10.07.2015 Views

Communiquer pour résister (1940-1945) - Le Musée de la ...

Communiquer pour résister (1940-1945) - Le Musée de la ...

Communiquer pour résister (1940-1945) - Le Musée de la ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

L’emprise sur <strong>la</strong> communication s’exerce,en premier lieu, via <strong>la</strong> presse (écrite, parlée,filmée), l’édition (livres et brochures), <strong>la</strong>publicité.Dans <strong>la</strong> société française avant-guerre,malgré les critiques qu’elle suscite, c’estavant tout <strong>la</strong> presse écrite (surtout les journauxquotidiens nationaux, régionaux etlocaux), parlée et filmée (actualités cinématographiques)qui informait l’opinionpublique. Dès l’été <strong>1940</strong>, c’est à cette presseautorisée par les nouveaux pouvoirs qu’estassignée <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong> marteler les informationssous contrôle. Habilement, l’État françaiset les occupants masquent leur entrepriseen maintenant une apparente abondanceet diversité <strong>de</strong> médias. À l’exception<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux grands titres <strong>de</strong>s partis <strong>de</strong> gauche(L’Humanité interdite et <strong>Le</strong> Popu<strong>la</strong>ire sabordé)et <strong>de</strong> quelques journaux <strong>de</strong> droite hostiles àl’armistice (L’Ordre et L’Époque), <strong>de</strong>s centaines<strong>de</strong> titres autorisés (quotidiens nationaux,régionaux, hebdomadaires, magazines,revues, etc.) continuent <strong>de</strong> paraître danstoutes les zones.De Paris et <strong>de</strong> Vichy, <strong>de</strong>ux radios diffusentsur l’ensemble du territoire. Si Radio Parisest entièrement aux mains <strong>de</strong> <strong>la</strong> PropagandaAbteilung, son personnel est françaiset rémunéré par l’État français. Radio diffusionnationale (Radio Vichy) est <strong>la</strong> radio officielle<strong>de</strong> l’État français. Deux chroniqueursse distinguent sur leurs on<strong>de</strong>s : Jean HéroldPaquis, commentateur militaire, et PhilippeHenriot (secrétaire d’État à l’Informationet à <strong>la</strong> Propagan<strong>de</strong> à partir <strong>de</strong> janvier 1944).Dans le même temps, <strong>de</strong> puissants systèmes<strong>de</strong> brouil<strong>la</strong>ge sont mis en p<strong>la</strong>ce <strong>pour</strong> rendreinaudible l’écoute <strong>de</strong>s radios étrangères, enpremier lieu <strong>la</strong> radio ang<strong>la</strong>ise.Enfin, <strong>de</strong>s moyens importants sont attribuésà <strong>la</strong> production d’actualités filmées diffuséesdans toutes les salles <strong>de</strong> cinéma avant <strong>la</strong> projection<strong>de</strong>s films.Avis d’exécution <strong>de</strong> LouisBerrier, <strong>pour</strong> espionnageà l’ai<strong>de</strong> d’un pigeonvoyageur, août 1941 (coll.Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny).Cette chape <strong>de</strong> plomb imposée à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionest aggravée <strong>de</strong> nombreuses autresmanières. D’abord, <strong>la</strong> mainmise sur l’espacepublic est l’indice du pouvoir absolu que lesoccupants se sont octroyé. Ainsi, dans leszones annexées ou occupées, les routes etles rues sont jalonnées <strong>de</strong> panneaux signalétiquesen <strong>la</strong>ngue étrangère, les bâtimentspublics accrochent en faça<strong>de</strong> les noms<strong>de</strong>s sièges <strong>de</strong>s nouveaux pouvoirs et <strong>de</strong>leurs administrations tel Kommandantur etarborent leurs emblèmes (le drapeau à croixgammée ou le faisceau).Dans toutes les zones, les espaces publics <strong>de</strong>svil<strong>la</strong>ges et <strong>de</strong>s villes se couvrent d’immensesp<strong>la</strong>cards obséquieux (« Faites confiance »),prétentieux (« Victoria ») ou menaçants(« Avis ») ou sont investis par <strong>de</strong>s manifestationsqui affichent <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s nouveauxmaîtres (prises d’armes, défilés, para<strong>de</strong>s,etc.).<strong>Le</strong>s administrations et services publics <strong>de</strong>l’État français sont instrumentalisés à <strong>de</strong>sfins <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>. À titre d’exemple, danstous les établissements sco<strong>la</strong>ires, <strong>la</strong> journée<strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse débute par <strong>la</strong> chanson Maréchal,nous voilà ! Des organismes officiels et obligatoiressont créés <strong>pour</strong> mettre au pas <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion (« Croire, obéir, servir ») : ce sontles Chantiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse <strong>pour</strong> les jeunestravailleurs, <strong>la</strong> Légion <strong>de</strong>s combattants<strong>pour</strong> les anciens combattants ou les corporationsprofessionnelles. Toutes les productionsintellectuelles et artistiques épuréeset censurées sont asservies à cette besogne :le cinéma, très popu<strong>la</strong>ire, en premier lieu.Toutes les manifestations publiques autoriséesy compris commerciales ou sportivessont polluées par l’omniprésence <strong>de</strong>s signes<strong>de</strong> l’ordre nouveau imposé par l’État françaiset les occupants.Trois gran<strong>de</strong>s expositions (antimaçonnique,antijuive et anticommuniste) sont crééespar <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> l’occupant allemand et<strong>de</strong> l’État français et parcourent les gran<strong>de</strong>svilles entre <strong>1940</strong> et 1944.Outre les entraves (et les risques) à circulerlibrement entre zones ou à l’intérieur<strong>de</strong> chacune d’elle, le courrier postal et leséchanges téléphoniques sont étroitementsurveillés. Par exemple, entre <strong>la</strong> zone d’occupationalleman<strong>de</strong> et <strong>la</strong> zone non-occupéene transitent que <strong>de</strong>s messages écrits sur<strong>de</strong>s cartes non mises sous enveloppe et préimpriméesimposant ainsi les thèmes <strong>de</strong> <strong>la</strong>correspondance.Enfin, <strong>de</strong>s personnalités <strong>de</strong> l’avant-guerreparticipent publiquement à cette entreprised’asservissement <strong>de</strong>s esprits, tel l’écrivainLouis-Ferdinand Céline prononçant à Parisle discours inaugural <strong>de</strong> l’Institut aux questionsjuives.De l’été <strong>1940</strong> à l’été 1944, quels que soient lesmédias, les politiques <strong>de</strong> communication<strong>de</strong> l’État français et <strong>de</strong>s occupants visent àrayer <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture du peuple français l’héritagepolitique et social <strong>de</strong> 1789 <strong>pour</strong> fon<strong>de</strong>rune nouvelle société hiérarchique et autoritaire,« européenne », fondée sur le racisme(incluant l’antisémitisme). <strong>Le</strong>s évolutionsmajeures <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre au p<strong>la</strong>n internationalet <strong>la</strong> force croissante <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance enFrance donnent un tour <strong>de</strong> plus en plus terroristeà leurs propagan<strong>de</strong>s, appe<strong>la</strong>nt et justifiant<strong>la</strong> mise à mort voire le crime <strong>de</strong> masse.À ceux qui, dès <strong>1940</strong>, refusent <strong>de</strong> considérercomme définitif l’effondrement et <strong>la</strong> miseen tutelle du pays, apparaît tout <strong>de</strong> suite <strong>la</strong>nécessité d’exprimer et <strong>de</strong> faire savoir, qu’ilexiste une autre voie que celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> capitu<strong>la</strong>tion.Ils s’emploient durant quatre ansà démasquer les mensonges et les illusionsrépandues par les propagan<strong>de</strong>s officielles.Ce sont là <strong>de</strong>s conditions indispensables<strong>pour</strong> que ceux qui refusent, les résistants, nerestent pas isolés ; <strong>pour</strong> que, au contraire, ilspuissent s’organiser, se rassembler et fortsd’appuis <strong>de</strong> plus en plus nombreux dans<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, organiser, dans l’union avecceux qui combattent à l’extérieur, l’action<strong>pour</strong> <strong>la</strong> libération du pays.Briser ce monopole <strong>de</strong> <strong>la</strong> communicationet <strong>de</strong>s communications fut donc une <strong>de</strong>stâches initiales, essentielles et permanentes<strong>de</strong>s résistants à l’intérieur et à l’extérieur dupays.Notes1. Alsaciens et Mosel<strong>la</strong>ns sont <strong>de</strong>venus Allemands etles habitants <strong>de</strong> 13 communes alpines frontalières sont<strong>de</strong>venus Italiens.2. Situation simi<strong>la</strong>ire en zone d’occupation italiennevia <strong>la</strong> commission <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong> l’armistice siégeantà Turin, mais dans une moindre mesure et surtout surun temps plus court (novembre 1942 – septembre 1943).5RÉSISTANCE 12/13


Deux soldats <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre tiennent l’affiche diffusée à Londres en août <strong>1940</strong>, inspirée par l’Appel du 18 Juin. Photographie publiéedans La France libre 18 juin <strong>1940</strong>-18 juin 1941, Londres, 1941 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)<strong>Le</strong>s appels fondateursDire son refus, le faire savoir et exposer <strong>de</strong>s raisons et <strong>de</strong>s voies possibles <strong>pour</strong> <strong>la</strong> continuation du combatpasse <strong>pour</strong> tous les résistants, d’abord à s’autoriser à penser librement et à prendre ou reprendre <strong>de</strong>mille manières <strong>la</strong> parole confisquée : refuser <strong>de</strong> croire, désobéir.Pour ceux, hors <strong>de</strong> France, <strong>la</strong> radio sera l’outil <strong>de</strong> communication essentiel <strong>pour</strong> s’adresser prioritairementaux habitants <strong>de</strong> France et <strong>de</strong> l’Empire.C’est d’Angleterre, le 18 juin <strong>1940</strong>, sur les on<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> radio ang<strong>la</strong>ise (BBC) que le général <strong>de</strong> Gaullerépond à l’appel <strong>de</strong> Pétain, radiodiffusé <strong>la</strong> veille, <strong>de</strong>mandant à l’armée française <strong>de</strong> « cesser le combat ».À l’opposé, il expose les raisons <strong>de</strong> continuer le combat aux côtés <strong>de</strong> l’allié ang<strong>la</strong>is au sein d’une arméefrançaise nouvelle.C’est par le canal <strong>de</strong>s on<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> radio ang<strong>la</strong>ise offerte par Winston Churchill que le général <strong>de</strong> Gaullepeut se faire connaître (en premier lieu en métropole et dans l’Empire), rassembler les premièresforces éparses <strong>de</strong> volontaires <strong>pour</strong> mettre sur pieds les Forces françaises libres (FFL) et engager <strong>la</strong>construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre. C’est par ce média qu’en personne, ou par l’intermédiaire <strong>de</strong> sonreprésentant, qu’il continuera <strong>de</strong> s’adresser au peuple français. Sa popu<strong>la</strong>rité radiophonique est telleque <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> ennemie tente <strong>de</strong> <strong>la</strong> moquer en l’affub<strong>la</strong>nt du sobriquet <strong>de</strong> « général micro ».En France, ceux qui refusent sont animés par <strong>la</strong> même volonté que le général <strong>de</strong> Gaulle d’exprimerles raisons <strong>de</strong> leur refus et <strong>de</strong> les faire connaître. Privés du média puissant et insaisissable qu’est <strong>la</strong>radio, ils ont recours à divers procédés <strong>de</strong> communication plus ou moins improvisés ou artisanaux.Pour certains comme les généraux Delestraint ou Cochet, le refus est exprimé par une déc<strong>la</strong>ration ouun exposé oral <strong>de</strong>vant un public choisi, notamment leurs troupes, le 17 juin <strong>1940</strong> en quittant leurcomman<strong>de</strong>ment.Pour d’autres l’écrit s’impose comme <strong>la</strong> seule alternative et prend <strong>de</strong>s formes différentes : un textemanuscrit recopié également à <strong>la</strong> main : ce sont les premiers textes <strong>de</strong> Jean <strong>Le</strong>bas à l’origine enoctobre <strong>1940</strong> du journal L’Homme Libre ; un texte reprographié avec un duplicateur : ce sont les textestracts d’Edmond Michelet ou <strong>de</strong> Charles Tillon (17 juin <strong>1940</strong>) ou le « Manifeste du syndicalisme français »<strong>de</strong> Christian Pineau (novembre <strong>1940</strong>) ; un texte reproduit en masse par <strong>de</strong>s presses typographiques : cesont le tract du Parti communiste « Peuple <strong>de</strong> France » signé Duclos-Thorez (2 e quinzaine <strong>de</strong> juillet <strong>1940</strong>),le premier numéro <strong>de</strong> Pantagruel <strong>de</strong> Raymond Deiss (octobre <strong>1940</strong>) ou le premier numéro <strong>de</strong> Résistance(décembre <strong>1940</strong>) du mouvement du Musée <strong>de</strong> l’Homme.Ces premiers appels à résister sont parfois diffusés par envoi postal mais ils sont le plus souventdistribués sous le manteau ou à <strong>la</strong> volée dans <strong>la</strong> rue. Ces premiers textes, à l’instar <strong>de</strong> l’Appel du 18Juin, sont tous à l’origine <strong>de</strong>s organisations et <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance : pouvoir d’éc<strong>la</strong>irer lesconsciences, <strong>de</strong> convaincre et d’entraîner dans l’action <strong>de</strong>s forces éparses, désorganisées, désorientées.RÉSISTANCE 12/13 6


2.1Parler à <strong>la</strong> radioLa radio est immédiatement un moyen <strong>de</strong>résister. Face à <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> contrôle par l’occupantet par l’État français <strong>de</strong>s stations <strong>de</strong>radio et <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>is hertziens en France, lesautorités britanniques réagissent. <strong>Le</strong>s émissionsradiophoniques en <strong>la</strong>ngue française à<strong>la</strong> BBC qui existaient avant <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong> <strong>la</strong>France prennent plus d’ampleur après <strong>la</strong>signature <strong>de</strong> l’armistice. <strong>Le</strong>ur durée totalepasse <strong>de</strong> 30 minutes en 1939 à 6 heures en1944. Il s’agit <strong>pour</strong> l’essentiel <strong>de</strong> programmesd’information en français reprenant lesdirectives <strong>de</strong>s autorités britanniques (ministère<strong>de</strong> l’Information puis Political WarfareExecutive, un organe dépendant du ministère<strong>de</strong>s Affaires étrangères qui pilote <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong>à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>s pays ennemis et<strong>de</strong>s territoires occupés) et les nouvelles dumon<strong>de</strong> libre (dépêches <strong>de</strong>s agences <strong>de</strong> presse,écoute <strong>de</strong>s radios étrangères).<strong>Le</strong>s émissions les plus écoutées en Francesont diffusées en début <strong>de</strong> soirée. À 20 h 15,<strong>de</strong>s speakers francophones lisent les informationsbritanniques traduites en français.À 20 h 30, commence l’émission « Ici <strong>la</strong>France » (à partir du 19 juin <strong>1940</strong>), qui <strong>de</strong>vient« <strong>Le</strong>s Français parlent aux Français » (à partirdu 6 septembre <strong>1940</strong>). De 20 h 25 à 20 h 30, <strong>la</strong>France libre peut s’exprimer à <strong>la</strong> radio dansle cadre <strong>de</strong> l’émission « Honneur et patrie » (àpartir d’août <strong>1940</strong>) : le général <strong>de</strong> Gaulle intervientà une soixantaine <strong>de</strong> reprises, mais leporte-parole officiel est Maurice Schumann.Ponctuellement, ce <strong>de</strong>rnier est remp<strong>la</strong>cé parun autre Français libre, tel Pierre-OlivierLapie, ou par un résistant <strong>de</strong> l’intérieur venuà Londres, tel Pierre Brossolette.L’équipe d’« Honneur et patrie » est totalementgaulliste, ce qui n’est pas le cas <strong>de</strong> celle<strong>de</strong>s « Français parlent aux Français », souventréservée face à <strong>la</strong> politique du général <strong>de</strong>Gaulle. Cependant, malgré <strong>de</strong>s divergences,l’objectif <strong>de</strong>s équipes reste le même, à savoir<strong>la</strong> libération <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. Ceci explique <strong>pour</strong>quoiles auditeurs français ne perçoiventpas toujours nettement ce qui distingue lesémissions francophones <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC les unes<strong>de</strong>s autres, sinon qu’« Honneur et patrie »soutient constamment le général <strong>de</strong> Gaulle.Tous les programmes diffusés par <strong>la</strong> BBCsont validés par les autorités britanniques.L’équipe d’« Honneur et patrie » bénéficied’une réelle bienveil<strong>la</strong>nce, tant qu’elle neremet pas en cause <strong>la</strong> conduite <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<strong>de</strong> Churchill et <strong>de</strong> son gouvernement.Conscient <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> radio <strong>pour</strong>faire reconnaître son autorité et sa légitimitéen France et à l’étranger, le général<strong>de</strong> Gaulle s’efforce <strong>de</strong> ne plus dépendre <strong>de</strong>smoyens <strong>de</strong> radiodiffusion mis à sa dispositionpar l’allié britannique. Dès <strong>la</strong> fin <strong>1940</strong>, ilpousse au renforcement <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance d’unposte-émetteur mis en p<strong>la</strong>ce avant-guerreau Congo. Radio Brazzaville commence àémettre en décembre. En mars 1941, le poste<strong>de</strong>vient <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre, qui peutêtre entendue dans le mon<strong>de</strong> entier à partirdu milieu <strong>de</strong> l’année 1943. Après le débarquementallié en Afrique du Nord, Radio Algerperd son rôle <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is <strong>de</strong> <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong>pétainiste <strong>pour</strong> <strong>de</strong>venir « Radio France, <strong>la</strong>radio <strong>de</strong> <strong>la</strong> France en guerre », une radiocontrôlée par les gaullistes, après quelqueschangements dans l’équipe <strong>de</strong> direction.Émettant dans toute <strong>la</strong> France, associantinformations, interventions politiques etdivertissements, Radio Alger est très écoutéepar les Français à partir <strong>de</strong> 1943.Tract« Méfiez-vous !»,ramassé le 22 mars1942, verso(coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny,fonds Phoebe)<strong>Le</strong>s autorités alleman<strong>de</strong>s et françaises sontconscientes <strong>de</strong> <strong>la</strong> menace que peuventconstituer <strong>de</strong>s radios non contrôlées et nerestent pas inactives. L’ordonnance alleman<strong>de</strong>datée du 10 mai <strong>1940</strong> stipule que« celui qui écoutera, seul ou avec d’autrespersonnes, <strong>de</strong>s émissions <strong>de</strong> TSF non alleman<strong>de</strong>sou qui procurera <strong>la</strong> possibilité d’uneaudition pareille, sera puni ». Elle précisecependant que « seront exceptés les postes<strong>de</strong> radiodiffusion non allemands dontl’administration militaire alleman<strong>de</strong> permettral’écoute par notification officielle ».Lorsqu’est <strong>la</strong>ncée <strong>la</strong> bataille d’Angleterre, lesAllemands ordonnent <strong>la</strong> confiscation <strong>de</strong>spostes dans le nord <strong>de</strong> <strong>la</strong> France où <strong>la</strong> réception<strong>de</strong>s émissions britanniques est <strong>la</strong> plusfacile. L’État français quant à lui promulgueune loi du 28 octobre <strong>1940</strong>, parue au Journalofficiel du 3 novembre, qui interdit l’écoute<strong>de</strong>s émissions radiophoniques <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC et<strong>de</strong> tout poste « à propagan<strong>de</strong> antinationale »sur <strong>la</strong> voie publique et dans les lieux ouvertsau public. <strong>Le</strong>s contrevenants encourent unepeine <strong>de</strong> 16 à 100 francs et un emprisonnement<strong>de</strong> six jours à six mois. <strong>Le</strong>s postes <strong>de</strong>radio peuvent être saisis.L’interdit suscite <strong>la</strong> curiosité puis l’envie <strong>de</strong>savoir fait le reste. La BBC affirme qu’elledit <strong>la</strong> vérité face aux radios contrôlées parl’Occupant allemand (Radio Paris) ou l’Étatfrançais (Radio nationale ou Radio Vichy),soupçonnées <strong>de</strong> mentir en permanence. Destracts sont diffusés par <strong>la</strong> Royal Air Force ; ilsinvitent <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française à <strong>la</strong> vigi-RÉSISTANCE 12/13 8


