<strong>Le</strong>s publications <strong>de</strong> <strong>la</strong> France libre, présentées dans La France libre par l’image (18 juin <strong>1940</strong>-18 juin 1941), Londres, 1941, pages 14-15 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong>Résistance nationale/Champigny).La France libre se fait connaître en suscitant ou soutenant partout où ce<strong>la</strong> est possible <strong>de</strong>s publications en sa faveur.alors que d’autres s’en accommo<strong>de</strong>nt, voireproduisent <strong>de</strong>s œuvres comp<strong>la</strong>isantes ou secompromettent totalement. <strong>Le</strong>s plus résolusà résister utilisent tour à tour les failles<strong>de</strong> <strong>la</strong> censure <strong>pour</strong> publier une littérature<strong>de</strong> contreban<strong>de</strong> (textes à double lecture,le contenu résistant est implicite) ou <strong>la</strong>contourne <strong>pour</strong> éditer une littérature c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine(textes au contenu résistant explicite).Dans le premier cas, se distinguentavec brio Max Pol Fouchet à Alger et sa revueFontaine, Pierre Seghers à Villeneuve-les-Avignonset sa revue Poésie ou Noël Arnaud etsa maison d’édition La main à <strong>la</strong> plume oùparaît dans le fascicule Poésie et Vérité 42le célèbre poème <strong>de</strong> Paul Eluard « Liberté ».Dans le <strong>de</strong>uxième cas, <strong>la</strong> plus fameuse aventureest sans conteste réalisée par Pierre <strong>de</strong><strong>Le</strong>scure et Jean Bruller avec <strong>la</strong> création <strong>de</strong>séditions <strong>de</strong> Minuit qui ne sauraient faire oublier<strong>la</strong> revue Confluence <strong>de</strong> René Tavernierou <strong>la</strong> Bibliothèque française et l’album lithographiqueVaincre réalisés par <strong>de</strong>s écrivainset <strong>de</strong>s artistes <strong>de</strong>s mouvements du Frontnational <strong>de</strong> lutte <strong>pour</strong> <strong>la</strong> liberté et l’indépendance<strong>de</strong> <strong>la</strong> France et <strong>de</strong>s FTP ou <strong>de</strong>s albumsnon autorisés. C’est le cas <strong>de</strong> Paul Eluard quisort son poème « Liberté » dans le recueil Poésieet Vérité 1942.<strong>Le</strong>s Editions <strong>de</strong> Minuit et <strong>Le</strong> Silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> merEn octobre <strong>1940</strong>, trois intellectuels communistes, le philosophe Georges Politzer, le physicien JacquesSolomon et l’écrivain Jacques Decour<strong>de</strong>manche (Jacques Decour), sont à l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> l’un<strong>de</strong>s premiers journaux c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins, L’Université Libre. En février 1941, ils fon<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> première revue <strong>de</strong><strong>la</strong> Résistance, La Pensée libre.Alors qu’il s’emploie avec Louis Aragon à créer un journal <strong>de</strong> résistance littéraire c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin (les futures<strong>Le</strong>ttres françaises), Jacques Decour confie <strong>la</strong> réalisation du <strong>de</strong>uxième numéro <strong>de</strong> La Pensée libre àl’écrivain Pierre <strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure, lequel s’adjoint le concours du graveur Jean Bruller (futur Vercors) à qui il<strong>de</strong>man<strong>de</strong> l’écriture d’un texte <strong>pour</strong> le troisième numéro <strong>de</strong> <strong>la</strong> revue.La fabrication du <strong>de</strong>uxième numéro est interrompue par une <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> police chez l’imprimeur et <strong>la</strong><strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s textes. <strong>Le</strong>s trois fondateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> revue seront arrêtés en février et mars 1942. Pierre<strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure et Jean Bruller échappent aux griffes <strong>de</strong> <strong>la</strong> police. <strong>Le</strong> texte écrit par Jean Bruller en cours <strong>de</strong>correction chez lui est sauvé, mais <strong>la</strong> revue dans <strong>la</strong>quelle il <strong>de</strong>vait être édité n’existe plus. Tout est àrecommencer.Pierre <strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure connaît <strong>de</strong> nombreux écrivains et Jean Bruller <strong>de</strong>s imprimeurs. Ils déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> créerune maison d’édition c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stine qu’ils baptiseront Éditions <strong>de</strong> Minuit après <strong>de</strong> nombreux essais (Laconfession <strong>de</strong> Minuit, La tradition <strong>de</strong> Minuit, etc.). <strong>Le</strong> texte du premier ouvrage est prêt, c’est celui <strong>de</strong>Jean Bruller écrit <strong>pour</strong> La Pensée libre, intitulé <strong>Le</strong> silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, dédicacé au poète Saint-Pol-Roux,mort <strong>de</strong> désespoir après les violences infligées à sa famille par les Allemands.