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<strong>LA</strong> <strong>GELINOTTE</strong> <strong>DES</strong> <strong>BOIS</strong><br />
Bonsa bonasia (L.)<br />
Synonymes : Gelinotte des coudriers. Tetrastes bonasia<br />
Allemand : Haselhuhn. Anglais : Hazel-Grouse. Italien : Francolino di monte.<br />
Mâle adulte nuptial : tête brun roux aux plumes barrées de brun noir, avec petite huppe, sourcil nu rouge vif,<br />
petite tache blanche devant l'oeil et bande blanche en arrière bavette noire cernée d'une bordure blanchâtre;<br />
dessus du corps gris beige tacheté de fauve, de blanc et de brun, devenant gris cendré roussâtre au bas du dos et<br />
aux sus-caudales (celles-ci barrées de brun avec raies médianes noires); tectrices du dessous brun roux avec<br />
bord blanc et chevron subterminal noirâtre, le roux vif dominant en haut de la poitrine et aux flancs, le blanc<br />
ailleurs; épaulette blanche de la base du cou au haut du dos; rémiges primaires brunes tachetées de beige au<br />
vexille externe, secondaires brun gris lavées de brunâtre, internes marquées de noir, de fauve et pointillées de<br />
brun; couvertures sus-alaires tachetées de brun noir et de larmes blanches, scapulaires plus rousses; 14<br />
rectrices brun gris vermiculé de brun noir, avec large barre noire avant l'extrémité blanchâtre; jambes fourrées<br />
de brun gris pâle. Bec noir, doigts gris brun, iris brun foncé. Mue partielle en mai-juin : gorge mêlée de blanc<br />
ou blanc jaunâtre barrée de gris. Mue complète de juin à octobre.<br />
Femelle : huppe très courte, gorge brun jaunâtre pâle, barre caudale plus étroite; teintes plus ternes.<br />
Jeune : gorge blanchâtre, pas de taches blanches scapulaires; pour le reste comme la femelle. Mue complète<br />
jusqu'en novembre, dès lors en livrée adulte. - Dimensions: aile 167-185 mm (M.) ou 157-180 (f.); queue 114-<br />
13 mm; bec (du front) 10-11 mm; tarse 35-37 mm. Longueur env. 38-41 cm. Envergure 54-58 cm. Poids<br />
d'automne 315-490 g (m.) ou 315-465 g (f.), en moyenne environ 410 et 400 g; plus faible au printemps.<br />
Dans les taillis encore nus, quelques dernières taches de neige; partout les chatons des<br />
noisetiers répandent leur pollen doré; déjà les fleurs du premier printemps s'annoncent :<br />
primevères chiffonnées par le gel, nivéoles en clochettes, étoiles roses des dents-de-chien. Au<br />
tournant du sentier, un essor froufroutant s'est éloigné au sein des hautes broussailles : seraitce<br />
la Gelinotte ? Mais en voici une autre, une petite poule brune qui, après quelques<br />
enjambées, a pris l'envol et sur ses ailes arquées se perd à son tour entre les branches.<br />
Rencontre brève et décevante: à peine avons-nous vu la queue typique de l'espèce... Mais le<br />
promeneur ne peut guère s'attendre à mieux, car des années de recherche et de patience sont<br />
nécessaires pour en apprendre davantage sur le furtif gallinacé des bois.<br />
Identification<br />
Quand le hasard et la circonspection permettent enfin d'observer un instant cet oiseau si<br />
discret, c'est un régal d'apprécier la rondeur élégante de ses formes, son plumage aux couleurs<br />
d'écorces et de feuilles mortes, tout chamarré de roux, de brun, de gris et de blanc, sa huppe<br />
que la moindre émotion hérisse en pointe sur sa tête. Si la femelle a la gorge blanchâtre et des<br />
teintes moins vives, la huppe plus courte, le mâle se distingue d'emblée à sa face et à sa<br />
bavette noires que cerne un ourlet blanc et que la mue oblitère quelque peu durant l'été; il a<br />
