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en haïti - Manioc

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EUGÈNEAUBINENHAÏTIPLANTEURSD'AUTREFOISNÈGRESD'AUJOURD'HUI32 phototypies et 2 cartes <strong>en</strong> couleur hors textePARISLIBRAIRIE ARMAND COLIN5, RUE DE MÉZIÈRES, 5


ENHAÏTI


New Zealand Search for Security activitiesTopic: New Zealand and the Cold WarD. Role PlayImagine you are a member of the press at a press confer<strong>en</strong>ce held by the New ZealandPrime Minister, Keith Holyoake, in May 1965. Write three questions to ask the primeminister about whether or not New Zealand should s<strong>en</strong>d combat troops to Vietnam.Th<strong>en</strong>, write the replies to these questions that could be expected from him.Your questions and replies should consider the prime minister's justification forbecoming involved and his responses to reasons for not going.A member of the class could assume the role of Keith Holyoake and the classcould select six questions to ask him. Some stud<strong>en</strong>ts could be the variousreporters asking the questions. The remainder of the class can record thequestions and answers, and a recording of the confer<strong>en</strong>ce could be made. Atthe <strong>en</strong>d of the confer<strong>en</strong>ce, check the accuracy of the notes made by the class'recorders'.This would be an ideal opportunity to discuss the purpose and nature ofpolitical press confer<strong>en</strong>ces.Use the topics on the Vietnam War and www.VietnamWar.govt.nz for extra help


EUGÈNEAUBINENHAÏTIPLANTEURS D'AUTREFOISNÈGRESD'AUJOURD'HUI32 phototypies et 2 cartes <strong>en</strong> couleur hors texteLIBRAIRIE ARMAND COLIN5, RUE DE MÉZIÈRES, PARIS191ODroits de reproduction et de traduction réservés pour tous payer


Copyright ninete<strong>en</strong> hundred and t<strong>en</strong>by Max. Leclerc and H. Bourrelier, proprietors of Librairie Armand Colin.


PRÉFACELa faveur des circonstances m'a, pardeuxfois, ram<strong>en</strong>é aux Antilles. J'ai habité Caracas(Vénézuéla), <strong>en</strong> 1887-1889 ; Port-au-Prince(Haïti),<strong>en</strong> 1904-1906. Entre temps, j'ai visité toutes lesgrandes Antilles, quelques-unes des petites, etfait de longs voyages, aussi bi<strong>en</strong> sur la CôteFerme 1qu'au travers du contin<strong>en</strong>t nord-américain.Il n'existe point, <strong>en</strong> Amérique, régionplusattrayante que les Antilles. La nature y est plusbelle que partout ailleurs. Le relief du sol, la1. La « Côte Ferme » est la partie sept<strong>en</strong>trionale del'Amérique du Sud ; elle fut ainsi nommée par les Espagnols,qui touchèr<strong>en</strong>t le contin<strong>en</strong>t sud-américain, après ladécouverte des Antilles.EN HAITI.a


II EN HAÏTIspl<strong>en</strong>deur de la végétation tropicale mett<strong>en</strong>tcertaines petites îles, — notamm<strong>en</strong>t notre Martinique,— la partie française de Saint-Domingueet les Montagnes Bleues de la Jamaïque, aunombre de ces terres bénies, qui, parsemant lamer des Antilles, l'océan Indi<strong>en</strong> et l'océan Pacifique,font, à notre globe, dans la zone des tropiques,une ceinture de paradis.Quelque glorieuse qu'elle ait pu être au Canada,l'av<strong>en</strong>ture française <strong>en</strong> Amérique n'a nullepart été plus brillante, plus variée, plus prolongéequ'aux Antilles. Aucune île, saufpeut-êtrela Barbade, n'a échappé à la course de nos flibustiers,à l'établissem<strong>en</strong>t de nos colons. Surtoutes, la culture française a posé sa marque,à une heure quelconque de l'histoire, sur toutes,elle a laissé des traces plus ou moins profondes,et le jour est sans doute assez proche, où, <strong>en</strong>face de l'américanisme <strong>en</strong>vahissant, il ne persisteraplus dans ces îles, comme souv<strong>en</strong>ir de ladomination europé<strong>en</strong>ne, à côté de la langue espagnoleà Cuba et Porto-Rico, que les restes partoutdisséminés de l'anci<strong>en</strong>ne vie créole 1française.1. La plupart des écrivains coloniaux donn<strong>en</strong>t le nom de« créole » à tout ce qui est originaire des colonies, par oppositionà ce qui y vi<strong>en</strong>t du dehors.


PRÉFACEIIISaint-Domingue fut, de beaucoup, la plus importantede nos possessions aux Antilles. Lehasard des découvertes <strong>en</strong> avait fait le premierétablissem<strong>en</strong>t de Christophe Colomb et le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>tde l'empire espagnol <strong>en</strong> terre américaine.En 1630, des flibustiers de toutes nations,ayant été chassés de Saint-Christophe, vinr<strong>en</strong>ts'établir dans l'île de la Tortue, au nord dela grande terre ; de là, les boucaniers, franchissantl'étroit canal, se répandir<strong>en</strong>t, à la poursuitedes bœufs sauvages, dans la partie occid<strong>en</strong>tale.Parmi ces av<strong>en</strong>turiers, l'élém<strong>en</strong>t français pritrapidem<strong>en</strong>t le dessus ; si bi<strong>en</strong>, qu'<strong>en</strong> 1641, legouverneur général des îles françaises del'Amérique, alors établi à Saint-Christophe,<strong>en</strong>voya Le Vasseur, un de ses officiers, qui futle premier « commandant pour le roi à la Tortueet à la côte de Saint-Domingue ».En 1697, le traité de Ryswick finit par reconnaîtreun tel état de choses et la « partie françaisede Saint-Domingue » put se développerlibrem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> vertu du droit public. Un siècledurant, mais surtout après la guerre de Sept Anset jusqu'à la Révolution, nous possédâmes, dansce coin du monde, la plus riche et la plus belle


IV EN HAÏTIdes colonies europé<strong>en</strong>nes. Un édit royal et leCode Noir de 1685 avai<strong>en</strong>t réglé, dans son principe,le statut colonial. Le Cap-Français, aujourd'huiCap-Haïti<strong>en</strong>, était le port commercial ; leFort-Dauphin, aujourd'hui Fort-Liberté, l'établissem<strong>en</strong>t militaire. Au milieu du dix-huitièmesiècle, Port-au-Prince devint la capitale, oùrésidai<strong>en</strong>t les « administrateurs de Saint-Domingue», le général et l'int<strong>en</strong>dant, l'un militaire,l'autre civil, nommés pour trois années.Des commandants <strong>en</strong> second gouvernai<strong>en</strong>t lestrois « parties » du Nord, de l'Ouest et du Sud.La justice relevait des Conseils supérieurs dePort-au-Prince et du Cap, qui avai<strong>en</strong>t remplacéceux de Léogane et du Petit-Goave : ils <strong>en</strong>registrai<strong>en</strong>tles édits royaux ou les règlem<strong>en</strong>tsdes administrateurs et formai<strong>en</strong>t, avec ces derniers,l'assemblée coloniale pour le cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>tde l'impôt. Capucins, Dominicains et Jésuites1 se partageai<strong>en</strong>t l'Évangélisation de la1. La partie française de Saint-Domingue était divisée <strong>en</strong>deux préfectures apostoliques par le cours de l'Artibonite.Celle de l'Ouest et du Sud appart<strong>en</strong>ait aux Dominicains ;celle du Nord fut aux Capucins,puis aux Jésuites; elle revintaux Capucins, après la suppression de l'Ordre. L'archevêquede Santo-Domingo, primat des Indes occid<strong>en</strong>tales, s'arrogeaitl'autorité métropolitaine.


PRÉFACEVcolonie. Une petite garnison de trois régim<strong>en</strong>ts,<strong>en</strong>voyés de France, les milices et la maréchausséecoloniales garantissai<strong>en</strong>t l'ordre et lasécurité. Dans les grandes plaines, les « habitants» cultivai<strong>en</strong>t l'indigo, la canne à sucre etle coton; tandis que les montagnes se trouvai<strong>en</strong>tréservées aux caféièreset à l'élevage. Desnègres,importés d'Afrique, travaillai<strong>en</strong>t aux plantations; des mulâtres affranchis, nés du contactdes blancs avec la race noire, formai<strong>en</strong>t uneclasse intermédiaire <strong>en</strong>tre les maîtres et lesesclaves. Les concessions royales, les mariagesavec les filles de planteurs <strong>en</strong>richis, avai<strong>en</strong>t introduità Saint-Domingue les plus grandesfamilles de la noblesse française, et les nomsles plus illustres s'attachai<strong>en</strong>t aux « habitations». A la fin de la période coloniale, oncomptait <strong>en</strong>viron 7.400 propriétés ; le commerces'élevait à près de 200 millions de francs (700millions de livres tournois), dont les trois quartsà l'exportation ; 1.500 navires, jaugeant 220.000tonnes, fréqu<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t annuellem<strong>en</strong>t les ports.La Révolution française <strong>en</strong>traîna la perte d'unecolonie, qui avait efficacem<strong>en</strong>t résisté aux attaquesanglaises, p<strong>en</strong>dant toutes les guerres du


VI EN HAÏTIdix-huitième siècle. Chacun des mouvem<strong>en</strong>trévolutionnaires de la métropole eut sa répercussion dans l'île lointaine. Les divers élém<strong>en</strong>tsdu petit groupe français se vir<strong>en</strong>t successivem<strong>en</strong>tdissociés, opposant les planteurs auxautorités coloniales, les grands aux petits blancsA la faveur de ces diss<strong>en</strong>sions, se produisir<strong>en</strong>tl'agitation des mulâtres, puis le soulèvem<strong>en</strong>tdes nègres. En 1794, des légions d'émigrésfrançais, appuyées par une force anglaise, chassèr<strong>en</strong>t de Port-au-Prince les commissaires de laConv<strong>en</strong>tion, déf<strong>en</strong>dus par les g<strong>en</strong>s de couleurBref, un noir, Toussaint Louverture, devint lemaître du pays. En 1802, la fièvre jaune détruisaitl'expédition du général Leclerc ; l'indép<strong>en</strong>danced'Haïti, proclamée le 1 e r janvier 1804était suivie d'un massacre général des Français.La totalité des colons étai<strong>en</strong>t morts ou dispersés.Ils avai<strong>en</strong>t émigré <strong>en</strong> foule, dès 1793, aprèsl'émancipation des Noirs. Plusieurs r<strong>en</strong>trèr<strong>en</strong>t<strong>en</strong> France ; d'autres gagnèr<strong>en</strong>t la Louisiane, ous'éparpillèr<strong>en</strong>t dans les Antilles : quelques-unspassèr<strong>en</strong>t à la Jamaïque, beaucoup à Cuba. AuxÉtats-Unis, il y eut des réfugiés français dans


PRÉFACEVIIles Carolines, <strong>en</strong> Virginie, dans le Maryland,le Delaware, la P<strong>en</strong>nsylvanie et le New Jersey,jusqu'à New York et dans le Massachussets ; laplupart s'établir<strong>en</strong>t à Philadelphie, qui était alorsla capitale de la République. Le gouvernem<strong>en</strong>tfédéral et plusieurs États votèr<strong>en</strong>t des subsides<strong>en</strong> leur faveur. Éti<strong>en</strong>ne Girard, de Bordeaux,négociant et armateur, qui mourut <strong>en</strong> 1831, laissantune fortune de 7 millions et demi de dollars,la plus grande qu'il y eut alors aux États-Unis, et dont la généreuse fondation perpétuela mémoire à Philadelphie, — la famille, originairede la Touraine, dont naquit Paul Tulane,qui donna son nom à l'Université de la Nouvelle-Orléans, fur<strong>en</strong>t attirés <strong>en</strong> Amérique par lacolonie française de Saint-Domingue. On calcula,qu'à la fin de la Révolution, il existait6.000 émigrés de Saint-Domingue, dispersés <strong>en</strong>terre américaine, aussi bi<strong>en</strong> sur le contin<strong>en</strong>tque dans les îles, <strong>en</strong> dehors de nos possessions.Un créole de la Martinique, Moreau de Saint-Méry, qui fut membre du Conseil supérieur duCap, avait composé une volumineuse descriptionde la partie française de Saint-Domingue,


VIII EN HAÏTIau mom<strong>en</strong>t même de la Révolution ; il la com- Ipléta par une description, plus courte, de lapartie espagnole, que nous cédait le traité deBâle, <strong>en</strong> 1795. Après avoir passé à Paris lespremières années de la Révolution, Moreau deSaint-Méry gagna Philadelphie ; il s'y fit imprimeuret libraire, afin de publier son œuvre, quireste le plus précieux témoignage d'une spl<strong>en</strong>deurà jamais disparue. Unis dans un pieuxs<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t, Français et créoles, am<strong>en</strong>és auxÉtats-Unis par cette époque de troubles, contribuèr<strong>en</strong>taux frais de la publication; — parmiles souscripteurs, <strong>en</strong> majorité colons de Saint-Domingue, réfugiés à Philadelphie, figur<strong>en</strong>t lesnoms de John Adams et de Jefferson, Adet, ministrede France ; Louis Philippe, Kosciuszko,LaFayette,Talleyrand, Volney, La Rochefoucault-Liancourt, les généraux Hédouville et Rochambeau.Ainsi parur<strong>en</strong>t les deux ouvrages fondam<strong>en</strong>taux,relatifs à la période coloniale dans l'îlede Saint-Domingue : 1° Description topographiqueet politique de la Partie Espagnole del'île de Saint-Domingue, par M. L. E. Moreaude Saint-Méry, membre de la Société philosophiquede Philadelphie. — Philadelphie. Im-


PRÉFACEIXprimé et se trouve chez l'Auteur, imprimeurlibraire,au coin de Front et de Walnut streets,n° 84, 1796; 2 vol. in-8° avec carte; 2° Descriptiontopographique, civile, politique et historiquede la Partie Française de l'île de Saint-Domingue. Avec des observations générales sursa population, sur le caractère et les mœurs deses divers habitants, sur son climat, sa culture,ses productions, son administration, etc., etc.Accompagnées des détails les plus propres àfaire connaître l'état de cette colonie à l'époquedu 18 octobre 1789. Philadelphie 1797, 2 vol.in-4 0 .L'auteur comm<strong>en</strong>çait ainsi son « Discours préliminaire» :« A cette vérité, depuis si longtemps répétée,que ri<strong>en</strong> n'est aussi peu connu que les coloniesdes Antilles, se réunirait peut-être bi<strong>en</strong>tôt l'impossibilitéde connaître celle qui a été la plusbrillante d'<strong>en</strong>tre elles, si je ne me hâtais d'offrirle tableau fidèle de sa spl<strong>en</strong>deur passée... Jepublie la description de la colonie de Saint-Domingue, qui a été si justem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>viée partoutes les Puissances, qui fut l'orgueil de laFrance dans le Nouveau Monde et dont l'a pros-


X EN HAÏTIpérité, faite pour étonner, était l'ouvrage demoins d'un siècle et demi... Il ne peut jamaisêtre indiffér<strong>en</strong>t, il est <strong>en</strong>core bi<strong>en</strong> moins inutilede montrer ce que le génie français avait créé àdeux mille lieues de la métropole, d'exposer avecdétails ce que ce génie, très souv<strong>en</strong>t contrariépar le gouvernem<strong>en</strong>t, était parv<strong>en</strong>u à produire,presque <strong>en</strong> un instant, et avec une supérioritéqui laissait loin derrière elle tout ce que lesautres nations ont <strong>en</strong>trepris de semblable. ».Par ailleurs, l'étrangeté de son sort, les multiplesvariations de sa fortune valur<strong>en</strong>t à Saint-Domingue une imm<strong>en</strong>se littérature. Les religieuxfrançais fur<strong>en</strong>t ses premiers histori<strong>en</strong>s : leP. de Charlevoix, Jésuite, publia l'Histoire del'Isle Espagnole ou de Saint-Domingue, 2 vol.,Paris, 1730. Les PP. Du Tertre et Labat, Dominicains,<strong>en</strong> traitèr<strong>en</strong>t dans l'Histoire générale desAntilles habitées par les Français, 3 vol., Paris,1667, et dans le Nouveau voyage aux îles de l'Amérique,6 vol.,Paris, 1722. Un av<strong>en</strong>turier hollandais,A. O. Oexmelin, se fit l'histori<strong>en</strong> desflibustiers et boucaniers, parmi lesquels il setrouvait <strong>en</strong>gagé (Histoire des av<strong>en</strong>turiers flibustiersqui se sont signalés dans les Indes, 4 vol.,


PRÉFACEXITrévoux, 1775). Quand, après la guerre de SeptAns, la diffusion des lumières et le règne de laphilosophie <strong>en</strong>couragèr<strong>en</strong>t les colons à prés<strong>en</strong>terleurs doléances contre le système colonial,il y eut toute une éclosion de mémoires et debrochures, parmi lesquels l'ouvrage d'un magistratde la colonie, Hilliard d'Auberteuil(Considérations sur l'état prés<strong>en</strong>t de la coloniefrançaise de Saint-Domingue, 2 vol., Paris,1776), est de beaucoup le plus connu. Raynal publia,de son côté, un Essai sur l'Administrationde Saint-Domingue (1 vol., 1785). La Révolutionsouleva des passions nouvelles : les « troubles »les « désastres » de Saint-Domingue fir<strong>en</strong>tl'objet de déplorables récits. Le général baronPamphile de Lacroix raconta, dans ses Mémoirespour servir à l'histoire de la révolution deSaint-Domingue (2 vol., Paris, 1819), les douzeannées de campagnes, qui précédèr<strong>en</strong>t l'indép<strong>en</strong>dancehaïti<strong>en</strong>ne. Descourtilz narra sespropres av<strong>en</strong>tures dans les Vogages d'un naturaliste,3 vol., Paris, 1809. Quand partit l'expéditiondu général Leclerc, un publiciste troppressé, S. J. Ducœurjoly, avait aussitôt lancé unManuel des habitants de Saint-Domingue (2 vol.,


XII EN HAÏTIParis, 1802), à l'usage des futurs planteurs.Le point de vue haïti<strong>en</strong> fut prés<strong>en</strong>té parMM. Placide-Justin (Histoire politique et statistiquede lîle d'Hayti, 1 vol., Paris, 1826) ; ThomasMadiou (Histoire d'Haïti, 3 vol., Port-au-Prince, 1847) ; et Céligni Ardouin (Essai surl'Histoire d'Haïti, \ vol., Port-au-Prince, 1865).Jusqu'à la reconnaissance de l'indép<strong>en</strong>dance,les colons dépossédés ressassèr<strong>en</strong>t leurs griefs,suggérant les moy<strong>en</strong>s les plus divers, afin derestituer sur l'île l'autorité française. L'indemnitéune fois réglée, les intéressés se tur<strong>en</strong>t.La nouvelle république n'attira plus que lessociologues, désireux d'étudier l'aptitude d'unepopulation noire à se gouverner elle-même.L'empire de Soulouque valut à Haïti la raillerieuniverselle et l'effet n'<strong>en</strong> a point <strong>en</strong>coredisparu. Les Haïti<strong>en</strong>s y répondir<strong>en</strong>t par devirul<strong>en</strong>tes protestations, conçues dans ce styledéclamatoire, qu'ils ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de leurs originesrévolutionnaires. Pour n'<strong>en</strong> nommer qu'un,M. Hannibal Price, anci<strong>en</strong> présid<strong>en</strong>t de laChambre des Communes, écrivit un ouvragev<strong>en</strong>geur intitulé : De la réhabilitation de la rac<strong>en</strong>oire par la République d'Haïti (1 vol., Port-au-


PRÉFACEXIIIPrince, 1900). Deux consuls anglais donnèr<strong>en</strong>tsur Haïti d'intéressants souv<strong>en</strong>irs de carrière :M. Charles Mack<strong>en</strong>zie vint <strong>en</strong> 1826, parcouruttoute l'île et jugea sans malveillance le systèmedu Présid<strong>en</strong>t Boyer (Notes on Haïti, 2 vol.,Londres, 1830) ; à partir de 1863, sir Sp<strong>en</strong>cerSaint-John résida une vingtaine d'années àPort-au-Prince. Il connut Geffrard, Salnave etSalomon ; les révolutions, qui fir<strong>en</strong>t passer lepouvoir des mulâtres aux nègres, lui parur<strong>en</strong>trépréh<strong>en</strong>sibles, si bi<strong>en</strong> qu'il <strong>en</strong>visagea le nouveaurégime avec la plus extrême sévérité(Haïti ou la République noire. Trad. West, 1 vol.,Paris, 1886). Un mulâtre allemand, M. G<strong>en</strong>tilTipp<strong>en</strong>hauer, a publié une monographie del'île (Die Insel Haïti, 1 vol., Leipzig, 1893) etd'utiles travaux de cartographie. Enfin le siècle,écoulé depuis l'indép<strong>en</strong>dance, a vu la formationd'une littérature proprem<strong>en</strong>t haïti<strong>en</strong>ne.L'Anthologie des prosateurs et poètes haïti<strong>en</strong>s(2 vol., Port-au-Prince, 1905) fut couronnée parl'Académie Française. Je citerai les vers deM. Oswald Durand, les romans de M. FrédéricMarcelin, les nouvelles de MM. Justin Lhérisson,Fernand Hibbert, Antoine Innoc<strong>en</strong>t...


XIV EN HAÏTIBi<strong>en</strong> que l'indép<strong>en</strong>dance de la Républiqu<strong>en</strong>'ait été reconnue qu'<strong>en</strong> 1825, par une ordonnancedu roi de France, et la question définitivem<strong>en</strong>ttranchée par un traité du 12 février 1838,moy<strong>en</strong>nant l'indemnisation des familles deplanteurs dépossédés, Haïti se trouvait, depuis1804, virtuellem<strong>en</strong>t indép<strong>en</strong>dante, donc <strong>en</strong>mesure de développer sur son territoire lerégime, qui conv<strong>en</strong>ait le mieux aux exig<strong>en</strong>cesdu pays et aux goûts de la race. Si, auxGonaïves, sur l'autel de la Patrie, dans le premierfeu de la liberté, les Haïti<strong>en</strong>s s'étai<strong>en</strong>tjurés « de r<strong>en</strong>oncer pour jamais à la France »,ils n'<strong>en</strong> ont pas moins conservé, par la forcemême des choses, notre langue et nos idées, <strong>en</strong>un mot notre culture : et ce fut cet héritage dela colonie française, volontiers accepté, quimaintint, <strong>en</strong>tre eux et nous, un indissolubleli<strong>en</strong>. Involontairem<strong>en</strong>t, l'opinion française continuede s'intéresser au sort d'Haïti; inconsciemm<strong>en</strong>t,les Haïti<strong>en</strong>s particip<strong>en</strong>t à nos vicissitudes.Non point qu'ils ai<strong>en</strong>t gardé intact ledépôt qu'ils avai<strong>en</strong>t reçu de nous : r<strong>en</strong>aissantesavec l'indép<strong>en</strong>dance, les traditions africainesont naturellem<strong>en</strong>t déformé ce que les popula-


PRÉFACEXVtions nègres t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de nos <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts. Ledialecte français créole est difficile à compr<strong>en</strong>dre,et le christianisme haïti<strong>en</strong> devi<strong>en</strong>tparfois méconnaissable sous une couche defétichisme. Ainsi se forma peu à peu, <strong>en</strong> Haïti,plus particulièrem<strong>en</strong>t dans l'intérieur de l'île,une façon de culture nouvelle, dominée par lest<strong>en</strong>dances ancestrales, mais où se retrouv<strong>en</strong>tintactes, sous une appar<strong>en</strong>ce de sauvagerieafricaine, les vieilles habitudes de notre viecréole.Les conditions, dans lesquelles se produisitl'indép<strong>en</strong>dance, déterminèr<strong>en</strong>t l'évolution dusystème haïti<strong>en</strong> : la nation était née d'un soulèvem<strong>en</strong>theureux contre les blancs. Il <strong>en</strong> résultequ'elle vit <strong>en</strong>core <strong>en</strong>cadrée dans une armaturemilitaire et repliée sur elle-même, à l'écart desblancs, auxquels elle interdit, théoriquem<strong>en</strong>t, lapropriété et qu'elle parque dans les ports ouverts.« Aucun blanc, disai<strong>en</strong>t fièrem<strong>en</strong>t les premièresconstitutions,ne pourra mettre le pied surce territoire à titre de maître ou de propriétaire.» Haïti libre a gardé les divisions administrativesde la colonie : le canton est dev<strong>en</strong>u la sectionrurale ; la paroisse, la commune ; le quartier,


XVI EN HAÏTIl'arrondissem<strong>en</strong>t; la partie, le départem<strong>en</strong>t;mais elle a connu toutes les variations de l'organismepolitique avec la multiplicité des constitutions. La premièredatait de 1805 ; et futabrogée l'année suivante. Celle de 1816durajusqu'<strong>en</strong> 1846. Il y <strong>en</strong> eut de nouvelles <strong>en</strong> 18671874 et 1879 ; la dernière est de 1889. Haïti possédades gouverneursgénéraux, des protecteurs,des présid<strong>en</strong>ts, des rois, des empereurs ;les uns nommés à vie, les autres à temps;tous fur<strong>en</strong>t soldats am<strong>en</strong>és par l'interv<strong>en</strong>tionde l'armée et se maintinr<strong>en</strong>t au pouvoir par le despotismemilitaire l . Les premiers,Dessalines,1. II est rare que les présid<strong>en</strong>ts d'Haïti soi<strong>en</strong>t librem<strong>en</strong>télus par les Chambres, réunies <strong>en</strong> Assemblée Nationale, auxtermes des diverses constitutions. Un chef militaire pr<strong>en</strong>dla tête d'un mouvem<strong>en</strong>t d'opposition ; les exilés, accourusde la Jamaïque et de Saint-Thomas, t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un débarquem<strong>en</strong>t; il s'<strong>en</strong>suit une période de troubles, et même d'hostilités,avec des effectifs peu nombreux et des r<strong>en</strong>contrespeu sanglantes. Si le mouvem<strong>en</strong>t réussit, le chef révolutionnaire,disposant de la force la plus grande, impose lePrésid<strong>en</strong>t de son choix, <strong>en</strong> se désignant le plus souv<strong>en</strong>t luimême.Une fois le « chef » proclamé pour sept années, lesbandes vaincues dépos<strong>en</strong>t les armes et tout le mondeaccepte le fait accompli, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant la révolution prochaine.La plupart des chefs haïti<strong>en</strong>s sont v<strong>en</strong>us du Nord :Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe, Pierrot,Geffrard, Salnave, Salomon, Hippolyte, Tirésias Simon Sam,Nord Alexis. Pétion et Boyer étai<strong>en</strong>t de Port-au-Prince ;Nissage-Saget de Saint-Marc ; Soulouque, de l'Anse-à-Veau.Le présid<strong>en</strong>t actuel, le général Antoine Simon, est arrivédes Cayes. Le présid<strong>en</strong>t, ainsi introduit par la force armée


PRÉFACEXVIIChristophe, Pétion, Boyer, avai<strong>en</strong>t été compagnonsde Toussaint Louverture ; les généraux,qui leur succédèr<strong>en</strong>t, se vir<strong>en</strong>t désignés auxsuffrages des troupes, comme grands propriétaires,ou g<strong>en</strong>s versés dans les mystèresVaudoux1 .Dès le début de l'indép<strong>en</strong>dance, l'îles'étaitpartagée <strong>en</strong> deux régions, qui imposèr<strong>en</strong>t alternativem<strong>en</strong>tleurs t<strong>en</strong>dances : le Nord, où la colonisationfrançaise avait été plus sévère etpluslongue, connut les grands fiefs militaires, la sanglanteautocratie du roi Christophe, une race pluspurem<strong>en</strong>t noire et plus vigoureuse, et — chosecurieuse — un moindre attachem<strong>en</strong>t aux supersdansle Palais National de Port-au-Prince, y vit <strong>en</strong>tourédes quatre corps de la garde, à 300 hommes d'effectif chacun(artilleurs, chasseurs, tirailleurs et gr<strong>en</strong>adiers), commandéspar des officiers de confiance et augm<strong>en</strong>tés de deuxescadronsde cavalerie. La garnison de la capitale comporte quatrerégim<strong>en</strong>ts soigneusem<strong>en</strong>t triés et se complète par un corpsde volontaires, v<strong>en</strong>us avec le nouveau présid<strong>en</strong>t de sonlieu d'origine et disséminés dans la ville ou aux <strong>en</strong>virons,prêts à se reformer au premier appel. Le Fort National,qui domine Port-au-Prince, est naturellem<strong>en</strong>t confié auxmains les plus sûres. Deux fois l'an, le 1" janvier, anniversairede l'indép<strong>en</strong>dance, et le 1" mai, «fête de l'agriculture, »le présid<strong>en</strong>t d'Haïti apparaît sur l'autel de la Patrie, <strong>en</strong>touréde toute sa garde.1. Le fétichisme haïti<strong>en</strong> est généralem<strong>en</strong>t appelé «religiondu Vaudoux ». Certaines peuplades nègres, notamm<strong>en</strong>tles Aradas, désignai<strong>en</strong>t, sous le nom de Vaudoux, lesêtres supérieurs, tout-puissants, surnaturels.EN HAITI.6


XVIII EN HAÏTIméthodique des terres, ferma les yeux sur lesrévolutions haïti<strong>en</strong>nes, le Nord représ<strong>en</strong>te plusRévolution. Le mulâtre Rigaud t<strong>en</strong>ait le Sud,titions africaines. Le Sud jouit, au contraire,d'un régime plus doux ; les blancs, tard v<strong>en</strong>us,pénétrés des idées philosophiques du dix-huitièmesiècle, traitèr<strong>en</strong>t plus humainem<strong>en</strong>t leursesclaves et procréèr<strong>en</strong>t un plus grand nombrede mulâtres ; l'autorité y procéda au partagedivertissem<strong>en</strong>ts Vaudoux et tomba dans les fantaisiesde l'empereur Soulouque. Dans lesou moins la domination des nègres et le principed'autorité ; le Sud, une reprise d'influ<strong>en</strong>cedes mulâtres et des idées plus libérales. Lascission s'était produite au cours même de laalors que le nègre Toussaint Louvertute étaitmaître du Nord ; les deux partis <strong>en</strong> vinr<strong>en</strong>t auxmains, dès 1799, sitôt que les g<strong>en</strong>s de couleurse crur<strong>en</strong>t débarrassés des blancs. Les premièresannées du dix-neuvième siècle connur<strong>en</strong>tle mulâtre Pétion, qui gouvernait à Port-auPrince, tandis que son rival, le nègre Christophe,dev<strong>en</strong>u H<strong>en</strong>ri I er , régnait au Cap-Haïti<strong>en</strong>,transformé <strong>en</strong> Cap-H<strong>en</strong>ri. La longue présid<strong>en</strong>cede Boyer réunit toute l'île sous l'autorité d'un


PRÉFACEXIXmulâtre. La Révolution, qui le r<strong>en</strong>versa <strong>en</strong> 1843,et l'empire de Soulouque inaugurèr<strong>en</strong>t la dominationdes nègres du Nord, qui s'est poursuiviepresque sans interruption jusqu'à ce jour.A l'heure actuelle, il n'existe dans l'île qu'unepetite colonie de blancs étrangers. Depuis leconcordat de 1860, qui délivra l'Église d'Haïtid'une longue succession de prêtres interdits,<strong>en</strong> la confiant à une mission spéciale 1 ,presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t recrutée parmi le clergébreton, il y a partout des paroisses, des écoles,des hôpitaux, desservis par des religieux français.La congrégation des Pères du Saint-Esprit,les Frères de Ploërmel, les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny et les Filles de la Sagesse se1. Composée d'excell<strong>en</strong>ts élém<strong>en</strong>ts, la mission d'Haïti apromptem<strong>en</strong>t restitué la dignité ecclésiastique ; elle comporteun archevêque à Port-au-Prince, deux évêques au Cap-Haïti<strong>en</strong> et aux Cayes; avec quatre-vingt-quatre paroisses,desservies par des missionnaires, presque tous Français,que forme le séminaire spécial de Saint-Jacques <strong>en</strong> Guiclan(Finistère).Pour l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t secondaire, les Pères du Saint-Esprit<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à Port-au-Prince le petit séminaire-collègeSaint-Martial ; les Frères de Ploërmel, le collège Saint-Louis de Gonzague ; les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny,le p<strong>en</strong>sionnat Sainte-Rose de Lima ; les filles de la Sagesse,le p<strong>en</strong>sionnat de Notre-Dame du Sacré-Cœur. Au Cap-Haïti<strong>en</strong>,l'Évêché a institué, pour les garçons, le collège deNotre-Dame du Perpétuel Secours.Dans toute la République, les Frères de Ploërmel, les


XX EN HAÏTIsont multipliés dans la République. D'autrepart, la Banque Nationale d'Haïti, société française,constituée, <strong>en</strong> 1880, au capital de 10millions, fait le service des emprunts contractés<strong>en</strong> France, et <strong>en</strong>caisse les recettes y affectées 1Le câble de la Compagnie française des Câblessous-marins touche les principaux ports de l'île,qu'il joint avec New-York, Cuba, nos petitesAntilles et la Côte Ferme. Les navires de laCompagnie Transatlantique desserv<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>suellem<strong>en</strong>tles côtes haïti<strong>en</strong>nes.Dans les ports ouverts 2 , les seuls où soit tolé-Sœurs de Saint-Joseph de Cluny et les Filles de la Sagesseavai<strong>en</strong>t ouvert, <strong>en</strong> 1905, 78 écoles, avec une population scolairede 12.161 <strong>en</strong>fants. Les deux congrégations de femmesdesservai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> outre, six hôpitaux à Port-au-Prince, auCap-Haïti<strong>en</strong>, aux Gonaïves et aux Cayes.1. Deux emprunts haïti<strong>en</strong>s ont été placés sur le marchéde Paris : 1° l'emprunt Domingue de 1875 (19 millions <strong>en</strong>viron)5 p. 100, qui liquidait le solde des indemnités duesaux planteurs français, dépossédés par l'indép<strong>en</strong>dance haïti<strong>en</strong>ne; 2° l'emprunt 1896 de 50 millions 6 p. 100. 11 existe<strong>en</strong> outre, une dette intérieure, amalgame d'un grand nombre de petits emprunts, conclus depuis 1896 avec des groupes de négociants de Port-au-Prince, et qui s'élevai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>1905, à plus de 65 millions. Le service de ces divers emprunts — intérêt et amortissem<strong>en</strong>t — est fait par la BanqueNationale d'Haïti, qui <strong>en</strong>caisse les recettes y affectées, àsavoir des tant pour c<strong>en</strong>t sur les droits payables <strong>en</strong> or, àl'exportation des cafés, cacaos et campêches.2. Il y a, <strong>en</strong> Haïti, onze ports ouverts : Cap-Haïti<strong>en</strong>, Portde-Paix,les Gonaïves, Saint-Marc, Port-au-Prince, Petit-Goave, Miragoane, Jérémie, les Cayes, Aquin et Jacmel,


