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La Création contemporaine comme outill’ensemble des grands espaces urbains) attire l’attention du publicsur ce moyen d’expression et de revendication de communautésmarginales 16 , dans les vingt dernières années, une forme de décolonisationdu goût s’est installée et l’art urbain est devenu racoleur.Ce qui veut dire qu’une nouvelle forme de goût s’installe à présent.Chaque genre social tend vers l’autodétermination de ses valeursesthétiques, à l’écart de la domination des formes traditionnelles dugoût de l’Europe occidentale.Dans l’espace urbain, les graffs passent pour l’expression collectived’un groupe d’individus, sa signature, une forme personnelle etsilencieuse de résistance à l’invasion d’images pré formatées danschaque ville. Ce sont les signes de l’émotion marginale de petitescommunautés, mais aussi la preuve que l’écosystème urbain peutproduire et tolérer “de mauvais comportements” de la créativité.En conséquence, le graff métamorphose la ville en territoire ouvert,en un réseau d’images proliférant et disparaissant constamment,des images qui restent un jour ou une semaine, couvrant les murs etgrimpant de nulle part comme de la végétation, donnant au passantl’étrange et inhabituelle impression de surfer sur les murs de la villecomme sur Internet : rien ne reste, rien ne prédomine, l’impact estle même pour tous et la chance de disparaître aussi. Au sein de laforme la plus sophistiquée de l’habitat humain, le graff réinventeune forme de “peinture rupestre”, de fresque, de retour vers uneimage universelle, tribale et totémique du subconscient.On peut faire un parallèle en regardant la façon dont les formes degraff découlent d’un besoin primitif de gribouiller, de dessiner machinalementdes images (comme en jouant avec un crayon lorsqu’onreste longtemps au téléphone). Dessiner dans la rue implique de selivrer et d’exprimer des liens à un univers très intime et personneldans l’espace public. Et dans le même temps, une opposition ouverteà l’autorité descendante et la notion de propriété (bousculant à lafois l’idée de la propriété et ignorant le sens de la propriété privée),les graffs restent profondément anarchiques. Cette idéologie seretrouve dans le mouvement des hackers (pirates informatiques),dans les communautés de libre échange, et dans le paradigme du“copyleft” 17 qui bouscule les lois concernant la propriété intellectuelle.Les graffeurs cherchent à l’étendre au monde extérieur,comme si les objets alentours étaient des produits sans propriétaires.Ils utilisent et partagent ces objets ensemble, les font circulercomme on se passe un joint, en petits groupes très soudés. Quasimenttout peut servir de support au graffeur, du paquet de cigarettesaux trains en passant par les panneaux publicitaires. Cette formed’anarchie est la quintessence de la protection d’une authentiqueanima de l’artiste dans l’environnement urbain.Sous un angle différent de l’étude de Myerscough à propos del’impact économique des arts, étude qui restaure une pensée européennedes conséquences économiques globales de la créationartistique, certains notent clairement que par la suite, l’auteur neprend pas en compte les phénomènes qu’engendre la globalisation– les nouvelles technologies, les publics actuels de la “générationInternet” ou les “effets kleenex” des contenus culturels marketinget désensibilisés.Les sociétés contemporaines attendent sous peu des preuves solidesde l’importance de l’impact économique des arts. Alternativement,elles sont prêtes à observer ce qui restera de l’art dans cette économiede marché. Lorsque cette fin est prise en compte le rôle desgraffs est mieux compris.D’un point de vue commercial, les graffs peuvent être l’instrumentd’une déconnexion – non marchande, non conditionnable, voireincompatible avec la distribution de masse. C’est pourquoi le mondedes affaires a réellement tenté dans les dernières décennies de captersa fraîcheur créatrice et d’intégrer ses œuvres à ses propres objectifs.Pour ce faire, les entrepreneurs doivent “composer avec les loisdes univers qu’ils sont en train d’explorer”, comme l’écrit Josh Spearsur son blog d’investigations 18 . Les graffs sont une “création” exemplairedans ce sens, par le fait qu’ils répondent directement à cesinterférences sous la forme d’un dialogue créatif avec la publicité.En novembre 2005, le groupe Sony a lancé une campagne publicitairedans plusieurs grandes villes des Etats-Unis, cherchant àvendre sa console de jeu portable, PlayStationPortable (PSP), auxporteurs de hipsters 19 urbains. Sony a indemnisé des propriétairesd’immeubles pour la mise à disposition de leurs murs afin d’êtregraffés par des artistes de rue, eux-mêmes financés à cet effet. Lesimages bombées étaient des représentations totémiques d’enfantshébétés jouant avec leur gadget comme si c’était des skateboards,des marionnettes, des crèmes glacées sans aucune mention demarque. Cette guerre ouverte du système marchand, utilisant lestyle, mais non le fond du graff, provoqua une réaction immédiate 20comme on peut le voir sur la galerie virtuelle Wooster Collective quidétourne la campagne de graff de la PSP de Sony 21 .En mars 2006, Adidas a lancé une campagne publicitaire à Berlin quia reçu un vif succès. Tout d’abord, on a montré de grandes affichesblanches avec un petit logo Adidas accompagné de cette citation deLeonard de Vinci : “Pour ces couleurs qu’on espère magnifiques, il fauttoujours préparer une couche de blanc pur”. C’était essentiellementune invitation ouverte pour les graffeurs et une contrepartie à dessineret graffer sur les panneaux publicitaires, ce que firent certains(des œuvres improvisées apparurent, abondamment gribouillées etcomplétées par une boutique de streetwear qui vendait aussi desproduits de marque Adidas 22 ). Après quelques jours de confusion, ilsrevinrent vers les panneaux publicitaires et les recouvrirent d’autresaffiches dans l’esprit Adicolor, incorporant les graffs et masquant lesœuvres de la première couche 23 . Ce fut, comme le dit Mark Schillerde Wooster Collective, “un revers de la médaille – où comment desfirmes retrouvent la voie de l’équité par une campagne authentiqueet intelligente“ 24 . Il s’agit d’une campagne unique, qui ne peut êtrereproduite, et qui reconnaît le statut éphémère du graff et travailleavec lui dans une même effervescence créatrice.En accord avec nos observations, les créations des graffeurs sontaujourd’hui dans l’espace urbain : supranationales, nourries deconnections permanentes évoluant dans un espace non hiérarchisé(où les valeurs sont affirmées par la masse critique d’un consensussans forme, et non assujetties aux connaissances de quelques uns) ;en constante opposition avec les images dominantes du marché etqui agissent comme un miroir critique efficace.Nous croyons que ce type de production artistique est très bienadapté pour répondre aux besoins culturels des sociétés contemporaines,précisément de par son caractère éphémère, de par sessites privilégiés, son caractère universel et son aura d’illégalité. Incapabled’être un simple produit, le graff est, aujourd’hui, la méthodela plus sûre pour rivaliser avec succès avec ces formes de contenusartistiques recyclés que les objectifs mercantiles ont simplifiées etstandardisées.Si quelqu’un cherche à savoir à quel point le graff est un outil, eten faveur de quoi la réponse pourrait n’être qu’un instrument sanssuite de l’expression marginale d’une frustration sociale et engageantplus la cohésion de mouvements communautaires, le graffsert en fait à confirmer l’instinct créatif et basique de l’individu.“C’est la pulsion naturelle de celui qui désire décorer son environ-septembre 2008 / 24