aussi la tête plus large, une coloration plus chaude où ressortent des tons de rouille vive et des<br />
taches blanches plus contrastées. En tout temps, la queue grise avec barre terminale noire,<br />
bien arrondie à l'envol, prévient une confusion avec un autre<br />
gallinacé; la taille est celle d'une grosse perdrix allongée,<br />
toujours inférieure à celle d'un vrai Tétras.<br />
La queue en route, le coq de Gelinotte parade en marchant, Jura, 13 mai 1931<br />
1
Activités<br />
La vie de la Gelinotte se déroule à couvert, dans l'étage inférieur des bois et des taillis.<br />
Discrète à l'extrême, silencieuse le plus souvent, elle se déplace avec lenteur, marchant à petits<br />
pas mesurés et levant assez haut les pattes, la queue animée de tressaillements légers. Sur une<br />
neige molle, les empreintes de ses trois doigts s'inscrivent très proches les unes des autres, en<br />
piste rectiligne. De longues haltes attentives renforcent encore cette impression de nonchalance,<br />
qui augmente d'ailleurs l'effet protecteur de son plumage. Mais à la moindre alerte, la<br />
Gelinotte dresse le cou et soulève la huppe, prête à fuir. Elle se dérobe volontiers en piétant;<br />
d'une course agile, un peu dandinée, elle se glisse parmi les fourrés, escalade des rocailles, non<br />
sans intercaler de brèves haltes d'inspection et de courtes envolées, presque des bonds.<br />
La Gelinotte court légèrement dans le sous-bois, sur la neige, Gryon ,3 avril 1943<br />
Les ramures lui sont aussi familières que le sol: grâce aux peignes cornés de ses doigts,<br />
qui s'accrochent aux écorces rugueuses, elle grimpe le long de troncs assez raides et<br />
parvient sans peine à évoluer jusque dans les rameaux fins qu'elle préfère. HAINARD<br />
l'a vue monter à longs pas lents, alternant les prises toujours tournées en dedans, et le<br />
corps suivant chaque mouvement. C'est là-haut qu'elle va chercher les bourgeons et les<br />
inflorescences des arbres, puis leurs fruits. Elle y passe le plus clair de son temps en hiver,<br />
évoluant sans hâte, sautant et voletant de branche en branche. C'est toujours sur le rameau<br />
souple d'un arbuste ou d'un baliveau, à quelques mètres du sol, qu'elle choisit son<br />
perchoir nocturne, ce qui la met à l'abri de la martre 1 . De jour, je l'ai vue se percher près<br />
du tronc, à mi-hauteur d'un sapin. Mais elle demeure à couvert, évite de s'exposer au sommet<br />
des arbres, de survoler les bois et les clairières, et si elle fréquente volontiers les lisières, les<br />
sentiers et les bords des chemins forestiers, elle veille à ne pas s'écarter de ses refuges. Ici et<br />
là, elle fréquente des bains de poussière et des fourmilières, s'ébroue à l'occasion sous la pluie,<br />
se repose aussi dans les fourrés de jeunes conifères et s'y abrite par mauvais temps.<br />
Une ouïe très fine et une vue non moins excellente assurent sa vigilance. L'apparition<br />
d'un Autour la fige à terre, et c'est souvent sa réaction à l'approche d'un danger, si elle ne s'est<br />
pas éclipsée en silence au premier bruit perçu.<br />
1<br />
En Finlande, les Gelinottes dorment aussi dans la neige, de préférence sous l'abri que forment les basses branches<br />
des épicéas; par grand froid, elles s'enfoncent dans la neige jusqu'à disparaître et peuvent passer non seulement la nuit, mais<br />
la journée entière dans ce refuge invisible, utilisé une fois seulement, en général (Pynnönen). Parfois aussi, l'oiseau ne laisse<br />
