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LE H O R L A

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Texte :Le Horla : G. de Maupassant Page 9 / 25rafraîchir mon front et ma pensée au vent calme del'obscurité.Il faisait bon, il faisait tiède ! Comme j'aurais aimécette nuit-là autrefois !Pas de lune. Les étoiles avaient au fond du ciel noirdes scintillements frémissants. Qui habite cesmondes ? Quelles formes, quels vivants, quelsanimaux, quelles plantes sont là-bas ? Ceux quipensent dans ces univers lointains, que savent-ilsplus que nous ? Que peuvent-ils plus que nous ?Que voient-ils que nous ne connaissons point ? Und'eux, un jour ou l'autre, traversant l'espace,n'apparaîtra-t-il pas sur notre terre pour laconquérir, comme les Normands jadis traversaientla mer pour asservir des peuples plus faibles ?Nous sommes si infirmes, si désarmés, si ignorants,si petits, nous autres, sur ce grain de boue quitourne délayé dans une goutte d'eau. Je m'assoupisen rêvant ainsi au vent frais du soir.Or, ayant dormi environ quarante minutes, jerouvris les yeux sans faire un mouvement, réveillépar je ne sais quelle émotion confuse et bizarre.Je ne vis rien d'abord, puis, tout à coup, il mesembla qu'une page du livre resté ouvert sur matable venait de tourner toute seule. Aucun souffled'air n'était entré par ma fenêtre. Je fus surpris etj'attendis. Au bout de quatre minutes environ, jevis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page sesoulever et se rabattre sur la précédente, comme siun doigt l'eût feuilletée. Mon fauteuil était vide,semblait vide ; mais je compris qu'il était là, lui,assis à ma place, et qu'il lisait. D'un bond furieux,d'un bond de bête révoltée, qui va éventrer sondompteur, je traversai ma chambre pour le saisir,pour l'étreindre, pour le tuer !... Mais mon siège,avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si oneût fui devant moi... ma table oscilla, ma lampetomba et s'éteignit, et ma fenêtre se ferma comme siun malfaiteur surpris se fût élancé dans la nuit, enprenant à pleines mains les battants.Donc, il s'était sauvé ; il avait eu peur, peur de moi,lui !Alors... alors... demain... ou après..., ou un jourquelconque, je pourrai donc le tenir sous mespoings, et l'écraser contre le sol ! Est-ce que leschiens, quelquefois, ne mordent point etn'étranglent pas leurs maîtres ?18 août. - J'ai songé toute la journée. Oh ! oui jevais lui obéir, suivre ses impulsions, accomplirtoutes ses volontés, me faire humble, soumis lâche.Il est le plus fort. Mais une heure viendra...19 août. - Je sais... je sais... je sais tout ! Je viens delire ceci dans la - Revue du Monde scientifique - :"Une nouvelle assez curieuse nous arrive de Rio deJaneiro. Une folie, une épidémie de folie,comparable aux démences contagieuses quiatteignirent les peuples d'Europe au moyen âge,sévit en ce moment dans la province de San-Paulo.Les habitants éperdus quittent leurs maisons,désertent leurs villages, abandonnent leurs cultures,se disant poursuivis, possédés, gouvernés commeun bétail humain par des êtres invisibles bien quetangibles, des sortes de vampires qui se nourrissentde leur vie, pendant leur sommeil, et qui boivent enoutre de l'eau et du lait sans paraître toucher àaucun autre aliment."M. le professeur Don Pedro Henriquez,accompagné de plusieurs savants médecins, estparti pour la province de San-Paulo afin d'étudiersur place les origines et les manifestations de cettesurprenante folie, et de proposer à l'Empereur lesmesures qui lui paraîtront le plus propres à rappelerà la raison ces populations en délire."Ah ! Ah ! je me rappelle, je me rappelle le beautrois-mâts brésilien qui passa sous mes fenêtres enremontant la Seine, le 8 mai dernier ! Je le trouvaissi joli, si blanc, si gai ! L'Etre était dessus, venantde là-bas, où sa race est née ! Et il m'a vu ! Il a vuma demeure blanche aussi ; et il a sauté du naviresur la rive. Oh ! mon Dieu !A présent, je sais, je devine. Le règne de l'hommeest fini.Il est venu, Celui que redoutaient les premièresterreurs des peuples naïfs, Celui qu'exorcisaient lesprêtres inquiets, que les sorciers évoquaient par lesnuits sombres, sans le voir apparaître encore, à quiles pressentiments des maîtres passagers du mondeprêtèrent toutes les formes monstrueuses ougracieuses des gnomes, des esprits, des génies, desfées, des farfadets. Après les grossières conceptionsde l'épouvante primitive, des hommes plusperspicaces l'ont pressenti plus clairement. Mesmerl'avait deviné et les médecins, depuis dix ans déjà,ont découvert, d'une façon précise, la nature de sapuissance avant qu'il l'eût exercée lui-même. Ils ontjoué avec cette arme du Seigneur nouveau, ladomination d'un mystérieux vouloir sur l'âmehumaine devenue esclave. Ils ont appelé celamagnétisme, hypnotisme, suggestion... que sais-je ?Je les ai vus s'amuser comme des enfantsimprudents avec cette horrible puissance ! Malheurà nous ! Malheur à l'homme ! Il est venu, le... le...comment se nomme-t-il... le... il me semble qu'il mecrie son nom, et je ne l'entends pas... le... oui... il lecrie... J'écoute... je ne peux pas... répète... le...A.R. TAMINES

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