PRÉFACEXXIrée leur prés<strong>en</strong>ce, les autres blancs font le commercede gros. Les premiers temps de l'indép<strong>en</strong>danc<strong>en</strong>e les avai<strong>en</strong>t point admis. Dessalines créades commissaires publics, seuls autorisés à v<strong>en</strong>dreles cargaisons débarquées des navires. Christophe,ayant permis au commerce étranger dechoisir ses propres ag<strong>en</strong>ts, des maisons mulâtresse fondèr<strong>en</strong>t sur la côte. Promptem<strong>en</strong>t, lesfacilités s'accrur<strong>en</strong>t. Favorisés par les défiances,dont nous restionsl'objet,quelques Anglais s'installèr<strong>en</strong>tdans les ports ; mais il n'<strong>en</strong> reste plusguère aujourd'hui, non plus que d'Américains.Bi<strong>en</strong> avant le milieu du dernier siècle, les nôtres,mieux vus des Haïti<strong>en</strong>s, comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à pr<strong>en</strong>drepied, se « placèr<strong>en</strong>t » avec des filles decouleur, et ouvrir<strong>en</strong>t des comptoirs.Les premiers Allemands étai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>us dans lacolonie <strong>en</strong> 1764 ; débris d'une colonisation malheureuse,<strong>en</strong>treprise à Cay<strong>en</strong>ne, ils fur<strong>en</strong>t installésà Bombardopolis, près du Môle Saint-Nicolas,et y prospérèr<strong>en</strong>t dans la culture du café;ils étai<strong>en</strong>t un millier, lors de la Révolution. L'indép<strong>en</strong>dancehaïti<strong>en</strong>ne les distingua des blancsfrançais, leur donna les droits de citoy<strong>en</strong> et l<strong>en</strong>om générique de noirs. Ils s'employèr<strong>en</strong>t, du


XXII EN HAÏTIreste, à le mériter et se perdir<strong>en</strong>t parmi lesnègres. Un nouvel afflux d'Allemands, v<strong>en</strong>u desvilles hanséatiques, s'acc<strong>en</strong>tua vers 1860. Plusieurs<strong>en</strong>trèr<strong>en</strong>t comme employés chez les négociantsfrançais, épousèr<strong>en</strong>t leurs filles etdevinr<strong>en</strong>t leurs successeurs. Depuis lors, uncourant constant s'est établi, et le commerceallemand pr<strong>en</strong>d une part considérable dans lesports haïti<strong>en</strong>s, notamm<strong>en</strong>t à Port-au-Prince. AuCap-Haïti<strong>en</strong> et dans la plaine duNord, une coloniecorse, très prospère, mainti<strong>en</strong>t dans les affairesune autorité indiscutée. A côté d'eux, plusieursc<strong>en</strong>taines de Guadeloupé<strong>en</strong>s et de Martiniquaisont émigré <strong>en</strong> Haïti ; ils y pratiqu<strong>en</strong>t de petitsmétiers et, grâce à leur couleur, parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à sefaufiler dans l'intérieur 1 . Les Syri<strong>en</strong>s doiv<strong>en</strong>t lemême avantage à la souplesse de leur caractère;ils pénètr<strong>en</strong>t dans tous les coins de l'île, commemarchands et colporteurs, se laissant expulserd'un <strong>en</strong>droit pour reparaître sur un autre.1. On estime qu'il se trouve, <strong>en</strong> Haïti,1.500 g<strong>en</strong>s de nos îles,principalem<strong>en</strong>t Guadeloupé<strong>en</strong>s. Les Haïti<strong>en</strong>s les désign<strong>en</strong>tsous le sobriquet de Moucas. Ils comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t à v<strong>en</strong>ir vers1850, aussitôt après l'abolition de l'esclavage. PlusieursGuadeloupé<strong>en</strong>s possèd<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Haïti d'importantes maisonsde commerce ; MM. Boutin, à Saint-Marc et Port-au-PrinceGaston Revest, à Port-au-Prince ; Chériez, au Petit-Goave


PRÉFACEXXIIIEntre blancs et noirs, les mulâtres serv<strong>en</strong>td'intermédiaires, réduits à jouer le rôle quirevi<strong>en</strong>t à toute communauté peu nombreuse, resserrée<strong>en</strong>tre des groupem<strong>en</strong>ts très forts. Ils fourniss<strong>en</strong>tle plus grand nombre des courtiers etemployés des maisons blanches. Plus fins, plusintellig<strong>en</strong>ts, plus instruits que les nègres, ilsont établi quelques industries, <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t l'administrationet les ministères. Seuls, le présid<strong>en</strong>tde la République, les délégués dans lesdépartem<strong>en</strong>ts, les commandants d'arrondissem<strong>en</strong>tet de commune sont généralem<strong>en</strong>t nègrespurs, marquant, sur la côte, la prépondérancede l'autorité militaire et de l'élém<strong>en</strong>t nègre del'intérieur. Parmi les Haïti<strong>en</strong>s, la disparitiondes blancs a fait des mulâtres une aristocratiede couleur, qui ti<strong>en</strong>t à l'exploitation de son privilège,<strong>en</strong> s'appuyant sur les blancs pour mieuxs'imposer aux nègres, sur les nègres pour mieuxutiliser les blancs. Si les mulâtres de l'intérieursont naturellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>clins à se perdredans la masse noire, ceux des villes, particulièrem<strong>en</strong>tà Port-au-Prince, t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t, dans la mesuredu possible, à se rapprocher des blancs. Moreaude Saint-Méry observait déjà que « les mulâ-


XXIV EN HAÏTItresses affectai<strong>en</strong>t une sorte de dédain pour lesmulâtres ». — « Les mulâtresses, disait, de soncôté, Hilliard d'Auberteuil, aim<strong>en</strong>t les blancs etdédaign<strong>en</strong>t les mulâtres » ; il raillait la suffisancedu petit blanc, souv<strong>en</strong>t av<strong>en</strong>turier ouvagabond, qui ress<strong>en</strong>tait ainsi, au débarqué, lesavantages de sa couleur.En modifiant les institutions, l'indép<strong>en</strong>danced'Haïti n'a point réussi à changer ces mœurs.Au-dessus de la capitale, remont<strong>en</strong>t les quartiersombragés de Turgeau, du Bois-Chêne etdu Bois-Verna, où réside la société de couleur;les femmes, souv<strong>en</strong>t fort claires de teint, y sontg<strong>en</strong>tilles et raffinées, d'une excell<strong>en</strong>te éducation; la vénération du sang blanc persiste <strong>en</strong>elles. — Avec une certaine dot, elles parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>td'ordinaire à se marier chez nous et seperd<strong>en</strong>t dans le milieu français. Moins fortunées,elles recherch<strong>en</strong>t avidem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mariageles employés des maisons étrangères : des maisonsde Port-au-Prince, s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ; car ces demoisellesmarqu<strong>en</strong>t, pour les ports de la côte, lamême aversion que les jeunes filles de Parispour la vie de province. A peine arrivé, le jeuneAllemand, modestem<strong>en</strong>t éclos sur les bords de


PRÉFACEXXVl'Elbe, n'a point de peine à débrouiller le secretdes transactions locales, où l'échange commercialsert à recouvrir des opérations plus lucratives,telles que la négociation des empruntsintérieurs, le trafic des feuilles d'appointem<strong>en</strong>tet les spéculations sur le change. Les hommages,qu'il reçoit chez les g<strong>en</strong>s de Turgeau, lui révèl<strong>en</strong>tbrusquem<strong>en</strong>t la noblesse insoupçonnée deson origine. A-t-il réalisé quelque épargne, ilse hâte de pr<strong>en</strong>dre une petite mulâtresse <strong>en</strong>légitime mariage ; chaque soir, la troupe impériale,issue des épiceries et pharmacies germaniques,remonte orgueilleusem<strong>en</strong>t vers sesfoyers créoles. Mais voici que, dans les Antilles,aussi bi<strong>en</strong> qu'ailleurs, l'Allemand, naguèrepaisible, maint<strong>en</strong>ant <strong>en</strong>vahi d'ardeurs pangermanistes,s'applique à germaniser ces îlesrécalcitrantes. Pour plaire à l'époux, les « damesallemandes » d'Haïti témoign<strong>en</strong>t volontiers d'unpatriotisme résigné à l'égard d'une métropoleinconnue. A la génération suivante, les <strong>en</strong>fants,nés de telles unions, se fond<strong>en</strong>t ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>tdans la masse créole.Le gouvernem<strong>en</strong>t, l'administration, la justicehaïti<strong>en</strong>nes, le conseil des secrétaires d'État, le


XXVI EN HAÏTItribunal de Cassation, les onze tribunaux civils,les douze arrondissem<strong>en</strong>ts financiers, le commerceblanc, la société de couleur pénétrée parles mariages étrangers, les codes, les lois,la presse, la littérature française créole, lareprés<strong>en</strong>tation nationale, avec sa Chambre desCommunes ou Corps législatif et son Sénat, —le « grand Corps », ainsi que le désigne le respecthaïti<strong>en</strong>, — tout cela plus ou moins calquesur nos propres institutions, — ne sont que lafaçade extérieure de la République d'Haïti.L'intérieur est tout autre et se passe de cetappareil superflu. Sur les ruines de la colonisationfrançaise, sans grand souci d'administration,un million et demi 1de nègres se trouv<strong>en</strong>tactuellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> possession de l'anci<strong>en</strong>ne terredes blancs, dont ils viv<strong>en</strong>t par la culture de leurpetit bi<strong>en</strong>. Ils form<strong>en</strong>t, dans la plus grandepartie du pays, une démocratie rurale, <strong>en</strong>cadréepar une police militaire, ayant peu debesoins, marquant un égal dévouem<strong>en</strong>t pourses prêtres et ses sorciers, fixée au sol par1. En 1789, la population de couleur à Saint-Domingue nedépassait pas 500.000 individus ; les guerres de la Révolutionla réduisir<strong>en</strong>t à 400.000.


PRÉFACEXXVIIles dispositions du Code Rural, acceptant pourhorizon les limites de la commune, sans désirde chercher plus loin ni des gouvernants ni desjuges. Beaucoup sont aisés, la plupart sembl<strong>en</strong>tcont<strong>en</strong>ts; je ne crois pas qu'il y ait au mond<strong>en</strong>ègres plus heureux ni plus tranquilles, tantque la politique n'intervi<strong>en</strong>t point dans leursaffaires et que la révolution reste à distance deleurs cases. Pratiqués par eux-mêmes,le régimemilitaire et la justice sommaire ne sembl<strong>en</strong>t pasleur peser; la simplicité du système répond<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t à leurs conv<strong>en</strong>ances. Ce systèmedérive, d'ailleurs, des origines mêmes de lanation haïti<strong>en</strong>ne. « Jamais armée europé<strong>en</strong>ne,observait Pamphile de Lacroix, n'a été soumiseà une discipline plus sévère que ne le fur<strong>en</strong>tles troupes de Toussaint Louverture. Chaquegradé commandait le pistolet à la main et avaitdroit de vie et de mort sur ses subalternes. »L'Haïti<strong>en</strong> <strong>en</strong> a gardé une indiffér<strong>en</strong>ce résignéepour les pires abus du pouvoir. Prison pasfaite pour chi<strong>en</strong>s, dit le proverbe créole.J'ai visité la plus grande partie d'Haïti ;abstraction faite des missionnaires, il n'existesans doute aucun blanc, qui y ait, depuis long-


XXVIII EN HAÏTItemps, parcouru d'aussi longs itinéraires. Sautdans la plaine du Cul-de-Sac, où les chemins sontpraticables aux voitures, j'ai toujours voyagéà cheval, accompagné de domestiques nègres,Les autorités militaires m'ont conduit de poste<strong>en</strong> poste; dans les bourgs, les prêtres bretonsm'ont donné l'hospitalité. D'autre part, la complaisanced'amis haïti<strong>en</strong>s ou de Français créolesm'a mis <strong>en</strong> contact avec la superstition populaireet le culte du Vaudoux. J'ai vu des repas,des danses, des cérémonies africaines ; j'ai visitéles sanctuaires de sorciers réputés. Plusque quiconque de ma couleur, je crois m'êtretrouvé <strong>en</strong> mesure d'observer la coutume descampagnes haïti<strong>en</strong>nes. J'avoue y avoir pris unextrême plaisir. Dans un cadre magnifiquej'avais sous les yeux une suite ininterrompue demanifestations populaires, d'une incomparableétrangeté, qui se produisai<strong>en</strong>t dans un idiomeissu de notre langue, sous des formes, donl'origine africaine se trouvait influ<strong>en</strong>cée parnotre culture et par notre histoire.Les lieux mêmes gardai<strong>en</strong>t le témoignage deleur passé français. Dans les plaines, les vieuxmoulins à sucre, les conduites d'eau, les barrages


PRÉFACEXXIXd'irrigation de la colonie persist<strong>en</strong>t sous les feuillages.Dans la plaine du Nord, où la colonisationfut le plus int<strong>en</strong>se, les portes monum<strong>en</strong>talesdemeur<strong>en</strong>t au seuil des habitations abandonnées; les vieilles fontaines orn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core lesplaces du Cap et de Fort-Liberté; la citadelle del'anci<strong>en</strong> Fort-Dauphin garde ses bastions et sesfossés <strong>en</strong> ruines. Sur la cime d'un morne, sedresse intacte l'énorme forteresse de la Ferrière,dont le roi Christophe voulut faire le réduit deson peuple contre un retour off<strong>en</strong>sif des Français.Sur la route du Cap aux Gonaïves, lechemin continue à gravir les empierrem<strong>en</strong>tsde la route coloniale. A Saint-Marc, à l'Arcahaye,à Port-au-Prince, subsist<strong>en</strong>t les égliseset de vieilles maisons. Souv<strong>en</strong>t, les rues desvilles gard<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core les noms empruntésà la France du dix-huitième siècle ; les nomsdes bourgs perpétu<strong>en</strong>t le souv<strong>en</strong>ir des gouverneursqui les ont fondés, tels d'Ennery et Vallière.La nom<strong>en</strong>clature des habitations n'a pointvarié, et chaque famille française, issue descolons de Saint-Domingue, peut retrouver,sinon quelques pierres, du moins son propr<strong>en</strong>om, rattaché à la demeure de ses ancêtres.


XXX EN HAÏTISur une carte de la plaine du Nord, se lis<strong>en</strong>t<strong>en</strong>core les noms des habitations disparues:Vaudreuil, Bréda, Dhéricourt, Daux, Duplaa,Chast<strong>en</strong>oye, Galliffet, de Noé, Choiseul, Butler,de Charitte, Le Normant de Mézi, etc. Les g<strong>en</strong>s!de Jérémie ne manqu<strong>en</strong>t point de conduireleurs visiteurs à l'habitation célèbre, où, del'union d'un colon français avec une négresse,naquit le général Dumas.Un voyage dans les grandes Antilles permetde retrouver, <strong>en</strong> maint <strong>en</strong>droit, la desc<strong>en</strong>dancedes émigrés de Saint-Domingue, chassés par laRévolution. Cuba étant l'île la plus proche, ceuxcise répandir<strong>en</strong>t dans toute la partie ori<strong>en</strong>tale,alors à peu près déserte : une colonie nombreusese groupa au pied de la Sierra Maestra et dansla région montagneuse qui borde la côte, depuisSantiago-de-Cuba — « Saint-Yague-de-Cube »disai<strong>en</strong>t nos créoles — jusqu'au delà de Guantanamo. La plaine y est tout <strong>en</strong>tière plantée <strong>en</strong>cannes, et nombre d'usines sont peuplées de Français, g<strong>en</strong>s du Béarn, annuellem<strong>en</strong>t appelés par acampagne sucrière. Dans les collines, caféièreet cacaoyères fur<strong>en</strong>t créées par les réfugiés deSaint-Domingue. Beaucoup d'esclaves suivir<strong>en</strong>t


PRÉFACEXXXIleurs maîtres ; si bi<strong>en</strong> que la partie ori<strong>en</strong>tale deCuba se trouve remplie de nègres, de langueet de nom français, qui mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur individualité,possèd<strong>en</strong>t leurs « sociétés de danse »particulières, se serv<strong>en</strong>t du tambour et non dela guitare, <strong>en</strong>fin <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leurs sorciers propres,à l'écart des nègres espagnols. L'expansionde ces émigrés avait été telle, que toutl'Est de Cuba se trouva naturellem<strong>en</strong>t francisé ;Hérédia, né Cubain, écrivit <strong>en</strong> vers français.Certains, s'écartant du gros de nos colons,s'avancèr<strong>en</strong>t davantage vers l'ouest. Mme FrédériqueBremer et R.-H. Dana racont<strong>en</strong>t,qu'au cours de leurs voyages, <strong>en</strong> 1851 et 1859,ils fur<strong>en</strong>t les hôtes d'un émigré de Saint-Domingue, dev<strong>en</strong>u l'un des principaux planteursde la province de Matanzas.D'autres colons s'étai<strong>en</strong>t réfugiés à la Jamaïque: une c<strong>en</strong>taine de familles françaises y introduisir<strong>en</strong>tle café et le cacao dans les MontagnesBleues. Si la colonie française de Cubaest restée compacte et vivace, celle de laJamaïque est à peu près décomposée : le petitgroupe primitif ne se r<strong>en</strong>ouvela point. Comme,<strong>en</strong> certaines parties de l'Amérique, l'exode vers


XXXII EN HAÏTIl'Europe constitue communém<strong>en</strong>t la marque dusuccès, les planteurs <strong>en</strong>richis r<strong>en</strong>trèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>France ; ceux qui échouèr<strong>en</strong>t fir<strong>en</strong>t souche demulâtres : il ne reste plus qu'un groupe infimede créoles blancs, portant des noms français etconsci<strong>en</strong>ts de leur origine française. L'un d'eux,M. Malabre, est notre ag<strong>en</strong>t consulaire à Kingston.L'église catholique y était naguère françaiseet ce fur<strong>en</strong>t nos missionnaires qui lui procurèr<strong>en</strong>tune communauté nègre. La « Parade »porte la statue d'un jésuite savoisi<strong>en</strong>, le PJoseph Dupont, qui, toute sa vie, desservit laparoisse et mourut <strong>en</strong> 1887.De même qu'à la Nouvelle-Orléans, Béarnaiset Corses ont pris coutume de se r<strong>en</strong>dre auxAntilles : bon nombre de Béarnais se sont établisà la Havane et dans la partie occid<strong>en</strong>talede l'île de Cuba ; nous trouvons quelquesCorses dans la République Dominicaine, unecolonie fort importante à Porto-Rico. En dehorsdes Français, qui se trouv<strong>en</strong>t à Saint-Jean et aPonce, employés au chemin de fer ou auxsucreries, nos compatriotes corses possèd<strong>en</strong>t àpeu près le quart des caféières dans le massifmontagneux du sud. Les premiers vinr<strong>en</strong>t du


PRÉFACEXXXIIIcap Corse, il y a bi<strong>en</strong>tôt un siècle ; et le courantd'émigration s'est maint<strong>en</strong>u. Beaucoup fir<strong>en</strong>tfortune et regagnèr<strong>en</strong>t la terre natale. A Saint-Thomas, qui n'est plus que l'ombre d'ellemême,persiste le souv<strong>en</strong>ir des nôtres, qui s'y<strong>en</strong>richir<strong>en</strong>t, durant la spl<strong>en</strong>deur de l'île, néedes guerres et des révolutions voisines ; il yreste égaré un groupe de deux c<strong>en</strong>ts pêcheurs,v<strong>en</strong>us de Saint-Barthélémy et de Saint-Martin.P<strong>en</strong>dant mon séjour <strong>en</strong> Haïti, <strong>en</strong> voyageantdans les grandes Antilles, j'avais recueillid'abondantes notes sur tout ce qui restait d<strong>en</strong>ous dans ces îles, où l'activité française futsi grande au cours des trois derniers siècles.J'aurais aimé faire un tableau complet de cequi s'y conserve de la France, <strong>en</strong> fixant un étatde choses, m<strong>en</strong>acé par le progrès des temps,la disparition nécessaire de la vie créole et ledéveloppem<strong>en</strong>t de l'influ<strong>en</strong>ce américaine. Notreopinion, indiffér<strong>en</strong>te aux choses du dehors,inatt<strong>en</strong>tive aux groupes français de l'Amériqueou portée vers d'autres contrées, ne se r<strong>en</strong>dpoint compte de l'invincible persistance del'empreinte française, partout où elle s'estposée. A la lumière du prés<strong>en</strong>t, j'aurais vouluEN HAÏTI.C


XXXIV EN HAÏTIévoquer le charme de l'anci<strong>en</strong>ne vie créole françaisedes Antilles 1qui paraît bi<strong>en</strong> avoir été, audix-huitième siècle, la forme la plus plaisantede la vie coloniale. Malgré leurs erreurs et ladissolution de leur vie, nos planteurs avai<strong>en</strong>ttransporté dans les îles tout le raffinem<strong>en</strong>t deleur temps : il semble qu'ils <strong>en</strong> ai<strong>en</strong>t mis quelquechose dans leur contact avec la race nègreet qu'ils ai<strong>en</strong>t su, mieux que les Anglais oules Espagnols, manier ces populations <strong>en</strong>fantineset jouir de la beauté des tropiques.Le sort a voulu que ces trois dernièresannées m'ai<strong>en</strong>t emm<strong>en</strong>é bi<strong>en</strong> loin des Antilles.Depuis lors, j'ai fait et publié un long voyage<strong>en</strong> Perse; je me trouve à l'heure actuelle, dansles Balkans, au milieu d'affaires d'un intérêtimmédiat, alors que les Antilles, leurs peupleset leur histoire apparaiss<strong>en</strong>t injustem<strong>en</strong>t commechoses lointaines et déjà presque du passé. Il mefaut donc r<strong>en</strong>oncer à faire le travail projeté et meborner à réunir, dans le prés<strong>en</strong>t volume, leslettres <strong>en</strong>voyées au Journal des Débats, p<strong>en</strong>dantJ1. Avant de se fixer au Japon, Lefcadio Hearn séjournaà la Nouvelle-Orléans et A la Martinique. Il écrivit, danscette île, une charmante description de la vie créole française(Two years in the Fr<strong>en</strong>ch West Indies).


PRÉFACEXXXVmon séjour <strong>en</strong> Haïti. Ces lettres ne conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tpas une description complète du pays ; ellesracont<strong>en</strong>t simplem<strong>en</strong>t une série de prom<strong>en</strong>adeset d'études, au cours desquelles j'ai recueilli leplus de r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts possible sur les mœursdes nègres haïti<strong>en</strong>s et les souv<strong>en</strong>irs de notrecolonie. M. G. Hutin, géographe adjoint auministère des Affaires étrangères, a bi<strong>en</strong> vouludresser les deux cartes jointes à ce livre.Dans la transcription des mots créoles, desnoms d'arbres et de plantes, je me suis servi,bi<strong>en</strong> qu'elle soit souv<strong>en</strong>t variable, de la formegénéralem<strong>en</strong>t usitée par le P. Labat, Moreau deSaint-Méry et Descourtilz.J'éprouve d'autant plus de plaisir à réunir ceslettres que j'acquitte <strong>en</strong>vers les Antilles unedette de reconnaissance. Les séjours que j'y fisont été délicieux ; je n'éprouvai nulle part s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tplus complet de solitude et d'indép<strong>en</strong>dance,et ce fur<strong>en</strong>t ainsi sans doute les mom<strong>en</strong>tsles plus heureux d'une vie, qui s'est écoulée, àtravers le monde, <strong>en</strong> un continuel <strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t.Herkulesbad, juillet 1909.


LE BASSIN GÉNÉRAL. PORTE SAINT-MARTINLE BASSIN GÉNÉRAL. PORTEDUMÉEAUBIN. En Haïti. PL. I


ENHAÏTICHAPITREPREMIERLE BASSIN GÉNÉRALLa plaine du Cul-de-Sac. — « Du temps des blancs. » — Cequi reste des irrigations de la colonie. — Les deux systèmes: Rivière Grise et Rivière Blanche. — Le chef de lapremière section des Petits-Bois. — L'habitation Lamardelle.— Le règlem<strong>en</strong>t d'eau ; les syndics d'irrigation.Port-au-Prince, 1906.Quand les Français s'établir<strong>en</strong>t à la côte deSaint-Domingue, leurs premièresinstallationsperman<strong>en</strong>tes fur<strong>en</strong>t créées au Cul-de-Sac 1 .1. On appelait Cul-de-Sac, dans nos îles, une baie très<strong>en</strong>foncée dans les terres. A la Guadeloupe, les deux baiesprofondes, qui sépar<strong>en</strong>t l'île <strong>en</strong> deux parties, se nommai<strong>en</strong>tle grand et le petit Cul-de-Sac. A la Martinique, les Culs-de-Sac étai<strong>en</strong>t nombreux et portai<strong>en</strong>t chacun une appellationdéterminée : Cul-de-Sac Royal (la baie actuelle de Fort-deïrance),des Galions, des Salines. A Saint-Domingue, lesEN HAÏTI. 1


2 EN HAÏTILe nord de l'île avait connu bi<strong>en</strong> auparavant lesétablissem<strong>en</strong>ts des flibustiers et boucaniers,qui, de leur réduit primitif dans l'île de la Tortue,essaimai<strong>en</strong>t, par petits groupes, le long descôtes, depuis la baie de Samana jusqu'à celledes Cayes, et multipliai<strong>en</strong>t leurs « boucans » 1dans l'intérieur de la grande terre. En 1660, leP. de Charlevoix estimait leur nombre à 3.000,parmi lesquels la plupart des Français étai<strong>en</strong>t originairesde Normandie : il y <strong>en</strong> avait 250 à la Tortue,60 à Port-Margot, une c<strong>en</strong>taine dans lescantons voisins vers Port-de-Paix, 120à Léogane.Mais, jusqu'au mom<strong>en</strong>t où le traité de Ryswickeut fixé le droit public dans l'île de Saint-Domingue,la m<strong>en</strong>ace constante des Espagnolsne permettait guère les cultures dans la plainedu Nord. Les Espagnols attaquai<strong>en</strong>t à tout mom<strong>en</strong>tle Cap-Français, les Français pénétrai<strong>en</strong>tjusqu'à Santiago de la Véga, et le cours d'eau,qui sépare <strong>en</strong>core les deux « parties », fut justem<strong>en</strong>tnommé la Rivière du Massacre. A l'extrémitéméridionale, la plaine du Fond de l'Ileanci<strong>en</strong>nes cartes marqu<strong>en</strong>t le Cul-de-Sac de Léogane. Il perditce nom avec la déchéance de la ville et resta, dès lors,innommé, étant le seul Cul-de-Sac de la colonie.1. Les boucans étai<strong>en</strong>t les lieux habituels, où les boucaniersfaisai<strong>en</strong>t rôtir ou fumer les viandes, prov<strong>en</strong>ant de leurchasse.\


LE BASSIN GÉNÉRAL 3à Vache, qui s'ét<strong>en</strong>d derrière les Cayes, setrouvait trop éloignée ; si bi<strong>en</strong> que la sécuritéde la « partie de l'Ouest », déf<strong>en</strong>due par sesétangs et ses montagnes, garantie par la faiblesserelative des Anglais de la Jamaïque, yattira, avec les débuts d'une colonisation durable,ceux de l'organisation coloniale.En 1654, un gros de boucaniers, chassés duNord par les Espagnols, prit pied à Léogane.Les terrains de chasse dev<strong>en</strong>ant moins abondants,il leur fallut vivre des cultures, qu'ilsét<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t jusqu'au Petit-Goave. En 1665, legouverneur, M. d'Ogeron, qui était de l'Anjou,attira dans l'île des colons angevins. En 1667,il fit v<strong>en</strong>ir deux cargaisons successives de50 filles françaises, qui, mises à l'<strong>en</strong>can, trouvèr<strong>en</strong>tun rapide débit : ce fur<strong>en</strong>t, selon l'expressionaméricaine, les mères de la colonie.En 1690, la capitulation de Saint-Christophe 1am<strong>en</strong>a 300 réfugiés dans la plaine de l'Artiboniteet surtout au Cul-de-Sac. « De toutes lescolonies des îles françaises de l'Amérique,écrit le P. de Charlevoix, celle de Saint-Chris-1. La partie française de l'île de Saint-Christophe nousfutrestituée par la paix de Ryswick; mais ayant dû capitulerune seconde fois, dès le début de la guerre de la Successiond'Espagne, elle fut définitivem<strong>en</strong>t perdue au traitéd'Utrecht.


4ENHAÏTItophe avait toujours été la mieux réglée et laplus policée. La dispersion, qui s'<strong>en</strong> fit dans lesautres, y porta des manières, des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts etdes principes d'honneur et de religion, qu'onn'y connaissait guère auparavant. » L'annéesuivante, on comptait, dans le Nord, un millierd'individus, conc<strong>en</strong>trés au Cap-Français et 700dans les parties de l'Ouest et du Sud, dont200 à Léogane, les plus aisés de la colonie,90 aux Grand et Petit-Goave, 50 au Cul-de-Sac.En 1696, il s'y joignit 147 familles, transportéesde Sainte-Croix, dont la métropole avaitordonné l'abandon. La tranquillité née de lapaix de Ryswick, am<strong>en</strong>a le rapide développem<strong>en</strong>tde Saint-Domingue ; colons blancs et esclavesnègres comm<strong>en</strong>cèr<strong>en</strong>t d'y affluer. Lespremières cannes fur<strong>en</strong>t plantées au Cul-de-Sac<strong>en</strong> 1724. Six ans plus tard, des barrages fur<strong>en</strong>tétablis sur les deux rivières et un système completd'irrigation réparti dans toute la région.Les habitations se multiplièr<strong>en</strong>t, concédées àdes colons <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ants, à des fonctionnairesou des magistrats coloniaux, auxquels leur situationvalait certaines exemptions dans le paiem<strong>en</strong>tde la capitation des nègres, <strong>en</strong>fin à desseigneurs de la cour, désireux de faire aux coloniesdes placem<strong>en</strong>ts avantageux.


LE BASSIN GÉNÉRAL 5Ces g<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t grands propriétaires, producteursdes deux d<strong>en</strong>rées coloniales les plusprécieuses de l'époque, à savoir le sucre et l'indigo.A l'habitation de plaine, qui portait leurnom, était généralem<strong>en</strong>t annexé un « corail »situé dans le bois voisin, où s'ébattait le m<strong>en</strong>ubétail, plus particulièrem<strong>en</strong>t les porcs, de l'espècedite « cochons de Chine », qui, sous l<strong>en</strong>om de tonquins, pullulai<strong>en</strong>t dans la colonie.A faible distance, dans les mornes, la plupartpossédai<strong>en</strong>t des terrains affectés à la culture ducafé et des vivres ; après avoir créé de rapidesfortunes, le prix du café était dev<strong>en</strong>u moins rémunérateur; il y avait eu surproduction et legoût public préférait le café de Surinam à celuide Saint-Domingue. Sur les crêtes, ou dans lessavanes du Mirebalais, des «hattes» 2étai<strong>en</strong>t établiespour l'élevage du gros bétail. Ces diversétablissem<strong>en</strong>ts se complétai<strong>en</strong>t les uns parles autres et attachai<strong>en</strong>t à autant de lieux le nomdu même colon. Les grands planteurs des campagnesconstituai<strong>en</strong>t l'élém<strong>en</strong>t stable de lacolonie; si même leur état de fortune leur per-1. Corail, de l'espagnol corral, cour, <strong>en</strong>clos.2. Halle, de l'espagnol hato, haras, c<strong>en</strong>tre d'élevage. Beaucoupde mots espagnols ont ainsi pénétré dans le françaiscréole de Saint-Domingue, à cause du voisinage et des rapportsfréqu<strong>en</strong>ts qui existai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les deux parties de l'île


6ENHAÏTImettait de s'établir <strong>en</strong> France, ils restai<strong>en</strong>t liéspar leurs intérêts aux habitations familiales. Ala différ<strong>en</strong>ce des habitants des villes, qui, pourla plupart, se bornai<strong>en</strong>t à y toucher barre, à larecherche d'un <strong>en</strong>richissem<strong>en</strong>t rapide.D'après Hilliard d'Auberteuil, il y avait, <strong>en</strong>4775, dans la plaine du Cul-de-Sac, 80 sucreries,produisant 9.384 « milliers » de sucre blanc et17.730 de sucre brut— sans parler des indigoteries,« guildiveries » pour la fabrication del'alcool de canne, fours à chaux et briqueteries1 . Il est resté dans le pays toute unelég<strong>en</strong>de sur la spl<strong>en</strong>deur de cette anci<strong>en</strong>ne sociétécoloniale, qui s'<strong>en</strong>richissait rapidem<strong>en</strong>t,acquérait, <strong>en</strong> cas de besoin, la noblesse avecla'fortune et dép<strong>en</strong>sait <strong>en</strong> parv<strong>en</strong>us. — Un vieux•dicton des Antilles françaises marquait la prospéritérelative de nos diverses possessions ; ondisait: « Les seigneurs de Saint-Domingue, lesg<strong>en</strong>tilshommes de la Martinique, Messieurs de1. Un millier faisait 1.000 livres; deux milliers, un tonneau.Le sucre brut ou moscovado était produit par les premièresopérations d'une sucrerie: ce n'était qu'un sirop solidifié.Poussées plus loin, les opérations donnai<strong>en</strong>t le sucre blancou cassonnade.Les guildiveries servai<strong>en</strong>t à la distillation de l'alcool decanne, primitivem<strong>en</strong>t appelé guildive dans nos îles. Le motde guildive est souv<strong>en</strong>t employé <strong>en</strong> Haïti, au lieu de guildiverie.


