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<strong>Circostrada</strong><strong>Network</strong>La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilAnne GononJean-Pierre CharbonneauDragan KlaicAlix de MorantJoanna OstrowskaRamón ParramónChristian RubyStéphane Simon<strong>in</strong>Cor<strong>in</strong>a Suteu & Cristian NeagoeYohann Floch (coord.)Les Artsen l’espace public :la création contempora<strong>in</strong>ecomme outil / septembre 2008


Les Artsen l’espace public :la création contempora<strong>in</strong>ecomme outilSommaireIntroduction........................................................................................................................................... p. 3Stéphane Simon<strong>in</strong>Urbanisme et arts de la rue.......................................................................................................... p. 4Jean-Pierre CharbonneauSpectator <strong>in</strong> fabula – ce que le théâtre de rue fait aux spectateurs................... p. 6Anne GononL’Art public : entre spectacle (de rue) et spectaculaire................................................ p. 9Christian RubyCréations nomades......................................................................................................................... p. 12Alix de MorantLe Passage d’un théâtre de rue à un théâtre pour l’espace public................... p. 15Joanna OstrowskaUne action artistique qui revendique l’espace public.............................................. p. 18Dragan KlaićLes Arts n’ont pas à savoir comment se comporter –un commentaire sur les arts de la ruedans les environnements urba<strong>in</strong>s contempora<strong>in</strong>s..................................................... p. 21Cor<strong>in</strong>a Suteu & Cristian NeagoeArt, espace public et centres pour la création............................................................... p. 26Ramón ParramónRemerciements à notre assistante de coord<strong>in</strong>ation Sanae Barghouthi a<strong>in</strong>si qu’aux traducteursDavid Ferré, Gille Maillet, Amber Ockrassa et Brian Qu<strong>in</strong>n.Ce projet a été f<strong>in</strong>ancé avec le soutien de laCommission européenne. Cette communicationn’engage que son auteur et la Commission n’estpas responsable de l’usage qui pourrait être faitdes <strong>in</strong>formations qui y sont contenues.Photo : © Florence Delahaye - Conception graphique Mar<strong>in</strong>e Hadjes


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outild’aménagement doit donc les rendre possibles (laisser certa<strong>in</strong>es ruestrès libres pour accueillir les manifestations, faciliter l’évacuation dela foule facilitée en direction du métro…). L’exemple du centre-villede Sa<strong>in</strong>t-Denis est à ce titre <strong>in</strong>téressant.À l’occasion du Mondial 98, un défilé mémorable avait été organisé,la “Carnavalcade”, qui traversait du Nord au Sud la ville renduepiétonne et rassemblait plusieurs milliers de personnes. Lorsqu’ils’est agi de rénover le centre et notamment ses espaces publics,le souvenir de cet évènement a conduit à choisir comme un desobjectifs de faire de ce territoire une grande scène urba<strong>in</strong>e, permettantà l’avenir que tout évènement de ce type puisse trouver saplace. D’ailleurs, depuis que les travaux sont term<strong>in</strong>és, une véritableprogrammation a été mise en place qui donne leur cohérence auxactions culturelles ou par exemple sportives programmées et faitdes espaces du centre un véritable équipement de la ville.La plupart des édiles en ont conscience qui ont fait des fêtes, desévènements culturels dans la rue des moments de la vie de leur cité,les <strong>in</strong>cluant même dans leur stratégie, dans leur projet politique.Le Défilé de la Biennale de la danse de Lyon est significatif decette adhésion, puisqu’il rassemble au cœur même de la ville, tousles deux ans, en septembre, des écoles de danse formées par desprofessionnels et venues des différents quartiers sensibles de RhôneAlpes. Il est en cela en parfaite cohérence avec la politique d’urbanismepoursuivie depuis des années dans le Grand Lyon et qui viseà redonner à ces quartiers périphériques les qualités, les services, ladignité auxquels tout quartier de l’agglomération a droit.Alors, une relation pacifiée, domestiquée entre créateurs et aménageurs,créateurs et politiques ?Il ne s’agit pas de cela mais de la possibilité, de la nécessité, en démocratie,que la rue soit le théâtre de l’expression publique, revendicative,festive ou créative. L’on doit d’ailleurs en ce sens accepter latransgression, le détournement qui eux aussi sont facteurs de dynamismeet de vivacité. N’y aurait-il pas grand danger à ne montrer dela société urba<strong>in</strong>e qu’une vision éthérée, à gommer les oppositions ?Alors que les laisser s’exprimer, permettre que soient mises à jour lestensions, les contradictions, peut être tout à fait fécond, salutaire,peut-être aussi le signe d’une réelle <strong>in</strong>ventivité. À la société localeensuite de réguler les conflits, de se protéger parfois, selon les règlesde la démocratie, contre les excès éventuels de cet usage légitimequ’est l’expression dans l’espace urba<strong>in</strong>. Dans ce cadre, on peutdéf<strong>in</strong>ir les acteurs des arts de la rue plus comme des partenaireslégitimes des autorités plutôt que comme des <strong>in</strong>struments utiliséspar les politiques dans leur projet. Même s’il peut tout à fait y avoirconcordance d’<strong>in</strong>térêt ce qui n’est pas en soi un problème.À Lyon également, une recherche est engagée à l’échelle de l’agglomérationpour que l’objectif des aménagements à venir soitd’abord la création d’un territoire confortable et accueillant pourtous, dans des temporalités pas trop lo<strong>in</strong>ta<strong>in</strong>es. Il est envisagé pourcela à la fois de la rénovation lourde et des changements d’usagesdes espaces rapides et à peu de frais. Dans ce cadre, les arts de larue pourraient être sollicités (le projet est en cours d’étude) commeoutils d’expérimentation de la manière dont pourrait vivre dans laville et ses quartiers, une ville d’aujourd’hui et non une cité-muséeou une copie de la vie urba<strong>in</strong>e au XIX e siècle. Instrumentalisation ourecherche commune ?On y retrouve la rue centrale mais aussi les cœurs de quartier, lesberges de fleuves, les sites d’exception, les parcours entre les quartiers,entre les lieux pr<strong>in</strong>cipaux… Se construit a<strong>in</strong>si une meilleurecompréhension des lieux, des tensions ou des ruptures. De mêmel’aménagement urba<strong>in</strong> ou l’organisation d’évènements dans la ruemobilise des approches, des savoirs qui touchent à la complexitémême des usages de l’espace public. Il faut que les pompiers puissentpasser, assurer la livraison des commerces, obtenir des autorisationsde tous ceux qui ont leur mot à dire sur l’utilisation del’espace. Il faut assurer la sécurité des personnes, utiliser du matérielcapable d’assumer les multiples sollicitations dans l’espace public. Ilfaut vérifier que les déplacements à pied se feront dans de bonnesconditions, organiser l’accès en voiture ou en transports en communà une échelle bien plus large qui sollicite le fonctionnement de laville toute entière… L’on touche à la complexité même de l’urba<strong>in</strong> etil n’est que de voir pour s’en conva<strong>in</strong>cre le nombre de démarches àfaire, la multiplicité des obstacles qu’il faut surmonter, pour rendrepossible tout changement provisoire ou déf<strong>in</strong>itif.Les arts de la rue peuvent être un des outils de l’urbaniste concernantles pratiques de l’espace public. Nous avons commencé à développercette approche de manière plus systématique au travers desaménagements d’anticipation qui consistent à commencer à fairevivre de manière provisoire des lieux en mouvement (après que desbâtiments ont été démolis, en attente de nouveaux équipements, denouvelles constructions…). Il s’agit de construire des propositions àla fois d’usages urba<strong>in</strong>s et d’animation en s’appuyant sur les acteurslocaux (éducatifs, culturels, sociaux…), manière de les mobiliser pourqu’ils participent à la gestion du présent de leur territoire et anticipentson futur. On ne fige pas tout de suite mais on expérimente, etl’on attend de voir. Mais on mobilise aussi, et l’on met a<strong>in</strong>si l’accentsur l’importance du provisoire et sur les choix qui devront de toutefaçon être faits.Il ne s’agit pas d’une méthode <strong>in</strong>tangible mais juste d’une pratiqueà un moment, dans un territoire et des circonstances. Car les passerellesà construire sont mo<strong>in</strong>s déjà là qu’elles n’ont à être imag<strong>in</strong>éesavec les acteurs pour chaque lieu. Mais se crée a<strong>in</strong>si une belle offrede sens pour des projets à venir et des possibilités enthousiasmantespour la vitalité de la société urba<strong>in</strong>e.Il existe un certa<strong>in</strong> nombre de similitudes entre les compétences desprofessionnels de l’urba<strong>in</strong> ou des arts de la rue. A<strong>in</strong>si par exemple leslieux de la fête dess<strong>in</strong>ent une géographie des usages d’une cité et deses pratiques qui recoupe bien souvent les analyses des urbanistes. / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilfixé orig<strong>in</strong>ellement – l’ouverture constante de nouveaux territoiresde l’art et la rencontre avec de nouveaux publics. Les programmateursne sont pas exempts d’une responsabilité tout aussi cruciale.À eux de se montrer ambitieux dans leurs choix de programmationet d’imag<strong>in</strong>er des modalités <strong>in</strong>novantes de médiation. Si les créationsde la rue, en <strong>in</strong>vestissant l’espace public, ont longtemps étépensées comme des œuvres <strong>in</strong>tégrant leur propre médiation, il esttemps de réhabiliter les vertus d’un travail de territoire, approfondi,auprès des populations. Seul cet ouvrage, dans la durée, permet derécolter les fruits de l’éphémère, semé au co<strong>in</strong> de la rue.1 La vie, c’est simple comme Courcoult. Entretien avec Jean-Luc Courcoult. LeBullet<strong>in</strong> de HorsLesMurs, 2005, n°30, p.4.2 Cet article s’<strong>in</strong>téresse au théâtre de rue, mais les réflexions qu’il développes’étendent à l’ensemble du champ des arts de la rue dans la mesure où la plupartdes propositions artistiques, y compris celles qui ne relèvent pas directement duthéâtre (danse, musique, etc.), organisent un temps de représentation, c’està-direune situation de confrontation entre des regardés (les <strong>in</strong>terprètes) etdes regardants (un passant, un spectateur, un habitant à sa fenêtre, etc.).Cette configuration de représentation presque systématiquement convoquée(avec des formats extrêmement divers) permet d’affirmer que les arts de la ruerelèvent bien du théâtre.3 Sur l’émergence du public comme “question” au se<strong>in</strong> du champ théâtral, voirl’ouvrage de Marie-Madele<strong>in</strong>e Mervant-Roux, Figurations du spectateur. Uneréflexion par l’image sur le théâtre et sur sa théorie. Paris : L’Harmattan, 20064 cf. Nicolas Bourriaud, L’Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel,1998.5 cf. Paul Ardenne, Un art contextuel : création artistique en milieu urba<strong>in</strong>, ensituation, d’<strong>in</strong>tervention, de participation, Paris, Flammarion, 2002.6 Les arts de la rue constituent, on le sait, un champ discipl<strong>in</strong>aire difficile àborner. Qu’entend-on par “la rue”, “l’espace urba<strong>in</strong>” ? Des compagnies œuvrentdans des espaces conf<strong>in</strong>és (d’une école à un supermarché, des coulisses d’unesalle à une baraque fora<strong>in</strong>e) tandis que d’autres se produisent dans des villagesde campagne, voire à l’échelle de paysages (champs, plages, etc.). Nousproposons de retenir comme déf<strong>in</strong>ition de travail large et non limitative le pluspetit dénom<strong>in</strong>ateur commun à tous : l’espace <strong>in</strong>vesti n’est pas préaffecté auspectacle.7 Sur ce po<strong>in</strong>t, voir Cather<strong>in</strong>e Avent<strong>in</strong>, Les Espaces publics urba<strong>in</strong>s à l’épreuve desactions artistiques. Thèse de doctorat en Sciences pour l’<strong>in</strong>génieur, spécialitéarchitecture, direction Jean-François Augoyard, Ecole Polytechnique de Nantes,2005.8 Denis Guénoun, Scènes d’extérieur, conférence-débat n°1 du cycle deconférences-débats sur les arts de la rue Scènes Invisibles. Théâtre Paris-Villette, Paris, 30 janvier 2006.9 Jean-Jacques Delfour, “Rues et théâtre de rue. Habitation de l’espace urba<strong>in</strong> etspectacle théâtral.” Espaces et Sociétés, Les Langages de la rue, 1997, n°90-91,p.154.10 idem, p.155.11 Le Théâtre de l’Unité a dirigé la Scène nationale de Montbéliard, alors rebaptiséeLe Centre d’art et de plaisanterie, de 1991 à 2000. La compagnie est désormaisimplantée à Aud<strong>in</strong>court (www.theatredelunite.com).12 Emmanuel Wallon, “La Mobilité du spectateur”, Etudes Théâtrales, n°41-42/2008, pp.205-206.13 Pour plusieurs de détails, voir la typologie développée dans notre thèse dedoctorat en sciences de l’<strong>in</strong>formation et de la communication : Ethnographiedu spectateur. Le théâtre de rue, un dispositif communicationnel analyseurdes formes et récits de la réception, direction Serge Chaumier, Université deBourgogne, 2007.14 La compagnie 26000 couverts, dirigée par Philippe Nicolle, est implantéeà Dijon. Le spectacle Le Sens de la visite n’est aujourd’hui plus au répertoire(www.26000couverts.org).15 Marie-Madele<strong>in</strong>e Mervant-Roux propose l’image de l’association, plutôtque celle de la participation qui lui semble <strong>in</strong>correcte, à propos de la placeparticulière du public dans 1789 du Théâtre du Soleil. Voir Marie-Madele<strong>in</strong>eMervant-Roux, L’Assise du théâtre. Pour une étude du spectateur, Paris, CNRS,1998, p.94.16 Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre post-dramatique, Paris, L’Arche, 2002, p.92.17 Extrait d’un entretien mené avec une spectatrice, dans le cadre de notre thèse.18 Erv<strong>in</strong>g Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne. Volume I – La Présentationde soi, Paris, M<strong>in</strong>uit, 1973, p.102.19 Hans-Thies Lehmann, op.cit., p.134.20 Voir à ce sujet “Le théâtre de rue, Un théâtre du partage”, Etudes Théâtrales,n°41-42/2008.21 Voir Jean Caune, La Démocratisation culturelle. Une médiation à bout de souffle,Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2006.22 Les quelques études statistiques à disposition le démontrent. Voir notamment :Les Publics des arts de la rue en Europe, Cahiers HorsLesMurs, n°30, 2005 ouNational Street Arts Audience, Independent Street Arts <strong>Network</strong> (ISAN), summer2003 (www.streetartsnetwork.org.uk).septembre 2008 /