sortir que la tête. De telles cachettes ont été aussi observées dans le Jura, dans les Alpes et dans les Balkans (cf BURNIER,<br />
etc. NO 1970); il est probable que la Gelinotte se laisse aussi recouvrir peu à peu pendant une chute de neige. Dimensions<br />
d'un gîte: 20-30 cm de diamètre. On trouve aussi en sous-bois, parfois en terrain découvert, des amas de fientes dans les creux<br />
de la neige.<br />
2
L'envol au départ du sol est assez bruyant, les ailes<br />
courtes et arrondies produisant une vibration rapide,<br />
froufroutées, qui sert probablement de signal d'alarme et<br />
qui est moins sonore chez la femelle; toutefois l'essor peut<br />
ne faire aucun bruit, notamment dans les arbres. Habile à<br />
se faufiler entre les branchages, le vol souple et coupé<br />
de courtes planées ne mène jamais bien loin, -soit que<br />
l'oiseau aille se percher pour observer sans bouger, soit<br />
qu'il continue en piétant, avec des hochements nerveux de<br />
la queue.<br />
A l'exception de la période estivale, où l'on<br />
rencontre de petites compagnies de jeunes, la Gelinotte vit<br />
seule ou plutôt par couples, qui ne sortent guère d'un<br />
territoire assez restreint, mais connu dans ses moindres<br />
détails. La visibilité y étant fort limitée, c'est la voix qui<br />
lui sert de liaison.<br />
A l'envol, la Gelinotte étale sa queue grise barrée de noir.<br />
Koprivnica, Yougoslavie, 29 octobre 1961<br />
Voix<br />
Discrète, elle rappelle davantage celle d'une mésange ou d'un roitelet qu'une voix de<br />
Gallinacé, aussi faut-il avoir l'oreille avertie pour la repérer en forêt. Les deux sexes signalent<br />
leur présence par une courte strophe grêle et suraiguë, dont le rythme atténue la monotonie.<br />
Celle du mâle a été transcrite de diverses manières, ce qui suppose des différences régionales<br />
et individuelles. Au Vuache près de Genève, j'ai noté tsiih-tihtittittittituih, soit un sifflet initial<br />
appuyé suivi d'une répétition sautillante et d'une finale un peu infléchie.... en Finlande<br />
PYNNÖNEN transcrit en deux syllabes longues et trois brèves: tih-thi-tititi. En général, la<br />
première note est longue et le motif dure 2 secondes et demie, mais sa portée est faible, 100 à<br />
150 m au plus. Le chanteur, branché ou à terre, huppe levée et cou rentré, les ailes un peu<br />
détachées et frémissantes, ouvre le bec à chaque son. La femelle s'exprime dans le même<br />
style, par un chant plus bref et moins aigu tie-tie-tihtiti qui répond à celui du mâle. La<br />
signification territoriale de ces émissions est évidente, puisque ce sont surtout les mâles qui<br />
viennent au rappel, mais elles jouent aussi un rôle nuptial et permettent aux sexes de se<br />
trouver et de garder le contact. C'est en septembre-octobre, avant la chute des feuilles, que<br />
l'activité vocale atteint sa plus grande fréquence, puis de mars à mai avant les pariades ;<br />
entretemps, elle est irrégulière et de faible intensité. Débutant avant l'aube, elle se relâche<br />
beaucoup au milieu de la journée.<br />
Le reste du répertoire a une variété remarquable. On peut distinguer entre autres les<br />
trilles rapides et sonores strr-strr-strr ou it-sitt du mâle irrité, ses séries de pch-ïh, des pittpitt-pitt<br />
anxieux, un rrèh d'alarme, les tsitsitsirrr roulés à l'envol, des sifflements ténus, voire<br />
un gazouillis... J'ai noté de la poule une roulade liquide pri-tettettettett... quand ses<br />
poussins sont en danger, des sifflements aigus pour les rappeler, tandis qu'ils pépient.<br />