LE BASSIN GÉNÉRAL 7la Guadeloupe et les g<strong>en</strong>s de Cay<strong>en</strong>ne. » M. d'Auberteuilcite trois frères, v<strong>en</strong>us d'Anjou à Saint-Domingue <strong>en</strong> 1748 ; ils ne possédai<strong>en</strong>t aucunbi<strong>en</strong>. Le dernier d'<strong>en</strong>tre eux mourut <strong>en</strong> 1770 ;il laissait à ses héritiers la terre seigneuriale deBaugé, lieu de sa naissance, qu'il avait réussi àacquérir, et une habitation sucrière de 400 carreaux1dans la plaine du Cul-de-Sac, habitationqui conserve <strong>en</strong>core le même nom ; plus600 nègres de choix, 1.500.000 livres tournoisplacés <strong>en</strong> France, autant dans la colonie. Cetheureux colon n'oubliait pas les <strong>en</strong>fants de couleur,que ses frères et lui avai<strong>en</strong>t eus de leursesclaves ; il leur léguait une grande indigoterieavec beaucoup de nègres. C'était l'époque où30.000 Français s'établissai<strong>en</strong>t à la côte de Saint-Domingue ; la colonie absorbant à elle seule lequart du commerce extérieur de la France. Sontrafic suffisait à l'<strong>en</strong>richissem<strong>en</strong>t de nos ports,surtout de Bordeaux, de Nantes et du Havre.1. Les anci<strong>en</strong>nes mesures françaises persist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>en</strong>Haïti. Les terrains s'y compt<strong>en</strong>t par carreaux, soit 100 pas de3 pieds et demi au carré, ou 12.939 mètres carrés. Un peuplus d'un hectare et quart. Tel était, du moins, le carreaude Saint-Domingue ; il était un peu plus petit dans d'autrescolonies.Le gallon, de 3 litres 75, sert à mesurer les liquides; lalivre de 500 grammes est l'unité de poids. Dans les magasins,es étoffes se v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à l'aune de 44 pouces, soit 1 m. 18.


8ENHAÏTILa Révolution détruisit cette prospérité etles colons disparur<strong>en</strong>t.Pourtant, le siècle écoulé n'a pas plus effacéla vieille empreinte française de la plaine duCul-de-Sac que des autres régions d'Haïti. L<strong>en</strong>om des habitations y conserve toujours le souv<strong>en</strong>irdes planteurs blancs, un peu déformé parfoisdans la bouche des nègres; des noms communsdans notre pays rest<strong>en</strong>t attachés à tousles recoins, à côté de noms illustres commeSégur, Noailles, La Ferronays, Vaudreuil ouSoissons. Les habitations morcelées ont bi<strong>en</strong>gardé leurs appellations primitives, <strong>en</strong> y joignantun qualificatif susceptible de distinguerles parcelles ; « grande » et « petite place »marqu<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>droit où se trouvait naguère la maisondu propriétaire, ou l'atelier d'esclaves. Lescorails d'autrefois sont dev<strong>en</strong>us des « bois ».Si la largeur des anci<strong>en</strong>nes routes s'estmaint<strong>en</strong>ue, elles sont maint<strong>en</strong>ant défoncéesd'ornières, coupées par les conduites d'irrigation,bossuées par les tuyaux d'eau, impraticablesaux voitures p<strong>en</strong>dant la saison pluvieuse.Entre les habitations cour<strong>en</strong>t des chemins creux,que les créoles appell<strong>en</strong>t des « corridors » ; <strong>en</strong>fin,les s<strong>en</strong>tiers, longeant les aqueducs, pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tle nom de la « dalle » voisine.


LE BASSIN GÉNÉRAL 9A l'époque coloniale, les travaux d'irrigationétai<strong>en</strong>t la gloire et la richesse de la plaine duCul-de-Sac. Les deux cours d'eau, v<strong>en</strong>us dusud, la Rivière Grise ou Grande-Rivière du Culde-Sac,la Rivière Blanche ou Rivière du Boucan-Brou,comportai<strong>en</strong>t des barrages à leursortie des montagnes. Leurs eaux, ainsi réparties<strong>en</strong> un double système, étai<strong>en</strong>t distribuéesjusqu'aux extrémités de la plaine, qu'elles divis<strong>en</strong>t<strong>en</strong> trois parties : Petite Plaine, <strong>en</strong>tre laRivière Grise et la mer ; Moy<strong>en</strong>ne Plaine, <strong>en</strong>treles deux rivières ; Grande Plaine, <strong>en</strong>tre la RivièreBlanche et l'Étang Saumâtre 1 ... A l'heure ac-1. Après l'introduction tardive de la culture de la cannedans la partie française (dans la partie espagnole, elle avaitété apportée des Canaries, quelques années seulem<strong>en</strong>t aprèsla conquête), les colons établis au Cul-de-Sac dur<strong>en</strong>t pratiquerdes prises sur les rivières, afin de remédier par l'irrigationà l'abs<strong>en</strong>ce de pluies, causée par les six mois dela saison sèche. Les planteurs étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core peu nombreux.En 1739, il n'y avait dans toute la plaine que 530 blancs,62 affranchis ou mulâtres, 8.024 nègres. Cep<strong>en</strong>dant deslitiges naquir<strong>en</strong>t pour le partage de l'eau, si bi<strong>en</strong> qu'<strong>en</strong>1758 il fallut mettre à l'étude une distribution générale etprovoquer la nomination de syndics. La guerre de Sept Ansretarda la mise <strong>en</strong> train de l'affaire ; les l<strong>en</strong>teurs administrativesfir<strong>en</strong>t le reste. En 1773 seulem<strong>en</strong>t, le projet des irrigationsde la Grande-Rivière fut approuvé par le tribunalterrier, composé des administrateurs et de trois conseillersau Conseil supérieur ; son exécution confiée à un <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurde Paris. Le système définitif ne fut achevé qu'<strong>en</strong>1785, c'est-à-dire à la veille même de la Révolution. Lestravaux avai<strong>en</strong>t coûté 3 millions, assurant « l'arrosem<strong>en</strong>tde 7.988 carreaux, dép<strong>en</strong>dant de 58 sucreries, avec 3.130


10 EN HAÏTItuelle, il ne reste plus que des débris. Les troisquarts de la plaine sont incultes, livrés à lavégétation des acacias, des bayaondes 1et descactus. Là où il est <strong>en</strong>core possible d'am<strong>en</strong>erl'eau, prospèr<strong>en</strong>t les cultures de vivres et lespouces courant par seconde —(Moreau de Saint-Méry —) ».Le règlem<strong>en</strong>t d'eau, interv<strong>en</strong>u <strong>en</strong>tre tous les intéressés etmuni de la sanction légale, était strictem<strong>en</strong>t appliqué.Les autres rivières du Cul-de-sac, notamm<strong>en</strong>t la RivièreBlanche, avai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t été l'objet de travaux d'irrigation,mais d'une importance beaucoup moindre. Sur les30.000 carreaux, qui formai<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>semble de la plaine, 13.000se trouvai<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t irrigués. Le nombre des sucreries,qui était de 32 <strong>en</strong> 1739, avait passé à 118.1. Bayaonde ou Baie à ondes. Mimosa ur<strong>en</strong>s (Descourtilz).Dans les plaines haïti<strong>en</strong>nes, toutes les parties incultes sont<strong>en</strong>vahies par la végétation chétive et inutile des bayaondes.Il s'y mêle des gommiers, des acacias et des cactus cierges.Cocotiers, palétuviers et raisiniers pouss<strong>en</strong>t au bord de lamer. Les forêts produis<strong>en</strong>t l'acajou, le coma, le tchatcha, lecandélon, le t<strong>en</strong>dre à caillou, qui sont bois de charp<strong>en</strong>te. Lesmombins et les sucrins donn<strong>en</strong>t l'ombrage aux caféières. Letronc droit des palmistes et la masse touffue des mapous domin<strong>en</strong>ttoute la végétation. Les arbres fruitiers sont : les manguiers,bananiers, caïmitiers, sapotilliers, cachim<strong>en</strong>tiers, corossoliers,papayers, etc. Les patates, ignames, malangas, giraumonts(sorte de potirons), les mirlitons, qui pouss<strong>en</strong>t sur laliane-concombre, sont les légumes habituels des vergers haïti<strong>en</strong>s.Quand nos colons eur<strong>en</strong>t à dénommer la flore desAntilles, et à défaut d'appellations indi<strong>en</strong>nes, ils donnèr<strong>en</strong>tsouv<strong>en</strong>t aux arbres, fleurs, plantes et lianes des sobriquetsappropriés, des « noms-jouet », dis<strong>en</strong>t les créoles. Ils distinguèr<strong>en</strong>tle bois laiteux, le bois de soie, le bois marbré, le boisde fer, le bois jaune, le bois lézard, l'arbre crocs de chi<strong>en</strong>s...La forme des racines désigna le bois-couleuvre ; ses noixpurgatives fir<strong>en</strong>t nommer le médecinier ; l'épanouissem<strong>en</strong>tdes fleurs rouges, qui le recouvr<strong>en</strong>t au printemps, valut sonnom au flamboyant.L'observation de la nature tropicale constitue peut-être le


LE BASSIN GÉNÉRAL 11champs de cannes, soit <strong>en</strong> utilisant les conduitesanci<strong>en</strong>nes, soit <strong>en</strong> pratiquant sur les rivièresdes prises nouvelles. Toutefois, les traces dusystème d'irrigation, établi par les nôtres, rest<strong>en</strong>tnombreuses : il faut, pour les retrouverdans la campagne, un guide sûr et une fortejournée de marche. J'ai fait cette prom<strong>en</strong>ade, lejour de la Fête-Dieu, sous le grand soleil dejuin, alors que toutes les cases de la routeétai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> célébration de la fête, ornées desfleurs rouges du flamboyant.Deux heures de cheval de Port-au-Prince auBassin Général, <strong>en</strong> suivant le pied des mornes,par les habitations Drouillard, Caradeux, Soissons,Bois-Greffin et Frères, — d'où apparaîtla gorge de la Rivière Grise, par delà lesrizières et les champs de cannes, ombragés depalmistes. Puis on remonte « la dalle de Châteaublond» ; le s<strong>en</strong>tier est bordé de guildives,distillant le sirop des usines prochaines. Surl'habitation Pernier, subsist<strong>en</strong>t, avec quelques,restes de vieux fossés, les ruines d'une sucrerieprincipal attrait des Antilles ; les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts à ce sujetabond<strong>en</strong>t dans les ouvrages de Descourtilz, des PP. DuTertre et Labat, qui s'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t sur les moindres caractèresdes plantes de nos îles et sur leurs propriétés thérapeutiques.Le livre de Ch. Kingsley, At last, conti<strong>en</strong>t une minutieusedescription des forêts de Trinidad.


12 EN HAÏTIcoloniale, la première, dit-on, qui fut installéeau Cul-de-Sac. A Platon, réside un « cabrouettier1» fameux, M. Exumé Jeanty ; un de ses fils,qui a achevé ses études à Paris, compte parmiles meilleurs médecins de Port-au-Prince.La région est arrosée par le « grand-coursier» desservant la Petite Plaine ; jadis, ilpartait du barrage, franchissait, sur le pontFond-Vin, la ravine de la Rivière Madame, puislongeait le morne, avant de pénétrer <strong>en</strong>plaine; il aboutissait aux abords de la capitale.Aujourd'hui, la plus grande part <strong>en</strong> aété emportée par les eaux; le canal est simplem<strong>en</strong>talim<strong>en</strong>té par une bondance, c'est-à-direpar une coupure pratiquée plus bas sur la rivière.A Soissons, le bassin de distribution estresté intact ; il faut le chercher parmi leshautes herbes, ombragé de mombins, sucrins 2 ,bananiers et bambous ; l'eau s'<strong>en</strong> écoule par septportes maçonnées, qui, suivant des conduites1. Fabricant de cabrouets, charrettes utilisées dans lescampagnes haïti<strong>en</strong>nes.2. Descourtilz écrit indifféremm<strong>en</strong>t : mombin, monbin oumombain. Le P. Labat appelle cet arbre prunier de Monbin,h cause de la forme de ses fruits. Il observe qu'il ressembleà un acajou et qu'on le plante dans les savanes, pourdonner de l'ombrage aux bestiaux p<strong>en</strong>dant la grande chaleurdu jour. — Pois sucrin ou acacia à fruits sucrés: MimosaInga.


LE BASSIN GÉNÉRAL13distinctes, la dirig<strong>en</strong>t vers les moulins ou lescultures du voisinage.Le Bassin Général captait le volume <strong>en</strong>tierde la Rivière Grise, <strong>en</strong> barrant la gorge étroiteet boisée, par où elle s'échappe de la montagne.Le mur du barrage a été détruit; la rivièrea repris son cours normal dans un litde cailloux roulés, que les créoles nomm<strong>en</strong>t« une galet » 1 . Cep<strong>en</strong>dant, sur une c<strong>en</strong>tainede mètres, les murs latéraux se sont conservés,ainsi que les portes opposées des grandscoursiers.Sur la rive gauche, la porte unique,précédée de deux saillants arrondis, s'appelle<strong>en</strong>core la porte Saint-Martin, du nom du plusgrand propriétaire établi dans la Petite Plaine.Sur la rive droite, la porte Dumée — du nomde l'habitation voisine — est double. Ce grandcoursier,qui est de beaucoup le plus importantdu système de la Rivière Grise, se partage aussitôt<strong>en</strong> trois branches, se dirigeant vers laMoy<strong>en</strong>ne Plaine à hauteurs inégales; le plusélevé, le grand-coursier proprem<strong>en</strong>t dit, suit lemorne des Enfants-Perdus et s'<strong>en</strong> va vers Ro-1. Le français créole féminise volontiers certains nomsmasculins; de plus, il fait sonner le t à la fin des mots. CeFrançais ^ égalem<strong>en</strong>t répandu chez les Canadi<strong>en</strong>s-


14 EN HAÏTIcheblanche, pour rejoindre, sur l'habitationJonc, les conduites v<strong>en</strong>ues de l'autre rivière;— à mi-côte, le canal de Digneron passe par LaFerronays, pour se terminer aux bourgs de laCroix-des-Bouquets et du Pont-Beudet ; audessous,le canal Noailles dessert la région inférieure.En nombre d'<strong>en</strong>droits, les bassins dedistribution, la maçonnerie des fossés, les pontstrès bas qui les franchiss<strong>en</strong>t, sont presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>tconservés; ces constructions étai<strong>en</strong>tfaites, dit-on, avec de l'argile cuite, mêlée à lac<strong>en</strong>dre de bagasse 1 , qui formait une matièretrès dure, susceptible d'<strong>en</strong> assurer la durée.Au milieu de ces canaux divers, à « la galetDumée 2» se trouve la « cour » du général CaliskaGalice, chef de la première section desPetits-Bois, sur la commune de la Croix-des-Bouquets : un vieux nègre trapu, au nez plusaplati <strong>en</strong>core qu'il n'est habituel chez ceux de sarace ; il nous reçut <strong>en</strong>veloppé dans un pei-1. On appelle bagasse, aux colonies, les résidus de la canne,une fois qu'elle a été broyée pour l'extraction des jus.2. M. Dumée, qui donna son nom à l'habitation, vivait aumilieu du dix-huitième siècle. Il t<strong>en</strong>ait 700 carreaux de sonbeau-père, M. Dubois, et <strong>en</strong> avait ajouté 256 par des concessionspropres. M. Dubois était un habitant de Saint-Christophe,qui était v<strong>en</strong>u s'établir au Cul-de-Sac, après la capitulationde la petite île. Son père avait été gouverneur del'île de Sainte-Croix, dev<strong>en</strong>ue l'une des Antilles danoises.


LE BASSIN GÉNÉRAL15gnoir de cotonnade rose à fleurs rouges. Cette« grande autorité » est <strong>en</strong> fonctions depuistr<strong>en</strong>te-sept ans, assurant par son influ<strong>en</strong>ce auxgouvernem<strong>en</strong>ts successifs le calme de la section.Sa cour, très vaste, conti<strong>en</strong>tplusieurscases; ses administrés y trouv<strong>en</strong>t une tonnelle,servant à r<strong>en</strong>dre la justice et plus souv<strong>en</strong>tabriter la danse, avec une gagaireàpour les combatsde coqs; il peut égalem<strong>en</strong>t leur donner quelquesconseils de médecine et passe pour spécialistedans les cas de folie. Le jardin comporteune tr<strong>en</strong>taine de carreaux de terre, où réussiss<strong>en</strong>tles cultures potagères, maïs, manioc, patates,malangas 1 . Les cocotiers s'y multipli<strong>en</strong>t.Un garçon grimpe à l'arbre, y cueille une demidouzainede noix mûres, taille rapidem<strong>en</strong>t de sa«manchette » 2l'extrémité de l'écorce jaunissanteet verse l'eau dans nos verres. Chaquefruitpeut <strong>en</strong> remplir deux; puis, d'un coup sec, lacoque est tranchée par le milieu ; avec une cuiller,on <strong>en</strong> détache la pulpe blanchâtre, qui se1. On donne aux racines comestibles des malangas le nomde tailleau ou tayo : ce sont les « choux caraïbes » de nosîles.2. La manchette est un long coutelas utilisé par les nègresdans toutes les Antilles et même sur le contin<strong>en</strong>t — machete<strong>en</strong> espagnol, matchet <strong>en</strong> anglais. — Les écrivains coloniauxécrivai<strong>en</strong>t machette: de là le nom de machoquet,donné aux maréchaux-ferrants qui les fabriquai<strong>en</strong>t.


16 EN HAÏTImange arrosée de rhum. Cette même pulpe,cuite dans du sirop de canne, sert à fabriquerl'huile de coco, employée aux usages domestiquespar toute la plaine.Voici la grande habitation Rocheblanch 1 . Ily a une vingtaine d'années, elle appart<strong>en</strong>ait àun de nos compatriotes, v<strong>en</strong>u de Bordeaux fairele commerce <strong>en</strong> Haïti ; ses héritiers l'ont v<strong>en</strong>due.Les champs de cannes s'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t fort loin, parsemésde « bois de chêne » 2 , aux fleurs blanchesteintées de violet; quelques mornets isolés lessépar<strong>en</strong>t de la Moy<strong>en</strong>ne Plaine. Le « corridor deRocheblanche » est un chemin creux, où s'accroch<strong>en</strong>tles lianes aux fleurettes jaunes, lesbonbonniers rougeâtres et les jolies fleurs vio-1. Du temps de la colonie, la Toison-Hocheblanche, ducanton de la Grande Roque, était considérée comme la meilleuresucrerie de la paroisse de la Croix-des-Bouquets; ony produisait annuellem<strong>en</strong>t 1.400 milliers de sucre brut. Lasucrerie Brancas Céreste était la plus ét<strong>en</strong>due ; c'était uneterre de 3.000 carreaux formée par M. Grandhomme, grandpèrede la duchesse de Brancas-Céreste. Près de la Croixdes-Bouquets,la sucrerie Santo donnait aussi de 13 à1.400 milliers de sucre brut ; la sucrerie Digneron, à côtéde Rocheblanche, était réputée produire le meilleur sucrede la plaine. (Moreau de Saint-Méry.)2. Le bois de chêne d'Haïti n'a ri<strong>en</strong> de commun avec leschênes de nos pays. Il <strong>en</strong> est de même des bois de frêne,bois d'orme, abricotiers et amandiers. Ce sont des arbres,auxquels les premiers colons français se sont plu à attribuerdes noms familiers, sans qu'il y eut <strong>en</strong>tre eux la moindreressemblance.


AUBIN. En Haïti.AQUEDUC DE L'HABITATION LAMARDELLELA GRANDE RIVIÈRE DU CUL-DE-SAC AU BASSIN GÉNÉRAL PL. II


LE BASSIN GÉNÉRAL 17lettes, qui, pour leur forme, ont été baptiséesde « fleurs à cœur ». Puis l'habitation Turbé«grande » et « petite place ». — Descloches;et nous tournons, au carrefour Letellier, pouratteindre les galets de l'habitation Lamardelle.C'est à l'<strong>en</strong>droit même où la Rivière Blanchesort de la gorge formée par les mornes Maroseau— déformation de « mare à Rousseau » —et des Enfants-Perdus; trois heures de chemindepuis le Bassin Général.Au mom<strong>en</strong>t de la Révolution, M. de Lamardelleétait procureur général au Conseil supérieurde Port-au-Prince ; un des magistrats lesplus importants de la colonie. Il avait établi sursa terre une sucrerie, fort bi<strong>en</strong> construite <strong>en</strong>pierres, qui a pu résister au temps et à l'<strong>en</strong>vahissem<strong>en</strong>tdes broussailles; les toits seuls <strong>en</strong>ont disparu. L'aqueduc <strong>en</strong> arcades se perd sousles bayaondes ; une arche plus allongée franchitla route, le long du moulin; les murs, la « tarevanne»,par où s'échappait l'eau à la sortie de laroue, la frise du toit <strong>en</strong> briques ouvragées, jusqu'auxgonds des portes et des f<strong>en</strong>êtres, sont<strong>en</strong>core intacts, ainsi que l'usine et le mur, sout<strong>en</strong>ant,depuis le moulin, la conduite pour le« vin de canne 1 ».1. Les colons de Saint-Domingue appelai<strong>en</strong>t « vin deEN HAÏTI. 2


18 EN HAÏTIAuprès de l'installation coloniale, le propriétaired'aujourd'hui a établi ses cases. Mulâtretrès clair, M. Lamotte-Aigron tire son nom dela colonie et rappelle avec plaisir le côté deson asc<strong>en</strong>dance qui le rattache aux « blancs français». Nous le trouvons dans sa petite maison,ét<strong>en</strong>du sur un hamac, fatigué, déjà vieux, leteint mat, les cheveux blancs ram<strong>en</strong>és sur lefront; papiers et journaux gis<strong>en</strong>t éparpillés danstous les coins de la chambre ; quelques livres— les Caractères de La Bruyère, des vers deVictor Hugo — rangés sur une table. Fantaisisteet désabusé, l'homme vit, depuis tr<strong>en</strong>te etun ans, dans cette solitude. Naguère, à Port-au-Prince, le commerce le conduisit à la faillite etla politique à la prison. Dégoûté de la ville, ils'établit, au milieu de la plaine, sur l'habitationle Meilleur ; la révolution passa devant sa porteet brûla ses récoltes. Alors, il prit le chemin decette habitation perdue, dont il ne veut plus sortir; du moins, il n'y pourra plus <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre que lebruitlointain des coups de feu de la guerre civile;et les chefs de section lui épargneront leurs visites.Le dangerlui vi<strong>en</strong>tmaint<strong>en</strong>antdelarivière,quand, à la fin des pluies, les « sources, descanne» ou uesou, les jus extraits de la canne, une fois broyéedans le moulin.


LE BASSIN GÉNÉRAL 19c<strong>en</strong>dant de la montagne, » <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t tumultueusem<strong>en</strong>tles galets de la ravine. Sur quelquesparcelles, le bois a été coupé, pour faireplace aux cultures de cannes. L'exploitation deM. Lamotte-Aigron est des plus simples; lemoulin, mû par un cheval, fournit les jus, quicuis<strong>en</strong>t dans la cuve sur un feu de bagasse. Lesirop ti-moulin, ainsi produit, plus clair et plusfin que les sirops d'usine, trouve un débouchéfacile parmi les rev<strong>en</strong>deuses du voisinage.Du système d'irrigation de la Rivière Blanche,il reste à peine trace. Le barrage d'antan comportaittrois portes, une c<strong>en</strong>trale et deux latérales.Le premier canal arrosait la GrandePlaine par O'Gorman et Vaudreuil ; celui de larive droite pr<strong>en</strong>ait le long du morne dans la directiondu village actuel de Ganthier ; celui dela rive gauche se rattachait aux conduites de laMoy<strong>en</strong>ne Plaine, v<strong>en</strong>ues du Bassin Général.Plus resserrée que la Rivière Grise, la RivièreBlanche a tout emporté. En remontant la gorgeà travers la forêt touffue de tchatchas, de candélons,de comas et de t<strong>en</strong>dres-à-caillou 1 , on atl.Ce sont les formes actuellem<strong>en</strong>t employées par les Haïti<strong>en</strong>s.Descourtilz écrit : Acoma et T<strong>en</strong>dre-acajou. Le L P. abatécrivait T<strong>en</strong>dre-à-caillou, <strong>en</strong> expliquant que ce bois avait étéainsi nommé, par dérision, à cause de son extrême dureté.


20 EN HAÏTIteint, à faible distance de Lamardelle, un creuxde terrain, où persist<strong>en</strong>t quelques pierres, aumilieu des cannes et des herbes. C'est tout cequi reste du Bassin Joli, l'anci<strong>en</strong> bassin dedistribution du canal c<strong>en</strong>tral. Pour réparer lemal, les habitants ont pratiqué de leur mieuxdes dérivations sur la rivière ; mais, faute debarrage, la perte d'eau est considérable. Sousles arbres, les bondances s'embranch<strong>en</strong>t <strong>en</strong> touss<strong>en</strong>s, vers Boigne, Petits-Bois, Merceron, Cotard1et Baugé.A l'<strong>en</strong>trée de la conduite de Boigne étaitaccroupi un jeune nègre, M. Aristhène Chéri,syndic de l'habitation la Tremblaye; il avaitmission de surveiller, pour ses commettants,le passage de l'eau, de peur qu'il ne prît auxg<strong>en</strong>s des Petits-Bois <strong>en</strong>vie de la détourner.Les règlem<strong>en</strong>ts d'eau de la colonie sont <strong>en</strong>-1. Cotard est une déformation de Coustard, nom d'un planteurfrançais. Un personnage de ce nom fut conseiller aupremier Conseil supérieur établi au Petit-Goave, et son nomfigure dans l'Édit Royal de 1685. En 1785, M. de Coustard,alors commandant <strong>en</strong> second de la partie de l'Ouest, fut gouverneurintérimaire de la colonie, après le départ de M. deBellecombe et <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant l'arrivée de M. de la Luzerne. Ilétait chevalier de Saint-Louis et fut arrêté p<strong>en</strong>dant les agitationsrévolutionnaires. Aussitôt après la révolution, lesblancs une fois éliminés, surgiss<strong>en</strong>t les g<strong>en</strong>s de couleur.Coutili<strong>en</strong> Coustard se distingua dans l'armée de Pétion.Le nom de M. Leborgne de Boigne apparaît égalem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dantla révolution.


LE BASSIN GÉNÉRAL 21core <strong>en</strong> vigueur, consacrés par le Code Ruralhaïti<strong>en</strong>. L'eau est distribuée par habitation. Sil'habitation se trouve divisée, un contrat écrit,signé des propriétaires, détermine la répartitiondes jours et heures d'arrosage, par nombre decarreaux de terre ; — chacun restant libre d'organiserle roulem<strong>en</strong>t des eaux sur sa proprepropriété. La police des irrigations est confiéeà un syndic, nommé par l'habitation,reconnu par l'autorité. Ce fonctionnaire surveilleles conduites, <strong>en</strong> fait disparaître lesobstructions, signale aux intéressés les réparationsurg<strong>en</strong>tes et ti<strong>en</strong>t la main à la stricte exécutiondes contrats, sauf recours au chef de lasection ou même, <strong>en</strong> cas de besoin, au juge depaix de la commune.Le curage des canaux s'effectue généralem<strong>en</strong>t<strong>en</strong> octobre, un peu avant la v<strong>en</strong>ue de la saisonsèche. La date <strong>en</strong> est fixée par le propriétaire,situé le plus haut sur l'habitation ; le long ducanal, on s'avertit de proche <strong>en</strong> proche. Maisc'est le syndic lui-même qui convoque les habitantset préside au nettoyage. La veille dujour choisi, au coucher du soleil, il monte surla « dalle » pour faire le « hèle ». — « Dinmain,crie-t-il, n'apé monté nan tête cannai pour nettié— Demain, nous allons monter au bout du ca-


22 EN HAÏTInal pour le nettoyer ! » Et, ajoutant quelquesm<strong>en</strong>aces à l'adresse des récalcitrants év<strong>en</strong>tuels :« Çà qui pas vini, tant pis pour yo ! — Queceux qui ne vi<strong>en</strong>dront pas, pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t garde àeux ! »


CHAPITRE IILA PLAINE DU CUL-DE-SACLa Petite Plaine. — L'appropriation des terres après l'indép<strong>en</strong>dance.— Système de culture ; le métayage ; les « demoitié ». — L'habitation Caradeux. — Formation de larace haïti<strong>en</strong>ne ; les nègres créoles. — La langue créole.— Coutumes créoles : la danse martinique; le loiloidi. —Religions d'Afrique : le Vaudoux haïti<strong>en</strong>. — Mélange defétichisme et de christianisme. — Rite de Guinée et riteCongo. — Les lois. — Papalois, Houngans et Pères-Savane.— Le culte familial. — Les sociétés de Vaudoux. — Leshoumforts.— Visite aux Papalois.— Le cimetière de Châteaublond.— L'habitation Frères. — Un « docteurfeuilles».J'ai bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t visité la Petite Plaine, quitouche Port-au-Prince. Un de nos compatriotesguadeloupé<strong>en</strong>s, M. Marc Boutin, réside à Caradeux; un peu plus loin, l'habitation Frèresapparti<strong>en</strong>t au fils d'un anci<strong>en</strong> Présid<strong>en</strong>t de la


24 EN HAÏTIRépublique, M. Saint-Martin Canal, qui a faitses études à Paris. On y accède par la grand'-route de la Croix-des-Bouquets, qui détache unchemin sur la droite, vers Caradeux et Soissons.Les collines boisées, qui, de ce côté,<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t la capitale, <strong>en</strong> remontant vers Pétionville,port<strong>en</strong>t le nom de Saint-Martin. Au tempsde la colonie, le domaine considérable de M. deSaint-Martin 1 , cultivé <strong>en</strong> patates et <strong>en</strong> herbesde Guinée, le r<strong>en</strong>dait maître à peu près absoludes marchés de Port-au-Prince ; sa maisonde campagne occupait les hauteurs du morneDelmas ; il possédait une maison <strong>en</strong> ville.Bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> arrière,à une dizaine de kilomètres,un contre-fort s'avançant vers la plaine, lemorne Sapotillier, isole l'habitation Frères,où se trouvait alors une indigoterie ; elle produisait,<strong>en</strong> outre, de la chaux, du charbon,du bois, un peu d'herbe. Dans le plat pays,se succèd<strong>en</strong>t les habitations Soissons, Mocquet,Châteaublond, Caradeux, Fleuriau, du Mornay.— M. de Caradeux, Caradeux aîné 2 ainsi que1. L'indemnité affér<strong>en</strong>te à la « place à vivres » Saint-Martin et à quinze immeubles, sis à Port-au-Prince, futverséeà son petits-fils, M. Eugène de Mac-Mahon, déjà titulaired'une indemnité, comme héritier de son père, pourune indigoterie à l'Anse-à-Veau, une caféterie au Grand-Goave et trois emplacem<strong>en</strong>ts à Jacmel.2. M. Jean-Baptiste de Caradeux (Caradeux aîné) était ap-


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 25le désign<strong>en</strong>t les docum<strong>en</strong>ts dressés par lesarp<strong>en</strong>teurs royaux, était, avec MM. de Saint-Martinet de Rocheblanche, le plus grand propriétairede la plaine ; Châteaublond et du Mornayavai<strong>en</strong>t été détachés des bi<strong>en</strong>s primitifs de la famillepour la dot des filles. — Son nom reste,parmi les nègres, <strong>en</strong>touré d'une auréole de fasteinouïetdeduretélég<strong>en</strong>daire;un instant, au coursdes agitations révolutionnaires, il joua un rôleprépondérant, comme capitaine-général de lagarde nationale du « Port-Républicain » ; il s'<strong>en</strong>fuit,dès 1792, avec un fort conting<strong>en</strong>t de ses nègres,vécut quelque temps à Charleston, où letrouva Descourtilz, et mourut à Philadelphie.« Si l'on est embarrassé pour couper des têtes,disait la lettre d'un planteur farouche, qui futprés<strong>en</strong>tée à la Conv<strong>en</strong>tion,on appellera le citoy<strong>en</strong>général Caradeux, qui <strong>en</strong> a fait sauter une cinquantainesur l'habitation Aubry, dans le tempsqu'il <strong>en</strong> était fermier, et qui, afin qu'on n'<strong>en</strong>ignorât, les fichait sur des piques, le long deson habitation, <strong>en</strong> guise de palmiers. »Ayant dépossédé les colons par des confispar<strong>en</strong>téavec tous les grands planteurs de la plaine. Desfemmes de sa famille avai<strong>en</strong>t épousé MM. Châteaublond,Digneron, Cottes, le marquis de la Toison-Rocheblanche etM. Boissonnière du Mornay.