<strong>Le</strong>s auditeurs <strong>de</strong> Radio Londres,d’après les lettres adressées par<strong>de</strong>s Français à <strong>la</strong> BBC en <strong>1940</strong>Nous vous disons<strong>la</strong> vérité – les bonnescomme les mauvaisesnouvelles<strong>la</strong>nce et comptent sur <strong>la</strong> méfiance supposée<strong>de</strong>s Français vis-à-vis <strong>de</strong> <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong>alleman<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s Britanniques et les Françaislibres tentent <strong>de</strong> limiter l’influence <strong>de</strong> RadioParis (« Radio Paris ment, Radio Paris ment,Radio Paris est allemand ») comme <strong>de</strong> RadioVichy, accusée <strong>de</strong> re<strong>la</strong>yer <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> alleman<strong>de</strong>dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration.Chaque camp essaie <strong>de</strong> séduire les auditeursen mê<strong>la</strong>nt aux émissions politiques<strong>de</strong>s programmes distrayants. C’est plusfacile <strong>pour</strong> Radio Paris ou Radio Vichy quidisposent <strong>de</strong> longs temps d’antenne, maisRadio Londres joue <strong>la</strong> carte <strong>de</strong> l’humour et<strong>de</strong> <strong>la</strong> légèreté <strong>pour</strong> abor<strong>de</strong>r les sujets graves(telles les chansons <strong>de</strong> Maurice Van Moppès,diffusées en France sous <strong>la</strong> forme d’une brochureen couleurs illustrée par l’auteur). Aufur et à mesure que le conflit se prolonge etque les conditions <strong>de</strong> vie se dégra<strong>de</strong>nt enFrance, le ton <strong>de</strong>vient plus sérieux, mêmesi les auditeurs restent sensibles aux motsd’esprit et aux formules percutantes <strong>de</strong>sspeakers (notamment Jean Oberlé et PierreDac). La qualité <strong>de</strong>s émissions est d’autantplus nécessaire que <strong>de</strong>s orateurs talentueuxsévissent sur les radios <strong>de</strong> l’adversaire, telsle Dr Friedrich (« Un journaliste allemandvous parle », sur Radio Paris) ou PhilippeHenriot (sur Radio Vichy), secrétaire d’Étatà l’Information et à <strong>la</strong> Propagan<strong>de</strong> à partir<strong>de</strong> janvier 1944.Un couple <strong>de</strong> Françaisécoute <strong>la</strong> radio durantl’Occupation, sans date(coll. Musée <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)<strong>Le</strong> poste plutôt imposantest posé sur <strong>la</strong> table.Devant, un exemp<strong>la</strong>ire dujournal <strong>Le</strong> Matin.À partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin <strong>1940</strong>, les Français prennentpeu à peu l’habitu<strong>de</strong> d’écouter <strong>la</strong> radio britannique,puis Radio Brazzaville et RadioAlger à partir <strong>de</strong> 1943, ne serait-ce que <strong>pour</strong>vérifier si les informations <strong>de</strong>s radios souscontrôle sont confirmées. Ils écoutent égalementd’autres émissions en <strong>la</strong>ngue françaisesur <strong>de</strong>s radios étrangères : <strong>la</strong> chronique hebdomadaire<strong>de</strong> René Payot sur Radio Sottens(Radio suisse roman<strong>de</strong>) à partir d’octobre1941, celles <strong>de</strong> Jean-Richard Bloch sur RadioMoscou à partir <strong>de</strong> juin 1941, celles <strong>de</strong> Françaisinstallés aux États-Unis sur Voice of America(radio gouvernementale <strong>de</strong>s États-Unis)à partir <strong>de</strong> février 1942, etc.Radio Sottens a <strong>la</strong> réputation d’être <strong>la</strong> plusobjective du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> neutralité supposée dupays d’où elle émet. Radio Vatican est perçue<strong>de</strong> manière comparable. Radio Londres,Radio Brazzaville, Radio Alger, Radio Moscouou La Voix <strong>de</strong> l’Amérique sont considéréescomme <strong>de</strong>s radios engagées. En effet, ces<strong>de</strong>rnières dénoncent les mensonges <strong>de</strong> leursadversaires et appellent à <strong>la</strong> mobilisationcontre eux. L’évolution et le bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s opérationsterrestres, aériennes ou maritimessont commentés, les pil<strong>la</strong>ges et les crimesperpétrés par l’ennemi sont révélés, <strong>de</strong>s motsd’ordre sont <strong>la</strong>ncés à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionfrançaise : le ralliement <strong>de</strong> l’opinion à<strong>la</strong> cause <strong>de</strong>s Alliés et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance passepar les on<strong>de</strong>s.En réaction, les Allemands s’efforcent <strong>de</strong>brouiller les émissions <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC dès <strong>1940</strong>.Elles <strong>de</strong>viennent difficilement audibles, d’autantque les auditeurs français les écoutentle plus souvent le volume au minimum afin<strong>de</strong> ne pas se faire repérer par un voisin malveil<strong>la</strong>ntqui <strong>pour</strong>rait signaler l’acte interdit à<strong>la</strong> police. D’ailleurs chacun prend l’habitu<strong>de</strong><strong>de</strong> tourner le bouton du poste <strong>de</strong> radio en find’émission afin <strong>de</strong> rep<strong>la</strong>cer l’aiguille sur <strong>la</strong>Des lettres, visiblement ouvertes par <strong>la</strong> censurefrançaise, sont acheminées avec <strong>la</strong> complicitéd’agents compréhensifs qui parfois ajoutentun petit commentaire à l’intention <strong>de</strong>s Alliés.« Toutes mes amitiés à vous tous qui avez lecourage <strong>de</strong> lutter <strong>pour</strong> <strong>la</strong> liberté », écrit un censeursur <strong>la</strong> lettre d’un ancien combattant <strong>de</strong>Lyon, datée du 20 juillet.[…]Près <strong>de</strong> Clermont-Ferrand, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s habitantsd’un petit vil<strong>la</strong>ge du Puy-<strong>de</strong>-Dôme ontl’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> se retrouver quotidiennement<strong>pour</strong> écouter, religieusement, l’émission dusoir, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> maison d’un père réfugié avecses huit enfants. « Plusieurs jeunes hommesviennent à bicyclette <strong>de</strong>s vil<strong>la</strong>ges voisins parcequ’ils n’ont pas <strong>la</strong> radio. Personne ne parle<strong>de</strong> peur <strong>de</strong> perdre un seul mot <strong>de</strong> vos paroles.Personne ne connaît l’un l’autre parce quepresque tous sont <strong>de</strong>s réfugiés ou <strong>de</strong>s paysanset viennent séparément, mais pendant lejour, si par chance <strong>de</strong>s « habitués <strong>de</strong> <strong>la</strong> radio<strong>de</strong> 8 h 15 » se rencontrent, ils se saluent trèsaimablement. En retournant à Clermont, j’aiessayé <strong>de</strong> louer un appareil sans fil à on<strong>de</strong>scourtes, mais le marchand dit qu’il ne lui enrestait pas un seul, tout le mon<strong>de</strong> les avaitpris <strong>pour</strong> entendre <strong>la</strong> radio ang<strong>la</strong>ise… Alorsj’ai acheté une radio parce que, grâce à vous,<strong>la</strong> vie est une fois <strong>de</strong> plus retournée dans noscœurs, pleine d’espérance. » Ces comportementsindividuels permettent aussi d’é<strong>la</strong>rgirl’audience <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC. Ici, en zone libre, un restaurateurfait mine d’écouter <strong>la</strong> radio en familledans sa cuisine. Mais il monte suffisamment leson <strong>pour</strong> que chaque parole venue <strong>de</strong> Londressoit entendue <strong>de</strong>s consommateurs assis dans<strong>la</strong> salle d’à côté. Là, <strong>de</strong>s voyageurs passés parMarseille témoignent <strong>de</strong> tactique simi<strong>la</strong>ireorganisée dans <strong>de</strong>s cafés <strong>de</strong>s hôtels <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville.Extraits d’Aurélie Luneau, Radio Londres.<strong>Le</strong>s voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté (<strong>1940</strong>-1944),Perrin, 2005, pages 105-107fréquence <strong>de</strong>s stations autorisées. <strong>Le</strong> brouil<strong>la</strong>geest contourné par <strong>la</strong> multiplication <strong>de</strong>slongueurs d’on<strong>de</strong>s et <strong>la</strong> diffusion à plusieursreprises <strong>de</strong>s émissions.En février 1944, l’Occupant allemand envisage<strong>de</strong> supprimer le système d’écoute <strong>de</strong>son<strong>de</strong>s courtes sur les 10 millions <strong>de</strong> postesestimés en France. Faute <strong>de</strong> techniciens ennombre suffisant, le projet est abandonné. Enmars, il ordonne <strong>la</strong> confiscation <strong>de</strong>s postes<strong>de</strong> radio dans les régions où <strong>pour</strong>rait avoirlieu le débarquement allié. L’opération rencontreun succès très re<strong>la</strong>tif, seule une petitepartie <strong>de</strong>s postes réc<strong>la</strong>més est remise auxautorités alleman<strong>de</strong>s ou françaises et cellesciconstatent que beaucoup <strong>de</strong>s postes nesont plus en état <strong>de</strong> fonctionner. <strong>Le</strong> jour dudébarquement, toute <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion françaiseen est informée dans les heures qui suiventpar <strong>la</strong> radio ou par le bouche-à-oreille qui <strong>la</strong>re<strong>la</strong>ie très efficacement.9RÉSISTANCE 12/13


2.2Marquer et écrireson désaccordDe l’été <strong>1940</strong> jusqu’à <strong>la</strong> Libération, <strong>de</strong>s Français<strong>de</strong> plus en plus nombreux, en dépit <strong>de</strong>srisques encourus bravent les interdits, seréapproprient avec courage et inventivitél’espace public et reprennent <strong>la</strong> parole.<strong>Le</strong>s graffitis<strong>Le</strong> geste <strong>de</strong> contestation, premier, évi<strong>de</strong>ntconsiste à barbouiller, à <strong>la</strong>cérer, à déchirer lesaffiches <strong>de</strong>s nouveaux maîtres. La pratiqueest <strong>de</strong> telle ampleur que dès juillet <strong>1940</strong>, l’occupantallemand accompagne ses affichagesd’un ban<strong>de</strong>au menaçant « l’altération <strong>de</strong> <strong>la</strong>présente affiche sera considéré comme unacte <strong>de</strong> sabotage et punie <strong>de</strong>s peines les plussévères ». L’État français suit l’exemple le21 janvier 1942.La <strong>de</strong>struction partielle ou totale n’est pas<strong>la</strong> seule forme d’altération pratiquée. Fleurissentsur les affiches officielles, <strong>de</strong>s ajouts<strong>de</strong> signes qui signifient que l’entreprised’intimidation et <strong>de</strong> duperie ne prend pas.Des p<strong>la</strong>cards <strong>de</strong> l’État français sont régulièrementcouverts <strong>de</strong> croix gammées ou <strong>de</strong>smots « vendus », « traîtres », en premier lieul’affiche reproduisant le discours radiodiffusé<strong>de</strong> Pétain justifiant <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borationengagée le 24 octobre <strong>1940</strong> lors <strong>de</strong> sarencontre avec Hitler à Montoire.<strong>Le</strong> détournement <strong>de</strong>s messages autorisésn’est pas exempt d’humour : au « c » <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borationest substitué un « k » ; les portraitsreproduits <strong>de</strong>s dignitaires <strong>de</strong> l’État français,celui du « Maréchal » compris, sont affublés<strong>de</strong> moustache à <strong>la</strong> « Adolf».Il peut être aussi empreint <strong>de</strong> gravité. <strong>Le</strong>savis sinistres d’exécutions se couvrentd’inscriptions anonymes d’hommage auxpatriotes assassinés comme « mort <strong>pour</strong><strong>la</strong> France ». Parfois, <strong>de</strong>s bouquets <strong>de</strong> fleursdéposés à même le sol transforment le panneaud’affichage en une sorte <strong>de</strong> calvaire<strong>la</strong>ïque improvisé.Rapi<strong>de</strong>ment, ces inscriptions surajoutéestémoignent <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance et du développementd’une résistance organisée ou, <strong>pour</strong> lemoins, d’une sympathie <strong>de</strong>s auteurs avec <strong>la</strong>France libre et/ou avec les mouvements <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance intérieure. La campagne <strong>de</strong>s « V »(comme signe <strong>de</strong> ralliement <strong>de</strong> tous ceuxqui refusent l’ordre nazi) est exemp<strong>la</strong>ireà cet égard. Lancée sur les on<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBCen décembre <strong>1940</strong>, elle gagne toute l’Europe.En France, dans <strong>la</strong> foulée <strong>de</strong> l’émission « <strong>Le</strong>sFrançais parlent aux Français » du 22 mars1941 sur Radio Londres, les murs, les portes,les troncs d’arbres, le bitume <strong>de</strong>s chausséeset en premier lieu les panneaux d’affichageofficiels se couvrent <strong>de</strong> « V », simplesLa francisque, symbole <strong>de</strong> l’État français, esttransformée en hache du bourreau.Tract du Parti communiste c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stindénonçant l’exécution <strong>de</strong> militantscommunistes en 1941 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny).ou enserrant une croix <strong>de</strong> Lorraine ou unefaucille et un marteau. Sous tension, commel’attestent les très nombreux rapports, <strong>la</strong>police française recense plus <strong>de</strong> 500 000 <strong>de</strong>ces inscriptions, rien que <strong>pour</strong> <strong>la</strong> région parisienneen 1941.<strong>Le</strong>s papillonsDe <strong>1940</strong> à 1944, à <strong>de</strong> rares exceptions près,<strong>la</strong> Résistance ne peut pas produire d’affichesdans leur forme c<strong>la</strong>ssique tant <strong>pour</strong><strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> moyens que <strong>pour</strong> les risquesencourus par ceux qui auraient à les transporteret à les p<strong>la</strong>car<strong>de</strong>r. Pour autant, ce<strong>la</strong>ne l’empêche pas sous d’autres formes, d’exposerpubliquement sa parole, <strong>de</strong> s’afficher.Dans <strong>la</strong> masse <strong>de</strong>s productions écritesc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines (plusieurs centaines <strong>de</strong> millions<strong>de</strong> feuilles vo<strong>la</strong>ntes <strong>de</strong> tous types, <strong>de</strong>journaux, <strong>de</strong> brochures, etc.) le papillontient d’emblée <strong>la</strong> ve<strong>de</strong>tte. Du format d’unevignette, sa fabrication est rapi<strong>de</strong> et simple.Il est réalisé sur <strong>de</strong>s formats courants déjàexistants comme <strong>de</strong>s étiquettes d’écolier :majoritairement l’œuvre <strong>de</strong>s organisations<strong>de</strong> jeunesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance <strong>pour</strong> les appelsà célébrer les fêtes patriotiques ou inciter lesrequis au Service du travail obligatoire (STO)à gagner les maquis. Il est aussi dupliqué engrand nombre, sous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nches àdécouper, telles celles <strong>de</strong> l’été 1942 produitespar <strong>la</strong> section juive <strong>de</strong> <strong>la</strong> Main-d’œuvreimmigrée (MOI du PCF) alertant <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionsur <strong>la</strong> déportation <strong>de</strong>s enfants juifsinternés au camp <strong>de</strong> Drancy. Peu encombrant,le papillon est transporté, répartientre diffuseurs et apposé promptement etdiscrètement : un coup <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngue sur le versosouvent préencollé suivi d’un ap<strong>la</strong>t <strong>de</strong> mainsur n’importe quel supportPapillon autocol<strong>la</strong>nt réalisé par le service <strong>de</strong>diffusion c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine <strong>de</strong> <strong>la</strong> France Libre (coll.Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny).En un <strong>de</strong>ssin, une phrase, un signe sur fond<strong>de</strong>s trois couleurs nationales, un sigle, unesignature, il porte l’essentiel d’un messagerapi<strong>de</strong>ment lu, immédiatement compréhensibleet vite mémorisé. Enfin le papillon, fréquemment,peut jouer <strong>la</strong> fonction <strong>de</strong> «mini»tract, facile à disperser au vent par poignéedans une rue ou le long d’une route, à glisserdans le casier d’un collègue, le cabas d’uneménagère, un livre en bibliothèque, voirelesté d’un caillou au bout d’une ficelle à venirprendre sur les lignes électriques.<strong>Le</strong>s tracts<strong>Le</strong> tract politique – un texte sur supportpapier distribué à <strong>la</strong> sauvette à <strong>de</strong>s passants– est un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> communication trèsancien, très répandu et popu<strong>la</strong>ire en France(il échappait à <strong>la</strong> censure et au dépôt légal).S’appuyant sur cette tradition, les résistantsvont employer massivement cet outil <strong>pour</strong>diffuser leurs idées.<strong>Le</strong>s tracts résistants répon<strong>de</strong>nt aux mêmescaractéristiques <strong>de</strong> fabrication que lespapillons et les journaux : du fait main enquelques exemp<strong>la</strong>ires à l’imprimé typographiqueen plusieurs milliers d’exemp<strong>la</strong>ires ;recto ou recto-verso ; illustré ou non. Ilspeuvent être confectionnés en France par<strong>de</strong>s résistants ou à l’extérieur par <strong>la</strong> Francelibre (Londres ou Alger) ou <strong>de</strong>s services <strong>de</strong>sAlliés (en premier lieu britanniques). Dansce <strong>de</strong>rnier cas, ils sont parachutés au-<strong>de</strong>ssus<strong>de</strong> <strong>la</strong> France.Il en est <strong>de</strong> même <strong>pour</strong> les formats : <strong>de</strong> toutesles tailles, jusqu’à l’équivalent <strong>de</strong> l’actuel A4.Comme les papillons et les journaux, lestracts sont diffusés avec pru<strong>de</strong>nce.À l’opposé <strong>de</strong>s journaux, comme les papillons,les tracts n’ont pas <strong>de</strong> périodicité : ilsrépon<strong>de</strong>nt à un événement, à une question.Mais contrairement aux papillons avec leursRÉSISTANCE 12/13 10


Tract édité par le maquis du Limousin en 1943-1944(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)messages brefs, les tracts développent, argumententune information, une idée. Uneseule, contrairement aux journaux qui euxfourmillent <strong>de</strong> messages.Comme les papillons et les journaux ilspeuvent être le produit d’une initiativenationale et dans ce cas reproduits en <strong>de</strong>smilliers d’exemp<strong>la</strong>ires tels : l’annonce enmai 1941 par le PCF <strong>de</strong> <strong>la</strong> création du Frontnational <strong>de</strong> lutte <strong>pour</strong> l’indépendance et<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> <strong>la</strong> France ; <strong>la</strong> lettre pastorale<strong>de</strong> Mgr Saliège dénonçant les persécutionsantisémites reproduite par Libération (sud).Mais le plus souvent, les tracts sont d’initiativelocale, le fait <strong>de</strong> petits groupes. Ilsrépon<strong>de</strong>nt au plus près <strong>de</strong> l’événement enapportant les réponses aux popu<strong>la</strong>tionsconcernées. Par exemple texte <strong>de</strong> paysans <strong>de</strong>telle région dénonçant les réquisitions <strong>de</strong>sbêtes et <strong>de</strong>s récoltes ou adresse à <strong>de</strong>s ouvriers<strong>de</strong> telle branche professionnelle ou d’uneusine <strong>pour</strong> exiger par l’action respect etdignité (sa<strong>la</strong>ires, conditions <strong>de</strong> travail, etc.).Comme les papillons à <strong>la</strong> différence <strong>de</strong>s journaux(organes officiels <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s organisations<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance), ils peuvent nepas être signés. Dans <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s cas, ilsportent une signature peu conventionnelle<strong>de</strong> groupes affiliés ou non à <strong>de</strong>s mouvements<strong>de</strong> résistance (comité <strong>de</strong> ménagères <strong>de</strong> te<strong>la</strong>rrondissement <strong>de</strong> Paris, comité <strong>de</strong> paysans<strong>de</strong> tel canton, <strong>de</strong> tel département, etc.) ou àpartir <strong>de</strong> 1942, ils sont signés par plusieursgroupements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance réagissantdans l’union à un événement, à un problèmecomme : les textes du Comité d’action contre<strong>la</strong> déportation (ou CAD, organisme du CNRcoordonnant les actions contre le STO) ; lesappels et instructions <strong>de</strong>s comités locauxet départementaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération (CL<strong>Le</strong>t CDL) à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion après le débarquementen Normandie le 6 juin 1944. Durantles quatre années <strong>de</strong> guerre et d’occupation,preuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité et <strong>de</strong> <strong>la</strong> vitalité croissante<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance les tracts produits etdiffusés totalisent plusieurs dizaines millionsd’exemp<strong>la</strong>ires.Laval en drapeau nazi(coll. Jean-Louis Crémieux-Brilhac)Papillon préencollé diffusé par les services<strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> France combattanteen 1943<strong>Le</strong>s documents <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre à <strong>de</strong>stination<strong>de</strong> <strong>la</strong> FranceÀ partir <strong>de</strong> 1942, le Comité exécutif <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>a <strong>pour</strong> charge <strong>de</strong> coordonner <strong>la</strong> communicationavec <strong>la</strong> Résistance intérieure, d’obtenirles informations les plus précises possibles sur<strong>la</strong> situation en France et d’y organiser <strong>la</strong> diffusion<strong>de</strong>s productions <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre puis <strong>de</strong><strong>la</strong> France combattante, en fonction <strong>de</strong>s moyensaériens accordés par les Britanniques. <strong>Le</strong>sdocuments ainsi que les témoignages <strong>de</strong>s résistantsarrivés à Londres permettent <strong>de</strong> repérerles cibles <strong>de</strong> <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> et d’é<strong>la</strong>borer lesoutils adaptés. <strong>Le</strong> service <strong>de</strong> <strong>la</strong> diffusion c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine,dirigé par Jean-Louis Crémieux-Brilhacdu printemps 1942 à août 1944, produit unesérie <strong>de</strong> tracts et <strong>de</strong> papillons particulièrementappréciés par les organisations <strong>de</strong> résistance.L’une <strong>de</strong>s raisons en est l’utilisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> couleuret du pré-encol<strong>la</strong>ge, très difficile à réaliseren France. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’aspect technique,ce matériel est parfaitement adapté à l’action<strong>de</strong> terrain : <strong>la</strong> dénonciation <strong>de</strong> Laval alors quecelui-ci se plie <strong>de</strong> plus en plus aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s<strong>de</strong> l’Allemagne nazie, comme le rappel <strong>de</strong>s slogans<strong>de</strong> 1793 quand l’entrée dans <strong>la</strong> Résistancepeut se payer au prix <strong>de</strong> sa vie, sont totalementen phase avec les attentes <strong>de</strong>s résistants<strong>de</strong> l’Intérieur. <strong>Le</strong>s tracts menaçant les col<strong>la</strong>borateurset les dénonciateurs <strong>de</strong> châtimentsmérités permettent <strong>de</strong> répondre aux campagnes<strong>de</strong> haine et <strong>de</strong> mépris <strong>de</strong> l’Occupant et<strong>de</strong> l’État français alors que <strong>la</strong> perspective <strong>de</strong> <strong>la</strong>Libération se précise.<strong>Le</strong>s tracts disparusJ’avais vingt ans, et mon frère seize. Ce 1 er mai 1943, nous disposions d’une bonne centaine<strong>de</strong> tracts dénonçant les traîtres <strong>de</strong> Vichy et appe<strong>la</strong>nt à <strong>de</strong>s actions. Nous en avions déjàdéposé une bonne partie aux coins d’entrée <strong>de</strong>s entreprises, <strong>de</strong>s écoles, <strong>de</strong>s ateliers, lorsquenous parvint un bruit <strong>de</strong> bottes au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue où nous marchions.<strong>Le</strong>s bruits <strong>de</strong> bottes se précisent, on entend quelque chose <strong>de</strong>rrière nous, nous avons l’impressiond’être cernés. Jeter les tracts ? Impossible. Nous sommes à proximité <strong>de</strong> <strong>la</strong> gare et,vite, nous les déposons au coin <strong>de</strong> l’entrée principale. Rasant les murs, nous rentrons à <strong>la</strong>maison. Chaussures à <strong>la</strong> main, car notre seul voisin <strong>de</strong> palier est un milicien<strong>Le</strong> len<strong>de</strong>main, nous retournons à <strong>la</strong> gare : pas <strong>la</strong> moindre trace <strong>de</strong> nos tracts. Nous avonsappris quelques jours plus tard qu’un cheminot qui se rendait au travail au petit jour lesavait ramassés, tout simplement, et distribués.Témoignage <strong>de</strong> René Paquet, recueillis <strong>pour</strong> <strong>Le</strong>s inconnus <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)11RÉSISTANCE 12/13