3
Alimentation<br />
La Gelinotte se nourrit avant tout de végétaux, trouvant en toutes saisons ses ressources<br />
dans le milieu forestier. Les arbres feuillus, peupliers, bouleaux, aunes, saules, noisetiers,<br />
érables, charmes, chênes et autres, selon l'habitat, lui dispensent au gré des saisons leurs<br />
bourgeons, pousses, feuilles et inflorescences ; elle se régale surtout des chatons, en<br />
particulier du noisetier et du bouleau, et au besoin casse les extrémités tendres des rameaux.<br />
Dans les sous-bois, un grand nombre de plantes lui offrent feuilles, fleurs et tiges, puis leurs<br />
graines qu'elle picore aussi à terre 1 . A cette provende s'ajoutent les petits fruits charnus ou<br />
secs, même les faînes du hêtre, les glands et les samares, ces éléments jouant un rôle capital<br />
de juillet à novembre surtout. En fin d'été, j'ai rencontré des groupes familiaux parmi les<br />
framboisiers et les ronces, sur les sorbiers et les sureaux rouges. En somme, la Gelinotte glane<br />
un peu de tout, sans dédaigner les baies et feuilles de gui, voire les champignons, et elle<br />
raffole des galles des feuilles, d'après COUTURIER. Durant toute la belle saison, de menues<br />
bestioles et larves varient ce régime : coléoptères, fourmis, diptères, papillons et chenilles,<br />
araignées, etc. Elle déterre aussi les lombrics et gratte dans les fourmilières pour dégager les<br />
nymphes essentielles à l'alimentation des poussins. L'hiver venu, force lui est de se contenter<br />
des dernières baies et graines, de se rabattre sur les mousses et les nourritures ligneuses,<br />
bourgeons et ramilles, parfois aiguilles de conifères.<br />
Gelinotte sur le bois mort, Les Bayard, 6.5.1976<br />
1 En France, COUTURIER relève sa prédilection pour les graines du mélampyre des bois, mais note qu'elle a peu de<br />
goût pour les airelles et myrtilles. Dans le Nord cependant, celles-ci sont très recherchées, de même que les baies de camarine<br />
et d'églantier, ce que confirment les analyses de DONAUROW (in DEMENTIEV & G<strong>LA</strong>DKOV), de SALO, etc. L'oiseau se<br />
bourre des aliments qu'il trouve en abondance : HEIM DE BALSAC a dénombré dans le jabot d'une femelle examinée en<br />
mars, en Lorraine, non moins de 260 bourgeons floraux de charme et 200 bourgeons de feuilles d'églantier, entre autres.<br />
Ailleurs, l'alisier et le sorbier peuvent jouer un rôle important.<br />
4
Habitat<br />
Sylvicole par excellence, la Gelinotte a des exigences précises quant à la structure de<br />
son biotope. Ni les basses broussailles, ni les hautes futaies dépourvues de sous-bois ne lui<br />
conviennent, mais bien plutôt les boisements dont l'étage inférieur est dense du sol jusqu'à<br />
quelques mètres de hauteur. Ce milieu fermé doit être assez varié dans le détail, avec des<br />
secteurs riches en nourriture et en refuges. Que ce soit sur des terrains plats ou sur de<br />
fortes déclivités, elle affectionne les accidents du relief : affleurements rocheux, blocs de<br />
pierre moussus, ravines et combes. Elle aime aussi la fraîcheur, le voisinage de mares et<br />
de ruisseaux, sans doute davantage pour la végétation variée qui les entoure que pour<br />
l'eau ; cela n'exclut pas qu'elle habite également des versants secs, exposés au soleil, où<br />
abondent les fourmilières, mais où l'eau fait défaut. Enfin, on trouve en général dans son<br />
territoire de petites surfaces nues où elle peut se baigner de sable et de poussière, ou picorer<br />
