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Petit pamphlet pour le Psychodesign

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<strong>Petit</strong> <strong>pamph<strong>le</strong>t</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> <strong>Psychodesign</strong>Lettre ouverte à l’ingénieur qui prenait l’homme <strong>pour</strong>une machineEric BrangierUniversité de MetzFaculté des Lettres et Sciences HumainesDépartement de PsychologieLaboratoire de Psychologie du TravailI<strong>le</strong> du Saulcy57045 Metz Cedex 1RÉSUMÉ. Le problème de la conception est généra<strong>le</strong>ment abordé sous un ang<strong>le</strong> strictementtechnique. Notre démarche vise essentiel<strong>le</strong>ment à contrecarrer cette vision des choses. Dansun sty<strong>le</strong> pamphlétaire, nous effectuons tout d’abord une critique de l’ingénieur en soulignant<strong>le</strong>s avatars de son emprise sur <strong>le</strong> monde de l’entreprise. Nous en venons ensuite à présenterdes orientations <strong>pour</strong> la conception des nouvel<strong>le</strong>s technologies qui tiennent compte descaractéristiques psychologiques, socia<strong>le</strong>s et cognitives des individus humains qui <strong>le</strong>sutilisent. Enfin, nous proposons une nouvel<strong>le</strong> manière de penser <strong>le</strong> problème de laconception, à savoir <strong>le</strong> psychodesign. Ce dernier a <strong>pour</strong> objectif de concevoir des systèmesde travail compatib<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s caractéristiques des individus humains au travail.MOTS CLÉS. Conception, Philosophie des sciences et techniques, Psychologie du travail,Sciences de l’ingénieur.«Le monde serait parfait <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s ingénieurs, sans <strong>le</strong>s êtres humains»Kurt Vonnegut, Le berceau du chat.1 Les entreprises, a fortiori <strong>le</strong>s entreprises de nouvel<strong>le</strong>s technologies, viventsur une culture fondée sur la rationalité technique. Sous cet ang<strong>le</strong>, la réalité esttechnique ou n’est pas. La technique crée l’illusion de disposer de la réalité. Laconception, puis l’utilisation des nouvel<strong>le</strong>s technologies s’inscrivent de ce fait dansune pensée technicienne de la réalité qui, tout en dissociant <strong>le</strong> facteur technique dufacteur humain, entend transférer dans une machine <strong>le</strong>s opérations de l’homme. Dela sorte, on estime que <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s technologies <strong>pour</strong>ront transformer <strong>le</strong>fonctionnement de l’entreprise par un effet de transfert d’un certain nombre defonctions assurées par <strong>le</strong>s opérateurs humains en fonctions assurées par l’ordinateur,


par exemp<strong>le</strong>.2 Aussi, <strong>le</strong> personnage clé de l’entreprise est l’ingénieur. Il domine la culturedu monde du travail en étant à la fois acteur de progrès et de conservatisme. Acteurde progrès face aux techniques qu’il domine. Acteur de conservatisme face auxmanières d’utiliser <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s techniques, manières qui lui échappent biensouvent. L’ingénieur est donc un personnage paradoxal. Délibérément innovateur, i<strong>le</strong>st producteur de nouveautés techniques. Dans <strong>le</strong> même temps, il fuit parfois <strong>le</strong>sinnovations qui ne sont pas de son monde, allant même jusqu’à refuser ce qu’il nemaîtrise pas. Les sciences humaines et socia<strong>le</strong>s ne sont pas sa culture et il <strong>le</strong>s jugetrop vite subversives. Une tel<strong>le</strong> conception des sciences <strong>le</strong> conduit bien souvent àélaborer une culture de l’autosuffisance et de l’autosatisfaction. Il se construit ainsiune image idéalisée de son objet de travail, et petit à petit, cette image se substitue àl’image réel<strong>le</strong>. L’image idéalisée est une image technique ayant une fonction :protéger l’ingénieur du monde qui l’entoure et assurer <strong>le</strong> cloisonnement entre <strong>le</strong>ssciences techniques et <strong>le</strong>s sciences de