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilL’Art public :entre spectacle (de rue) et spectaculaireChristian RubyDocteur en philosophie et enseignant (Paris,Christian Ruby a publié plusieurs ouvrages : Devenircontempora<strong>in</strong> ? La couleur du temps au prisme del’art, Paris, Le Fél<strong>in</strong>, 2007 ; L’Âge du public et duspectateur, Essai sur les dispositions esthétiques etpolitiques du public moderne, Bruxelles, La Lettre volée,2006 ; Schiller ou l’esthétique culturelle. Apostille auxNouvelles lettres sur l’éducation esthétique de l’homme,Bruxelles, La Lettre volée, 2006 ; Nouvelles Lettres surl’éducation esthétique de l’homme, Bruxelles, La Lettrevolée, 2005.C’est un fait désormais bien établi, passé dans les mœurs publiquesdu temps au terme d’une trenta<strong>in</strong>e d’années d’exercice, etlargement apprécié du public. Les municipalités, les régions etl’État promeuvent des spectacles de rue et des spectacles à expansiondans l’espace urba<strong>in</strong> de plus en plus nombreux. Le public yprend des formes décontractées, excitées par des découvertes,illum<strong>in</strong>ées et conviviales.Mais justement, ce fait multiplié et constamment reconduitsuscite une <strong>in</strong>terrogation politique, en marge de la qualité desspectacles (souvent <strong>in</strong>déniable) et de leur manière propre de fairejouer la différence entre les genres artistiques :1 – Quels espoirs esthétiques (agrégation et agrément) et/ouciviques (formation d’un corps politique) les <strong>in</strong>stances politiquesmettent-elles dans la déambulation publique suscitée ?2 – Peut-on comparer sur ce plan des arts publics les effets potentielsdes spectacles de rue et ceux de l’art contempora<strong>in</strong> public ? 1Le ressort de cette double question – qui n’est pas artistique maisesthétique et politique — est mo<strong>in</strong>s ancré dans les problèmesposés par le contenu de ces spectacles que dans la configurationqu’ils imposent à la rue et à la foule dans son rapport au politique,a<strong>in</strong>si que dans la confrontation entre les différentes formesd’art public du présent <strong>in</strong>également valorisées par les <strong>in</strong>stancespolitiques. Ressort d’une double question, parce qu’elle contientla matière de réflexion suivante : d’un côté les spectacles urba<strong>in</strong>s,par la déambulation qu’ils imposent, réfutent l’idéal classiqued’un public récepteur, statique et attentif devant les œuvres d’artpublic, approuvant en silence les bienfaits des valeurs communescélébrées ; de l’autre, si l’art public contempora<strong>in</strong> opère non mo<strong>in</strong>sla critique de l’art public classique, il affirme dans le même tempsque le spectacle, de nos jours, nous sépare de nous-mêmes 2 . Dèslors, il se fait simultanément critique du spectacle de rue qui frayeavec ce piège, confondant sans doute capacités structurantes dela société et agrégation momentanée.La confrontation entre les deux pratiques artistiques pourraits’exprimer a<strong>in</strong>si : l’art contempora<strong>in</strong> propose plutôt au public des’exiler du spectaculaire af<strong>in</strong> d’en venir à la confrontation desspectateurs (<strong>in</strong>terférence, coopération <strong>in</strong>terprétative) entre euxpour mieux critiquer le spectacle, tandis que le spectacle de ruerajoute du spectacle au spectacle en croyant pouvoir le contenir? À défaut d’une solution, il y a bien là au mo<strong>in</strong>s l’énoncé d’unproblème.Parlons donc des spectacles de rue (par exemple des compagniesRoyal de Luxe, Transe Express, Pied en Sol, Retouramont 3 , pourceux que nous connaissons bien) du po<strong>in</strong>t de vue esthétique,c’est-à-dire du po<strong>in</strong>t de vue de ce qui est ou fait “public” dansces arts (être placés en public, agir sur le public, tenir un propospublic et être soutenu par des fonds publics 4 ). Ce sont des artsen mouvement dans les lieux urba<strong>in</strong>s, et ils posent les problèmesesthétiques de manière différente de celle qui <strong>in</strong>spire les artsdans la rue, ceux qui n’assurent qu’une présence immobile sur lestrottoirs, sur des lieux fixes, au po<strong>in</strong>t de les meubler et non de lesmobiliser en même temps que la foule des spectateurs-auditeurs.Ces spectacles, en effet, impliquent à la fois une modificationmomentanée de la dest<strong>in</strong>ation jonctive (urbanistique) de la rue 5et une modification du rapport à la foule dans la rue, s’agissantalors mo<strong>in</strong>s de spectateurs qui font du surplace et devant lesquelsse réalise (théâtre de tréteaux) ou passe (défilé) le spectacle, quede foules qui se meuvent avec le spectacle et dont la mobilité estconstitutive de celui-ci.Première question : celle de nos classements. Quelle catégoriepermet de penser ces arts ? Ils sont certes présentés dans les lieuxpublics, devant un public mo<strong>in</strong>s restre<strong>in</strong>t et plus différencié quecelui des arts de la scène, mais ne sont pas seulement des arts defoule. Ce sont aussi des arts du parcours, des arts de lieux ouvertset d’événements publics potentiellement pré-politiques. Neparlant pas ici de l’action de rue-spectacle directement politique,militante (de quartier ou en faveur d’une cause), ou des artistesactivistes(des <strong>in</strong>terventions urba<strong>in</strong>es faites pour troubler l’ordrepublic avec humour et vivacité, a<strong>in</strong>si qu’il en va pour Les Voix deBelleville ou Reclaim the streets, pratiquant l’activisme urba<strong>in</strong>, unevolonté de reprendre la rue contre les manifestations officielles,un détournement et une occupations non autorisées), le tributpayé à la cité est pré-politique dans la mesure où il se cantonneà la question : après tout, qui a droit à la rue, qui peut s’y exposeren se donnant en public, fût-ce de manière festive ?Deuxième question : celle du verbe qui convient pour caractériserla mobilisation ? Parlerons-nous d’un art de la déambulation ?Mais déambuler, c’est marcher sans but précis, selon la fantaisie(presque flâner). Or, ce n’est pas le cas. La foule est liée au spectacle,la déambulation a un but et peu de fantaisie (à part la bonhomie,la presse ou les mouvements imprimés par le spectacle).Dirons-nous alors plutôt un art du parcours ? On ne peut toutefoiss’empêcher de reconnaître que d’autres formes d’art relèventaussi d’un parcours. Encore ce dernier peut-il être physiquementstatique (Diderot parcourant les œuvres picturales avec les yeux,dans les Salons), ou dynamique dans l’espace (ce qui serait le cas / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outildu Méridien de Paris de Jan Dibbets, cette œuvre qui ne se totalisequ’au cours de la marche) ou encore dynamique dans le temps(ce serait le cas des Stalker, à Rome notamment, de cette manièred’approcher les choses urba<strong>in</strong>es “qui est tout ce qui reste quandtous les po<strong>in</strong>ts de repère ont disparu et que plus rien n’est sûr”,mais qui prend le risque d’une certa<strong>in</strong>e s<strong>in</strong>gularité dans la déambulation).Alors, quel verbe proposer pour souligner l’orig<strong>in</strong>alité deces arts de la rue ?Troisième question : quel est le statut de la foule, qui est, <strong>in</strong>sistons-y,<strong>in</strong>tégrée en eux comme foule ? D’abord son statut concret.Pour employer les catégories de Jean-Paul Sartre, dans la Critiquede la raison dialectique 7 , s’agit-il d’une foule sérielle (accomplissantla synthèse passive d’une simple somme), d’un groupe (exprimantune liberté collective) ou d’une masse organisée (répondantau double agencement d’une forme sérielle <strong>in</strong>tériorisée et d’unedirection du mouvement) ? Nous penchons évidemment pourl’idée d’un passage, au cours du spectacle, de la première catégorieà la deuxième. Ce qui rend acceptable d’ailleurs la revendicationde nombreux organisateurs de produire des spectaclesanti-<strong>in</strong>dividualistes. Mais ce qui oblige à se demander quelle f<strong>in</strong>est réalisée. Notons-le, certa<strong>in</strong>s politiques ne sont pas mécontentsd’attirer ces spectacles sur le territoire de leur action af<strong>in</strong> de faciliterla création, dans une ville par exemple, d’un récit commun auxhabitants à la faveur d’un spectacle ouvert à l’<strong>in</strong>différenciationdes publics, un récit mémoriel, mais aussi un récit urba<strong>in</strong>, propre àfavoriser la cohésion de la ville, qui au beso<strong>in</strong> (ou au mieux) peutreposer sur des récits se croisant pour déployer une atmosphèreurba<strong>in</strong>e consensuelle. Dans ce cas, le récit de la manifestation estcensé fédérer localement (la ville, le territoire, la région), parcequ’il <strong>in</strong>stitue une identité narrative qui peut conférer des significationsà l’urba<strong>in</strong>, ou participer à la redéf<strong>in</strong>ition d’un territoire,souvent neutralisé ou banalisé par une architecture pauvre.En ce sens, l’art peut bien passer pour le symbole du renouveaulocal. On l’attire à proportion du travail de médiation impliciteau se<strong>in</strong> de la population locale qu’il est censé opérer. Il fait flottersur “les gens” ce mode de cohésion si abstrait qui relève del’<strong>in</strong>strumentalisation.De ce fait, une quatrième question devient centrale, quoique la réponsesoit déjà impliquée : comment faire “public” dans une logiquedes flux ? Le discours de justification selon lequel ces arts vont audevantdes habitants ne suffit pas à répondre. Ajouter qu’ils s’adressentà “tous” reste aussi limité, surtout si le propos oppose un peuva<strong>in</strong>ement les arts de la rue et l’art contempora<strong>in</strong> autour du couplepopulaire-élite. Plus profondément, ces arts modifient notre conceptiondu public-assistant. Cela implique de tenir compte d’autresformes de sociabilité que celle du public au sens du XVIII e siècle.La question est donc celle du rapport envisageable entre la fouleet un public, celle du mode de structuration opéré par le spectacleurba<strong>in</strong> au cœur des rapports différentiels au monde du spectacle.Et pour en revenir à une donnée essentielle de l’esthétique classique: où est le commun esthétique, où est le collectif, comment sejoue le public dans ces formes artistiques ?Rappelons alors que l’esthétique classique corrèle à l’œuvre unpublic qui communie avec ferveur autour d’elle ; le public, eton le justifie aisément par le jugement esthétique 8 , met alorsen œuvre une structure cognitive et physique du commun, par<strong>in</strong>tériorisation collective des valeurs : horizon d’attente de lacélébration ensemble de la valeur-œuvre, aura de l’œuvre, etvécu de la cérémonie.On connaît bien désormais le fonctionnement de la figure du senscommun dans la relation à l’œuvre unique, statique. Il renvoie àdes fasc<strong>in</strong>ations, des excitations, des acclamations lors de cérémonies,ou des applaudissements… Les rites de commémoration oud’<strong>in</strong>auguration sont des moments de réveil d’émotions collectivesplus ou mo<strong>in</strong>s <strong>in</strong>tenses et contagieuses, extrêmement standardisées.S’y déploie un sentiment d’<strong>in</strong>tégration, au mo<strong>in</strong>s momentanément,au groupe physiquement présent. Or, l’esthétique duspectacle de rue repose sur un public qui s’étire dans l’espace,peu concentré, multi-préoccupé, et il n’est pas immédiatementtraversé par la conscience ou l’image d’un tout à former. Ce n’estcertes pas un public passif, et il existe même en lui un potentielcritique de masse, mais <strong>in</strong>visible encore parce qu’il déborde lesfrontières habituelles, par le fait d’œuvres qui parfois placent lefestif en avant de l’artistique au cours du parcours, et qui n’arriventpas toujours à <strong>in</strong>venter un nouveau sensible et de nouveauxpartages du sensible, ou, lorsqu’elles les <strong>in</strong>ventent supposenttoujours autant de maîtrise des codes pour les rendre effectifs.En déf<strong>in</strong>itive, les éléments a<strong>in</strong>si condensés nous reconduisentau problème. D’un côté, du côté de l’art public contempora<strong>in</strong>,se déploie un geste visible, et tentant d’<strong>in</strong>terroger une communautépolitique potentielle à défaut d’être actuelle ; de l’autre, unedispersion à tonalité euphorique, qui est réunie à l’encontre d’uneautre séparation formelle (l’<strong>in</strong>dividualisme) mais qui ma<strong>in</strong>tientces séparations dans le cadre même de la foule. Bien sûr, certa<strong>in</strong>sspectacles vivants échappent à cela, lesquels prennent à parti lacollectivité, tandis que certa<strong>in</strong>es œuvres d’art public se laissentaller à la décoration 10 .Mais ce qui importe, c’est de revenir à la question de fond. Si dansson histoire, l’art public républica<strong>in</strong> (du mo<strong>in</strong>s en France) avaitvocation à la formation d’un sens commun sensible dans les lieuxpublics (une identité, un sentiment nationaux 11 ) ; si dans la dernièrepartie de son histoire, l’art public contempora<strong>in</strong> a été soumis à une<strong>in</strong>strumentalisation progressive au profit d’un renouvellement dela forme de l’unité commune, pour temps de crise, par juxtapositiondes “différences” 12 (fabriquant de l’émotion collective) ; si denombreuses œuvres d’art contempora<strong>in</strong> se sont attachées à refuserce parti pris ; la question est légitime : qu’est-ce qui se joue dans lespectacle vivant public, et notamment dans l’art du parcours, pourque les politiques s’y <strong>in</strong>téressent tant ?Ce n’est plus le sens commun premier (il est dissous). S’agit-ilpour autant seulement du prolongement de la juxtaposition (iln’est pas efficace à long terme) ? Ou de l’<strong>in</strong>vention d’autre chose ?Mais alors quoi ? En tout cas, pas du collectif, car il ne suscite pasdes actions collectives, et il y a bien exercice d’un contrôle <strong>in</strong>stitutionnel.D’une certa<strong>in</strong>e façon, nous assistons là à un mélanged’affectivité collective, de communion momentanée, de conciliationsans épreuve. Parfois même : cela va jusqu’à l’effervescence(sublime ou un peu sauvage).Mais cela crée-t-il une sociabilité effective ? Pour nous, la questionest surtout de savoir si les citoyennes et les citoyens dansces cas ouvrent des contextes de conversation politique dans unesphère esthétique <strong>in</strong>strumentalisée. Est-ce qu’ils produisent dudiscours public qui <strong>in</strong>duit une signification quant à leur situationgénérale ? En quoi est-ce que se transforme celui qui suitle parcours ? Il perçoit bien la situation comme “publique”. Mais,la locomotion dans ces situations portent-elle vers le discours etl’adresse à l’autre ? En quoi le déambulateur acquiert-il un sens ducollectif ? Comment joue-t-il (ou non) le jeu qu’on lui propose ?septembre 2008 / 10


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilEt cette question se redouble d’une autre : celle de la part quele politique prend au déploiement de ces œuvres : on peut sedemander en effet si on ne les fait pas descendre dans la ruepour mieux amplifier le contrôle de l’espace, et d’ailleurs aussidu temps urba<strong>in</strong>s !1 Pour la déf<strong>in</strong>ition de l’art contempora<strong>in</strong>, nous renvoyons le lecteur à notreouvrage, Devenir contempora<strong>in</strong> ? La couleur du temps au prisme de l’art, Paris,Le Fél<strong>in</strong>, 2008.2 Ce fut la signification de l’exposition du Centre Pompidou, 2000, Au-delà duspectacle : elle développait “comment un phénomène culturel majeur contam<strong>in</strong>eles pratiques artistiques. L’<strong>in</strong>dustrie des loisirs affecte notre économie siprofondément qu’il n’y a pas de raison de penser que le champ culturel en sorteou veuille en sortir <strong>in</strong>demne”.3 Cf. notre chronique dans Urbanisme, n°357, Paris, 2007.4 Cf. notre article “Ce qui est public dans l’art (public)”, L’Observatoire despolitiques culturelles, n° 26, Eté 2004, Grenoble, p. 29sq.5 La bibliographie portant sur “la rue” est désormais considérable, ne renvoyonsqu’à un seul ouvrage comb<strong>in</strong>ant réflexion sur la rue et sur l’art : Collectif,L’Esthétique de la rue, colloque d’Amiens, L’Harmattan, 1998.6 À propos de son œuvre du Grand Palais, 2008, Richard Serra souligne : “Je nevois pas cette œuvre comme s’<strong>in</strong>scrivant dans une quelconque tradition duthéâtre, pas plus d’ailleurs que de la sculpture. Elle me semble avoir davantageaffaire avec la façon dont on se déplace, avec la temporalité. Elle devrait faireprendre conscience du temps, des diverses vitesses de déplacement autour et àtravers elle. La conscience de se mouvoir dans le temps sera une part essentiellede l’expérience” (Art Press, n° 345, mai 2008, p. 32, L’<strong>in</strong>terview, “Traverserl’espace”).7 Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960.8 Au sens classique de la Critique du jugement de Emmanuel Kant, 1793, Paris, GF,2008.9 Une objection cependant : le cas des festivals (Aurillac, Chalons), car le publicy dispose bien d’un horizon d’attente de ce type.10 Au demeurant, il y a là aussi un paradoxe : dans l’art contempora<strong>in</strong>,l’engagement de l’artiste s’évanouit et un doute persiste quant à la part de l’artdans le travail du collectif vis-à-vis de soi, tandis que dans le spectacle vivantla politique est souvent mise au centre. On notera alors un po<strong>in</strong>t commun entreles deux : la mise en cause du sens du collectif.11 Cf. la synthèse historique établie dans le Dictionnaire critique de la République,V<strong>in</strong>cent Duclert et Christophe Prochasson, Paris, Flammarion, 2008.12 Cf. les 4 volumes de Culture Publique, Paris, MouvementSkite et Sens & Tonka,2004.11 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilCréations nomades,agencements mobiles et connections désirantesAlix de Morant“Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, lesflux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez quece qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade.” 1Danseuse de formation, diplômée de l’Ecole InternationaleJacques Lecoq, Alix de Morant mène depuis les années90 des recherches sur les nomadismes artistiques et lesexpériences esthétiques menées dans l’espace public,accompagnant certa<strong>in</strong>s parcours chorégraphiques commeceux de Dom<strong>in</strong>ique Boiv<strong>in</strong>, Christ<strong>in</strong>e Quoiraud, JulienBruneau, Christophe Haleb ou Valent<strong>in</strong>e Verhaeghe et desréflexions plus collectives comme celle des Controversesd’Avignon Public Off en 1999 et 2000 ou du groupe Acteen Région Paca. Associée au laboratoire ARIAS du CNRS,elle a notamment contribué aux ouvrages, Des écranssur la Scène, Buto(s), Tatsumi Hijikata’Butoh et animé àL’université de Lyon II un atelier critique <strong>in</strong>titulé Lire etécrire la danse contempora<strong>in</strong>e.Ces dernières années, s’<strong>in</strong>scrivant dans les flux qui président à unétat généralisé de mobilité, le plus souvent à l’<strong>in</strong>itiative des artisteseux-mêmes, sont apparus de nouveaux dispositifs de création quifont de la circulation non plus seulement un vecteur de diffusiondes œuvres mais aussi un enjeu d’<strong>in</strong>novation poétique et sociétale.Sém<strong>in</strong>aire professionnel et rencontre publique sur les “Nomadismesartistiques et nouveaux medias : nouvelles mobilités artistiques enEurope”, la manifestation organisée par le réseau artistique Conteners2 au Théâtre Paris Villette les 21 et 22 Février 2008, aura permisd’identifier plus d’une centa<strong>in</strong>e de projets nomades au travers ducont<strong>in</strong>ent mais également d’<strong>in</strong>terroger les mobiles de ces nouvellesdémarches qui s’implantent de façon éphémère et <strong>in</strong>attendue surles territoires.Conteneurs modulables empilés sur des places en un vaste lego outransportés par camions, théâtres mobiles ou scènes fluviales, dustudio portatif au musée virtuel, de l’âne à l’autoroute, de la route àla marche, profitant des réseaux de transport comme de la traçabilitéofferte par les nouvelles technologies (téléphone mobile, ord<strong>in</strong>ateurportable, wifi et GPS) qui permettent désormais aux artistes commeaux navigateurs d’être repérables et joignables à tout moment, lesartistes contempora<strong>in</strong>s sont devenus plus que jamais des nomadesen puissance. Associant des spectateurs à leur démarche, retrouvantle sens d’une médiation qui leur avait échappé, ils se considèrentcomme des scénographes du paysage ou des arpenteursde territoires. Géographes et cartographes, parfois ethnologues 3à l’affût des derniers signes d’un nomadisme ancestral ou météorologues<strong>in</strong>fluant sur des climats réels ou fictionnels, aux antipodesdu tourisme de masse, voyageurs visionnaires, ils <strong>in</strong>troduisentencore une esthétique (voire une éthique ?) du déplacement. Qu’ils’agissent de bus ou de caravanes transformés en scènes ambulantesou en simulateurs de voyage, de galeries gonflables ou de raidsen territoire urba<strong>in</strong>, leurs dispositifs s’<strong>in</strong>scrivent par ailleurs dansun paysage de la création multipolaire et relativement <strong>in</strong>déf<strong>in</strong>i oùperformances, travaux en cours, chantiers, <strong>in</strong>stallations et déambulationsparticipent d’un effondrement des repères qui jalonnaientet délimitaient autrefois les territoires de l’art. Comme le suggèreLuc Boucris, on pourrait penser “qu’en fait c’est le territoire théâtraltout entier qui se retrouve placé sous le signe de la déambulation” 4 .Le mot anglais Progress, signifiant autrefois voyage, voyage saisonnier— on en vient à considérer la création comme un mode d’errancetandis que le mot work <strong>in</strong> progress qui s’est substitué auterme de spectacle ou d’exposition dans nombre de publicationsou de programmes de manifestations culturelles — n’est pas sansévoquer l’élaboration d’un processus qui évolue jusqu’à la maturitéd’une rencontre avec un spectateur, mais on y dist<strong>in</strong>gue encorela notion de progrès qui au-delà de l’œuvre, oblige l’artiste à unapprentissage cont<strong>in</strong>u comme à une mise à l’épreuve dans la durée.Ce work <strong>in</strong> progress, adresse d’un artiste à un dest<strong>in</strong>ataire, spectateur<strong>in</strong>vité à chem<strong>in</strong>er avec lui désigne encore ce beso<strong>in</strong> d’acculturationpermanente qui correspond mieux aux impératifs d’unmonde mouvant dont les codes sont en perpétuel réajustement.Un imag<strong>in</strong>aire topographiqueIl semble en effet que conjo<strong>in</strong>tement aux phénomènes liés à lamondialisation, croisse une ambition géographique (géopoétiqueselon Kenneth White 5 ) qui recouvrant des concepts tels les ethnosphèresd’Appaduraï 6 (diasporas ou sphères publiques d’exilés), lasémiosphère de Sempr<strong>in</strong>i 7 (tissu constitué par les images, les idées,les valeurs), la neurosphère de Flusser 8 (réseau constitué par l’ensembledes flux médiatiques ou <strong>in</strong>terrelationnels qui stimulentnotre imag<strong>in</strong>ation) suscite le retour à un nouvel imag<strong>in</strong>aire topographique.Mais dans un monde exploré et <strong>in</strong>dexé par les cartesjusque dans ses mo<strong>in</strong>dres parcelles, agrandi jusqu’aux conf<strong>in</strong>s grâceaux images rapportées par les satellites, prolongé par les réseauximmatériaux, quelles sont pour les artistes les nouvelles donnes dela mobilité alors même que la vocation de l’art est la transmissiondu sensible ? La virtualisation du monde n’empêche pas qu’on aitenvie de s’y promener, de s’aventurer ou encore d’engranger de laconnaissance. “On traverse toujours l’horizon mais il demeure àdistance” écrivait Robert Smithson 10 . Mieux vaut rendre les chosesà l’idée de circulation et ménager pour le regard un horizon : laproblématique nomade nous permet donc au-delà d’un contexteen mutation, de situer nombres d’<strong>in</strong>itiatives actuelles en leur offrantun plan de cohérence.Dans un premier temps, lo<strong>in</strong> des murs qui voudraient les contenir,à l’affût du mo<strong>in</strong>dre espace de liberté, voulant parfois échapper àla régulation et au contrôle, il s’agit pour les artistes choisissant lenomadisme, de se situer dans la modernité en retrouvant l’espacecomme un partenaire actif. L’utilisation de l’espace comme médiumn’est pas nouvelle mais elle nous <strong>in</strong>téresse dans cette cont<strong>in</strong>uité quiva des arts de la scène aux expressions urba<strong>in</strong>es, dans une logiquede transversalité entre les discipl<strong>in</strong>es et au profit d’une dynamiquede l’articulation et du mouvement. It<strong>in</strong>éraires paysagers, expériencescontextuelles ou manœuvres menées dans l’espace public, desfriches urba<strong>in</strong>es aux campements, nous nous retrouvons confron-septembre 2008 / 12