de menues graines, par exemple sur des chemins et des sentiers. Ces éléments étant réunis, au<br />
moins en partie, l'espèce se rencontre aussi bien dans les massifs purs de feuillus que dans les<br />
formations mêlées de conifères ; les forêts de résineux ne sont adoptées que si elles présentent<br />
au moins quelques arbres à feuilles caduques, des groupes de petits sapins, des arbrisseaux à<br />
baies et une strate herbacée suffisante. Ses habitats ordinaires sont donc des taillis de 10 à 20<br />
ans, des taillis sous futaie, des forêts de type primitif ou peu exploitées, des demi-futaies<br />
jardinées avec des éclaircies et une abondante régénération naturelle. Dans le sud de son aire,<br />
la chênaie à charme domine ; dans le Nord, c'est la taïga de bouleaux et d'épicéas, ou bien<br />
l'aunaie humide. L'altitude semble assez indifférente : la Gelinotte peut vivre très bas, à 100 m<br />
en Haute-Saône ou presque au niveau de la mer en Scandinavie, tandis qu'elle s'élève à près<br />
de 2000 m dans les Alpes 1 . Toutefois, c'est entre 600 et 1600 m que sa fréquence est la plus<br />
grande, en raison de la nature et de l'étendue des boisements. Ce n'est donc pas un oiseau<br />
d'essence montagnarde.<br />
Les exigences de la Gelinotte tendent à la localiser, aussi la densité du peuplement estelle<br />
rarement uniforme sur de vastes surfaces. Peut-être le voisinage de plusieurs couples estil<br />
un stimulant, ce qui expliquerait des concentrations en certains secteurs, alors que d'autres<br />
sont presque inhabités.<br />
L'étendue normale du territoire, qui est limitée par la portée du chant et par les<br />
habitudes casanières, varierait selon la structure du biotope entre 3 et 20 hectares 2. Ajoutons<br />
que des fluctuations naturelles des effectifs sont sensibles dans le Nord de l'Europe, en<br />
corrélation avec celles des autres Tétraonidés. Très sensible aux modifications de son<br />
milieu, la Gelinotte ne supporte ni les coupes rases, ni l'essartage des sous-bois ; elle fuit<br />
aussi les lieux dérangés par les promeneurs et campeurs, s'écarte des routes fréquentées<br />
et en général de toute source de bruit et de perturbation, -ce qui n'est pas sans influencer<br />
son abondance.<br />
1<br />
J'ai surpris des nichées vers 1700 au Val Ferret en Valais, d'autres en ont signalé à 1800 m dans les Grisons.<br />
COUTURIER a vu la Gelinotte à 2100 en Dauphiné, mais elle ne nichait probablement pas si haut.<br />
2 COUTURIER cite même pour le Jura I couple pour près d'un hectare, par exception localisée, les densités variant<br />
dans l'Est de la France jusqu'à I pour 400 ha. Une bonne moyenne se situe en Suisse à 20-50 ha par paire, à 40 ha en<br />
Allemagne, à 25-50 ha en Finlande, où PYNNÖNEN a trouvé jusqu'à 24 mâles par km 2 en automne.<br />
5
Reproduction<br />
Chez la Gelinotte, une monogamie stricte s'accorde au comportement territorial. En<br />
automne déjà, dès le début de septembre, le mâle chante et le couple se forme, mais selon<br />
PYNNÖNEN, ses liens se relâchent en hiver, la poule étant assez erratique, tandis que le coq<br />
reste très fidèle à son domaine toute l'année. Avec la renaissance printanière du chant, ils se<br />
retrouvent entre mi-mars et le début de mai. Pendant ces deux périodes, le mâle se signale<br />
aussi par des battements d'ailes bruyants, soit qu'il exécute sur place un bond d'un mètre ou<br />
plus, soit qu'il reste à terre, le corps dressé ; on l'entend à une centaine de mètres de distance.<br />