26 EN HAÏTIcations successives, la Révolution avait livréaux autorités nègres l'<strong>en</strong>semble des terres.Toussaint Louverture les afferma aux esclavesémancipés, qui dur<strong>en</strong>t ainsi rester sur leurs habitationsrespectives. La question de propriéténe fut d'abord tranchée qu'<strong>en</strong> faveur des mulâtres,capables de justifier de leur filiation à l'égard desanci<strong>en</strong>s propriétaires blancs ; l'affranchi héritade son père naturel, le planteur. Ce fut une décisionde Dessalines. L'appropriation des autresterres fut plus tardive. Dans le Nord, Christophe,dev<strong>en</strong>u roi, créa des majorats au profit dela noblesse héréditaire qu'il avait fondée. Dansl'Ouest et le Sud, une sorte de loi agraire déterminala répartition, selon les fonctions et lesgrades, la mise <strong>en</strong> v<strong>en</strong>te ou l'affermage des parcelles,non attribuées aux vétérans ou aux soldats.Aucune concession ne devait être inférieureà 5 carreaux de terre et les premièresdat<strong>en</strong>t de 1809. L'appropriation du Cul-de-Sacn'eut lieu que vers 1812. Dans les mornes, à la faveurde la petite culture, la propriété se divisa;<strong>en</strong>plaine, où l'industrie sucrière exigeait plus deconc<strong>en</strong>tration, les officiers supérieurs reçur<strong>en</strong>tdes habitations <strong>en</strong>tières ; si bi<strong>en</strong>, qu'à côté des petitscultivateurs,desdomaines de quelque importancecontinu<strong>en</strong>t à se maint<strong>en</strong>ir. Comme de juste,


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 27les principaux de l'époque avai<strong>en</strong>t mis la mainsur les meilleures terres. Le présid<strong>en</strong>t, les membresduGouvernem<strong>en</strong>t, qui étai<strong>en</strong>t alors le Secrétairegénéral, le Grand Juge et le Trésorier général,s'attribuèr<strong>en</strong>t les plus belles habitations, voisinesde la capitale. Pétion reçut Tort sur la baieet Drouillard <strong>en</strong> plaine. Le fond du Cul-de-Sac,sur la route de l'Arcahaye, garde le nom du généralLerebours, qui commandait alors l'arrondissem<strong>en</strong>tde Port-au-Prince. Dans toutes lescommunes de la République, les Commandantsde place prir<strong>en</strong>t les propriétés à leur conv<strong>en</strong>ance.Rigaud, qui avait été chassé de l'île par ToussaintLouverture, revint de France, <strong>en</strong> 1810,pour repr<strong>en</strong>dre, aux Cayes, son agitation révolutionnaireet s'approprier l'habitation La Borde,la plus riche de la plaine du Fond.Caradeux échut au général Éti<strong>en</strong>ne Magny,qui commanda la garde de Toussaint Louverture,puis l'arrondissem<strong>en</strong>t du Cap-Haïti<strong>en</strong>.Bi<strong>en</strong> que créé duc de Plaisance par H<strong>en</strong>ri I er , ill'abandonna pour embrasser la cause républicaine.Caradeux fut sa récomp<strong>en</strong>se. Frères revintau colonel Jean Dugantier.Grâce à l'efficacité des mesures prises parToussaint Louverture, la plupart des nègresavai<strong>en</strong>t été empêchés de quitter les campagnes,


28 EN HAÏTIet le permis de circulation, exigé du temps del'esclavage, restait maint<strong>en</strong>u après l'indép<strong>en</strong>dance1 . Si bi<strong>en</strong> que les nouveaux propriétaires1. Toute la population des campagnes haïti<strong>en</strong>nes vit sousle régime du Code Rural, qui, fixant le sort de la presquetotalité, est, <strong>en</strong> fait, la loi fondam<strong>en</strong>tale de la République.Le Code Rural actuel date du 27 octobre 1864 et remplacecelui de 1826. Comme son devancier, il a pour but unique deréglem<strong>en</strong>ter la police des campagnes. Cette police est fortstricte et fait peser sur le peuple <strong>en</strong>tier un étroit contrôle,qui rappelle, par beaucoup de côtés, les temps de l'esclavage,l'État se substituant aux anci<strong>en</strong>s maîtres. Chaque habitationest obligatoirem<strong>en</strong>t soumise à une visite m<strong>en</strong>suelledu chef de section, hebdomadaire du chef de district. Lesdétails de la vie individuelle sont minutieusem<strong>en</strong>t réglés.Le législateur, s'étant avisé du goût immodéré des nègrespour le tambour, prescrit que les jours ouvrables, « danseset festins» ne peuv<strong>en</strong>t se prolonger au delà de minuit. Auxtermes du Code Noir, aucun esclave ne devait quitter l'habitationdu maître sans un billet rempli des indications lesplus précises. Sinon, il pouvait être arrêté par le premierv<strong>en</strong>u. La même obligation persiste : tout homme, s'abs<strong>en</strong>tantplus de vingt-quatre heures de son habitation, sanspermis de circulation délivré par le chef de district, est considérécomme vagabond et cueilli par la police. Subiss<strong>en</strong>tle même affront les oisifs, même séd<strong>en</strong>taires, incapablesde justifier d'occupations sérieuses.Des dispositions aussi vexatoires se justifi<strong>en</strong>t par leurutilité, car, dans toutes les Antilles, le nègre <strong>en</strong>visage volontiersle droit de se prom<strong>en</strong>er et de ne ri<strong>en</strong> faire, commele premier privilège de la liberté. Hâtons-nous d'ajouter queles prescriptions des codes haïti<strong>en</strong>s ne sont pas toujoursappliquées au pied de la lettre. Le Code pénal édicte bi<strong>en</strong>les peines les plus sévères contre tous « faiseurs de ouangas,caprelatas, vaudoux, donpèdres, macandals et autressortilèges ». « Toutes danses, et autres pratiques quelconques,spécifie l'article 405, qui seront de nature à <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>irdans les populations l'esprit de fétichisme et de superstition,seront considérées comme sortilèges et punies desmêmes peines. » En Haïti, comme ailleurs, les lois ne réussiss<strong>en</strong>tpas à prévaloir contre les mœurs.


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 29de la plaine trouvèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core un bon nombred'habitants à fixer sur leurs grandes terres,malgré l'attirance des mornes, où la culture,plus facile, du café et l'appropriation de petitesparcelles, répondai<strong>en</strong>t, mieux que le travail dela canne, à l'indol<strong>en</strong>ce nationale.Chaque habitation circonscrit une « cour »,destinée à recevoir les familles de ses travailleurs;tout individu peut dev<strong>en</strong>ir un « de moitié», c'est-à-dire obt<strong>en</strong>ir un jardin, un emplacem<strong>en</strong>toù bâtir ses cases, et la faculté de coupersur la propriété le bois nécessaire à leurconstruction. En échange, intervi<strong>en</strong>t un contratde métayage, qui oblige le « de moitié » à cultiverles terres du propriétaire, contre la moitiéde la récolte.Dans les champs de cannes, le carreau deterre est divisé <strong>en</strong> 8 panneaux, le panneau <strong>en</strong> 16« carreaux de plantation », d'<strong>en</strong>viron 30 piedsde long, séparés par les rigoles d'irrigation.Il est d'usage d'attribuer aux « de moitié » un oudeux panneaux de cannes. Si quelqu'un d'<strong>en</strong>treeux peut dev<strong>en</strong>ir chef de « moitié », <strong>en</strong>gagerdes « valets de moitié », sous-métayers dontil est responsable, et <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre une cultureplus ét<strong>en</strong>due, on lui confie jusqu'à deux carreauxde terre. Le domaine d'un chacun est


80 EN HAÏTI<strong>en</strong>cadré par des allées. Une fois installés, lescultivateurs doiv<strong>en</strong>t au propriétaire le travail dela canne; la canne violette, dite de Tahiti, quimûrit <strong>en</strong> un an <strong>en</strong>viron et repousse indéfinim<strong>en</strong>t1 . Le mom<strong>en</strong>t précis de la récolte surchaque panneau est fixé par le maître de l'habitation.L'intéressé réunit alors tous les autres« de moitié » et forme avec eux un coumbiteassure la coupe des cannes par les2, quihommes,leur « amarrage » par les femmes ; à l'occasionprochaine, il devra r<strong>en</strong>dre à ses voisins le mêmeservice. Toute la culture s'est faite aux fraisdes « de moitié », qui rémunèr<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> outre, lesyndic d'irrigation, le gérant et le conducteurdes travaux de l'habitation. Le propriétaire n'intervi<strong>en</strong>tque pour le transport des cannes. Cellesciune fois <strong>en</strong>levées, la paille brûlée <strong>en</strong>graisseles champs et, jusqu'à la pousse nouvelle, les« de moitié » peuv<strong>en</strong>t y cultiver, pour leur proprecompte, des pois et des patates. Préfèr<strong>en</strong>tilsquitter l'habitation, chacun est libre dele faire à tout mom<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> abandonnant les1. « La canne donne au Cul-de-Sac de très beaux résultats,écrit Moreau de Saint-Méry; on trouve, sur l'habitationCaradeux, au canton de Bellevue, des rejetons, qui ne selass<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core, après vingt ans, d'accorder ce que lecultivateur <strong>en</strong> att<strong>en</strong>d pour prix de ses soins. »2. Coumbite, de l'espagnol convite, invitation.


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC31quatre murs de sa case ; <strong>en</strong> cas de décès, les contratsde métayage, prescrits par le Code Rural,sont naturellem<strong>en</strong>t repris par les héritiers. Et,grâce à un tel système, le propriétaire réussit àexploiter sa terre sans faire la moindre avanceà la culture.Caradeux est une habitation de 180 carreaux; 52 de moitié, et 82 cases pour une populationde 5 à 600 âmes. Ces g<strong>en</strong>s align<strong>en</strong>tleurs maisons le long de la route, parmi lesbayaondes ; constructions modestes, avec lesmurs <strong>en</strong> terre battue, blanchis à la chaux, lestoits <strong>en</strong> paille de canne; plusieurs sont muniesd'une galerie extérieure, d'un « avant-corps »,qui leur donne meilleure appar<strong>en</strong>ce.Le canal passe <strong>en</strong>tre la cour et les culturespour aboutir au moulin ; il y arrive par un vieilaqueduc, long d'une soixantaine de mètres ; àl'un des piliers s'adosse une rotonde <strong>en</strong> pierres,que surmontait jadis le pavillon du surveillantdes travaux. A l'<strong>en</strong>trée de l'aqueduc, un murruiné marque l'emplacem<strong>en</strong>t de la maisonde l'économe, aujourd'hui l'école; le propriétairefournit la case ; l'État rétribue le maîtreà raison de 25 gourdes 1 par mois. Dans les• La gourde constitue l'unité monétaire d'Haïti; elleit nominalem<strong>en</strong>t un dollar, mais subit les changes les


32 EN HAÏTIplaines haïti<strong>en</strong>nes, les aqueducs de l'époquecoloniale se sont fréquemm<strong>en</strong>t conservés ; plusrares sont les moulins. Les moulins à sucre d<strong>en</strong>os colonies étai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t alim<strong>en</strong>tés parl'eau, là où l'on <strong>en</strong> pouvait am<strong>en</strong>er. Ailleurs, ilsétai<strong>en</strong>t mus par des bêtes, bœufs, chevaux, oumulets. Il existait même quelques moulins à v<strong>en</strong>tdans les cabesterres des îles du V<strong>en</strong>t, c'est-à-diresur les côtes de l'Océan, plus exposées auxsouffles du large. Je n'ai vu d'intact, au Cul-de-Sac, que le moulin à eau de l'habitation Mocquet,construction carrée et massive, recouverte detuiles noircies. Les sucreries sont de dateréc<strong>en</strong>te ; quelques appareils vinr<strong>en</strong>t de France, laplupart des Etats-Unis ; les usines produis<strong>en</strong>t lesucre cristallisé, qui se v<strong>en</strong>d à Port-au-Prince, oùchaque habitation possède son dépôt. La vapeurplus fantaisistes. La gourde arg<strong>en</strong>t conti<strong>en</strong>t 100 c<strong>en</strong>ts ; ell<strong>en</strong>'est plus guère représ<strong>en</strong>tée que par du papier-monnaie etse subdivise <strong>en</strong> pièces d'arg<strong>en</strong>t de 20 et 10 c<strong>en</strong>ts, <strong>en</strong> piècesde nickel de 5, <strong>en</strong> pièces de cuivre de 2 et 1 c<strong>en</strong>t.La gourde haïti<strong>en</strong>ne est un héritage de la colonie : sonnom lui vi<strong>en</strong>t de l'anci<strong>en</strong>ne monnaie espagnole : peso gordoou « piastre forte », qui, dès l'origine, avait <strong>en</strong>vahi nos îles,grâce aux bénéfices réalisés par les flibustiers sur les côtesespagnoles. L'importation du bétail et le commerce interlopede la partie française avec Monte Christi la r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>ttrès abondante à Saint-Domingue. La monnaie de France yavait toujours été rare et faisait une prime de 50 p. 100. Lesmonnaies courantes étai<strong>en</strong>t les gourdes de 8 livres 5 sols etles portugaises d'or de 66 livres, introduites par la traite.


HABITATION MOCQUET. UN MOULIN DE L'ÉPOQUE COLONIALEHABITATION CARADEUX. RUINES D'ÉTUVE A “ TERRER ” LE SUCREAuBIS. En Haïti. PL. III


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 33se substitue de plus <strong>en</strong> plus à la force hydraulique.Dev<strong>en</strong>ue inutile, l'eau de Caradeux vase perdre, un peu plus bas, sur l'habitationFleuriau, aujourd'hui abandonnée. L'aqueduc ytombe <strong>en</strong> ruines, à côté de débris de murailleset de soubassem<strong>en</strong>ts.De l'autre côté du canal, des lignes de pierresindiqu<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, dans ses contours, la résid<strong>en</strong>cede M. de Caradeux. Au dehors, troistours rondes servai<strong>en</strong>t d'étuves, pour acheverla fabrication du « sucre terré », selon le procédé<strong>en</strong> usage à Saint-Domingue. Le « terrage »du sucre, qui donnait la cassonade, était unedes rares industries, autorisées par le systèmecolonial ; <strong>en</strong>core n'était-il point général et beaucoupde sucreries continuai<strong>en</strong>t à v<strong>en</strong>dre leursucre « <strong>en</strong> brut ». A la sortie des chaudières,les sirops, destinés au terrage, étai<strong>en</strong>t versésdans des formes <strong>en</strong> terre ; au bout d'une vingtainede jours, la matière passait dans des sacs,que l'on susp<strong>en</strong>dait aux poutres horizontalesdes étuves. Sous l'influ<strong>en</strong>ce d'une chaleur douceet continue, la conc<strong>en</strong>tration s'opérait et la partieliquide, détachée du sucre, s'égouttait sur lesol. Une de ces étuves demeure intacte, avecson clocheton de tuiles ; les racines d'un figuiermaudit ont embrassé tout le pied de la tour.EN HAÏTI. 3


34 EN HAÏTIAu milieu des vestiges de l'habitation coloniale,s'élève la maison du propriétaire actuel:une construction <strong>en</strong> bois, selon l'usage de laplaine, avec des galeries extérieures et unmobilier sommaire.La population nègre, qui vit sur cette terre,imprégnée de son passé français, est v<strong>en</strong>ue desdivers points de la côte d'Afrique, du Congo auSénégal. La transplantation, qui dura de la findu dix-septième siècle à la Révolution, fut, pourles Africains, une terrible épreuve ; la mortalitéfut épouvantable ; on calculait au huitièmede la cargaison le déchet du voyage <strong>en</strong> mer, etau tiers des individus débarqués la perte destrois premières années. La santé générale restaitprécaire jusqu'à l'acclimatem<strong>en</strong>t définitif. Letemps finit par former le nègre créole ; la racehaïti<strong>en</strong>ne naquit ainsi du mélange des diversespeuplades africaines, affecté par le climat desAntilles, l'introduction du christianisme etson contact avec nous. Les nègres d'Amériquesont fort différ<strong>en</strong>ts les uns des autres ; parmiles nègres créoles, ceux de langue français<strong>en</strong>'ont ri<strong>en</strong> de commun avec les Anglais ou lesEspagnols ; tous sont exempts de la bestialité,attribuée au nègre des États-Unis.Le type lui-même se modifia ; il advint sou-


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 35v<strong>en</strong>t que les traits caractéristiques de l'Africains'atténuèr<strong>en</strong>t. L'évolution du nègre créole, quide nègre gros peau se transformait rapidem<strong>en</strong>t<strong>en</strong> nègre peau fin, n'avait point échappé àl'observation de nos colons. Au contact de la viecoloniale, le nègre perdait sa lourdeur et sarusticité primitives ; son corps dev<strong>en</strong>ait plussouple et plus adroit, mais il dépouillait, <strong>en</strong>même temps, sa simplicité naturelle, son caractèrese faisait égoïste, son esprit plus affinédev<strong>en</strong>ait vain et turbul<strong>en</strong>t. L'indép<strong>en</strong>dance a,dans une certaine mesure, ram<strong>en</strong>é vers sesorigines le nègre haïti<strong>en</strong>. D'ordinaire, l'hommeest doux, tranquille et soumis, mais porté surle tafia, <strong>en</strong>clin à un rire immodéré et sujet àdes paroxysmes, qui peuv<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>traîner à d'extraordinairesviol<strong>en</strong>ces. Il est superstitieux,défiant et chapardeur : si les m<strong>en</strong>us larcinssont fréqu<strong>en</strong>ts dans les campagnes, la sécuritéy est absolue. Avec un peu d'indulg<strong>en</strong>ce peutêtre,les missionnaires se plais<strong>en</strong>t à dire, qu'<strong>en</strong>dehors des villes, il n'y a point de g<strong>en</strong>s méchants.Aussi bi<strong>en</strong>, le peuple marque-t-il auxautorités spirituelles et temporelles le respectle plus touchant. Par contre, l'homme<strong>en</strong> place pèche par excès d'assurance. Saufexceptions qui devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t moins rares, surtout


36 EN HAÏTIdans les rangs élevés, il est vague et tumultueux,viol<strong>en</strong>t et <strong>en</strong>têté par pure ignorance,insol<strong>en</strong>t par incertitude de lui-même et manquede savoir-vivre. La femme est <strong>en</strong>t<strong>en</strong>due et active;jeune, elle est volontiers coquette, ses cheveuxcrépus et rebelles, réunis <strong>en</strong> petitesnattes sur tous les points de la tête, sont dissimuléspar le foulard de son tignon ; quand elleveut, elle s'habille proprem<strong>en</strong>t d'une robe decotonnade ajustée à la taille ; mais elle s'épaissitde bonne heure, et, chez elle, la vieillesse vi<strong>en</strong>tvite, à la différ<strong>en</strong>ce du nègre, qui se conservebeaucoup plus longtemps que le blanc.Les divers idiomes africains ont disparu;quelques mots isolés persist<strong>en</strong>t dans le langagecréole, qui a pris leur place. Celui-ci est né spontaném<strong>en</strong>tdes relations journalières <strong>en</strong>tre maîtreset esclaves ; c'est du français <strong>en</strong> constantedéformation, se bornant à r<strong>en</strong>dre les sons quel'oreille des nègres était capable de percevoir,avec des élisions dans les mots et une grammairesimplifiée par la paresse créole. Les conjugaisonsprincipales sont indiquées par unsimple auxiliaire ; les parties du discoursréduites au sujet, verbe et complém<strong>en</strong>t ; beaucoupde vieilles expressions normandes oubretonnes ont pénétré dans la langue, avec


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 37de nombreux termes de marine, quelques motsanglais et surtout espagnols, <strong>en</strong>finplusieursmots d'origine indi<strong>en</strong>ne, pour désigner lesobjets spéciaux à l'île. Bon nombred'expressionsvieillies ou même disparues de notrelangue se sont conservées dans l'idiome créole.Les créoles le trouv<strong>en</strong>t fort joli : il est <strong>en</strong>fantin,rempli de tournures pittoresques fourniesle milieu ambiant, propice auxde t<strong>en</strong>dresse 1parmanifestations. Il possède une façon de littérature,avec des contes, des proverbes et deschansons pour la danse. Son expansion est considérableaux Antilles : on <strong>en</strong> parle les dialectesdans la plupart des îles du V<strong>en</strong>t, de laGuadeloupe à Trinidad, dans les Guyanes, surla côte ori<strong>en</strong>tale de Cuba et jusqu'<strong>en</strong> Louisiane.Ainsi s'est constituée une culture créole, grefféesur la culture française, issue du régime colonialet embrassant les divers détails de la vie.1. En simplifiant la langue primitive, tous les dialectescréoles l'ont égalem<strong>en</strong>t déformée dans un s<strong>en</strong>s d'afféterie etde t<strong>en</strong>dresse, comme pour mieux l'adapter au caractère <strong>en</strong>fantinde la race qui l'employait. En créole français, la syllabeti, qui veut dire « petit », est constamm<strong>en</strong>t appliquéeaux mots et aux noms propres. Le créole espagnol abonde<strong>en</strong> diminutifs : adios (adieu) devi<strong>en</strong>t adiosito ; ahora (maint<strong>en</strong>ant,de suite), ahoritica ; la plupart des mots possèd<strong>en</strong>tune désin<strong>en</strong>ce diminutive : tardecita, noehecita (le soir, lanuit). Cette déformation de la langue est peut-être moinss<strong>en</strong>sible, sinon dans l'esprit, du moins dans la forme ducréole anglais.\


38 EN HAÏTIPar une chaude journée de juillet, nouseûmes à Caradeux toute une fête créole. Le déjeunercomporta un calalou de crabes et untassau de coq d'Inde. Le tassau est une viandeséchée au soleil; le calalou une soupe de gombos1 , faite avec ces grands crabes gris, gîtantdans les lieux humides, auprès des rivières, desmarécages ou des conduites d'irrigation et, quel'on pr<strong>en</strong>d, le soir, aux lumières. L'adjonctionde petits champignons du pays, nommés guiongnions,donne du goût au bouillon, avec unecouleur noire. En même temps que le calalou,il (est d'usage de manger le tomtom, pâte debananes, de patates et de malangas.Une tonnelle, recouverte de palmes de cocotier,avait été dressée devant la maison d'école.Les danseurs s'y réunir<strong>en</strong>t peu à peu, autourdes professionnels, chargés des divertissem<strong>en</strong>ts1. Les gombos — (le P. Labat, qui vivait à la Martinique,les appelle guingambos) — sont les petites gousses vertes quifigur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t, sous le nom de bamyas, dans tous lesragoûts de la cuisine grecque. Ils sont souv<strong>en</strong>t employésdans la cuisine, aux Antilles et <strong>en</strong> Louisiane. Dans lesgrands restaurants de New-York, on sert le « gombo créole »,qui est un potage de gombos <strong>en</strong> usage à la Nouvelle-Orléans.Un calalou est une soupe épaisse, faite d'herbes ou dem<strong>en</strong>us légumes, parmi lesquels doit figurer le gombo.Le tassau — de l'espagnol tasajo — est une viande, coupée<strong>en</strong> aiguillettes, frottée de jus de citron et séchée ausoleil. (Descourtilz.)


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 39de l'habitation. Seul, le samba préféra s'abst<strong>en</strong>ir :un ouvrier du moulin, M. Paul Mervili<strong>en</strong>, le« tireur de contes », qui narre, aux veillées, lesav<strong>en</strong>tures des héros habituels de la fantaisi<strong>en</strong>ègre, les sieurs Bouqui et Ti Malice ; il neconvi<strong>en</strong>t pas de tirer contes grand jour. Tousles autres étai<strong>en</strong>t là. Un chef de moitié, M. AlcideEugène Ti Michel, à califourchon sur untambour, le frappait des deux mains, avec descontorsions de tout son corps. Le mouvem<strong>en</strong>tde la danse était donné par le catalier, tapantavec des baguettes sur une caisse de bois vide,ou par le singalier, muni d'un morceau defer. Un cultivateur, M. Marcellus, anci<strong>en</strong> maréchalde la section, faisait office de catalier ;M. Ti Jules, de Fleuriau, t<strong>en</strong>ait le tambourin.Ces exécutants accompagnai<strong>en</strong>t la danse Martinique,une danse du v<strong>en</strong>tre très acc<strong>en</strong>tuée.Chaque dame choisit un cavalier qui s'agite audevantd'elle ; quelqu'un veut-il <strong>en</strong>trer dans ladanse, il se prés<strong>en</strong>te, une pièce de monnaie àla main, pour « payer sortie » aux cavaliers ordinaires.Le rythme est si furieux, la passion siforte que tous les v<strong>en</strong>tres se mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mouvem<strong>en</strong>t,même ceux des assistants ; et ri<strong>en</strong> n'estplus pittoresque que de voir les vieillards, lesfemmes <strong>en</strong>ceintes et les petits <strong>en</strong>fants se tré-


40 EN HAÏTImousser, les yeuxmi-clos, <strong>en</strong> dehors de laronde. La direction de la danse apparti<strong>en</strong>t à lareine chanterelle, personne connue, honoréedans la cour, qui jouit à ce titre d'une réelleautorité; elle chante, d'une voix criarde, leschansons traditionnelles ou improvise au hasarddes circonstances. Ma prés<strong>en</strong>ce provoqua cettepoésie d'une inspiration facile :M là vini,Li ban nous l'ag<strong>en</strong>t,Li poté boéssons étrangers.Bon Guié fait li vini tous les joue',Pou li poté la vie ban nous !« M... est v<strong>en</strong>u. Il nous a donné de l'arg<strong>en</strong>t; il nousapporte des boissons étrangères. Que le bon Dieu lefasse v<strong>en</strong>ir tous les jours, pour qu'il nous apporte lavie ! »La contre-danse et une valse l<strong>en</strong>te, la méringue,exig<strong>en</strong>t un violon et un accordéon. Levioloneux, M. Louis Jean, un petit propriétairede l'habitation Goureaud, criait les indicationsde chaque figure : « En avant ! A vos dames ! »Parfois même, il arrêtait sa musique et invectivaitun danseur maladroit : « Oh ! c'est ous quigâté toute, mon chè ! »L'assistancecompr<strong>en</strong>ait toutes les notabilitésdu voisinage : le chef de la deuxième section


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 41de Bellevue, dans la commune de Port-au-Prince,<strong>en</strong> résid<strong>en</strong>ce à Caradeux, le colonel Gélin Néret,vieux militaire, épais et court, <strong>en</strong> grand uniforme,— képi galonné, dolman bleu, pantalongarance, — v<strong>en</strong>u avec ses deux <strong>en</strong>fants, unpetit garçon, M. Télémaque, et une fille bonneà marier, Mlle Deuxgrâces ; le « notable » del'habitation, M. Raymond, avec sa fille, Mlle Assezfilles, — un nom fréqu<strong>en</strong>t dans les famillesécœurées d'un excès de progéniture féminine ;— le papaloi de du Mornay, l'un des plusillustres de la plaine, M. Auréli<strong>en</strong> Bernard ; unemamanloi moins achalandée, Mambô Zizine, quivit dans la localité; M. R<strong>en</strong>élus R<strong>en</strong>é, le maîtred'école. Puis la foule des « de moitié » avec leursfamilles; <strong>en</strong>fin, un groupe d'anci<strong>en</strong>s soldats,les ancêtres de l'habitation, le maréchal Fidèle,le major Mériville, qui, il y a soixante ans passés,fut clairon du présid<strong>en</strong>t Boyer, le capitaineThélisma, le général Gilles fils, récemm<strong>en</strong>tretraité après soixante-seize années de servicesmilitaires. Tous ces vieillards ont conservé devagues souv<strong>en</strong>irs du temps des blancs; lemaréchal Fidèle ti<strong>en</strong>t de sa mère, qu'à l'arrivéedes bateaux négriers, un marché d'esclaves,fréqu<strong>en</strong>té par tous les planteurs de la plaine,se réunissait au morne Visite, sur les terres


42 EN HAÏTIde Caradeux. Ti Michel, le joueur de tambour,est un personnage important de l'habitation, oùil a été choisi comme roi du loiloidi. C'est unusage de la plaine du Cul-de-Sac, autorisé, diton,par Soulouque, qui avant de s'élever à l'empire,fut gérant de l'habitation Mocquet, pour lecompte du propriétaire, le général Delva, plustard grand-chancelier et comte de la PetiteRivière de Dalmarie.A la fin de la semaine sainte, une mascaradeparcourt la plaine. La tradition veut y voir lessoldats du Christ, partant, à travers les terres,à la recherche des juifs. Chaque habitationforme son groupe, revêtu des oripeaux du carnaval;l'organisation, les exercices préparatoiresont comm<strong>en</strong>cé depuis le jour de l'an. Amidi, le jeudi saint, le roi sort, accompagné desa suite, avec drapeaux et tambours. Nuit etjour, les prom<strong>en</strong>ades et les danses se poursuiv<strong>en</strong>tininterrompues; le matin de Pâques, onr<strong>en</strong>tre au logis.Le plus souv<strong>en</strong>t, ces débauches annuellesont de déplorables conséqu<strong>en</strong>ces pour la vertudes jeunes personnes qui y particip<strong>en</strong>t. Endevi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t-elles <strong>en</strong>ceintes, le chef de sections'emploie à pratiquer la recherche de la paternitéet le coupable fait rarem<strong>en</strong>t difficulté de


UN PAFALoi. M. AÏSSBAUBIN. En Haïti.UN CHEF DE SECTION. LE COLONEL (JELIN NÉBETPL. IV


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 43payer 50 c<strong>en</strong>times, par semaine, pour l'éducationdu petit être, né des excès du loiloidi. Il paraîtque la conduite générale des petites négressesest bonne et qu'elles sont fort réservées <strong>en</strong>temps normal; mais les excitations leur sontdangereuses ; les danses peuv<strong>en</strong>t mal finir.Le dommage n'est pas bi<strong>en</strong> grand, s'il devi<strong>en</strong>tle point de départ d'un « placem<strong>en</strong>t » heureux.En matière de mariage, les nègres ont gardéles vieilles habitudes du temps de l'esclavage ;ils se constitu<strong>en</strong>t rarem<strong>en</strong>t une famille uniqueet légitime. La multiplicité des femmes estl'apanage de la richesse et de la puissance ; chefsde section et papalois possèd<strong>en</strong>t des ménagesdans tous les coins de la région, et les jeunesfilles, éblouies de leur grande situation, mett<strong>en</strong>tun réel empressem<strong>en</strong>t à leur procurer des« <strong>en</strong>fants dehors ».En fait, dans l'habitation comme dans lafamille, la vie nègre est dominée par les vieillessuperstitions africaines, c'est-à-dire par le cultedu Vaudoux. Bi<strong>en</strong> qu'on <strong>en</strong> signale <strong>en</strong>core destraces nombreuses aux États-Unis et dans certainesîles des Antilles, il n'y a plus qu'<strong>en</strong> Haïti,où son développem<strong>en</strong>t reste libre. Ailleurs,il se borne à l'exploitation de sortilèges au profitde quelques malins, ce que l'on appelle


44 EN HAÏTIobeahismdans les colonies anglaises 1 . L'évolutionhistorique de Saint-Domingue estseulecause de l'exception haïti<strong>en</strong>ne. Tandis que, dansles autres îles, le fétichisme t<strong>en</strong>dait, sinon à dis-1. Bi<strong>en</strong> que moins généralem<strong>en</strong>t organisées, les superstitionsafricaines persist<strong>en</strong>t dans nos îles, où le papaloipr<strong>en</strong>d le nom de qui<strong>en</strong>boiseur. « Les coutumes du Dahomey,écrivait orgueilleusem<strong>en</strong>t J. A. Froude (The English inthe West Indies), n'ont pas <strong>en</strong>core fait leur apparition dansles Antilles anglaises et elles ne pourront le faire, tantque l'autorité britannique y sera maint<strong>en</strong>ue. » Plusieursécrivains anglais, mieux informés par un long séjouraux Antilles, ont décrit le fétichisme des colonies anglaises,notamm<strong>en</strong>t à la Jamaïque, où le papaloi, sous l<strong>en</strong>om d'obeahman, remplit des fonctions analogues à cellesde ses confrères d'Haïti, dans la célébration des serviceset la confection des « ouangas » (obeah). Il n'y manquemême point le « docteur-feuilles », intitulé bushdoctor.Les tribunaux jamaïcains ont beau condamner les sorciers,le métier marche toujours. M. Hesketh Bell, quivécut à la Gr<strong>en</strong>ade, a consacré tout un livre : Obeah-Witchcraflin the West Indies, à raconter par le m<strong>en</strong>u le fétichismede ses habitants. A Cuba, le papaloi s'appelle unguangatero et opère dans des houmforts, c<strong>en</strong>tros de guangateria,où, sous couleur de danse ou de bi<strong>en</strong>faisance, s'organis<strong>en</strong>tdes sociétés de Vaudoux. J'ai vu, dans la partieori<strong>en</strong>tale, de véritables « péristyles », analogues à ceux quiabond<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Haïti. Les nègres français, v<strong>en</strong>us à la suite desémigrés de Saint-Domingue, ont conservé, leur rite spécial,leurs danses et leurs tambours, dans les deux quartiers deSantiago et de Guantanamo, où ils sont établis : ils ne fréqu<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tpoint les mêmes c<strong>en</strong>tres que les nègres espagnols. Ilsemble que les pratiques Vaudoux soi<strong>en</strong>t plus répandueschez les premiers que chez les seconds ; d'ailleurs, cespratiques aurai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>dance à diminuer et l'autorité cubaineferme doucem<strong>en</strong>t les yeux. Elle se borne à mettre sous clefle Dios Nuevo, c'est-à-dire le sorcier trop achalandé, quisurgit de temps à autre, et dont la r<strong>en</strong>ommée, dépassantles limites de son habitation, lui vaut une cli<strong>en</strong>tèle deproportions inquiétantes.


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 45paraître, du moins à se dissimuler devant l'actiondu christianisme, appuyé par une dominationextérieure, l'indép<strong>en</strong>dance d'Haïti <strong>en</strong>traînaitla marche parallèle, voire la confusion desdeux croyances.Tous les esclaves de la colonie étai<strong>en</strong>t plusou moins chréti<strong>en</strong>s. — L'article 2 du Code Noirprescrivait « de les baptiser et de les instruiredans la religion catholique, apostolique et romaine» ; d'autre part, les religieux de Saint-Dominguefir<strong>en</strong>t de leur mieux pour ne point apparaître<strong>en</strong> <strong>en</strong>nemis de la race noire. Lors de larévolution, ils n'hésitèr<strong>en</strong>t pas à suivre les bandessoulevées contre les planteurs ; le curé du Dondonfut aumônier de Jean François, l'un despremiers chefs nègres insurgés ; un capucincons<strong>en</strong>tit à sacrer Dessalines empereur, aul<strong>en</strong>demain même du massacre des blancs.Néanmoins, les progrès du christianisme fur<strong>en</strong>t<strong>en</strong>través par l'inévitable retour aux originesafricaines, et la religion du Vaudoux parvint àgarder ses prises.L'observation du fétichisme haïti<strong>en</strong> n'est paschose facile. Ceux qui traitèr<strong>en</strong>t ce sujet, l'ontfait avec colère ou sans précision. Les PP. DuTertre et Labat y touch<strong>en</strong>t à peine. Ce dernierse borne à laisser percer une certaine défiance.