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outiltés à la notion de site et au regard d’œuvres réalisées pour nombred’entre elles <strong>in</strong> situ 11 , dans le prolongement historique des avantgardesdont elles sont les héritières. Elles découlent de Fluxus et desquestions, sur le terra<strong>in</strong> de l’action peut-être <strong>in</strong>abouties, mais dupo<strong>in</strong>t de vue de la réflexion si pert<strong>in</strong>entes et si chargées de promessesdes dérives situationnistes.Une <strong>in</strong>telligence du contexteIncursions hors des cadres censés présenter et réguler la vie créative,se situant hors des espaces réservés du marché de l’art, ces œuvrescontribuent également à un décentrement des relations entre lesdifférents acteurs de la transaction culturelle. Tour à tour support decréation et plateformes de diffusion, les équipements nomades sepositionnent comme des “ancrages momentanés”, pour reprendrePaul Ardenne 12 , dont l’objectif est à la fois de se situer en extérieur(dehors, à la périphérie, à la frontière entre) af<strong>in</strong> d’ouvrir de nouvellesvoies mais aussi de tisser, voire de réparer des liens. On situe uneaire de jeu en connexion avec le passé mais aussi avec l’avenir et onopte pour des solutions mobiles pour pallier aux <strong>in</strong>terrogations d’unmonde en transition. L’envie de voyager, d’<strong>in</strong>terrompre une cont<strong>in</strong>uité,de trouer l’espace public en employant le nomadisme <strong>in</strong>vasifde la mach<strong>in</strong>e de guerre ou tout autre technique du surgissement,d’occuper les délaissés, de s’approprier les espaces vacants, le refusd’une implantation autre qu’éphémère ou provisoire, une conceptionécosophique de l’art, une soif d’autonomie et la cra<strong>in</strong>te de figerun processus motivent une <strong>in</strong>vestigation des territoires comme lacréation d’alternatives à l’épreuve du réel. L’apanage d’une critiquesociale comme le souci d’impliquer véritablement un public amenéà entrer en mouvement dans les propositions les font égalementrelever de ce que Nicolas Bourriaud a déf<strong>in</strong>i comme étant des Esthétiquesrelationnelles 13 . Un espace à parcourir, une durée à éprouver,la valeur de l’échange, du don, l’engagement de soi de l’artiste, lacoprésence des <strong>in</strong>dividus, le jeu des <strong>in</strong>teractions participent du désircommun de créer de nouveaux espaces de convivialité, tout à lafois enveloppe et matrice, autour d’une proposition artistique qu<strong>in</strong>e se limiterait plus à un objet mais deviendrait encore un usagedu monde. Ce fut le cas notamment du village de cabanons deMari Mira 14 , petite fabrique d’utopie artistique à l’échelle du villageglobal.Scènes en déplacementAu-delà de la diversité des <strong>in</strong>itiatives proposées, se pose la questiondu nomadisme en tant que genre. On ne voudrait pas forcloretoutes les acceptions du nomadisme en une seule déf<strong>in</strong>ition, maison peut témoigner de l’<strong>in</strong>stabilité réelle d’une période artistique quiremet en cause l’<strong>in</strong>stitué et de la variabilité à laquelle renvoie ladémultiplication actuelle des plateaux, qu’ils soient tractés, autoportants,ou de simples aires délimitées par occupation stratégiquede l’espace. Tout au long d’une étude 15 consacrée aux équipementsartistiques nomades, on aura rencontré toute sorte d’artistes, plasticiens,circassiens, acteurs ou chorégraphes comme analysé unlarge éventail de la typologie scénique en dist<strong>in</strong>guant des dispositifsde type observatoire, tel celui du camion c<strong>in</strong>ématographiquede Cargo Sofia, projet autoroutier de Rim<strong>in</strong>i Protokoll 16 ou de typepanoramisant comme le ciel de tente du Gigacircus 17 qui diffuseles images glanées par Sylvie Marchand et Lionel Camburet tout aulong des chem<strong>in</strong>s qui mènent à Compostelle. On aura regroupé dansun même opus, des objets, des parcours comme celui du Duodiptyque18 ou de Claire Ingrid Cottenteau à Marseille 19 , des situationset des <strong>in</strong>tentions comme cette soif de dépaysement du collectif IciMême Grenoble 20 parti avec Encore plus à l’est de chez moi explorerles villes d’Europe de l’est à la rencontre de nouveaux partenairespour fonder des actions. On aura voyagé des repaires où lacompagnie it<strong>in</strong>érante se protège du délitement de la troupe jusqu’àl’énigme labyr<strong>in</strong>thique de la New Babylon de Constant, utopie urbanistiquedes années soixante aujourd’hui transposée dans des environnementsmultimédias tels ceux créés par le groupe Dunes 21 .Ce qui nous amène à dresser le constat suivant. Dans les arts nomades,la scène si elle se déplace n’en est pas mo<strong>in</strong>s toujours, le po<strong>in</strong>t dedépart et le passage obligé. Scène furtive, scène déliée ou dissoute,scène nomade mais scène potentielle où s’exposer pour des artistesen rupture avec des lieux architecturés dans lesquels ils ne se reconnaissentplus ou qui ignorent leur présence. La marche par exempleest cette action levier qui entraîne un positionnement différent,un changement de milieu et une modification de po<strong>in</strong>t de vue. Sesituer dans la mobilité, c’est ne pas se satisfaire de réponses toutesfaites mais proposer un postulat, un angle d’approche <strong>in</strong>habituelpour considérer le réel. C’est également partir d’un pr<strong>in</strong>cipe d’hospitalitéet de la place que la cité peut ménager à l’<strong>in</strong>trusion du poétique.Comme une entrée en matière la notion de déplacement horsdes lieux et des temps habituellement dévolus à l’échange culturels’avère a<strong>in</strong>si être une impulsion qui s’adresse à tous les récepteursde l’acte artistique tout en signifiant clairement le rôle que les artistess’octroient dans la transformation des usages sociaux.Du site à la situation, la scène mobile peut donc être considéréecomme le po<strong>in</strong>t de départ d’un chem<strong>in</strong>ement réflexif, <strong>in</strong>fixé et<strong>in</strong>fixable, qui s’<strong>in</strong>téresse à désenclaver les espaces comme à décloisonnerles discours. De même qu’on substitue à la convention unecause motrice, (le nomadisme tel qu’il est vu par Deleuze et Guattari),au geste contenu, un geste orienté, on démantèle l’habitueldispositif de représentation pour lui préférer un ensemble constituédes moments vécus et de ses prolongements. Soucieuses d’unearchitecture poreuse aux <strong>in</strong>fluences du dehors, les formes contempora<strong>in</strong>es,délimitant avec leur public un commun terra<strong>in</strong> d’ententenous <strong>in</strong>citent à habiter le moment développant ce que Georg<strong>in</strong>aGore 22 appelle à propos de la culture rave, culture néo-nomade parexcellence, un “présent <strong>in</strong>f<strong>in</strong>i”. C’est également le souci d’une relationdirecte avec un public, non différée par l’entremise des <strong>in</strong>stances<strong>in</strong>stitutionnelles ou des opérateurs privés et autres médiateursculturels qui est au cœur même de la prise d’espace des artistesnomades, prise d’espace qui agit ou réagit en <strong>in</strong>teraction avec unespace public de plus en plus aseptisé et qui perd de sa crédibilitéen tant qu’agora. De ce po<strong>in</strong>t de vue, un projet de base expérimentalecomme celui entrepris par Public Art Lab avec ses studiosmobiles 23 voyageant en 2006 de Berl<strong>in</strong> à Bratislava est exemplaire.Il regroupe tout un faisceau d’horizons en proposant des laboratoires<strong>in</strong> <strong>vivo</strong> pour la jeune création, des temps réservés au débatpublic, des activités allant de l’édition en ligne à la performance,diverses ambiances qu’activent les spectateurs amenés à traverserd’un module à l’autre, des climats contrastés. Plateforme de rencontrepour les associations locales, terra<strong>in</strong> d’expérimentation socialeet tentative de requalification de la place publique, l’implantationprovisoire du dispositif participe d’une réappropriation de la villepar ses habitants.13 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilTrajectoires et ramificationsLes <strong>in</strong>terventions dans l’espace public ayant un caractère éphémère,elles supposent néanmo<strong>in</strong>s des répercussions auprès d’un publicplus large, tandis que l’artiste éprouve également le beso<strong>in</strong> de diversifierses connexions. L’art des nomades est à la fois art du site etde l’organisation des sites entre eux par le truchement d’un certa<strong>in</strong>nombre d’opérations de liaison et les questions qui nous occupentici semblent s’ajuster tant à la problématique du nomadisme artistiquequ’à celle de l’art virtuel. Selon les théories défendues par lephilosophe et théoricien de l’art Vilem Flusser, le nomade actueldevrait d’ailleurs être capable d’assimiler de nouvelles techniqueset de tirer profit de l’agrandissement de son champ perceptif pourprolonger son chem<strong>in</strong>ement dans un environnement multimédia.Par ailleurs, de nouvelles expériences perceptives, les superpositionsd’images virtuelles et réelles, obligent le récepteur contempora<strong>in</strong>,confronté aux changements <strong>in</strong>cessants, à un nomadisme du regard.Je term<strong>in</strong>erai donc ce balayage géographique, en suivant la pisteproposée par Anne Cauquel<strong>in</strong>, à l’étude des nouvelles formes despatialité expérimentées par les <strong>in</strong>ternautes pour parler des artsnomades comme d’arts du site, revêtant des formes hybrides pourrendre compte de paysages en mutations. “Site”, dit-elle, car le sites’aborde par son foyer et non pas par ses bords, est en rapport avecle lieu mais s’en dist<strong>in</strong>gue car il est aussi milieu “qu’il s’agisse dumilieu physique ou de milieu contextuel, comportemental et transmissiblepar les usages, ou bien d’archivage. Ce site contient le tempssous forme de mémoires accumulées, et il est contenu dans et par latemporalité, dont il donne une image expressive. 24 ”Dans la logique des arts nomades, on occupe momentanémentun sol, on l’ensemence d’une présence. Puis, on prélève tout unensemble d’<strong>in</strong>formations relatives à ce sol et à son occupation eton cultive patiemment les traces accumulées af<strong>in</strong> d’établir autourde l’évènement premier tout un jeu d’opérations connexes que l’onpourrait apparenter au jard<strong>in</strong>age, qui permettent a<strong>in</strong>si de resituerl’évènement dans une mouvance artistique ou en écho à d’autresperformances ou entreprises poétiques menées en d’autres tempsou simultanément en d’autres lieux. D’où l’importance réelle desoutils et des technologies de navigation qui permettent à la foisde capter l’éphémère d’une rencontre ou d’un évènement puis del’ancrer dans la nappe élargie du réseau. Qu’on recouvre de toile lesfenêtres d’un bus 25 pour y projeter des images rapportées de voyages,que l’on ouvre à même la place avec du mobilier de camp<strong>in</strong>g unbureau des latitudes, que l’on plonge tel Ali Salmi de la compagnieOsmosis un corps dansant dans la tourmente des migrations 26 ouque l’on trace avec ses pas un sillage dans la ville, tout le travailde mise en scène pour les artistes nomades consiste à <strong>in</strong>venter untrajet comme à ramifier ses prolongements dans le virtuel. Il enrevient donc à dire que les arts nomades, arts de la prospective etde la connexion sont autant de signes d’une phase exploratoire oùl’art cherche à <strong>in</strong>augurer d’autres espaces, d’autres dimensions quecelles qui lui ont jusqu’alors été consacrées. C’est d’ailleurs une desraisons pour lesquelles sans vouloir les mettre en opposition avecdes logiques sédentaires on aura préféré les aborder du po<strong>in</strong>t devue du nomadisme.1 Michel Foucault, en préface à l’édition américa<strong>in</strong>e de L’Anti Œdipe de GillesDeleuze & Félix Guattari, 1977, <strong>in</strong> Dits et Ecrits, Paris, Gallimard, 2001, p 134.2 www.conteners.org3 C’est le cas de Sylvie Marchand directrice artistique du collectif Gigacircusou de la photographe Clothilde Grandguillot qui accompagna les voyages del’Apprentie compagnie à la recherche du Rire de l’autre. Quant au collectif Ici-Même Grenoble, il pratique diversement une sociologie de terra<strong>in</strong> tandis que ladanseuse Christ<strong>in</strong>e Quoiraud dans Marche et danse, projet de la Villa Medicishors les murs en 2000 part en quête d’un état du monde.4 Luc Boucris “S’<strong>in</strong>staller ou divaguer ? Déambuler !” <strong>in</strong> Arts de la scène. Scène desarts III, Cahiers de Louva<strong>in</strong> n.30, Louva<strong>in</strong>-la-Neuve, 2004, pp 78-79.5 Kenneth White, L’Esprit nomade, Paris, Grasset, 1987.6 Arjun Appadurai, Après le colonialisme, Paris, Payot, 2001.7 Andrea Sempr<strong>in</strong>i, La Société des flux, Paris, L’Harmattan, 2003.8 Vilem Flusser, The <strong>Free</strong>dom of the Migrant, Chicago, University of Ill<strong>in</strong>ois Press,2003.9 Gilles A. Thiberghien, F<strong>in</strong>is terrae, imag<strong>in</strong>aires et imag<strong>in</strong>ations cartographiques,Paris, Bayard, 2007.10 Robert Smithson, “Incidents au cours d’un déplacement de miroirs dans leYucatan”.11 In situ : L’<strong>in</strong> Situ terme des années 60 prend acte du mouvement permanent, dela mise en situation du regard et de l’œuvre.12 Paul Ardenne, Un art contextuel, Paris, Flammarion, 2004.13 Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Paris, Les Presses du Réel, 1998.14 http://lespasperdus.free.fr/marimira et Brice Matthieussent, Mari-Mira,chronique d’un art plastique fait maison, Montreuil, les éditions de l’œil, 2006.15 Alix de Morant, Nomadismes artistiques, des esthétiques de la fluidité, thèse dedoctorat, Université Paris X Nanterre, Novembre 2007, à paraître.16 www.rim<strong>in</strong>i-protokoll.de17 www.gigacircus.net18 www.conteners.org/CHRISTINE-QUOIRAUD?lang=en19 www.claire<strong>in</strong>gridcottanceau.net20 www.icimeme.org/projetest.html21 www.groupedunes.net22 Georg<strong>in</strong>a Gore, “The Beats Goes On” <strong>in</strong> “Danse nomade”, revue Nouvelles deDanse n°34/35, Bruxelles, Contredanse, Pr<strong>in</strong>temps-Eté 1998, p.91.23 www.mobile-studios.org24 Anne Cauquel<strong>in</strong>, Le Site et le paysage, Paris, PUF, 2002, p.85.25 www.alternativenomade.org26 www.osmosiscie.comseptembre 2008 / 14