Toute comme la strophe aiguë, c'est avant tout un signal territorial. A l'audition d'un rival, le<br />
coq s'approche excité, en poussant son cri de colère, huppe hérissée et queue en roue. Les<br />
avertissements acoustiques suffisent en général à prévenir les bagarres, quoique des<br />
poursuites et des rixes à coups d'ailes ne soient pas exclues. Lors de la parade nuptiale, très<br />
difficile à voir et seulement au printemps, le mâle marche vers la poule à pas lents, dressant la<br />
huppe et bombant la poitrine, gonflant ses rosettes sourcilières rouges ; il traîne ses ailes<br />
frémissantes, relève à demi l'éventail étalé de sa queue et tourne ainsi posément autour de la<br />
femelle, en silence. De temps en temps, celle-ci fait pivoter sa tête d'un demi-tour, et son<br />
courtisan, cessant sa ronde, agit de même, ce qui prélude à l'accouplement, toujours à terre.<br />
La poule fécondée choisit pour nicher un<br />
emplacement abrité, dans un boisement clair. Elle s'adosse<br />
de préférence à une souche, à un arbre ou à un petit<br />
rocher, de façon à être protégée en arrière tout en jouissant<br />
de l'écran d'un rameau ou d'un surplomb et souvent de la<br />
lumière du levant. D'autres fois, elle s'installe sous une<br />
branche basse, sous un tronc abattu, parmi les myrtilles ou<br />
les fougères, l'essentiel étant d'avoir un couvert, d'être<br />
cachée. Ayant gratté le sol et creusé une cuvette d'environ<br />
15 cm de diamètres et 5 cm de profondeur, elle y dépose<br />
ses oeufs sans autre, se bornant à couvrir les premiers avec<br />
quelques feuilles mortes, pendant plusieurs jours.<br />
PYNNÖNEN, relatant ce fait, note que ce matériel est<br />
ensuite arrangé sous la ponte comme litière isolante, mais<br />
que cet instinct ne se manifeste plus après l'apparition du<br />
7 e oeuf 1 .<br />
En haut : Femelle couvant au pied d'un jeune épicéa, bien camoufée par son plumage brun tacheté,<br />
Anniviers, Valais, mai 1963 (R.-P. Bille)<br />
En bas : Les oeufs semés de taches brunâtres sur une litière mêlée de plumes,<br />
Jura vaudois, mai 1955 (R.-P. Bille) in<br />
Pendant la couvaison, la femelle s'absente deux fois par jour et s'éloigne parfois plus<br />
d'une heure pour se nourrir. A part ces sorties, elle demeure pendant plus de trois semaines<br />
dans une immobilité absolue, presque invisible grâce à son camouflage. On peut s'approcher<br />
d'elle de très près sans qu'elle quitte ses oeufs ; toutefois, si un mouvement brusque l'effraye<br />
et qu'elle s'envole directement du nid, elle est encline à l'abandonner. C'est l'époque où elle est<br />
le plus exposée aux carnassiers.<br />
1<br />
Dans le Nord, on a signalé parfois le nid dans une vieille aire de rapace, à plusieurs mètres de hauteur dans un arbre,<br />
et même dans une niche de rocher ; en Suisse, HUBER en a vu un à découvert dans une futaie d'épicéas dépourvue de tout<br />
sous-bois. -Ponte dès le 7 avril en Suisse, dès le 10 en France, d'habitude vers la fin de ce mois ou au début de mai, parfois<br />
jusqu'en juin. Normalement 7 à 12 oeufs, en moyenne 8 (3-19), déposés à intervalles d'un ou 2 jours. Oeufs crème roussâtre,<br />
finement pointillés de brun jaunâtre, avec ou sans quelques petites taches brunes arrondies. Dimensions moyennes : 40 x 29<br />
mm (36,1-45,4 x 27-31,4 mm). Poids frais 18-19 g. -Incubation par la femelle, dès l'avant-dernier ou le dernier, de 15 jours<br />
(22-27). -Poussin en duvet brun roux chaud dessus ; bonnet roux, côtés de la tête jaunâtres avec bandeau noir, dessous gris<br />
