3.2Faciliter et sécuriserles liaisons en FranceFaire face aux difficultés<strong>de</strong> transport<strong>Le</strong>s résistants sont confrontés comme l’ensemble<strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong> désorganisation<strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> transport. <strong>Le</strong> carburant<strong>de</strong>vient rapi<strong>de</strong>ment une <strong>de</strong>nrée rare et chère,les occupants se réservant <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>partie <strong>de</strong>s stocks disponibles. <strong>Le</strong>s substitutstrouvés (notamment les gazogènes qui fonctionnentau charbon) ne compensent quetrès partiellement les insuffisances.La pénurie touche également les pièces <strong>de</strong>rechanges. Tous les moyens <strong>de</strong> transportsont concernés. <strong>Le</strong>s moteurs sont l’objetd’une attention <strong>de</strong> tous les instants, afin <strong>de</strong>retar<strong>de</strong>r le plus possible <strong>la</strong> panne inévitable.<strong>Le</strong>s pneus et les chambres à air <strong>de</strong>viennentpresque introuvables et sont réparés presqueau-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce que leur usure normale rendpossible.Disposer d’une voiture ou d’un camion enétat <strong>de</strong> marche <strong>de</strong>vient compliqué et peutmême attirer l’attention car il faut en justifier<strong>la</strong> possession. Pourtant, ce type <strong>de</strong>véhicules est indispensable quand il s’agit<strong>de</strong> transporter <strong>de</strong>s chargements lourdsou encombrants (matériel d’imprimerie,armement issu d’un parachutage, etc.). <strong>Le</strong>srésistants se rapprochent donc <strong>de</strong>s professionnelsautorisés à circuler en voiture (personnels<strong>de</strong> santé, certains fonctionnaires ouresponsables <strong>de</strong> services publics, etc.) ou encamion (transporteurs, commerçants, artisans).<strong>Le</strong>s remorques <strong>de</strong>s tracteurs ou lescharrettes tirées par <strong>de</strong>s animaux sont trèssollicitées, mais le matériel <strong>de</strong> trait <strong>de</strong>s paysansest également surveillé <strong>de</strong> près, quand iln’est pas réquisitionné.La plupart <strong>de</strong>s résistants sont donc obligés<strong>de</strong> se dép<strong>la</strong>cer à pied ou à vélo, parfois sur<strong>de</strong> longues distances, ou d’utiliser les transportsen commun. <strong>Le</strong>s dép<strong>la</strong>cements à piedou à vélo ont l’avantage <strong>de</strong> <strong>la</strong> discrétionpuisque tout le mon<strong>de</strong> ou presque fait <strong>de</strong>même, mais il est suspect <strong>de</strong> circuler avecune valise trop lour<strong>de</strong> ou <strong>la</strong> remorque <strong>de</strong>son vélo trop chargée, car <strong>la</strong> police françaisetraque aussi les trafiquants du marché noir,qui voyagent rarement à vi<strong>de</strong>…En ville, les résistants peuvent emprunter lebus, le tramway ou le métro (à Paris), maisces moyens <strong>de</strong> transports ne sont pas sansinconvénients. Durant le trajet ou dans lesstations, les polices française et alleman<strong>de</strong>procè<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>s contrôles fréquents, commedans les trains et dans les gares.Ren<strong>de</strong>z-vous dans une rue <strong>de</strong> Lyon entreSuzette Erlich et un contact, reconstitutionà <strong>la</strong> Libération (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny, fonds Diamant).Faire face aux contrôlespermanentsEntre <strong>1940</strong> et 1944, les Français et les étrangerssont contrôlés en permanence. Policeet gendarmerie <strong>de</strong> l’État français, police etFeldgendarmerie <strong>de</strong> l’Occupant allemand multiplientles barrages, les interpel<strong>la</strong>tions etles vérifications d’i<strong>de</strong>ntités. La tâche doit setrouver facilitée par <strong>la</strong> loi d’octobre <strong>1940</strong> instaurantune carte d’i<strong>de</strong>ntité obligatoire danstoute <strong>la</strong> France, complétée par son marquage<strong>pour</strong> les juifs à partir <strong>de</strong> décembre 1942. Enfait, cette mesure a l’effet inverse, car ellepermet aux faussaires <strong>de</strong> talent <strong>de</strong> pouvoirfabriquer <strong>de</strong>s faux parfaits qui assurent uneprotection définitive à ceux qui peuvent enbénéficier. S’engage alors une course incessanteentre <strong>la</strong> police française qui améliore<strong>la</strong> tenue <strong>de</strong> ses fichiers et son système <strong>de</strong>vérification et les organisations <strong>de</strong> résistancequi inventent <strong>de</strong> nouvelles para<strong>de</strong>s(par exemple, ajouter d’autres documents,personnalisés, à <strong>la</strong> carte d’i<strong>de</strong>ntité) et diffusent<strong>de</strong>s conseils <strong>pour</strong> employer correctementles faux papiers fournis. <strong>Le</strong>s autorisations<strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tion (Ausweis) distribués parles Allemands connaissent les mêmes défail<strong>la</strong>ncesface à l’ingéniosité <strong>de</strong>s faussaires.<strong>Le</strong>s résistants profitent d’une technologiequi ne rend pas encore possible le croisementimmédiat <strong>de</strong>s fichiers et <strong>de</strong>s informationsdisponibles. Ces assurent à <strong>de</strong>s dizaines<strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> personnes une ou plusieursfausses i<strong>de</strong>ntités et <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> pouvoircontinuer à circuler : les frontières intérieuresentre les différentes zones peuventêtre franchies plus facilement, les limitations<strong>de</strong> circu<strong>la</strong>tions, en particulier lors ducouvre-feu, peuvent être contournées.Avoir <strong>de</strong> vrais papiers en règle ou <strong>de</strong> fauxpapiers qui semblent l’être tout autant nesuffit <strong>pour</strong>tant pas. <strong>Le</strong>s résistants qui sedép<strong>la</strong>cent sans rien <strong>de</strong> compromettant sureux savent que d’autres prennent d’énormesrisques <strong>pour</strong> faire passer du matériel ou <strong>de</strong>sdocuments d’un lieu à un autre. Certainsfont preuve d’un culot qui frise l’inconscience.<strong>Le</strong>s anecdotes sur les coups audacieuxne manquent pas, mais <strong>la</strong> chance n’estpas toujours au ren<strong>de</strong>z-vous. C’est <strong>pour</strong>quoiles résistants imaginent <strong>de</strong>s dispositifs – à<strong>la</strong> fois astucieux et dangereux car les policierspeuvent s’avérer plus malins que prévu– <strong>pour</strong> camoufler leurs activités <strong>de</strong> contreban<strong>de</strong>: les doubles fonds se multiplientdans les sacs à main, les valises, les coffres ;les cadres <strong>de</strong>s vélos <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s tubesoù l’on cache discrètement <strong>de</strong>s documents ;les légumes recouvrent les tracts au fonddu panier ; le chargement <strong>de</strong> charbon ducamion, si salissant, dissua<strong>de</strong> d’aller chercherle container qui se trouve <strong>de</strong>ssous ; lejeune enfant que promène sa mère ignorequ’une arme est cachée dans son <strong>la</strong>ndau.<strong>Le</strong>s résistants qui ont <strong>de</strong>s contacts avec lesservices <strong>de</strong> renseignement disposent quantà eux <strong>de</strong> microfilms et <strong>de</strong> caches sophistiquées,mais ces gadgets technologiquesrestent d’un usage restreint.<strong>Le</strong> quotidien <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> liaison<strong>Le</strong>s agents <strong>de</strong> liaisons ont un rôle fondamentaldans <strong>la</strong> Résistance. Ils assurent <strong>la</strong> continuité<strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions entre <strong>la</strong> direction et <strong>la</strong> base <strong>de</strong>sorganisations puis entre les organisations ellesmêmes.En ce<strong>la</strong>, ils permettent <strong>la</strong> complémentaritéet <strong>la</strong> coordination <strong>de</strong>s activités, rendantl’action <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance plus efficace.