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilLe Passaged’un théâtre de rue à un théâtrepour l’espace publicJoanna OstrowskaJoanna Ostrowska est professeur à l’université AdamMickiewicz de Poznań (Pologne), dans le départementEtudes culturelles. Elle enseigne l’<strong>in</strong>troduction de lathéorie du théâtre et l’histoire théâtrale. Auparavant, elleétait co-éditrice du trimestriel The Notebook of CultureStudies de l’université de Poznań, et a collaboré avec ThePoznan Theatre Review. Elle a coordonné et participé àde nombreux congrès, sém<strong>in</strong>aires et conférences portantsur le théâtre. Ses pr<strong>in</strong>cipales publications sont : Dialog(i)w kulturze (Dialog(s) <strong>in</strong> Culture), Poznań (2001) ; Teatr– przestrzeń dialogu (Theatre – the Space of Dialogue),Szczec<strong>in</strong> (2002) ; Teatr – przestrzeń dialogu II. Wokółgranic konwencji i technik teatralnych (Theatre – the Spaceof Dialog II. About Borders of Conventions and TheatreTechnics), Szczec<strong>in</strong> (2004) ; The Liv<strong>in</strong>g Theatre – od sztukido polityki (The Liv<strong>in</strong>g Theatre – from Arts to Politics),Poznań, Wydawnictwo Kontekst (2005).“L’hypersensibilité de la société donne naissance à une impulsionpremière de relâchement du processus créatif (...) La faute <strong>in</strong>combantpr<strong>in</strong>cipalement non pas aux arts qui entrent dans la rue demanière festive mais à ceux qui, provenant d’un créateur-philanthrope,naissent lo<strong>in</strong> de la nature et de la structure même de la ville. Aceux qui naissent d’une idée de la vie de la cité et de sa structure etnon pour la ville elle-même”. 1L’expression “théâtre de rue” correspond communément à l’ensembledes représentations théâtrales qui se jouent en extérieur et quitraitent de nombreux phénomènes comme l’homogénéité du po<strong>in</strong>tde vue des pr<strong>in</strong>cipes esthétiques d’une part ou le choix d’un espaceet ses conséquences d’autre part. Un tel questionnement vaut-ilencore aujourd’hui ?Entre 2006 et 2007, un groupe de chercheurs de part et d’autre del’Europe a réalisé l’étude Street Artists <strong>in</strong> Europe, tant sur les typologiesde théâtre de rue, son historique, ses esthétiques que lecontexte social et ses <strong>in</strong>fluences sur les formes de l’espace urba<strong>in</strong>. 2Un des po<strong>in</strong>ts forts de cette étude est l’enquête, menée auprès desprofessionnels des arts de la rue, se référant entre autres à l’<strong>in</strong>fluencede leur art sur la réalité sociale et le développement desespaces urba<strong>in</strong>s. Parmi l’ensemble des réponses exprimant leurvolonté de créer des spectacles de rue, les artistes et directeurs defestival <strong>in</strong>sistaient sur le désir de créer un “espace public” grâce àleurs propres créations. Est-ce à dire que les artistes contempora<strong>in</strong>squi s’expriment dans la rue cherchent à faire un “théâtre public”. Etaussi, de fait, quelle est la compréhension du terme “espace public”que donnent les artistes du théâtre contempora<strong>in</strong> ?L’apparition du théâtre dans la rue, dans un espace appartenant aupeuple, un espace collectif non sujet au système marchand, et dans lemême temps plus ou mo<strong>in</strong>s “affranchi des lois” se voulait être – dansl’idée des artistes – une recherche de nouvelles formes d’existencedu théâtre et une recherche de nouveaux modes de communicationavec les spectateurs. D’ailleurs, le théâtre social et politique activistedes années soixante avait, semble-t-il, opté pour des espaces“neutres”, lesquels appartenant à tout un chacun, et aussi parce quec’était là que se trouvait un spectateur-partenaire prêt à dialoguerde questions collectives cruciales (je pense à la ségrégation raciale, laguerre du Vietnam ou sur un plan plus local- l’<strong>in</strong>flation importantedes loyers). L’utilisation de la rue en tant qu’espace naturellement“public” s’explique facilement en citant Jürgen Habermas. “Sontappelés publics tous les événements et manifestations ouverts àtous, à l’opposé des actions privées ou réservées, de la même façondont on parle des affaires publiques ou des bâtiments publics”. 3 “Lasphère publique apparaît elle-même comme un doma<strong>in</strong>e propre —doma<strong>in</strong>e public contre privé. Quelques fois, le mot public n’apparaîtsimplement que comme faisant partie de l’op<strong>in</strong>ion publique et enarrive à s’opposer à l’autorité”. 4 Né de la rue (l’espace public par déf<strong>in</strong>ition)plus qu’issu des théâtres, le théâtre de rue situe ses objectifsplus dans les questions sociales qu’esthétiques. Il semble a<strong>in</strong>si qu’ilretourne à son espace naturel d’orig<strong>in</strong>e, restaurant la mémoire et latradition du théâtre dans l’espace urba<strong>in</strong>, alors que le XIX e siècle l’enavait chassé. Philippe Chaudoir, sociologue français, po<strong>in</strong>te que ceparallèle entre artistes de rues d’hier et d’aujourd’hui, est extrêmementtrompeur, justement à cause des différences des spectateurs. 5L’espace public, dans lequel par exemple officiaient les fous du roi,n’avait rien à voir avec celui que les artistes des années soixanteavaient choisi. En s’appuyant sur l’analyse que porte Annah Arendtsur la conception chrétienne du doma<strong>in</strong>e public, la différence esttrès claire: “L’hostilité de la religion chrétienne pour l’espace public,la propension des chrétiens des orig<strong>in</strong>es à éloigner le plus possiblela vie de la place publique, peut être a<strong>in</strong>si comprise comme uneévidence manifeste du sacrifice de la personne aux bonnes actions. 6[...] La scène publique n’est toutefois pas, comme chez Aristote, leterritoire de la prise de conscience.”L’espace public des théâtres du Moyen-âge est a<strong>in</strong>si un espace dontil faut se méfier. Ceux qui s’y produisaient se mettaient eux-mêmesdans une position doublement suspecte : celle de perturbateursfâcheux de la paix et celle du peuple des marg<strong>in</strong>aux. En revanche, lesartistes qui entraient dans l’espace public dans les années soixanteétaient comme un “peuple en mission”, désireux de changer l’ordredes choses et de sauver l’espace public en le remplaçant par un“nouvel espace de culture”. 715 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilActuellement, les villes offrent, elles aussi, leur territoire aux activitésartistiques. Les artistes dans la rue ne sont pas libres dans desespaces libérés. Toutefois, ils cherchent souvent à s’en servir commes’ils l’étaient. Jouer dans la rue n’a bien souvent rien à voir avec lefait d’adhérer à des “pr<strong>in</strong>cipes Dionysiaques” mais est sujet à uneimportante réglementation adm<strong>in</strong>istrative et juridique. Les collectivitéspermettent d’occuper certa<strong>in</strong>s espaces urba<strong>in</strong>s (avec contrepartief<strong>in</strong>ancière parfois) et s’assurent que les artistes obéissent auxréglementations en matière de circulation, de niveau sonore ou desécurité, de manifestations de masses en Pologne.Le bâtiment du théâtre, qui n’est pas stricto sensu un lieu privé, n’acependant pas été perçu comme un espace public. Robert Schechnerl’explique : “Le théâtre à l’italienne si représentatif de la périodeallant du XVIII e au XX e siècle en Occident, montre bien des projetsparticuliers et dess<strong>in</strong>e un réseau social [...]. L’amphithéâtre grec, lui,est ouvert ; pendant les représentations quotidiennes chacun peutvoir, jour après jour, la cité alentours et les environs. Cette cité, c’estPOLIS [souligné par l’auteur] sans précision sur les limites géographiquesou idéologiques. Le théâtre à l’italienne est un bâtiments<strong>in</strong>gulier et restre<strong>in</strong>t, son accès est scrupuleusement contrôlé” 8 .Ajoutons que les murs de ce théâtre sont vraiment supposés cacherce qui s’y passe aux yeux de la ville et que son entrée n’est accessiblequ’à ceux qui peuvent franchir ce contrôle po<strong>in</strong>tilleux grâce au billetqu’ils ont acheté et à la tenue vestimentaire qu’ils portent – cesdeux po<strong>in</strong>ts dépendant du porte-monnaie du spectateur.L’<strong>in</strong>vestigation du champ de la rue par les artistes des annéessoixante devrait être considérée comme l’apparition d’une nouvelleforme théâtrale. Leurs fondements étaient différents, ils étaientbasés sur le refus volontaire des vestiges que l’on enferme dans lesmurs. En voulant exister dans la rue au début des années soixante,on voulait offrir l’espace d’un groupe de privilégiés à l’ensemble desspectateurs. 9 “De nos jours, on considère ce même espace commeun support de communication pour les relations et la manipulationde l’op<strong>in</strong>ion publique. Pour les artistes de rue, c’est l’espacequ’il faut transformer plutôt que d’en faire un lieu collectif”. 10 Lethéâtre de rue se propose de favoriser la création d’une tribune deconcertation dans l’espace urba<strong>in</strong>, au travers d’échanges d’op<strong>in</strong>ionset d’idées, ce qui, de fait, apparaît comme une tentative de résurrectionde la “sphère publique” au sens à la fois antique et moderne,déjà mentionné.C’est la sphère que l’on a le plus détruite et que la sphère sociale aremplacée, abolissant a<strong>in</strong>si l’opposition entre le public et le privé.Au même moment, la privatisation de l’espace urba<strong>in</strong> s’est développée,de même que sa marchandisation, sous le regard complicedes autorités.Les premiers développements du théâtre dans l’espace publicsemblèrent une preuve de son succès tant comme discipl<strong>in</strong>e artistiqueque comme support de communication. L’accroissement notabledes compagnies de théâtre de rue date de la f<strong>in</strong> des années 60et 70 en Europe. Il est, avec tout mon respect, le fruit de responsablesde l’aménagement urba<strong>in</strong> qui sentirent les dangers de l’augmentationdes cités, qui dépeuplaient les centres-villes et créaientce qu’on appelait des “zones sans importance”, aussi appelées parChaudoir des “non-lieux”. “Les aménageurs urba<strong>in</strong>s de l’époqueétaient conscients de leur <strong>in</strong>capacité à développer un tissu urba<strong>in</strong>et ils songèrent à atte<strong>in</strong>dre leur but en utilisant le théâtre de rueaf<strong>in</strong> de redonner de la vie aux cités” 11 écrit Chaudoir. Le théâtrede rue, par l’<strong>in</strong>termédiaire des spectacles et des festivals, dev<strong>in</strong>t laplus importante part de l’action sociopolitique et du développementurba<strong>in</strong>. Il s’est, par là même, rendu dépendant des collectivités,de leur autorité et aussi des arrêtés municipaux qui l’accompagnent.Les conséquences actuelles de ces circonstances historiques,comme le montrent les chercheurs de Street Artists <strong>in</strong> Europe sontque, dans les nations qui n’ont pas tissé de liens entre les villes etle théâtre de rue, un tel théâtre ne s’est pas développé, ou qu’il estaujourd’hui perçu comme un phénomène potentiellement dangereuxdepuis qu’il s’est <strong>in</strong>troduit en ville et qu’il peut effrayer des<strong>in</strong>vestisseurs éventuels. 13Pour cette raison, le théâtre de rue se créa sa propre conceptionde l’espace public : un espace concret, un espace urba<strong>in</strong> réel avecun m<strong>in</strong>imum de restriction à son accessibilité. Ce n’est pas, toutefois,un espace entendu dans tous les sens du terme à travers safonction, par exemple, comme un passage d’une maison à d’autreslieux utiles dans la ville (il ne s’agissait donc pas d’une rue, d’uneplace, mais plutôt d’espaces à parcourir pour la détente, etc.). L’espacepublic du théâtre de rue, compris dans ce sens, serait aussi unespace que chacun utilise aux mêmes f<strong>in</strong>s, un espace qui facilite lesrencontres à de multiples groupes de gens. Dans le monde médiatiséactuel, l’une des valeurs sûres du théâtre de rue semble être laremise à jour de relations <strong>in</strong>terpersonnelles directes. Cependant, lemot de “rue” est devenu un terme courant pour désigner des manifestationsproduites dans des espaces variés (ce théâtre n’ayant quede manière de plus en plus sporadique de réels contacts avec la rue).Les missions particulières qui lui sont assignées par les collectivités(prévention des dégradations des espaces urba<strong>in</strong>s, aide à l’<strong>in</strong>tégrationsociale, plus particulièrement auprès des populations en situationd’exclusion, création d’espaces publics, d’échange et de dialogue)ont contribué à la transformation du rôle des collectivités, etdes théâtres où sont racontés les changements qu’ils produisent.Et puis, les différentes motivations qu’ont les artistes de rue à créerdes spectacles de théâtre dans des lieux publics, en s’y référant, sontles suivantes: le ressenti face à l’attractivité de la ville, la visibilité del’image et du rayonnement <strong>in</strong>ternational de la ville, et des œuvresqui reconstruisent le cœur de la ville (revitalisation de ces espacesurba<strong>in</strong>s). 14 C’est aussi pourquoi, malheureusement, le théâtre de rueen est souvent réduit à un rôle d’attraction touristique en dépit dedéclarations bruyantes et répétées. Ceci, au f<strong>in</strong>al, nous amène à unesituation qui est appelée par Pawel Szkotak, créateur des spectaclesdu Teatr Buiro Podrôzy, “les revers de la popularité”, des spectaclesallant vers la commercialisation de l’expression artistique, devantêtre des objets plaisants pour attirer une foule de spectateurs. 15De plus, le théâtre dans l’espace public devient une méthode d’organisationdu temps libre et l’utilisation du pouvoir d’achat de sonpublic. L’analyse de l’évolution du théâtre devenant un exempled’opérations mercantiles, réalisée par Schechner, s’applique parfaitementaux festivals de théâtre de rue. 16Les suites “du passage d’une culture du débat public à une culturede consommation” sont décrites par Habermas. “A<strong>in</strong>si nommé, lieude pratique de loisirs, l’espace public est devenu un élément du cyclede production et de consommation devenu apolitique, à cause deson <strong>in</strong>capacité à construire un monde libéré des beso<strong>in</strong>s matérielset de survie immédiats. Lorsque les loisirs n’étaient qu’une contrepartiedu temps passé au travail, ils pouvaient se contenter d’êtrel’endroit où se tractaient encore les affaires privées qui n’étaient pasdu doma<strong>in</strong>e public. La satisfaction <strong>in</strong>dividuelle des beso<strong>in</strong>s devaits’accomplir de manière publique, c’est-à-dire, de manière collec-septembre 2008 / 16


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outiltive. 17 ” “Les activités de loisirs dans la culture de la consommation,d’autre part, prirent leur propre place dans la société et nul ne l’acontesté. Cette forme privée d’appropriation déplaça en profondeurla communication sur l’appropriation elle-même”. 18Pour les artistes les plus radicaux, les espaces de rue existants nesont pas si publics qu’on le dit, c’est-à-dire appartenant à tous etégalement partagés, mais des espaces à conquérir, hostiles, agressifset qui ne peuvent se changer à nouveau, au mo<strong>in</strong>s un temps, enespaces véritablement publics que grâce à l’activité artistique. L’espacepublic de la lutte n’est pas un espace dans lequel on chercheun consensus, nous dit Chantal Mouffe, mais “au contraire“ nousdit-elle, “l’espace public est un champ de batailles où deux projetshégémoniques se confrontent sans avoir la possibilité de se réconcilierun jour”. En conséquence, “ceux qui soutiennent des espacespublics combatifs et créatifs ont pour objectif de montrer que toutest supplanté par un consensus dom<strong>in</strong>ant – et qu’ils imag<strong>in</strong>entaussi les relations des pratiques artistiques et de leurs dest<strong>in</strong>atairesd’une façon différente de leur objectif, qui lui crée du consensus,même s’il se veut critique. En accord avec cette vision dynamique,l’art du critique porte le désaccord en éclairant ce que le consensusdom<strong>in</strong>ant tente de cacher ou d’embrouiller. C’est ensemble, enluttant, que l’on brisera le silence sur l’existence de cette suprématie,que l’on montrera la diversité des pratiques et des expériencesqui fabrique le matériaux de notre société”. 19De plus, l’espace public du “théâtre politique critique”, ici identifiécomme radical, se comprend dans un sens différent. Il est supposéêtre davantage un espace d’émancipation, plutôt qu’un espace decitation d’une collectivité de courte durée ou que d’un consensusdom<strong>in</strong>ant. Jan Cohen-Cruz, en fait un système dans son ouvrageRadical Street Performance et nous explique que le théâtre qui sesert de ce modèle combatif est : “radical”, c’est-à-dire ”[...] qu’il posela question ou ré-envisage la répartition des forces enrac<strong>in</strong>ées dansla société. Rue (Street) est mis pour des représentations théâtralesfaites en public- au sens du m<strong>in</strong>imum de contra<strong>in</strong>te à son accessibilité.Performance ici, est mis pour des gestes, des expressionsspécifiquement données à l’attention d’un public de spectateurs. 20C’est Cohen-Cruz qui <strong>in</strong>siste sur le fait que l’espace public n’est paspour ces compagnies un po<strong>in</strong>t de départ, mais un objectif à atte<strong>in</strong>dreet qu’il n’a pas beso<strong>in</strong> d’exister en tant qu’espace spécifique réel.Il serait préférable de l’envisager en tant que sphère publique”. 21Le contexte social est le po<strong>in</strong>t de départ des spectacles de rue.Toutefois, ce théâtre n’est pas seulement l’expression de la démocratisationde l’art mais par extension celle de la démocratisationen général, la démocratisation d’espaces sociaux spécifiques, quisont en passe de devenir des espaces publics selon un po<strong>in</strong>t de vuedémocratique et revendicatif, plutôt que sous l’angle consensuelet obligatoire. Dans ce contexte, la rue devient un “moyen d’expression”plus difficile à contrôler par les autorités et le consensusdom<strong>in</strong>ant. C’est le cas pour le théâtre de rue en Pologne ou àMalte, qui sont nés dans ces pays au temps des lois martiales et desmanifestations historiques largement mises en scène à Belgrade etdans toute la Serbie (1991-92 1996-97). Les artistes de rue qui seproduisent dans les espaces publics se dérobent a<strong>in</strong>si à l’alternativequi pèse sur leur œuvre entre “activisme” ou “artistique” et négocientavec le “qu’est-ce que le Politique ?”. Le théâtre dans l’espacepublic entendu dans ce sens vise à l’esthétisation. C’est plus difficileà regarder avec les grilles habituelles d’analyse des œuvres d’art.Cela permet, toutefois de faire de l’espace public un espace d’émancipation.1 Wodciech Krukowski, Teatr w “teatrze zycia”. Akademia Ruchu. [<strong>in</strong>:] Teatr wmiejscach nieteatralnych, J. Tyszka (ed.), Poznan &çç-, p.230.2 Y. Floch (HorsLesMurs), Street Artists <strong>in</strong> Europe, European Parliament, March 2007.www.europarl.europa.eu/activities/committees/studies/searchPerform.do3 J. Habermas, Structural Transformation of Public Sphere, Cambridge, 2006,p.1.4 Ibid, p.2.5 P. Chaudoir, Discours et figures de l’espace public à travers les “Arst de la rue”,La ville en scènes, Paris 2000.6 H. Arendt, La Condition de l’Homme moderne, Kondycja ludzka, Warszawa,2000, p. 82. Habermas note toutefois: “Pendant le moyen-age en Europe, lesdifférences <strong>in</strong>troduites par les lois roma<strong>in</strong>es entre publicus et privatus sontlargement connues mais pas appliquées uniformémént. Les précaires tentativesd’application par le système féodal [...] mettent en évidence que l’oppositionentre les sphères publiques et privées de l’ancien modèle (ou du nouveau)n’existait pas”.7 Cf. Boguslaw Litw<strong>in</strong>iec, “Miejsce nietatralne – przesttrzen nowej kultury”, <strong>in</strong>Teatr w miejscach nieteatralnych, J. Tyska (ed.), Poznan, 1998, p.219-220.8 R. Schechner, Z zagadnien poetyki dziela teatralnego, “Dialog” 1976, nr 5,p. 115.9 Pour citer un autre exemple de la réappropriation d’un théâtre par le “public”,rappelons nous de l’occupation du théâtre de l’Odéon par les étudiants de TheLiv<strong>in</strong>g Theatre en mai 68.10 Y. Floch, <strong>in</strong>troduction du rapport Street Arts <strong>in</strong> Europe, op. cit. p. 22.11 P. Chaudoir, Arts de la rue et espace public, Collège de Philosophie, Institutfrançais de Barcelone, Avril 1999, p. 2.12 Présent aussi dans la pensée contempora<strong>in</strong>e du rôle de l’art dans ledéveloppement des villes. “Festival impact urban developpment” www.efa-aef.org/efahome/efrp.cfm13 K. Keresztely, “Street Arts and Artists <strong>in</strong> the Urban Space : Urban Developpmentand Regulations" <strong>in</strong> Street Artists <strong>in</strong> Europe, op. cit.14 www.europarl.europa.eu/activities/committees/studies/searchPerform.do.15 Tiré d’une conversation avec l’auteur en octobre 2006.16 R. Schechner, op. cit.17 J. Habermas, op. cit. p. 160-161.18 Ibidem. p. 163.19 C. Mouffe, Agonistycne przestrzenie publiczne i polityka demokratyczna, serapporter à : www.recykl<strong>in</strong>g.uni.wroc.pl/<strong>in</strong>dex.php?section=5&article=15420 J. Cohen-Cruz, “Introduction générale”, <strong>in</strong> Radical, street performance, op. cit21 Ibid.17 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilUne action artistiquequi revendique l’espace publicDragan KlaićLe Professeur Dragan Klaic est un spécialiste du théâtreet la culture. Il vit à Amsterdam et enseigne à l’universitéde Leiden, l’université d’Europe Centrale de Budapest,l’université de Bologne entre autres. Ses derniers livressont Mobility of Imag<strong>in</strong>ation, a companion guideto <strong>in</strong>ternational cultural cooperation (2007), Europeas a Cultural Project (2005) et Exercices <strong>in</strong> Exile (2004),un mémoire d’exilé publié en hollandais et croate.(www.draganklaic.eu).L’art public est un ensemble cauchemardesque dont fait partiechaque rond-po<strong>in</strong>t orné d’une sculpture, chaque placette embelliede sa fonta<strong>in</strong>e, chaque mur aveugle recouvert d’une fresque – unemultitude d’espaces publics aux œuvres superflues dont la valeurest <strong>in</strong>certa<strong>in</strong>e que l’on doit aux efforts zélés d’urbanistes, de fonctionnairesmunicipaux ou d’artistes avides et commandités. De parl’Europe, des groupes d’habitants s’opposent à leurs collectivitésà propos de l’<strong>in</strong>stallation dans des lieux publics d’objets d’art qui,ostensiblement, choquent leurs goûts, leurs valeurs ou leur sensmoral alors que dans le même temps, les zones urba<strong>in</strong>es succombentsous les détériorations et <strong>in</strong>civilités permanentes et que d’autresencore sont la proie de privatisations et spéculations barbares de lapart de publicitaires importuns, du fait de l’augmentation des petitscommerces sur les trottoirs et les places et de constructions illégales.Le plus gros risque que courent les projets publics en matièred’art est de ne voir jour que grâce à une série de compromissionsavec les propriétaires jouxtant ces espaces, et l’art qui devrait plaireà tout le monde tourne à présent au kitsch le plus <strong>in</strong>sipide.La plupart des villes européennes font l’expérience de changementsdémographiques dus à l’immigration, il est donc va<strong>in</strong> de croire quel’<strong>in</strong>stallation d’œuvres d’art dans les lieux publics reçoive automatiquementune adhésion collective. La population urba<strong>in</strong>e devient deplus en plus hétérogène au niveau des statuts socio-économiques,des orig<strong>in</strong>es culturelles, de l’éducation, des styles de vie, des op<strong>in</strong>ionspolitiques, des normes morales et des croyances religieuses. Parconséquent, il est de plus en plus difficile aux habitants du co<strong>in</strong>de s’accorder sur les suites tangibles à donner à l’<strong>in</strong>stallation d’uneœuvre d’art dans leur quartier. De fait, la tolérance est l’<strong>in</strong>différencedes masses mais, le plus souvent, les habitants tendent à se diviseret le désaccord sur le goût artistique, la décadence de la morale,la propriété et l’autorité se mue en confrontations qui jettent lesélitistes et les populistes, les officiels et les adm<strong>in</strong>istrés, les artisteset les collectionneurs, les moralistes et les libert<strong>in</strong>s les uns contreles autres. Ceux-ci s’agitent, protestent et se disputent plutôt qued’engager un dialogue cordial et <strong>in</strong>terculturel comme s’y attendraitla Commission européenne après l’ouverture officielle de l’Année dudialogue <strong>in</strong>terculturel en 2008. Toutefois, le dialogue <strong>in</strong>terculturelest lui-même une fiction, un acte de communication, <strong>in</strong>venté parla Commission européenne af<strong>in</strong> de redorer son blason aux yeux descitoyens de l’Europe entière, pendant que, dans les faits, des conflitsculturels et des rivalités permanentes nous <strong>in</strong>fluencent et nousabsorbent, et la controverse, sur tout le cont<strong>in</strong>ent, apporte plusd’animosités que d’<strong>in</strong>tentions favorables à l’art public. Plutôt que defavoriser un “bon sentiment” à leur égard, les <strong>in</strong>stallations d’œuvresd’art sur la place publique sont aussi des facteurs d’auto-ghettoïsation.Elles fortifient les facultés d’aliénation des pratiques citoyenneset politiques, et révèlent, de façon significative, la responsabilitédes dispositifs culturels appliqués dans les villes et leurs environs.Les aéroports : des zones artistiquesL’art public a-t-il une quelconque chance d’enrichir ou d’<strong>in</strong>spirerla vie de la collectivité comme on le propose souvent ? Un clipvidéo que l’on trouve depuis peu sur YouTube (http://youtube.com/watch?v=RgZuHIDuulk) nous offre une réponse directe. Il montreun m<strong>in</strong>i-opéra de mo<strong>in</strong>s de quatre m<strong>in</strong>utes divulguant de façonexplicite le manifeste d’une conspiration, au milieu de voyageursparalysés par l’apathie et la lassitude dans le hall d’attente de Stanted,un aéroport de Londres. La panne d’un distributeur de boissonset confiseries semble provoquer un <strong>in</strong>termezzo que chantentet <strong>in</strong>terprètent des comédiens professionnels vêtus comme desagents d’entretien, de sécurité et des personnels au sol. Cet <strong>in</strong>cidentcrée une forme de solidarité entre les consommateurs abusés. J’ailongtemps cru que les aéroports offraient des opportunités uniquesde présentation d’œuvres d’art de types multiples : affiches, vidéo,photographies, sculptures et <strong>in</strong>stallations, films documentaires,représentations de mime ou de danse, voire même de spectaclesde marionnettes. Les aéroports pourraient sous les néons, les plastiqueset les métaux fonctionnalistes et laids, l’abondance de lapublicité, les boutiques trop chères et les sanitaires bas de gamme,offrir aux voyageurs, ceux qui courent après une correspondance,ou les autres qui attendent des heures durant le départ de beaucoupd’avions retardés, la possibilité d’une expérience artistique quide façon <strong>in</strong>op<strong>in</strong>ée animerait leur environnement — comme dansle m<strong>in</strong>i-opéra de l’aéroport de Stanted — ou les surprendrait entrele poste de contrôle et la porte d’embarquement sur le chem<strong>in</strong>d’une boutique détaxée. L’art dans l’aéroport pourrait tempérer laconfusion, apaiser les décalages horaires, se jouer de l’aliénationculturelle et réduire le stress causé par le choc psychologique de laparanoïa sécuritaire et les queues à rallonge pour rien. L’aéroportd’Heathrow de Londres avec ses 68 millions de passagers, celui deSchipol d’Amsterdam avec 46 millions, ceux de Francfort et de ParisCharles de Gaulle, et aussi de nombreux autres aéroports de petiteou moyenne importance, ont la capacité d’offrir à l’art un public denon-<strong>in</strong>itiés considérable, dans l’optique d’expérimentations <strong>in</strong>terculturellesliée à leur <strong>in</strong>tense mobilité et, en opposition à tous lesaéroports préoccupés pr<strong>in</strong>cipalement de sécurité, de fluidité dutrafic et d’efficacité. Mais pour que l’art ait cette chance, il doitlutter contre les choix délibérés des directions des aéroports de tirerun maximum de profits de chaque centimètre carré d’espace grâceà la publicité. De plus, aujourd’hui, les campagnes de publicité toutcomme les boutiques se ressemblent toutes. Aussi, les aéroports quiseptembre 2008 / 18