46 EN HAÏTI« Les nègres, écrit-il, font sans scrupule ce quefaisai<strong>en</strong>t les Philistins ; ils joign<strong>en</strong>t l'arche avecDagon et conserv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> secret toutes les superstitionsde leur anci<strong>en</strong> culte idolâtre, avec les cérémoniesde la religion chréti<strong>en</strong>ne. » Une « négresseaffidée et intellig<strong>en</strong>te » apprit peu dechoses à Descourtilz. Comme toujours, Moreaude Saint-Méry fut le mieux informé des écrivainscoloniaux. Les créoles cultivés affect<strong>en</strong>t une ignoranceabsolue de choses aussi grossières : <strong>en</strong>eux surviv<strong>en</strong>t inconsciemm<strong>en</strong>t les vieilles prév<strong>en</strong>tions,du temps que le planteur se s<strong>en</strong>taitmal assuré dans son isolem<strong>en</strong>t parmi lesnègres, redoutait leur culte mystérieux, leursassociations secrètes, leurs maléfices et leurspoisons. De son côté, le nègre reste attaché àses coutumes, respectueux des initiations:Z'affé mouton pas z'affé cabrite. — Les affairesdes moutons ne sont pas celles des chèvres, ditle proverbe créole; les choses des noirs neregard<strong>en</strong>t pas les blancs.Quelque grossier que puisse paraître le culteissu du fétichisme haïti<strong>en</strong>, la faute n'<strong>en</strong> est pointau principe même de ses croyances, qui seborn<strong>en</strong>t à rechercher les manifestations de la divinitédans les forces de la nature. C'est un panthéismecomme un autre, logé à la même


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 47<strong>en</strong>seigne que le paganisme antique ou les religionsde l'Inde. Le grand tort des nègres futde se gâter l'exist<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong> exagérant le caractèremalfaisant du monde surnaturel et <strong>en</strong> <strong>en</strong>visageantl'univers comme peuplé d'esprits généralem<strong>en</strong>tmauvais, parmi lesquels les lois et lesancêtres jou<strong>en</strong>t volontiers un rôle agressif àl'égard de l'humanité souffrante. Ils <strong>en</strong> conclur<strong>en</strong>tqu'il fallait conjurer ces néfastes influ<strong>en</strong>cespar des sortilèges, des offrandes, dessacrifices ; aux papalois ou sorciers, g<strong>en</strong>sinstruits dans les mystères, revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la chargeet le bénéfice de ces conjurations.Le christianisme une fois <strong>en</strong>tré <strong>en</strong> contactnécessaire avec les religions africaines, lesnègres s'empressèr<strong>en</strong>t d'introduire une diviniténouvelle dans leur collection de dieux et d'admettre,au-dessus et <strong>en</strong> dehors des esprits traditionnels,le dieu suprême révélé par notredogme. Peu à peu se constitua un mélange intimede christianisme et de fétichisme, où chacunedes deux croyances réagit l'une sur l'autre,d'une façon assez analogue à celle dont l'anci<strong>en</strong>paganisme slave continue de pénétrer le christianismeorthodoxe, dans certaines parties del'Europe Ori<strong>en</strong>tale.Selon les tribus, les rites, les traditions diffé-


48 EN HAÏTIrai<strong>en</strong>t. De même que les nègres de Saint-Domingue affluèr<strong>en</strong>t de toute la côte d'Afrique,le Vaudoux haïti<strong>en</strong> résulte de la confusion detoutes les croyances africaines. Il a cep<strong>en</strong>dantdégagé deux rites principaux, comportant chacunun culte distinct, le rite de Guinée et le « riteCongo ». Bi<strong>en</strong> que les noirs de la colonie soi<strong>en</strong>tv<strong>en</strong>us <strong>en</strong> plus grand nombre du Congo que dela Guinée, la cli<strong>en</strong>tèle se partage à peu prèségalem<strong>en</strong>t, selon les origines ou les conv<strong>en</strong>ancesdes familles; mais cep<strong>en</strong>dant les superstitionsde Guinée exerc<strong>en</strong>t une influ<strong>en</strong>ce prépondérantesur les doctrines actuelles du Vaudoux.Dans chacun des deux rites, les g<strong>en</strong>sexperts relèv<strong>en</strong>t une série de subdivisions,correspondant aux diverses tribus du nord etdu midi de la côte d'Afrique. Arada, Nago, Iboapparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au rite de Guinée ; il semble quela côte nord ait eu le fétichisme plus doux etadmit volontiers les esprits du bi<strong>en</strong>. L'Aradaserait le culte le plus simple et le plus pur detous, ne connaissant point de maléfices. Lesesprits vénérés à la côte sud sont plus fréquemm<strong>en</strong>tméchants : ces derniers abond<strong>en</strong>t dansles subdivisions du rite Congo, le Congo franc,le Pétro et le Caplaou.Les scènes de cannibalisme, qui se produi-


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 49s<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core parfois (un fait de cette nature aété jugé, <strong>en</strong> 1904, par le tribunal criminel dePort-au-Prince), serai<strong>en</strong>t l'œuvre des adhér<strong>en</strong>ts,heureusem<strong>en</strong>t peu nombreux, à certaines fractionsdu Pétro et du Caplaou ; quelques-unespourrai<strong>en</strong>t être imputables au Mondongue, dontle caractère est un peu spécial, bi<strong>en</strong> qu'appart<strong>en</strong>antau rite Congo.L'apport de tous ces rites a créé une véritablemythologie dans le Vaudoux haïti<strong>en</strong>. Leslois, les saints, les mystères peuplant la nature,ont reçu le nom d'anci<strong>en</strong>s rois d'Afrique ou bi<strong>en</strong>des localités, où ils ont été divinisés. On yajoute le qualificatif de maître, papa ou monsieur.Legba, Dambala, Aguay, Guédé, v<strong>en</strong>usdu rite de Guinée, sont l'objet d'un culte à peuprès général ; Maître Ogoun, Loco, Saugo,Papa Badère... et il y <strong>en</strong> a ainsi une infinitéd'autres. Le Roi d'Engole (Angola) et le RoiLouange (Loango) apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au rite Congo.Chacune de ces divinités possède un caractèreparticulier ou revêt certains attributs qui luisont propres. Legba est l'esprit supérieur desAradas ; Dambala préside aux sources ; Aguay,aux eaux de la mer ; Guédé est le dieu de lamort ; Loco, celui des forêts ; Saugo, de la foudre; Badère, du v<strong>en</strong>t. Dans leur incarnation, lesEN HAÏTI. 4


50 EN HAÏTImystères du Pétro franc représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t la sévérité,Legba personnifie la sagesse ; DambalaOueddo, la force et la bonté. Lui et sa femme,Aïda Oueddo, sont considérés comme les ancêtresdu g<strong>en</strong>re humain. Aguay est le navigateur;Legba, le législateur du Panthéon haïti<strong>en</strong>.Ceslois habit<strong>en</strong>t de préfér<strong>en</strong>ce les vieux arbres etles « têtes de l'eau 1». Ils ont une représ<strong>en</strong>tationtangible ; Aguay a pour symbole un petit bateau ;Dambala, la couleuvre ; la plupart se sontconfondusavec les saints du christianisme, et lesimages de piété s'adapt<strong>en</strong>t aux mystères Vaudoux.Ogoun est dev<strong>en</strong>u saint Jean-Baptiste ;Loco, saint Jacques le Majeur. Le saint et le loicélèbr<strong>en</strong>t leur fête le même jour. Il est <strong>en</strong>t<strong>en</strong>duque l'Adoration des Mages s'appliqueaux RoisCongo. Chaque divinité a sa chanson spéciale,qui, dans les cérémonies de son culte, se chante,<strong>en</strong> « faisant les ronds », sur un air uniforme. Lanaïveté <strong>en</strong>est extrême ; voici le début de lachanson de Maître Legba :Legba nan houmfó moin; (répété trois fois)Ous-minmes qui mètez chapeaux,Nan Guinin, parez soleil pou moin !« Legba est dans mon houmfort. Vous autres qui portezchapeau, <strong>en</strong> Guinée, préservez-moi du soleil 2 ! »1. Les créoles appell<strong>en</strong>t les sources les « têtes de l'eau».2. Ce couplet créole a besoin d'une explication. « Legba


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 51Tous ces lois veul<strong>en</strong>t être « servis » ; et leservice <strong>en</strong> apparti<strong>en</strong>t aux papalois. Leur ministèrese limite-t-il aux bons lois, c'est-à-dire aurite de Guinée et à quelques élém<strong>en</strong>ts du Congo,on dit « qu'ils serv<strong>en</strong>t d'une seule main » ; « servirdes deux mains » <strong>en</strong>traîne égalem<strong>en</strong>t leculte des mauvais lois, divinitésavides de sang et de v<strong>en</strong>geance. Lesimpitoyables,houmforts,sanctuaires de ces esprits multiples, abond<strong>en</strong>tdans les plaines, où les habitants, plus riches,ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à <strong>en</strong>tourer leur fétichisme d'un appareilconsidérable, inconnu dans les mornes.Le papaloi est un homme instruit dansrites, par l'hérédité ou par l'étude, quiless'estélevé peu à peu dans la hiérarchie Vaudoux, aparfois fréqu<strong>en</strong>té les houmforts r<strong>en</strong>ommés desplaines de Léogane et de l'Arcahaye, reçuinitiations les plus secrètesleset subi l'épreuved'une ordination. Quand les cérémoniesdernièressont accomplies, le nouveaupapaloi seprés<strong>en</strong>te aux fidèles et, possédé par l'esprit, il<strong>en</strong>tonne la chanson propre au loi, qui, sa vieest dans mon houmfort », veut dire : ce dieu me possède, est<strong>en</strong> moi. Me voici <strong>en</strong> Guinée ! « Vous autres qui portez chapeau,préservez-moi du soleil ! » c'est-à-dire : garez-moides coups de soleil, déf<strong>en</strong>dez-moi contre le soleil.Nan Guinin, dans un s<strong>en</strong>s ext<strong>en</strong>sif, signifie : au pays d'Afrique.Le chanteur ici sous-<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d : « où je suis transportéet où le soleil darde. »


52 EN HAÏTIdurant, sera le maître-caye, le maître-tête, et auquelsera consacré le houmfort, où il va <strong>en</strong>trer.La base du culte Vaudoux se trouve dans lafamille. Chaque chef de famille, revêtu du sacerdocefamilial, honore l'esprit des ancêtreset les lois protecteurs des si<strong>en</strong>s. Une pièce de sacase conti<strong>en</strong>t un pé, c'est-à-dire un exhaussem<strong>en</strong>t<strong>en</strong> maçonnerie, qui sert d'autel à un culterestreint. Une fois l'an, à la fin de l'été, le père« remplit le devoir », <strong>en</strong> célébrant la fête de lafamille par un manger-ignames. C'est le repas<strong>en</strong> l'honneur des ancêtres, auxquels on offreainsi les prémisses des produits du sol ; il comportedes ignames, des haricots rouges, dupoisson séché à l'huile. Dans cette circonstancesol<strong>en</strong>nelle, les <strong>en</strong>fants accour<strong>en</strong>t de tous lespoints du pays se grouper autour de leur auteur.L'office du papaloi se borne au service desancêtres et des lois représ<strong>en</strong>tés dans sonhoumfort. A ces offices, le houngan joint l'exercicede la médecine, la confection de sortilèges,d'amulettes et de ouangas. Ces maléfices sav<strong>en</strong>taider les v<strong>en</strong>geances, retrouver les objetsperdus ou volés, favoriser les amours, écarterles influ<strong>en</strong>ces mauvaises et assurer le succès.


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 53Le houngan se prête à dévoiler l'av<strong>en</strong>ir. Auxconsci<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> peine, il prodigue les conseils,impose les pénit<strong>en</strong>ces ; il ordonne un lointainpèlerinage, le don du tchiampan, c'est-à-direde provisions portées aux prisons de la villepour la nourriture des prisonniers, une messeà la chapelle prochaine. Le papaloi serait leprêtre ; le houngan, le sorcier du fétichismehaïti<strong>en</strong>. Dépouillée de son appareil Vaudoux, lamamanloi est le plus souv<strong>en</strong>t une simple sagefemme,répondant aux besoins des femmesdu voisinage. Dès le début, l'idée chréti<strong>en</strong>neavait profondém<strong>en</strong>t pénétré le Vaudoux. Pourplus de sûreté, les esclaves se prés<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t aubaptême à diverses reprises et faisai<strong>en</strong>t diredes messes à tous propos. « Ils font dire desmesses, écrivait Hilliard d'Auberteuil, pourretrouver ce qu'ils ont perdu ; il y a tel capucinqui reçoit jusqu'à 20.000 livres par an pour diredes messes. » L'habitude s'<strong>en</strong> est maint<strong>en</strong>ue :elle exige, à côté du papaloi, la prés<strong>en</strong>ce d'unpère-savane, pour procéder aux prières catholiques,intercalées dans tous les services.S'agit-il de célébrer de grands services <strong>en</strong>l'honneur des ancêtres, de concilier les lois dela famille ou ceux de l'habitation, l'interv<strong>en</strong>tion du papaloi devi<strong>en</strong>t nécessaire. Les papalois


54 EN HAÏTIsont coûteux ; ils exig<strong>en</strong>t plusieurs c<strong>en</strong>tainesde gourdes, à moins que l'on ne soit affilié àleur société propre. Chaque habitation de laplaine du Cul-de-Sac conti<strong>en</strong>t un ou plusieurshoumforts ; la population « pratique » presquetout <strong>en</strong>tière et gravite autour de ces lieuxd'élection. Si le rite <strong>en</strong> est unique, les habitantsde l'autre rite se rattach<strong>en</strong>t au houmfort leplus rapproché, relevant de leur dénomination.Autour du houmfort, le papaloi a groupé lessi<strong>en</strong>s <strong>en</strong> une société hiérarchisée selon lesdegrés de l'initiation ; cette société possèdeses drapeaux qui lui serv<strong>en</strong>t d'insignes. Lepapaloi est assisté de servants — hounguénicons— qui devi<strong>en</strong>dront papalois à leur tour ;les adhér<strong>en</strong>ts, hommes et femmes, se partag<strong>en</strong>t<strong>en</strong> hounsis-canzos et hounsis-bossales 1 : cesderniers sont les aspirants ; les premiers ontseuls une instruction suffisante pour savoirservir et desservir le zain ; ils port<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tatouagela marque distinctive de la société. C'estavec leur concours que le papaloi procède aux1. Du temps de la colonie, on appelait bossales les nègres<strong>en</strong>core sauvages, qui arrivai<strong>en</strong>t d'Afrique et n'étai<strong>en</strong>t, parconséqu<strong>en</strong>t, ni acclimatés, ni dressés. S'ils v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à mourirau mom<strong>en</strong>t de leur débarquem<strong>en</strong>t, on les <strong>en</strong>terraitdans un cimetière spécial, qui a maint<strong>en</strong>u le nom de laCroix-des-Bossales à l'un des quartiers de Port-au-Prince.


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 55services : services de famille, quand il s'agit,après la mort d'un hounsi-canzo,de brûler le zain,pour retirer le mystère du cadavre, ou de concilierl'influ<strong>en</strong>ce des jumeaux par l'organisationd'un manger-marassas ; services généraux <strong>en</strong>l'honneur des lois du houmfort, notamm<strong>en</strong>t lorsde la « fête de la maison ». Certaines époquessont affectées à des exercices déterminés ; leculte des aïeux se poursuit de la Toussaint à laNoël ; de Noël aux Rois, au mom<strong>en</strong>t des grandesfêtes chréti<strong>en</strong>nes, à Pâques, c'est la dévotionaux forces de la nature ; la P<strong>en</strong>tecôte fournit lemom<strong>en</strong>t propice aux initiations. Chaque servicecomporte un <strong>en</strong>semble de « cérémonies », signescabalistiques que l'officiant trace sur le sol avecde la c<strong>en</strong>dre ou du maïs moulu, une processionaux « reposoirs » des divers lois, des sacrificesexpiatoires, surtout et toujours des dansesVaudoux. Au son de trois tambours de taillesdiffér<strong>en</strong>tes, battus selon la cad<strong>en</strong>ce et accompagnésdes chansons spéciales au loi intéressé,la foule s'agite p<strong>en</strong>dant des journées et desnuits <strong>en</strong>tières. Quelquefois, la société s'<strong>en</strong> vapar la campagne : il n'est pas rare de r<strong>en</strong>contrerun papaloi, suivi de son groupe, accomplissantses rites, sur le grand chemin, près de l'eauou au pied d'un arbre. Au bas des mornes du


56 EN HAÏTIversant nord de la plaine du Cul-de-Sac, une« source servie », la source Balan, que lessuperstitions populaires veul<strong>en</strong>t habitée par lesmystères, attire les pèlerinages de tout lepays.Aux abords de la capitale, la Petite Plaine estremplie de houmforts réputés. Papalois ethoungans y compt<strong>en</strong>t moins sur la cli<strong>en</strong>tèlelocale que sur les g<strong>en</strong>s de Port-au-Prince, sceptiquesde leur nature et pratiquant sans régularité,mais ram<strong>en</strong>és de temps à autre par unretour d'atavisme africain. Je n'ai pas eu labonne fortune de faire, au bourg de la Croixdes-Missions,la connaissance de M. Duroli<strong>en</strong>,qui fut le papaloi de confiance du présid<strong>en</strong>tHippolyte ; j'ai toutefois visité deux de ses plusillustres confrères, M. Aïsse, à l'Eau-de-Cazeaux,et M. Auréli<strong>en</strong> Bernard, à du Mornay-Laboule.M. Aïsse vit au bord de la grand'route, quiva vers la Croix-des-Bouquets; il occupe, avecles si<strong>en</strong>s, un groupe de cases, dans un <strong>en</strong>closmarqué par un alignem<strong>en</strong>t de troncs d'arbres;une tonnelle, abritant un étal de rev<strong>en</strong>deuse,est installée à sa porte. M. Aïsse, de son vrainom Romulus Jacques, dit Aïsse, est un hommedéjà âgé, corpul<strong>en</strong>t, les cheveux et la mous-


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 57tache coupés <strong>en</strong> brosse; il prét<strong>en</strong>d appart<strong>en</strong>ir àl'une des meilleures souches de la Guinée, et,dans sa famille, on est papaloi de père <strong>en</strong> fils.Relevant du rite Arada, il passe pour savantdans son métier, strict dans sa doctrine et necons<strong>en</strong>tirait à servir que d'une main.Son houmfort est précédé d'un péristyle, quisert aux services et aux danses Vaudoux; c'estune vaste pièce, avec un sol <strong>en</strong> terre battue,recouverte d'un toit de paille ; sur trois côtés,les murs s'élèv<strong>en</strong>t à hauteur d'appui; sur lequatrième, figure l'inscription :SOCIÉTÉ LA FLEUR DE GUINÉERoid'Engoleindiquant le nom et le patron de la société, àlaquelle préside le maître du lieu. Le houmfortest une case ordinaire, un peu plus grandeque les autres. Le sanctuaire comporte un péprincipal, occupant, sur un des côtés, toute lalongueur de la chambre, et un autre, plus petit,dans un des coins. Ces pés sont de larges autels<strong>en</strong> maçonnerie, dont le soubassem<strong>en</strong>t estorné de cœurs et d'étoiles <strong>en</strong> relief; au-dessus,des draperies p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t du plafond. Le pé latéralest divisé <strong>en</strong> trois compartim<strong>en</strong>ts. Il y a donc,


58 EN HAÏTI<strong>en</strong> tout, quatre sections, consacrées à chacundes lois servis dans le houmfort : Aguay Aoyo,Dambala, Ogoun Badagry et Loco, roi Nago.Maître Aguay est représ<strong>en</strong>té par le petit bateaucoutumier; un médaillon est consacré à MonsieurDambala, t<strong>en</strong>ant deux couleuvres <strong>en</strong> main; surun tableau figure à cheval Ogoun Badagry, àcôté d'une femme portant un drapeau ; PapaLoco a son image <strong>en</strong> grand uniforme ; il fume sapipe et agite un év<strong>en</strong>tail. Les murs sont tapissésd'images de piété. Le fond de l'autel estoccupé par de nombreuses carafes <strong>en</strong> terrecuite, nommées canaris, qui conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leszains, c'est-à-dire les mystères recueillis dansle houmfort; devant, se trouv<strong>en</strong>t des bouteillesde vin, de liqueurs, de vermouth, qui leur sontprés<strong>en</strong>tées <strong>en</strong> hommage; puis des plats, destasses affectées aux mangers-marassas, des crucifix,des clochettes, des assons, — calebassesemmanchées d'une tige, auxquelles sont fixésdes osselets de couleuvre et que l'officiant agite,pour diriger la danse ou appeler les lois ; desassiettes remplies de pierres taillées, v<strong>en</strong>uesdes Indi<strong>en</strong>s, « pierres-tonnerre », symboles deDambala, que Saugo, le dieu de la foudre,lance du ciel dans l'<strong>en</strong>clos des papalois favorisés.A côté de ces pierres miraculeuses, se


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 59trouv<strong>en</strong>t plusieurs monnaies de cuivre oud'arg<strong>en</strong>t. Les lois, servis par M. Aïsse, possèd<strong>en</strong>tainsi de vieilles pièces de Joseph Bonaparte,roi d'Espagne, au millésime de 1811 ; deFrédéric VII de Danemark, 1859; de Charles IVd'Espagne, 1783, et du présid<strong>en</strong>t Boyer, ans27 et 30 de l'Indép<strong>en</strong>dance. A terre, est placéeune lampe à huile de coco; dans un coin,les drapeaux du houmfort et le sabre de « laplace », de l'homme qui, dans les services, faitfonction de maître des cérémonies.Dans la cour, le pied de quatre arbres privilégiés,— un cirouellier, deux gr<strong>en</strong>adiers, unmédecinier béni, — est <strong>en</strong>touré de ronds <strong>en</strong>maçonnerie. Ces « reposoirs » sont habités parles lois Legba, Ogoun, Loco et Saugo. M. Aïsseappelle ses deux petites-filles, Mlles Charité etLamercie, qui s'<strong>en</strong> vont pr<strong>en</strong>dre sur le pé unebouteille de g<strong>en</strong>ièvre consacrée aux zains, ladébouch<strong>en</strong>t et serv<strong>en</strong>t g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t à boire auxhôtes de leur grand-père.L'eau de Cazeaux remonte à l'ombre desfiguiers francs ; auprès du ruisseau, réside unemamanloi réputée, Mambô Zéra. Mlle ZéraVieux est une jeune femme, exerçant à la fois<strong>en</strong> plaine et <strong>en</strong> ville ; il paraît que sa maison dePort-au-Prince est volontiers fréqu<strong>en</strong>tée par


60 EN HAÏTIlespolitici<strong>en</strong>s locaux <strong>en</strong> quête de conseils etde r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts sur leur av<strong>en</strong>ir. Le houmfort,précédé d'un péristyle, est masqué parune rangée de cocotiers : une grande croix debois garde l'<strong>en</strong>trée du domaine. Quand nous ypassâmes, <strong>en</strong> quittant M. Aïsse, Mambô Zéran'était point chez elle; son « mari », le colonelBois, exprima le regret de son abs<strong>en</strong>ce et s'informadiscrètem<strong>en</strong>t si nous avions besoin desservices de la dame. Ce militaire est fils deM. Cadeau Bois, qui tint un houmfort réputésur la route de Pétionville.A la saline Cazeaux, le bétail vi<strong>en</strong>tpâturerune herbe courte auprès de mares saumâtres;puis se suiv<strong>en</strong>t quelques jardins de petits propriétaires,qui <strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t au marché de Port-au-Prince des bananes, des patates, du maïs, desgombos et de l'herbe de Guinée l . Les fourrésde bayaondes repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t;fossés d'irrigationles restes d'anci<strong>en</strong>set les portes de bassins dedistribution persist<strong>en</strong>t, à moitié <strong>en</strong>fouis dansle sol. A du Mornay-Laboule, <strong>en</strong>touré d'unehaie de cactus candélabres, se trouve lehoumfort de M. Auréli<strong>en</strong>Bernard, un nègre1. L'herbe de Guinée est une herbe large et forte, d'unvert un peu jaunâtre, qui pousse <strong>en</strong> herbages épais danstoutes les régions d'Haïti et est employée, fraîche, à lanourriture du bétail.


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 61mince, dans la force de l'âge, aux cheveux courts,une large barbiche autour du m<strong>en</strong>ton. Plus éclectiqueque M. Aïsse, M. Bernard fait, <strong>en</strong> mêmetemps, le culte des deux rites ; chacun de sesservices est double; il travaille d'abord dans lerite de Guinée, qui passe pour le plus anci<strong>en</strong>,puis dans le rite Congo. Ses par<strong>en</strong>ts exerçai<strong>en</strong>tdéjà le même métier; le père opérait <strong>en</strong> ville,la mère à du Mornay. On dit qu'il servirait desdeux mains et serait plus houngan que papaloi.Le houmfort est divisé <strong>en</strong> deux chambres, l'uneconsacrée à Dambala, avec les canaris, les tasses,les pierres-tonnerre, les bouteilles et lesimages de saints, <strong>en</strong> usage dans ces sortes delieux; l'autre réservée au rite Congo, moinsmeublée et décorée de quelques chromolithographiesreprés<strong>en</strong>tant l'Adoration des Mages.M. Bernard sort d'une petite malle le symbolede ce rite, le paquet Congo, c'est-à-dire lechapeau royal, avec des rubans et des plumes.Aux poutres du péristyle p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les bateauxde Maître Aguay et les tambours du houmfort,trois tambours par rite; ceux de Guinée, recouvertsde peaux de bœuf, ceux du Congo depeaux de chèvre. Les reposoirs de la cour,établis autour de flamboyants et de cirouelliers,recèl<strong>en</strong>t Dambala, Ogoun et Legba.


62 EN HAÏTIAprès Fleuriau et Caradeux, le chemin, suivantle pied du morne, traverse le cimetière deChâteaublond; les tombes, des cubes <strong>en</strong> maçonneriepercés de réceptacles pour les« mangers» et les bougies, sont placées loin des caseshabitées, parmi les bayaondes ; une floraisonlilas et violette de « sans-cesse » est seule à animercet asile de désolation. Une tombe portel'épitaphe de « Marie Châteaublond,décédée<strong>en</strong> 1844, à l'âge de quatre-vingts ans ». La longuevie de la défunte a embrassé les deux régimes;elle est née, au temps del'esclavage,de la fantaisie du maître de l'habitation, dontelle a porté le nom; ses c<strong>en</strong>dres repos<strong>en</strong>t dansla terre d'Haïti libre.Frères est un domaine de 185 carreaux,planté <strong>en</strong> cannes et herbes de Guinée ; il secontinue, <strong>en</strong> remontant le morne, par unecaféière et quelques parcelles de « bois debout». Avant de se perdre dans les irrigations,l'eau de Frères est recueillie dans un grandbassin, bâti par les blancs; le jour des Rois, lescultivateurs y célèbr<strong>en</strong>t un barbacotu<strong>en</strong>t un1. Le mot barbaco est d'origine indi<strong>en</strong>ne et a égalem<strong>en</strong>tpénétré dans le créole anglais. Barbecue veut dire : divertissem<strong>en</strong>t,repas <strong>en</strong> plein air. Moreau de Saint-Méry <strong>en</strong> préciseainsi l'étymologie: « On appelle barbasco, dans la partiede l'Ouest, le divertissem<strong>en</strong>t que l'on va pr<strong>en</strong>dre à la cam-


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 63bœuf et dans<strong>en</strong>t la nuit <strong>en</strong>tière. La cour estimportante : au premier son de la cloche, fixéesur un « bois d'orme », au milieu du parc àbestiaux, quatre c<strong>en</strong>ts hommes pourrai<strong>en</strong>t répondreà la convocation, qui se fait, <strong>en</strong> cas d'alarme,lorsque le feu a pris aux cannes.C'est la résid<strong>en</strong>ce du chef de la section deBellevue-Chardonnière, dans la commune dePétionville; l'école rurale réunit une soixantainede garçons et il existe une petite école de fillesavec une maîtresse de couture. Le généralBoisrond-Canal, qui fut Présid<strong>en</strong>t de la Républiquede 1876 à 1879, vécut sur l'habitation;il s'intéressait à sa terre, veillait au bi<strong>en</strong>-êtredes habitants. Frères lui doit sa prospérité etson développem<strong>en</strong>t actuels.Parmi les g<strong>en</strong>s de Frères, la r<strong>en</strong>ommée dupapaloi, M. Pauléma Saint-Paul, fort estimécep<strong>en</strong>dant dans sa profession, est éclipsée parcelle du docteur Brice Saint-Germain, un bocor,un « docteur-feuilles », qui y a élu domicile.En dehors des houngans, qui exerc<strong>en</strong>t unepagne, dans un <strong>en</strong>droit où le plaisir du bain peut être réunià d'autres amusem<strong>en</strong>ts... Ce nom, dans lequel on ne fait passonner l's, est v<strong>en</strong>u des Indi<strong>en</strong>s. C'était celui d'une plante,qu'ils mettai<strong>en</strong>t à macérer dans l'eau d'une portion de rivièreou d'un courant, pour y pr<strong>en</strong>dre sans peine le poisson, quecette espèce de narcotique faisait surnager. »


64 EN HAÏTImédecine mélangée de pratiques de sorcellerie,il existe, dans les campagnes haïti<strong>en</strong>nes,privées de médecins, certains docteurs, qui,par tradition ou expéri<strong>en</strong>ce, ont appris la sci<strong>en</strong>cedes simples et sont mieux à même de guérir,avec les feuilles et les racines du pays, que lesvieilles g<strong>en</strong>s, tontons et tantines, du voisinage.Toussaint Louverture paraît avoir été un docteur-feuilles; il comm<strong>en</strong>ça sa carrière révolutionnaire,<strong>en</strong> servant, comme médecin, dans lespremières bandes insurgées sous Jean-François.Les familles, se défiant de leurs propres lumières,ont recours à eux dans les cas graves.Les créoles ont dans leurs remèdes empiriquesune extrême confiance. Beaucoup d'habitants desvilles sont <strong>en</strong>core t<strong>en</strong>tés de rejeter l'ordonnancedu médecin, qui a fait ses études <strong>en</strong> Europe, poursuivre les avis des docteurs-feuilles, qui, defait, ont parfois réussi les cures les plus difficiles.Le docteur Brice n'a ri<strong>en</strong> à voir avec le Vaudoux;c'est un bon chréti<strong>en</strong>, qui, chaque dimanche,met sa redingote et son chapeau hautde forme, <strong>en</strong>fourche son petit cheval et monte<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre la messe à l'église de Pétionville. Sadoctrine est simple et confiante : là où la Provid<strong>en</strong>cea placé le mal, elle n'a pas manqué de


HABITATION FRÈRES. LE MOULINHABITATION FRÈRES. L'ÉCOLEAUBIN. En Haïti. PL. V


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 65créer aussi le remède. L'homme est faible et découragé; mais il fait de son mieux pour aider sonsemblable, <strong>en</strong> utilisant les forces de la nature,dont il a reçu le secret; il remet aux « trois personnesdivines » la destinée de ses malades.C'est plaisir de courir la campagne avec untel guide. Il connaît chaque plante, la désignepar son nom créole et expose ses propriétésspéciales. Il distingue le cachim<strong>en</strong>t-canelleet le cachim<strong>en</strong>t-cœur-bœuf, le fustic ou boisjaune, le bois-lait, les feuilles d'immortel, lesdiverses espèces de médecinier, le médecinierbéni et le médecinier Barrachin. « Zhèbe cila-làconséqu<strong>en</strong>t. Cette plante est très conséqu<strong>en</strong>te »,affirme-t-il. Ignore-t-il l'usage de telle autre,il le reconnaît volontiers. « Moin pas connin çaliyé.. — Je ne connais pas ce que c'est. » Lesmornes sont, paraît-il, plus riches que le platpays <strong>en</strong> feuilles et racines médicinales. Ils produis<strong>en</strong>tla feuille-pati<strong>en</strong>ce, la racine- séguine, laliane salsepareille, les aiguilles bois-pin ; lagomme-gagac, le bois-cochon l . Les racines1. Les vieux livres de médecine du temps de la colonie ledésign<strong>en</strong>t aussi sous le nom de « sucrier des montagnes ».« On l'appelle bois-cochon, écrit un colon, André Minguet,parce que le cochon, étant blessé, va mordre cet arbre, <strong>en</strong>fait sortir la gomme, y frotte sa plaie et la guérit. »Ce chirurgi<strong>en</strong> de flibustiers est resté populaire dans notreEN HAÏTI. 5


66 EN HAÏTIz'accacias-francs pouss<strong>en</strong>t dans les galets desrivières. Ce sont toutes « bonnes plantes »,servant à dépurer la « masse du sang ».La recherche des racines est <strong>en</strong>tourée de précautionssévères; on choisit, comme plus efficaces,celles qui se dirig<strong>en</strong>t vers le soleillevant et l'on a bi<strong>en</strong> soin de laisser <strong>en</strong> paiem<strong>en</strong>tun cob (monnaie de cuivre — de l'espagnolcobre) au pied de l'arbre ; l'opération estaccompagnée de prières adressées à tous « lesmembres du ciel » pour l'heureux succès de lamédication.Pour les fièvres, si fréqu<strong>en</strong>tes dans les régionstropicales, il y a « médicam<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> pile ».Le bocor distingue les fièvres quarte, cérébraleet bilieuse. Cette dernière, la mauvaisefièvre du pays, se guérit par les feuilles de laliane sorossi, que l'on fait infuser, au serein,avec du jus d'oranges amères. Les maux detête se calm<strong>en</strong>t par des applications de feuillesde sablier et de grandes feuilles à cœur, quipouss<strong>en</strong>t auprès des sources. La fleur-d<strong>en</strong>tanci<strong>en</strong>ne colonie. Il fut, à la lin du dix-septième siècle, lepremier colon du Dondon, et une caverne voisine du bourgs'appelle <strong>en</strong>core la « Voûte-à-Minguet ». Il publia un « Livredes simples de l'Amérique, servant au corps humain, découvertspar André Minguet, tant <strong>en</strong> médecine qu'ongu<strong>en</strong>ts. —A la côte de Saint-Domingue, l'an de Grâce 1713. »


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 67apaise les maux de d<strong>en</strong>ts ; le bois lexis fait disparaîtreles « grandes chaleurs ». La naturefournit aux blessures des médicam<strong>en</strong>ts nombreux.« C'est quat' rémèdes blessé gangnin ! »dit le docteur Brice. L'écorce. bois-soie arrête lesang; un lavage de feuilles-corail active la suppuration; un cataplasme de feuilles de sureauet de médecinier-barrachin fait cesser l'inflammation,et le manioc amer achève de fermer lesplaies. Le bocor veut ignorer les poisons multiplesfournis par la flore haïti<strong>en</strong>ne ; ce sont làchoses de houngans et non point de pratici<strong>en</strong>ssérieux ; il m<strong>en</strong>tionne avec horreur le bois-z'<strong>en</strong>nivreque l'on peut recueillir dans les mornes,et dont la distillation tue son homme sans laisserde traces.Le docteur Brice, un vieillard sec et mincede quatre-vingt-quatorze ans, est né dans leMirebalais. Sa grand'mère, Mlle Anne, « servaitavec » un colon français, Monplaisir-Dumas,établi sur l'habitation Dumas. Cet homme avaitété attiré par l'étude des plantes tropicales etde leurs propriétés thérapeutiques ; il jouissait1. Descourtilz écrit bois <strong>en</strong>ivré, le P. Labat bois à <strong>en</strong>nyvrer.Les g<strong>en</strong>s de nos îles <strong>en</strong> pilai<strong>en</strong>t l'écorce et les feuilles et lesjetai<strong>en</strong>t dans la rivière, mêlées à de la chaux vive, de façonà « <strong>en</strong>nyvrer » les poissons qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t aussitôt à la surfacede l'eau.