<strong>Le</strong> Silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer paraît c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinement en février 1942, imprimé à 300 exemp<strong>la</strong>ires. <strong>Le</strong>s cahiers duSilence <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mer ont été pliés et cousus par Yvonne Paraf-Desvignes, une amie <strong>de</strong> Vercors, chez elle prèsdu Trocadéro à Paris, et collés sur <strong>la</strong> table <strong>de</strong> sa cuisine par Vercors lui-même.Cette première édition et <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> voit le jour grâce au mécénat (3 500 puis 5 000 francs) du professeurRobert Debré sollicité par Jean Paulhan.En 1943, Jacques <strong>Le</strong>compte-Boinet, dirigeant du mouvement Ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance, lors <strong>de</strong> son premiervoyage à Londres apporte avec lui, <strong>pour</strong> le général <strong>de</strong> Gaulle, <strong>de</strong>s exemp<strong>la</strong>ires <strong>de</strong>s œuvres éditées parles Éditions <strong>de</strong> Minuit, dont <strong>Le</strong> Silence <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer. Vercors en personne les lui a remis sur le pont <strong>de</strong>s Artsà Paris. Certains titres <strong>de</strong>s Éditions <strong>de</strong> minuit parvenus par d’autres canaux en Angleterre sont rééditéspar les services d’information et <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong> <strong>la</strong> France Libre puis parachutés en masse en <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><strong>la</strong> France par les avions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Royal Air Force.Comme Pierre <strong>de</strong> <strong>Le</strong>scure, Yvonne Paraf-Desvignes court <strong>la</strong> France <strong>pour</strong> récupérer les manuscrits. Elletransporte les plombs sur son vélo dans Paris et assure les liaisons entre les principaux soutiens <strong>de</strong>sEditions <strong>de</strong> minuit, dont Jean Paulhan (chez Gallimard), C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Morgan (à <strong>la</strong> direction <strong>de</strong>s muséesnationaux), Paul Éluard (à <strong>la</strong> librairie Cercle d’art), Jacques Debû-Bri<strong>de</strong>l (au ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine).Au début, <strong>la</strong> diffusion est assurée par <strong>de</strong>s jeunes d’un mouvement <strong>de</strong> résistance ami. Mais les fi<strong>la</strong>tures<strong>de</strong> <strong>la</strong> police auxquelles sont soumis ces jeunes résistants mettent en danger les Éditions <strong>de</strong> minuit.Aussi, très rapi<strong>de</strong>ment, ce sont à <strong>de</strong>ux jeunes femmes « <strong>de</strong> bonne famille », sans lien avec d’autresmouvements <strong>de</strong> résistance, qu’est confiée <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong> répartir à vélo en différents points <strong>de</strong> Paris lesouvrages édités. <strong>Le</strong>s livres sont ensuite vendus sous le manteau. <strong>Le</strong> produit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente permet <strong>de</strong> payerles imprimeurs et les bénéfices (300 000 francs en 2 ans et <strong>de</strong>mi) sont distribués par le Comité national<strong>de</strong>s Ecrivains (CNE) aux familles <strong>de</strong>s imprimeurs et ouvriers typographes tombés sous les coups <strong>de</strong> <strong>la</strong>répression (internés, déportés, fusillés).<strong>Le</strong>s Editions <strong>de</strong> Minuit publient 24 autres titres jusqu’à <strong>la</strong> Libération, tirés à environ 500 exemp<strong>la</strong>ireschacun.RÉSISTANCE 12/13 18
Partie 2<strong>Communiquer</strong><strong>pour</strong> s’organiseret agirUn passage <strong>de</strong> Paris, entre <strong>de</strong>ux rangées d’immeubles, ouvert <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés sur <strong>de</strong>ux voiespassantes. Un couple se retrouve, mais le regard <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme ne convergentpas l’un vers l’autre comme on s’y attendrait <strong>pour</strong> un ren<strong>de</strong>z-vous amoureux. Chacun observeavec attention une extrémité du passage d’où <strong>pour</strong>rait surgir le danger redouté. La seule autrepersonne présente n’est plus qu’une silhouette qui s’éloigne ; il est temps <strong>de</strong> transmettre lesquelques feuilles, qui disparaissent rapi<strong>de</strong>ment au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> poche ou du sac à main. Il fautmaintenant partir et gar<strong>de</strong>r cet air paisible, malgré les risques encourus.Échange <strong>de</strong> documents entre <strong>de</strong>ux résistants, photographie <strong>de</strong> Robert Doisneau, reconstitution, automne1944-printemps <strong>1945</strong> (© Atelier Robert Doisneau, U824).19RÉSISTANCE 12/13