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilcherchent à se dist<strong>in</strong>guer les uns des autres en offrant une plusvalue, feraient bien de proposer des médiations artistiques dans lesterm<strong>in</strong>aux bondés.Aussi me sentais-je conforté récemment en entendant que l’aéroport<strong>in</strong>ternational de Dubl<strong>in</strong> avait engagé son premier commissaireartistique. Cela s’est produit lors de la construction d’un nouveauterm<strong>in</strong>al, et alors qu’en Irlande une loi impose à chaque f<strong>in</strong>anceurl’attribution de 1% du budget à une réalisation d’art public. Cetteobligation n’impose aucune autre fonta<strong>in</strong>e à co<strong>in</strong>cer dans le halld’accueil, ni aucune mosaïque pour décorer le mur du garage, maislaisse une entière liberté au f<strong>in</strong>anceur quant à la forme, la réalisationet la localisation de l’œuvre d’art. Cette simple règle a favorisél’apparition d’un ensemble de créations artistiques en Irlande etdans une grande variété d’espaces publics. Elle est un test sur lescapacités de l’art à souligner leur caractère public et permet aussides discussions sur les attributions, sur les prises de décisions, surle pouvoir et les limites acceptables, voire tolérables des contestationsà propos de l’aspect laid et choquant de l’art. C’est pour celaque le commissaire artistique de l’aéroport de Dubl<strong>in</strong> cherche, af<strong>in</strong>d’apporter ses compétences professionnelles et une conception quise tienne face aux caprices et à l’uniformité des aménagements, àéviter toute chose en marge de la critique et de la controverse. Cecommissaire artistique de Dubl<strong>in</strong> est entré en fonctions quelquesannées après le succès de l’<strong>in</strong>stallation d’une annexe du Rijksmuseumdans l’aéroport Schipol d’Amsterdam (entre les portes d’embarquementE et F, entrée libre, 180 000 visiteurs par an !) qui aprésenté près de 20 chefs d’œuvres au cours d’expositions thématiqueset temporaires. Les frais <strong>in</strong>hérents à cette surface d’expositionsont couverts par les bénéfices réalisés dans la boutique du muséesituée à l’étage <strong>in</strong>férieur. Simultanément, l’aéroport de Venizelosd’Athènes a ouvert, il y a quelques années, dans une allée du halld’embarquement, un musée, très à propos, de découvertes archéologiqueslocales et reconstitutions préhistoriques et des débutsde l’histoire de la zone alentour. Existe-t-il d’autres espaces pour<strong>in</strong>staller des œuvres d’art et en faire la médiation ? Non seulementdans les espaces urba<strong>in</strong>s, les rues, les parcs mais tout aussi biendans les campagnes qui jouxtent les villes, dans les friches <strong>in</strong>dustriellescomme dans les bâtiments et le patrimo<strong>in</strong>e historique.Une écologie du sensibleLe plus urba<strong>in</strong> des habitants est ma<strong>in</strong>tenant conva<strong>in</strong>cu de la valeurprécieuse de la nature mise en danger et à préserver. Autant deraisons pour célébrer cette nature par et avec l’art, en amenant leshabitants des villes dans des espaces naturels par l’<strong>in</strong>termédiaire dereprésentations théâtrales, de concerts et d’expositions. En Franceet aux Pays-Bas, les pouvoirs publics ont spécialement encouragéles <strong>in</strong>terventions d’artistes de Land Art en ple<strong>in</strong>e nature, et ceparfois à grande échelle. Depuis plus de 20 ans, des artistes et desspectateurs se rassemblent pendant 10 jours en ju<strong>in</strong> dans les dunes,forêts, plantations, coll<strong>in</strong>es et sur les plages de l’île de Terschell<strong>in</strong>g,sur la côte hollandaise de la mer du nord. Le programme énormeet exhaustif du Festival International de Oreol (www.oreol.nl) attire60 000 spectateurs et génère à lui seul un tiers des revenus touristiquesde l’île, mais il implique aussi la quasi totalité des 2 500 habitantset bénévoles de l’île. En 2008, parmi les réalisations commanditéespour l’occasion, celle de Robert Wilson, crée une sorte depromenade collective complexe qui pas à pas traverse l’île. Chaqueparticipant ne peut s’échapper de sa place dans le rang et bousculesa propre réflexion de sa relation réelle à la nature. Une expérienceunique et simple dans la lumière du jour qui change toujours. Deplus, le Festival d’Oreol prend en compte la vulnérabilité de l’environnementnaturel et les dommages écologiques causés par cettemanifestation et la concentration de foules en milieu naturel sontsoigneusement mesurés et réparés de manière experte par la suite.Ces festivals célèbrent la nature en lui permettant de partager uneexpérience artistique socialement très <strong>in</strong>tense et se préoccupentd’autre part de l’équilibre écologique naturel.Les friches <strong>in</strong>dustrielles : des zones d’expérimentationsChaque ville d’Europe est entourée d’espaces <strong>in</strong>dustriels, aujourd’huiabandonnés et détruits, souvent passés au doma<strong>in</strong>e public à la suitedes faillites des ex-propriétaires. Les autorités publiques cherchentà reconvertir ces espaces déserts et à leur trouver de nouvellesattributions, avec souvent l’aide de capitaux privés. Dans certa<strong>in</strong>esvilles, des expérimentations sont menées pendant un laps de tempsavant l’attribution f<strong>in</strong>ale des espaces et le bouclage des opérationsf<strong>in</strong>ancières. Des artistes réalisent ponctuellement des représentationsdans ces espaces <strong>in</strong>dustriels. Des festivals y trouvent unterra<strong>in</strong> d’expérimentations temporaires et abrités, disposant d’unm<strong>in</strong>imum de propreté, de sécurité et de confort. Ces friches <strong>in</strong>dustriellesdeviennent des espaces publics, des zones de recherchesartistiques, tout particulièrement lorsque les artistes ont la possibilitéd’y résider pour un temps, sous la forme de squat aux limitesde la légalité, pouvant durer de 2 à 3 ans. Ils s’approprient les lieuxet les aménagent de manière sommaire, attirent d’autres artistes etéveillent la curiosité de quelques spectateurs, nouent des alliancesimprobables et des partenariats, et sont à l’orig<strong>in</strong>e de dynamiquescréatrices spontanées, ce qui serait impossible a<strong>in</strong>si à programmerdans un centre culturel bien qu’il soit conçu à cet usage. Quands’achèvent les discussions sur les rénovations déf<strong>in</strong>itives des espaces,ces artistes n’ont ironiquement jamais de mot à dire et se considèrentbien souvent comme battus d’avance. L’endroit est rénové,embelli, embourgeoisé et transformé en appartements, en luxueuxbureaux ou en “ruches d’entreprises” mais quelques unes des synergiesdéveloppées naturellement par les amateurs d’art sont perdueset le caractère public des lieux s’en va dès que les artistes n’y résidentplus. Pis encore, si les prix augmentent dans les alentours suiteaux remous créés par les activités artistiques, la fonction culturellepotentielle de l’ex-organisation est menacée par les spéculateursqui ont des vues sur les lieux et par les villes avides de se faire plusd’argent grâce aux <strong>in</strong>vestisseurs commerciaux qu’en en dépensantà entretenir des artistes. Dans le système économique émergeant dela transition postcommuniste, à Budapest, Vilnius, Zagreb, Skopje,Prague, tout comme au Westerpark d’Amsterdam par exemple,l’<strong>in</strong>itiative de convertir des espaces <strong>in</strong>dustriels en lieux d’<strong>in</strong>stallationsartistiques et lieux culturels à dest<strong>in</strong>ation du public vient de lapression des <strong>in</strong>vestisseurs désireux de les exploiter par eux-mêmes,quelque fois même en collaboration avec les autorités locales. C’estpr<strong>in</strong>cipalement par les arts que les vestiges d’une époque <strong>in</strong>dustriellerévolue revivront sous forme d’espaces publics à la conditionque les pouvoirs publics se décident à diriger cette reconversionet soient aptes à les cof<strong>in</strong>ancer, peut-être avec des f<strong>in</strong>ancementsprivés sans succomber à leur dom<strong>in</strong>ation.Les lieux du patrimo<strong>in</strong>e historique et l’art contempora<strong>in</strong>Les objets du patrimo<strong>in</strong>e sont souvent la propriété du doma<strong>in</strong>epublic et <strong>in</strong>stitutionnel mais leur accès et la jouissance du publicsont restre<strong>in</strong>ts par des règlements et usages qui en assurent lapréservation. Dans toute l’Europe, les créations artistiques et les19 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilexpositions n’utilisent de façon régulière ou occasionnelle qu’unecenta<strong>in</strong>e de ces sites. Des concerts, des représentations, des lecturespoétiques, des ateliers et des débats soutiennent f<strong>in</strong>ancièrementdes palais, des abbayes, des églises, des châteaux, des maisons decorporations et même des établissements thermaux ou des prisonset leur donnent une nouvelle image. Ces lieux deviennent desespaces publics non pas uniquement par la valeur qu’on accordeau patrimo<strong>in</strong>e, mais aussi par des programmations artistiques.Malheureusement, beaucoup de sites patrimoniaux restent collés àleur idéologie protectionniste et à leur présentation à sens unique,<strong>in</strong>ébranlable et <strong>in</strong>altérable, dans une vision hégémonique du passé.Ces sites se préservent de la création contempora<strong>in</strong>e qu’ils considèrentcomme posant problème, plutôt controversée et même parfois,<strong>in</strong>férieure aux arts liés à l’Histoire. Aujourd’hui, beaucoup d’artistesregardent du côté des œuvres du patrimo<strong>in</strong>e matériel ou immatérielet, s’en <strong>in</strong>spirent, les contextualisent, les situent en miroir ou enréférence à leur travail. Ils engagent a<strong>in</strong>si un dialogue avec le patrimo<strong>in</strong>e,son style, ses thématiques et ses éléments narratifs a<strong>in</strong>si queson idéologie sous-jacente. Sans l’opportunité d’un tel échange,beaucoup de ces sites ne peuvent se revendiquer comme publicstant que cet aspect n’est pas le fruit d’échanges, de confrontations,de polémiques et de débats. L’exposition d’art contempora<strong>in</strong> sur unsite patrimonial attire un public plus important et plus diversifié,brise le modèle de consommation passive du discours historiqueimposé et libère les lieux des seules revendications liées aux idéologieslocales et nationales qui tenteraient de se les approprier. Unsite patrimonial historique obtient une importance européenne etmondiale par la présence et l’aura de ses activités artistiques etcontempora<strong>in</strong>es, par la qualité et la diversité de sa programmationartistique, au se<strong>in</strong> de son contexte historique et souvent même encontrepo<strong>in</strong>t. Quand Peter Greenway <strong>in</strong>stalle L’Inondation du FortAsperen (2007, www.fortasperen.nl), cette forteresse de la digueprotectrice des Pays-Bas datant du début du XIX e siècle, sort des seslimites habituelles (sauvée d’une niche de l’histoire architecturale etmilitaire de la Hollande) et procure alors à chaque visiteur, et implicitementau monde entier, une vision <strong>in</strong>time du déluge, du tempsqui passe et le sentiment d’un héritage aléatoire.Un ensemble de possiblesIl existe bien d’autres endroits plus fréquentés qui peuvent affirmerleur caractère public en s’ouvrant à des <strong>in</strong>terventions artistiques etdes <strong>in</strong>stallations d’œuvres d’art comme les musées d’art et d’histoireen premier lieu, des lieux bien en place pour un dialogue avecla modernité au travers de programmations d’art contempora<strong>in</strong>mais aussi comme les bureaux de poste, les espaces d’accueil deshôpitaux et des mairies, les bibliothèques publiques et même leséquipements sportifs, et au-delà, qui sont des lieux fréquentés parune plus grande diversité de citad<strong>in</strong>s, peu formés à la complexitéde l’art contempora<strong>in</strong> et qui sont souvent réticents à l’idée d’entrerdans des bâtiments prestigieux, bâtis pour servir de templespermanents à l’art. Présenter de l’art dans ces lieux publics a l’avantagede se faire là où les gens ont toujours quelque chose à y faireplutôt que d’attendre qu’ils viennent dans des lieux artistiques dontils entendraient parler et pour se confronter à lui. Des lieux autrescomme on le voit dans le m<strong>in</strong>i opéra qui débute comme ça au petitmat<strong>in</strong> dans le hall d’embarquement de l’aéroport de Stanted. Jen’oublie pas les galeries marchandes mais les tiens délibérément àl’écart de ma liste car ce ne sont pas de véritables espaces publicsmais en fait, des zones sous la coupe des propriétaires et commerçantsqui font appel à des agents de sécurité privés et obéissent àdes règles de comportement. Leurs directions se réservent même ledroit d’exclure des personnes qu’elles considèrent comme gênanteset diffusent pr<strong>in</strong>cipalement de la musique classique af<strong>in</strong> de fairefuir les adolescents de leurs zones favorites. L’aspect public y estsupplanté par les bénéfices commerciaux et privés et les organisateurss’accommodent des aspects divertissants et décoratifs desarts plastiques et des représentations diverses fournissant un courtrépit aux acheteurs exténués ou occupant les gam<strong>in</strong>s pendant queles parents poursuivent leur débauche d’achats.La question de la citoyennetéLa qualité de vie des villes ne peut découler de mantras de type“cités radieuses“, ni être garantie par l’émergence du toujoursplus, de zones pour acheter et boire (agoras de l’alcool, comme lesnomme Franco Bianch<strong>in</strong>i) mais de la vitalité des espaces publicsurba<strong>in</strong>s disponibles et des rencontres artistiques qu’on peut y trouver.Cet art sera mieux apprécié s’il est esthétique et promu d’unefaçon différente que l’art des musées, des galeries, des salles dethéâtre et de concert, et s’il résiste à la tendance pesante et à lafois bienveillante de la banalisation. Toutes les festivités, les carnavals,les processions et les autres manifestations d’une culture autreet toutes les pétillantes <strong>in</strong>stallations qui restent des traditions nenous choquent pas mais ne font pas avancer la cause de l’art dansl’espace public dans les villes contempora<strong>in</strong>es. Inévitablement, l’artdans un espace public, nous parle de la citoyenneté, qu’il soit deproximité ou étendu à la ville, en termes d’accessibilité, d’implicationet de participation active des multiples groupes d’habitants, deleur responsabilité et capacité à négocier leurs <strong>in</strong>térêts divergentsentre eux. Eux qui en tant que propriétaires aux abords des espacespublics n’approuvent pas cette idée, ni l’utilisation et le genre d’artqui y est <strong>in</strong>stallé mais s’accordent à désirer que ces lieux soient visibles,différents et vivants. Comme les artistes et associations artistiquesqui veulent rendre ces espaces publics plus visibles et resplendissantsen créant des relations avec les divers groupes de citoyensqui en sont les premiers spectateurs. Pendant que, dans d’autreslieux, les pouvoirs municipaux se focalisent sur les consommateurset les touristes, les artistes et associations artistiques se souviennentqu’ils ont beso<strong>in</strong> de sociétés civiles fortes comme d’une économievitale pour se développer et qui ouvrent des espaces publicsséduisants qui touchent enf<strong>in</strong> un nouveau public.septembre 2008 / 20


