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DISCOURS DE CORFOU - Fondation Hainard

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Il y a deux façons d’être de son temps: témoigner de son état comme une feuillede température, un électro-encéphalogramme; pousser du côté où ça penche, pour segriser d’une illusion de puissance ou lui apporter ce qui lui manque.La science et les techniques qui en découlent enfoncent l’homme dans saschizophrénie naturelle. Obscurément encore, il s’en effraie. Les artistes, saisis devertige, abdiquent leur nature propre, singent maladroitement la science. Un consensusadministratif, un terrorisme intellectuel veulent imposer au public une forme d’art qui nelui apporte rien et qui l’ennuie. Tout a été dit là-dessus dans le conte d’Andersen, LesHabits neufs du Grand-Duc. Dans une petite cour d’Allemagne, deux filous tissent duvide en affirmant qu’ils font de beaux habits, mais que ceux qui occupent un poste pourlequel ils ne sont pas compétents ne peuvent les voir. Si bien que nul n’ose avouer qu’il nevoit rien, jusqu’à ce qu’un petit enfant, à la cérémonie où le grand-duc revêt ses habitsneufs, s’écrie: « Mais il est tout nu! » Seulement, dire l’équivalent dans les circonstancesactuelles ne fait plaisir à personne. Le bourgeois -et le critique- ayant été convaincu den’avoir rien compris (à Corot, aux Impressionnistes) sont bien décidés à comprendren’importe quoi.La crise a peut-être été déclenchée par l’invention de la photo (encore uneincidence technique!). Elle a ôté à la peinture les prétextes qui lui évitaient de se poserla question de sa raison d’être. On n’a jamais été peintre parce qu’on était unparticulièrement féal sujet du grand seigneur dont on fixait les traits, célébrait lesexploits, ni parce qu’on croyait plus que d’autres aux vérités théologiques qu’on illustrait(on dit que Giotto était un mécréant), mais parce qu’on avait cet inexplicable besoin dereproduire la beauté du monde.La science rationnelle réduit le monde en morceaux toujours plus fins, en unepoudre amorphe, en un bal de particules aléatoires. Est-ce la nature des choses, est-cela conséquence de notre mode d’approche? Nos gestes professionnels s’émiettent aussi.La volée de la hache est remplacée par les dents et le ronronnement de la tronçonneuse,le coup de pioche du terrassier par le marteau-piqueur. Nous n’accomplissons plus uneffort, nous guidons une trépidation.Ce qui se perd là-dedans, c’est la volonté, l’intention, les formes qui résistent auxpressions aléatoires et se perpétuent fidèles à elles-mêmes, la beauté, la joie.Cet éloge de la forme, de la beauté, je suis heureux de le prononcer sous le ciel de laGrèce.Mouettes par grosse bise, gravure1 Discours de Robert <strong>Hainard</strong>à la remise de son Prix de l’Académie internationale de philosophie de l’art,décerné à Corfou le 23 septembre 1984.Texte et images © <strong>Fondation</strong> <strong>Hainard</strong>/FH/mmdp/081102 4

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