2.1Parler à <strong>la</strong> radioLa radio est immédiatement un moyen <strong>de</strong>résister. Face à <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> contrôle par l’occupantet par l’État français <strong>de</strong>s stations <strong>de</strong>radio et <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>is hertziens en France, lesautorités britanniques réagissent. <strong>Le</strong>s émissionsradiophoniques en <strong>la</strong>ngue française à<strong>la</strong> BBC qui existaient avant <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong> <strong>la</strong>France prennent plus d’ampleur après <strong>la</strong>signature <strong>de</strong> l’armistice. <strong>Le</strong>ur durée totalepasse <strong>de</strong> 30 minutes en 1939 à 6 heures en1944. Il s’agit <strong>pour</strong> l’essentiel <strong>de</strong> programmesd’information en français reprenant lesdirectives <strong>de</strong>s autorités britanniques (ministère<strong>de</strong> l’Information puis Political WarfareExecutive, un organe dépendant du ministère<strong>de</strong>s Affaires étrangères qui pilote <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong>à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>s pays ennemis et<strong>de</strong>s territoires occupés) et les nouvelles dumon<strong>de</strong> libre (dépêches <strong>de</strong>s agences <strong>de</strong> presse,écoute <strong>de</strong>s radios étrangères).<strong>Le</strong>s émissions les plus écoutées en Francesont diffusées en début <strong>de</strong> soirée. À 20 h 15,<strong>de</strong>s speakers francophones lisent les informationsbritanniques traduites en français.À 20 h 30, commence l’émission « Ici <strong>la</strong>France » (à partir du 19 juin <strong>1940</strong>), qui <strong>de</strong>vient« <strong>Le</strong>s Français parlent aux Français » (à partirdu 6 septembre <strong>1940</strong>). De 20 h 25 à 20 h 30, <strong>la</strong>France libre peut s’exprimer à <strong>la</strong> radio dansle cadre <strong>de</strong> l’émission « Honneur et patrie » (àpartir d’août <strong>1940</strong>) : le général <strong>de</strong> Gaulle intervientà une soixantaine <strong>de</strong> reprises, mais leporte-parole officiel est Maurice Schumann.Ponctuellement, ce <strong>de</strong>rnier est remp<strong>la</strong>cé parun autre Français libre, tel Pierre-OlivierLapie, ou par un résistant <strong>de</strong> l’intérieur venuà Londres, tel Pierre Brossolette.L’équipe d’« Honneur et patrie » est totalementgaulliste, ce qui n’est pas le cas <strong>de</strong> celle<strong>de</strong>s « Français parlent aux Français », souventréservée face à <strong>la</strong> politique du général <strong>de</strong>Gaulle. Cependant, malgré <strong>de</strong>s divergences,l’objectif <strong>de</strong>s équipes reste le même, à savoir<strong>la</strong> libération <strong>de</strong> <strong>la</strong> France. Ceci explique <strong>pour</strong>quoiles auditeurs français ne perçoiventpas toujours nettement ce qui distingue lesémissions francophones <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC les unes<strong>de</strong>s autres, sinon qu’« Honneur et patrie »soutient constamment le général <strong>de</strong> Gaulle.Tous les programmes diffusés par <strong>la</strong> BBCsont validés par les autorités britanniques.L’équipe d’« Honneur et patrie » bénéficied’une réelle bienveil<strong>la</strong>nce, tant qu’elle neremet pas en cause <strong>la</strong> conduite <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre<strong>de</strong> Churchill et <strong>de</strong> son gouvernement.Conscient <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> radio <strong>pour</strong>faire reconnaître son autorité et sa légitimitéen France et à l’étranger, le général<strong>de</strong> Gaulle s’efforce <strong>de</strong> ne plus dépendre <strong>de</strong>smoyens <strong>de</strong> radiodiffusion mis à sa dispositionpar l’allié britannique. Dès <strong>la</strong> fin <strong>1940</strong>, ilpousse au renforcement <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance d’unposte-émetteur mis en p<strong>la</strong>ce avant-guerreau Congo. Radio Brazzaville commence àémettre en décembre. En mars 1941, le poste<strong>de</strong>vient <strong>la</strong> voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre, qui peutêtre entendue dans le mon<strong>de</strong> entier à partirdu milieu <strong>de</strong> l’année 1943. Après le débarquementallié en Afrique du Nord, Radio Algerperd son rôle <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is <strong>de</strong> <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong>pétainiste <strong>pour</strong> <strong>de</strong>venir « Radio France, <strong>la</strong>radio <strong>de</strong> <strong>la</strong> France en guerre », une radiocontrôlée par les gaullistes, après quelqueschangements dans l’équipe <strong>de</strong> direction.Émettant dans toute <strong>la</strong> France, associantinformations, interventions politiques etdivertissements, Radio Alger est très écoutéepar les Français à partir <strong>de</strong> 1943.Tract« Méfiez-vous !»,ramassé le 22 mars1942, verso(coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny,fonds Phoebe)<strong>Le</strong>s autorités alleman<strong>de</strong>s et françaises sontconscientes <strong>de</strong> <strong>la</strong> menace que peuventconstituer <strong>de</strong>s radios non contrôlées et nerestent pas inactives. L’ordonnance alleman<strong>de</strong>datée du 10 mai <strong>1940</strong> stipule que« celui qui écoutera, seul ou avec d’autrespersonnes, <strong>de</strong>s émissions <strong>de</strong> TSF non alleman<strong>de</strong>sou qui procurera <strong>la</strong> possibilité d’uneaudition pareille, sera puni ». Elle précisecependant que « seront exceptés les postes<strong>de</strong> radiodiffusion non allemands dontl’administration militaire alleman<strong>de</strong> permettral’écoute par notification officielle ».Lorsqu’est <strong>la</strong>ncée <strong>la</strong> bataille d’Angleterre, lesAllemands ordonnent <strong>la</strong> confiscation <strong>de</strong>spostes dans le nord <strong>de</strong> <strong>la</strong> France où <strong>la</strong> réception<strong>de</strong>s émissions britanniques est <strong>la</strong> plusfacile. L’État français quant à lui promulgueune loi du 28 octobre <strong>1940</strong>, parue au Journalofficiel du 3 novembre, qui interdit l’écoute<strong>de</strong>s émissions radiophoniques <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC et<strong>de</strong> tout poste « à propagan<strong>de</strong> antinationale »sur <strong>la</strong> voie publique et dans les lieux ouvertsau public. <strong>Le</strong>s contrevenants encourent unepeine <strong>de</strong> 16 à 100 francs et un emprisonnement<strong>de</strong> six jours à six mois. <strong>Le</strong>s postes <strong>de</strong>radio peuvent être saisis.L’interdit suscite <strong>la</strong> curiosité puis l’envie <strong>de</strong>savoir fait le reste. La BBC affirme qu’elledit <strong>la</strong> vérité face aux radios contrôlées parl’Occupant allemand (Radio Paris) ou l’Étatfrançais (Radio nationale ou Radio Vichy),soupçonnées <strong>de</strong> mentir en permanence. Destracts sont diffusés par <strong>la</strong> Royal Air Force ; ilsinvitent <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française à <strong>la</strong> vigi-RÉSISTANCE 12/13 8
<strong>Le</strong>s auditeurs <strong>de</strong> Radio Londres,d’après les lettres adressées par<strong>de</strong>s Français à <strong>la</strong> BBC en <strong>1940</strong>Nous vous disons<strong>la</strong> vérité – les bonnescomme les mauvaisesnouvelles<strong>la</strong>nce et comptent sur <strong>la</strong> méfiance supposée<strong>de</strong>s Français vis-à-vis <strong>de</strong> <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong>alleman<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s Britanniques et les Françaislibres tentent <strong>de</strong> limiter l’influence <strong>de</strong> RadioParis (« Radio Paris ment, Radio Paris ment,Radio Paris est allemand ») comme <strong>de</strong> RadioVichy, accusée <strong>de</strong> re<strong>la</strong>yer <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> alleman<strong>de</strong>dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> col<strong>la</strong>boration.Chaque camp essaie <strong>de</strong> séduire les auditeursen mê<strong>la</strong>nt aux émissions politiques<strong>de</strong>s