2.3Faire un journalc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin<strong>Le</strong> premier acte <strong>de</strong> résistance est souventune parole écrite. Ce sont d’abord <strong>de</strong> simplestracts puis, à mesure que le texte <strong>de</strong>vientplus important, <strong>de</strong>s feuilles simples écritesrecto-verso puis plusieurs feuilles.<strong>Le</strong>s premiers journaux sont bien mo<strong>de</strong>stes.Ils se distinguent <strong>de</strong>s tracts notammentpar l’existence d’un titre qui s’apparente àune proc<strong>la</strong>mation ou un programme : Résistance,Libération, Vérités, Liberté, L’Homme libre,Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, Combat, etc. D’autrestitres s’appuient sur <strong>la</strong> culture transmisepar l’école républicaine : Valmy fait référenceà <strong>la</strong> bataille gagnée par les Français contreles Austro-Prussiens <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> l’instauration<strong>de</strong> <strong>la</strong> République en septembre 1792 ;Franc-tireur rappelle les volontaires qui sesont opposés aux armées alleman<strong>de</strong>s durant<strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> 1870-1871. Certains journauxd’avant-guerre sont passés dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité(L’Humanité, La Vie ouvrière, <strong>Le</strong> Popu<strong>la</strong>ire)et leur existence même est un défi <strong>la</strong>ncé àl’Occupant et à l’État français.La naissance <strong>de</strong> Valmy<strong>Le</strong> 3 février 1942, à <strong>la</strong> BBC, le journaliste Jean Oberlé interroge Paulin Bertrand (PaulSimon), fondateur <strong>de</strong> ValmyJ. Oberlé – Pourquoi avez-vous choisi ce titre ?P. Simon – C’est parce que <strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Valmy est <strong>la</strong> première <strong>de</strong> <strong>la</strong> Révolution où les Françaisaient repoussé les Prussiens. C’est <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> aussi que notre petit journal portait à côtédu titre <strong>la</strong> <strong>de</strong>vise « Un seul ennemi, l’envahisseur. »J. Oberlé – Et comment fabriquiez-vous votre journal ?P. Simon – ça n’était pas commo<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> premier numéro parut en janvier 41. Nous l’avonsimprimé avec une imprimerie d’enfant. Ce<strong>la</strong> nous prit un mois <strong>pour</strong> imprimer 50 exemp<strong>la</strong>ires.Chaque exemp<strong>la</strong>ire se composait d’une simple feuille <strong>de</strong> papier, imprimée rectoet verso.J. Oberlé – Votre imprimerie d’enfant me paraît plus digne d’admiration et plus françaiseen tout cas que l’imprimerie <strong>de</strong> L’Illustration. Vous, au moins, vous n’étiez pas aux mains<strong>de</strong> l’ennemi et votre journal était français.P. Simon – <strong>Le</strong> 2 e numéro, celui <strong>de</strong> février, fut également imprimé avec l’imprimerie d’enfant.Nous en tirâmes le double, c’est-à-dire 100 exemp<strong>la</strong>ires. <strong>Le</strong> 3 e , fut dactylographié ettiré à 150 exemp<strong>la</strong>ires. <strong>Le</strong> 4 e , dactylographié également et tiré à 300 exemp<strong>la</strong>ires. <strong>Le</strong> 5 enuméro fut polycopié. C’était un progrès. Nous pûmes en tirer 500 exemp<strong>la</strong>ires. <strong>Le</strong> numéro<strong>de</strong> juin fut tiré à 2 000 exemp<strong>la</strong>ires sur papier b<strong>la</strong>nc boucherie. <strong>Le</strong> 7 e numéro fut vraimentimprimé, et, comme il parut 14 juillet, il portait une ban<strong>de</strong> tricolore. <strong>Le</strong> numéro d’aoûtparut sur 4 pages comme celui <strong>de</strong> juillet, et fut tiré à 3 000 exemp<strong>la</strong>ires. <strong>Le</strong> numéro <strong>de</strong>septembre ne parut pas. Nous nous méfiions. On était inquiet. <strong>Le</strong>s numéros d’octobre, <strong>de</strong>novembre et <strong>de</strong> décembre, nous dûmes les détruire, nous sentions le filet se resserrer surnous.J. Oberlé – Et comment votre journal était-il répandu ?P. Simon – Nous le distribuions à nos amis. Ceux-ci le recopiaient à <strong>de</strong>s milliers d’exemp<strong>la</strong>irespar ronéo, par dactylo et ainsi <strong>la</strong> vérité circu<strong>la</strong>it <strong>de</strong> mains en mains.Extrait <strong>de</strong> Jean-Louis Crémieux-Brilhac (dir.), <strong>Le</strong>s voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> Liberté,La Documentation française, 1975, tome II, pages 44-45.<strong>Le</strong>s résistants disposent <strong>de</strong> très peu <strong>de</strong>moyens au départ. En effet, ils ne se sontpas préparés à <strong>la</strong> fabrication c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stined’un journal. Tout manque, <strong>de</strong>puis le papierjusqu’au matériel d’impression, en passantpar les outils <strong>pour</strong> composer. <strong>Le</strong>s premiersjournaux sont réalisés à <strong>la</strong> main ou à <strong>la</strong>machine à écrire puis tirés sur <strong>de</strong>s ronéosqui ne garantissent que quelques centainesd’exemp<strong>la</strong>ires lisibles. <strong>Le</strong>s mieux équipéspeuvent tirer quelques milliers d’exemp<strong>la</strong>iresd’une feuille imprimée recto-verso.<strong>Le</strong>s progrès sont rapi<strong>de</strong>s. <strong>Le</strong>s équipes <strong>de</strong>résistants se rapprochent d’imprimeursprofessionnels ou parviennent à se procurer<strong>de</strong>s machines plus performantes. <strong>Le</strong>s problèmesmatériels restent compliqués duranttoute <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> car à <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce étroite<strong>de</strong> <strong>la</strong> police s’ajoute à <strong>la</strong> pénurie généralisée.Toute acquisition <strong>de</strong> papier, d’encre, <strong>de</strong> stencils,<strong>de</strong> machine à imprimer nécessite <strong>de</strong>sprouesses et <strong>de</strong> multiples complicités. Soitun entrepreneur bienveil<strong>la</strong>nt détourne unepartie d’une comman<strong>de</strong> légale au profit <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistance, ce qui suppose <strong>la</strong> compréhensionet le silence du personnel, notammentdu comptable. Soit les résistants s’emparentillégalement <strong>de</strong> ce dont ils ont besoin en utilisant<strong>la</strong> force, parfois <strong>pour</strong> mieux camouflerle soutien apporté par ceux qui se déc<strong>la</strong>rentvictimes du vol. <strong>Le</strong>s financements arrivés<strong>de</strong>puis Londres à partir <strong>de</strong> 1942 permettentaussi d’acheter le matériel nécessaire,notamment au marché noir. À partir <strong>de</strong> <strong>la</strong>fin 1943, les organisations <strong>de</strong> résistance commencentà distribuer <strong>de</strong>s reconnaissances<strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes lorsqu’elles font <strong>de</strong>s achats, avecpromesse <strong>de</strong> règlement <strong>la</strong> Libération venue.Fabriquer c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinement un journal suppose<strong>de</strong> pouvoir disposer d’une ou <strong>de</strong> plusieursimprimeries, selon l’importance <strong>de</strong>stirages. <strong>Le</strong> recours à <strong>de</strong>s imprimeurs professionnelsexige que l’impression <strong>de</strong>s journauxse fasse en parallèle avec une activitéau grand jour. <strong>Le</strong> plus souvent, l’impressionse fait une fois l’entreprise fermée, le soirou en fin <strong>de</strong> semaine, par le patron seul ouavec <strong>la</strong> participation <strong>de</strong> quelques ouvriers.Il faut se montrer très discret ou pouvoirjustifier <strong>la</strong> <strong>pour</strong>suite du fonctionnement<strong>de</strong>s machines auprès d’un voisinage quin’est pas forcément bien intentionné. C’est<strong>pour</strong>quoi il peut être plus simple, en théorie,d’installer <strong>de</strong> toutes pièces une imprimeriec<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine. En pratique, il faut alors disposerd’un local <strong>pour</strong> accueillir le matériel etfaire preuve d’une gran<strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce afin <strong>de</strong>ne pas attirer l’attention du fait du bruit etdu va-et-vient inévitable. Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> Franceaménage un local calfeutré <strong>pour</strong> l’une <strong>de</strong> sespresses. En région parisienne, L’Humanité esten partie imprimée dans un local installé aumilieu d’un dépôt d’ordures peu fréquenté.Inéluctablement, les journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinsse perfectionnent. Ils <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s publicationsà <strong>la</strong> composition soignée, intégrantmême <strong>de</strong>s photographies. Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> Franceest une référence en ce domaine. L’équipe enPhotographie publiée dans La France libre parl’image (18 juin <strong>1940</strong>-18 juin 1941), Londres,1941 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny).L’image montre quelques-unes <strong>de</strong>s premièrespublications c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines arrivées <strong>de</strong> Franceà Londres et portée à <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong><strong>la</strong> France libre.RÉSISTANCE 12/13 12


charge <strong>de</strong> l’appareil technique, constituée <strong>de</strong>jeunes étudiants à l’origine, se forme auprèsd’imprimeurs professionnels. Elle est enmesure <strong>de</strong> faire paraître un journal d’unegran<strong>de</strong> qualité formelle, qui commence àrivaliser avec celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse légale.<strong>Le</strong>s contraintes restent très fortes. Un mêmejournal peut subitement revenir à un mo<strong>de</strong>d’impression peu é<strong>la</strong>boré <strong>pour</strong> un mêmenuméro ou d’un numéro à l’autre. La premièreexplication tient à <strong>la</strong> précarité <strong>de</strong>sfilières d’approvisionnement en matérielqui peine à répondre à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s croissantes.La secon<strong>de</strong> est qu’un même numéropeut être imprimé simultanément dansplusieurs endroits, avec du matériel différent: ici, il est composé et tiré sur une presseprofessionnelle ; là, il est tapé à <strong>la</strong> machine,voire recopié à <strong>la</strong> main, et tiré à <strong>la</strong> ronéo.L’Humanité et La Vie ouvrière c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinessont confrontées à ce genre <strong>de</strong> difficulté. Latroisième explication est l’efficacité <strong>de</strong> <strong>la</strong>surveil<strong>la</strong>nce policière. La chute d’une imprimeriepeut priver, temporairement ou définitivement,un journal <strong>de</strong> sa capacité d’impression.Au mieux, elle retar<strong>de</strong> sa parution,si le tirage peut être assuré en reconstituantune nouvelle imprimerie c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine ou enpassant un accord avec l’équipe d’un autrejournal. Au pire, le journal disparaît et ce quireste <strong>de</strong> l’équipe s’intègre à une autre encoreen mesure d’agir. En juillet 1943, Défense <strong>de</strong><strong>la</strong> France doit surmonter l’arrestation <strong>de</strong>nombreux membres du mouvement, maisle journal reparaît en septembre. En 1944,Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France et Combat mutualisentleurs moyens d’impression, ce qui permetd’assurer <strong>la</strong> diffusion <strong>de</strong>s journaux en zonenord comme en zone sud, puis <strong>de</strong> compenser<strong>la</strong> chute <strong>de</strong> plusieurs imprimeries <strong>de</strong> Défense<strong>de</strong> <strong>la</strong> France au printemps.Imprimer un journal est une première étape.Il faut ensuite le diffuser. La tâche n’est pasévi<strong>de</strong>nte quand il s’agit d’écouler quelquescentaines ou quelques milliers d’exemp<strong>la</strong>iresen tentant <strong>de</strong> passer au travers <strong>de</strong> <strong>la</strong>surveil<strong>la</strong>nce policière, elle <strong>de</strong>vient beaucoupplus compliquée quand il s’agit <strong>de</strong> dizainesou <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> journaux.C’est en partie <strong>pour</strong> cette raison que <strong>de</strong>smouvements <strong>de</strong> résistance se structurentautour <strong>de</strong> journaux dont ils reprennent lenom. En zone nord, Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France doittrouver <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> <strong>pour</strong> diffuser un journaldont le nombre d’exemp<strong>la</strong>ires tirés augmenterapi<strong>de</strong>ment. En 1943, une partie <strong>de</strong>sVolontaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> Liberté intègre le mouvementet participe dorénavant à <strong>la</strong> distribution<strong>de</strong> sa publication. Libération, Combat et <strong>Le</strong>Franc-Tireur en zone sud donnent naissanceà <strong>de</strong>s mouvements qui finissent par se rassemblerau sein <strong>de</strong>s Mouvements unis <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance et diffusent les trois titres.La distribution <strong>de</strong>s journaux présente <strong>de</strong>ssimilitu<strong>de</strong>s avec celle <strong>de</strong>s tracts, et exposeaux mêmes risques. Par défi, le n° 36 <strong>de</strong>Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France est distribué au grandjour dans le métro à Paris le 14 juillet 1943.Une action spectacu<strong>la</strong>ire n’assure cependantpas une diffusion <strong>de</strong> masse. C’est <strong>pour</strong>quoile mouvement Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France se metà fabriquer <strong>de</strong>s faux timbres afin <strong>de</strong> pouvoirexpédier ses journaux par voie postale, sansmettre en danger ni ses diffuseurs ni sescapacités financières. Libération-Nord bénéficie<strong>de</strong> l’imp<strong>la</strong>ntation du mouvement à <strong>la</strong>SNCF, aux PTT ou dans l’administration <strong>pour</strong>faire parvenir son journal à ses responsablesrégionaux. <strong>Le</strong> Parti communiste peut, quantà lui, compter sur son réseau <strong>de</strong> militantsmalgré les coups portés par l’occupant alleman<strong>de</strong>t l’État français : près <strong>de</strong> 260 numérosparaissent <strong>de</strong> juillet <strong>1940</strong> à août 1944 enzone nord, près <strong>de</strong> 200 en zone sud, avec <strong>de</strong>svariantes régionales.Et ainsi <strong>la</strong> véritécircu<strong>la</strong>it <strong>de</strong> mainsen mainsLa presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine en France se caractérisepar une gran<strong>de</strong> diversité. <strong>Le</strong>s titres, et leséquipes <strong>de</strong> résistants qui les animent, ont <strong>de</strong>spositionnements variés. Dans les mois quisuivent <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, l’incertitu<strong>de</strong>domine. L’Humanité dénonce l’État françaiset sa politique c<strong>la</strong>irement anticommuniste.Pantagruel, en octobre <strong>1940</strong>, déc<strong>la</strong>re vouloirune victoire britannique mais conclut sonpremier éditorial par : « Pantagruel n’écrirajamais rien qui puisse être dicté par <strong>la</strong> haine<strong>de</strong> l’Allemagne ou <strong>la</strong> servilité envers l’Angleterre». Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, comme Combat,montre d’abord une certaine indulgenceenvers le régime <strong>de</strong> Vichy et adopte une posture<strong>de</strong> neutralité. En juillet 1942, le journalfait encore figurer en première page : « NiAllemand, ni Russe, ni Ang<strong>la</strong>is. Ni nazisme,ni communisme. Français ». <strong>Le</strong>s ralliementsau général <strong>de</strong> Gaulle sont également progressifs.La plupart <strong>de</strong>s journaux ignorentTract « Résistez », début1943 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny). Ce tractdiffusé par les services <strong>de</strong>propagan<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Francecombattante associe lestrois organes<strong>de</strong> presse <strong>de</strong>s futursMouvements unis <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance (<strong>Le</strong> Franc-Tireur,Combat, Libération).le chef <strong>de</strong>s Français libre jusqu’en avril 1942et sa déc<strong>la</strong>ration aux mouvements. À partir<strong>de</strong> ce moment, l’homme du 18 juin <strong>1940</strong> estconstamment cité dans toute <strong>la</strong> presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinemais les journaux gar<strong>de</strong>nt leurs particu<strong>la</strong>ritéspar-<strong>de</strong>là les buts communs.La presse communiste défend <strong>la</strong> position duParti au niveau national et local, au regard<strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation internationale.<strong>Le</strong> Front national (sans lien avec le partipolitique actuel) est à l’origine d’une multitu<strong>de</strong>d’organes, souvent catégoriels (paysans,ouvriers, intellectuels, avocats, policiers,etc.), qui envisagent ce que sera l’aprèsguerre.Cette question préoccupe égalementLibération (nord) et Libération (sud). Certaineséquipes s’efforcent <strong>de</strong> prendre un peu <strong>de</strong>hauteur et <strong>de</strong> ne pas limiter leur réflexionà l’analyse factuelle. Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France etUne répression précoce et tenace<strong>Le</strong>s polices alleman<strong>de</strong> et française se préoccupentdès les <strong>de</strong>rniers mois <strong>de</strong> <strong>1940</strong> à l’écritc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin : les saisies, <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> centresd’impression, les arrestations sont relevéesavec soin dans les rapports <strong>de</strong> police. Parmi lespremières victimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> répression se trouventceux qui ont assuré les premières publicationsc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines : André Burgard (qui réalise lepremier Valmy), décapité à Cologne en 1944 ;Gaston Charpentier (qui réalise <strong>Le</strong> Gaulliste),fusillé en octobre 1942 ; Jean <strong>Le</strong>bas (qui <strong>la</strong>nceL’Homme Libre), mort en déportation ; PaulPetit (qui édite La France continue), fusillé en1944 ; Raymond Deiss (Pantagruel) décapité àCologne en 1944 ; Boris Vildé, Anatole <strong>Le</strong>vitsky,Léon Marie Nordmann (responsables du Musée<strong>de</strong> l’Homme qui <strong>la</strong>nce Résistance), fusillés en1942.La presse communiste, particulièrement traquée,perd dès 1941 <strong>de</strong>s journalistes éminents– Gabriel Péri, Lucien Sampaix – et <strong>de</strong>s responsables<strong>de</strong> l’édition c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine – Jean Cate<strong>la</strong>s,André Bréchet – les <strong>de</strong>ux premiers fusillés parles Allemands en décembre 1941, les secondscondamnés par les Sections spéciales <strong>de</strong> l’Étatfrançais, guillotinés en août 1941.Il est difficile <strong>de</strong> chiffrer le nombre <strong>de</strong> victimesparmi ceux qui ont fait vivre <strong>la</strong> presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinependant 4 ans : dactylos, <strong>de</strong> « tireurs » à<strong>la</strong> ronéo, <strong>de</strong> transporteurs, <strong>de</strong> distributeurs,etc. <strong>Le</strong>s pertes <strong>de</strong>s travailleurs <strong>de</strong> l’imprimerie(maîtres imprimeurs et ouvriers) sont mieuxconnues : sur 1 200 travailleurs du livre résistants,400 sont tués.13RÉSISTANCE 12/13


Radio France, n° 1, janvier 1943 (coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny).Installée à Lyon, Nelly Feld, membre <strong>de</strong> <strong>la</strong>Main-d’œuvre immigré (PCF) et du Frontnational, écoute toutes les radios qu’ellepeut capter. À partir <strong>de</strong> janvier 1943, elle enpublie une synthèse dans le journal RadioFrance. <strong>Le</strong> n° 1 contient à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>s citations<strong>de</strong> Radio France (Radio Alger), Radio Moscou,<strong>de</strong> Radio Londres et <strong>de</strong> Radio Maroc, maiségalement <strong>de</strong> <strong>la</strong> « radio boche ». Sous le titredu journal figure : « Ce bulletin n’est passeulement <strong>pour</strong> vous. Votre parent, votrevoisin désirent également le connaître. Debouche en bouche, faites <strong>la</strong> chaîne françaisequi rompra <strong>la</strong> conspiration du silence etbrisera les mensonges hitlériens ». <strong>Le</strong> journalmet aussi en gar<strong>de</strong> contre Radio Brazzaville,une station qui a repris le nom du postegaulliste installé en Afrique centrale <strong>de</strong>puis <strong>la</strong>fin <strong>1940</strong>, mais qui, elle, est totalement sousle contrôle <strong>de</strong>s Allemands.Face à cette masse et cette puissance croissante,l’Occupant allemand et l’État françaisrecourent à leurs forces <strong>de</strong> répression.<strong>Le</strong>s imprimeurs, les membres <strong>de</strong>s appareilstechniques <strong>de</strong>s mouvements, les distributeurssont nombreux à tomber entre lesmains <strong>de</strong> <strong>la</strong> police. Pour beaucoup, <strong>la</strong> prisonou le camp d’internement n’est qu’une étapeavant l’exécution ou <strong>la</strong> déportation. Plus subtilement,les Allemands tentent <strong>de</strong> fabriquerune fausse Humanité, sans grand succès. Enrevanche, les résistants <strong>de</strong> Lyon réussissentle 31 décembre 1943 à substituer au Nouvellisteautorisé par <strong>la</strong> censure un faux Nouvellisteau contenu totalement incontrôlé. Lasupercherie n’est découverte que tardivement,les ven<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> journaux n’ayant pascherché à dissua<strong>de</strong>r leurs clients d’acheterun quotidien au ton inhabituel.Où trouver l’information ?<strong>Le</strong>s rédacteurs <strong>de</strong> journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins sontconfrontés à une difficulté majeure : commentobtenir <strong>de</strong>s informations et comment les vérifier? Dans un premier temps, ils re<strong>la</strong>ient lesnouvelles transmises par les radios libres. Ilsutilisent aussi le contenu <strong>de</strong>s tracts et <strong>de</strong>s journaux<strong>la</strong>ncés sur <strong>la</strong> France par <strong>la</strong> Royal Air Forcedès <strong>1940</strong> (<strong>Le</strong> Courrier <strong>de</strong> l’Air) puis par l’US AirForce à partir <strong>de</strong> 1942 (L’Amérique en guerre).<strong>Le</strong>s services britanniques facilitent encore letravail <strong>de</strong>s résistants en diffusant une Revue<strong>de</strong> <strong>la</strong> presse libre. Ces différentes informationssont considérées comme fiables, même si l’ontente <strong>de</strong> les vérifier en diversifiant les sources,car l’on se méfie par principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> contrepropagan<strong>de</strong>comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong>. Cetteattitu<strong>de</strong> peut expliquer <strong>pour</strong>quoi <strong>de</strong>s informationstrès précises n’ont pas sur le momentl’impact attendu : ainsi, les appels <strong>la</strong>ncés auxjuifs <strong>de</strong> France dans <strong>la</strong> presse <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancejuive communiste, sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong>s informationsentendues sur Radio Londres et Radio Moscou,ont un effet limité, beaucoup <strong>de</strong>s victimespotentielles considérant que les massacres rapportéssont exagérés à <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>.À partir <strong>de</strong> 1942, les services d’information et<strong>de</strong> documentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre envoienten France <strong>de</strong> quoi alimenter <strong>la</strong> presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine,notamment <strong>de</strong>s photographies rendantcompte <strong>de</strong> l’évolution du conflit et <strong>de</strong> <strong>la</strong> contribution<strong>de</strong>s forces françaises qui combattent aucôté <strong>de</strong>s troupes alliées. Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> Francedu 3 septembre 1943 peut ainsi p<strong>la</strong>cer au<strong>de</strong>ssus<strong>de</strong> cinq photographies le titre : « Voici<strong>la</strong> France nouvelle », tandis que Combat peutmontrer à ses lecteurs en novembre 1943 àquoi ressemble « L’effort <strong>de</strong> guerre allié».<strong>Le</strong>s organisations <strong>de</strong> résistance qui éditent <strong>de</strong>sjournaux peuvent aussi s’appuyer sur leurspropres sources. Elles peuvent bénéficier <strong>de</strong>renseignements fournis par <strong>de</strong>s informateursau sein <strong>de</strong>s administrations <strong>de</strong> l’État français,disposer <strong>de</strong> comptes-rendus transmis par leursgroupes locaux, ou simplement reprendre cequ’un autre journal c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin a publié. Libération(sud) peut insérer <strong>de</strong>s photographiesinédites (exécution d’un jeune homme accuséd’avoir coupé <strong>de</strong>s câbles téléphoniques enmars 1943, défilé <strong>de</strong>s maquisards à Oyonnax endécembre 1943), comme Défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France(prisonniers <strong>de</strong> guerre soviétiques squelettiqueset enfants grecs affamés en septembre 1943).<strong>Le</strong>s rédacteurs citent parfois leurs sources (neserait-ce que <strong>pour</strong> montrer les liens qui existentau sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> France combattante), mais le plussouvent ils se contentent d’intégrer ce qu’ilsont entendu ou ce qu’on leur a transmis, sansmention d’origine.RÉSISTANCE 12/13 14