l’homme. Cette fonction correspond parconséquent à une stratégie défensive engendrant un repli sur sa culture, sur luimême.Beaucoup d’ingénieurs se présentent donc comme imperméab<strong>le</strong>s auxsciences de la connaissance de l’homme.3 Cette imperméabilité se manifeste dans <strong>le</strong>s entreprises : <strong>le</strong>s sciences dites“dures” (techniques, physiques…) et <strong>le</strong>s sciences dites “mol<strong>le</strong>s” (psychologie,sociologie…) n’y ont pas <strong>le</strong> même statut. Alors que <strong>le</strong>s premières sontomniprésentes dans toutes <strong>le</strong>s fonctions —conception, production, administration,commercialisation—, <strong>le</strong>s sciences humaines et socia<strong>le</strong>s ne trouvent habituel<strong>le</strong>ment<strong>le</strong>ur place que dans la fonction personnel —recrutement, gestion des carrières,hygiène du travail, formation—.4 Cette imperméabilité a construit des discours <strong>pour</strong> légitimer des pratiques.Nous en retiendrons deux. Premièrement, <strong>le</strong> discours de “l’anti-sciences-humaineset-socia<strong>le</strong>s”consiste à affirmer l’autosuffisance des sciences techniques <strong>pour</strong>résoudre l’ensemb<strong>le</strong> des problèmes posés à l’ingénieur. Qui plus est, ce discoursprésuppose que la philosophie, la psychologie, la linguistique et la sociologie n’ontrien à voir avec <strong>le</strong>s objets techniquement conçus. Secondement, on entend souvent<strong>le</strong> discours du “point-de-passage-obligé”, où l’ingénieur fait figure d’homme clé dela production de l’objet technique. Dans ce sens, lui seul à accès à laprogrammation, à la fabrication et à la construction de la technique. Ces deuxdiscours, qui écartent <strong>le</strong>s sciences de l’homme de cel<strong>le</strong>s de la technique, considèrentimplicitement que l’univers de la conception et de la production sont <strong>le</strong> fief del’ingénieur. De la sorte, par résignation ou par manque de qualification, <strong>le</strong>sspécialistes du facteur humain ne se sont attachés qu’à l’analyse de latransformation de la condition humaine par la technologie en termes d’effets, ce qui<strong>le</strong>s exclut souvent d’intervention au niveau de la conception.5 Ces deux discours de l’imperméabilité de la technique, qui ne sont sansdoute pas exhaustifs, ont sédimenté une idéologie selon laquel<strong>le</strong> la technologie estautonome, se suffit à el<strong>le</strong> même.


6 Une tel<strong>le</strong> considération amène trois corollaires. Premièrement, il paraitnécessaire <strong>pour</strong> <strong>le</strong> développement et la croissance d’une entreprise que ses décisionsreposent sur des compétences techniques particulières émanant d’une élite“technocratique”. Deuxièmement, il décou<strong>le</strong> de ce fait l’idée selon laquel<strong>le</strong> latechnologie, par son emprise sur <strong>le</strong>s décisions politiques comme par son savoirspécifique, cache une forme avancée de domination socia<strong>le</strong>. Enfin, la troisièmeconséquence réside dans une prétention totalitaire. El<strong>le</strong> provient de l’autosuffisancede la technique : la technique peut s’appliquer à tous <strong>le</strong>s champs de la société.Autrement dit, à tout objet social correspond virtuel<strong>le</strong>ment une solution dont <strong>le</strong>scaractéristiques peuvent s’exprimer techniquement. Ainsi, à certains égards latechnique apparaît comme un traitement politique de l’humain et du social.7 Aujourd’hui cette imperméabilité est confronté à deux types deperturbations : externe et interne.8 En premier lieu, une perturbation externe qui se caractérise par une remiseen cause de la technique et de ses abus économiques, sociologiques et écologiques.