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilLes arts n’ont pas à savoircomment se comporterun commentaire sur les arts urba<strong>in</strong>sdans les environnements contempora<strong>in</strong>sCor<strong>in</strong>a Suteu & Cristian NeagoeCor<strong>in</strong>a Suteu a débuté comme critique de théâtre enRoumanie. Elle s’est occupée de la direction d’organisationsculturelles dès la chute du pouvoir communiste.Passionnée par une discipl<strong>in</strong>e émergeante et controversée(les politiques culturelles), elle travailla en France à la têted’un Master Européen en management culturel et dev<strong>in</strong>tune experte <strong>in</strong>ternationale dans le champ de la formation.Ses centres d’<strong>in</strong>térêts se focalisent sur les relations entrepolitiques et pratiques dans l’art. Actuellement, directricede l’Institut culturel rouma<strong>in</strong> de New York, elle porteun réel <strong>in</strong>térêt aux arts émergeants et à l’impact de lacréativité sur l’environnement urba<strong>in</strong>. Les graffs sont pourelle une nouvelle façon de faire de l’art aujourd’hui et ellecherche la manière dont l’art peut <strong>in</strong>fluencer les politiquespubliques.Cristian Neagoe a étudié la philosophie à l’université deBucarest. Il est titulaire d’une thèse sur l’autorité et le libreapprentissage dans les communautés virtuelles. Il a étélibraire, traducteur, producteur et directeur de relationspubliques à Bucarest et New York. Il a écrit des articles surl’art, l’activisme et le développement du numérique pourdivers magaz<strong>in</strong>es culturels en Roumanie. Il s’<strong>in</strong>téresseaux aspects déviants, hardcore et underground descomportements sociaux contempora<strong>in</strong>s et ceux del’expression artistique. Son ambition critique est nourriepar la nécessité de donner une visibilité objective desvisions créatrices apparemment conflictuelles.Au début, les objectifs des graffs tels que nous les présentonsdans les pages à venir, sont plutôt envisagés dans leur dimensioncréative plutôt que sous leurs aspects politiques. L’<strong>in</strong>térêt de cettepiste réside dans le fait de savoir dans quelle mesure, aujourd’hui,ce genre artistique découle plus largement d’un processus créatifsauvage. Aussi, le développement choisi, tout comme le style (uncommentaire ad hoc qui s’appuie sur l’observation directe des pratiquesde graff et les replace dans un contexte historique généralbasé sur des études sur la culture en Europe) sont à même de po<strong>in</strong>terdu doigt des jalons critiques et de cadrer des commentaires etidées à venir.Les thématiques explorées dans cet article posent les questionssuivantes :- Comment et pourquoi les arts sont retournés vers l’espacepublic en échappant à leur <strong>in</strong>stitutionnalisation (le graff parexemple) ?- Les arts urba<strong>in</strong>s sont-ils une oasis possible pour l’auto expressionredéf<strong>in</strong>ie de la liberté créatrice ?- Les arts urba<strong>in</strong>s ont-ils ré<strong>in</strong>venté le contenu et la fonctionsociale des arts ?- Les contenus créatifs du graff appartiennent-ils à des logiquesmarket<strong>in</strong>g tout comme le sont volontiers les beaux-arts, leurpendant traditionnel ?- Les arts contempora<strong>in</strong>s dans l’espace urba<strong>in</strong> sont-ils toujoursl’<strong>in</strong>strument d’un développement social important et celui del’émancipation des publics ? Ou sont-ils devenus plus pert<strong>in</strong>entsen soutenant les <strong>in</strong>dividus qui résistent à une logique destandardisation des images accompagnant les environnementsurba<strong>in</strong>s postmodernes ?Plutôt qu’une liste d’objectifs, cela nous permettra d’entrevoir lesperspectives historiques de la fonction sociale des arts dans lasociété moderne en Europe.Politiques culturelles publiques en Europe après 1970 :entre libre accès et contra<strong>in</strong>te <strong>in</strong>stitutionnellePrésentée comme une préoccupation majeure de toutes les recherchesen politiques culturelles anglo-saxonnes en 1997 1 en identifiant50 <strong>in</strong>dicateurs montrant l’impact des arts sur la société etcomplétée en 2008 par une étude globale publiée par Bennett etBelfiore 2 , la question de la mesure de l’<strong>in</strong>fluence des arts et de larecomposition sociétale alimente l’histoire de l’action publique enmatière de politique culturelle en Europe depuis la Grèce Antique.Les pr<strong>in</strong>cipales approches modernes des autres pays européens sontdoubles et prennent toutes deux naissance dans cette idée de l’utilisationde l’art comme vecteur d’éducation et comme fondementde la citoyenneté dans un contexte urba<strong>in</strong>. Les anglo-saxons se sontplus <strong>in</strong>téressés que les autres nations européennes à l’analyse deces objectifs lors des dix dernières années parce que le développementculturel de la Grande-Bretagne s’appuie pr<strong>in</strong>cipalement surdes <strong>in</strong>vestissements privés et des coproductions artistiques par l’<strong>in</strong>termédiairede fonds privés. Ce système politique s’appuie sur lesrésultats d’expertises régulières à partir d’<strong>in</strong>dicateurs qui facilitentla compréhension et classifient les pratiques culturelles des groupeset des communautés.À l’opposé, la France, les pays lat<strong>in</strong>s et les pays de système communisteont mo<strong>in</strong>s théorisé sur le caractère <strong>in</strong>strumental de l’art quesur son impact sur la société parce que les approches des schémaset de mise en œuvre de la culture étaient non participatifs, et baséssur des méthodes d’élaboration de politiques publiques descendantessans lesquelles les pratiques culturelles seraient assimiléesà autre chose 3 . Les Pays-Bas sont proches des anglo-saxons, tandisque l’Allemagne, par exemple, reproduit au niveau des régions, lemodèle politique français 4 .Ces diverses approches ont été reconsidérées dans les années 80,21 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilgrâce à l’émergence des grandes cités, des espaces multiculturelsqui mirent en lumière les dysfonctionnements entre l’approchedescendante de la politique culturelle traditionnelle et les politiquesde régénération urba<strong>in</strong>e qui s’appuient sur leurs rac<strong>in</strong>es. Ce rôlemajeur de “ciment” fut primordial pour les arts dans la constructiond’un capital social au se<strong>in</strong> d’un environnement urba<strong>in</strong> récemmentmis en œuvre 5 .Durant le même temps, la multiplication des <strong>in</strong>stitutions culturelles,des pratiques culturelles, de l’accessibilité des arts au plus grandnombre avec son contrepo<strong>in</strong>t – l’<strong>in</strong>teractivité, a conduit à ce queBennett appelle “le pessimisme culturel” –, c’est-à-dire, une culturevue comme une offre banale et modeste de la part d’un vaste publiceuropéen et, l’art entendu comme un remède universel par l’ensembledes autorités publiques et par les artistes eux-mêmes af<strong>in</strong> d’allégeret prévenir les crises sociales.Un paradoxe apparaît immédiatement si quelqu’un cherche à exprimerbrièvement ce processus. D’une part, dans la deuxième moitiédu siècle dernier, les spectateurs ont eu un plus large accès à toutesles formes d’art et de culture, et d’autre part, les frontières clairementdéf<strong>in</strong>ies entre la culture de l’élite et la culture populaire ontdisparu. Par contraste, un processus de confiscation des arts parl’<strong>in</strong>termédiaire de l’accroissement des <strong>in</strong>stitutions culturelles, laconstruction de par l’Europe de nombreux centres culturels multidiscipl<strong>in</strong>aires,la restauration de monuments historiques et la reconversiond’anciennes <strong>in</strong>frastructures culturelles et de sites <strong>in</strong>dustrielsen lieux de création, a, petit à petit, poussé le processus de créationvers une f<strong>in</strong> programmée.La démocratisation et l’accès à la culture comb<strong>in</strong>és au conf<strong>in</strong>ementet à l’ennui a<strong>in</strong>si que la “bureaucratisation” des dynamiques artistiquessont responsables de ce paradoxe.Certa<strong>in</strong>s pourraient conclure que les deux plus importants processusde mise en œuvre d’actions culturelles après la Seconde guerremondiale, à savoir, la démocratie de la culture et la démocratisationculturelle, ont, toutes deux, produit, grâce à l’<strong>in</strong>stitutionnalisationdes Arts, un effet important de “non-liberté”, de fermeture, offrantplus de stabilité et d’ordre dans le plus fragile et le plus perturbantdoma<strong>in</strong>e de l’expression huma<strong>in</strong>e.L’<strong>in</strong>vasion des nouvelles technologies : un po<strong>in</strong>t fluctuantLes années 90 amenèrent une révolution technologique, avec despratiques culturelles spécifiques et de nouveaux paradigmes decommunication. Ce processus fut totalement novateur dans ladistribution des arts et dans l’aspect participatif de sa réalisation.Aujourd’hui, le spectateur lambda contempora<strong>in</strong> est hautementconnecté par l’<strong>in</strong>termédiaire d’Internet et du téléphone portable.Il a accès à des outils d’enregistrement et dispose d’assez de“mémoire” pour avoir à disposition (sous forme numérique) unebibliothèque entière (que ce soit des textes, des musiques ou dela vidéo). Il n’est pas un simple consommateur de culture ; il peutaussi en produire, en mixer et remixer (ou, selon les termes deLess<strong>in</strong>g 6 , “Il est un membre actif de la “read-write culture” (culturedu spect-acteur) en opposition à la “read-only culture” (culture duregardeur) qui prédom<strong>in</strong>a au XX e siècle). Il est l’objet d’un bombardementvisuel constant, il est plus préparé à le filtrer sans le critiqueret demande plus de modèles encore. Comme cette abondanceaugmente la reproduction et la transmission de son contentement,les émotions associées à cela deviennent, elles aussi, fugaces, laissantla place à de nouvelles émotions, dans un processus sans f<strong>in</strong>qui aboutit à une sorte de déficit généralisé de l’attention. Il estdifficile de se concentrer sur quelque chose lorsqu’il y en a tantqui surviennent simultanément, chacune d’entre elles cherchantà se faire remarquer, cherchant à séduire. A<strong>in</strong>si le passant glisset-ild’un symbole à un autre, développant un champ de protectionqui laisse passer ple<strong>in</strong> de choses. Un tel courant d’émotionsfortes immunise le sujet ou le paralyse. La révélation ou la catharsisest mo<strong>in</strong>s à même de se produire dans de telles conditions.Elle est remplacée par un état d’<strong>in</strong>sensibilité ou par un ensembled’<strong>in</strong>stants cathartiques pré-mâchés, le 3 en 1 : “vivre vite, mourirjeune et laisser derrière soi un beau cadavre” semble être la devisecontempora<strong>in</strong>e et les espaces urba<strong>in</strong>s apparaissent comme “descréations temporaires faites au feutre <strong>in</strong>délébile” (pour aller dansle sens de Dan Perjovschi dans une de ces récentes expositions 7 ).D’un po<strong>in</strong>t de vue commercial, les dernières décennies sont caractériséespar d’autres processus qui <strong>in</strong>fluent sur la radicale transformationdes publics. Les pratiques commerciales <strong>in</strong>ternationales créentun désir fort de communication, d’abondance et de luxe largementnourri de symboles artistiques et de signes qui les vident de sensculturel et les transforment en de simples campagnes de market<strong>in</strong>g.Quelques unes des formes artistiques sont devenues les outils <strong>in</strong>dispensablesdes marchés publicitaires comme le design graphique, l’illustration,l’animation d’images, le c<strong>in</strong>éma ou la musique. La multiplicitédes signes et leur constante répétition, au lieu d’imposer etd’identifier des marques, pénètre et parasite la culture générale del’image, donnant naissance à de nouvelles formes archétypales (les“logos” 8 , les “memes” 9 ). Leurs méthodes de pénétration des espritset de la vie des “consommateurs” les habituant trop à leur présence,créent de la suspicion. Les consommateurs se mettent alors à seprotéger : Ils sont dess<strong>in</strong>és pour de petites pubs et quelques unssont si stupides qu’ils en rient.Le graff, nouveau paradigme artistique pour les autoritésDu fait de la globalisation, la culture de chaque nation ne prédom<strong>in</strong>eplus en matière de goût. Le public du théâtre, de l’opéra et dela danse classique représente une m<strong>in</strong>orité face à l’énorme public“en ligne” des supports multimédias. Les critères de légitimation etde ligne directrice des arts sont dés<strong>in</strong>tégrés et, progressivement, lesgens commencent à décider par eux-mêmes de ce qui a de la valeur,non comme le résultat d’une <strong>in</strong>itiation issue du code des élites quidicterait ce qui est bon, mais plutôt en accord avec ce qu’un nombred’utilisateurs critiques auraient décidé, chacun par lui-même. Avecl’augmentation d’utilisateurs plus ouverts, la question de l’autoritéest sérieusement secouée et on assiste au radical passage d’unenotion de “culture collective” à celle d’une “culture connective”.Ce changement redéf<strong>in</strong>it aussi la notion de l’autorité en art. Traditionnellement,les sociétés huma<strong>in</strong>es se dotent d’un système organisationnelqui s’appuie sur les hiérarchies et l’autorité af<strong>in</strong> d’identifierles bonnes <strong>in</strong>formations. Concernant l’efficacité du partage desconnaissances, les structures hiérarchiques agissent comme unesérie de filtres. Il n’y a qu’un passage officiel entre deux connexionssur le diagramme, aussi la possibilité pour les gens de faire circulerl’<strong>in</strong>formation décroît directement avec le nombre de connexionsqu’il faut passer af<strong>in</strong> de parvenir à dest<strong>in</strong>ation.S’assurant que chaque membre de la structure est bienveillant, l’<strong>in</strong>formationne transitera que si elle apparaît signifiante au récepteur.A<strong>in</strong>si chaque erreur dans l’évaluation de cette <strong>in</strong>formation risqued’en bloquer sa distribution. De la même façon, si une erreur apparaît,elle passe par le même canal comme une <strong>in</strong>formation correcte,septembre 2008 / 22