2.4Manifesteret protesterDès leur instal<strong>la</strong>tion en France, les occupantsallemands et italiens interdisent toutrassemblement et toute forme <strong>de</strong> manifestationsnon autorisés. Il s’agit d’éviter touteaction collective d’opposition au nom dumaintien <strong>de</strong> l’ordre. L’État français adopteune position simi<strong>la</strong>ire, mais il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> enoutre <strong>de</strong> ne pas célébrer les anniversairesà caractère patriotique considérés commerépublicain (le 14 Juillet) ou anti-allemand(le 11 novembre).Manifester, qui est une <strong>de</strong>s libertés fondamentales,<strong>de</strong>vient donc un <strong>de</strong>s premiersactes <strong>de</strong> résistance. C’est aussi une forme<strong>de</strong> contestation inscrite dans <strong>la</strong> culture politiqueet sociale <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, <strong>de</strong> l’extrêmegauche à l’extrême-droite. Pour les résistants,c’est le moyen <strong>de</strong> défier les autorités enp<strong>la</strong>ce et <strong>de</strong> mobiliser <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Encorefaut-il être en mesure <strong>de</strong> faire connaître etcirculer l’appel à se rassembler et trouver unmoment et un lieu adaptés.La première manifestation importante estcelle du 11 novembre <strong>1940</strong> à Paris. Un appelest <strong>la</strong>ncé sur Radio Londres et par les organisations<strong>de</strong> lycéens et d’étudiants qui commencentà se constituer. Plusieurs milliers<strong>de</strong> personnes, principalement <strong>de</strong>s jeunes, seretrouvent sur les Champs-Élysées et sur <strong>la</strong>p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> l’Étoile <strong>pour</strong> rendre hommage auSoldat inconnu. Près <strong>de</strong> 150 personnes sontarrêtées. Jusqu’à <strong>la</strong> Libération, <strong>de</strong>s groupes<strong>de</strong> plus en plus importants convergent versles monuments aux morts, d’abord dans lesvilles puis dans les vil<strong>la</strong>ges.<strong>Le</strong> 14 juillet ne faisant l’objet d’aucune célébrationofficielle, il <strong>de</strong>vient évi<strong>de</strong>mmentun moment fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation, car lesFrançais vivent comme une humiliationl’effacement <strong>de</strong> leur Fête nationale. Si le14 juillet <strong>1940</strong> subit le contrecoup immédiat<strong>de</strong> <strong>la</strong> défaite, en revanche, <strong>la</strong> Résistance communisteappelle à faire du 14 juillet 1941 uneprotestation patriotique au rythme <strong>de</strong> LaMarseil<strong>la</strong>ise et du Chant du départ. En 1942,<strong>la</strong> Résistance intérieure dans son ensembleet <strong>la</strong> France libre appellent à manifester <strong>pour</strong>célébrer <strong>la</strong> Fête nationale. Partout en France,<strong>la</strong> foule se rassemble dans <strong>de</strong>s lieux symboliques: à Lyon, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> statue <strong>de</strong> <strong>la</strong> République; à Toulouse, rue d’Alsace-Lorraine ; àMarseille, <strong>de</strong>vant le monument <strong>de</strong>s Mobiles<strong>de</strong> 1870 ; ailleurs, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> mairie ou le monumentaux morts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Guerre.Toutes les occasions sont bonnes <strong>pour</strong> manifester.Certaines organisations <strong>de</strong> résistancecherchent à perturber le déroulement <strong>de</strong>smanifestations officielles, comme les visites<strong>de</strong> Pétain dans les gran<strong>de</strong>s villes, malgré <strong>la</strong>Jeunes manifestants groupés autour dudrapeau tricolore à Villeneuve-<strong>la</strong>-Garenne le14 juillet 1943 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny).présence d’un service d’ordre imposant. <strong>Le</strong>scélébrations interdites sont évi<strong>de</strong>mmentprivilégiées. Outre le 14 juillet ou le 11 novembre,ce sont d’autres commémorationsà caractère patriotique, tel l’anniversaire <strong>de</strong><strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Valmy en septembre, dont oncélèbre le cent cinquantenaire en 1942 (Valmyest une victoire française face à une coalitionaustro-prussienne, <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> l’instauration<strong>de</strong> <strong>la</strong> République) ou <strong>la</strong> fête <strong>de</strong> Jeanned’Arc en mai (afin <strong>de</strong> ne pas <strong>la</strong>isser au régime<strong>de</strong> Vichy l’utilisation <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> figurenationale, intégrée par l’école <strong>de</strong> <strong>la</strong> TroisièmeRépublique dans le Panthéon républicain).<strong>Le</strong>s enterrements d’aviateurs alliés abattusen vol sont également suivis par une assistancenombreuse qui profite du respect <strong>de</strong>slois <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>pour</strong> rendre un hommageostentatoire aux adversaires <strong>de</strong> l’Allemagne.<strong>Le</strong>s manifestations liées au mouvementsocial ne disparaissent pas, malgré <strong>la</strong> pressionpermanente qui s’exerce sur <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionen général et le mon<strong>de</strong> du travail enparticulier. <strong>Le</strong> Parti communiste organisedès l’hiver <strong>1940</strong> <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> ménagères<strong>pour</strong> dénoncer les problèmes <strong>de</strong> ravitaillement.Initiées par <strong>de</strong>s militant (e) s, cesprotestations réunissent <strong>de</strong>s dizaines, maissouvent aussi <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> personnes,essentiellement <strong>de</strong>s femmes, et parfois <strong>de</strong>senfants, car elles sont en phase avec les ressentiments<strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion confrontée auxdifficultés <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie quotidienne. Des manifestations<strong>de</strong> ménagères sont organiséesjusqu’en 1944. <strong>Le</strong>s mères <strong>de</strong> famille sontégalement nombreuses dans les rassemblementsqui dénoncent <strong>la</strong> réquisition <strong>de</strong>sjeunes <strong>pour</strong> aller travailler en Allemagne àpartir <strong>de</strong> l’automne 1942. La mise en p<strong>la</strong>ce duService du travail obligatoire (STO) renforcel’opposition à <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> col<strong>la</strong>borationavec l’Allemagne. Partout en France, commeà Romans le 10 mars 1943, <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>sfemmes tentent d’empêcher les convois <strong>de</strong>partir, sans réel succès.<strong>Le</strong>s résistants issus du mouvement socia<strong>la</strong>ccor<strong>de</strong>nt une importance particulière au1 er mai. En 1942, ils obtiennent du général <strong>de</strong>Gaulle qu’il appelle à manifester le jour <strong>de</strong><strong>la</strong> Fête <strong>de</strong>s travailleurs. <strong>Le</strong>s rassemblementsdu 1 er mai prennent inévitablement unetournure patriotique. C’est le cas égalementdurant toute <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mouvements<strong>de</strong> grèves. D’ailleurs l’appel à manifester les14 juillet 1942, 11 novembre 1943, 1 er mai 1944se double d’un appel à <strong>la</strong> grève. De manièregénérale, jusqu’à <strong>la</strong> Libération, les revendicationséconomiques et sociales se mêlentétroitement à contestation <strong>de</strong>s pouvoirs enp<strong>la</strong>ce et au soutien <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance.<strong>Le</strong>s manifestations sont les occasions <strong>de</strong> testerl’efficacité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mobilisation par <strong>la</strong> Résistanceet <strong>de</strong> rendre visible son influence.Elles sont donc un enjeu <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Résistancecomme <strong>pour</strong> ses adversaires.L’objectif n’est cependant pas <strong>de</strong> donner priseà <strong>la</strong> répression et d’affaiblir inutilement lesforces qui soutiennent <strong>la</strong> Résistance. <strong>Le</strong>sformes <strong>de</strong>s manifestations adoptées visentdonc rarement <strong>la</strong> confrontation directe :simple rassemblement à un endroit donnéavec dispersion rapi<strong>de</strong>, port <strong>de</strong> signes reconnaissables(notamment les trois couleurs dudrapeau français, déclinées en vêtement ouinsignes, portés par une ou trois personnes)ou <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> rester chez soi comme le1 er janvier 1941. Certaines manifestationsvisent <strong>pour</strong>tant à établir un rapport <strong>de</strong> forceen montrant <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance àmobiliser malgré les interdictions. Y participersignifie accepter <strong>de</strong> prendre le risque <strong>de</strong>l’arrestation et, à mesure que <strong>la</strong> répressions’intensifie, ne pas savoir ce qu’il se passeraensuite.À partir <strong>de</strong> 1942, les manifestations <strong>de</strong>viennentl’occasion <strong>de</strong> montrer l’ampleurdu ralliement à <strong>la</strong> Résistance. <strong>Le</strong>s rassemblementssont plus nombreux, les soutiens sontplus démonstratifs, malgré <strong>la</strong> répression quise durcit encore. En 1943, les manifestationsparticipent à l’expression du refus du Servicedu travail obligatoire. En 1944, elles préparentl’insurrection nationale, notammentcelles du 14 juillet, particulièrement suivies.Au total, entre <strong>1940</strong> et 1944, près d’un millier<strong>de</strong> manifestations <strong>de</strong> toute nature et <strong>de</strong> touteampleur sont organisées par <strong>la</strong> Résistance.Devant vous,je proteste <strong>de</strong> toutesmes forces15RÉSISTANCE 12/13


Article « Oyonnax, nous voilà !», publié dansLibération (sud), n° 40, 1er décembre 1943(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny, fonds Presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine)<strong>Le</strong> défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax<strong>Le</strong> 25 e anniversaire <strong>de</strong> l’armistice <strong>de</strong> 1918 est l’occasion d’un appel général à manifester.Radio Londres <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion se regroupe <strong>de</strong>vant les monumentsaux morts et que les travailleurs puissent cesser leur activité à 11 heures.<strong>Le</strong>s journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins re<strong>la</strong>ient l’appel et incitent à défier l’État français qui ainterdit toute célébration. Ainsi, Libération (sud) du 11 novembre 1943 évoque enpremière page un « Onze Novembre <strong>de</strong> Combat et d’Espérance ».Malgré une répression qui s’intensifie, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion répond massivement présente.De multiples rassemblements sont organisés, non plus seulement dans lesgran<strong>de</strong>s villes mais également dans <strong>de</strong>s villes plus petites voire dans <strong>de</strong>s vil<strong>la</strong>ges.L’une <strong>de</strong>s manifestations les plus impressionnantes est celle <strong>de</strong>s maquis <strong>de</strong> l’Ain.<strong>Le</strong> 11 novembre, les maquisards qui ont bloqué les voies d’accès à Oyonnax investissent<strong>la</strong> ville. Près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cents hommes, armés et en uniforme, défilent <strong>de</strong>vant<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion qui les acc<strong>la</strong>me. Sous <strong>la</strong> conduite <strong>de</strong> leur chef, Henri Romans-Petit,ils déposent une gerbe en forme <strong>de</strong> croix <strong>de</strong> Lorraine au pied du monument auxmorts sur <strong>la</strong>quelle figure <strong>la</strong> dédicace « <strong>Le</strong>s vainqueurs <strong>de</strong> <strong>de</strong>main à ceux <strong>de</strong> 14-18 ». À l’issue <strong>de</strong> <strong>la</strong> minute <strong>de</strong> silence, les maquisards et <strong>la</strong> foule entonnent LaMarseil<strong>la</strong>ise.L’événement est photographié et filmé. <strong>Le</strong>s images parviennent à Londres etsont diffusées par <strong>la</strong> presse britannique et américaine. La presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinerend compte dès le mois <strong>de</strong> décembre du défilé d’Oyonnax. Franc-Tireur du 1 er décembretitre « A Oyonnax, le 11 novembre, les gars du maquis ont tenu <strong>la</strong> ville » etévoquent « un p<strong>la</strong>n audacieux » et « <strong>la</strong> marche triomphale » et « un 11 novembre <strong>de</strong>combat ». Libération (sud) du 1 er décembre 1943 publie en page 2 un long articletitré ironiquement « Oyonnax, nous voilà » et illustré <strong>de</strong> trois photographies <strong>de</strong>smaquisards en action.■ Sermon du cardinal Liénart,évêque <strong>de</strong> Lille, mars 1943« Me taire serait manquer à mon <strong>de</strong>voir d’évêque.Et <strong>pour</strong>tant, si je parle, je m’expose à ce que mesparoles, détournées <strong>de</strong> leur sens, soient exploitéespar <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> à <strong>de</strong>s fins étrangères. Je le savaislundi <strong>de</strong>rnier j’en ai, hé<strong>la</strong>s, <strong>la</strong> preuve aujourd’hui.Devant vous, je proteste <strong>de</strong> toutes mes forcescontre l’usage qu’on fait <strong>de</strong> mes paroles dans <strong>la</strong>presse, sachant bien que je ne <strong>pour</strong>rai faire insérerle moindre démenti. On a trahi ma pensée sur leservice obligatoire du travail et j’ai reçu, commeune injure personnelle, les leçons adressées à monclergé dont rien ne peut me séparerAussi, permettez-moi <strong>de</strong> vous exprimer <strong>la</strong> peineque j’ai éprouvée, en voyant que, sur <strong>la</strong> foi <strong>de</strong> telsarticles, mon peuple ait pu, ne fût-ce qu’un instantdouter <strong>de</strong> moi L’erreur qu’on a semée commel’ivraie dans le champ du Bon Dieu, continuera <strong>de</strong>faire ses ravages dans <strong>la</strong> foule que je n’ai pas lesmoyens <strong>de</strong> détromper. Vous du moins, qui m’enten<strong>de</strong>z,je vous charge <strong>de</strong> lui porter mon démenti leplus catégorique »Cité dans un rapport interne du Front national, printemps1943. (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny, fonds Villon).La préparation <strong>de</strong> <strong>la</strong> manifestation <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue DaguerreNotre direction <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s Femmes françaises <strong>de</strong> l’Ile-<strong>de</strong>-France déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> relever le gant en organisantune action spectacu<strong>la</strong>ire, <strong>pour</strong> ranimer le courage et prouver l’impossibilité <strong>de</strong> venir à bout <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistance par <strong>la</strong> terreur. […]<strong>Le</strong> choix se porte sur le quartier Denfert-Rochereau où se trouve, au coin <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue Daguerre, un <strong>de</strong>splus grands magasins Félix Potin <strong>de</strong> Paris.Je suis chargée <strong>de</strong> son organisation et aussi <strong>de</strong> prendre <strong>la</strong> parole au début <strong>pour</strong> donner le signal dudéclenchement du mouvement. Il n’y a pas <strong>de</strong> temps à perdre <strong>la</strong> date retenue est le samedi 1er août.En quelques jours, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Georgette Wallé, Simone Laîné, les activistes <strong>de</strong> Paris et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Seine,dont Jeanne Fannonel et Eugénie Duvernois, <strong>la</strong> directive est répercutée du haut en bas <strong>de</strong> <strong>la</strong> pyrami<strong>de</strong>jusqu’aux groupes <strong>de</strong> trois, formant <strong>la</strong> base <strong>de</strong> l’organisation.Nous nous réjouissons <strong>de</strong> l’accueil, <strong>de</strong> l’adhésion réservés à notre projet par nos adhérentes et par lessympathisantes qu’elles recrutent. Ce<strong>la</strong> tient beaucoup à <strong>la</strong> réussite <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières manifestationsdu mois <strong>de</strong> juin, qui se sont déroulées sans inci<strong>de</strong>nt. Celles qui s’étaient abstenues alors d’yparticiper veulent en être cette fois ! Bien entendu, le plus grand secret leur a été <strong>de</strong>mandé […]<strong>Le</strong>s résistantes reproduisent en quelques dizaines d’exemp<strong>la</strong>ires les modèles <strong>de</strong> tracts qu’elles ontreçus et en rédigent d’autres <strong>de</strong> leur propre cru. Elles apprennent les mots d’ordre qui seront <strong>la</strong>ncés,s’imprègnent <strong>de</strong>s consignes <strong>de</strong> discipline à respecter avant, pendant et après <strong>la</strong> manifestation : surp<strong>la</strong>ce, elles attendront le signal <strong>de</strong> leurs chefs <strong>de</strong> groupe <strong>pour</strong> agir, afin <strong>de</strong> respecter l’ordonnance <strong>de</strong>sdifférents sta<strong>de</strong>s prévus. En cas d’inci<strong>de</strong>nts, elles <strong>de</strong>vront gar<strong>de</strong>r leur sang-froid et se perdre dans <strong>la</strong>foule, re<strong>de</strong>venant <strong>de</strong> simples ménagères faisant leur marché N’est-il pas remarquable qu’un secretdétenu par tant <strong>de</strong> personnes n’ait pas été éventé ?Extrait <strong>de</strong> Lise London, La Mégère <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue Daguerre, Souvenirs <strong>de</strong> Résistance, <strong>Le</strong> Seuil, 1995, pages 158-159.<strong>Le</strong>s prises <strong>de</strong> parolesFace au contrôle par les autorités d’occupation et l’État français <strong>de</strong> l’information et <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong><strong>la</strong> diffuser, <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> parole peut être une alternative. Dans les files d’attente <strong>de</strong>vant les magasins,dans les cafés, sur le lieu <strong>de</strong> travail, le mécontentement s’exprime, mais <strong>de</strong> manière informelle et pasforcément dans le sens souhaité par les résistants. Il faut donc aller au contact <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>pour</strong>faire passer <strong>la</strong> bonne parole. <strong>Le</strong> Parti communiste qui dispose <strong>pour</strong>tant d’une presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine <strong>de</strong>plus en plus structurée accor<strong>de</strong> une p<strong>la</strong>ce importante à ce type d’action <strong>de</strong> terrain, dans <strong>la</strong> continuité<strong>de</strong> son militantisme d’avant-guerre. À l’occasion <strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> ménagères ou <strong>de</strong>s mouvements<strong>de</strong> grèves, <strong>de</strong>s militant (e) s prennent le risque d’intervenir publiquement <strong>pour</strong> exposer <strong>la</strong> position duParti et ses revendications.L’Église catholique est également présente sur le terrain social, mais sa hiérarchie a choisi <strong>de</strong> soutenir <strong>la</strong>politique <strong>de</strong> l’État français. <strong>Le</strong>s interventions publiques <strong>de</strong>s pré<strong>la</strong>ts, que les curés doivent re<strong>la</strong>yer dansles paroisses, recomman<strong>de</strong>nt l’obéissance et <strong>la</strong> patience. À l’été 1942, l’intensification <strong>de</strong>s persécutionsantisémites, qui touchent désormais <strong>de</strong>s familles entières, provoque <strong>la</strong> réaction indignée <strong>de</strong> certainsévêques qui le font savoir dans <strong>de</strong>s déc<strong>la</strong>rations solennelles lues en chaire (Pierre-Marie Théas, évêque<strong>de</strong> Montauban, précise : « À lire sans commentaire à toutes les messes dans toutes les églises et chapellesdu diocèse »). Au printemps 1943, <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce du Service du travail obligatoire, considérécomme <strong>la</strong> déportation d’une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse française, suscite également <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s réserves,exprimées à l’occasion <strong>de</strong> sermons. La propagan<strong>de</strong> officielle <strong>de</strong> l’État français essaie <strong>de</strong> minimiser<strong>la</strong> portée <strong>de</strong> ces déc<strong>la</strong>rations reprises par les radios libres et <strong>la</strong> presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine. Malgré le soutienprolongé <strong>de</strong> <strong>la</strong> hiérarchie catholique au régime <strong>de</strong> Vichy, une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s fidèles, à l’image <strong>de</strong>l’ensemble <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française, prend ses distances avec les discours officiels et est <strong>de</strong> plus enplus sensible aux interventions <strong>de</strong> plus en plus explicites <strong>de</strong> nombreux prêtres ou religieux, parfoisengagés eux-mêmes dans <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> résistance.Une minute <strong>de</strong> silenceJ’avais douze ans et j’avais entendu à Radio Londres l’appel du général <strong>de</strong> Gaulle <strong>de</strong>mandant à tousles Français refusant <strong>la</strong> capitu<strong>la</strong>tion d’observer le len<strong>de</strong>main à onze heures une minute <strong>de</strong> silence.Avec Daniel Franck, un copain, nous avions décidé <strong>de</strong> répondre à l’appel. Pour ne pas rater le ren<strong>de</strong>zvous,j’avais emporté à l’école <strong>la</strong> montre <strong>de</strong> mon père. À l’heure dite, nous voilà tous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>bout augar<strong>de</strong>-à-vous à côté <strong>de</strong> notre pupitre.Surprise, notre institutrice s’arrête <strong>de</strong> parler et nous interroge sur notre attitu<strong>de</strong>. Pas <strong>de</strong> réponse :j’étais en train <strong>de</strong> compter mentalement les soixante secon<strong>de</strong>s. Je crois qu’elle avait compris carlorsque nous nous rassîmes, elle dit en souriant : « Et maintenant, reprenons le cours. »Témoignage d’Antoine Coue, recueillis <strong>pour</strong> <strong>Le</strong>s inconnus <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)RÉSISTANCE 12/13 16


2.5Éditerc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinement<strong>Le</strong> combat par <strong>la</strong> parole suppose aussi <strong>de</strong> développerune argumentation. A mesure qu’ilsse perfectionnent, les journaux donnentplus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce à une réflexion <strong>de</strong> fond. Certainsarticles <strong>de</strong> L’Université libre, <strong>de</strong> Défense <strong>de</strong><strong>la</strong> France ou du Témoignage chrétien dépassentle seul point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’actualité <strong>pour</strong> abor<strong>de</strong>r<strong>de</strong>s questions fondamentales sur le sens<strong>de</strong> l’engagement, <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> civilisation, lerespect <strong>de</strong> l’autre. Du fait <strong>de</strong> leur format, lesjournaux sont vite inadaptés à <strong>de</strong>s sujets quinécessitent un nombre <strong>de</strong> pages important.C’est <strong>pour</strong>quoi <strong>la</strong> Résistance doit aussi publier<strong>de</strong>s brochures, voire <strong>de</strong> véritables livres.Ces publications sont d’abord <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong>contrepropagan<strong>de</strong>. Georges Politzer rédige àl’automne <strong>1940</strong> Révolution et contre-révolutionau XX e siècle. Réponse à Or et sang <strong>de</strong> M. Rosenberg,l’idéologue du Parti nazi, venu faire uneconférence à Paris. La brochure est tirée à10 000 exemp<strong>la</strong>ires. Gabriel Péri, autre intellectuelcommuniste, est l’auteur <strong>de</strong> Non, lenazisme n’est pas le socialisme, afin <strong>de</strong> contrerle prétendu programme social du Parti nazi.Louis Gronowski dénonce les dangers d’unevision raciale du mon<strong>de</strong> et <strong>la</strong> politique antijuivedans L’antisémitisme, le racisme et <strong>la</strong> questionjuive.<strong>Le</strong>s brochures prennent également <strong>la</strong> forme<strong>de</strong> cahiers produits par les rédactions <strong>de</strong>journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins. <strong>Le</strong> groupe « IV e République» édite sous une couverture trompeusePages d’histoire, les discours du général<strong>de</strong> Gaulle. <strong>Le</strong>s Cahiers du Témoignage chrétiens’interrogent <strong>de</strong> 1941 à 1944 sur le sens <strong>de</strong>l’engagement <strong>de</strong>s chrétiens dans <strong>la</strong> Résistance,tout en le justifiant. <strong>Le</strong>urs titres sontautant <strong>de</strong> mots d’ordre et <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> position: « France, prend gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> perdre tonâme » ; « Notre combat » (en opposition auMon Combat d’Hitler); « Antisémites (le rejet<strong>de</strong> l’antisémitisme nazi et <strong>de</strong> l’antijudaïsmechrétien) ; « Droit <strong>de</strong> l’homme et du chrétien» ; etc.<strong>Le</strong>s Cahiers <strong>de</strong> Libération (sud) se veulent unetribune <strong>pour</strong> questionner le présent du combatet le futur <strong>de</strong> l’après-Libération. En 1943et 1944, plusieurs auteurs produisent souspseudonymes <strong>de</strong>s textes inspirés et engagés.La Résistance se veut également un combat<strong>pour</strong> <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> création. <strong>Le</strong> contrôle <strong>de</strong> <strong>la</strong>pensée par les autorités occupantes et parl’Etat français (censure avant ou après publication,attribution sélective <strong>de</strong>s moyensd’impression et <strong>de</strong> diffusion) est insupportable<strong>pour</strong> beaucoup d’écrivains et d’artistes,C'est qu'ils étaientdu côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie■ L’abeilleEt je sais qu’il y en a qui disent : ils sontmorts <strong>pour</strong> peu <strong>de</strong> chose. Un simple renseignement(pas toujours très précis) ne va<strong>la</strong>itpas ça, ni un tract, ni même un journal (parfoisassez mal composé). A ceux-là il fautrépondre : « C’est qu’ils étaient du côté <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie. C’est qu’ils aimaient <strong>de</strong>s choses aussi insignifiantesqu’une chanson, un c<strong>la</strong>quement<strong>de</strong> doigts, un sourire. Tu peux serrer dans <strong>la</strong>main une abeille jusqu’à ce qu’elle étouffe.Elle n’étouffera pas sans t’avoir piqué. C’estpeu <strong>de</strong> chose, dis-tu. Oui, c’est peu <strong>de</strong> chose.Mais si elle ne te piquait pas, il y a longtempsqu’il n’y aurait plus d’abeilles.Juste (pseudonyme <strong>de</strong> Jean Paulhan)Extrait <strong>de</strong>s Cahiers <strong>de</strong> Libération, n° 3, février 1944(coll. Bibliothèque nationale <strong>de</strong> France)La Pensée libre,revue française,n° 1, février 1941(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/ Champigny)Cahiers du Témoignage chrétien, « Exigences<strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération », n° 16-17, mai 1944(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale /Champigny, fonds De<strong>la</strong>bre)17RÉSISTANCE 12/13