programmes distrayants. C’est plusfacile <strong>pour</strong> Radio Paris ou Radio Vichy quidisposent <strong>de</strong> longs temps d’antenne, maisRadio Londres joue <strong>la</strong> carte <strong>de</strong> l’humour et<strong>de</strong> <strong>la</strong> légèreté <strong>pour</strong> abor<strong>de</strong>r les sujets graves(telles les chansons <strong>de</strong> Maurice Van Moppès,diffusées en France sous <strong>la</strong> forme d’une brochureen couleurs illustrée par l’auteur). Aufur et à mesure que le conflit se prolonge etque les conditions <strong>de</strong> vie se dégra<strong>de</strong>nt enFrance, le ton <strong>de</strong>vient plus sérieux, mêmesi les auditeurs restent sensibles aux motsd’esprit et aux formules percutantes <strong>de</strong>sspeakers (notamment Jean Oberlé et PierreDac). La qualité <strong>de</strong>s émissions est d’autantplus nécessaire que <strong>de</strong>s orateurs talentueuxsévissent sur les radios <strong>de</strong> l’adversaire, telsle Dr Friedrich (« Un journaliste allemandvous parle », sur Radio Paris) ou PhilippeHenriot (sur Radio Vichy), secrétaire d’Étatà l’Information et à <strong>la</strong> Propagan<strong>de</strong> à partir<strong>de</strong> janvier 1944.Un couple <strong>de</strong> Françaisécoute <strong>la</strong> radio durantl’Occupation, sans date(coll. Musée <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)<strong>Le</strong> poste plutôt imposantest posé sur <strong>la</strong> table.Devant, un exemp<strong>la</strong>ire dujournal <strong>Le</strong> Matin.À partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin <strong>1940</strong>, les Français prennentpeu à peu l’habitu<strong>de</strong> d’écouter <strong>la</strong> radio britannique,puis Radio Brazzaville et RadioAlger à partir <strong>de</strong> 1943, ne serait-ce que <strong>pour</strong>vérifier si les informations <strong>de</strong>s radios souscontrôle sont confirmées. Ils écoutent égalementd’autres émissions en <strong>la</strong>ngue françaisesur <strong>de</strong>s radios étrangères : <strong>la</strong> chronique hebdomadaire<strong>de</strong> René Payot sur Radio Sottens(Radio suisse roman<strong>de</strong>) à partir d’octobre1941, celles <strong>de</strong> Jean-Richard Bloch sur RadioMoscou à partir <strong>de</strong> juin 1941, celles <strong>de</strong> Françaisinstallés aux États-Unis sur Voice of America(radio gouvernementale <strong>de</strong>s États-Unis)à partir <strong>de</strong> février 1942, etc.Radio Sottens a <strong>la</strong> réputation d’être <strong>la</strong> plusobjective du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> neutralité supposée dupays d’où elle émet. Radio Vatican est perçue<strong>de</strong> manière comparable. Radio Londres,Radio Brazzaville, Radio Alger, Radio Moscouou La Voix <strong>de</strong> l’Amérique sont considéréescomme <strong>de</strong>s radios engagées. En effet, ces<strong>de</strong>rnières dénoncent les mensonges <strong>de</strong> leursadversaires et appellent à <strong>la</strong> mobilisationcontre eux. L’évolution et le bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s opérationsterrestres, aériennes ou maritimessont commentés, les pil<strong>la</strong>ges et les crimesperpétrés par l’ennemi sont révélés, <strong>de</strong>s motsd’ordre sont <strong>la</strong>ncés à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionfrançaise : le ralliement <strong>de</strong> l’opinion à<strong>la</strong> cause <strong>de</strong>s Alliés et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance passepar les on<strong>de</strong>s.En réaction, les Allemands s’efforcent <strong>de</strong>brouiller les émissions <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC dès <strong>1940</strong>.Elles <strong>de</strong>viennent difficilement audibles, d’autantque les auditeurs français les écoutentle plus souvent le volume au minimum afin<strong>de</strong> ne pas se faire repérer par un voisin malveil<strong>la</strong>ntqui <strong>pour</strong>rait signaler l’acte interdit à<strong>la</strong> police. D’ailleurs chacun prend l’habitu<strong>de</strong><strong>de</strong> tourner le bouton du poste <strong>de</strong> radio en find’émission afin <strong>de</strong> rep<strong>la</strong>cer l’aiguille sur <strong>la</strong>Des lettres, visiblement ouvertes par <strong>la</strong> censurefrançaise, sont acheminées avec <strong>la</strong> complicitéd’agents compréhensifs qui parfois ajoutentun petit commentaire à l’intention <strong>de</strong>s Alliés.