68 EN HAÏTIpar tout le pays d'une grande réputation. Brice<strong>en</strong> a reçu la tradition par sa grand'mère. Lesconnaissances médicales n'étai<strong>en</strong>t point raresparmi les colons de Saint-Domingue ; toute laplaine se sert <strong>en</strong>core de la médecine Bauduit, unpurgatif énergique, imaginé par un des anci<strong>en</strong>spropriétaires de la Petite Plaine, sur l'habitationqui a gardé son nom. « Cà, c'est mèd'cinesans manman (sans pareille)! », dit avec admirationle docteur.En 4868, les Haïti<strong>en</strong>s s'agitai<strong>en</strong>t un peu partoutcontre le Présid<strong>en</strong>t Salnave. Dans le Nord,des rebelles, nommés Cacos, avai<strong>en</strong>t pris lesarmes à Vallière et au Mont-Organisé ; le généralNissage Saget s'était insurgé à Saint-Marc ;l'émeute éclatait à Port-au-Prince ; les piquetsse reformai<strong>en</strong>t au Sud. Le général Boisrond-Ganal se mit <strong>en</strong> tête de soulever Pétionville etla Croix-des-Bouquets. Tant d'efforts aboutir<strong>en</strong>tà la chute de Salnave, qui fut pris et fusillé<strong>en</strong> janvier 1870. Or, durant cette époque detroubles, les bandes, commandées par Boisrond-Canal, traversèr<strong>en</strong>t le Mirebalais ; le généralrecueillit Brice, <strong>en</strong> fit le médecin de son arméeet l'établit, à la paix, sur son domaine de Frères.Le bocor a été marié deux fois ; sa premièrefemme s'appelait Couloute, dite Charle-


LA PLAINE DU CUL-DE-SAC 69nette ; la seconde, Marie-Claire, Choucounoune,de son « nom-jouet » ; celle-ci vi<strong>en</strong>t de mourir,il y a peu de mois. De ses neuf <strong>en</strong>fants, six sont<strong>en</strong>core vivants et résid<strong>en</strong>t dans le Mirebalais ;plusieurs de ses petits-<strong>en</strong>fants ont déjà dépasséla quarantaine.Le docteur Brice est aussi bi<strong>en</strong> pharmaci<strong>en</strong>que médecin ; il prépare lui-même les décoctionsqu'il ordonne ; sa case conti<strong>en</strong>t un dépôtde feuilles et de racines, jetées pêle-mêle dansdes couis (quartiers de calebasse) ; s'il luimanque quelque ingrédi<strong>en</strong>t, il l'<strong>en</strong>voie aussitôtdemander, dans les mornes, à l'un de ses correspondantshabituels. L'homme est connu etexerce dans toute la région ; les pati<strong>en</strong>ts fontavec lui, pour le traitem<strong>en</strong>t complet, un forfaitde quelques gourdes; dans les cas graves, iln'hésite pas à se transporter à domicile, pourmieux surveiller sa cure. Nous le trouvâmesinstallé chez un vieux nègre, très malade, legénéral Souverain Jean-Paul, un des « grandshabitants » de Frères et anci<strong>en</strong> chef de la section.


CHAPITREIIIPÈTIONVILLEDe Port-au-Prince à Pétionville. — La nom<strong>en</strong>clature géographiquedes îles françaises. — La Coupe. — Capitale <strong>en</strong>projet. — Séjour d'été. — Domesticité nègre : M. Esopejeune, M. Alfred Cumberland, Mme Herminie Bernard. —Recettes communales. — Fournisseurs et rev<strong>en</strong>deuses. —Le commandant de la place: général Alfred Celcis. — Mœurscréoles. — La source Caron. — La chapelle de Notre-Damedes-Ermites.—LaVierge de Mayamand. — Le fort Jacques.— L'habitation Le François. — Chez la mamanloi : MambôTéla. — La « fête de la maison ». — La section des Cadets.— Un coumbite. — Le marché du carrefour Tintin. — L'écolerurale.En <strong>en</strong>trant <strong>en</strong> rade de Port-au-Prince, onaperçoit, adossés à la montagne, juste au-dessusde la ville, quelques toits et un clocherd'église ; c'est le village de Pétionville. Derrièrela capitale, les contreforts du morne l'Hôpital


ROUTE DE PORT-AU-PRINCE A PÉTIONVILLE, VUE DE PORT-AU-PRINCEROUTE DE PORT-AU-PRINCE A PÉTIONVILLE, VUE DE PÉTIONVILLE


PÉTIONVILLE 71s'arrondiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> demi-cercle pour former deuxvallons verdoyants. Celui de gauche, où coulele ruisseau du Bois-Chêne, se resserre rapidem<strong>en</strong>t; une gorge étroite, <strong>en</strong>combrée de caféierset de palmistes, passe <strong>en</strong>tre le Gros-Mornele morne Canapé-Vert ; elle aboutit à laetsourcePlésance. La route s'élève à mi-hauteur. Peu àpeu, la vue se développe sur la masse grise dela ville, la baie et les îlots de palétuviers 1 , quibord<strong>en</strong>t la côte jusqu'à la pointe du Lam<strong>en</strong>tin.L'habitation Bourdon conti<strong>en</strong>t plusieurs villas,<strong>en</strong>closes de haies de poincillade,à fleurs jaunesou rouges 2; l'une d'elles apparti<strong>en</strong>t à un Guadeloupé<strong>en</strong>,M. Gaston Revest, établi comme négociantà Port-au-Prince. Après avoir passé leposte militaire de Saint-Amand, la route atteint<strong>en</strong> 8 kilomètres, à près de 400 mètres d'altitude,le sommet de la « Coupe ».En langage créole, une coupe est le hautd'un vallon, un col, un passage de montagnes.1. Les mots palétuviers ou mangliers sont indifféremm<strong>en</strong>temployés pour désigner les arbres poussant sur les rivagesdes Antilles et ét<strong>en</strong>dant jusque dans la mer un inextricablefouillis de racines. « Le manglier est une espèce de palétuvier» — Descourtilz.2. La Poincillade — Poinciana pulcherrima — (Descourtilz)tire son nom du Bailli de Poincy, qui fut lieut<strong>en</strong>antgénéral des îles françaises de l'Amérique et seigneur particulierde Saint-Christophe, Sainte-Croix, Saint-Martin etSaint-Barthélemy. Il mourut <strong>en</strong> 1660,


72 EN HAÏTIQuand il s'agit de procéder à la nom<strong>en</strong>claturegéographique des îles françaises de l'Amérique,navigateurs et colons du dix-septièmesiècle ne se mir<strong>en</strong>t guère <strong>en</strong> frais d'imagination.A Saint-Christophe, la Guadeloupe, laMartinique, à la Tortue et à la côte de Saint-Domingue, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy,aux Saintes, à Marie-Galante, Sainte-Lucie,Sainte-Croix et la Gr<strong>en</strong>ade, qui formai<strong>en</strong>t primitivem<strong>en</strong>tl'<strong>en</strong>semble de nos possessions desAntilles, les désignations fur<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tiques. Lesrivières, les mornes (montagnes), les pitons(pics), les plalons (plateaux), les coupes (cols),les fonds ou trous (vallées), les arses ou aculs(fond d'une baie), les anses, les caps, les côtesde fer (rivages de rochers), les tapions (falaises),les lagons (lagunes), les salines,les ester es (partiesmarécageuses au bord de la mer), les savanes(prairies naturelles), fur<strong>en</strong>t ornés d'unqualificatif facile, du nom d'un saint ou d'un habitantvoisin. Il y eut partout des Grandes et desPetites Rivières, de Gros Caps, des Pointes duV<strong>en</strong>t, des Anses à galet ou à la barque ; il y eutun Cap Enragé, à Marie-Galante, un autre àSaint-Christophe ; une baie des Anglais à laMartinique, des Rivières du Trou au Chi<strong>en</strong> etdu Trou au Chat à la Guadeloupe, des Anses


PÉTIONVILLE 73du Bois Abattu, des Pipes, aux Herbes, à Sainte-Croix. Toutes ces îles étai<strong>en</strong>t fort distinguées,au regard de Saint-Domingue ; elles vivai<strong>en</strong>tsous le contrôle de seigneurs propriétaires,parmi lesquels l'ordre de Malte, — plus tard sousle régime de Compagnies Royales. Flibustierset boucaniers étai<strong>en</strong>t g<strong>en</strong>s moins délicats ; sibi<strong>en</strong> que la géographie de Saint-Dominguecontinue à se ress<strong>en</strong>tir de la grossièreté de sespremiers colons. Eux aussi connur<strong>en</strong>t les appellationspurem<strong>en</strong>t pittoresques : Gorge obscure,Ruisseau difficile, Rivière salée, Sourcedes Misères, Eau sans raison, Anse à Juif, Baiedes Flamands, Port à Pim<strong>en</strong>t, Roche à bateau,Ile à Vache, Pointe des Aigrettes, Fond desNègres, Vallée de l'Asile, Mornes de la Hotte.Leurs boucans, qui étai<strong>en</strong>t une spécialité del'île, <strong>en</strong> marquèr<strong>en</strong>t les premiers points habités :Boucan-Guimby, Boucan-Patates, Boucan-Bois-Pin. A côté du Trou-Chouchou et du Trou-Bonbon,leur mauvaise humeur qualifia le Sale-Trou, le Trou d'Enfer, le Fond-Cochon etl'Etronc de Porc. La terre, détrempée par lespluies, valut à deux cantons du Nord les nomsde Limonade et de Marmelade.Jadis la coupe, où l'on devait passer pourdesc<strong>en</strong>dre de la chaîne méridionale de l'île vers


74 EN HAÏTIPort-au-Prince ou la plaine du Cul-de-Sac,n'avait reçu aucune désignation propre. L'<strong>en</strong>droitétait presque désert. En 1826, M. CharlesMack<strong>en</strong>zie y trouva quelques petites maisonsde campagne, construites par les habitants dePort-au-Prince. L'une d'elles appart<strong>en</strong>ait à unFrançais, M. Jacquemont, le frère du naturaliste,Victor Jacquemont, qui écrivit de si jolieslettres de l'Inde. En 1831, une loi, votée par lesChambres haïti<strong>en</strong>nes y décida la création d'unecapitale nouvelle, protégée par son éloignem<strong>en</strong>tcontre la mauvaise humeur des puissances et ladémonstration des navires de guerre. C'était lemom<strong>en</strong>t, où les difficultés, surv<strong>en</strong>ues dans lerèglem<strong>en</strong>t des indemnités de Saint-Domingue,provoquai<strong>en</strong>t avec la France une nouvelle rupture.En l'honneur du Présid<strong>en</strong>t Pétion, quiavait peuplé de ses soldats les mornes voisins,la capitale projetée reçut le nom officiel de Pétionville;mais les g<strong>en</strong>s de la campagne, t<strong>en</strong>aces<strong>en</strong> leurs habitudes, s'obstin<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core à la laisserinnommée, <strong>en</strong> lui conservant son appellationprimitive de La Coupe.Comme tant d'autres lois haïti<strong>en</strong>nes, celle de1831 resta inappliquée; les représ<strong>en</strong>tants étrangersprir<strong>en</strong>t l'habitude de régler leurs réclamations,<strong>en</strong> faisant interv<strong>en</strong>ir des navires de guerre


PÉTIONVILLË 75dans la rade de Port-au-Prince. Pétionville ne devintjamais capitale. Sur une p<strong>en</strong>te assez forte,on délimita un carré, qui servit de place d'Armes; au milieu fut planté le palmiste, arbre dela liberté, autour duquel s'érigea l'autel de laPatrie ; <strong>en</strong> haut s'éleva le Palais national, àcôté d'un espace réservé au parc d'artillerie ;des av<strong>en</strong>ues, se coupant à angles droits, reçur<strong>en</strong>tles noms des héros de l'indép<strong>en</strong>dance. Ons'arrêta là : quelques cases vulgaires se perdir<strong>en</strong>tdans le cadre sol<strong>en</strong>nel de la ville projetée.Le Concordat de 1860 prévoyait l'établissem<strong>en</strong>td'un séminaire national. Dans ce but, unbâtim<strong>en</strong>t <strong>en</strong> pierres fut construit au bas de laplace ; il ne reçut point de séminaristes. Lebourg resta chef-lieu de commune ; le commandantde place s'installa au Palais ; les autorités,magistrat communal, juge de paix, officierde l'état-civil, se partagèr<strong>en</strong>t le local duséminaire ; l'étage supérieur revint au presbytère.En 1884, le P. Runtz, un Alsaci<strong>en</strong> deStrasbourg, de la congrégation des Pères duSaint-Esprit, qui, depuis tr<strong>en</strong>te ans, dessert laparoisse, se mit <strong>en</strong> tête de construire uneéglise. P<strong>en</strong>dant des années, chaque dimanche,après la grand'messe, il conduisait ses ouailleschercher des roches à la ravine prochaine.


76 EN HAÏTIL'édifice grandit peu à peu ; le gros œuvre estmaint<strong>en</strong>ant achevé et le clocher, recouvert detôle, s'aperçoit de tout le pays. Une allée desabliers et de flamboyants garnit les deuxcôtés de la place. Il y a une tr<strong>en</strong>taine d'années,une génération nouvelle, élevée <strong>en</strong> France,était rev<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> Haïti ; les affaires prospérai<strong>en</strong>t ;les g<strong>en</strong>s de Port-au-Prince montèr<strong>en</strong>t à Pétionville,pour éviter les chaleurs de l'été, despluies de juin à celles de septembre. Les maisonsde campagne se multiplièr<strong>en</strong>t ; et, désespérantde dev<strong>en</strong>ir jamais capitale, le bourg futconsacré à la villégiature. Depuis le mêmetemps, l'arg<strong>en</strong>t français et l'arg<strong>en</strong>t allemandse sont successivem<strong>en</strong>t évertués à doter Pétionvilled'une usine c<strong>en</strong>trale pour la préparationdu café. Un aimable mulâtre, M. OctaveFrancis, né <strong>en</strong> Haïti d'un père originaire deSaint-Thomas et d'une mère martiniquaise, avieilli, dans une philosophie douce, à la têtede cette industrie.Le fort Repoussez domine Pétionville : unecréation révolutionnaire. En 1868, une bande<strong>en</strong>nemie, v<strong>en</strong>ue de la plaine, occupait le village.Pour la déloger, le commandant de l'arrondissem<strong>en</strong>tde Port-au-Prince arriva par lesmornes et fortifia le mamelon dénudé, qui corn-


PÉTIONVILLE 77mande toute la région. Les murs du fort ont àpeu près disparu ; les fossés sont cultivés <strong>en</strong>pois, manioc, giraumonts et patates. Un ajoupa 1abrite deux soldats dégu<strong>en</strong>illés, formant la garnison; un vieux canon gît à terre, qui tire dessalves les jours de fête. Le relief du plateauapparaît : à droite, à la sortie du morne,plusieursravines se réuniss<strong>en</strong>t pour former celledu Trou-Berthé ; à gauche, la ravine Philippe ause creuse vers la source Plésance ; <strong>en</strong>tre elles,Pétionville occupe la large crête desc<strong>en</strong>dantjusqu'à la plaine du Cul-du-Sac. Les villas, lescarrés de verdure comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à la « Tête-del'Eau», et se succèd<strong>en</strong>t le long des p<strong>en</strong>tes. Aubas, le marché, le cimetière, et, sur la route dePort-au-Prince, le « portail », où se trouv<strong>en</strong>tles étals de rev<strong>en</strong>deuses et, p<strong>en</strong>dant l'automne,les balances des petits « spéculateurs <strong>en</strong>d<strong>en</strong>rées», qui recueill<strong>en</strong>t le café pour les négociantsde la capitale.Nous comptons plusieurs compatriotes parmiles 1.500 habitants du bourg; sont propriétaires: MM. Peloux, Rouzier, Caze,Barthe,AchilleEdmond Miot, Elisée — créoles, filsde Français, v<strong>en</strong>us pour les affaires, ou des-1. « Ajoupa, petite hutte <strong>en</strong> forme de toit, faite de quelquespieux et recouverte de feuillage. » — (Moreau de Saint-Méry.)


78 EN HAÏTIc<strong>en</strong>dants des affranchis de la colonie, qui ontjugé bon de rev<strong>en</strong>diquer leur anci<strong>en</strong>n<strong>en</strong>ationalité; quelques-uns, MM. d'Aubigny et Guérin,sont eux-mêmes arrivés de France. Lescongrégations<strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t Pétionville : troisprêtres, des Pères du Saint-Esprit, sont affectésà la paroisse ; les Frères de Ploërmel ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tl'école de garçons avec 90 élèves ; les Sœurs deSaint-Joseph de Cluny <strong>en</strong>seign<strong>en</strong>t 130filles ; les Filles de la Sagesse ontmaison de santé.petitesouvert uneL'été passé, j'habitais, au-dessus de la placed'Armes, sur le chemin des mornes, une assezgrande propriété, que m'avait louée M. AugusteGuérin ; tout jeune, il est v<strong>en</strong>u du Havre, s'estmarié <strong>en</strong> Haïti et ti<strong>en</strong>t, à Port-au-Prince, unmagasin de nouveautés, à l'<strong>en</strong>seigne duParadisdes Dames. Le jardin conti<strong>en</strong>t une caféièreet un champ d'herbes de Guinée ; un imm<strong>en</strong>sesablier 1 , dont les fruits mûrs éclat<strong>en</strong>t, à l'automne,avec un bruit sec, recouvre la porte;une allée de manguiers conduit à lamaison.1. Sablier ou Hura : arbor fructu crepitans. « Arbre naturalisé<strong>en</strong> Amérique, où il a été importé des Indes. On saitque la maturité de son fruit s'annonce par une explosionspontanée, produite par un dessèchem<strong>en</strong>t subit et parfait deses parties constituantes. Lors de l'explosion, la sem<strong>en</strong>ceplate est lancée de son <strong>en</strong>veloppe et va porter au loin legerme de la reproduction.» — (Descourtilz.)


PÉTIONVILLE 79Les galeries, toutes peuplées de ces petitslézards domestiques, anolis et mabouyas, quisaut<strong>en</strong>t de meuble <strong>en</strong> meuble, donn<strong>en</strong>t vue surla plaine. Elle disparaît au milieu des arbresfruitiers : amandiers, abricotiers, avocatiers,calebassiers, sapotilliers, pommiers d'acajou,caïmitiers, arbres à pain, papayers et corossoliers.Il y a abondance de rosiers, de crotonsaux feuilles multicolores, d'hybiscus,de lauriers-rose, des bouquets de stragornias,qui donn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> juin leurs grappes blanches,roses ou mauves, pareilles à celles de nos lilas,et des lianes où fleurit, à la fin de l'année, lablanche « fleur de Noël ». La cuisine, les écuries,le bassin sont disséminés sous les arbres.Les oiseaux sont rares : de temps à autre, unoiseau-mouche vert foncé passe sous les feuillages,du vol rapide de ses ailes tremblotantes;quelques papillons, marrons et jaunes, oublancs rayés de noir ; parfois, nos g<strong>en</strong>s tu<strong>en</strong>tà coups de pierre une inoff<strong>en</strong>sive couleuvre ouune grosse « araignée-crabe », la tar<strong>en</strong>tule deces îles, dont la piqûre donne la fièvre. Haïtine connaît point les oiseaux au plumage multicolore,ni les magnifiques papillons bleus dela Côte Ferme, ni l'infinité des lucioles, qui,ailleurs, illumin<strong>en</strong>t la nuit tropicale.


80 EN HAÏTILe l<strong>en</strong>demain de mon arrivée, lejardinier,M. Méristyle, eut l'ingénieuse idée d'introduiredans la maison un vieux nègre mourant — cequi m'obligea à payer un cercueil et le tafia 1l'<strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t. Puis, une jeune personne duvoisinage fit appel à la générosité duv<strong>en</strong>u, par une lettre pressante, quid<strong>en</strong>ouveaul'interpellaitavec un peu de précipitation : « Mon cherpère de famille »; et se terminait par ces mots:« N'oubliez pas votre petit <strong>en</strong>fant ! »Tous mes domestiques sont nègres. M. Esopejeune préside à la maison, M. AlfredCumberlandà l'écurie. Le premier est originaire de laquatrième section du Petit-Trou, dans l'arrondissem<strong>en</strong>tde Nippes ; suivant la coutume haïti<strong>en</strong>ne,ses par<strong>en</strong>ts, qui sont cultivateurs,l'avai<strong>en</strong>t placé, pour son éducation, chez un commerçantdu bourg voisin de l'Anse-à-Veau, où,<strong>en</strong> échange de ses services gratuits, on luiapprit les belles manières de la ville. Il est boncatholique et marié devant le curé. Le deuxièmeest le fils d'un boucher deKingston ; commebeaucoup de Jamaïcains, il a passé lepour chercher fortune <strong>en</strong>détroitHaïti. Anglican, il1. Le tafia est un alcool produit par la distillation desmélasses; il est fabriqué dans toutes les guildives, qui parsèm<strong>en</strong>tla république. Le tafia rectifié devi<strong>en</strong>t du rhum. Leclairin est un alcool tiré du jus de canne.


AUBIN. EnFÊTE DE LA SAINT-PIERRE A PÉTIONVILLE : LES AUTORITÉSFÊTE DE LA SAINT-PIERRE A PÉTIONVILLE : LA FOULEHaïti, PL. VII


PÉTIONVILLE 81fréqu<strong>en</strong>te, à rares intervalles, le temple duRév. Turnbull, qui représ<strong>en</strong>te cette confessionà Port-au-Prince. M. Esope est insol<strong>en</strong>t etfantaisiste, mais plaisant et actif; M. Alfredparle volontiers de ses responsabilités et marqueune relative politesse ; tous deux sontégalem<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>teurs, chapardeurs et dévoués.Les deux cultures, dont ils relèv<strong>en</strong>t, ont marquésur chacun d'eux leur empreinte diverse ;l'un est atteint de légèreté française, l'autred'hypocrisie britannique. Ils sont assistés d<strong>en</strong>ègres inférieurs, qui s'obstin<strong>en</strong>t à revêtir d'invraisemblablesloques.La cuisine relève de la perle de la maison,Mme Herminie Bernard, native de la Pointe-à-Pître. Elle a quitté la Guadeloupe pour Haïti,où Guadeloupé<strong>en</strong>nes et Martiniquaises vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tse placer <strong>en</strong> grand nombre ; elle s'est mariéeici, et, n'ayant pas d'<strong>en</strong>fants, a importé deux deses nièces. Cette famille est la dévotion même ;j'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds tous les soirs le murmure de la prièrecommune ; les jours saints, sitôt le signal duremue-ménage donné, au cours de l'office desTénèbres, à la cathédrale, Mme Bernard nemanquerait point de frapper pieusem<strong>en</strong>t surchacune de ses casseroles, afin d'écarter lesmauvais esprits. Le bon Dieu l'a récomp<strong>en</strong>séeEN HAÏTI. 6


82 EN HAÏTIde tant de vertu, <strong>en</strong> lui inspirant la sci<strong>en</strong>cela cuisine. Elle réussit aussi bi<strong>en</strong> les plats dechez nous et les plats créoles : les grosdebouillonsde tripailles, les acras, les poulets et les rizau guiongnion, les har<strong>en</strong>gs-saurs boucanés à lasauce li Malice, les plats de tortue, les griots,les tchiacas et les choux-palmistes l .Le marché a lieu tous les samedis ; lesfemmes s'y install<strong>en</strong>t sous les tonnelles ; le fermier,chargé du nettoyage, perçoit sur chacuneune petite taxe de 2 ou 3 c<strong>en</strong>times. C'est <strong>en</strong>viron80 gourdes par an que la commune touchede ce chef. Le concessionnaire de l'abattagedes viandes achète son bétail au marché du Pont-1. Les gros bouillons de tripailles comport<strong>en</strong>t du gras double,des morceaux de foie et de pied de bœuf, frottés de jusd'oranges amères, avec des bananes, des ignames et despommes de terre. C'est un potage contestable. Par contre,les acras, rissoles de poissons ou de légumes, sont excell<strong>en</strong>ts.Le guiongnion est un petit champignon, poussant surles racines du manguier, qui sert à donner du goût à plusieursplats créoles. La sauce ti Malice est faite de saindoux,de jus de citron et de pim<strong>en</strong>ts z'oéseaux; ces pim<strong>en</strong>ts minuscules,dont on tire le poivre de Cay<strong>en</strong>ne, sont extrêmem<strong>en</strong>tviol<strong>en</strong>ts, d'où le nom de ti Malice (petite malice) donnéà la sauce qu'ils relèv<strong>en</strong>t. On a coutume d'y joindre desquartiers d'avocat. Les tortues se mang<strong>en</strong>t <strong>en</strong> potage ou<strong>en</strong> ragoût; leurs œufs, qui fond<strong>en</strong>t dans la bouche, sont unmets fort délicat. Les griots sont une grillade de morceaux deporc, assaisonnée de pim<strong>en</strong>ts et de jus d'oranges. Le tchiacaest fait de grains de maïs mi-écrasés et cuits avec des haricotsrouges; c'est un plat assez semblable au succotash américain.Le chou-palmiste se mange <strong>en</strong> salade, à la sauceblanche ou au gratin.


PÉTIONVILLE 83Beudet, dans la plaine, et, toute la semaine, lefait pâturer sur la place d'Armes ; le monopolede la boucherie, qui se v<strong>en</strong>d annuellem<strong>en</strong>t àla criée, rapporte quelque 450 gourdes. La pat<strong>en</strong>teest imposée aux commerçants, mais il n'y<strong>en</strong> a guère : le commerce se borne aux seulsétals des rev<strong>en</strong>deuses, qui v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t des fruits,des friandises locales et du tafia aux passants ;les cabrouets sont aussi rares que les moulinset les guildives. Mais, chaque propriétaire payela contribution foncière, et c'est là le plus clairdes rev<strong>en</strong>us communaux, qui ne réussiss<strong>en</strong>tmême pas à <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir les rues du bourg.Les fournisseurs <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t les maisons.Tous les matins, un cultivateur de la sourcePlésance, M. Principe Supplice, nous <strong>en</strong>voie les70 paquets d'herbe de Guinée nécessaires à lanourriture des cinq chevaux ; une de ses septfilles, Mlle Vigénise, qui vi<strong>en</strong>t à cheval, disparaîtau milieu de la verdure des charges. MlleSylvia Estelle apporte le maïs, qu'elle va chercherdans les mornes, ou achète, à la « Têtede-l'Eau», des femmes desc<strong>en</strong>dant de lamontagne. Le charbon vi<strong>en</strong>t de l'habitationPernier, dans la plaine ; un cultivateur, M. Cerisier,y prépare un four, chaque semaine,avec des bois d'acacia et de bayaonde ; sa,


84 EN HAÏTIfemme est constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mouvem<strong>en</strong>t, pour <strong>en</strong>v<strong>en</strong>dre le produit au moune la ville, toutpartout.Le blanchissage est confié à une robuste négresse,Mlle Lubérisse Estubel, qui, pourpoint payer redevance aux propriétaireseaux voisines, fait le voyage de lanedesCroix-des-Missions, où elle peut laver librem<strong>en</strong>t dans laGrande Rivière du Cul-de-Sac.A toute heure du jour, c'est un défilé defemmes de la campagne, leur panier sur la tête,avec du lait dans une calebasse, bouchée par unbois maïs un peu de viande, quelques fruits,des légumes, parfois des fraises v<strong>en</strong>ues de l'habitationViart. Elles march<strong>en</strong>t incessamm<strong>en</strong>tsous le soleil, leur robe de cotonnade trempéepar la pluie tropicale. Elles font ainsi d'énormesdistances pour une v<strong>en</strong>te de quelques gourdes,réalis<strong>en</strong>t un petit bénéfice, <strong>en</strong> repassant leursproduits aux rev<strong>en</strong>deuses qui les iront porterplus loin, sembl<strong>en</strong>t compterpour ri<strong>en</strong> letemps ni la fatigue de la marche et particip<strong>en</strong>tà cette migration ininterrompue de populationféminine, qui caractérise les campagnes haïti<strong>en</strong>nes.Les mardis et jeudis, M. Josepharrive de1. On appelle ainsi un épi de maïs, dont on a retiré lesgrains.


PÉTIONVILLE : L' “ AUTEL DE LA PATRIE ”SOURCE CARON : LES FILLES DE M. SAINT JUSTEAUBIN. En Haïti. PL. VIII


PÉTIONVILLE 85Port-au-Prince, avec des articles de « toilerie »,à lui confiés par un négociant de la ville ; il estchargé du colportage dans les <strong>en</strong>virons. Songain fixe est de 14 gourdes par mois, plus8 p. 100 sur les v<strong>en</strong>tes. Le petit garçon qui l'accompagne,pour porter « la bac » aux marchandises,reçoit 3 gourdes par semaine. De tempsà autre, apparaît une g<strong>en</strong>tille petite Guadeloupé<strong>en</strong>ne,le foulard noué sur la tête à la mode deson île. Mlle Pauline Ajax est bonne d'<strong>en</strong>fantsdans une maison, où les variétés de manguiersabond<strong>en</strong>t, mangues-Jérémie, mangots-muscat,mangots-prune, mangots-fil ; elle <strong>en</strong> apporte àson compatriote blanc, dans un panier recouvertde franchipannes blanches et roses.Dimanche et fêtes, grande animation sur laplace d'Armes. La procession de la Fête-Dieuy passe sous les flamboyants rouges de fleurs ;le Saint-Sacrem<strong>en</strong>t est précédé de petites négresses,couronnées de roses ou déguisées <strong>en</strong>anges aux ailes éployées. La Saint-Pierre estfête patronale. A l'église, l'office est sol<strong>en</strong>nel,le commandant de place y assiste, avec lesautorités de la commune, le député, l'archer(commissaire) de police, le magistrat communalflanqué de ses quatre conseillers. Les g<strong>en</strong>s desmornes rempliss<strong>en</strong>t la nef ; par derrière, se\


86 EN HAÏTIforme le groupe docile des pénit<strong>en</strong>ts, auxquelsles papalois, pour apaiser les esprits, ont imposéle port de la collet c'est-à-dire debandes bleues ou rouges appliquées sur leursvêtem<strong>en</strong>ts. Au milieu de la place, chaquesectiona été requise d'élever une tonnelle, et,jusqu'au l<strong>en</strong>demain, il y a danse.Le dimanche est jour d'audi<strong>en</strong>ce officiellepour le commandant de la commune. Le généralAlfred Celcis, un mulâtre clair, a fait toute sacarrière, comme professeur au lycée de Portau-Prince.Lors de la dernièrerévolution, ilprit goût au métier des armes et, de ce chef,devint général. Après avoir servi quelquetemps à bordd'un navire de guerre, il <strong>en</strong>tradans l'administration militaire et reçut le commandem<strong>en</strong>tde Pétionville. C'est un hommeserviable, instruit et policé par son passé universitaire.Une fois la semaine, les chefs des huit sectionsde la commune se prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t au rapport. A ladiffér<strong>en</strong>ce des commandantsd'arrondissem<strong>en</strong>tet de place, indifféremm<strong>en</strong>t prom<strong>en</strong>és à traverstout le pays, les chefs de section sont séd<strong>en</strong>taires,choisis parmi les cultivateurs les plus influ<strong>en</strong>ts,1. Les créoles appell<strong>en</strong>t collet toutes mauvaises étoffes,loques, toiles d'emballage, etc.


PÉTIONVILLE 87les plus riches et les plus lettrés : ce sont commandantsmilitaires, chargés de l'applicationdu Code rural, de la direction des corvées pourles travaux publics et des jugem<strong>en</strong>ts de conciliation; ils reçoiv<strong>en</strong>t 16 gourdes d'appointem<strong>en</strong>tsm<strong>en</strong>suels et sont assistés d'un maréchal et detrois gardes champêtres, qui <strong>en</strong> touch<strong>en</strong>t 7. Lesdistricts, subdivisions des sections, sont confiés àdes chefs de district, cultivateurs désignés pourleur bonne conduite, et appuyés par une petiteforce de police rurale ; ils sont égalem<strong>en</strong>t pourvusd'un grade d'officier, « par commission temporaireou définitive », prescrit le Code rural ;mais leurs services sont gratuits.Le premier dimanche de chaque mois, il y aparade sur la place d'Armes ; la garde nationale,c'est-à-dire tous les hommes valides, dedix-neuf à cinquante ans, à l'exception despères de sept garçons, sont requis de desc<strong>en</strong>dredes mornes, revêtus de leur uniforme, qui, leplus souv<strong>en</strong>t, se borne à un vieux képi. Il vasans dire que les abst<strong>en</strong>tions sont nombreuses.Ces guerriers d'occasion se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t, auchef-lieu, avec l'armée perman<strong>en</strong>te, composéed'une compagnie de g<strong>en</strong>darmerie et d'une compagnied'artillerie, de 43 hommes chacune, plus20 hommes de police. Ces g<strong>en</strong>s sont recrutés


88 EN HAÏTIdans les sections de la commune et dans les<strong>en</strong>virons du bourg. G<strong>en</strong>darmes et artilleurstouch<strong>en</strong>t la solde et la ration, qui leur sont <strong>en</strong>voyéeschaque v<strong>en</strong>dredi par le Secrétaire d'Étatde la Guerre ; ils font le service du « bureaude place », du fort, des postes militaires; cesont eux qui, chaque matin, à quatreheures,réveill<strong>en</strong>t la population <strong>en</strong> sonnant les claironsde la diane. La police, relevant du départem<strong>en</strong>tde l'Intérieur, contrôle le portail et le marché.En dehors de ce mouvem<strong>en</strong>t militaire, lagagairequi opère les dimanches et jours defête, résume les divertissem<strong>en</strong>ts du bourg; elleest située au portail; un rond, marqué par despieux et recouvert d'une tonnelle, y sert d'emplacem<strong>en</strong>tpour les combats de coq. Le « chefde gagaire » est M. Cléophar Cajuste, anci<strong>en</strong>archer de police.Durant la semaine, même au cœur de l'été,les rues de Pétionville rest<strong>en</strong>t désertes. Leshommes sont desc<strong>en</strong>dus à leur bureau dePort-au-Prince ; il fait chaud, et les femmescréoles ne pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t point goût à la vie dudehors. Vers le tard, à l'heure rapide du crépuscule,quelques groupes féminins, vêtus de1. Gagaire, de l'espagnol galleria, qui désigne l'arène pourles combats de coq.