<strong>Le</strong>s publications <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre, présentées dans La France libre par l’image (18 juin <strong>1940</strong>-18 juin 1941), Londres, 1941, pages 14-15 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny).La France libre se fait connaître en suscitant ou soutenant partout où ce<strong>la</strong> est possible <strong>de</strong>s publications en sa faveur.alors que d’autres s’en accommo<strong>de</strong>nt, voireproduisent <strong>de</strong>s œuvres comp<strong>la</strong>isantes ou secompromettent totalement. <strong>Le</strong>s plus résolusà résister utilisent tour à tour les failles<strong>de</strong> <strong>la</strong> censure <strong>pour</strong> publier une littérature<strong>de</strong> contreban<strong>de</strong> (textes à double lecture,le contenu résistant est implicite) ou <strong>la</strong>contourne <strong>pour</strong> éditer une littérature c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine(textes au contenu résistant explicite).Dans le premier cas, se distinguentavec brio Max Pol Fouchet à Alger et sa revueFontaine, Pierre Seghers à Villeneuve-les-Avignonset sa revue Poésie ou Noël Arnaud etsa maison d’édition La main à <strong>la</strong> plume oùparaît dans le fascicule Poésie et Vérité 42le célèbre poème <strong>de</strong> Paul Eluard « Liberté ».Dans le <strong>de</strong>uxième cas, <strong>la</strong> plus fameuse aventureest sans conteste réalisée par Pierre <strong>de</strong><strong>Le</strong>scure et Jean Bruller avec <strong>la</strong> création <strong>de</strong>séditions <strong>de</strong> Minuit qui ne sauraient faire oublier<strong>la</strong> revue Confluence <strong>de</strong> René Tavernierou <strong>la</strong> Bibliothèque française et l’album lithographiqueVaincre réalisés par <strong>de</strong>s écrivainset <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong>s mouvements du Frontnational <strong>de</strong> lutte <strong>pour</strong> <strong>la</strong> liberté et l’indépendance<strong>de</strong> <strong>la</strong> France et <strong>de</strong>s FTP ou <strong>de</strong>s albumsnon autorisés. C’est le cas <strong>de</strong> Paul Eluard quisort son poème « Liberté » dans le recueil Poésieet Vérité 1942.<strong>Le</strong>s Editions <strong>de</strong> Minuit et <strong>Le</strong> Silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> merEn octobre <strong>1940</strong>, trois intellectuels communistes, le philosophe Georges Politzer, le physicien JacquesSolomon et l’écrivain Jacques Decour<strong>de</strong>manche (Jacques Decour), sont à l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> l’un<strong>de</strong>s premiers journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins, L’Université Libre. En février 1941, ils fon<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> première revue <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistance, La Pensée libre.Alors qu’il s’emploie avec Louis Aragon à créer un journal <strong>de</strong> résistance littéraire c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin (les futures<strong>Le</strong>ttres françaises), Jacques Decour confie <strong>la</strong> réalisation du <strong>de</strong>uxième numéro <strong>de</strong> La Pensée libre àl’écrivain Pierre <strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure, lequel s’adjoint le concours du graveur Jean Bruller (futur Vercors) à qui il<strong>de</strong>man<strong>de</strong> l’écriture d’un texte <strong>pour</strong> le troisième numéro <strong>de</strong> <strong>la</strong> revue.La fabrication du <strong>de</strong>uxième numéro est interrompue par une <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> police chez l’imprimeur et <strong>la</strong><strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s textes. <strong>Le</strong>s trois fondateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> revue seront arrêtés en février et mars 1942. Pierre<strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure et Jean Bruller échappent aux griffes <strong>de</strong> <strong>la</strong> police. <strong>Le</strong> texte écrit par Jean Bruller en cours <strong>de</strong>correction chez lui est sauvé, mais <strong>la</strong> revue dans <strong>la</strong>quelle il <strong>de</strong>vait être édité n’existe plus. Tout est àrecommencer.Pierre <strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure connaît <strong>de</strong> nombreux écrivains et Jean Bruller <strong>de</strong>s imprimeurs. Ils déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> créerune maison d’édition c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine qu’ils baptiseront Éditions <strong>de</strong> Minuit après <strong>de</strong> nombreux essais (Laconfession <strong>de</strong> Minuit, La tradition <strong>de</strong> Minuit, etc.). <strong>Le</strong> texte du premier ouvrage est prêt, c’est celui <strong>de</strong>Jean Bruller écrit <strong>pour</strong> La Pensée libre, intitulé <strong>Le</strong> silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, dédicacé au poète Saint-Pol-Roux,mort <strong>de</strong> désespoir après les violences infligées à sa famille par les Allemands.<strong>Le</strong> Silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer paraît c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinement en février 1942, imprimé à 300 exemp<strong>la</strong>ires. <strong>Le</strong>s cahiers duSilence <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mer ont été pliés et cousus par Yvonne Paraf-Desvignes, une amie <strong>de</strong> Vercors, chez elle prèsdu Trocadéro à Paris, et collés sur <strong>la</strong> table <strong>de</strong> sa cuisine par Vercors lui-même.Cette première édition et <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> voit le jour grâce au mécénat (3 500 puis 5 000 francs) du professeurRobert Debré sollicité par Jean Paulhan.En 1943, Jacques <strong>Le</strong>compte-Boinet, dirigeant du mouvement Ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance, lors <strong>de</strong> son premiervoyage à Londres apporte avec lui, <strong>pour</strong> le général <strong>de</strong> Gaulle, <strong>de</strong>s exemp<strong>la</strong>ires <strong>de</strong>s œuvres éditées parles Éditions <strong>de</strong> Minuit, dont <strong>Le</strong> Silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer. Vercors en personne les lui a remis sur le pont <strong>de</strong>s Artsà Paris. Certains titres <strong>de</strong>s Éditions <strong>de</strong> minuit parvenus par d’autres canaux en Angleterre sont rééditéspar les services d’information et <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> <strong>la</strong> France Libre puis parachutés en masse en <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><strong>la</strong> France par les avions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Royal Air Force.Comme Pierre <strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure, Yvonne Paraf-Desvignes court <strong>la</strong> France <strong>pour</strong> récupérer les manuscrits. Elletransporte les plombs sur son vélo dans Paris et assure les liaisons entre les principaux soutiens <strong>de</strong>sEditions <strong>de</strong> minuit, dont Jean Paulhan (chez Gallimard), C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Morgan (à <strong>la</strong> direction <strong>de</strong>s muséesnationaux), Paul Éluard (à <strong>la</strong> librairie Cercle d’art), Jacques Debû-Bri<strong>de</strong>l (au ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine).Au début, <strong>la</strong> diffusion est assurée par <strong>de</strong>s jeunes d’un mouvement <strong>de</strong> résistance ami. Mais les fi<strong>la</strong>tures<strong>de</strong> <strong>la</strong> police auxquelles sont soumis ces jeunes résistants mettent en danger les Éditions <strong>de</strong> minuit.Aussi, très rapi<strong>de</strong>ment, ce sont à <strong>de</strong>ux jeunes femmes « <strong>de</strong> bonne famille », sans lien avec d’autresmouvements <strong>de</strong> résistance, qu’est confiée <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong> répartir à vélo en différents points <strong>de</strong> Paris lesouvrages édités. <strong>Le</strong>s livres sont ensuite vendus sous le manteau. <strong>Le</strong> produit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente permet <strong>de</strong> payerles imprimeurs et les bénéfices (300 000 francs en 2 ans et <strong>de</strong>mi) sont distribués par le Comité national<strong>de</strong>s Ecrivains (CNE) aux familles <strong>de</strong>s imprimeurs et ouvriers typographes tombés sous les coups <strong>de</strong> <strong>la</strong>répression (internés, déportés, fusillés).<strong>Le</strong>s Editions <strong>de</strong> Minuit publient 24 autres titres jusqu’à <strong>la</strong> Libération, tirés à environ 500 exemp<strong>la</strong>ireschacun.RÉSISTANCE 12/13 18


Partie 2<strong>Communiquer</strong><strong>pour</strong> s’organiseret agirUn passage <strong>de</strong> Paris, entre <strong>de</strong>ux rangées d’immeubles, ouvert <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés sur <strong>de</strong>ux voiespassantes. Un couple se retrouve, mais le regard <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme ne convergentpas l’un vers l’autre comme on s’y attendrait <strong>pour</strong> un ren<strong>de</strong>z-vous amoureux. Chacun observeavec attention une extrémité du passage d’où <strong>pour</strong>rait surgir le danger redouté. La seule autrepersonne présente n’est plus qu’une silhouette qui s’éloigne ; il est temps <strong>de</strong> transmettre lesquelques feuilles, qui disparaissent rapi<strong>de</strong>ment au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> poche ou du sac à main. Il fautmaintenant partir et gar<strong>de</strong>r cet air paisible, malgré les risques encourus.Échange <strong>de</strong> documents entre <strong>de</strong>ux résistants, photographie <strong>de</strong> Robert Doisneau, reconstitution, automne1944-printemps <strong>1945</strong> (© Atelier Robert Doisneau, U824).19RÉSISTANCE 12/13


3.1Mainteniret multiplierles liaisonsavec l’extérieurContourner <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>nce<strong>de</strong>s frontières terrestres etmaritimesLa défaite française et les conditions d’armisticese traduisent par le renforcement<strong>de</strong>s contrôles <strong>de</strong>s frontières terrestres etmaritimes et <strong>de</strong>s liaisons avec l’extérieur.Quelques milliers <strong>de</strong> personnes profitent<strong>de</strong>s premières semaines <strong>de</strong> l’Occupation,pendant lesquels les dispositifs <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>ncene sont pas encore opérationnels, <strong>pour</strong>quitter <strong>la</strong> France et rejoindre <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne : <strong>la</strong> plupart comptent parmi lespremiers Français libres. Par <strong>la</strong> suite, beaucoupd’autres tentent leur chance, avec plusou moins <strong>de</strong> succès. La voie directe vers <strong>la</strong>Gran<strong>de</strong>-Bretagne étant <strong>la</strong> plus surveillée,le trajet le plus emprunté est le passage autravers <strong>de</strong>s Pyrénées, vers l’Espagne, d’oùon espère pouvoir rejoindre Gibraltar, territoirebritannique, puis l’Afrique du Nordfrançaise après le débarquement allié <strong>de</strong>novembre 1942. <strong>Le</strong> passage en Suisse est uneautre alternative. Des passeurs, rémunérésou non, facilitent le franchissement <strong>de</strong>sfrontières : aviateurs abattus en France, soldatsévadés, résistants <strong>pour</strong>chassés, réfractairesdu STO, juifs persécutés peuvent espérerrejoindre une terre d’asile, et quand ils lepeuvent, reprendre <strong>la</strong> lutte.<strong>Le</strong>s premières entrées c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines enFrance ont lieu par <strong>la</strong> mer. Dès <strong>1940</strong>, <strong>de</strong>sMonomoteur britannique Lysan<strong>de</strong>r, juin 1941(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny). Cet avion peut se poser etdécoller sur <strong>de</strong>s terrains rudimentaires etcourts. Son réservoir supplémentaire, sous <strong>la</strong>carlingue,lui permet d’atteindre un rayon d’action<strong>de</strong> 2000 kilomètres.agents <strong>de</strong> renseignement sont déposés surles côtes françaises par <strong>de</strong>s navires <strong>de</strong> guerrebritanniques, parfois re<strong>la</strong>yés par <strong>de</strong>s bateaux<strong>de</strong> pêche français. La plupart <strong>de</strong>s débarquementsont lieu sur les côtes bretonnes etnorman<strong>de</strong>s, mais certains ont lieu sur lescôtes méditerranéennes, à partir <strong>de</strong> Gibraltar.La voie maritime est aussi utilisée <strong>pour</strong>rejoindre <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne. Toutes cesopérations ont lieu <strong>de</strong> nuit, en s’efforçant <strong>de</strong>se passer entre les dispositifs <strong>de</strong> surveil<strong>la</strong>nceet <strong>de</strong> défense côtières, avec <strong>la</strong> complicité <strong>de</strong>srésistants locaux.<strong>Le</strong>s premières entrées c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines par voieaérienne en France se font en parachute, àpartir <strong>de</strong> février 1941. <strong>Le</strong>s volontaires <strong>pour</strong> cesmissions sont formés en Gran<strong>de</strong>-Bretagnedans <strong>de</strong>s centres spécialisés. Jean Moulin apprendainsi les rudiments du parachutisme,avant <strong>de</strong> sauter <strong>de</strong> nuit sur <strong>la</strong> Provence le2 janvier 1942 avec Raymond Fassin et HervéMonjaret, son opérateur radio. De 1941 à 1944,<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s agents britanniques et <strong>de</strong> <strong>la</strong>France libre entrent en France à <strong>la</strong> suite d’unparachutage.C’est seulement en septembre 1941 qu’unpremier avion britannique peut se poser enFrance. À partir <strong>de</strong> 1942, les liaisons <strong>de</strong> nuitpar monomoteurs Lysan<strong>de</strong>r ou par bimoteursHudson se multiplient, sans que lesproblèmes techniques soient tous résolus.De nombreux atterrissages ne peuvent avoirlieu, <strong>de</strong>s arrivées ou <strong>de</strong>s départs sont annulésou reportés, malgré les efforts <strong>de</strong>s organisationslocales <strong>de</strong> résistance <strong>pour</strong> mettreà disposition <strong>de</strong> <strong>la</strong> Royal Air Force <strong>de</strong>s terrainsrudimentaires, mais adaptés aux typesP<strong>la</strong>n <strong>de</strong> repérage<strong>de</strong> l’aérodrome <strong>de</strong>Voisins en Seineet-Marne,18 février1944 (coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny, fondsService B)d’avions concernés, signalés aux pilotes aumoyen <strong>de</strong> dispositifs lumineux et protégésd’éventuelles interventions <strong>de</strong> soldats ou<strong>de</strong> policiers. Au total, près <strong>de</strong> 200 missionsaériennes permettent <strong>de</strong> transporter plusd’un millier <strong>de</strong> personnes entre <strong>la</strong> France et<strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne (agents britanniques etfrançais libres, représentants <strong>de</strong> <strong>la</strong> Francelibre puis <strong>de</strong> <strong>la</strong> France combattante, responsables<strong>de</strong> mouvements et <strong>de</strong> réseaux, etc.).En parallèle avec l’établissement <strong>de</strong>s liaisonsavec l’extérieur se structurent <strong>de</strong>s filières<strong>pour</strong> prendre en charge les hommes, maisaussi le matériel ou <strong>la</strong> documentation. Ils’agit d’acheminer, sur <strong>de</strong>s dizaines voire <strong>de</strong>scentaines <strong>de</strong> kilomètres, les candidats au départet les documents qui doivent être expédiés,jusqu’à l’ultime point <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous. Àl’inverse, il s’agit aussi <strong>de</strong> réceptionner, sanschercher à en savoir plus que nécessaire, lesvoyageurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit et le matériel livré, et <strong>de</strong>s’assurer qu’ils arriveront là où ils doiventaller.Envoyer <strong>de</strong>s renseignementsAprès <strong>la</strong> défaite française, les Britanniquesont impérativement besoin d’avoir <strong>de</strong>s renseignementssur <strong>la</strong> situation <strong>de</strong> l’armée alleman<strong>de</strong>,ses instal<strong>la</strong>tions militaires et sesdép<strong>la</strong>cements. La France libre a les mêmespréoccupations. Des réseaux <strong>de</strong> renseignements’organisent au gré <strong>de</strong>s opportunités et<strong>de</strong>s coups portés par les services <strong>de</strong> contreespionnageallemands, notamment l’Abwehr.<strong>Le</strong>s premiers réseaux sont initiés par <strong>de</strong>s militaires,tels les agents polonais à l’origine duréseau F2, mais également par <strong>de</strong>s civils, telRÉSISTANCE 12/13 20


Carnet <strong>de</strong>s émissions et <strong>de</strong>s réceptions d’unopérateur radio, sans date (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny, fonds Dupuis-Faille)Gilbert Renault (Rémy), fondateur du réseauConfrérie Notre-Dame. Rapi<strong>de</strong>ment, ils sontrattachés aux services secrets britanniques(Intelligence Service – IS et Special OperationsExecutive – SOE) ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre (Bureaucentral <strong>de</strong> Renseignement et d’Action– BCRA). Parallèlement, les mouvements <strong>de</strong>résistance qui se développent mettent enp<strong>la</strong>ce leurs propres services <strong>de</strong> renseignement(SR <strong>de</strong> Combat, SR <strong>de</strong> l’OCM, Service B<strong>de</strong>s FTP du Front national) qui finissent parse fondre avec les réseaux mis en p<strong>la</strong>ce parles Britanniques et <strong>la</strong> France libre (Gallia,Manipule, Pha<strong>la</strong>nx, Cohors, etc.). D’autresréseaux sont pilotés par les services secretsaméricains (Office of Strategic Services — OSS)ou soviétiques (Orchestre rouge).<strong>Le</strong>s réseaux encadrés par <strong>de</strong>s militairessont les seuls à maîtriser immédiatementles techniques du renseignement (repérage,collecte, traitement, analyse, exploitation<strong>de</strong>s informations). <strong>Le</strong> manque d’expériencea <strong>de</strong>s conséquences désastreuses en matière<strong>de</strong> sécurité : les réseaux les moins structurésPoste britannique Type 3 Mark II (coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny).Poste utilisé à partir <strong>de</strong> 1942. Il permetd’émettre dans un rayon supérieur à800 km. Conditionné dans une valise, il estcomposé d’un récepteur, d’un émetteur,d’un adaptateur et d’une boîte <strong>de</strong> pièces<strong>de</strong> rechange, d’un manipu<strong>la</strong>teur <strong>pour</strong> lesémissions et d’un casque <strong>pour</strong> l’écoute.L’ensemble pèse plus <strong>de</strong> 13 kg.sont vite repérés et démantelés, faute <strong>de</strong> discrétionou <strong>de</strong> cloisonnement entre les activitéset les personnes.<strong>Le</strong> problème principal est <strong>la</strong> transmission<strong>de</strong>s informations. La radio est <strong>la</strong> solution <strong>la</strong>plus évi<strong>de</strong>nte. Encore faut-il <strong>de</strong>s postes, <strong>de</strong>sopérateurs capables <strong>de</strong> les utiliser, une centraleen mesure <strong>de</strong> récupérer les messages etsavoir comment <strong>la</strong> contacter. C’est <strong>pour</strong>quoiles services secrets envoient dès les <strong>de</strong>rniersmois <strong>de</strong> <strong>1940</strong> <strong>de</strong>s agents en France <strong>pour</strong> établirles contacts nécessaires. Ils sont rapi<strong>de</strong>mentéquipés <strong>de</strong> postes émetteurs. <strong>Le</strong>s résistantspeuvent aussi utiliser les ressourcesdisponibles en France même (radioamateurs,réparateurs radio, postes en état <strong>de</strong>marche ou en pièces détachées, etc.). <strong>Le</strong>sliaisons radios entre <strong>la</strong> France et <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne sont durablement établies à partirdu début 1941. L’amélioration du matériel àpartir <strong>de</strong> 1942 et <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> d’émissionet <strong>de</strong> codage à partir <strong>de</strong> 1943 permettent<strong>de</strong> déjouer <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> <strong>la</strong> Funkabwehrchargée du repérage goniométrique. <strong>Le</strong> taux<strong>de</strong> perte <strong>de</strong>s opérateurs radio passe <strong>de</strong> 75 %en 1941 à 25 % en 1944. Partout en France, <strong>la</strong>Résistance est en mesure <strong>de</strong> faire passer sesmessages, dont le nombre ne cesse d’augmenterjusqu’à <strong>la</strong> Libération. <strong>Le</strong>s renseignementsrassemblés contribuent à rendre lesopérations <strong>de</strong>s Alliés, dans les airs, et <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance, au sol, plus efficaces (attaquescontre les défenses côtières, les instal<strong>la</strong>tionsmilitaires ou les sites industriels sensibles àpartir <strong>de</strong> 1942, contre les bases <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncement<strong>de</strong>s V1 et V2 en 1944).Recevoir <strong>de</strong>s informationsPour coordonner son action avec celle <strong>de</strong>sforces qui combattent <strong>de</strong>puis l’extérieur, <strong>la</strong>Résistance a besoin <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s informations.L’écoute <strong>de</strong>s stations non contrôlées, enpremier lieu Radio Londres, est <strong>la</strong> métho<strong>de</strong><strong>la</strong> plus utilisée. <strong>Le</strong>s messages personnels aucontenu autant surréaliste qu’incompréhensiblesont restés dans les mémoires. <strong>Le</strong>urutilisation suppose néanmoins un contactpréa<strong>la</strong>ble entre les résistants concernés etle service émetteur <strong>de</strong> chaque message, <strong>pour</strong>se mettre d’accord sur <strong>la</strong> signification dumessage en question… Pour ne pas avoir àdépendre d’un poste <strong>de</strong> radio, <strong>la</strong> Résistanceest <strong>pour</strong>vue par les Britanniques <strong>de</strong> postesuniquement récepteurs, faciles à fabriquer etdotés <strong>de</strong> batterie assurant quelques dizainesd’heures d’autonomie.La mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> liaisons radio est doncdépendante d’équipements <strong>de</strong> transmissionqui arrivent principalement par les airs. Laréussite <strong>de</strong>s atterrissages d’avions ou <strong>de</strong>sparachutages <strong>de</strong> matériel nécessite quant àelle une coordination parfaite <strong>de</strong>s équipagesen l’air et <strong>de</strong>s résistants au sol, qui ne peutse faire que par <strong>la</strong> radio. Une logistique complexeest donc indispensable <strong>pour</strong> assurer <strong>la</strong>connexion entre les résistants <strong>de</strong> l’Intérieuret leurs soutiens à l’extérieur, au niveau nationalet régional. À partir <strong>de</strong> 1943, plusieursstructures affectées à cette mission sont successivementmises en p<strong>la</strong>ce, en accord avecles Britanniques qui fournissent les moyens<strong>de</strong> transport (Service <strong>de</strong>s opérations aérienneset maritimes, Centre d’opérations <strong>de</strong>parachutages et d’atterrissages, Section <strong>de</strong>satterrissages et <strong>de</strong>s parachutages, Bureau<strong>de</strong>s opérations aériennes) (SOAM, COPA, SAP,BOA).Quand <strong>de</strong>s armes et du matériel commencentà être parachutés en masse sur <strong>la</strong>France, il <strong>de</strong>vient nécessaire <strong>de</strong> fournir lesmo<strong>de</strong>s d’emploi. Dans chaque container, <strong>de</strong>spetits livrets, dans toutes les <strong>la</strong>ngues <strong>de</strong> l’Europeoccupée, donnent les explications indispensables.Des instructeurs entraînés enGran<strong>de</strong>-Bretagne au maniement <strong>de</strong>s armeset aux techniques <strong>de</strong> sabotage sont aussi envoyésen France <strong>pour</strong> former les groupes <strong>de</strong>résistants. Parmi eux, Jeanne Bohec, jeunebretonne spécialiste du p<strong>la</strong>sticage.21RÉSISTANCE 12/13