« Toutes mes amitiés à vous tous qui avez lecourage <strong>de</strong> lutter <strong>pour</strong> <strong>la</strong> liberté », écrit un censeursur <strong>la</strong> lettre d’un ancien combattant <strong>de</strong>Lyon, datée du 20 juillet.[…]Près <strong>de</strong> Clermont-Ferrand, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s habitantsd’un petit vil<strong>la</strong>ge du Puy-<strong>de</strong>-Dôme ontl’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> se retrouver quotidiennement<strong>pour</strong> écouter, religieusement, l’émission dusoir, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> maison d’un père réfugié avecses huit enfants. « Plusieurs jeunes hommesviennent à bicyclette <strong>de</strong>s vil<strong>la</strong>ges voisins parcequ’ils n’ont pas <strong>la</strong> radio. Personne ne parle<strong>de</strong> peur <strong>de</strong> perdre un seul mot <strong>de</strong> vos paroles.Personne ne connaît l’un l’autre parce quepresque tous sont <strong>de</strong>s réfugiés ou <strong>de</strong>s paysanset viennent séparément, mais pendant lejour, si par chance <strong>de</strong>s « habitués <strong>de</strong> <strong>la</strong> radio<strong>de</strong> 8 h 15 » se rencontrent, ils se saluent trèsaimablement. En retournant à Clermont, j’aiessayé <strong>de</strong> louer un appareil sans fil à on<strong>de</strong>scourtes, mais le marchand dit qu’il ne lui enrestait pas un seul, tout le mon<strong>de</strong> les avaitpris <strong>pour</strong> entendre <strong>la</strong> radio ang<strong>la</strong>ise… Alorsj’ai acheté une radio parce que, grâce à vous,<strong>la</strong> vie est une fois <strong>de</strong> plus retournée dans noscœurs, pleine d’espérance. » Ces comportementsindividuels permettent aussi d’é<strong>la</strong>rgirl’audience <strong>de</strong> <strong>la</strong> BBC. Ici, en zone libre, un restaurateurfait mine d’écouter <strong>la</strong> radio en familledans sa cuisine. Mais il monte suffisamment leson <strong>pour</strong> que chaque parole venue <strong>de</strong> Londressoit entendue <strong>de</strong>s consommateurs assis dans<strong>la</strong> salle d’à côté. Là, <strong>de</strong>s voyageurs passés parMarseille témoignent <strong>de</strong> tactique simi<strong>la</strong>ireorganisée dans <strong>de</strong>s cafés <strong>de</strong>s hôtels <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville.Extraits d’Aurélie Luneau, Radio Londres.<strong>Le</strong>s voix <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté (<strong>1940</strong>-1944),Perrin, 2005, pages 105-107fréquence <strong>de</strong>s stations autorisées. <strong>Le</strong> brouil<strong>la</strong>geest contourné par <strong>la</strong> multiplication <strong>de</strong>slongueurs d’on<strong>de</strong>s et <strong>la</strong> diffusion à plusieursreprises <strong>de</strong>s émissions.En février 1944, l’Occupant allemand envisage<strong>de</strong> supprimer le système d’écoute <strong>de</strong>son<strong>de</strong>s courtes sur les 10 millions <strong>de</strong> postesestimés en France. Faute <strong>de</strong> techniciens ennombre suffisant, le projet est abandonné. Enmars, il ordonne <strong>la</strong> confiscation <strong>de</strong>s postes<strong>de</strong> radio dans les régions où <strong>pour</strong>rait avoirlieu le débarquement allié. L’opération rencontreun succès très re<strong>la</strong>tif, seule une petitepartie <strong>de</strong>s postes réc<strong>la</strong>més est remise auxautorités alleman<strong>de</strong>s ou françaises et cellesciconstatent que beaucoup <strong>de</strong>s postes nesont plus en état <strong>de</strong> fonctionner. <strong>Le</strong> jour dudébarquement, toute <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion françaiseen est informée dans les heures qui suiventpar <strong>la</strong> radio ou par le bouche-à-oreille qui <strong>la</strong>re<strong>la</strong>ie très efficacement.9RÉSISTANCE 12/13