PÉTIONVILLE 89robes claires, se form<strong>en</strong>t sur la place d'Armesou garniss<strong>en</strong>t les degrés de l'autel de la Patrie,Il est rare que la jeunesse se réunisse le soirpour quelque suyé-pieds,c'est-à-dire pour unepetite sauterie. Parfois, des pique-niques sontorganisés aux sources prochaines. Les sourcesjou<strong>en</strong>t un grand rôle dans la vie créole; il y faitplus frais, la végétation est plus d<strong>en</strong>se, le baintout préparé, le murmure de l'eau berce lasieste; il y flotte une vague idée des croyancespopulaires, qui les veul<strong>en</strong>t habitées par lesmystères de la nature. C'est l'<strong>en</strong>droit propice àla r<strong>en</strong>contre des amoureux, à la formation duroman de la vie, à l'emploi des mets et desbreuvages qui vaincront les résistancesmasculines,à l'usage des artifices, qui permettrontà une fille experte de « couper la tête de latortue » 1 , <strong>en</strong> obligeant l'hommeà un aveu définitif.de son choix1. Dans toutes les colonies des Antilles, les créoles,même cultivés, et surtout les femmes, sont facilem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vahispar les superstitions nègres, dues aux contacts deleur première <strong>en</strong>fance. Ils se défont rarem<strong>en</strong>t des croyancesafricaines aux esprits mauvais, aux loups-garou, aupouvoir des charmes et des philtres, à l'action ou à la significationdes plantes et des fleurs. Pour se faire aimerd'un homme, une femme broie le cœur d'un oiseau-mouchevert, dit « ouanga négresse », et le lui fait boire dans ducafé ou du thé. Certaines graines ou racines sont mises aucou des <strong>en</strong>fants pour les protéger contre le mauvais œil ;certaines autres, jetées au seuil d'une maison, réussirai<strong>en</strong>t


90 EN HAÏTIDeux sources favorites, la source Millet et lasource Caron, naiss<strong>en</strong>t dans les ravines, qui seramifi<strong>en</strong>t au-dessus de Pétionville. La premièr<strong>en</strong>'est guère attrayante ; elle sourd au milieudes galets, <strong>en</strong> un lieu profond, sans ombrage.La source Caron est plus éloignée ; on y atteintpar le chemin de la Chaume, <strong>en</strong>combré de« tabacs marrons » 1 et de « bois coq d'Inde » 2 ,qui, par le carrefour La Boule, s'<strong>en</strong> va vers lescrêtes du Morne l'Hôpital ou la vallée de laRivière-Froide. P<strong>en</strong>dant près d'une heure, ilfaut gravir les p<strong>en</strong>tes jusqu'à l'habitation Caron.L'eau sort de terre dans une caféière trèstouffue, sous une voûte de figuiers, de mombinset de bois-trompette. Elle forme un toràempêcher les mariages ; la fleur d'acacia serait propiceaux brouilles. Prés<strong>en</strong>tée par <strong>en</strong> bas, une feuille de basilicest un signe d'amour ; par <strong>en</strong> haut, une marque de haine.Dans la partie ori<strong>en</strong>tale de Cuba, un <strong>en</strong>fant, victime dumauvais œil ou de la « mauvaise bouche », est confié à unesantiguadora, façon de mamanloi, qui vi<strong>en</strong>t dire des prièresspéciales et lui faire des croix sur tout le corps.1. Dans le langage créole, marron veut dire sauvage, paropposition au mot : domestique. A l'époque coloniale, on appliquaitce mot aux esclaves fugitifs.2. Pour désigner la flore tropicale, les divers dialectescréoles possèd<strong>en</strong>t une série de sobriquets ou de qualificatifs,qui sont de véritables «noms-jouet». En créole espagnol,la liane d'amour est le coralillo : l'hybiscus, la borrachona(la femme grise). En créole anglais, le cactus bayonnettedevi<strong>en</strong>t le dagger's palm et l'acacia le pink butterfly (lepapillon rose). Une certaine liane s'appelle black eyed Susan(Suzanne aux yeux noirs).


PÉTIONVILLE 91r<strong>en</strong>t rapide au travers des roches, où p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>tles grandes feuilles des balisiers. Les cases dupropriétaire, M. Saint-Juste, sont <strong>en</strong>tourées deces arbustes, dont les feuilles, aux extrémitésdes branches, devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, avec l'automne, d'unrouge très vif, et que les créoles appell<strong>en</strong>t« manteau de Saint-Joseph »; au pied, sedéveloppe le feuillage rose et noir des coléis ;une treille est recouverte de pois-souche.M. Saint-Juste compte parmi les meilleursparoissi<strong>en</strong>s de Pétionville ; ses deux filles, déjàmûres, ne se sont point abandonnées aux irrégulièreshabitudes des campagnes. « Pas placées,affirm<strong>en</strong>t-elles avec dignité : nous, c'est mouneconverti ! 1 »En contrebas du bourg, se trouve la sourcePlésance. Ses eaux ont été captées pour l'usagede Port-au-Prince ; le barrage, la maisonnettedu gardi<strong>en</strong> y ont gâté la nature. Elle attirecep<strong>en</strong>dant par le pèlerinage de Notre-Dame desErmites, dont la chapelle est tout proche. La« Petite Vierge » date de la colonie. Elle futintroduite à Saint-Domingue par une dameJ. La mission catholique d'Haïti désigne, sous le nom de« convertis », les nègres qui fréqu<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t lessacrem<strong>en</strong>ts et qui pass<strong>en</strong>t pour suffisamm<strong>en</strong>t dégagés dessuperstitions africaines ; ce que les missionnaires protestantsappell<strong>en</strong>t des communicants.


92EN HAÏTIfrançaise très pieuse, qui, par peur de la mer,la voulut pour compagne de voyage. Vint laRévolution ; elle tomba <strong>en</strong>tre les mains d'unnègre, nommé Pierre-Louis. Cet homme incarnadans la statue le mystère de son culte familial;peu à peu, la r<strong>en</strong>ommée s'<strong>en</strong> ét<strong>en</strong>dit, pourdev<strong>en</strong>ir générale dans toute la région. La PetiteVierge a maint<strong>en</strong>ant une chapelle et trône au.dessus de l'autel, recouverte de blancs voilesde mariée, avec une couronne de fleurs d'orangersur la tête, malgré l'<strong>en</strong>fant Jésus qu'elleporte dans ses bras ; elle est <strong>en</strong>tourée de ciergeset de fleurs <strong>en</strong> papier. Une lanterne brûle auplafond. Les murs sont ornés d'ex-voto :« Hommages. — Remerciem<strong>en</strong>ts. — Reconnaisanceà N.-D. des Ermites. » Dans la croyanceuniverselle, la Petite Vierge est dev<strong>en</strong>ue la divinitédu mariage, la ressource des jeunesfilles <strong>en</strong> quête d'époux ; et celles-ci l'habill<strong>en</strong>tà qui mieux mieux, dans l'espoir de se procurerl'objet rêvé. Sa fête est célébrée le 2 juillet; mais, chaque mardi, les pèlerins accour<strong>en</strong>tdes mornes, ainsi que des quartiers populairesde Port-au-Prince, Sainte-Anne, le Bel-Air etle Morne à Tuf. Pierre-Louis vécut longtemps;il mourut, il y a quelque vingt-cinq ans, à l'âgede c<strong>en</strong>t dix ans. « Madam' li faite douvant li. —


PÉTIONVILLE 93Il a vu naître ma femme », dit l'arrière-petitg<strong>en</strong>dre,M. Michel Louissaint, le propriétaireactuel de la chapelle. Mais ce n'est pas luimêmemême, qui a organisé l'exploitation peucatholique, dont elle est dev<strong>en</strong>ue le c<strong>en</strong>tre ;son beau-frère, M. Juli<strong>en</strong> Joseph, <strong>en</strong> est lesacristain, et il mérite « un petit coup de blâme»,pour avoir placé un tronc avec l'inscription suivante:Nous prions nos bonnes personnes de verser dans ledittronc tout ce qu'elles <strong>en</strong> auront ; car, si elles donn<strong>en</strong>tdix c<strong>en</strong>times d'une main, elles les pr<strong>en</strong>dront de l'autre.D'ailleurs, la chapelle est propre et bi<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ue ; il ne s'y passe point demacaqueries,comme à Mayamand, de l'autre côté de Pétionville.Là existe une statue de Notre-Damed'Altagrâce. C'était sous le gouvernem<strong>en</strong>tPrésid<strong>en</strong>t Pétion, à l'époque où Haïti ne sepermettait pas <strong>en</strong>core le luxe d'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir unpèlerinage nationaldu1, et où la piété publique1. Haïti possède son propre pèlerinage, depuis l'époquede Soulouque. Une apparition propice de la Sainte Vierge,achalanda la chapelle de Ville-Bonheur, dans la paroissede Saut-d'Eau. Dans une de ses malheureuses expéditionscontre la République Dominicaine, l'empereur Faustin 1 ereut besoin d'<strong>en</strong>courager ses troupes par une manifestationsurnaturelle. La Sainte Vierge apparut docilem<strong>en</strong>tdans un bouquet de palmistes ou, du moins, l'imagi-


94 EN HAÏTIs'<strong>en</strong> allait vénérer à Higuey,au sud-est de laDominicanie, le sanctuaire de N.-S. de Altagracia.M. Pierre Eti<strong>en</strong>ne, dit Portecroix (il étaitsacristain de la cathédrale dePort-au-Prince),rapporta du pèlerinage une reproduction dela statue vénérée, qu'il installa sur son bi<strong>en</strong> deMayamand. Dès le début, la voix populaireattribua à cette Vierge d'avoir réalisé, dans la« partie de l'Est », toutes sortes de miracles,et, bi<strong>en</strong> qu'elle s'abstint de semblablesexercicessur le sol haïti<strong>en</strong>, elle n'<strong>en</strong> retint pasmoins une énorme cli<strong>en</strong>tèle, qui vi<strong>en</strong>t la visiterà ses deux jours de fête : les 21 janvier et16 juillet de chaque année. En Haïti, les successionsrest<strong>en</strong>t le plus souv<strong>en</strong>t indivises, et, auxchefs-lieux des communes, les notaires se dessèch<strong>en</strong>tfaute d'emploi ; petits-<strong>en</strong>fants et arrièrepetits-<strong>en</strong>fantsont maint<strong>en</strong>ant parsemé de leurscours respectives le domaine primitif de PierreEti<strong>en</strong>ne ; le bénéfice de la chapelleest restécommun à tous. Les discussions quant aumeilleur mode d'exploitationont troublé lesrelations familiales. L'aîné des petits-fils,M. Charlestin Tr<strong>en</strong>te-et-un, un nègre grave etnation facile des soldats haïti<strong>en</strong>s cons<strong>en</strong>tit à l'y voir. Il yeut aussi des g<strong>en</strong>s pour signaler une desc<strong>en</strong>te approbatricede la Vierge sur le Champ de Mars de Port-au-Prince, quandFaustin I erse résolut, <strong>en</strong> 1849, à pr<strong>en</strong>dre le titre impérial,


PÉTIONVILLE 95sec, à la barbe grisonnante, qui prét<strong>en</strong>dait à ladirection de la communauté, p<strong>en</strong>chait pourl'orthodoxie du culte ; la majorité <strong>en</strong>visageaittoutefois, comme plus lucrative, une associationde la Vierge d'Altagrâce avec les mystèresVaudoux. La lutte fut acharnée ; des scènesviol<strong>en</strong>tes se produisir<strong>en</strong>t; sur sa cour, Charlestinmit le feu à un grand mapou, habité par leslois protecteurs de la communauté ; la justicedut interv<strong>en</strong>ir ; le chef de section vint faire une<strong>en</strong>quête et parut donner raison à l'anci<strong>en</strong> dela famille. Toujours est-il que ce nègre scrupuleuxa fini par quitter l'habitation du grandpère; un de ses neveux, M. Auguste César, aouvert un houmfort ; aux jours de fête, un papaloidu voisinage vi<strong>en</strong>t diriger les processions ;la nuit se passe <strong>en</strong> « bamboches », et les pèlerins,ayant égalem<strong>en</strong>t servi la Vierge et les mystèresafricains, r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t chez eux le l<strong>en</strong>demainmatin.En gravissant les mornes, tout droit au-dessusde Pétionville, il faut deux heures pouratteindre les forts Jacques et Alexandre, qui <strong>en</strong>occup<strong>en</strong>t la crête... C'est une montée rapide àtravers les caféières. Aux arbres des carrefourssont souv<strong>en</strong>t fixées des ailes et des pattes defrisés. Le frisé est un petit oiseau de proie,


96EN HAÏTIque la superstition populaire considère commede fâcheux augure ; <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre son cri perçantest présage de malheur ; les nègres tu<strong>en</strong>t ceuxqu'ils r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t et ont coutume d'<strong>en</strong> accrocherla dépouille au croisem<strong>en</strong>t des chemins, afinde conjurer les mauvais sorts.Les deux forts fur<strong>en</strong>t élevés <strong>en</strong> 1804, quand,sur l'ordre de Dessalines, la ligne des morneshaïti<strong>en</strong>s se hérissa de forteresses et qu'un réduitfut créé dans chaque départem<strong>en</strong>t, pours'opposer à un retour év<strong>en</strong>tuel des Français.« Au premier coup du canon d'alarme, proclamaitla Constitution de 1805, les villes disparaiss<strong>en</strong>tet la Nation est debout. » Le plus granddes deux forts reçut le prénom de l'Empereurnoir, le plus petit celui de Pétion. Bi<strong>en</strong> conservés,leurs murs prolong<strong>en</strong>t deux lignes rigidessur les sommets dégagés de Bellevue-la-Montagne: le fort Jacques commande tout le paysvers la mer, le fort Alexandre la plaine et lahaute vallée de la Grande Rivière du Cul-de-Sac.Leur construction fut effectuée par la corvéedes habitants ; la lég<strong>en</strong>de veut que, le 17 octobre1806, quand atteignit le haut des mornes lanouvelle de l'assassinat de Dessalines, surv<strong>en</strong>uaux portes de Port-au-Prince, on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit lespics des travailleurs retomber d'un même coup


CHEZ MAMBO TÉLA : LE BÉLIERMAMBO TÉLAAUBIN. En Haïti. PL. IX


PÉTIONVILLE 97sur le sol ; la volonté, qui avait groupétantd'hommes à la tâche, disparaissait; l'œuvreresta abandonnée.Par delà la ravine du Trou-Berthé, une successiond'habitations desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les contrefortsdes mornes, Marlique, Duplan, Dupont, Mayotte ;des hauteurs, on aperçoit leurs cours étagéesau milieu des arbres. Ce sont villages prospères,où les femmes sont blanchisseuses,à laver dans la ravine pour les g<strong>en</strong>s deoccupéesPortau-Prince; un bon gisem<strong>en</strong>t de terre de pipey permet la fabrication des cachimbeaux,l'usage de la plaine et des montagnes duChaque dimanche,pourSud.un pasteur nègre monte àDuplan apporter la bonne parole àquelquesfamilles de l'habitation, rattachées à la communautéméthodiste 1 .1. Le protestantisme prit pied <strong>en</strong> Haïti, aussitôt aprèsl'Indép<strong>en</strong>dance. Christophe attira des missionnaires anglicans,Pétion des méthodistes anglais. Ces derniers vinr<strong>en</strong>tà Port-au-Prince, <strong>en</strong> 1816, et présidèr<strong>en</strong>t à la création d'écolesnationales. Ils eur<strong>en</strong>t toute liberté d'action, tinr<strong>en</strong>t descamp-meetings et fir<strong>en</strong>t quelques conversions. Boyer marquamoins de faveur au protestantisme et les premiers missionnairesdisparur<strong>en</strong>t. Ils revinr<strong>en</strong>t à la fin du gouvernem<strong>en</strong>tde Boyer et surtout après 1843, <strong>en</strong>voyés par le Comitémissionnaire de la société Wesley<strong>en</strong>ne, de Londres;ils voyagèr<strong>en</strong>t à travers l'île, s'établir<strong>en</strong>t dans les principalesvilles, Port-au-Prince, le Cap, les Gonaïves, Jérémie,construisir<strong>en</strong>t des temples, ouvrir<strong>en</strong>t des écoles et créèr<strong>en</strong>tmême des postes dans l'intérieur. L'immigration de nègresaméricains— (il <strong>en</strong> vint <strong>en</strong>viron 13.000, mais beaucoup r<strong>en</strong>-EN HAÏTI. 7


98 EN HAÏTIUne heure et demie plus loin, <strong>en</strong> remontantles p<strong>en</strong>tes boisées, on atteint l'habitation LeFrançois. La famille Bellot, qui y réside, estfavorisée par la superstition populaire. Deson vivant, le père était houngan ; le fils etles trois filles s'<strong>en</strong>richiss<strong>en</strong>t de la réputationtrèr<strong>en</strong>t aux États-Unis) —, qui comm<strong>en</strong>ça <strong>en</strong> 1823 et dura jusqu'aprèsla guerre de Sécession, avait <strong>en</strong>traîné l'accroissem<strong>en</strong>tdes communautés protestantes et l'établissem<strong>en</strong>t destrois sectes, méthodiste, baptiste, épiscopali<strong>en</strong>ne. La premièremission baptiste fut fondée à Jacmel, <strong>en</strong> 1845; elleétait anglaise. En 1861, arriva de Newhav<strong>en</strong> (Conn.) un<strong>en</strong>ombreuse colonie missionnaire, <strong>en</strong>voyée par l'Église MéthodisteÉpiscopale Africaine des États-Unis. La v<strong>en</strong>ue d<strong>en</strong>ègres de la Jamaïque valut une cli<strong>en</strong>tèle aux Anglicans.Bref, il existe, à l'heure actuelle, <strong>en</strong> Haïti, des communautésanglicane ou épiscopali<strong>en</strong>ne, méthodiste et baptiste, anglaiseet américaine. La secte méthodiste est de beaucoupla plus répandue; cep<strong>en</strong>dant le nombre des protestantsreste assez faible, il ne dépasse pas quelques milliers.La prédication protestante avait revêtu, dès le début, uncaractère nettem<strong>en</strong>t britannique. En 1851, un négociant deJérémie, M. Foulson, y fit élever de ses d<strong>en</strong>iers le Templeméthodiste : dans sa fondation, il exprima le vœu que lepasteur fut désigné par la Communauté méthodiste de France.Lors de mon passage à Jérémie, j'y trouvai le pasteurBelloncle, du Havre, qui dirigeait, avec beaucoup de zèle,un petit groupe de 150 méthodistes, dont plusieurs appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>taux meilleures familles mulâtres de la ville.Les missionnaires protestants, qui ont écrit ; sur Haïti, seplais<strong>en</strong>t à reconnaître l'esprit de tolérance du gouvernem<strong>en</strong>thaïti<strong>en</strong>. L'État subv<strong>en</strong>tionne certaines des œuvres protestantes.Les cimetières sont communs à toutes les confessions.Il y a même des Haïti<strong>en</strong>s cultivés, qui, sans être pourcela dev<strong>en</strong>us protestants, se plais<strong>en</strong>t à suivre les servicesdu temple méthodiste de Port-au-Prince. Il y a place, <strong>en</strong>Haïti, pour une infinité de religions. Le culte du Vaudouxa préparé le nègre à l'éclectisme.


PÉTIONVILLE 99de son houmfort. Surin Pierre est une façonde papaloi : ses sœurs, Estelle, Charlotte etTi Rose sont initiées dans les mystères ; l'institutionest dirigée par l'aînée, Mambô Téla,une mamanloi fort célèbre. Les cases occup<strong>en</strong>tun ressaut de terrain dans une caféière,avec des reposoirs au pied des grandsarbres et une jolie échappée de vue sur laplaine du Cul-de-Sac. D'un côté de la cour, lamaison d'habitation ; de l'autre, un péristyleà étage ; dans le fond, un houmfort consacréau rite Arada et à Maître Dambala. Plus bas, unsecond houmfort, divisé <strong>en</strong> deux compartim<strong>en</strong>ts,l'un pour le rite Congo, l'autre pour le riteNago.La « fête de la maison » célébrée <strong>en</strong> l'honneurdes lois protecteurs du houmfort, se poursuit,chaque année, p<strong>en</strong>dant toute la semaine du15 août. Nous y allâmes assister <strong>en</strong> nombreusepartie. C'était le mardi matin, jour de l'Assomption.Des palmes de cocotier, plantées dans lesol, formai<strong>en</strong>t une porte fleurie à l'<strong>en</strong>trée du domaine; les arbres consacrés aux mystères,figuiers et avocatiers, étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tourés de draperies; au pied, on avait placé, sur de grandesfeuilles de bananiers, des couis, des vases defaï<strong>en</strong>ce, des bougies allumées, de la vaisselle


100 EN HAÏTIbrisée, des tiges de cannes à sucre. Une étoff<strong>en</strong>oire, avec des ossem<strong>en</strong>ts et des têtes de mort,« habillait » un cirouéllier, habité par GuédéBaron Samedi, le « maître cimetière ». A l'<strong>en</strong>tréede la cour, une haie de palmes <strong>en</strong>tourait unavocatier, fréqu<strong>en</strong>té par Papa Loco. Dans la«juridiction» Congo, selon les règles spécialesà ce rite, de grandes bûches allumées gisai<strong>en</strong>tà terre. Devant le houmfort, les assistants att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t,patiemm<strong>en</strong>t assis sous la tonnelle,et se distrayai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chantant des cantiques. Aumilieu du péristyle, se dressait le poteau-zains,orné de branchages et de fleurs, de couis etde cannes à sucre ; plusieurs sabres y étai<strong>en</strong>tappuyés. Les trois joueurs de tambour préparai<strong>en</strong>tleurs instrum<strong>en</strong>ts, hountor, second etboula ; les petites demoiselles hounsis déroulai<strong>en</strong>tleurs drapeaux. La mamanloi s'habillait:elle <strong>en</strong>tre-bâilla la porte de sa chambre, embrassales dames et t<strong>en</strong>dit aux hommes sa joueà baiser.A onze heures, quand tout fut prêt, les tamboursbattir<strong>en</strong>t le rassemblem<strong>en</strong>t ; le maître decérémonie, « la place », un vieux nègremince, à barbiche grisonnante, brandit son sabre; les hounsis se rangèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ligne derrièreSurin Pierre Bellot, qui vint se placer auprès


AUBIN. En Haïti.CHEZ MAMBO TÉLA : LES “ ARBRES HABILLÉS ”PL. X


PÉTIONVILLE 101de la porte de sa sœur. Mambô Téla sortit, lesabre salua, les drapeaux s'inclinèr<strong>en</strong>t, la congrégationse prosterna. C'est une grande etforte négresse. Elle était fort bi<strong>en</strong> mise: unerobe blanche, ornée de d<strong>en</strong>telles et serrée à lataille ; au-dessous, un jupon brodé ; un mouchoirblanc noué sur la tête, un foulard gris au cou,des boucles d'oreilles et, au corsage, unebroche <strong>en</strong> or. Elle marchait, appuyée sur lesépaules de deux hommes, un petit chapelet depierres blanches dans sa main droite ; l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>telle s'avança vers le houmfort; possédéepar les mystères, sa démarche était chancelanteet elle faisait, à chaque pas, mine des'affaisser.Après quelques minutes de recueillem<strong>en</strong>tdans le sanctuaire, la procession comm<strong>en</strong>ça.Au-devant, des garçons port<strong>en</strong>t des cierges,un crucifix, un <strong>en</strong>c<strong>en</strong>soir. L'organiste de la paroissede Thomazeau, dans la plaine, qui estv<strong>en</strong>u faire office de père-savane, psalmodie leslitanies de la Sainte Vierge, qu'il suit dans leRecueil des Cantiques à l'usage du diocèse dePort-au-Prince, imprimé à R<strong>en</strong>nes. Puis vi<strong>en</strong>tun bélier, les yeux bandés, le dos recouvertd'une toile, dont chaque arrêt, d'après le riteArada, doit signaler la prés<strong>en</strong>ce des lois. Le


102 EN HAÏTIlong du chemin, le papaloi trace des lignesavec de la c<strong>en</strong>dre ou du maïs moulu ; il fait les« cérémonies » auprès des reposoirs. Derrièrela mamanloi, toujours sout<strong>en</strong>ue par deux acolytes,la foule suit.Turris eburnea ! Rosa Davidica ! chante lepère-savane.Ora pro nobis ! repr<strong>en</strong>d le choeur des fidèles.Quelques femmes, saisies par le mystère,marqu<strong>en</strong>t des mouvem<strong>en</strong>ts d'hystérie.La procession parcourt la caféière, <strong>en</strong> faisanthalte à chaque reposoir. D'un médicinier béni,les g<strong>en</strong>s cueill<strong>en</strong>t des feuilles, les plac<strong>en</strong>t surle reposoir et bais<strong>en</strong>t dévotem<strong>en</strong>t la terre.Plus loin, au pied d'un avocatier, consacré àPapa Chadé, Surin Pierre se met à prêcher ; ilparle des miracles et des mystères, du Christet des lois ; saisissant un cierge allumé, ils'écrie : « Voilà la lumière que nous devonssuivre ! » et tous repart<strong>en</strong>t à travers le bois.De reposoir <strong>en</strong> reposoir, la pieuse prom<strong>en</strong>adedura deux heures. Nous nous étions mis à déjeunerdans la maison de Mambô Téla, servispar une jeune négresse Mlle Marcelle-Frédéric,la nièce du cabaretier de Pétionville, M. Thimagène,v<strong>en</strong>ue chez la mamanloi « <strong>en</strong> changem<strong>en</strong>t


PÉTIONVILLE 103d'air». Quand la procession revint vers la maison,on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit le bruit confus descantiqueset Mlle Marcelle, emportée par le mystère, semit à chanter à tue-tête :Je suis chréti<strong>en</strong>, voilà ma gloire,Mon espérance et mon souti<strong>en</strong>,Mon chant d'amour et de victoire,Je suis chréti<strong>en</strong> ! je suis chréti<strong>en</strong>!Sur quoi, elle se servit un grand verre detafia, fit une libation à sa droite, à sa gaucheet par derrière elle, « <strong>en</strong> l'honneur de ses ancêtres»,puis avala le reste tout d'un trait.Au milieu du jour, Mambô Téla sereposa.Dans la cour, des chaudrons de pois et riz etd'akassan 1 cuisai<strong>en</strong>t sur des feux. Les visiteurstrouvai<strong>en</strong>t, aux étals, des bouteilles de tafiaet de mabi, des tablettes de coques, de roroli,1. L'akassan est du maïs moulu, cuit avec du sirop decannes. Le pain-patates est une purée de patates cuite avecdu sirop et des épices. Le mabi est du sirop ferm<strong>en</strong>té avecune infusion d'écorce de bois-mabi et un peu de gingembre.Le mabi était une boisson fort répandue dans nos îles. LeP. Labat <strong>en</strong> donne une recette, <strong>en</strong> usage à la Martinique,où l'on ajoutait des patates rouges et des oranges sûres.« Cette liqueur ferm<strong>en</strong>te <strong>en</strong> moins de tr<strong>en</strong>te heures et faitun vin clairet aussi agréable que le meilleur poiré que l'onboive <strong>en</strong> Normandie. » Les tablettes sont faites de rapadouavec de la pulpe de noix de coco, des grains de sésame(roroli) et des noix de pommes d'acajou. Ce sont friandisespopulaires que l'on r<strong>en</strong>contre partout sur les routes haïti<strong>en</strong>nes.


104 EN HAÏTIde noix d'acajou et du pain-patates. A un piedde « feuille-saisie » était attaché un petit veau,destiné à faire les frais de la débauche de lanuit.Tard dans l'après-midi, les tambours donnèr<strong>en</strong>tle signal de la danse Vaudoux ; de tous lescoins de la cour, les danseurs accourur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> setrémoussant du v<strong>en</strong>tre. Mambô Téla vint saluerles tambours et, relevant un pan de sa jupe,saisissant un sabre qu'elle fit ployer sur sa ceinture,elle prés<strong>en</strong>ta les déhanchem<strong>en</strong>ts les plussavants à l'admiration du public. Le commandantde la commune, qui se trouvait là, ne voulutpoint laisser passer une réunion aussi nombreuse,sans réchauffer son loyalisme à l'égarddu chef de l'Etat. Il fit chanter aux petites hounsisune chanson populaire <strong>en</strong> l'honneur duPrésid<strong>en</strong>t de la République :Nò Alexis, bon papa !Nò Alexis, not sauvé !Nò Alexis, pobité !C'est bon Guié qui ban nous liC'est li nous vlé, c'est li nous pr<strong>en</strong>dÇa qui cont<strong>en</strong>t, tant mié pou yo IÇa qui fâché, tant pis pou yo !Ça qui fâché — colé n'a oué !Nord Alexis, bon papa ! Nord Alexis, notre sauveur !Nord Alexis, probité ! C'est le bon Dieu qui nous le


PÉTIONVILLE 105donne. C'est lui que nous voulons, c'est lui que nouspr<strong>en</strong>ons. Tant mieux pour ceux qui sont cont<strong>en</strong>ts, tantpis pour ceux qui sont fâchés. Que ceux qui sont fâchésattaqu<strong>en</strong>t un peu pour voir !A son tour, un nègre distingué, vêtud'unejaquette marron et portant lunettes, vint, lesabre à la main, saluer la mamanloi : un anci<strong>en</strong>représ<strong>en</strong>tant du peuple, M. Codio, g<strong>en</strong>dredu dernier Présid<strong>en</strong>t de la République, legénéral Tirésias-Augustin Simon Sam. Commetant d'autres, cet homme fut impliqué dansscandaleux procès financier, qui mettait <strong>en</strong>cause nombre d'adhér<strong>en</strong>ts du gouvernem<strong>en</strong>tdéchu. Suivant l'usage haïti<strong>en</strong>, il se hâta« boiser », pour échapper à la rigueur des lois,et trouva un abri sûr chez Mambô Téla, quicomptait, parmi ses meilleurs cli<strong>en</strong>ts, la familledu beau-père.La nuit v<strong>en</strong>ait. Le papaloi, « la place » et leshounsis se mir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ligne ; sabres et drapeauxsaluèr<strong>en</strong>t le départ des hôtes de la maison.Par les habitations Duvivier et Greffin, le s<strong>en</strong>tiercontinue vers la crête de Bellevue-la-Montagne,qu'il atteint au Bois-Pin Lespinasse. Ausommet, la forêt s'est éclaircie et lesont fait place aux cultures de vivres. Surundecaféièresp<strong>en</strong>te, au bord de la route, une douzaineunede


10G EN HAÏTIcultivateurs travaill<strong>en</strong>t <strong>en</strong> coumbite. Il s'agit d'unplanté-patates, et le maître du champ a convoquédans ce but une douzaine de ses voisins.Le coumbite est un mode d'organisation du travail,aussi répandu chez les petits propriétairesdes mornes que parmi les métayers de laplaine. L'effort <strong>en</strong> commun se fait plus vite etplus gaiem<strong>en</strong>t ; on vi<strong>en</strong>t cultiver le bi<strong>en</strong> duprochain, qui, à son tour, cultivera le vôtre. Lecoumbite est une sorte d'association agricole, oùle nègre trouve une occasion nouvelle de chanteret de boire. Il <strong>en</strong> est de différ<strong>en</strong>tes espèces.S'agit-il d'une courte besogne qui s'achèveradans les premières heures du matin, c'est unsimple douvant-jou ; ou bi<strong>en</strong> dans l'après-midi,de deux à cinq, un diné-manchette : le grandcoumbite comporte un travail prolongé qui durejusqu'au midi. Le maître du champ, qui devi<strong>en</strong>t,pour la circonstance, le chef du coumbite, n'ad'autre affaire que de nourrir ses travailleurs ;il surveille, dans un coin, le chaudron où cuis<strong>en</strong>tles pois et riz, et accourt, à chaque réquisition,avec la bouteille de tafia. Quelques-unspiqu<strong>en</strong>t les pieds de patates, après que legros des travailleurs a remué le sol. Ils sontlà, serrés les,uns contre les autres et grattantla terre de leur houe ; l'un d'eux, frappant


PÉTIONVILLE 107sa manchette d'un morceau de fer, marquela cad<strong>en</strong>ce et répète indéfinim<strong>en</strong>t la chansontraditionnelle, qui doit être reprisepar l'<strong>en</strong>semble:Ago ! houe démanchée,Ti gaçon, manché li ban moin !(Allons, la houe est démanchée ! Petits garçons, remmanchez-lapour moi !)L'heure du repas veut un appel spécial :T<strong>en</strong>dé çà, moin dit ou :V<strong>en</strong>t' m' apé mangni<strong>en</strong> moin !(Ent<strong>en</strong>dez, vous dis-je; le v<strong>en</strong>tre me tiraille !)Elle s'achève par une action de grâce :Vive chef la commune,Qui baille tranquillité !Vive chef section,Qui pèmette nous dangoïé!Vive chef coumbite !(Vive le commandant de place, qui nous donne la sécurité!Vive le chef de section, qui nous permet de nousébattre ! Vive le chef du coumbite !Si ce dernier a mal fait les choses, c'estmom<strong>en</strong>t de le lui faire s<strong>en</strong>tir :leMoin pas pr' allé <strong>en</strong>còNan mangé cilà-làNous pas pé mouri pou tête moune <strong>en</strong>cô !(Nous n'irons plus dans ce dîner-là ; nous ne mourronsplus pour personne !...)