3.2Faciliter et sécuriserles liaisons en FranceFaire face aux difficultés<strong>de</strong> transport<strong>Le</strong>s résistants sont confrontés comme l’ensemble<strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong> désorganisation<strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> transport. <strong>Le</strong> carburant<strong>de</strong>vient rapi<strong>de</strong>ment une <strong>de</strong>nrée rare et chère,les occupants se réservant <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>partie <strong>de</strong>s stocks disponibles. <strong>Le</strong>s substitutstrouvés (notamment les gazogènes qui fonctionnentau charbon) ne compensent quetrès partiellement les insuffisances.La pénurie touche également les pièces <strong>de</strong>rechanges. Tous les moyens <strong>de</strong> transportsont concernés. <strong>Le</strong>s moteurs sont l’objetd’une attention <strong>de</strong> tous les instants, afin <strong>de</strong>retar<strong>de</strong>r le plus possible <strong>la</strong> panne inévitable.<strong>Le</strong>s pneus et les chambres à air <strong>de</strong>viennentpresque introuvables et sont réparés presqueau-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que leur usure normale rendpossible.Disposer d’une voiture ou d’un camion enétat <strong>de</strong> marche <strong>de</strong>vient compliqué et peutmême attirer l’attention car il faut en justifier<strong>la</strong> possession. Pourtant, ce type <strong>de</strong>véhicules est indispensable quand il s’agit<strong>de</strong> transporter <strong>de</strong>s chargements lourdsou encombrants (matériel d’imprimerie,armement issu d’un parachutage, etc.). <strong>Le</strong>srésistants se rapprochent donc <strong>de</strong>s professionnelsautorisés à circuler en voiture (personnels<strong>de</strong> santé, certains fonctionnaires ouresponsables <strong>de</strong> services publics, etc.) ou encamion (transporteurs, commerçants, artisans).<strong>Le</strong>s remorques <strong>de</strong>s tracteurs ou lescharrettes tirées par <strong>de</strong>s animaux sont trèssollicitées, mais le matériel <strong>de</strong> trait <strong>de</strong>s paysansest également surveillé <strong>de</strong> près, quand iln’est pas réquisitionné.La plupart <strong>de</strong>s résistants sont donc obligés<strong>de</strong> se dép<strong>la</strong>cer à pied ou à vélo, parfois sur<strong>de</strong> longues distances, ou d’utiliser les transportsen commun. <strong>Le</strong>s dép<strong>la</strong>cements à piedou à vélo ont l’avantage <strong>de</strong> <strong>la</strong> discrétionpuisque tout le mon<strong>de</strong> ou presque fait <strong>de</strong>même, mais il est suspect <strong>de</strong> circuler avecune valise trop lour<strong>de</strong> ou <strong>la</strong> remorque <strong>de</strong>son vélo trop chargée, car <strong>la</strong> police françaisetraque aussi les trafiquants du marché noir,qui voyagent rarement à vi<strong>de</strong>…En ville, les résistants peuvent emprunter lebus, le tramway ou le métro (à Paris), maisces moyens <strong>de</strong> transports ne sont pas sansinconvénients. Durant le trajet ou dans lesstations, les polices française et alleman<strong>de</strong>procè<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>s contrôles fréquents, commedans les trains et dans les gares.Ren<strong>de</strong>z-vous dans une rue <strong>de</strong> Lyon entreSuzette Erlich et un contact, reconstitutionà <strong>la</strong> Libération (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny, fonds Diamant).Faire face aux contrôlespermanentsEntre <strong>1940</strong> et 1944, les Français et les étrangerssont contrôlés en permanence. Policeet gendarmerie <strong>de</strong> l’État français, police etFeldgendarmerie <strong>de</strong> l’Occupant allemand multiplientles barrages, les interpel<strong>la</strong>tions etles vérifications d’i<strong>de</strong>ntités. La tâche doit setrouver facilitée par <strong>la</strong> loi d’octobre <strong>1940</strong> instaurantune carte d’i<strong>de</strong>ntité obligatoire danstoute <strong>la</strong> France, complétée par son marquage<strong>pour</strong> les juifs à partir <strong>de</strong> décembre 1942. Enfait, cette mesure a l’effet inverse, car ellepermet aux faussaires <strong>de</strong> talent <strong>de</strong> pouvoirfabriquer <strong>de</strong>s faux parfaits qui assurent uneprotection définitive à ceux qui peuvent enbénéficier. S’engage alors une course incessanteentre <strong>la</strong> police française qui améliore<strong>la</strong> tenue <strong>de</strong> ses fichiers et son système <strong>de</strong>vérification et les organisations <strong>de</strong> résistancequi inventent <strong>de</strong> nouvelles para<strong>de</strong>s(par exemple, ajouter d’autres documents,personnalisés, à <strong>la</strong> carte d’i<strong>de</strong>ntité) et diffusent<strong>de</strong>s conseils <strong>pour</strong> employer correctementles faux papiers fournis. <strong>Le</strong>s autorisations<strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tion (Ausweis) distribués parles Allemands connaissent les mêmes défail<strong>la</strong>ncesface à l’ingéniosité <strong>de</strong>s faussaires.<strong>Le</strong>s résistants profitent d’une technologiequi ne rend pas encore possible le croisementimmédiat <strong>de</strong>s fichiers et <strong>de</strong>s informationsdisponibles. Ces assurent à <strong>de</strong>s dizaines<strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> personnes une ou plusieursfausses i<strong>de</strong>ntités et <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> pouvoircontinuer à circuler : les frontières intérieuresentre les différentes zones peuventêtre franchies plus facilement, les limitations<strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tions, en particulier lors ducouvre-feu, peuvent être contournées.Avoir <strong>de</strong> vrais papiers en règle ou <strong>de</strong> fauxpapiers qui semblent l’être tout autant nesuffit <strong>pour</strong>tant pas. <strong>Le</strong>s résistants qui sedép<strong>la</strong>cent sans rien <strong>de</strong> compromettant sureux savent que d’autres prennent d’énormesrisques <strong>pour</strong> faire passer du matériel ou <strong>de</strong>sdocuments d’un lieu à un autre. Certainsfont preuve d’un culot qui frise l’inconscience.<strong>Le</strong>s anecdotes sur les coups audacieuxne manquent pas, mais <strong>la</strong> chance n’estpas toujours au ren<strong>de</strong>z-vous. C’est <strong>pour</strong>quoiles résistants imaginent <strong>de</strong>s dispositifs – à<strong>la</strong> fois astucieux et dangereux car les policierspeuvent s’avérer plus malins que prévu– <strong>pour</strong> camoufler leurs activités <strong>de</strong> contreban<strong>de</strong>: les doubles fonds se multiplientdans les sacs à main, les valises, les coffres ;les cadres <strong>de</strong>s vélos <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s tubesoù l’on cache discrètement <strong>de</strong>s documents ;les légumes recouvrent les tracts au fonddu panier ; le chargement <strong>de</strong> charbon ducamion, si salissant, dissua<strong>de</strong> d’aller chercherle container qui se trouve <strong>de</strong>ssous ; lejeune enfant que promène sa mère ignorequ’une arme est cachée dans son <strong>la</strong>ndau.<strong>Le</strong>s résistants qui ont <strong>de</strong>s contacts avec lesservices <strong>de</strong> renseignement disposent quantà eux <strong>de</strong> microfilms et <strong>de</strong> caches sophistiquées,mais ces gadgets technologiquesrestent d’un usage restreint.<strong>Le</strong> quotidien <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> liaison<strong>Le</strong>s agents <strong>de</strong> liaisons ont un rôle fondamentaldans <strong>la</strong> Résistance. Ils assurent <strong>la</strong> continuité<strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions entre <strong>la</strong> direction et <strong>la</strong> base <strong>de</strong>sorganisations puis entre les organisations ellesmêmes.En ce<strong>la</strong>, ils permettent <strong>la</strong> complémentaritéet <strong>la</strong> coordination <strong>de</strong>s activités, rendantl’action <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance plus efficace.Être agent <strong>de</strong> liaison suppose une bonne santécar il faut parcourir <strong>de</strong>s distances importantes, àpied, à vélo ou en transport en commun. Il fautaussi une bonne mémoire car, par mesure <strong>de</strong>sécurité, les lieux et les heures <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vouscomme les caractéristiques physiques et lespseudonymes <strong>de</strong>s contacts doivent être apprispar cœur. Souvent, l’information à transmettredoit elle aussi être mémorisée, mais l’agent <strong>de</strong>liaison peut aussi avoir sur lui <strong>de</strong>s documents àtransmettre. Il lui faut alors être capable <strong>de</strong> s’endébarrasser au plus vite en cas <strong>de</strong> problème (lepapier pelure, peu épais, s’avale re<strong>la</strong>tivementfacilement…) C’est aussi l’agent <strong>de</strong> liaison quiaccompagne les responsables convoqués lors<strong>de</strong>s réunions qui se multiplient à mesure que <strong>la</strong>Résistance gagne en ampleur et en complexité.Ces agents sont très souvent <strong>de</strong>s femmes et <strong>de</strong>sadolescent(e)s. En effet, les jeunes hommessont plus contrôlés que les jeunes femmes, caron recherche les réfractaires du STO à partir <strong>de</strong>1943 ; par ailleurs, les femmes sont considéréescomme moins dangereuses que les hommesselon les mentalités <strong>de</strong> l’époque et sont doncmoins suspectes.RÉSISTANCE 12/13 22


Faire face à l’intensification<strong>de</strong>s échangesÀ mesure que <strong>la</strong> Résistance se développe ets’organise, <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s personnes, dumatériel et <strong>de</strong>s documents s’intensifie. Cechangement d’échelle oblige à recourir àd’autres procédures. Des complicités sontrecherchées dans les administrations etles services qui gèrent les moyens <strong>de</strong> transportet <strong>de</strong> communication. <strong>Le</strong>s agents <strong>de</strong> <strong>la</strong>SNCF sont sollicités dès les premiers mois<strong>de</strong> l’Occupation afin <strong>de</strong> faciliter le passage<strong>de</strong> <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> démarcation entre les zonesNord et Sud. Jusqu’à <strong>la</strong> Libération, le personnelrou<strong>la</strong>nt prend en charge <strong>de</strong>s hommeset <strong>de</strong>s femmes <strong>pour</strong>chassés dans le cadre <strong>de</strong>filières spécialisées, assure l’acheminementen quantités <strong>de</strong> plus en plus importante <strong>de</strong>journaux et <strong>de</strong> tracts c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins. <strong>Le</strong> personnelsé<strong>de</strong>ntaire sert <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is au départet à l’arrivée, dans les gares <strong>de</strong> voyageurs etles gares <strong>de</strong> triage. <strong>Le</strong>s agents <strong>de</strong>s PTT (poste,télégraphe et téléphone) peuvent ai<strong>de</strong>r à <strong>la</strong>circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s informations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance,mais leur travail, très sensible, esttrès surveillé. C’est <strong>pour</strong>quoi le mouvementDéfense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France choisit d’imprimer <strong>de</strong>faux timbres postaux afin <strong>de</strong> pouvoir diffuserà moindre frais son journal c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin,en comptant sur <strong>la</strong> complicité <strong>de</strong>s postierschargés du tri et <strong>de</strong> <strong>la</strong> distribution. Des boîtesà lettres parallèles sont mises en p<strong>la</strong>ce : ellesne reçoivent pas le courrier adressé par voiepostale, mais sont approvisionnées et relevéespar <strong>de</strong>s résistants. Si certaines sont <strong>de</strong>vraies boîtes, d’autres sont en réalité <strong>de</strong>spersonnes qui acceptent, malgré le danger,<strong>de</strong> servir d’intermédiaires aux échanges <strong>de</strong>lettres et <strong>de</strong> documents, sans poser <strong>de</strong> questions.À Paris, à <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération, <strong>la</strong> Résistancepeut compter sur le personnel <strong>de</strong> <strong>la</strong>Société <strong>de</strong>s transports en commun <strong>de</strong> <strong>la</strong>région parisienne (STCRP) et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Compagniedu chemin <strong>de</strong> fer métropolitain <strong>de</strong> Paris(CMP). <strong>Le</strong> réseau téléphonique du métropermet aux résistants parisiens <strong>de</strong> communiquerentre eux sans passer par le réseauordinaire sous contrôle allemand.■ Voulez-vous voyager dans <strong>de</strong> bonnesconditions ?, Office du Tourisme français,1943 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)Cette brochure propose en réalité sous untitre anodin le Manuel du faussaire 1943 contenant<strong>de</strong>s recommandations aux jeunesréfractaires du Service du travail obligatoire(le départ contraint en Allemagne estdésigné comme une déportation).« Pour utiliser le matériel qui accompagnecette notice, il est indispensable <strong>de</strong> suivre à<strong>la</strong> lettre les instructions contenues dans lepetit « Manuel du Faussaire 1943 ».<strong>Le</strong>s Français désireux <strong>de</strong> se soustraire aucontrôle policier et à <strong>la</strong> déportation <strong>de</strong>vrontlire attentivement les textes très stricts quisont énoncés dans ce Manuel. À cette condition,ils <strong>pour</strong>ront faire un usage heureuxet efficace <strong>de</strong>s pièces d’i<strong>de</strong>ntité que le CAD[Comité d’action contre <strong>la</strong> déportation] metà leur disposition. »Fausse carted’i<strong>de</strong>ntité prêteà remplir, datéedu 27 février1943 (coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny)<strong>Le</strong> ren<strong>de</strong>z-vous « ambu<strong>la</strong>nt »C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Bour<strong>de</strong>t, un <strong>de</strong>s dirigeants du mouvement Combat, évoque ses ren<strong>de</strong>z-vous c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins à Lyon.Peu à peu, par surcroît <strong>de</strong> sécurité, nous commençâmes à utiliser <strong>pour</strong> nos ren<strong>de</strong>z-vous<strong>de</strong> travail les rencontres « ambu<strong>la</strong>ntes ». On se donnait ren<strong>de</strong>z-vous à l’extérieur, dans unerue, sur un certain trottoir et à peu près à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> tel ou tel numéro, ou sur un quaidu Rhône ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> Saône. Il fal<strong>la</strong>it être très précis <strong>pour</strong> ne pas manquer l’interlocuteur, cequi ne <strong>la</strong>issait pas <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s problèmes à certains camara<strong>de</strong>s incurablement inexacts,comme moi. J’arrivais tout <strong>de</strong> même à m’obliger à une précision re<strong>la</strong>tive, et surtout inventais(je crois) une métho<strong>de</strong> qui me paraissait encore plus sûre et avait l’avantage capital<strong>de</strong> me donner une légère <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> horaire : nous nous fixions, non pas un emp<strong>la</strong>cementprécis, mais un parcours, par exemple entre le 25 et le 55 du cours La Fayette. L’un prenaitle parcours dans un sens, l’autre en sens contraire, et ce<strong>la</strong> permettait <strong>de</strong> ne pas stationneravec l’air d’attendre quelqu’un. Fatalement, au bout d’un quart d’heure <strong>de</strong> marche aumaximum, on finissait par se rencontrer.Extrait <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Bour<strong>de</strong>t, L’aventure incertaine. De <strong>la</strong> Résistance à <strong>la</strong> Restauration, Editions du Félin, 1998, page 124.23RÉSISTANCE 12/13


3.3Formerles résistantset informer<strong>la</strong> RésistanceLa Résistance est le fait <strong>de</strong> civils non préparésà livrer <strong>de</strong>s combats dans une guerre totale(elle se mène sur les fronts politiques etmilitaires mais aussi économiques et culturels)et dans <strong>de</strong>s formes inédites (<strong>de</strong> petitsgroupes cloisonnés entre eux agissant dansune c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité totale) face à <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong>répression omniprésentes et pratiquant <strong>la</strong>terreur. Au sein <strong>de</strong> chaque mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong>résistance ou entre eux, à tous les échelons,<strong>la</strong> transmission d’informations est stratégique: elle est à <strong>la</strong> base <strong>de</strong> leur pensée ou<strong>de</strong> leurs actions. Évi<strong>de</strong>mment, <strong>la</strong> collecte <strong>de</strong>renseignements (politiques, militaires, économiqueset sociaux) g<strong>la</strong>nés en tous lieux, etleur transmission sont indispensables auxorganisations <strong>de</strong> résistance <strong>pour</strong> connaîtreSerment <strong>de</strong>s membres<strong>de</strong>s maquis <strong>de</strong><strong>la</strong> résistance unie1 – Tout homme qui sollicite son admissiondans les maquis <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistanceunie est non seulement un réfractaire<strong>de</strong> <strong>la</strong> réquisition alleman<strong>de</strong>, mais unFranc-tireur volontaire et un auxiliaire<strong>de</strong>s Forces françaises combattante, commandéespar le général <strong>de</strong> Gaulle et leComité national français.[…]5 – Il respectera <strong>la</strong> propriété privée et<strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s citoyens français, alliés ouneutres, non seulement parce que l’existence<strong>de</strong>s maquis dépend <strong>de</strong> leur bonneentente avec <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, mais parceque les hommes du maquis sont l’élitedu pays et qu’ils doivent donner à tousl’exemple et <strong>la</strong> preuve que <strong>la</strong> bravoure etl’honnêteté vont <strong>de</strong> pair chez les vraisFrançais.[…]7 – Naturellement, aucune distinction<strong>de</strong> confession religieuse ou d’opinionpolitique n’est faite en ce qui concernel’adhésion <strong>de</strong>s candidats : catholiques,protestants, musulmans, juifs ou athées,royalistes, radicaux, socialistes ou communistes: tous les Français qui veulentse battre contre l’ennemi commun sontles bienvenus parmi nous.C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Rochat, <strong>Le</strong>s compagnons <strong>de</strong> l’espoir, éd. Comitédépartemental <strong>de</strong> Saône-et-Loire <strong>de</strong> l’ANACR, 1987,p. 57.et combattre l’ennemi, mais <strong>la</strong> possession et<strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion d’autres informations, <strong>de</strong> naturesdifférentes, sont aussi indispensablesà tous les résistants à l’Intérieur <strong>de</strong> chaquemouvement et entre mouvements à partir<strong>de</strong> 1942 avec l’objectif <strong>de</strong> se connaître et <strong>de</strong> sereconnaître <strong>pour</strong> s’unir.Ce qu’il faut savoir sur <strong>la</strong> Défense passive, 1939(coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny,fonds Nordmann)Sous cette couverture se cache en réalité unebrochure d’information et <strong>de</strong> formation sur lestechniques <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte armée et du sabotage,<strong>de</strong>stinée aux Francs-tireurs et partisans.Former<strong>Le</strong>s résistants doivent en permanence seprotéger <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> répression <strong>pour</strong> agir.Aussi très tôt sont édités <strong>de</strong>s manuels <strong>de</strong> sécuritédonnant <strong>de</strong>s instructions <strong>pour</strong> établir<strong>de</strong> faux papiers (cartes d’i<strong>de</strong>ntité, cartesd’alimentation, certificats), <strong>pour</strong> organiser<strong>de</strong>s abris sûrs (p<strong>la</strong>nques <strong>pour</strong> les hommes,caches <strong>pour</strong> le matériel), <strong>pour</strong> déjouer lesmétho<strong>de</strong>s policières (consignes <strong>pour</strong> éviterles fi<strong>la</strong>tures, sur l’attitu<strong>de</strong> à avoir lors <strong>de</strong>s interrogatoires,sur les précautions à prendrelors d’arrestations <strong>de</strong> membres du groupe),etc.De même l’inexpérience <strong>de</strong> l’immense majorité<strong>de</strong>s résistants aux différentes formes <strong>de</strong>luttes c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines (à l’exception <strong>de</strong>s réfugiésantifascistes et antinazis) aggravée <strong>pour</strong>nombre d’entre eux par leur ignorance <strong>de</strong>pratiques militantes expliquent <strong>la</strong> productionet <strong>la</strong> diffusion à l’intérieur <strong>de</strong> chaquemouvement <strong>de</strong> fascicules <strong>de</strong> formation auxtechniques <strong>de</strong> l’imprimerie artisanale ou ducodage <strong>de</strong> messages, à <strong>la</strong> fabrication d’explosifs,au maniement <strong>de</strong>s armes, aux tactiques<strong>de</strong> guéril<strong>la</strong> en ville ou à <strong>la</strong> campagne, etc.InformerDe nombreuses publications (non <strong>de</strong>stinéesà être diffusées à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion) <strong>de</strong> toutesformes transmettent également aux combattants<strong>de</strong>s arguments <strong>pour</strong> l’action (parexemple <strong>de</strong>s analyses et <strong>de</strong>s informationssur les évolutions <strong>de</strong>s fronts <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre encours) ou <strong>de</strong>s bi<strong>la</strong>ns d’action (en premier lieusur le nombre et les résultats <strong>de</strong>s sabotagesopérés par l’organisation). Ces échanges sousformes <strong>de</strong> notes, <strong>de</strong> cahiers ou <strong>de</strong> communiquésentretiennent le moral et <strong>la</strong> cohésion<strong>de</strong>s combattants (isolés par nécessité).Ces publications leur fournissent aussi lesmatériaux <strong>de</strong> base <strong>pour</strong> <strong>la</strong> confection <strong>de</strong>spapillons, <strong>de</strong>s tracts, <strong>de</strong>s journaux <strong>de</strong>stinésà <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Ils exposent <strong>de</strong>s expériences(positives ou négatives) profitables à tous.Enfin, ils jouent un rôle irremp<strong>la</strong>çable dans<strong>la</strong> coordination <strong>de</strong>s réflexions et <strong>de</strong>s actions<strong>de</strong>s groupes ou <strong>de</strong>s mouvements notam-RÉSISTANCE 12/13 24