Économiquement, alors que certains pensaient que la technicisation entraînait uneaugmentation de la productivité d’autres ont pressenti qu’el<strong>le</strong> n’était passystématique. En effet, l’augmentation drastique de la production de masse a donnélieu à une dérégulation de l’organisation fordo-taylorienne, impliquant au mêmemoment une déstabilisation de la société de consommation, tout en précipitant nossociétés dans <strong>le</strong> marasme des crises économiques. Sociologiquement, <strong>le</strong>s analysesdes rapports de l’homme au travail ont largement démontré la dimensionconflictuel<strong>le</strong> d’une tel<strong>le</strong> relation. Bien plus que cela, <strong>le</strong>s coûts sociaux -sabotage,absentéisme, grève- d’une technicisation mal conduite ont été chiffrés.Écologiquement, <strong>le</strong>s risques technologiques deviennent de plus en plusspectaculaires, et <strong>le</strong>s angoisses qu’ils suscitent par <strong>le</strong>urs aspects irréversib<strong>le</strong>s,dépassent cel<strong>le</strong>s des risques naturels. Ainsi, <strong>le</strong>s gourous de la technique n’ont pas suapporter des solutions acceptab<strong>le</strong>s à tous <strong>le</strong>s maux de la société.9 En second lieu, la perturbation provient de l’interne des sciencestechniques. El<strong>le</strong> est née d’une part de la comp<strong>le</strong>xification de la technique et d’autrepart de modifications structurel<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> monde de la conception. En effet, c’est lacomp<strong>le</strong>xité croissante de la technique qui se trouve à l’origine de la perturbation.Les entreprises s’appuient <strong>pour</strong> une part importante sur <strong>le</strong>urs automatismes. Lesordinateurs occupent de plus en plus une position stratégique, si ce n’est vita<strong>le</strong>. Sibien que la réalisation de grands projets informatiques peuvent s’évaluer en dizainesd’années homme, voire même en sièc<strong>le</strong>s homme. Mettre en oeuvre de tels systèmesimplique la participation de nombreux experts ayant des compétences pointues dansdes domaines divers, et notamment des spécialistes du facteur humain. Quant auxmodifications structurel<strong>le</strong>s, il convient de souligner qu’actuel<strong>le</strong>ment, l’ingénieur neconçoit plus seu<strong>le</strong>ment des systèmes palliatifs mais aussi des systèmes interactifs.Par systèmes palliatifs, nous entendons des dispositifs techniques qui remplacentcertains comportements en facilitant <strong>le</strong>s actions de l’homme, par exemp<strong>le</strong> : un pont<strong>pour</strong> traverser un ruisseau, une barque <strong>pour</strong> traverser une rivière, un bateau <strong>pour</strong>traverser un lac ou encore un avion <strong>pour</strong> traverser un océan. L’évolution desmoyens de locomotion est fortement marquée par cette logique du palliatif, tout


comme l’est cel<strong>le</strong> de l’architecture, de la pharmacologie, de la chimie etc.… En brefla technique a surtout produit des objets palliatifs en jurant souvent que <strong>le</strong> nouveauétait mieux que l’ancien. Par systèmes interactifs, nous entendons <strong>le</strong>s dispositifstechniques conçus dans <strong>le</strong> but de collaborer avec l’opérateur humain. Généra<strong>le</strong>mentla distinction n’est pas stricte entre <strong>le</strong> palliatif et l’interactif. Tous <strong>le</strong>s systèmesinteractifs possèdent effectivement une dimension palliative, mais la réciproquen’est pas vraie. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s distributeurs de bil<strong>le</strong>ts de banque visent auremplacement des guichetiers, mais dans <strong>le</strong> même temps, ils sont conçus <strong>pour</strong>coopérer avec <strong>le</strong>s clients. Leur efficacité dépend donc d’abord de l’acceptation par<strong>le</strong> client de cette technique.10 En créant des systèmes interactifs, l’ingénieur est soumis à une nouvel<strong>le</strong>dimension de son travail, qu’il a ignoré jusqu’ici : l’interaction entre l’homme et lamachine. Mais l’interaction n’est pas tout à fait de son ressort. El<strong>le</strong> est la propriétéfondamenta<strong>le</strong> des systèmes qui communiquent.11 L’interaction est par essence constructiviste. El<strong>le</strong> n’est pas donnée de fait,el<strong>le</strong> se construit. Ou plutôt, à travers el<strong>le</strong> et grâce au langage et à l’action, <strong>le</strong>shommes élaborent <strong>le</strong>urs connaissances. L’interaction