jaunâtre.<br />
6
Si tout va bien, l'éclosion quasi simultanée libère une petite troupe de poussins<br />
remuants et pépiants, qui ne restent que peu d'heures au nid avant de s'en éloigner sous<br />
la conduite de leur mère, par étapes de dix à vingt mètres. Courir, grimper, sauter, se<br />
faufiler dans la végétation, monter sur une butte, escalader une souche, picorer d'abord sur les<br />
plantes, puis à terre... c'est une activité qui fatigue vite. Aussi, à intervalles d'une dizaine de<br />
minutes, la poule rappelle son monde et le rassemble sous ses ailes. Elle recherche des<br />
lieux ensoleillés où abonde la minuscule vie animale essentielle à la croissance juvénile :<br />
moucherons, chenilles, araignées et surtout fourmis. La pluie et le froid exigent d'elle une<br />
sollicitude accrue, en particulier pendant les dix premiers jours de dépendance absolue. Passé<br />
ce stade, dès que la pousse des rémiges permet aux petits de courtes envolées, ils ont de<br />
moins en moins besoin de la chaleur maternelle et prennent bientôt l'habitude de se<br />
brancher pour la nuit. En quelques heures, la famille peut maintenant couvrir des centaines<br />
de mètres, bien que l'allure des jeunes devienne aussi pondérée de celle de l'adulte ; mais la<br />
poule reste toujours sur le qui-vive. Plusieurs fois, entre mai et juillet, j'ai surpris en forêt des<br />
familles de Gelinottes, mon apparition provoquant brusquement le cri d'alarme et la<br />
débandade explosive des poussins roux. En un clin d'oeil, leurs pépiements cessent et ils ont<br />
disparu à terre ou dans les arbres ; dans des cachettes où ils restent introuvables, cois et<br />
silencieux, ils se figent durant des heures s'il le faut, jusqu'au signal de délivrance. Au<br />
contraire, leur mère s'ingénie à détourner l'attention : elle se traîne, se perche bien en vue et ne<br />
cesse de lancer sa roulade inquiète pîh-tettettettett... en agitant ses ailes pendantes.<br />
A gauche : la femelle couve - à droite : après 25 jours, l'éclosion<br />
en bas: en position figée pour passer inaperçue<br />
Photo Claude LE PENNEC, sur les traces de l'esprit sauvage,<br />
Serge Reverchon Publication<br />
7
Le coq paraît ignorer le nid et le début de l'élevage, bien qu'il ne quitte pas les alentours.<br />
Après sa mue partielle, dépourvu de sa bavette noire, il arrive cependant qu'il se rapproche de<br />
la famille et l'accompagne, participant même à sa défense. A un mois, les jeunes Gelinottes<br />
ressemblent beaucoup aux adultes, sauf par la taille inférieure, et commencent d'être<br />
indépendantes. Leur compagnie étend peu à peu son rayon d'action hors du territoire natal.<br />
Enfin, à 80-90 jours, un tournant décisif intervient : la mue fait ressortir leurs caractères<br />
sexuels et leur insociabilité ; les oiseaux se séparent définitivement à la recherche d'un<br />
domaine et d'un compagnon. Selon les régions, cet événement se produit entre mi-août et miseptembre,<br />
déclenchant partout une activité vocale intense.<br />
Dispersion<br />
La dispersion automnale suscite en même temps des mouvements assez prononcés en<br />
septembre-octobre, qui peuvent déborder largement sur des régions où l'espèce ne niche pas.<br />
Des oiseaux isolés, dont la fréquence fait croire à des "invasions" locales, sont parfois<br />
signalés dans les bois de plaine et les lieux cultivés, jusque près des villages. Il arrive même<br />