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilla structure hiérarchique reconnaissant l’autorité absolue de laconnexion supérieure. Une <strong>in</strong>formation provenant d’un membre duniveau supérieur ne s’appuie correctement que sur l’autorité de sonauteur. Cette autorité épistémique ne fonctionnera que si l’<strong>in</strong>formationtransmise est correcte et si les membres du niveau <strong>in</strong>férieursont capables de la reproduire et de l’appliquer de manière optimale.Les rythmes du monde dans lequel nous <strong>vivo</strong>ns se sont durementaccélérés dans les dernières décennies, et le beso<strong>in</strong> d’une <strong>in</strong>formationrapide et de bonne qualité s’est amplifié. Les méthodes traditionnellesqui ont fait leurs preuves ne sont plus applicables dorénavant.Les structures hiérarchiques complètent efficacement le travaildans le paradigme de la division et l’organisation des tâches, maisla division par le travail n’est plus de mise aujourd’hui. En matièrede communication et de partage de connaissances, l’efficacité est laclé de la réussite. Les réseaux numériques donnent plus de résultatsdans le libre échange des connaissances 10 , dans la mise en relationdes goûts plutôt que pour en imposer un seul.Dans le même sens, l’évaluation en matière d’art tend à échapper àl’autorité traditionnelle qui s’appuyait sur une hiérarchisation des<strong>in</strong>itiations et tire sa force du réseau Internet, des gens qui ont undénom<strong>in</strong>ateur commun, leur <strong>in</strong>térêt pour l’art. L’art contempora<strong>in</strong> leplus po<strong>in</strong>tu qui s’éloigne de l’observateur moyen est mo<strong>in</strong>s <strong>in</strong>vestidans ses codes de lecture et de plus en plus auto référencé.Dépassant la dichotomie entre culture de l’élite ou culture de masse,le surréalisme et le pop art avaient, il y a longtemps, ouvert la voieaux graffs que réalise quiconque veut se “montrer”. Quel type d’artest-il plus à même de donner des émotions éphémères que celui qu<strong>in</strong>’a pas l’<strong>in</strong>tention de duper ou survivre au spectateur ? Un simplecoup d’œil, un aperçu <strong>in</strong>attendu à mi-chem<strong>in</strong> du bureau ou durestaurant, est capable de provoquer une réaction. C’est toute las<strong>in</strong>cérité du graff, cette reconnaissance du périssable, un vanitasvanitatum qui le rend attrayant et auquel le passant donne de lavaleur. Les graffs n’ont pas beso<strong>in</strong> de lieux d’exposition (galeries d’art,musées, banques), pas plus que de critiques d’art, de collectionneurs,de commissaires d’exposition. Ils existent sans lien avec les modesde production <strong>in</strong>stitutionnelle et leurs programmes éducatifs. Lesmatériaux qu’ils utilisent sont plutôt pauvres, leur accès est immédiatet leur public est bien plus nombreux que celui des <strong>in</strong>stitutionsmodernes. Les graffeurs n’ont pas beso<strong>in</strong> d’approbation pour leurœuvre, même si elle est encore illégale ou s’oppose aux lois de lapropriété et tente de créer un “effet de fenêtre brisée” 11 .La polémique sur les graffs comme nouvel outil de plaisiret de créationEn ce sens, les graffs sont une réponse à cette nouvelle forme decomportement des sociétés globalisées. Nous observerons quelquesunes des caractéristiques en tachant de comprendre comment cetteforme de création a acquis une si grande importance dans le métabolismede la ville postmoderne.Tout d’abord, leur désengagement des <strong>in</strong>stitutions culturellesétablies, associé à la nécessité de rafraîchir les <strong>in</strong>teractions directesavec les spectateurs est la marque des graffs. Po<strong>in</strong>t n’est beso<strong>in</strong>d’expliquer l’importance des graffs. Des décennies d’accès réglementéaux spectacles ont redéf<strong>in</strong>i les attentes du spectateur et l’onttransformé en un public <strong>in</strong>struit. Un public, <strong>in</strong>ter culturellementmixte, considère chaque <strong>in</strong>tervention artistique comme provenantd’un environnement dans lequel il a lui-même grandi.Chaque métropole est, aujourd’hui, à l’image d’une énormeconnexion du réseau et les graffs sur un mur ont la possibilité decréer une rupture dans l’environnement urba<strong>in</strong>, de jouer avec etde le revitaliser. De nombreuses villes contempora<strong>in</strong>es abritent desréalités sociales extrêmement diverses (richesse et extrême pauvreté,surpopulation et désertification, construction et abandon, etc.) Lesgraffs reconfigurent ces disparités, offrent l’opportunité d’un genreparticulier et <strong>in</strong>time d’<strong>in</strong>teractions entre la ville et ses habitants. Lefait d’être illégal renforce, pour de nombreux projets de graff, lecaractère héroïque de l’acte créateur lui-même.Lorsqu’il réalise une œuvre, l’artiste de rue, le graffeur, sait que saréalisation ne va pas durer longtemps. En fait, elle est si éphémèrequ’elle peut être recouverte en quelques heures par quelqu’und’autre, ou peut être effacée par la brigade anti-tags. Dans une villeanimée comme l’est São Paolo aujourd’hui, une œuvre réussie peutdurer quelques jours. Sa durée de vie suit un processus de sélectionnaturelle – l’œuvre la plus respectée résiste à sa disparition. Legraffeur espère bien que son œuvre durera longtemps et il assumeson statut éphémère dès le début de sa réalisation. Ces œuvreséchappent aux archives 12 , la plupart d’entre-elles ne seront jamaismontrées dans les musées, l’attitude du “système” étant soit de leurdénier toute valeur esthétique, soit de tenter de les <strong>in</strong>tégrer à l’artconventionnel. En dépit du fait que les expositions de graff dansdes galeries reconnues ou des musées (voir Design and the ElasticM<strong>in</strong>d au MoMA 13 , par exemple) soient des gestes symboliques dereconnaissance et d’admiration de la part d’artistes appartenant ausystème en regard de la vitalité de ce genre d’expression, ceux-cirestent dans une représentation illusoire de l’appréciation de quelquechose qui perd son sens en dehors de son environnement habituel.Le graff est naturellement lié à son contexte et la White Cubene réussit pas vraiment à lui en donner un. La richesse et l’atmosphèrede la rue sont essentielles à cette forme d’expression créatrice.C’est sans doute pourquoi on les appelle des “arts urba<strong>in</strong>s”.Quelques graffs remarquables, toutefois, sont enregistrés enphoto ou en vidéo, circulant sur des blogs et stockés dans d’énormesbanques en archives comme Flickr 14 . Par exemple, l’un de cesblogs “à la gloire des graffs”, Wooster Collective, est l’une des pluscomplètes archives d’art urba<strong>in</strong> de New York ; ses auteurs ont reçudes centa<strong>in</strong>es de mails du monde entier dont les images montrentla façon dont les gens se servent des rues comme de supports. Lesréseaux des nouveaux médias submergent les voies officielles qui nesont pas accessibles à ces publics. Les blogs et les réseaux virtuelsde la société (comptant dix millions de membres actifs) acquièrentconfiance et respect pour leur réorganisation volontaire et la valeurde leurs <strong>in</strong>formations. “La production émergeante sur des basescommunes” 15 n’a pas seulement changé l’économie, elle a aussichangé les arts.Sur cette base, se pose une seconde question : pouvons-nous encoretaxer les arts urba<strong>in</strong>s “d’underground” et de “contre-culture” ? Neserait-ce pas aujourd’hui justement l’<strong>in</strong>verse ? Les espaces publicsont désespérément beso<strong>in</strong> de projets plutôt que d’énormes affichesd’Hugo Boss ou Revlon, af<strong>in</strong> de retrouver une authentique <strong>in</strong>dividualitéet se dist<strong>in</strong>guer les uns des autres.Les graffs pourraient être l’unique façon d’opposer efficacementles arts aux images publicitaires. On ne demande pas aux gens s’ilsveulent être <strong>in</strong>toxiqués visuellement ou être victimes du bombardementdes offres commerciales. D’un autre côté, les graffeurs nedemandent pas la permission de réagir, quelquefois même en utilisantles panneaux publicitaires comme supports. Si dans les années60 et 70, l’apparition du graffiti (d’abord à New York, puis dans23 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outill’ensemble des grands espaces urba<strong>in</strong>s) attire l’attention du publicsur ce moyen d’expression et de revendication de communautésmarg<strong>in</strong>ales 16 , dans les v<strong>in</strong>gt dernières années, une forme de décolonisationdu goût s’est <strong>in</strong>stallée et l’art urba<strong>in</strong> est devenu racoleur.Ce qui veut dire qu’une nouvelle forme de goût s’<strong>in</strong>stalle à présent.Chaque genre social tend vers l’autodéterm<strong>in</strong>ation de ses valeursesthétiques, à l’écart de la dom<strong>in</strong>ation des formes traditionnelles dugoût de l’Europe occidentale.Dans l’espace urba<strong>in</strong>, les graffs passent pour l’expression collectived’un groupe d’<strong>in</strong>dividus, sa signature, une forme personnelle etsilencieuse de résistance à l’<strong>in</strong>vasion d’images pré formatées danschaque ville. Ce sont les signes de l’émotion marg<strong>in</strong>ale de petitescommunautés, mais aussi la preuve que l’écosystème urba<strong>in</strong> peutproduire et tolérer “de mauvais comportements” de la créativité.En conséquence, le graff métamorphose la ville en territoire ouvert,en un réseau d’images proliférant et disparaissant constamment,des images qui restent un jour ou une sema<strong>in</strong>e, couvrant les murs etgrimpant de nulle part comme de la végétation, donnant au passantl’étrange et <strong>in</strong>habituelle impression de surfer sur les murs de la villecomme sur Internet : rien ne reste, rien ne prédom<strong>in</strong>e, l’impact estle même pour tous et la chance de disparaître aussi. Au se<strong>in</strong> de laforme la plus sophistiquée de l’habitat huma<strong>in</strong>, le graff ré<strong>in</strong>venteune forme de “pe<strong>in</strong>ture rupestre”, de fresque, de retour vers uneimage universelle, tribale et totémique du subconscient.On peut faire un parallèle en regardant la façon dont les formes degraff découlent d’un beso<strong>in</strong> primitif de gribouiller, de dess<strong>in</strong>er mach<strong>in</strong>alementdes images (comme en jouant avec un crayon lorsqu’onreste longtemps au téléphone). Dess<strong>in</strong>er dans la rue implique de selivrer et d’exprimer des liens à un univers très <strong>in</strong>time et personneldans l’espace public. Et dans le même temps, une opposition ouverteà l’autorité descendante et la notion de propriété (bousculant à lafois l’idée de la propriété et ignorant le sens de la propriété privée),les graffs restent profondément anarchiques. Cette idéologie seretrouve dans le mouvement des hackers (pirates <strong>in</strong>formatiques),dans les communautés de libre échange, et dans le paradigme du“copyleft” 17 qui bouscule les lois concernant la propriété <strong>in</strong>tellectuelle.Les graffeurs cherchent à l’étendre au monde extérieur,comme si les objets alentours étaient des produits sans propriétaires.Ils utilisent et partagent ces objets ensemble, les font circulercomme on se passe un jo<strong>in</strong>t, en petits groupes très soudés. Quasimenttout peut servir de support au graffeur, du paquet de cigarettesaux tra<strong>in</strong>s en passant par les panneaux publicitaires. Cette formed’anarchie est la qu<strong>in</strong>tessence de la protection d’une authentiqueanima de l’artiste dans l’environnement urba<strong>in</strong>.Sous un angle différent de l’étude de Myerscough à propos del’impact économique des arts, étude qui restaure une pensée européennedes conséquences économiques globales de la créationartistique, certa<strong>in</strong>s notent clairement que par la suite, l’auteur neprend pas en compte les phénomènes qu’engendre la globalisation– les nouvelles technologies, les publics actuels de la “générationInternet” ou les “effets kleenex” des contenus culturels market<strong>in</strong>get désensibilisés.Les sociétés contempora<strong>in</strong>es attendent sous peu des preuves solidesde l’importance de l’impact économique des arts. Alternativement,elles sont prêtes à observer ce qui restera de l’art dans cette économiede marché. Lorsque cette f<strong>in</strong> est prise en compte le rôle desgraffs est mieux compris.D’un po<strong>in</strong>t de vue commercial, les graffs peuvent être l’<strong>in</strong>strumentd’une déconnexion – non marchande, non conditionnable, voire<strong>in</strong>compatible avec la distribution de masse. C’est pourquoi le mondedes affaires a réellement tenté dans les dernières décennies de captersa fraîcheur créatrice et d’<strong>in</strong>tégrer ses œuvres à ses propres objectifs.Pour ce faire, les entrepreneurs doivent “composer avec les loisdes univers qu’ils sont en tra<strong>in</strong> d’explorer”, comme l’écrit Josh Spearsur son blog d’<strong>in</strong>vestigations 18 . Les graffs sont une “création” exemplairedans ce sens, par le fait qu’ils répondent directement à ces<strong>in</strong>terférences sous la forme d’un dialogue créatif avec la publicité.En novembre 2005, le groupe Sony a lancé une campagne publicitairedans plusieurs grandes villes des Etats-Unis, cherchant àvendre sa console de jeu portable, PlayStationPortable (PSP), auxporteurs de hipsters 19 urba<strong>in</strong>s. Sony a <strong>in</strong>demnisé des propriétairesd’immeubles pour la mise à disposition de leurs murs af<strong>in</strong> d’êtregraffés par des artistes de rue, eux-mêmes f<strong>in</strong>ancés à cet effet. Lesimages bombées étaient des représentations totémiques d’enfantshébétés jouant avec leur gadget comme si c’était des skateboards,des marionnettes, des crèmes glacées sans aucune mention demarque. Cette guerre ouverte du système marchand, utilisant lestyle, mais non le fond du graff, provoqua une réaction immédiate 20comme on peut le voir sur la galerie virtuelle Wooster Collective quidétourne la campagne de graff de la PSP de Sony 21 .En mars 2006, Adidas a lancé une campagne publicitaire à Berl<strong>in</strong> quia reçu un vif succès. Tout d’abord, on a montré de grandes affichesblanches avec un petit logo Adidas accompagné de cette citation deLeonard de V<strong>in</strong>ci : “Pour ces couleurs qu’on espère magnifiques, il fauttoujours préparer une couche de blanc pur”. C’était essentiellementune <strong>in</strong>vitation ouverte pour les graffeurs et une contrepartie à dess<strong>in</strong>eret graffer sur les panneaux publicitaires, ce que firent certa<strong>in</strong>s(des œuvres improvisées apparurent, abondamment gribouillées etcomplétées par une boutique de streetwear qui vendait aussi desproduits de marque Adidas 22 ). Après quelques jours de confusion, ilsrev<strong>in</strong>rent vers les panneaux publicitaires et les recouvrirent d’autresaffiches dans l’esprit Adicolor, <strong>in</strong>corporant les graffs et masquant lesœuvres de la première couche 23 . Ce fut, comme le dit Mark Schillerde Wooster Collective, “un revers de la médaille – où comment desfirmes retrouvent la voie de l’équité par une campagne authentiqueet <strong>in</strong>telligente“ 24 . Il s’agit d’une campagne unique, qui ne peut êtrereproduite, et qui reconnaît le statut éphémère du graff et travailleavec lui dans une même effervescence créatrice.En accord avec nos observations, les créations des graffeurs sontaujourd’hui dans l’espace urba<strong>in</strong> : supranationales, nourries deconnections permanentes évoluant dans un espace non hiérarchisé(où les valeurs sont affirmées par la masse critique d’un consensussans forme, et non assujetties aux connaissances de quelques uns) ;en constante opposition avec les images dom<strong>in</strong>antes du marché etqui agissent comme un miroir critique efficace.Nous croyons que ce type de production artistique est très bienadapté pour répondre aux beso<strong>in</strong>s culturels des sociétés contempora<strong>in</strong>es,précisément de par son caractère éphémère, de par sessites privilégiés, son caractère universel et son aura d’illégalité. Incapabled’être un simple produit, le graff est, aujourd’hui, la méthodela plus sûre pour rivaliser avec succès avec ces formes de contenusartistiques recyclés que les objectifs mercantiles ont simplifiées etstandardisées.Si quelqu’un cherche à savoir à quel po<strong>in</strong>t le graff est un outil, eten faveur de quoi la réponse pourrait n’être qu’un <strong>in</strong>strument sanssuite de l’expression marg<strong>in</strong>ale d’une frustration sociale et engageantplus la cohésion de mouvements communautaires, le graffsert en fait à confirmer l’<strong>in</strong>st<strong>in</strong>ct créatif et basique de l’<strong>in</strong>dividu.“C’est la pulsion naturelle de celui qui désire décorer son environ-septembre 2008 / 24


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilnement, qui désire le rendre beau. La dernière question posée par legraff étant de savoir à quoi ressemblerait une ville outrageusementdécorée ?” 25En paraphrasant la métaphore de Matarasso, le graff est aujourd’hui“l’ornement” compulsif des sociétés postmodernes. L’ultime résistancedes hommes ternit la ville, place où tout se passe, des sentimentshuma<strong>in</strong>s jusqu’aux panneaux publicitaires et aux événementsculturels qui deviennent alors exclusivement “opérationnels”.1 Matarasso, 1997.2 Bennett, Belfiore, 2007.3 Rigaud, 1996.4 Matarasso, Landry, 1999.5 Mercer, 2004 ; Bianch<strong>in</strong>i, Park<strong>in</strong>son, 1993.6 Less<strong>in</strong>g, 2006.7 What happened to US, Modern Museum of Art, New York, 2007.8 Kle<strong>in</strong>, 2005.9 Dawk<strong>in</strong>s, 1976.10 Mateos Garcia & Ste<strong>in</strong>mueller, 2003.11 “Prenons l’exemple d’un bâtiment avec quelques fenêtres cassées. Si lesfenêtres ne sont pas réparées, la tendance des vandales est d’en briser d’autres.Eventuellement, ils casseront même l’<strong>in</strong>térieur du bâtiment, et s’il est <strong>in</strong>occupé,sans doute viendront des squatters ou il y a aura du feu à l’<strong>in</strong>térieur. Considéronsun trottoir à présent. Quelques déchets s’amoncellent. Bientôt plus encorearriveront. Peut-être même que des gens déposerons des détritus provenant desrestaurants de vente à emporter à proximité ou de l’<strong>in</strong>térieur de leur voiture.”(Wilson, J.Q. ; Kell<strong>in</strong>g, G.L., 1982)12 Groys, 2003.13 www.woostercollective.com/2008/03/the_graffiti_research_lab_at_new_yorks_m.html14 Flickr est un site d’hébergement d’images et de vidéos, de services <strong>in</strong>ternet et deplateforme en ligne pour des collectivités. Ce fut l’une des premières applicationsdu Web 2.0. Sa popularité a été provoquée par les outils qu’elle proposait quipermettaient de graffer les photos et de scanner par des manipulations simples.En novembre 2007, le site hébergeait plus de deux millions d’images. (Source :Wikipédia – 7 juillet 2008).15 Benkler, 2006.16 Ferrell, 1993.17 “Copyleft” est un jeu de mot d’après copyright et décrit les pratiques d’utilisationde la loi du copyright af<strong>in</strong> de déplacer les restrictions dans la distribution descopies et versions modifiées d’œuvres à d’autres et d’utiliser les mêmes libertéspour préserver ces versions modifiées. (Source : Wikipédia, 3 juillet 2008)18 www.joshspear.com/item/adicolor-campaign/19 “hipster” : en français “baggy” - pantalons larges qui tombent des hanches.20 www.wired.com/culture/lifestyle/news/2005/12/6974121 www.woostercollective.com/2005/12/woosters_gro<strong>in</strong>g_gallery_of_de.html22 www.overkillshop.com23 Un diaporama avec les phases de la campagne : www.be<strong>in</strong>ghunted.com/features/2006/04_adicolor_berl<strong>in</strong>/adidas_adicolor.html24 www.woostercollective.com/2006/03/adidas_gets_it_right_with_adicolor.html25 Bryan, Jamie, High Times (Août 1996).25 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilArt, espace publicet centres pour la créationRamón ParramónRamón Parramón dirige et coordonne des projetsdans le secteur de la création et de l’art contempora<strong>in</strong>.Il dirige le projet artistique IDENSITAT depuis 1998.Il a par ailleurs organisé plusieurs projets, tels queTerritorios Ocupados (2000), Barcelonas (1999) etVisiones Periféricas (1994-97). Son travail évolue avecun <strong>in</strong>térêt marqué vers des projets pluridiscipl<strong>in</strong>aireset le rôle que l’art peut jouer dans des contextessociopolitiques spécifiques. Il enseigne également àl’ELISAVA, école supérieure de design.Pourquoi les artistes travaillent-ils dans l’espace public ? Répondre àcette question oblige à énoncer une série de changements survenusdans les villes (déf<strong>in</strong>ies comme espace de production culturelle) etdu rôle que la culture peut jouer dans la dynamisation économiquede la ville. Ces éléments, qui se nourrissent entre eux, ont permisd’accélérer le développement d’une scène complexe qui attire, d’unepart l’<strong>in</strong>térêt de nombreux artistes issus de différentes discipl<strong>in</strong>esartistiques et d’autre part, des gestionnaires publics et locaux, versl’espace public pour <strong>in</strong>tensifier ce genre de manifestation. Travaillerdans l’espace public met en évidence de multiples doma<strong>in</strong>es de lacréation et un changement important dans la façon de projeter etde gérer l’activité culturelle. Ce changement suppose l’<strong>in</strong>tégrationd’éléments nouveaux comme la séduction, l’expérimentation, l’<strong>in</strong>teractionavec le citad<strong>in</strong> autant dans la production elle-même quedans la gestion, a<strong>in</strong>si que le facteur temps en relation avec l’espaceet le lieu. Ce changement de perspective a fait l’objet d’observationsprécises entre Zigmunt Bauman et Maaretta Jaukkuri : “Jusqu’à il ya encore v<strong>in</strong>gt ou trente ans, la fonction de la culture était habituellementconçue du po<strong>in</strong>t de vue du gestionnaire : c’était l’époque oùla culture était associée au projet de contrôle de la perception dumonde.” 1Si à cette époque les activités culturelles déployées dans l’espacepublic étaient programmées sous la logique unidirectionnelledes politiques culturelles, un ensemble d’<strong>in</strong>termédiaires apparaîtaujourd’hui selon la logique du marché. La consommation d’activitésdéveloppées dans l’espace public fait partie d’une demande faiteà la ville elle-même de produire une activité constante et permanente.Cette activité prend forme dans les festivals, événements,actions, performances, manifestations… et transforme l’expériencede la ville en culture de l’événement, dans une ville programméepour le spectacle dans lequel de multiples événements se superposentcont<strong>in</strong>uellement de façon croissante, et se reproduit dansplusieurs villes à travers une dynamique de contagion. Les artistesapportent une réponse à ces demandes, mais révèlent aussi lanécessité conceptuelle de chercher de nouvelles scènes pour leursactivités et expérimenter de nouveaux formats dans lesquels l’urba<strong>in</strong>acquiert une grande importance, autant dans sa dimensionspatiale que sociale. Tout ce qui est fortuit, aléatoire, requiert desconditions particulières pour <strong>in</strong>citer à la nouveauté. C’est en ce sensqu’il faudrait tenir compte d’autres types d’activités autonomesqui ont une <strong>in</strong>cidence sur l’espace public à travers des pratiques<strong>in</strong>formelles qui produisent des activités en réseaux, dotées d’aspectsassociés autant au local qu’au social. Aussi, certa<strong>in</strong>s pouvoirspublics locaux, dans leurs engagements auprès des citad<strong>in</strong>s et dansle doma<strong>in</strong>e culturel, ont travaillé et contribué au développementet à l’<strong>in</strong>tégration d’actions qui ont pour objectif de dépasser l’idéeréductrice de la ville spectacle. L’Agenda 21 de la culture constitue undocument qui place les politiques culturelles au cœur de l’activité etdonne des orientations pour son développement 2 . Les <strong>in</strong>terventionsdans l’espace public acquièrent un <strong>in</strong>térêt tout particulier au se<strong>in</strong> decette multiplicité d’<strong>in</strong>térêts communs.L’art a été le berceau de concepts comme l’art public ou “new genrepublic art” et englobe ce genre de pratiques, qui prend forme dansle contexte de la ville et concrètement autour de la vision plus larged’espace public. Plusieurs technologies et formalisations f<strong>in</strong>ales ontété utilisées à cet effet : <strong>in</strong>terventions dans l’espace urba<strong>in</strong>, <strong>in</strong>terventionsen réseau, <strong>in</strong>terventions dans l’espace communautaire ;a<strong>in</strong>si que des pratiques qui requièrent les espaces alternatifs pourpouvoir exister. Des travaux, impulsés depuis le secteur artistique,mais qui à leur tour questionnent la légitimité de cette fusion avecd’autres dispositifs socioculturels, qui devient souvent un mécanismeconsensuel ou un simple <strong>in</strong>strument de médiation. L’art quise joue dans l’espace public s’est déf<strong>in</strong>i à plusieurs reprises commeune alternative à la configuration bénévole prédom<strong>in</strong>ante mise enplace par les campagnes de market<strong>in</strong>g des villes cadres ou des villesmonuments, ou encore des villes dont l’unique objectif semble êtrecelui d’une logique touristique. Dans cette perspective, la ville, l’urba<strong>in</strong>et le territoire constituent un observatoire des analyses, maisaussi un laboratoire pour développer des projets dans lesquels unecomposante critique <strong>in</strong>tervient et est déterm<strong>in</strong>ée dans l’espacepublic déf<strong>in</strong>i comme un espace conflictuel.Dans un article récent, j’ai tenté d’expliquer que ce type de pratiquesartistiques dans l’espace public n’appartenait pas explicitement àun genre artistique spécifique puisque le concept d’art public esttrop large pour se limiter à un certa<strong>in</strong> type d’activités. On se trouveface à des stratégies qui renouvellent les concepts de production, dediffusion et de distribution, en produisant des projets qui trouventdans l’espace public leur espace naturel. “Cette catégorisation del’art public, qui a surgi dans notre pays (l’Espagne), répond davantageau beso<strong>in</strong> d’expansion des pratiques artistiques vers d’autresterritoires, non pas au sens spatial mais de celui de production et detransformation des politiques culturelles.” 3Actuellement, nous nous trouvons face à l’urgence de redéf<strong>in</strong>ir lesstratégies d’action de la production, de la diffusion et des formesd’<strong>in</strong>teraction avec le public depuis le doma<strong>in</strong>e de la culture même etspécifiquement de la création artistique. Le public, à qui l’on proposed’être co-auteur, co-producteur, ou co-<strong>in</strong>terprète des contenusseptembre 2008 / 26