échappe de cette façon, enpartie, au fonctionnalisme des sciences de l’ingénieur.12 Par conséquent, <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> de l’ingénieur concepteur de systèmes palliatifsest-il remis en cause. Aussi, sommes nous amené à nous demander si <strong>le</strong>s sciencesde la connaissance de l’homme, qui ont abordé <strong>le</strong> problème de l’interaction,relèvent du domaine de l’ingénieur ? Plus avant, nous allons montrer que la logiquedu palliatif, perturbée par cel<strong>le</strong> de l’interactif, ouvre de nouveaux champsd’application et de recherche <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s spécialistes du facteur technique et ceux dufacteur humain. La perturbation ainsi engendrée permet donc l’intégration d’unenouvel<strong>le</strong> sphère de savoir.13 Revenons aux nouvel<strong>le</strong>s technologies interactives. Pour <strong>le</strong>s comprendre, laquestion de l’interaction entre la compréhension d’un problème et la création d’uneapplication informatique doit être posée. Dans son acceptation la plus stricte,concevoir c’est former des concepts créés par la pensée, par l’imagination.14 Plus précisément, concevoir des outils techniques ce n’est pas concevoirdes applications <strong>pour</strong> des ordinateurs, mais c’est concevoir ce que <strong>le</strong>s gens vontfaire avec des applications. Autrement dit, il faut comprendre ce que <strong>le</strong>s machinesfont, et pas seu<strong>le</strong>ment comment el<strong>le</strong>s fonctionnent. Faire apparaître des possibilitésstructurées d’utilisation représente précisément <strong>le</strong> travail de conception.15 Concevoir un outil technique, c’est dans un premier sens analyser unesituation de travail afin de construire une application informatique ou automatiquequi soit, nous l’avons déjà dit, palliative ou interactive. C’est-à-dire qu’el<strong>le</strong> viserespectivement à remplacer ou à assister l’opérateur humain. Néanmoins, dans cesdeux cas, l’intervention de l’homme n’est pas nul<strong>le</strong>. Si dans <strong>le</strong> premier cas laquestion de l’utilisation ne se pose pas ou se pose moins que dans <strong>le</strong> second, laquestion de la panne (et donc cel<strong>le</strong> de la maintenance) reste toujours présente.


16 Ainsi, concevoir un outil technique, c’est éga<strong>le</strong>ment concevoir <strong>le</strong>s pannes.En effet, <strong>le</strong>s propriétés des objets manipulés émergent aussi de la confrontation d’unsystème cognitif avec un échec d’utilisation. Aussi, <strong>le</strong> dénombrement des erreurs,des échecs et des pannes permet la détermination des possibilités d’utilisation. Bienévidemment, il est impossib<strong>le</strong> d’entrevoir a priori tous <strong>le</strong>s échecs possib<strong>le</strong>s.L’utilisation conduit à des conduites spécifiques que l’anticipation même la plusprécise ne peut prévoir. Ces “pannes” de la communication homme-machineapparaissent surtout avec la pratique. De ce fait, <strong>le</strong>s méthodologies de conception desystèmes d’information doivent intégrer l’erreur comme un trait pertinent de laconception.17 Concevoir, c’est donc aussi créer un sty<strong>le</strong> de communication, deconversation entre une machine et un individu. Le défi de la conception devientalors de construire un dialogue qui soit aussi efficace que celui obtenu par <strong>le</strong>langage dans <strong>le</strong> domaine de ce que <strong>le</strong>s gens font lorsqu’ils manipu<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> langage.La clarté de l’interaction est très importante dans la conception des outilstechniques.18 Concevoir, c’est encore modifier <strong>le</strong>s possibilités d’action des utilisateurs,<strong>le</strong>s conduisant à développer des stratégies opératoires d’appropriation du nouveloutil. Dans ce sens, la conception renvoie à l’apprentissage de l’utilisation. El<strong>le</strong> doitdonc prévoir et intégrer la façon dont l’utilisateur va s’y prendre <strong>pour</strong> appréhender<strong>le</strong> fonctionnement de l’outil conçu.19 Enfin, la conception a un retentissement social. Concevoir des outils