant aux<br />

artisans, ils étaient tout simp<strong>le</strong>ment ignorés des c<strong>le</strong>rcs <strong>et</strong><br />

l’écart <strong>entre</strong> <strong>le</strong>s deux s’accrût durant la Renaissance<br />

(pp.282-284). [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[21] ARISTOTE, Politique, I, v, 8-9, commenté par T.<br />

TODOROV, <strong>La</strong> conquête de l’Amérique. <strong>La</strong> question de<br />

l’autre, Paris, Seuil, 1972, p.194. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[22] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.369. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[23] G. AGRICOLA, De re m<strong>et</strong>allica lib. XII, Bâ<strong>le</strong>, 1561,<br />

p.17 ; cité par A. SCHIAVONE, op. cit. (n.12), p.166. [R<strong>et</strong>our<br />

au texte]<br />

[24] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), pp.45-46 ; sur la<br />

représentation de l’Afrique en occident, voir l’ouvrage<br />

fondamental de F. de MEDEIROS, L’Occident <strong>et</strong> l’Afrique<br />

(XIIIe-XVe sièc<strong>le</strong>). Images <strong>et</strong> représentations, Paris,<br />

Karthala, 1985. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[25] Ce point a été développé à l’occasion du colloque EUXIN<br />

organisé à Louvain-la-Neuve sur l’imaginaire des langues ;<br />

cf. M. MUND-DOPCHIE, <strong>La</strong> langue, instrument de la conquête<br />

de l’Autre à la Renaissance, <strong>dans</strong> Imaginaires européens ;<br />

<strong>La</strong>ngues, études réunies <strong>et</strong> présentées par P.-A. DEPROOST<br />

& B. COULIE, Paris, L’Harmattan, 2003, pp.111-128. [R<strong>et</strong>our<br />

au texte]<br />

[26] Ce point a été développé à l’occasion du colloque EUXIN<br />

organisé à Louvain-la-Neuve sur l’utopie ; cf. M. MUND-<br />

DOPCHIE, De l’âge d’or à Prométhée : <strong>le</strong> choix mythique<br />

<strong>entre</strong> <strong>le</strong> bonheur naturel <strong>et</strong> <strong>le</strong> progrès technique, <strong>dans</strong><br />

Imaginaires européens. L’utopie pour penser <strong>et</strong> agir en<br />

Europe, études réunies <strong>et</strong> présentées par P.-A. DEPROOST &<br />

B. COULIE, Paris, L’Harmattan, 2002, pp.39-52. [R<strong>et</strong>our au<br />

texte]<br />

[27] Cf. p.ex. J. HEERS, Christophe Colomb, Paris, Marabout,<br />

1981, pp.102-116. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[28] Cf. J. HALE, op.cit. (n.1), pp.46-47. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[29] Cité par J. HALE, op.cit. (n.1), p.371. [R<strong>et</strong>our au texte]


[30] Voir à ce propos <strong>le</strong>s remarques pertinentes de P.<br />

BURKE, <strong>La</strong> Renaissance européenne. Traduit de l’anglais par<br />

P. CHEMLA, Paris, Seuil, 2000, pp.21-22. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[31] J. HALE, op.cit. (n.1), p.373, qui toutefois ne qualifie<br />

ainsi que <strong>le</strong>s Irlandais <strong>et</strong> <strong>le</strong>s Moscovites. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[32] Sur <strong>le</strong>s Irlandais, voir notamment E. HAYWOOD, Is<br />

Ireland Worth Bothering About ? Classical Perceptions of<br />

Ireland Revisited in Renaissance Italy, <strong>dans</strong> International<br />

Journal of the Classical Tradition, 2.4 (1996), pp.1-20 <strong>et</strong> " <strong>La</strong><br />

divisa dal mondo Ultima Irlanda " ossia la riscoperta<br />

umanistica dell’Irlanda, <strong>dans</strong> Giorna<strong>le</strong> storico della<br />

<strong>le</strong>tteratura italiana, CLXXVI, fasc.575 (1999), pp.363-387 ;<br />

sur <strong>le</strong>s Islandais, voir notamment M. MUND-DOPCHIE, Les<br />

étranges Islandais des confins de l’Europe : genèse <strong>et</strong><br />

développement d’une représentation de l’autre <strong>dans</strong><br />

l’Occident latin à la Renaissance, <strong>dans</strong> Revue des L<strong>et</strong>tres <strong>et</strong><br />

de Traduction, 9 (2003), pp.159-180. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[33] P. VERGILIUS, Anglicae historiae libri vigintiseptem,<br />

Bâ<strong>le</strong>, 1570 (1e éd. 1534), p.594, cité <strong>et</strong> commenté par E.<br />

HAYWOOD, " <strong>La</strong> divisa dal mondo Ultima Irlanda "…, op.cit.<br />

(n.25), p.375. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[34] J. DAVIES (1612), cité <strong>et</strong> commenté par J. HALE, op.cit.<br />

(n.1), pp.373-374. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[35] Arnold MERCATOR (1558), carte de l’Islande. [R<strong>et</strong>our<br />

au texte]<br />

[36] Sur <strong>le</strong> rapprochement <strong>entre</strong> l’Irlande <strong>et</strong> l’Amérique, voir<br />

E. HAYWOOD, " <strong>La</strong> divisa dal mondo Ultima Irlanda "…,<br />

op.cit. (n.25), p.373 ; sur <strong>le</strong> rapprochement <strong>entre</strong> l’Islande<br />

<strong>et</strong> l’Amérique, voir M. MUND-DOPCHIE, Les étranges<br />

Islandais…, op.cit. (n. 5), p.174-176. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[37] G. TUBERVILLE (1568), cité par J. HALE, op.cit. (n.1),<br />

p.373. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[38] G.P.CAMPANA (ca 1581) cité par S. MUND, op.cit. (n.7),<br />

p.138. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[39] C. ADAMS (1554), cité par S. MUND op.cit. (n.7),<br />

p.130. [R<strong>et</strong>our au texte]<br />

[40] A. MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grass<strong>et</strong>,<br />

1998, p.210. [R<strong>et</strong>our au texte]


FEC 7 (2004)<br />

Folia E<strong>le</strong>ctronica Classica (Louvain-la-Neuve) - Numéro 7 - janvierjuin<br />

2004<br />

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