<strong>Communiquer</strong> dans l’internementPour l’immense majorité <strong>de</strong>s résistants arrêtés et internésdans les prisons et les camps d’internement(sous contrôle <strong>de</strong>s occupants allemands et italiensou <strong>de</strong> l’État français) en métropole, en Corse et enAfrique du nord, <strong>la</strong> privation <strong>de</strong> liberté n’entameen rien leur engagement en résistance. Aussi,dans <strong>de</strong>s conditions encore plus difficiles (sousalimentation,mauvais traitements, etc.) chaquefois que ce<strong>la</strong> est possible – les évolutions du cours<strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre modifient régulièrement les conditionsd’internement et le sort réservé aux résistants détenus– ils continuent <strong>de</strong> résister.Dans ces lieux, isolés et dans <strong>la</strong> main <strong>de</strong> l’ennemi,résister signifie conserver sa dignité et refuser <strong>de</strong> sesoumettre, conserver le moral et rester optimiste,avec l’espoir <strong>de</strong> reprendre sa p<strong>la</strong>ce dans le combat.Cette attitu<strong>de</strong> emprunte les mêmes voies, lesmêmes expressions et les mêmes formes d’action.Passé le choc <strong>de</strong> l’arrivée dans l’univers carcéral, ilscherchent à trouver d’autres résistants, à se lier solidairementà eux (une évi<strong>de</strong>nce <strong>pour</strong> conserver le moral),à communiquer (une nécessité <strong>pour</strong> s’organiseret agir). À cette fin, ils emploient tous les moyensà leur disposition : coups portés sur <strong>la</strong> tuyauterie,paroles répercutées par les canalisations, brefssignes ou mots échangés sur une coursive, dans unpréau, au réfectoire, etc. Cependant, plus encore qu’àl’extérieur, <strong>pour</strong> <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> sécurité, ils doiventtaire tout ce qui <strong>pour</strong>rait être utilisé par <strong>la</strong> policecontre eux ou les camara<strong>de</strong>s qui continuent <strong>la</strong> lutteà l’extérieur (<strong>de</strong>s mouchards truffent les prisons etles camps d’internement).Comme à l’extérieur, les résistants internés se regroupentet s’organisent, ils s’expriment, ils communiquent<strong>pour</strong> agir, ils s’informent, se formentet s’éduquent. Comme à l’extérieur, presque <strong>de</strong>manière spontanée, ils saisissent <strong>la</strong> moindre occasion<strong>pour</strong> transmettre une parole <strong>de</strong> refus, personnelle,essentiellement sous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> graffitis. <strong>Le</strong>smurs et les portes <strong>de</strong>s différents lieux <strong>de</strong> détentionen conservent encore aujourd’hui les traces commeles casemates du fort <strong>de</strong> Romainville, près <strong>de</strong> Paris.Ces inscriptions sont l’expression symbolique <strong>de</strong> <strong>la</strong>liberté <strong>de</strong> penser, <strong>la</strong> négation <strong>de</strong> l’oppression subie,un défi à l’oppresseur. Par ces messages, les résistants,incertains sur leur sort, à <strong>la</strong> manière d’un testament,prodiguent aux camara<strong>de</strong>s qui connaîtrontà leur tour <strong>la</strong> prison réconfort et encouragement(ce que le photographe Brassaï saisit « Sur les murs<strong>de</strong> Fresnes » à <strong>la</strong> Libération). S’adressant à ceux quivivront dans <strong>la</strong> liberté retrouvée, ils transmettentune leçon <strong>de</strong> vie : ce que signifie si fortement l’inscription<strong>de</strong> Guy Môquet, tracée au crayon sur unep<strong>la</strong>nche <strong>de</strong> <strong>la</strong> baraque <strong>de</strong>s condamnés, peu avant sonexécution le 22 octobre 1941 : « Vous qui restez soyezdignes <strong>de</strong> nous les 27 qui vont mourir ».À <strong>la</strong> forteresse Bossuet, en Algérie, le 31 octobre1941, tous les détenus se rassemblent dans <strong>la</strong> couret s’immobilisent au gar<strong>de</strong> à vous en hommage aux48 otages fusillés à Châteaubriant, Nantes et Parisle 22 octobre. Malgré l’enfermement, les détenusont appris les exécutions, ont eu connaissance <strong>de</strong>sconsignes du PCF c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin et <strong>de</strong> celles du général<strong>de</strong> Gaulle, diffusées par <strong>la</strong> BBC. Dans tous les lieux <strong>de</strong>détention, les informations parviennent <strong>de</strong> l’extérieurpar <strong>de</strong> nombreux canaux : familles, avocats,personnels pénitentiaires, prêtres, voire par poste<strong>de</strong> radio c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin comme au camp <strong>de</strong> Choisel àChâteaubriant (le poste est introduit dans le campen pièces détachées). <strong>Le</strong>s informations (les bonnescomme les mauvaises) sont analysées puis colportées<strong>de</strong> mille manières. Aux Baumettes à Marseille,à Châlons-sur-Marne, à <strong>la</strong> Roquette à Paris, au camp<strong>de</strong> Saint-Sulpice-<strong>la</strong>-Pointe, les détenus fabriquent à<strong>la</strong> main <strong>de</strong> petits journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins à l’image <strong>de</strong>ceux qu’ils éditaient et diffusaient avant leur arrestation.Cette activité est souvent complétée par l’organisation<strong>de</strong> cours, <strong>de</strong> conférences, <strong>de</strong> séances <strong>de</strong> lectureressemb<strong>la</strong>nt à <strong>de</strong> véritables universités popu<strong>la</strong>iresc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines comme aux camps d’internement <strong>de</strong>Rouillé, <strong>de</strong> Voves et <strong>de</strong> Saint-Sulpice-<strong>la</strong>-Pointe oudans les prisons <strong>de</strong> Rennes, <strong>de</strong> Villeneuve-sur-Lot et<strong>de</strong> La Santé à Paris. Là naissent <strong>de</strong>s revues littéraireset scientifiques, <strong>de</strong>s œuvres artistiques comme lescréations p<strong>la</strong>stiques <strong>de</strong> France Hamelin, Boris Taslitzkyou Roger Payen, conservées et exposées, <strong>de</strong>puis,dans <strong>de</strong>s musées.Certaines <strong>de</strong> ces productions intellectuelles sortentc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinement et participent aux combats <strong>pour</strong>suivisà l’extérieur comme <strong>la</strong> contribution <strong>de</strong> JeanZay <strong>pour</strong> une réforme <strong>de</strong> l’enseignement à <strong>la</strong> Libération,produite à <strong>la</strong> prison <strong>de</strong> Riom et intégrée auxCahiers <strong>de</strong> l’OCM ; les 33 sonnets composés au secret <strong>de</strong>Jean Cassou et publiés par les éditions <strong>de</strong> Minuit ;les cartes illustrées <strong>de</strong> France Hamelin et ses camara<strong>de</strong>sréalisées au camp <strong>de</strong>s Tourelles à Paris et venduessous le manteau au profit <strong>de</strong>s Francs-tireurs etpartisans ; les <strong>de</strong>rnières lettres <strong>de</strong>s fusillés publiéespar <strong>la</strong> presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine ou lues au micro <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC.Ces formes <strong>de</strong> résistance entretiennent <strong>la</strong> combativitéet préparent chaque fois que les conditionssont réunies l’organisation d’évasion <strong>de</strong> résistantsdécidés à reprendre le combat comme à <strong>la</strong> centraled’Eysses à Villeneuve-sur-Lot le 19 février 1944.La Patriote enchaînée, 1 er janvier 1944 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)Journal c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin, « édité par les femmes patriotes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Roquette », prison <strong>pour</strong> femmes à Paris.Sous le titre, figure une proc<strong>la</strong>mation inspirée par celle <strong>de</strong> Mirabeau en juin 1789 : « Nous sommes icipar <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s baïonnettes, nous en sortirons par <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> notre peuple ».25RÉSISTANCE 12/13


De quoi parlons-nous ?Arrêtée le 22 mai 1942, en même temps quetreize autres membres du réseau « 31 GeorgesFrance », dont ses parents, Marie-Jo Chombart<strong>de</strong> Lauwe est internée à Rennes, à Angerspuis à Paris, prison <strong>de</strong> La Santé, 2 e divisionpunitive. <strong>Le</strong> 18 juillet, elle découvre <strong>la</strong> cellule40.Vers 2 heures, contact avec les nouveaux.Un carreau est cassé, un anneau <strong>de</strong> <strong>la</strong>chaîne du tabouret est ouvert (travail duprécé<strong>de</strong>nt !), on peut donc libérer le tabouret,le traîner sous <strong>la</strong> fenêtre, et êtreainsi, en montant <strong>de</strong>ssus, à bonne hauteur<strong>pour</strong> parler.On m’indique « le téléphone » : les WC,qui – <strong>de</strong> simples trous – communiquenttous au même égout qui répercute lessons. On peut, par ce moyen, toucherhuit ou dix cellules […]De quoi parlons-nous ? De <strong>la</strong> guerreavant tout. Chaque soir, nous avons uncommuniqué : <strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s logeantau début <strong>de</strong> <strong>la</strong> division, en haut, arriventà entendre une TSF que les gardiensfrançais d’une aile <strong>de</strong> droits communsmettent très forts <strong>pour</strong> nous.Presque tous les jours, <strong>de</strong> nouveaux arrêtésapportent <strong>de</strong>s nouvelles du <strong>de</strong>hors.Nous nous accrochons à ces nouvelles :certains ne peuvent être sauvés <strong>de</strong> l’exécutionque par un débarquement.Malheureusement, beaucoup <strong>de</strong> « bobards» circulent, par exemple : lesAnglo-Américains ont débarqué sur noscôtes… et nous passons <strong>de</strong> l’inquiétu<strong>de</strong> àl’espoir fou, puis retombons avec le démentidans <strong>la</strong> monotonie <strong>de</strong>s jours.Par « téléphone », on entend <strong>de</strong>s conversationsles plus diverses ; <strong>de</strong> grands sermentsentre un homme et une femmequi ne se sont jamais vus, <strong>la</strong> résolutiond’un problème <strong>de</strong> géométrie que Pierrette,petite élève <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, a posé àun <strong>de</strong> ses camara<strong>de</strong>s, une conversationphilosophique entre un catholique et uncommuniste sur les preuves <strong>de</strong> l’immortalité<strong>de</strong> l’âme (tous les <strong>de</strong>ux attendaientl’exécution), <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>gues sur les surveil<strong>la</strong>ntes,les gardiens, ou sur notre misèremême. L’esprit français aime toujours àrire, même et surtout ici.Extrait <strong>de</strong> Marie-Jo Chombat <strong>de</strong> Lauwe, Toute unevie <strong>de</strong> résistance,Graphein/FNDIRP, 1998, pages 35-36.ment dans <strong>la</strong> préparation <strong>de</strong>s réunions c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines(toujours risquées mais obligatoiresà certains moments) telle celle réunissantles représentants <strong>de</strong> toutes les forces <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance intérieure le 27 mai 1943 autour<strong>de</strong> Jean Moulin rue Dufour à Paris et fondantle Conseil national <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance.Éduquer<strong>Le</strong>s résistants qui mènent cette guerre d’untype particulier restent <strong>de</strong>s civils, parfois enarmes, et <strong>de</strong>s citoyens. Au nom <strong>de</strong> valeurs politiques,morales ou spirituelles, ils refusentnon seulement l’oppression <strong>de</strong> l’occupationet <strong>de</strong> <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration mais rêvent aussi d’uneliberté nouvelle.Aussi, en plus <strong>de</strong>s appels fondateurs, ilsrédigent et diffusent aux nouveaux combattants<strong>de</strong>s documents internes qui leurexpliquent les bases morales <strong>de</strong> leur engagementà l’exemple du co<strong>de</strong> d’honneur <strong>de</strong>sFrancs-tireurs et partisans. <strong>Le</strong>s organisations<strong>de</strong> résistance produisent aussi <strong>de</strong>sdocuments <strong>de</strong> réflexion sur le sens <strong>de</strong> leurcombat et leur vision <strong>de</strong> l’avenir après <strong>la</strong> victoire(dont ils sont certains). Ils échangentleurs réflexions et leurs projets. À ce titrel’é<strong>la</strong>boration du programme du Conseil national<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance (CNR) est exemp<strong>la</strong>ire.L’é<strong>la</strong>boration du programme est lente etcollective. Dans l’impossibilité <strong>de</strong> se réunir,les membres du CNR mettent sur pied unsystème <strong>de</strong> navette (via <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> liaison)assurant <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion entre eux <strong>de</strong>stextes lus, relus amendés et corrigés par chacund’eux. Cette é<strong>la</strong>boration démocratiqueexemp<strong>la</strong>ire explique l’adoption à l’unanimité<strong>de</strong> toutes les organisations <strong>de</strong> résistancedu programme en mars 1944. Son contenuest immédiatement et <strong>la</strong>rgement popu<strong>la</strong>risépar <strong>de</strong>s tracts, les journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinset <strong>de</strong>s brochures, comme celle éditée par le« Allo, allo… Ici radio canard ! », dans<strong>Le</strong> Canard interné, journal c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin<strong>de</strong> détenus du camp d’internement<strong>de</strong> Saint-Sulpice-<strong>la</strong>-Pointe (Tarn),1 er janvier 1944 (col. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny).L’illustrateur se moque <strong>de</strong>s moyens<strong>de</strong> fortune dont disposent les détenus<strong>pour</strong> communiquer entre eux (<strong>de</strong> raresécrits et surtout le bouche-à-oreille),en encadrant le titre <strong>de</strong> <strong>la</strong> rubriqueavec un micro (débranché) et un écran(<strong>de</strong> cinéma ou <strong>de</strong> télévision).mouvement Libération Sud et intitulée <strong>Le</strong>sjours heureux.Dans d’autres conditions, mais <strong>pour</strong> lesmêmes raisons, <strong>la</strong> France libre édite <strong>pour</strong> sessoldats (à l’origine en majorité <strong>de</strong>s civils) <strong>de</strong>nombreux outils d’information, <strong>de</strong> formationet d’éducation.Cahiers <strong>de</strong> Libération (sud), n° 1,septembre 1943 (coll. Jean-Louis Crémieux-Brilhac). Dans ce premier numéro est publié<strong>pour</strong> <strong>la</strong> première fois en France <strong>Le</strong> Chant <strong>de</strong>sPartisans, sous le titre <strong>Le</strong>s Partisans (Chant <strong>de</strong><strong>la</strong> Libération).RÉSISTANCE 12/13 26


Partie 3<strong>Communiquer</strong><strong>pour</strong> se libérer23 août 1944. Paris s’est soulevé et s’est couvert <strong>de</strong> barrica<strong>de</strong>s. La popu<strong>la</strong>tion a apporté son soutienaux résistants insurgés contre les Allemands qui refluent vers l’Est mais refusent d’abandonnertrop facilement <strong>la</strong> ville qu’ils occupent <strong>de</strong>puis quatre ans. Répondant à l’appel <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance, <strong>de</strong>s barrages <strong>de</strong> fortune sont édifiés <strong>pour</strong> contrarier <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> l’ennemi.Des hommes sans uniforme, munis d’un simple brassard, se muent en soldats sans armes, ouavec si peu [ou presque sans armes]. Un moment <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tive quiétu<strong>de</strong> permet <strong>de</strong> lire <strong>la</strong> pressec<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine enfin diffusée au grand jour. <strong>Le</strong>s nouvelles sont bonnes. Paris va <strong>de</strong> nouveau êtrelibre.<strong>Le</strong>cture <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière édition du journal sur une barrica<strong>de</strong>, photographie <strong>de</strong> Robert Doisneau,22 août 1944 (© Atelier Robert Doisneau, V367).27RÉSISTANCE 12/13


4.1Faire vivrele Conseil national<strong>de</strong> <strong>la</strong> RésistanceÀ mesure que se rapproche l’échéance <strong>de</strong><strong>la</strong> Libération, <strong>la</strong> Résistance s’interrogesur l’avenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> France une fois sa libertéretrouvée. Mais, les événements nationauxet internationaux lui imposent aussi <strong>de</strong>répondre <strong>de</strong> manière urgente aux problèmes<strong>de</strong> l’heure.L’ampleur et <strong>la</strong> violence <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong>réquisitions <strong>de</strong> <strong>la</strong> main-d’œuvre <strong>pour</strong> letravail en Allemagne, le caractère <strong>de</strong> plusen plus terroriste <strong>de</strong> <strong>la</strong> répression contre <strong>la</strong>Résistance et les popu<strong>la</strong>tions jugées commecomplices l’exigent. Dans le même temps, <strong>la</strong>publication <strong>de</strong>s projets d’administration parles alliés anglo-saxons <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libérée(AMGOT), <strong>la</strong>isse craindre une remise encause <strong>de</strong> l’indépendance nationale. L’insurrectionet <strong>la</strong> libération <strong>de</strong> <strong>la</strong> Corse indiquentaussi <strong>pour</strong> toute <strong>la</strong> Résistance <strong>la</strong> voie àsuivre : mobiliser <strong>de</strong> plus en plus <strong>la</strong>rgement<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion et développer <strong>la</strong> lutte armée.Face à ces situations doivent être aussiexposés aux Français <strong>de</strong>s projets politiques<strong>pour</strong> l’après-guerre. C’est ce à quoi répon<strong>de</strong>nten juillet 1943, le projet <strong>de</strong> « Programmecommun à <strong>la</strong> Résistance française » proposépar le Parti socialiste ou celui <strong>de</strong> « Charte économiqueet sociale d’Émile Laffon (envoyéen mission par le CFLN).Alors que le renforcement <strong>de</strong> l’union <strong>de</strong> toute<strong>la</strong> Résistance est vitale, se fait jour le risqued’une séparation, voire d’une opposition, ausein même <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance entre d’un côté<strong>de</strong>s partisans <strong>de</strong> l’action immédiate, et <strong>de</strong>l’autre ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> préparation politique <strong>de</strong>l’après-libération. <strong>Le</strong> CNR se doit <strong>de</strong> résoudre,<strong>de</strong> toute urgence, ce dilemme : d’une part,développer <strong>la</strong> lutte immédiate sous toutesses formes, en s’appuyant sur une participationeffective <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion ; d’autre part,présenter les objectifs politiques et sociaux<strong>Le</strong> Bureau du Conseil national <strong>de</strong> <strong>la</strong> RésistancePour donner au CNR un rôle efficace tout en évitant <strong>la</strong> réunion plénière à quinze et sesrisques, je propose <strong>la</strong> constitution d’un bureau permanent <strong>de</strong> cinq membres, chacun <strong>de</strong>scinq ayant un contact régulier avec <strong>de</strong>ux autres. J’obtiens l’approbation <strong>de</strong> mon projet parplusieurs membres du CNR. Ce bureau du CNR comprend : Bidault (prési<strong>de</strong>nt), Sail<strong>la</strong>nt,Pascal Copeau, Blocq-Mascard et moi-même. Je représente à <strong>la</strong> fois le FN, le PCF et assezcurieusement un parti <strong>de</strong> droite, <strong>la</strong> Fédération républicaine dont le chef, Louis Marin, […]avait chargé Debû-Bri<strong>de</strong>l <strong>de</strong> le remp<strong>la</strong>cer au sein du CNR. […] Grâce à cette restructuration,le CNR peut désormais jouer son rôle politique, s’adresser au pays, aux Alliés, réagir viteaux événements et <strong>de</strong>venir ainsi le représentant officiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance intérieure.Pierre Villon, Résistants <strong>de</strong> <strong>la</strong> première heure, éditions sociales, 1983, p. 77.Annonce <strong>de</strong> <strong>la</strong> créationdu Comité d’actionmilitaire (COMAC) le 13 mai1944 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny, fonds Villon).<strong>Le</strong>s Jours heureux, 1944 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny). Brochure publiéepar le mouvement Libération-Sud contenant leprogramme du CNR adopté en mars 1944.garantissant l’unité nationale <strong>la</strong> plus <strong>la</strong>rgeautour <strong>de</strong>s valeurs républicaines et démocratiques.Cette double priorité est mise à l’ordre dujour le 26 novembre 1943 lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxièmeet <strong>de</strong>rnière séance plénière c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine duCNR (avant celle d’août 1944 au moment <strong>de</strong><strong>la</strong> libération <strong>de</strong> Paris). Pierre Villon (représentantdu Front national au CNR) proposeun « Projet <strong>de</strong> Charte <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance ». L’originalitédu document rési<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> liaisonqu’il établit entre une véritable doctrine <strong>de</strong>combat et un programme d’après-guerre.Quatre rédactions successives sont discutéespar le CNR et les mouvements, jusqu’à<strong>la</strong> version définitive du texte, adopté àl’unanimité le 15 mars 1944.La première partie du programme exposeun « p<strong>la</strong>n d’action immédiate » qui définitles étapes et les moyens <strong>pour</strong> parvenir à <strong>la</strong>Libération. Elle hiérarchise et coordonne lesdifférentes structures <strong>de</strong> mise en œuvre <strong>de</strong>ce p<strong>la</strong>n d’insurrection nationale : en premierlieu les Comités départementaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>Libération (CDL), les états-majors <strong>de</strong>s Forcesfrançaises <strong>de</strong> l’Intérieur (EM <strong>de</strong>s FFI), leComité d’action militaire du CNR (COMAC).RÉSISTANCE 12/13 28