Être agent <strong>de</strong> liaison suppose une bonne santécar il faut parcourir <strong>de</strong>s distances importantes, àpied, à vélo ou en transport en commun. Il fautaussi une bonne mémoire car, par mesure <strong>de</strong>sécurité, les lieux et les heures <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vouscomme les caractéristiques physiques et lespseudonymes <strong>de</strong>s contacts doivent être apprispar cœur. Souvent, l’information à transmettredoit elle aussi être mémorisée, mais l’agent <strong>de</strong>liaison peut aussi avoir sur lui <strong>de</strong>s documents àtransmettre. Il lui faut alors être capable <strong>de</strong> s’endébarrasser au plus vite en cas <strong>de</strong> problème (lepapier pelure, peu épais, s’avale re<strong>la</strong>tivementfacilement…) C’est aussi l’agent <strong>de</strong> liaison quiaccompagne les responsables convoqués lors<strong>de</strong>s réunions qui se multiplient à mesure que <strong>la</strong>Résistance gagne en ampleur et en complexité.Ces agents sont très souvent <strong>de</strong>s femmes et <strong>de</strong>sadolescent(e)s. En effet, les jeunes hommessont plus contrôlés que les jeunes femmes, caron recherche les réfractaires du STO à partir <strong>de</strong>1943 ; par ailleurs, les femmes sont considéréescomme moins dangereuses que les hommesselon les mentalités <strong>de</strong> l’époque et sont doncmoins suspectes.RÉSISTANCE 12/13 22
Faire face à l’intensification<strong>de</strong>s échangesÀ mesure que <strong>la</strong> Résistance se développe ets’organise, <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s personnes, dumatériel et <strong>de</strong>s documents s’intensifie. Cechangement d’échelle oblige à recourir àd’autres procédures. Des complicités sontrecherchées dans les administrations etles services qui gèrent les moyens <strong>de</strong> transportet <strong>de</strong> communication. <strong>Le</strong>s agents <strong>de</strong> <strong>la</strong>SNCF sont sollicités dès les premiers mois<strong>de</strong> l’Occupation afin <strong>de</strong> faciliter le passage<strong>de</strong> <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> démarcation entre les zonesNord et Sud. Jusqu’à <strong>la</strong> Libération, le personnelrou<strong>la</strong>nt prend en charge <strong>de</strong>s hommeset <strong>de</strong>s femmes <strong>pour</strong>chassés dans le cadre <strong>de</strong>filières spécialisées, assure l’acheminementen quantités <strong>de</strong> plus en plus importante <strong>de</strong>journaux et <strong>de</strong> tracts c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins. <strong>Le</strong> personnelsé<strong>de</strong>ntaire sert <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is au départet à l’arrivée, dans les gares <strong>de</strong> voyageurs etles gares <strong>de</strong> triage. <strong>Le</strong>s agents <strong>de</strong>s PTT (poste,télégraphe et téléphone) peuvent ai<strong>de</strong>r à <strong>la</strong>circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s informations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance,mais leur travail, très sensible, esttrès surveillé. C’est <strong>pour</strong>quoi le mouvementDéfense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France choisit d’imprimer <strong>de</strong>faux timbres postaux afin <strong>de</strong> pouvoir diffuserà moindre frais son journal c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stin,en comptant sur <strong>la</strong> complicité <strong>de</strong>s postierschargés du tri et <strong>de</strong> <strong>la</strong> distribution. Des boîtesà lettres parallèles sont mises en p<strong>la</strong>ce : ellesne reçoivent pas le courrier adressé par voiepostale, mais sont approvisionnées et relevéespar <strong>de</strong>s résistants. Si certaines sont <strong>de</strong>vraies boîtes, d’autres sont en réalité <strong>de</strong>spersonnes qui acceptent, malgré le danger,<strong>de</strong> servir d’intermédiaires aux échanges <strong>de</strong>lettres et <strong>de</strong> documents, sans poser <strong>de</strong> questions.