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilformulés dans le contexte artistique, est de plus en plus actif.Cette redéf<strong>in</strong>ition des stratégies passe par le lissage des différencesentre créateur (compris comme auteur, artiste ou configurateur denouveaux récits qui ré<strong>in</strong>terprètent la réalité ou en produisent unenouvelle vision) et producteur (compris comme gestionnaire, adm<strong>in</strong>istrateur,manager). Ces deux agents, assez dist<strong>in</strong>cts l’un de l’autrejusqu’à il y a encore peu de temps, peuvent faire de plus en pluspartie de la même entité, partie prenante d’un projet commun etd’une même stratégie. On pourrait qualifier cette gestion de créative,basée sur des plateformes de travail et de gestion de processus. Parailleurs, la tendance à la dématérialisation de l’œuvre en faveur del’événement, de la manifestation elle-même et de l’action éphémèrenous permet de constater une configuration particulière où l’<strong>in</strong>cisioncréative sur le territoire acquiert un air fugace et transitoire. Cettescène conditionne les formes d’organisation des productions, où seconstituent les équipes spécifiques pour aborder la mission relativeau développement de chaque projet. Comme le dit Tony Bryant :“Il s’agit du dénommé modèle hollywoodien d’organisation, danslequel — à l’exemple d’un film — sont réunies les personnes nécessairesà la réalisation d’un projet qui se dispersent à nouveau par lasuite. Il y a déjà beaucoup d’écrits sur les “organisations virtuelles”,les “équipes virtuelles” et je ne crois pas qu’il faille attendre encorelongtemps pour voir apparaître quelques experts capables d’offrirun “Conseil Liquide“, une sorte de “BauMangenment” 4 .La comb<strong>in</strong>aison de ces paramètres, plus ou mo<strong>in</strong>s récents, rendpossible l’existence d’un certa<strong>in</strong> type d’espaces pour encourager lesproductions, qui viennent prendre le nom de “centres de production”,ou “centres de création contempora<strong>in</strong>e”, ou “art et création”,ou encore “art et pensée”, ou “création et pensée contempora<strong>in</strong>e”,ou n’importe quelle autre composition issue de ce type de term<strong>in</strong>ologie.Ce genre de lieux prolifère et s’éloigne des concepts purementd’exposition comme le format choisi par excellence par lescréateurs-producteurs, af<strong>in</strong> de rendre public leurs répétitions, leursexpériences, leurs trouvailles ou mettre en évidence leurs visionsparticulières du monde. Face à la prolifération d’un certa<strong>in</strong> typede production étalé dans le temps, à l’<strong>in</strong>corporation de mécanismesde participation, à la constante <strong>in</strong>sistance de la nécessité desortir de l’espace protégé, une nouvelle typologie est appelée ànaître, pour les centres qui encouragent la production, la médiation,la connexion, avec divers secteurs de la société et qui <strong>in</strong>corporentdes stratégies ayant une <strong>in</strong>cidence sur l’espace public. Certa<strong>in</strong>s l’ontnommé Friches culturelles, à cause de cette nouvelle idée de reconvertirles anciennes fabriques en nouveaux centres de création, et en<strong>in</strong>corporant le concept signé George Yúdice de “la culture commeressource” 5 , qui analyse l’<strong>in</strong>tégration de la culture à l’appareil deproduction comme ressource de croissance économique (les <strong>in</strong>dustriesculturelles), de résolution des conflits sociaux, et aussi commeressource de création d’emplois.Traditionnellement, dans le cadre de l’exposition artistique, ce quia été appelé le White Cube était le lieu où se réunissait les conditionspour percevoir, expérimenter et ré<strong>in</strong>terpréter une œuvre d’art.L’activité développée dans le dernier tiers du siècle dernier a provoquéla crise de ce modèle, et en même temps a permis de proposerde multiples stratégies pour échapper à ses paramètres corsetéset travailler en dehors ou au-delà de son ence<strong>in</strong>te. Les constantesmanifestations qui se situent dans l’espace public y cherchent cequ’habituellement on ne trouve pas au se<strong>in</strong> de l’espace protégé, laconnexion directe avec le citad<strong>in</strong> et le beso<strong>in</strong> d’établir un lien avecla “réalité”. Cet objectif conciliateur, en première <strong>in</strong>stance, apparaitproblématique puisque “la déambulation du promeneur” 6 coïnciderarement avec le beso<strong>in</strong> de s’<strong>in</strong>vestir pour percevoir (expérimenter,comprendre, prendre part) dans un projet artistique. Cette idée aégalement été élaborée par Muntadas dans plusieurs de ses œuvresavec son : “warn<strong>in</strong>g : perception requires <strong>in</strong>volvement” (attention :la perception requiert la participation). Un <strong>in</strong>térêt croissant dans ledoma<strong>in</strong>e de l’expérimentation créative émerge dans cette controverse,et dans les difficultés liées à la connexion avec les collectifscitad<strong>in</strong>s, agents actifs dans l’espace social, pour essayer de configurerun nouveau champ productif dans les pratiques qui ont une<strong>in</strong>cidence sur l’espace public. Non pas pour générer des pratiquespseudo sociales mais pour articuler des processus créatifs collaboratifsplus ou mo<strong>in</strong>s complexes qui apportent des aspects <strong>in</strong>novants,des articulations ultérieurement utilisables dans des pratiques quidemandent une dynamique de travail à plus long terme.Pour <strong>in</strong>tervenir et rendre possible ce type de travail plus complexe eten <strong>in</strong>corporant ces changements dans la production, l’une des voiespossibles est constituée par les centres de création (choisissant l’undes termes les plus larges parmi ceux cités plus haut). Si l’on envisagel’exemple de la création en Espagne, nous devons nécessairementle faire depuis la perspective de la gestion publique. Concrètement,il n’existe pas d’<strong>in</strong>itiative privée car aucun mécanisme nefavorise clairement ce genre de possibilités, ni aucune traditioncomme celles forgées dans les pays anglo-saxons qui favorisent uncerta<strong>in</strong> type d’organisations privées qui, grâce à leurs activités bénéfiquespeuvent prétendre obtenir d’importants abattements fiscaux.La gestion de la culture en Espagne est associée aux personnalitéspolitiques élues qui déf<strong>in</strong>issent des modèles et des propositions qu<strong>in</strong>’ont pas toujours tenu compte de l’<strong>in</strong>tégration de professionnelsactifs dans le doma<strong>in</strong>e des arts. Cela change car les mécanismes decréation, de gestion et de diffusion ont déjà commencé à transformerles modèles préalables.Par exemple, dans le cas de la Catalogne, une loi a été votée, permettantl’existence d’un Conseil des arts qui aura pour fonction d’assumerune partie de la gestion et de la distribution des fonds dugouvernement autonome en relation avec les activités culturelles etartistiques. Les changements que tout cela pourrait produire dansle contexte actuel restent à voir et, de toute façon, ils arrivent troptard par rapport aux pays à tendance anglo-saxonne qui ont déjà<strong>in</strong>troduit ce modèle de gestion depuis plus de 60 ans. Ce décalagetemporel peut jouer positivement si l’on parvient à constituer unmodèle propre, adapté au contexte, qui permettrait d’établir desconnexions et des relations sur le plan <strong>in</strong>ternational autant quelocal, et que l’on parviendrait à une gestion budgétaire en accordavec les objectifs déf<strong>in</strong>is.Pour parler de ce changement de stratégie et du nouveau paysaged’<strong>in</strong>frastructures en œuvre, je vais faire référence à deux textes deJesús Carrillo qui, en fait, sont complémentaires. Ces textes sont :“Les Nouvelles fabriques de la culture : les lieux de la création etde la production culturelle dans l’Espagne contempora<strong>in</strong>e” et“Réflexions et propositions sur les nouveaux centres de création” 7 .Le premier constitue une analyse sur le phénomène actuel deconversion des anciennes friches <strong>in</strong>dustrielles, espaces de productionau sens fordiste du terme, en nouveaux espaces pour la cultureet les arts. Pour cela, il analyse trois cas d’étude récemment apparussur la scène artistique actuelle : la LABoral de Gijón, La Tabakalerade Sa<strong>in</strong>t-Sébastien et le Matadero de Madrid. Il propose uneanalyse selon laquelle leurs programmes ont en commun la proliférationde notions comme celles de production et création, cultureet contemporanéité, culture visuelle à la place de l’art contempo-27 / septembre 2008


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilra<strong>in</strong>, a<strong>in</strong>si que l’usage systématique de “nouvelles technologies”. Lavolonté de rendre visible le processus de production, puisqu’il n’estplus suffisant de faire apparaître seulement le résultat f<strong>in</strong>al dans unformat d’exposition, mais qu’il faut rendre visible le travail préalable,le processus, car tout cela fait partie de l’œuvre. Un autre po<strong>in</strong>tcommun qui les unit est la volonté de connecter le local avec leglobal. La nature des projets en lien avec des politiques régionalesrequiert de conjuguer habilement la relation entre ce qui est procheet étranger, mettre sur la carte contempora<strong>in</strong>e (quels que soient les<strong>in</strong>térêts, parfois qui seront artistiques, d’autres fois avec une fonctionplus ambitieuse qui consiste à mettre la ville entière sur la carte,ou bien contribuer à ce que cela soit possible). Un autre élémentconcordant est que dans ses grandes lignes de programmation, ledésir de mettre en commun les différents champs de la créativité,depuis le design, la musique, les arts visuels, la gastronomie… esttoujours un moteur important.À cet ensemble de po<strong>in</strong>ts communs, il faut rajouter une circonstancequi a marqué clairement les politiques culturelles, l’excessiveproximité des politiques dans la gestion de ces centres. Depuis laprogrammation jusqu’à l’évaluation des résultats, habituellementsujette à comptabiliser le nombre d’usagers, en passant par uneforte fiscalisation de contenus qui dans de nombreuses occasionsrendent impossibles le développement de travaux critiques, enfaveur d’une neutralité des contenus ou bien en faveur des lignesde programmation des partis. De plus, cela s’apparente au fait depromouvoir un type de fonctionnement peu perméable à l’<strong>in</strong>corporationde dynamiques préexistantes, activités qui ont pu générerune connexion avec le local depuis une perspective <strong>in</strong>dépendante etavec des mises en œuvre critiques et des propositions alternativesaux politiques <strong>in</strong>stitutionnelles peu flexibles.Le deuxième texte de Jesús Carrillo, “Réflexions et propositions surles nouveaux centres de création” vient compléter de façon pluspragmatique le document précédent, en proposant une série deconditions que doit assumer un centre de création promu par les<strong>in</strong>stitutions. Les voici en résumé :— Indépendance par rapport aux macroprojets de requalificationurba<strong>in</strong>e af<strong>in</strong> d’éviter que la culture ne soit déterritorialisée,privée de sens et mystifiée (qui s’adapte à l’écosystème du lieu etne prétend pas phagocyter tout ce qui se trouve autour). Ce sujetaborde avec <strong>in</strong>telligence le fait que chaque projet doit <strong>in</strong>corporerla négociation entre le local avec l’étranger et l’extérieur.— Produire des structures de fonctionnement et de f<strong>in</strong>ancementdans l’optique de garantir l’<strong>in</strong>dépendance et la transparencedu centre (constituer un comité de conseil temporaire entreles acteurs locaux et le secteur spécialisé, dans l’objectif dese connecter avec leur environnement social et culturel). Celadevrait être complété en déf<strong>in</strong>issant les processus, en canalisantles propositions et en les projetant dans la société, envisageantdonc ledit centre comme catalyseur.— Enf<strong>in</strong>, il y est proposé d’identifier les usagers, collaborateurs ou<strong>in</strong>terlocuteurs. La relation créateur-spectateur n’est plus celled’une dualité unique puisque des dynamiques beaucoup plus<strong>in</strong>teractives et par conséquent plus complexes s’établissent.Je considère que ce texte s’<strong>in</strong>scrit sur le territoire de la praxis etétablit des bases très concrètes pour aborder un nouveau centre decréation, voire pour analyser ce qui existe déjà.La pratique artistique fusionne avec la gestion et se développe enessayant de nouvelles relations entre production, diffusion, distributionet <strong>in</strong>teraction réciproque de contenus, en proposant dedéf<strong>in</strong>ir l’art différemment, à partir des po<strong>in</strong>ts de jonction d’uneconnexion en réseau. Face à cette idée de noeuds de connexion etde plateforme de services, un nouveau concept a été <strong>in</strong>troduit, enrelation avec les centres de création, le “Hub” 8 . New Museum l’a déjàadopté en se déf<strong>in</strong>issant comme le “Museum as Hub”. Cela permetde développer des activités en connexion avec d’autres centres deproduction et de présentation dans le cadre <strong>in</strong>ternational.Cette dématérialisation et connexion en réseau résume l’essencecontempora<strong>in</strong>e du travail sur l’espace public.1 Zigmunt Bauman dialoga con Maaretta Jaukkuri, Tiempos líquidos : arteslíquidas, (p.78); <strong>in</strong> Bauman, Z: Arte ¿líquido?, Editions Sequitur, Madrid 2007.2 Dans la page web www.agenda21culture.net se trouvent tous les documentsproduits lors du IV Foro de Autoridades Locales para la Inclusión Social de PortoAlegre, à Barcelone en mai 2004 tenu dans le cadre du Forum Universel desCultures, Barcelona 2004.3 Parramon, R., No public art, article publié dans en Exit Book n.7, Madrid, 2007.4 Antony Bryant, Modernidad líquida, complejidad y turbulencia (p.66), <strong>in</strong>Bauman, Z. Arte, ¿líquido?, Edition Sequitur, Madrid, 2007.5 George Yúdice, El recurso de la cultura: usos de la cultura en la era global.Barcelone, Gedisa, 2002.6 Cette phrase a souvent été utilisée par Manuel Delgado dans ses prolifiquesrecherches sur l’espace public dans une perspective anthropologique. DansEl animal público, Anagrama, Barcelone, 1999, il déf<strong>in</strong>it l’espace public comme“ces surfaces sur lesquelles se produisent des glissements desquels résultentune <strong>in</strong>f<strong>in</strong>ité de croisements et de bifurcations, a<strong>in</strong>si que des espaces de jeuque l’on pourrait qualifier sans hésiter de chorégraphie. Les protagonistes ?Evidemment, il ne s’agit plus de communautés cohérentes, ni homogènes,retranchées dans leur quadrillage territorial, mais les acteurs d’une altéritéqui se généralise : promeneurs à la dérive, étrangers, voyageurs, travailleurs etoccupants de la voie publique, dissimulateurs, pèler<strong>in</strong>s éventuels, voyageurs entra<strong>in</strong> d’attendre leur autobus…” (p. 26).7 Carrillo, J. (2007) http://medialab-prado.es/article/laboratorio_delprocomun_nuevos_centros_de_creacion_contem poranea8 www.newmuseum.orgseptembre 2008 / 28


L’esprit nomade, Barcelone derrière le masque, retour sur le colloque «Fresh Circus », une enquête sur les publics des festivals, un dossier spécial musique, un numéro consacré à ladanse en espace public, et aussi... Danser dans l’espace public / Land<strong>in</strong>g08 / Entretienavec Jan Fabre / Ben J. Riepe / Gerhard Bohner / MarkoPelihan / Katarzyna Kozyra / Mathilde Monnier et LaRibot / T<strong>in</strong>o Sehgal / Christian Rizzo / Konstant<strong>in</strong>osRigos / Festival Trouble - Halles de Shaerbeek / Corps<strong>in</strong>stables / Expensive art...146 pages ; 240 x 300 mm ; allemand, anglais, français, grec ❑Oui, je m’abonne à Stradda pour 1 an, 4 numéros❑28 € (France)❑34 € (Dom Tom et autres pays)❑Oui, je souhaite recevoir le Yearbook « Dance <strong>in</strong> art » au prix exceptionnel de 9 € au lieu de 18 €TOTAL : ____ €Nom Prénom StructureAdresseCode Postal Ville PaysTélEmailMode de règlement :rVirement bancaire CC Nanterre La Défense, compte n°42559 00009 51020017003 42IBAN : 76 4255 9000 0951 0200 1700 342 / CODE BIC : CCOPFRPPXXXrChèque (France uniquement, libellé à l’ordre de HorsLesMurs)rCarte bancaire n°________ / ________ / ________ / ________ Date d’expiration : ____ / ____Date : ________________ Signature (obligatoire) : ________________À retourner accompagné de votre règlement à : HorsLesMurs · 68 rue de la Folie Méricourt · 75011 Paris · Franceaccueil@horslesmurs.fr · Tél. : +33 (0) 1 55 28 10 10 ∙ Fax : +33 (0) 1 55 28 10 11 ∙ rubrique


La Création contempora<strong>in</strong>e comme outilCe projet a été f<strong>in</strong>ancé avec le soutien de laCommission européenne. Cette communicationn’engage que son auteur et la Commission n’estpas responsable de l’usage qui pourrait être faitdes <strong>in</strong>formations qui y sont contenues.septembre 2008 / 30

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