4.2Mobiliser<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionDepuis l’automne 1943, le thème <strong>de</strong> l’insurrectionnationale est omniprésent dans lestracts et les journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins. Au printemps1944, le Conseil national <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistanceen précise les cadres (première partie<strong>de</strong> son programme, adopté en mars) et sedote d’une commission <strong>de</strong> coordination<strong>de</strong> l’action militaire (le COMAC institué enmai). En mai, les Anglo-Américains finissentpar entendre les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s du CNR et l’idéed’insurrection peut enfin être développéedans les émissions en français à <strong>la</strong> BBC.À l’été 1944, le processus insurrectionnelprend appui à <strong>la</strong> fois sur l’é<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion et sur l’impulsion donnée par lesorganisations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance.<strong>Le</strong> signal <strong>de</strong> l’insurrection est donné par leCNR le 18 juin 1944, alors que le débarquementen Normandie semble avoir réussi.L’appel adressé aux Comité départementaux<strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération est <strong>la</strong>rgement repris par <strong>la</strong>presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine et inspire une multitu<strong>de</strong><strong>de</strong> papillons, <strong>de</strong> tracts ou d’affichettes. Lapopu<strong>la</strong>tion doit entrer en action et soutenir<strong>la</strong> lutte armée <strong>la</strong>ncée par les résistants.Tract <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>s Jeunes Filles patriotes <strong>de</strong> <strong>la</strong> région <strong>de</strong>s Bouches-du-Rhône appe<strong>la</strong>nt à manifesterle 14 juillet 1944 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny).À <strong>la</strong> manière d’une répétition générale, le20 juin, le CNR <strong>la</strong>nce un nouvel appel <strong>pour</strong>une célébration spectacu<strong>la</strong>ire du 14 juillet1944. <strong>Le</strong> message est répercuté le 11 juillet surles on<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC. La célébration est organiséedans toute <strong>la</strong> France par les groupes<strong>de</strong> résistance. Elle est précédée d’une campagne<strong>de</strong> communication sans précé<strong>de</strong>nt endirection <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion : dans les vil<strong>la</strong>ges,dans les villes (par quartier), sur les lieux <strong>de</strong>travail (catégories par catégories professionnelles).La journée est un succès. <strong>Le</strong> bi<strong>la</strong>n est impressionnant: défilés, rassemblements <strong>de</strong>vantles monuments symboliques, comme celui<strong>de</strong>s cheminots <strong>de</strong> Vitry-sur-Seine <strong>de</strong>vant lemonument <strong>de</strong> Rouget <strong>de</strong> l’Isle à Choisy-le-Roi, grèves et, un peu partout, une f<strong>la</strong>mbéed’actions armées. À titre d’exemple, ce14 juillet, <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> Parisienset <strong>de</strong> banlieusards tiennent <strong>la</strong> rue auxaccents <strong>de</strong> La Marseil<strong>la</strong>ise. Signes <strong>de</strong>s temps,<strong>la</strong> police française reste neutre, voire participeaux manifestations.Affiche manuscrite du Front patriotique<strong>de</strong> <strong>la</strong> Jeunesse du 13e arrondissement àParis appe<strong>la</strong>nt à <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> milicespatriotiques, juin 1944 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny).Dans les jours qui suivent, les récits <strong>de</strong> cettejournée foisonnent dans <strong>la</strong> presse c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stineet dans les émissions en français <strong>de</strong>Radio Londres. Ils renforcent positivementl’image <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance auprès <strong>de</strong>s Françaisencore indécis. Ils augmentent <strong>la</strong> déterminationà combattre <strong>de</strong> ceux déjà entrés dansl’action, leur forgeant un moral <strong>de</strong> vainqueur.Ce travail d’organisation et <strong>de</strong> convictionne cesse <strong>de</strong> s’amplifier région par région. Ilprépare les journées <strong>de</strong>s combats libérateurs,menés dans <strong>de</strong> nombreuses zones aux côtés<strong>de</strong>s troupes françaises et alliées.Affiche du Comité parisien <strong>de</strong> <strong>la</strong> Libérationappe<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion à rejoindre les FFI et àbloquer <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s troupes alleman<strong>de</strong>sdans Paris, 21 août 1944 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny).Toutes ces journées sont déclenchées par <strong>de</strong>sappels <strong>de</strong>s autorités <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance (CDL etétats-majors FFI). À Paris, <strong>de</strong> manière exemp<strong>la</strong>ire,les appels à <strong>la</strong> mobilisation générale<strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion sont p<strong>la</strong>cardés sous formed’affiches frappées <strong>de</strong> drapeaux tricolores(une première <strong>de</strong>puis 1939). Ailleurs enFrance, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion est appelée <strong>de</strong> <strong>la</strong> mêmemanière à participer à <strong>la</strong> libération <strong>de</strong>s villeset <strong>de</strong>s départements.29RÉSISTANCE 12/13


4.3Légitimer le général<strong>de</strong> Gaulle etle Gouvernementprovisoire <strong>de</strong> <strong>la</strong>République françaiseAu printemps 1944, le général <strong>de</strong> Gaulle estreconnu comme le chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancefrançaise par l’ensemble <strong>de</strong> ses composantes.<strong>Le</strong> Comité français <strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération nationalequi siège à Alger est constitué <strong>de</strong> représentants<strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistanceet <strong>de</strong>s forces politiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> Troisième Républiquequi ont refusé <strong>de</strong> rallier l’État françaisdirigé par Pétain.<strong>Le</strong> 3 juin, le CFLN cè<strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce au Gouvernementprovisoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> République françaiseSon chef est le général <strong>de</strong> Gaulle et ilsiège à Alger. Alors que le débarquement estimminent, les Anglo-Américains enten<strong>de</strong>ntavoir les coudées franches sur le territoirefrançais. <strong>Le</strong> Gouvernement provisoire <strong>de</strong><strong>la</strong> République française, n’est toujours pasreconnu par les Alliés quand les troupesalliées débarquent en Normandie et n’estdonc pas associé aux opérations militaires.<strong>Le</strong> 6 juin 1944, le général Eisenhower ne <strong>la</strong>mentionne pas quand il s’adresse aux Français.La Résistance unie – GPRF et CNR – protestevigoureusement et revendique <strong>la</strong> pleinesouveraineté <strong>pour</strong> <strong>la</strong> France. Des consignessont données <strong>pour</strong> que dans chaque parcelledu territoire libérée <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistance chassent ceux <strong>de</strong> l’État français,forcément illégitimes, et installent <strong>de</strong>fait l’autorité du GPRF. <strong>Le</strong> général <strong>de</strong> Gaulleobtient <strong>de</strong> pouvoir débarquer à son touren Normandie le 14 juin 1944. Il se rend àBayeux, principale ville libérée à cette date,et prononce un discours sans équivoque. <strong>Le</strong>texte est repris à Radio Londres et diffusé par<strong>Le</strong> Courrier <strong>de</strong> l’Air.Au fur et à mesure <strong>de</strong> <strong>la</strong> progression <strong>de</strong>sarmées alliées et <strong>de</strong> <strong>la</strong> libération du territoirenational, <strong>de</strong>s comités locaux et départementauxprennent en mains l’administration.Des commissaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> République fontfonction <strong>de</strong> préfet et s’efforcent <strong>de</strong> maintenirl’ordre et d’éviter les exactions. Là où <strong>la</strong> Résistanceest en mesure <strong>de</strong> libérer elle-mêmeune région, le processus est comparable. <strong>Le</strong>déclenchement <strong>de</strong> l’insurrection parisienneavec l’accord du CNR installe le Comité parisien<strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération à <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> <strong>la</strong> villeet facilite le retour dans <strong>la</strong> capitale du GPRF,quelques jours après le départ <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnièrestroupes alleman<strong>de</strong>s. Ainsi se réalise l’objectifimmédiat défini par le programme du CNR :L’Humanité, n° 7 (nouvelle série), 27 août 1944 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny).« établir le Gouvernement provisoire <strong>de</strong> <strong>la</strong>République formé par le général <strong>de</strong> Gaulle<strong>pour</strong> défendre l’indépendance politique etéconomique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Nation, rétablir <strong>la</strong> Francedans sa puissance, dans sa gran<strong>de</strong>ur et danssa mission universelle ».<strong>Le</strong> général <strong>de</strong> Gaulle est à Paris dès le 25 août.Chef du GPRF, il symbolise le retour <strong>de</strong> <strong>la</strong>République dans sa capitale. <strong>Le</strong> len<strong>de</strong>main,un gigantesque défilé réunit le GPRF, le CNR,le CPL, les résistants parisiens, les soldatsfrançais et américains et le peuple <strong>de</strong> Parisdans une communion totale. La presse françaiseet internationale rend compte <strong>de</strong> l’événementdont l’écho parvient jusque dans lescamps <strong>de</strong> concentration. Pour les Alliés, et<strong>pour</strong> les Français, c’est <strong>la</strong> démonstration quele GPRF et son chef ont le soutien popu<strong>la</strong>ireet que ce gouvernement né en exil et dans <strong>la</strong>c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité est légitime et peut diriger <strong>la</strong>France jusqu’à <strong>la</strong> victoire.<strong>Le</strong> Courrier <strong>de</strong> l’Air, 21 juin 1944 (coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> résistance nationale). Sous le titreprincipal, il est précisé : « <strong>Le</strong> général <strong>de</strong> Gaulles’est rendu <strong>la</strong> 14 juin dans <strong>la</strong> zone libérée<strong>de</strong> Normandie ».Nous sommes tous émus en nous retrouvant ensemble, dans l’une <strong>de</strong>s premières villeslibérées <strong>de</strong> <strong>la</strong> France métropolitaine, mais ce n’est pas le moment <strong>de</strong> parler d’émotion.Ce que le pays attend <strong>de</strong> vous, à l’arrière du front, c’est que vous continuiez le combataujourd’hui, comme vous ne l’avez jamais cessé <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> cette guerre et <strong>de</strong>puisjuin <strong>1940</strong>. Notre cri maintenant, comme toujours, est un cri <strong>de</strong> combat, parce que lechemin du combat est aussi le chemin <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté et le chemin <strong>de</strong> l’honneur.C’est <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère patrie. Nous continuerons à faire <strong>la</strong> guerre avec nos forces <strong>de</strong> terre,<strong>de</strong> mer et <strong>de</strong> l’air comme nous <strong>la</strong> faisons aujourd’hui en Italie, où nos soldats se sontcouverts <strong>de</strong> gloire, comme ils le feront <strong>de</strong>main en France métropolitaine. Notre empire,entièrement rassemblé autour <strong>de</strong> nous, fournit une ai<strong>de</strong> énorme. Nous combattrons <strong>pour</strong><strong>la</strong> France avec passion, mais aussi avec raison.Vous qui avez été sous <strong>la</strong> botte <strong>de</strong> l’ennemi et avez fait partie <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> Résistance,vous savez ce qu’est cette guerre. C’est une guerre particulièrement dure, cette guerre c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine,cette guerre sans armes. Je vous promets que nous continuerons <strong>la</strong> guerre jusqu’àce que <strong>la</strong> souveraineté <strong>de</strong> chaque pouce <strong>de</strong> territoire français soit rétablie. Personne nenous empêchera <strong>de</strong> <strong>la</strong> faire.Nous combattrons aux côtés <strong>de</strong>s Alliés, avec les Alliés, comme un allié. Et <strong>la</strong> victoire quenous remporterons sera <strong>la</strong> victoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté et <strong>la</strong> victoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> France.Je vais vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> chanter avec moi notre hymne national, <strong>la</strong> Marseil<strong>la</strong>ise.Charles <strong>de</strong> Gaulle, discours <strong>de</strong> Bayeux, 14 juin 1944.RÉSISTANCE 12/13 30


4.4Rétablir les libertéset <strong>la</strong> démocratierépublicaineDès que les conditions le permettent, avantmême que <strong>la</strong> libération soit assurée, les représentants<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance appliquent lesconsignes du Conseil national <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistanceet du Gouvernement provisoire <strong>de</strong> <strong>la</strong>République française et s’emparent <strong>de</strong>s lieuxdu pouvoir. De fait, les comités locaux et départementaux<strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération rétablissent<strong>la</strong> légalité républicaine et en informent <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion. Des affiches officielles sont apposéessur les murs <strong>pour</strong> marquer dans lepaysage <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce du nouveau pouvoir.L’aspect général reprend celui <strong>de</strong>s affichesd’avant-guerre, le nom ou le sigle <strong>de</strong> <strong>la</strong>République française retrouve sa p<strong>la</strong>ce. <strong>Le</strong>splus organisés disposent aussi <strong>de</strong> cachets aunom <strong>de</strong>s CLL et <strong>de</strong>s CDL <strong>pour</strong> officialiser etauthentifier les premiers documents produits.<strong>Le</strong> GPRF s’installe à Paris et prend en charge<strong>la</strong> direction du pays qui n’est pas encore totalementlibéré en septembre 1944 et qui doit<strong>pour</strong>suivre <strong>la</strong> guerre aux côtés <strong>de</strong> ses alliésanglo-américains jusqu’à <strong>la</strong> victoire. <strong>Le</strong>ssymboles du régime <strong>de</strong> Vichy sont effacés :les rues Pétain retrouvent leur ancien nom,le portrait du Maréchal disparaît au profitdu buste <strong>de</strong> Marianne, les timbres à l’effigie<strong>de</strong> Pétain sont surchargés d’une croix <strong>de</strong>Lorraine triomphante. <strong>Le</strong>s pièces <strong>de</strong> monnaiefrappées <strong>de</strong> <strong>la</strong> francisque sont conservéesplus longtemps, faute <strong>de</strong> moyens <strong>pour</strong>procé<strong>de</strong>r rapi<strong>de</strong>ment à <strong>la</strong> substitution. LaRépublique est rétablie <strong>de</strong> fait, dans l’attented’une nouvelle constitution.<strong>Le</strong>s Français retrouvent enfin <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>leurs droits, bafoués pendant quatre années.<strong>Le</strong>s journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins peuvent enfinparaître au grand jour. Certains cessentrapi<strong>de</strong>ment leur parution mais beaucoupsurvivent, au moins un temps, au retour <strong>de</strong><strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse. Près <strong>de</strong> 30 quotidienssont publiés à Paris et en province, <strong>pour</strong> untotal d’environ 10 millions d’exemp<strong>la</strong>ires.C’est d’abord une presse d’opinion qui estprotégée et encadrée par l’ordonnance du30 septembre 1944. Quelques voix s’élèvent,dont celle d’Albert Camus, <strong>pour</strong> s’inquiéter<strong>de</strong>s dérives possibles <strong>de</strong> <strong>la</strong> presse, tentée<strong>de</strong> retomber dans les facilités et les traversd’avant-guerre. La presse participe cependantactivement aux débats démocratiquesqui accompagnent les mesures du GPRF,l’élection d’une assemblée nationale au suffrageuniversel (masculin et féminin) et <strong>la</strong>rédaction du projet constitutionnel.<strong>Le</strong>s formations politiques issues <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancemanifestent <strong>de</strong> plus en plus leursdivergences. <strong>Le</strong> général <strong>de</strong> Gaulle lui-même,dont chacun reconnaît le rôle essentieldans le processus qui a conduit à <strong>la</strong> Libération,ne parvient pas à rallier <strong>la</strong> majorité<strong>de</strong>s Français à sa vision <strong>de</strong> <strong>la</strong> République. Ildémissionne <strong>de</strong> son poste <strong>de</strong> chef du gouvernementen janvier 1946. L’élection d’unenouvelle Assemblée nationale constituanteconduit à l’approbation <strong>de</strong> <strong>la</strong> constitution <strong>de</strong><strong>la</strong> Quatrième République par référendum enoctobre. Son préambule se veut <strong>la</strong> justificationa posteriori du combat <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance,<strong>pour</strong> plus <strong>de</strong> liberté, d’égalité, <strong>de</strong> fraternité.Ce magnifique programme aura du mal àêtre appliqué par <strong>la</strong> Quatrième République,notamment du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> question coloniale.■ Préambule <strong>de</strong> <strong>la</strong> Constitution<strong>de</strong> 1946 (extrait)1. Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire remportéepar les peuples libres sur les régimes qui onttenté d’asservir et <strong>de</strong> dégra<strong>de</strong>r <strong>la</strong> personnehumaine, le peuple français proc<strong>la</strong>me à nouveauque tout être humain, sans distinction<strong>de</strong> race, <strong>de</strong> religion ni <strong>de</strong> croyance, possè<strong>de</strong><strong>de</strong>s droits inaliénables et sacrés. Il réaffirmesolennellement les droits et libertés<strong>de</strong> l’homme et du citoyen consacrés par <strong>la</strong>Déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> 1789 et les principesfondamentaux reconnus par les lois <strong>de</strong><strong>la</strong> République.2. Il proc<strong>la</strong>me, en outre, comme particulièrementnécessaires à notre temps, les principespolitiques, économiques et sociauxci-après :3. La loi garantit à <strong>la</strong> femme, dans tous les domaines,<strong>de</strong>s droits égaux à ceux <strong>de</strong> l’homme.4. Tout homme persécuté en raison <strong>de</strong> sonaction en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté a droit d’asilesur les territoires <strong>de</strong> <strong>la</strong> République.Affiche diffusée par <strong>la</strong> Bureau d’informationanglo-américain, <strong>1945</strong> (coll. Archivesdépartementales <strong>de</strong> Seine-et-Marne, fondsTaboureau).Avis du Comitélocal <strong>de</strong> <strong>la</strong>Libération <strong>de</strong>Champignyinterdisantles pil<strong>la</strong>ges etles actes <strong>de</strong>vengeance(coll. Musée <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny).5. Chacun a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> travailler et le droitd’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé,dans son travail ou son emploi, en raison<strong>de</strong> ses origines, <strong>de</strong> ses opinions ou <strong>de</strong> sescroyances. […]10. La Nation assure à l’individu et à <strong>la</strong> familleles conditions nécessaires à leur développement.11. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant,à <strong>la</strong> mère et aux vieux travailleurs, <strong>la</strong>protection <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé, <strong>la</strong> sécurité matérielle,le repos et les loisirs. Tout être humain qui,en raison <strong>de</strong> son âge, <strong>de</strong> son état physiqueou mental, <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation économique, setrouve dans l’incapacité <strong>de</strong> travailler a ledroit d’obtenir <strong>de</strong> <strong>la</strong> collectivité <strong>de</strong>s moyensconvenables d’existence. […]13. La Nation garantit l’égal accès <strong>de</strong> l’enfantet <strong>de</strong> l’adulte à l’instruction, à <strong>la</strong> formationprofessionnelle et à <strong>la</strong> culture. L’organisation<strong>de</strong> l’enseignement public gratuit et <strong>la</strong>ïque àtous les <strong>de</strong>grés est un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> l’État. […]31RÉSISTANCE 12/13


Bulletin publié par le Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale (MRN)en partenariat avec le Centre régional <strong>de</strong> documentationpédagogique (CRDP) <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong> Créteil.Bulletin réalisé par :Eric Brossard, agrégé d’histoire, professeur au collège JeanWiener à Champs-sur-Marne, professeur re<strong>la</strong>is au Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale ; Guy Krivopissko, professeur d’histoire,conservateur du Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale.Avec le concours <strong>de</strong> : <strong>la</strong> commission Histoire du Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale ; Xavier Aumage, Céline Heytens et CharlesRion<strong>de</strong>t, archivistes du Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale ; JulieBaffet, chargée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Communication du Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale.Critiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle pressepar Albert Camus[…] Lorsque nous rédigions nos journaux dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité, c’était naturellement sans histoireset sans déc<strong>la</strong>rations <strong>de</strong> principe. Mais je sais que <strong>pour</strong> tous nos camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> tous nosjournaux, c’était un grand espoir secret. Nous avions l’espérance que ces hommes, qui avaientcouru <strong>de</strong>s dangers mortels au nom <strong>de</strong> quelques idées qui leur étaient chères, sauraient donnerà leur pays <strong>la</strong> presse qu’il méritait et qu’il n’avait plus. Nous savions par l’expérience que <strong>la</strong>presse d’avant-guerre était perdue dans son principe et dans sa morale. […]Notre désir, d’autant plus profond qu’il était souvent muet, était <strong>de</strong> libérer les journaux <strong>de</strong>l’argent et <strong>de</strong> leur donner un ton et une vérité qui mettent le public à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> ce qu’il ya <strong>de</strong> meilleur en lui. Nous pensions alors qu’un pays vaut souvent ce que vaut sa presse. Et s’ilest vrai que les journaux sont <strong>la</strong> voix d’une nation, nous étions décidés, à notre p<strong>la</strong>ce et <strong>pour</strong>notre faible part, à élever ce pays en élevant son <strong>la</strong>ngage. À tort ou à raison, c’est <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> quebeaucoup d’entre nous sont morts dans d’inimaginables conditions et que d’autres souffrent<strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> et les menaces <strong>de</strong> <strong>la</strong> prison.En fait, nous avons seulement occupé <strong>de</strong>s locaux, où nous avons confectionné <strong>de</strong>s journauxque nous avons sortis en pleine bataille. C’est une gran<strong>de</strong> victoire et, <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, lesjournalistes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance ont montré un courage et une volonté qui méritent le respect <strong>de</strong>tous. Mais, et je m’excuse <strong>de</strong> le dire au milieu <strong>de</strong> l’enthousiasme général, ce<strong>la</strong> est peu <strong>de</strong> chosespuisque tout reste à faire. Nous avons conquis les moyens <strong>de</strong> faire cette révolution profon<strong>de</strong>que nous désirions. Encore faut-il que nous <strong>la</strong> fassions vraiment. […]Or, dans <strong>la</strong> hâte, <strong>la</strong> colère ou le délire <strong>de</strong> notre offensive, nos journaux ont péché par paresse. <strong>Le</strong>corps, dans ces journées, a tant travaillé que l’esprit a perdu <strong>de</strong> sa vigi<strong>la</strong>nce. […]Puisque les moyens <strong>de</strong> nous exprimer sont dès maintenant conquis, notre responsabilitévis-à-vis <strong>de</strong> nous-mêmes et du pays est entière. L’essentiel, et c’est l’objet <strong>de</strong> cet article, et quenous en soyons bien avertis. La tâche <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> nous est <strong>de</strong> bien penser ce qu’il se propose<strong>de</strong> dire, <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>ler peu à peu l’esprit du journal qui est le sien, d’écrire attentivement et <strong>de</strong>ne jamais perdre <strong>de</strong> vue cette immense nécessité où nous sommes <strong>de</strong> redonner à un pays savoix profon<strong>de</strong>. Si nous faisons que cette voix <strong>de</strong>meure celle <strong>de</strong> l›énergie plutôt que <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine,<strong>de</strong> <strong>la</strong> fière objectivité et non <strong>de</strong> <strong>la</strong> rhétorique, <strong>de</strong> l›humanité plutôt que <strong>de</strong> <strong>la</strong> médiocrité, alorsbeaucoup <strong>de</strong> choses seront sauvées et nous n›aurons pas démérité.Article paru dans Combat, 31 août 1944Coordination :Corinne Robino, directrice du CRDP <strong>de</strong> l’académie <strong>de</strong> Créteil ;Gilles Gony, responsable éditorial du CRDP <strong>de</strong> l’académie<strong>de</strong> Créteil ; Eric Brossard, professeur re<strong>la</strong>is au Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale ; Guy Krivopissko, conservateur du Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale.Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationaleService pédagogiqueParc Vercors88 avenue Marx Dormoy94500 CHAMPIGNY-SUR-MARNETéléphone : 01 48 81 44 91Télécopie : 01 48 81 33 36Courriel : info@musee-resistance.comDirecteur <strong>de</strong> publication : Michel DeluginRédactrice en chef : Julie BaffetGraphiste : Olivier UmeckerImprimé par AgefimDuplication autorisée et conseillée.Version téléchargeable sur le site du Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale, rubrique pédagogie, sous rubrique CNRD.www.musee-resistance.comMusée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationaleParc Vercors – 88 avenue Marx Dormoy94500 Champigny-sur-MarnePour contacter le MuséeAccueil et réservation : 01 48 81 53 78Service pédagogique : 01 48 81 44 91Service communication : 01 48 81 45 97www.musee-resistance.comCourriel : infos@musee-resistance.comJours et horaires d’ouvertureDu mardi au vendredi, <strong>de</strong> 9 h 00 à 12 h 30 et <strong>de</strong> 14 h 00 à 17 h 30.Samedi et dimanche, <strong>de</strong> 14 h 00 à 18 h 00Fermé au mois <strong>de</strong> septembre (sauf <strong>pour</strong> les journéesdu Patrimoine), les lundis, les jours fériés (sauf le 8 mai),les week-ends en août.Tarifs• Visite <strong>de</strong> l’exposition gratuiteVisite <strong>de</strong> l’exposition permanente :• Plein tarif : 5 €• Demi-tarif : 2,50 € (retraités, familles nombreuses,groupes <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 10 personnes)• Campinois : 1,80 €• Gratuit <strong>pour</strong> les sco<strong>la</strong>ires, les anciens résistants et déportés,les chômeurs, le personnel <strong>de</strong>s organismes sous convention.Une visite commentée gratuite <strong>de</strong> l’exposition est organiséele 1 er dimanche <strong>de</strong> chaque moisAccèsEn transports en commun : RER A, direction « Boissy-Saint-Léger », station « Champigny » puis bus 208, arrêt « Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance »Par <strong>la</strong> route : par l’autoroute A4, sortie « Champigny centre »,ou par <strong>la</strong> route départementale 4(mention figurant sur certains journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance française)Bâtiment accessible aux handicapésLibrairie – Boutique – ParkingRÉSISTANCE 12/13 32

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!