c’estaussi modifier notre rapport à la nature en la soumettant. La technique est un lieu dela pratique socia<strong>le</strong>. Tout comme <strong>le</strong>s grandes évolutions industriel<strong>le</strong>s, l’informatiquebouscu<strong>le</strong> notre rapport à la nature. Mais à la différence de la vapeur ou del’é<strong>le</strong>ctricité, <strong>le</strong>s technologies nouvel<strong>le</strong>s modifient éga<strong>le</strong>ment notre rapport à laculture. Certaines techniques issues de l’informatique, et plus encore l’intelligenceartificiel<strong>le</strong>, touchent <strong>le</strong> coeur même du social en multipliant <strong>le</strong>s possibilités desindividus d’intervenir sur <strong>le</strong>ur propre culture : ils accroissent <strong>le</strong>s capacités del’homme d’agir sur son savoir, sur son savoir-faire et fina<strong>le</strong>ment sur son savoir-être.En d’autres termes, ils affectent <strong>le</strong>s hommes dans ce qu’ils connaissent, dans cequ’ils se communiquent, et donc dans ce qu’ils sont. Ici s’opère une rupture socia<strong>le</strong>fondamenta<strong>le</strong> qui banalise l’activité humaine, dans <strong>le</strong> sens où el<strong>le</strong> doit être prise encompte dans <strong>le</strong> nouveau dispositif.20 La perturbation s’accompagne donc de signes précurseurs d’une remise encause de la conception, qui tendent à placer délibérément l’homme, et non plus latechnique, au centre de la conception. C’est une nouvel<strong>le</strong> façon de voir et deconcevoir <strong>le</strong>s techniques avancées.21 La perturbation engendre éga<strong>le</strong>ment une symbolique du déclin de laconception strictement palliative des techniques. Dans ce sens, el<strong>le</strong> peut êtrecaricaturée par deux types de démarches visant à intégrer <strong>le</strong>s données concernantl’homme dans <strong>le</strong> paradigme de l’ingénierie.


22 La première consiste en un comportement d’un ingénieur consommateurdu supermarché des sciences de l’homme. L’empirisme primaire de l’ingénieur <strong>le</strong>conduira à glaner des concepts qui n’appartiennent pas à son monde. Son aventurel’amènera même dans certain cas à imiter <strong>le</strong>s comportements des psychologues ousociologues. Ce pillage organisé d’une discipline a déjà hissé la psychologie aucomptoir des conversations du café du commerce, ce qu’ont parfaitement suexploiter <strong>le</strong>s journaux de vulgarisation. Mais, cette attitude qui tend à confondre <strong>le</strong>smots et <strong>le</strong>s choses, et à prendre <strong>le</strong>s premiers <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s seconds n’est que faib<strong>le</strong>mentopérationnel<strong>le</strong> et n’a qu’une efficacité réduite. Il ne suffit pas d’utiliser <strong>le</strong>s mots<strong>pour</strong> comprendre <strong>le</strong>s choses.23 La seconde démarche prend en compte <strong>le</strong>s questions liées notamment à lacommunication dans <strong>le</strong>s organisations, et vise donc à promouvoir dans <strong>le</strong>sentreprises une partie des sciences de la connaissance de l’homme au rang d’unescience de l’ingénierie à part entière. Dans ce cas, il s’agit de se pencherconcrètement sur ce que <strong>pour</strong>rait être une discipline étudiant <strong>le</strong>s interactionsutilisateur-ordinateur, concepteur-utilisateur et utilisateur-organisation.24 Ce <strong>pour</strong>rait être l’objet du <strong>Psychodesign</strong>. Cette discipline, issuedirectement des sciences de l’ingénieur et des sciences humaines et socia<strong>le</strong>s, viseraità découvrir et à optimiser <strong>le</strong>s gisements de productivité économique et socia<strong>le</strong>émanant des interactions de l’utilisateur avec <strong>le</strong> concepteur, la technique etl’organisation. Il s’agit là d’une approche intégratrice concernant <strong>le</strong>s aspectspsychologiques, informatiques, ergonomiques et socio-techniques dudéveloppement des nouvel<strong>le</strong>s technologies. En outre, cette discipline conçue dansune orientation interdisciplinaire doit favoriser une nouvel<strong>le</strong> manière de penser <strong>le</strong>sproblèmes du travail et d’appréhender <strong>le</strong>s outils techniques en raison de la naturedes nouveaux contextes technologiques (système expert, bureautique, télématique,informatique…).25 Ainsi, <strong>le</strong> <strong>Psychodesign</strong> se fixerait-il trois types de préoccupations.26 La première concerne l’étude des interactions utilisateur-technologie. “Le<strong>Psychodesign</strong>er” devrait donc savoir analyser <strong>le</strong>s communications hommeshommeset hommes-machines afin de modéliser des systèmes capab<strong>le</strong>s de <strong>le</strong>ssimu<strong>le</strong>r dans un but profitab<strong>le</strong> aux hommes et aux entreprises. Pour comprendre lacommunication et ses enjeux dans <strong>le</strong> travail, il faut maîtriser <strong>le</strong>s techniquesd’analyse et de conception des systèmes de travail. Acquérir des connaissances surl’homme au travail, c’est-à-dire sur <strong>le</strong>s tâches et <strong>le</strong>s activités est indispensab<strong>le</strong> àl’ingénieur. Il importe donc qu’il maîtrise <strong>le</strong>s objectifs et contraintes de laconception ergonomique de systèmes de communication et de décision.27 La deuxième s’apparente à l’étude des interactions utilisateur-concepteuren vue de la conception d’un système faisant intervenir une modélisation, puis unesimulation de raisonnements et/ou de comportements estimés intelligents. Il s’agitici d’intégrer <strong>le</strong>s données issues des sciences cognitives dans <strong>le</strong>s pratiques decol<strong>le</strong>cte du savoir-faire de l’entreprise, de sa formalisation et de sa représentation.


Pour répondre à ces exigences, <strong>le</strong> <strong>Psychodesign</strong>er doit être en mesure d’élaborer dessolutions en utilisant <strong>le</strong>s méthodes et <strong>le</strong>s théories issues des sciences cognitives. Ilfaut qu’il soit capab<strong>le</strong> d’organiser et de modéliser <strong>le</strong>s connaissances de manièrecompatib<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> fonctionnement cognitif des hommes qui composentl’entreprise.28 Enfin, la troisième préoccupation aborde <strong>le</strong> problème des interactionsutilisateur-organisation lors de l’implantation d’une nouvel<strong>le</strong> technologie dans uneentreprise. Le <strong>Psychodesign</strong>er doit être en mesure de prévoir et d’accompagner <strong>le</strong>schangements d’organisations, de contenus et de conditions de travail liés auxchangements technologiques. En bref, il est de son ressort de mettre à profit <strong>le</strong>schangements techniques <strong>pour</strong> créer de la dynamique socia<strong>le</strong>.29 Cette trip<strong>le</strong> configuration de compétences permettra sans douted’appréhender et de traiter <strong>le</strong>s problèmes cognitifs, humains, sociaux et techniquesqui sont liés à la conception, au développement, à l’utilisation et à l’implantationdes nouvel<strong>le</strong>s technologies. Le <strong>Psychodesign</strong> se présente donc comme un domainede la conception à part entière, à l’intersection de la Psychologie et des Sciences del’ingénieur. Il a <strong>pour</strong> objectif l’étude et la conception de systèmes de travailcompatib<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong> fonctionnement cognitif et social des individus humains.30 En somme, cette <strong>le</strong>ttre ouverte s’inscrit dans <strong>le</strong>s perspectives de disciplinesdifférentes et complémentaires. Peut-être est-ce là une caractéristique du<strong>Psychodesign</strong> : il est plus soucieux de répondre à une demande socia<strong>le</strong> et de sonimpérieuse nécessité économique que des frontières et des contingences desdisciplines qui favorisent son émergence.BibliographieHabermas, J., 1973, La technique et la science comme idéologie. Paris :Denoel.Heidegger, M., 1958, Essai sur la technique. In Essais et conférences. Paris :Gallimard.Roqueplo, P., 1983, Penser la technique. Paris : Seuil.Winograd, T., Flores, F., 1989, L’intelligence artificiel<strong>le</strong> en question. Paris : PUF.

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