À Paris, à <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération, <strong>la</strong> Résistancepeut compter sur le personnel <strong>de</strong> <strong>la</strong>Société <strong>de</strong>s transports en commun <strong>de</strong> <strong>la</strong>région parisienne (STCRP) et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Compagniedu chemin <strong>de</strong> fer métropolitain <strong>de</strong> Paris(CMP). <strong>Le</strong> réseau téléphonique du métropermet aux résistants parisiens <strong>de</strong> communiquerentre eux sans passer par le réseauordinaire sous contrôle allemand.■ Voulez-vous voyager dans <strong>de</strong> bonnesconditions ?, Office du Tourisme français,1943 (coll. Musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistance nationale/Champigny)Cette brochure propose en réalité sous untitre anodin le Manuel du faussaire 1943 contenant<strong>de</strong>s recommandations aux jeunesréfractaires du Service du travail obligatoire(le départ contraint en Allemagne estdésigné comme une déportation).« Pour utiliser le matériel qui accompagnecette notice, il est indispensable <strong>de</strong> suivre à<strong>la</strong> lettre les instructions contenues dans lepetit « Manuel du Faussaire 1943 ».<strong>Le</strong>s Français désireux <strong>de</strong> se soustraire aucontrôle policier et à <strong>la</strong> déportation <strong>de</strong>vrontlire attentivement les textes très stricts quisont énoncés dans ce Manuel. À cette condition,ils <strong>pour</strong>ront faire un usage heureuxet efficace <strong>de</strong>s pièces d’i<strong>de</strong>ntité que le CAD[Comité d’action contre <strong>la</strong> déportation] metà leur disposition. »Fausse carted’i<strong>de</strong>ntité prêteà remplir, datéedu 27 février1943 (coll. Musée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Résistancenationale/Champigny)<strong>Le</strong> ren<strong>de</strong>z-vous « ambu<strong>la</strong>nt »C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Bour<strong>de</strong>t, un <strong>de</strong>s dirigeants du mouvement Combat, évoque ses ren<strong>de</strong>z-vous c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stins à Lyon.Peu à peu, par surcroît <strong>de</strong> sécurité, nous commençâmes à utiliser <strong>pour</strong> nos ren<strong>de</strong>z-vous<strong>de</strong> travail les rencontres « ambu<strong>la</strong>ntes ». On se donnait ren<strong>de</strong>z-vous à l’extérieur, dans unerue, sur un certain trottoir et à peu près à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> tel ou tel numéro, ou sur un quaidu Rhône ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> Saône. Il fal<strong>la</strong>it être très précis <strong>pour</strong> ne pas manquer l’interlocuteur, cequi ne <strong>la</strong>issait pas <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s problèmes à certains camara<strong>de</strong>s incurablement inexacts,comme moi. J’arrivais tout <strong>de</strong> même à m’obliger à une précision re<strong>la</strong>tive, et surtout inventais(je crois) une métho<strong>de</strong> qui me paraissait encore plus sûre et avait l’avantage capital<strong>de</strong> me donner une légère <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> horaire : nous nous fixions, non pas un emp<strong>la</strong>cementprécis, mais un parcours, par exemple entre le 25 et le 55 du cours La Fayette. L’un prenaitle parcours dans un sens, l’autre en sens contraire, et ce<strong>la</strong> permettait <strong>de</strong> ne pas stationneravec l’air d’attendre quelqu’un. Fatalement, au bout d’un quart d’heure <strong>de</strong> marche aumaximum, on finissait par se rencontrer.Extrait <strong>de</strong> C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Bour<strong>de</strong>t, L’aventure incertaine. De <strong>la</strong> Résistance à <strong>la</strong> Restauration, Editions du Félin, 1998, page 124.23RÉSISTANCE 12/13