que l'un s'égare et se jette dans une maison, probablement en fuite panique devant un<br />
prédateur. Avant l'hiver, tout rentre dans l'ordre. Sauf accident, la Gelinotte adulte -dès sa<br />
première année- se cantonne pour la vie dans un secteur limité ; c'est vrai surtout pour<br />
le mâle, très sédentaire. En effet, même en Finlande, les distances couvertes par des jeunes<br />
bagués n'excèdent guère 3 km, le maximum étant de 10 km. Par exception, dans le Nord, des<br />
déplacements massifs à plus grande distance ont été signalés, mais leurs causes restent<br />
obscures.<br />
Gelinotte, jeune mâle. La tache noire de la gorge est encore marron<br />
Koprivnica, Bosnie, 28 octobre 1961 in Croquis de terrain<br />
8
Conservation<br />
Ce gallinacé de la taïga eurasienne se maintient encore assez bien en Europe<br />
centrale. Refoulé dans les forêts montagnardes où l'exploitation modérée n'altère pas la<br />
diversité de la végétation, il ne paraît pas menacé par la prédation, ni par la chasse ordinaire.<br />
Depuis toujours, sa fécondité compense les pertes dues à l'Autour, au Renard, à la Martre ou<br />
au Sanglier destructeur de couvées. En revanche, la chasse à l'appeau, maintenant prohibée,<br />
s'avère très néfaste quand elle est pratiquée par des spécialistes sans scrupules ; en France,<br />
COUTURIER cite des "tableaux" de 10 à 40 captures en un jour, de 60 à 150 en une année...<br />
auxquelles s'ajoutent les prises au lacet des braconniers ; cela explique bien des disparitions<br />
locales. La sensibilité de l'espèce aux altérations de son milieu devrait être mieux prise en<br />
considération par les responsables des travaux forestiers, surtout lorsqu'ils ont tendance à<br />
transformer des peuplements naturels primitifs en formations artificielles uniformes ; les<br />
percées de voies carrossables sont aussi défavorables en introduisant des perturbations<br />
bruyantes et un parcours excessif dans les forêts, alors assez vite désertées par la Gelinotte.<br />
Distribution<br />
La Gelinotte des bois habite la zone forestière eurasiatique, de l'atlantique au Pacifique,<br />
où elle atteint les îles de Sakhaline et Hokkaïdo.<br />
En France, l'espèce est confinée dans l'Est : forêts des Ardennes, de lorraine<br />
(sporadique), des massifs vosgiens, jurassiens et des Alpes, où la limite Sud est atteinte en<br />
Drôme et Basses-Alpes ; on la trouve encore en Haute-Saône mais elle s'est raréfiée en Haute-<br />
Marne et Côte d'Or. Sa présence serait possible dans les monts du Forez et des Cévennes ; on<br />
n'en a aucun indice récent dans le Massif Central, ni dans les Pyrénées, où elle a existé jadis.<br />
En Belgique, elle subsiste dans les Ardennes où resteraient quelque 200 couples selon<br />
LIPPENS & WILLE. La Gelinotte était jadis plus répandue dans les reliefs boisés d'Allemagne,<br />
où elle s'est raréfiée et a même disparu de vastes régions. Elle est connue dans les îles<br />
Britanniques, mais 3 apparitions sont citées dans les Pays-Bas.<br />
En Suisse, on rencontre la Gelinotte dans le Jura et les Alpes, y compris dans le nord du<br />
Tessin (là en liaison avec le Val d'Ossola et les Alpes italiennes plus à l'est), puis dans<br />
quelques massifs boisés du Plateau.<br />
Mâle en plumage nuptial devant ; femelle perchée en haut à gauche<br />
Paul Barruel<br />
Texte tiré de Grands échassiers gallinacés râles d'Europe de Paul Géroudet, Ed. Delachaux & Niestlé 1978<br />
Dessins et Gravure de Robert Hainard<br />
© mmdp/100921<br />
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