108 EN HAÏTIUne fois le travail fini, les nègres se sépar<strong>en</strong>t<strong>en</strong> chantant la Mazonne :Gé veillé cò !N'a oué ça;N'apr' allé la cäy !(Les yeux surveill<strong>en</strong>t le corps; nous verrons cela ; nousallons chez nous...)La desc<strong>en</strong>te du Morne-Blanc conduit à la sectiondes Cadets. La vue embrasse un vaste cirquede montagnes : le Trou-Coucou, c'est-à-direla haute vallée de la Grande Rivière du Cul-de-Sac, se développe <strong>en</strong> év<strong>en</strong>tail au pied du Mornela-Selle; une série de ravins profonds,s'embranchantles uns dans les autres. A gauche, lagorge de la Grande-Rivière conduit à la plaine ;à droite, la rivière de la Voûte remonte rapidem<strong>en</strong>tvers K<strong>en</strong>scoff et les Montagnes Noires...Sur l'arête, qui aboutit au conflu<strong>en</strong>tdes deuxrivières, s'est établi le c<strong>en</strong>tre administratif dela section, avec le marché, l'école rurale, lachapelle... J'y suis v<strong>en</strong>u un v<strong>en</strong>dredi, jour demarché. Le général Celcis avait bi<strong>en</strong> voulum'accompagner avec les chefs des sections deBellevue-Chardonnière et de Bellevue-la-Montagne,le général Couloute et le colonel M<strong>en</strong>é.Au pied du Morne-Blanc, att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t le chef dela section des Cadets, le colonel Damacelin


PÉTIONVILLE 109Bélisaire, un « grand habitant», anci<strong>en</strong> chef desection, M. Métellus Auguste et le maîtred'école, M. Fénélon R<strong>en</strong>é.Le marché est établi au carrefour Tintin, oùaboutiss<strong>en</strong>t tous les s<strong>en</strong>tiers conduisant deshautes montagnes vers la plaine : un espacedénudé, <strong>en</strong>touré d'acacias et ombragé d'un seulgommier blanc. Une paillotte est réservée auxautorités de la section, qui assur<strong>en</strong>t l'ordre avecla police rurale : une demi-douzaine de nègresd'âge et d'accoutrem<strong>en</strong>t variés, dont le premierporte un baudrier rouge, avec l'inscription<strong>en</strong> lettres blanches : FORCE A LA LOI.— Les marchés sont surveillés avec soin ; dansles campagnes où la presse ne pénètre guère,ce sont lieux de r<strong>en</strong>contre, où se colport<strong>en</strong>t lesnouvelles, où se développ<strong>en</strong>t les « propagandes». La fréqu<strong>en</strong>tation y est presque exclusivem<strong>en</strong>tféminine ; les femmes des cultivateursapport<strong>en</strong>t les produits du domaine conjugal oude leur petite industrie ; les rev<strong>en</strong>deuses arriv<strong>en</strong>tavecdes objets de première nécessité et rapport<strong>en</strong>t<strong>en</strong> ville du café ou des légumes. Ce va etvi<strong>en</strong>t de femmes, opérant dans un espace parfoisconsidérable et tirant leur bénéfice de la distancemême à laquelle elles transport<strong>en</strong>t leurs marchandises,se produit d'un bout à l'autre d'Haïti,


110 EN HAÏTI— conséqu<strong>en</strong>ce naturelle de l'abs<strong>en</strong>ce de routeset de chemins de fer. En principe, chaque sectiondoit avoir son marché; ces marchés sont ouverts<strong>en</strong> vertu d'une simple autorisation du commandantde place et ne comport<strong>en</strong>t aucune taxe.Sur tout l'espace du carrefour Tintin, se sontformés des groupes de femmes — il peut y <strong>en</strong>avoir deux ou trois c<strong>en</strong>ts, — accroupies auprèsde leurs étalages : des balais, des cordes <strong>en</strong>pite et un latanier, des bâts <strong>en</strong> bois pour lesbêtes de charge, de la viande de porc, dechèvre et de bœuf ; une charcuterie grossière,des calebasses de lait et de tafia, des fruits —avocats, oranges, cachim<strong>en</strong>ts, — des bananes,du maïs, de l'amidon de manioc, des haricotsrouges et noirs, de la cassave (pain de manioc),du biscuit (pain de from<strong>en</strong>t). Les rev<strong>en</strong>deusesoffr<strong>en</strong>t des feuilles de tabac, du savon, des allumettes,des pelotes, du fil, des aiguilles, desboules de bleu pour le blanchissage, quelquesboutons : elles achèt<strong>en</strong>t les petites proportionsde café apportées des mornes. Aux extrémités,des chaudrons, recouverts d'une feuille de bananier,cuis<strong>en</strong>t au feu pour le repas du jour.La chapelle est un peu plus loin sur l'arête,à l'habitation Desgourdes ; l'école rurale, à côtédes cases du chef de la section, se trouve au-


AUBIN. En Haïti.LES FORTS JACQUES ET ALEXANDRE (A L'HORIZON)LE MARCHÉ DU CARREFOUR TINTINPL. XI


PÉTIONVILLEmdessous, sur l'habitation Beauvert. Devant lamaison d'école, les <strong>en</strong>fants sont alignés : unequinzaine de garçons et trois petites filles ; ilsont bonne figure et sont conv<strong>en</strong>ablem<strong>en</strong>t vêtus ;il n'a pas été possible d'<strong>en</strong> réunir davantage, àcause de la dispersion des jours de marché. « Pénétrez-vous», ordonne le maître pour les fairer<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> classe, — et toute cette jeunesse auxnoms héroïques — Philidor, Diogène, Thémistocle,Aristhène, Solon, Napoléon, Murat, Lamartine,Dumas, Pétion, Israël, Nérestant, Hermann,Deogratias, etc., procéda dans les Av<strong>en</strong>turesTélémaqueà de pénibles exercices de lecture...Le Commandant de la commune prit congé,au milieu de l'<strong>en</strong>thousiasme populaire...deLesnègres, qui chant<strong>en</strong>t toutes choses, lui ontaussi donné sa chanson :C'est pou ça moin rainmain geinral Celcis,Geinral Celcis payé sans compté !Cà qui pas vlé oué geinral Celcis,Pr<strong>en</strong>d lan mè pou malhè pas rivé goC'est bon Guié qui ban nous général NòC'est général Nò qui ban nous geinral Celcis !— C'est pour cela que nous aimons le général Celcis;le général Celcis nous paye sans compter. Que ceux, quine veul<strong>en</strong>t pas voir le général Celcis, pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t la mer,pour qu'un malheur ne leur arrive point. C'est le bonDieu qui nous a donné le général Nord; c'est le généralNord qui nous a donné le général Celcis !


CHAPITRE IVFURCYDe Pétionville à Furcy. — Le carrefour R<strong>en</strong>dez-Vous. —K<strong>en</strong>scoff et la Tête-du-Bois-Pin. — Le sanatorium de Portau-Prince.— Une « habitation » dans les mornes. — Lemaître de chapelle. — Mœurs et installation des « habitants». — Cuisine créole : le « gros bouillon de poule ».— Mariages et « services ». — Les sources. — La Nouvelle-Touraine.Nous sommes dans la seconde quinzaine d'octobre; c'est la fin de l'hivernage qui duredepuis le mois de juin, et, après la courtepériode des « pluies de la Toussaint », nous<strong>en</strong>trerons définitivem<strong>en</strong>t dans la saison sèche,la « saison des secs », disai<strong>en</strong>t autrefois lescolons. Les pluies torr<strong>en</strong>tielles des dernièressemaines ont rafraîchi et purifié l'atmosphère,


FURCY113ravivé la verdure des campagnes. Voici v<strong>en</strong>irl'instant propice aux prom<strong>en</strong>ades à travers lesmornes, dont les chemins détrempés par l'humidité,glissant sous les pieds des chevaux, sontdemeurés tout l'été à peu près impraticables.Trois heures et demie de route de Pétionvilleà Furcy. Il s'agit d'escalader le morne, auquels'adosse le village, pour gagner le chaos montagneux,formant la chaîne méridionale de l'îled'Haïti. Le chemin est un large s<strong>en</strong>tier, tout remplide pierres, de « roches », ont coutume de direles créoles, qui grimpe, <strong>en</strong> lacets rapides, le longdèspremières p<strong>en</strong>tes. Celles-ci sont couvertesd'une végétation très d<strong>en</strong>se : les caféiers, dontles cerises mûres mett<strong>en</strong>t des points rouges surtoutes les branches, y pouss<strong>en</strong>t drus à l'ombredes grands arbres ; quelques parcelles sontcultivées <strong>en</strong> cannes ou <strong>en</strong> maïs. Les cases deshabitants, blanchies à la chaux et recouvertes dechaume, disparaiss<strong>en</strong>t sous les bananiers ; auxportes des <strong>en</strong>clos, où s'accroch<strong>en</strong>t des liseronsviolets veinés de rose, des négresses accroupiesont déposé leurs sacs-paille, cont<strong>en</strong>ant la dernièrecueillette de café ; elles att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t patiemm<strong>en</strong>tla v<strong>en</strong>ue des courtiers, qui font des achatsdans tout le pays, pour le compte de l'usine c<strong>en</strong>tralede Pétionville.EN HAÏTI. 8


114 EN HAÏTIDurant la matinée, le s<strong>en</strong>tier est très fréqu<strong>en</strong>té.C'est un constant défilé de paysannes, arrivantdes mornes, vêtues d'une robe de cotonnadebleue, relevée à la ceinture, pour dégager lesjambes, et les pieds nus. Elles vont de cet air àla fois gracieux et nonchalant, si particulier auxnégresses des Antilles, t<strong>en</strong>ant sur la tête, pardessusle foulard de leur tignon, le panier avecle lait, les fruits et les légumes, qu'elles vontv<strong>en</strong>dre au marché prochain. Les plus aisées,rares, d'ailleurs, dans la montagne, desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>tà cheval ou à âne. Plusieurs port<strong>en</strong>t derrièreleur dos, dans une serviette attachée à la taille,un <strong>en</strong>fant nouveau-né. Sur le chemin, les hommessont peu nombreux ; à peine quelques travailleurss'<strong>en</strong> allant à leur champ ou à leur caféière ;et des cavaliers, chefs de section ou de district,qui se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t auprès du commandant de lacommune, pour lui faire leur rapport périodiquesur l'état de leurs circonscriptions.Sur les routes haïti<strong>en</strong>nes, les g<strong>en</strong>s se marqu<strong>en</strong>t,les uns aux autres, une extrême politesse. Ense r<strong>en</strong>contrant, ils ne manqu<strong>en</strong>t guère d'échanger<strong>en</strong>tre eux un salut ou un souhait d'heureuxvoyage, de cette voix m<strong>en</strong>ue et avec ce grosrire d'<strong>en</strong>fant, coutumiers à la race nègre :« Bonjou, compè (compère) ! Bonjou, ma comme


AUBIN. EnLE CARREFOUR RENDEZ-VOUSKENscoFFHaïti.PL. XII


FURCY 116(ma commère) ! Bon coaraj' ! Fais bon chimin !»Et comme signe d'amitié, ils se touch<strong>en</strong>t lamain, <strong>en</strong> rapprochant d'un léger contact leursdoigts allongés.Le chemin traverse les habitations Lamothe,Mahotière, Soissons et Anglade, où il atteint,avec l'altitude de 1.200 mètres, le premier étagede la montagne. C'est un plateau rocheux quicomm<strong>en</strong>ce à se dénuder. Avec la montée, lavue s'est élargie. D'abord, les villas de Pétionville,aux toitures de tôle, groupées dans laverdure autour du clocher de l'église ; puis,l'imm<strong>en</strong>se plaine du Cul-de-Sac, allongée <strong>en</strong>trela mer et l'Étang Saumâtre, où les champs decannes et les forêts de bayaondes altern<strong>en</strong>t <strong>en</strong>taches d'un vert plus t<strong>en</strong>dre ou plus foncé —parsemé de points blancs par les habitations etmarqué au c<strong>en</strong>tre par la masse grise, qui indiquele bourg de la Croix-des-Bouquets. Aufond, une ligne de mornes, la chaîne c<strong>en</strong>tralede l'île, dont les crêtes successives se perd<strong>en</strong>t,à l'est, dans la Dominicanie, pour aboutir, àl'ouest, dans la mer, vers la pointe de Saint-Marc.Le carrefour R<strong>en</strong>dez-Vous est légèrem<strong>en</strong>t<strong>en</strong> contre-bas d'Anglade, situé sur une étroitearête, au pied des Montagnes Noires, la première


116 EN HAÏTIligne des grands mornes, <strong>en</strong>tre deux ravinsqui se creus<strong>en</strong>t profondém<strong>en</strong>t. A droite, leseaux gagn<strong>en</strong>t, par des p<strong>en</strong>tes recouvertes d'uneherbe rare, le lit pierreux de la Rivière Froide;il y a plus de végétation sur l'autre versant, oùla Rivière de la Voûte va se jeter dans la GrandeRivière du Cul-de-Sac. Au carrefour R<strong>en</strong>dez-Vous, converg<strong>en</strong>t des s<strong>en</strong>tiers v<strong>en</strong>ant de tous lespoints du morne ; il est marqué par une étroiteplantation de caféiers, ombragée d'un avocatier.Le v<strong>en</strong>dredi, un marché <strong>en</strong> plein v<strong>en</strong>t y réunitles g<strong>en</strong>s du voisinage, qui ne pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pointle temps de se r<strong>en</strong>dre jusqu'à la ville. Dès lematin comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à arriver les paysannes;mais c'est l'après-midi seulem<strong>en</strong>t que l'afflu<strong>en</strong>cedevi<strong>en</strong>t générale. Nous y passâmes vers dixheures. Une cinquantaine de négresses avai<strong>en</strong>tdéjà déballé leurs marchandises : patates, ignameset bananes étai<strong>en</strong>t rangées <strong>en</strong> petits tassur le sol ; avai<strong>en</strong>t été apportés d'<strong>en</strong> bas desboîtes d'allumettes et quelques articles de mercerie.Le marché du carrefour R<strong>en</strong>dez-vous estassez fréqu<strong>en</strong>té ; beaucoup de paysannes, v<strong>en</strong>uesdes mornes, trouv<strong>en</strong>t préférable de nepas desc<strong>en</strong>dre plus avant vers la plaine ; ily monte bon nombre de rev<strong>en</strong>deuses, qui rap-


FURCY 117port<strong>en</strong>t leurs achats à Pétionville ou mêmeà Port-au-Prince.Il faut <strong>en</strong>core s'élever de 600 mètres, pourfranchir les Montagnes Noires. Les arbres ont àpeu près disparu ; sur les crêtes, les pins s'align<strong>en</strong>tavec intermitt<strong>en</strong>ce ; le s<strong>en</strong>tier montueuxet pénible gravit les rochers <strong>en</strong>tre deux rangéesde cactus, qui pouss<strong>en</strong>t, jusqu'à plus de deuxmètres de hauteur, leurs feuilles serrées et pointues.On les appelle ici des « baïonnettes » ; aucœur de l'été, elles se couronn<strong>en</strong>t d'un épanouissem<strong>en</strong>tde clochettes blanches, que l'automnetransforme <strong>en</strong> gousses desséchées.Dans un creux se trouve le village de K<strong>en</strong>scofî,avec une c<strong>en</strong>taine de cases, assez rapprochéesles unes des autres. La fraîcheur duclimat y permet la culture des légumes et decertains fruits d'Europe ; aussi les habitants —500 <strong>en</strong>viron — se sont-ils faits maraîchers pourla consommation de Port-au-Prince, où ils<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t journellem<strong>en</strong>t des radis, des carottes,des navets, des céleris, desbetteraves, des choux,des artichauts et des salades de toutes espèces,— à certaines saisons, des fraises et même depetites pêches rabougries. Au pied du village,les bords du ruisseau form<strong>en</strong>t une longue cressonnière; tout le jour, les femmes y sont em-


118 EN HAÏTIployées à laver les légumes, destinés aux prochainesexpéditions. Dans les champs, les maïssont déjà cueillis et leurs épis jaunis sèch<strong>en</strong>t,empilés sur des cordes, qui p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t aux branchesdes arbres ou à des pot<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> boisdevant les maisons.Le s<strong>en</strong>tier rapide remonte le vallon, où coulele ruisseau de K<strong>en</strong>scoff, au milieu de ronces etde fougères arboresc<strong>en</strong>tes, recouvrant une floraisonde fuchsias et de bégonias. Le col est àpeine plus bas que le Mont Tranchant, le sommetle plus élevé des Montagnes Noires, à1.780 mètres ; l'<strong>en</strong>droit est nommé la « Tête-du-Bois-Pin », au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t de la grande forêtde pins, garnissant le versant méridional. Parmalheur, les arbres sont clairsemés : la populationa pris la fâcheuse habitude de les abattre,<strong>en</strong> mettant le feu au pied des troncs ; puis lebois est débité <strong>en</strong> m<strong>en</strong>us morceaux, qui serv<strong>en</strong>tà fabriquer le « bois-chandelle » pour la cuisineet l'éclairage. Au travers des pins apparaiss<strong>en</strong>t,noyés de soleil, l'allongem<strong>en</strong>t du Morne la Selle,barrant l'horizon vers le sud, et les escarpem<strong>en</strong>tsravinés du Trou-Coucou, où pr<strong>en</strong>d sasource la Grande Rivière du Cul-de-Sac. Versl'ouest, d'étroites arêtes se détach<strong>en</strong>t de lamontagne pour rejoindre le Morne la Selle ou


LE MORNE LA SELLE, VU DE LA “ TÊTE DU BOIS PIN ”LE MORNE LA SELLE, VU DE FURCYAUBIN. En Haïti. PL. XIII


FURCY119former le relief de la haute vallée, occupée parla Grande-Rivière de Léogane. Sur l'une de cescrêtes, une demi-heure plus bas, se trouve lepetit village de Furcy.A proprem<strong>en</strong>t parler, Furcy n'est pas un village,car il n'existe pas, <strong>en</strong> Haïti, d'agglomérationssemblables à celles de nos pays. P<strong>en</strong>dantdes heures, on y peut parcourir la campagne,et ne r<strong>en</strong>contrer que des cases isolées. Mais, seplace-t-on sur un point élevé, on constate qu'<strong>en</strong>certains <strong>en</strong>droits, ces cases form<strong>en</strong>t un groupem<strong>en</strong>t,chacun de ces groupem<strong>en</strong>ts constituantune «habitation». Il n'y a, réellem<strong>en</strong>t, de villagesqu'aux chefs-lieux des communes, où lesnécessités administratives ont fini par créer unbourg, habité par une petite colonie de soldatset de fonctionnaires. D'ailleurs, les bourgshaïti<strong>en</strong>s se sont le plus souv<strong>en</strong>t établis surl'emplacem<strong>en</strong>t même des anci<strong>en</strong>s bourgs français,où quelques boutiquiers et artisans segroupai<strong>en</strong>t autour de l'église paroissiale : lesesclaves du voisinage y v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ir, chaquedimanche, un petit marché de leurs d<strong>en</strong>réespropres, sous la surveillance de deux archersde la maréchaussée.Furcy serait la déformation du nom d'un planteur,M. Lefébure de Fourcy, qui dét<strong>en</strong>ait naguère


120 EN HAÏTIl'habitation. C'est aujourd'hui la réunion d'unevingtaine de cases éparpillées sur le sol rougeâtredes Montagnes Noires, le long d'unearête aiguë, <strong>en</strong>tre les creux profonds, où seform<strong>en</strong>t la Rivière de la Gorge et celle du Boucan-Drisse,afflu<strong>en</strong>ts de la Grande Rivière deLéogane. Furcy est à 1.530 mètres d'altitude.La vue y est merveilleuse, vers l'ouest, sur toutl'<strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>t de montagnes <strong>en</strong>tre Port-au-Prince et Jacmel ; mais le ciel, généralem<strong>en</strong>tdégagé le matin, se couvre dans l'après-midi,et les brouillards <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t les crêtes. Le climatest excell<strong>en</strong>t. La chaleur et le soleil sontles deux <strong>en</strong>nemis du créole ; ils lui font rechercherla fraîcheur et l'ombre des sources, quisont la poésie des pays tropicaux. Combi<strong>en</strong> préférableest une station sur la montagne, où l'onpeut s'installer et vivre, <strong>en</strong> jouissant d'une températures<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t plus basse que dans laplaine et sous un soleil r<strong>en</strong>du inoff<strong>en</strong>sif parl'élévation des mornes. Ces conditions heureuses,jointes à la proximité, font de Furcy le sanatoriumnaturel de Port-au-Prince.L'indol<strong>en</strong>ce haïti<strong>en</strong>ne ne s'est pas <strong>en</strong>core décidéeà y faire d'installation. Jusqu'ici, il n'existeque deux maisons, sises aux extrémités opposéesde l'habitation : l'une apparti<strong>en</strong>t à un négo-


FURCY 121ciant allemand; l'autre, à un de nos compatriotes,M. Edmond Miot. A côté de la chapelle,les Pères du Saint-Esprit, affectés aupetit séminaire de Port-au-Prince, ont fait éleverdeux modestes constructions, <strong>en</strong>tourées dedaturas aux larges fleurs blanches, pour fournirun abri à ceux d'<strong>en</strong>tre eux qui, p<strong>en</strong>dant l'été,aurai<strong>en</strong>t besoin d'un changem<strong>en</strong>t d'air. Ce sontles Pères qui m'ont donné l'hospitalité.La chapelle dép<strong>en</strong>d de la paroisse de Pétionville : de temps à autre, un des vicaires, <strong>en</strong>tournée dans les mornes, vi<strong>en</strong>t célébrer l'office,faire les baptêmes et les mariages. Le hasardm'avait déjà am<strong>en</strong>é à Furcy, un 15 août, jour dela fête de l'Assomption; plusieurs prêtres s'ytrouvai<strong>en</strong>t réunis, et la messe fut dite avec sol<strong>en</strong>nité,devant une nombreuse assistance, accouruede tous les points de la montagne. La chapelleétait remplie de négresses fort bi<strong>en</strong> mises ;les hommes demeurai<strong>en</strong>t au dehors, exposés ausoleil. Un sermon de circonstance fut prêché,moitié <strong>en</strong> créole, moitié <strong>en</strong> français ; il parutfaire grande impression sur la communauténoire, qui, aux adjurations du prédicateur, necessait de s'écrier: « Oui, Pè ! non, Pèl »,sur un ton de réelle sincérité. Aujourd'hui, lachapelle est moins fréqu<strong>en</strong>tée ; il n'y a plus


122 EN HAÏTIaucun prêtre à Furcy et la prière du dimancheest lue par le « maître de la chapelle ». Ce fonctionnaireecclésiastique est choisi par le curéparmi les g<strong>en</strong>s les plus pieux ou les plus considérésde l'<strong>en</strong>droit; il est chargé de surveillerles paroissi<strong>en</strong>s, de leur faire le catéchisme, de lesdiriger dans de pieux exercices et de signaler,le cas échéant, les incid<strong>en</strong>ts qui survi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>tdans leur vie spirituelle. Le peuple reconnaîtson autorité, le rétribue volontiers pour desprières dites à une int<strong>en</strong>tion déterminée et vi<strong>en</strong>tchaque dimanche dans la chapelle chanter descantiques sous sa direction.M. Ulysse, le maître de la chapelle de Furcy,est un vieillard nourri dans les vieilles traditionsde l'île : il se sert <strong>en</strong>core d'un paroissi<strong>en</strong> dudix-huitième siècle, à lui transmis par ses prédécesseurs.Si bi<strong>en</strong>, qu'<strong>en</strong> lisant l'office dominical,il ne manque jamais de réciter laprière pour « S. M. le Roi, S. M. la Reine etMgr le Dauphin », et les fidèles du lieu continu<strong>en</strong>timperturbablem<strong>en</strong>t à prier pour ces augustespersonnages, auxquels il n'y a plus beaucoupde g<strong>en</strong>s à s'intéresser <strong>en</strong> ce bas monde.Personne n'a pu me dire bi<strong>en</strong> exactem<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>om de famille de M. Ulysse ; car les g<strong>en</strong>s de lacampagne ne paraiss<strong>en</strong>t pas s'inquiéter outre


FURCY 123mesure d'un semblable qualificatif. Dans chaquehabitation, ils se sont tellem<strong>en</strong>t mariés <strong>en</strong>treeux qu'ils se trait<strong>en</strong>t tous à bon droit de cousinset de cousines, <strong>en</strong> ne se désignant que parleurs noms de baptême. Par ailleurs, la fantaisiepopulaire ou leur propre inclination leur aattribué un « nom-jouet », emprunté à quelquehomme illustre de l'antiquité, plus rarem<strong>en</strong>tdes temps modernes ; c'est alors sous ce nomglorieux qu'ils sont généralem<strong>en</strong>t connus. Jadis,pour distinguer leurs esclaves, et un règlem<strong>en</strong>tde 1773 ayant interdit aux g<strong>en</strong>s de couleur depr<strong>en</strong>dre les noms des blancs, les propriétairesleur avai<strong>en</strong>t imposé des noms de mois, de joursde la semaine, de lieux, de saints, ou mêm<strong>en</strong>oms communém<strong>en</strong>t répandus <strong>en</strong> France. Onleur avait ainsi créé un comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t d'étatcivil. Mais l'indiffér<strong>en</strong>ce générale a fait tomberbon nombre de ces noms <strong>en</strong> désuétude, et lesofficiers de l'état civil haïti<strong>en</strong>s ont maint<strong>en</strong>antgrand'peine à restituer les noms de famille,oubliés chez les habitants des mornes.Plus grande ou plus petite, l'installation desg<strong>en</strong>s de la montagne se retrouve partout la même.La famille vit dans une case, au milieu d'une cour<strong>en</strong> terre battue, où s'ébatt<strong>en</strong>t poulets, chèvreset cochons; dans un coin de la cour, une autre


124 EN HAÏTIcase, plus petite, est destinée à la cuisine. Presquetoujours, la case d'habitation est faite demurs <strong>en</strong> terre, blanchis à la chaux et recouvertedes herbes ou des feuilles desséchées, les pluscommunes dans la région; la case-cuisine, aucontraire, est simplem<strong>en</strong>t fermée par des lattesde bois <strong>en</strong>trelacées, laissant pénétrer l'air et sortirla fumée. L'âtre est formé de pierres juxtaposées,sur lesquelles on place les chaudrons,après avoir allumé un feu de bois-chandelle. Lemobilier de la case d'habitation est modeste:derrière une cloison, un lit pour le ménage, desnattes qui se dérouleront le soir pour les <strong>en</strong>fantsou les hôtes, une malle où se rang<strong>en</strong>t les effets,une table, des chaises; le plus souv<strong>en</strong>t quelquesassiettes et quelques couverts, des verres etdes tasses, parfois même un peu de linge, desimages de piété sur les murs ; une machine àcoudre n'est point chose rare. Je connais desrecoins de l'Europe, où des paysans blancs,sujets de grandes puissances, ont des intérieursmoins heureux. Les nègres des mornes haïti<strong>en</strong>speuv<strong>en</strong>t être <strong>en</strong>viés par ceux de leur couleur,qui, dans les îles voisines, occup<strong>en</strong>t des taudis,faits de débris de bidons à pétrole et de caissesd'emballage.Un jardin circulaire <strong>en</strong>toure la cour ; c'est


FURCY 125un épais fourré, qui protège contre le v<strong>en</strong>t etgarantit l'intimité de la famille; il r<strong>en</strong>fermeles plantes nécessaires à la vie journalière :caféiers, bananiers, ricins, plusieurs pieds decannes à sucre. Au delà s'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les cultures :maïs, ignames, patates et manioc; quelquesarbres fruitiers isolés, manguiers, orangers etavocatiers. Ces produits limités suffis<strong>en</strong>t auxhabitudes frugales de la population. Levésavec le jour, les nègres pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aussitôt unetasse de café et déjeun<strong>en</strong>t d'un épi de maïsgrillé au feu ou d'un morceau de pain de manioc ;dès lors, ils ne mangeront plus avant le coucherdu soleil. Vers le soir, la fumée s'échappe detoutes les cases-cuisine, où se prépare le repas;la ménagère a mis à bouillir des bananes, despatates ou des ignames. Peu à peu la famille,peut-être aussi quelques voisins, se réuniss<strong>en</strong>tautour de l'âtre, accroupis ou assis, dans l'atmosphèrechaude et <strong>en</strong>fumée qui brûle les yeux.Le feu du foyer éclaire la pièce, parfois unemèche allumée dans une lampe à huile de ricin.Et la veillée se poursuit fort avant dans la nuit,<strong>en</strong> devisant des nouvelles du jour ou des contesd'autrefois.La journée <strong>en</strong>tière s'est écoulée dans un douxnonchaloir : la terre est féconde <strong>en</strong> Haïti, les


126 EN HAÏTIchampsy exig<strong>en</strong>t peu de travail; la sem<strong>en</strong>cegerme après un grattage rapide du sol, et lamoisson vi<strong>en</strong>t d'elle-même. De temps à autre,les femmes desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t du morne porter aumarché prochain le superflu de fruits, légumesou café, recueilli sur le petit domaine.L'arg<strong>en</strong>t, ainsi gagné, paiera les cotonnadesbleues des vêtem<strong>en</strong>ts, les ornem<strong>en</strong>ts féminins,foulards et boucles d'oreilles, <strong>en</strong>fin les objetsd'alim<strong>en</strong>tation, importés des Etats-Unis, et auxquelsles nègres ont pris goût0, — morue, har<strong>en</strong>gssaurs, mantègue1et petitsalé. Toutefois, laprime sur l'or est dev<strong>en</strong>ue si forte que ce sontlà maint<strong>en</strong>ant articles de luxe, dont les g<strong>en</strong>s dela montagne doiv<strong>en</strong>t à peu près faire leur deuil.A côté de la chapelle, réside M. Font<strong>en</strong>or, undes cultivateurs les plus aisés de Furcy, auquelles Pères ont confié la garde de leur établissem<strong>en</strong>t.Ce fut Mme Font<strong>en</strong>or elle-même qui meprépara les « gros bouillons de poule », nourritureobligée de tout voyageur dans les campagneshaïti<strong>en</strong>nes. Legros bouillon de pouleest un vulgaire pot au feu, fait avec un pouletque l'on partage <strong>en</strong> morceaux, après l'avoirfrotté de citron, saupoudré de sel et de poivre;(1) Mantègue, saindoux; de l'espagnol manteca, graisse,beurre, saindoux.


FURCY 127on y ajoute des bananes et des ignames, avecun peu de jus d'oranges amères. De tout cela,au bout d'une heure et demie ou deux heuresde cuisson, résulte un excell<strong>en</strong>t bouillon,trèsnoir, épais et nourrissant, qui fournit un repascomplet de soupe, de viande et delégumesLes Font<strong>en</strong>or ont un fils aîné, François,grand garçon de dix-neuf ans ; il est fiancé avecune petite demoiselle, nomméeMarie, qui <strong>en</strong>a quinze, fille d'un cultivateur établi dans unehabitation voisine, l'habitation Fragnon. Auprintemps de l'an passé, les jeunes g<strong>en</strong>s se sontconnus à un « service » Vaudoux ; ils se sont pluet les par<strong>en</strong>ts pressés ont conclu l'accord. Généralem<strong>en</strong>tcélébrés p<strong>en</strong>dant les mois d'hiver, lorsdu chômagedes travaux agricoles, les « services» constitu<strong>en</strong>t les grandes réunions des campagneshaïti<strong>en</strong>nes ; ces fêtes sont propices à lar<strong>en</strong>contre des amoureux. En att<strong>en</strong>dant son mariage,François Font<strong>en</strong>or continue à y joindresa promise ; il lui r<strong>en</strong>d aussi visite dans le jardin1. La poule, mise à bouillir avec un certain nombre delégumes locaux, est le plat fondam<strong>en</strong>tal des pays tropicaux.On l'appelle, à la Côte Ferme et dans les îles espagnoles, leSancocho de gallina. L'ajiaco cubain est une soupe plusCompliquée, qui peut être faite indifféremm<strong>en</strong>t avec du poulet,de la viande de bœuf ou de porc, de l'igname, des bananes,du manioc, du giraumont et du maïs.


128 EN HAÏTIde son futur beau-père. Car le mariage nesaurait avoir lieu avant l'achèvem<strong>en</strong>t de l'installationconjugale. Conformém<strong>en</strong>t à l'usage,le père Font<strong>en</strong>or abandonne à son fils un morceaude terrain, sis à l'extrémité de son propredomaine. La case-cuisine est déjà achevée; lacharp<strong>en</strong>te de la case d'habitation posée, le toitrecouvert de chaume; il ne reste plus qu'àédifier les murs ; dans le jardin, bananiers etricins ont déjà poussé à bonne hauteur. Françoiscalcule, qu'au mois de janvier prochain, il sera<strong>en</strong> mesure d'introduire l'épouse au nouveaufoyer créé par lui. Une fois marié, il compteprocéder à l'aménagem<strong>en</strong>t de la portion de terre,que sa future lui apporte <strong>en</strong> dot.Le jeune couple ira à la chapelle se faireunir par un prêtre <strong>en</strong> légitime mariage. Naguère,on se mariait peu dans ce coin des mornes;chacun s'y « plaçait » avec sa chacune ; et leshabitants, qui possédai<strong>en</strong>t plusieurs propriétés,<strong>en</strong> profitai<strong>en</strong>t pour se constituer autant de ménagesdistincts. Des mœurs aussi répréh<strong>en</strong>siblest<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t à disparaître de la paroisse de Pétionville.Du moins, les Pères veul<strong>en</strong>t-ils croireque la jeunesse met désormais à se marier unevolonté meilleure ; quand une fille vi<strong>en</strong>t à avoirun <strong>en</strong>fant, certaines familles comm<strong>en</strong>cerai<strong>en</strong>t


FEMMES DESCENDANT AU MARCHÉ, SUR LA ROUTEDE PÉTIONV1LLE A FURCYAUBIN. En Haïti.LE '• MAITKE DE LA CHAPELLE " DE FURCYM' ULYSSEPL. XIV


FURCY 129à vigoureusem<strong>en</strong>t interv<strong>en</strong>ir pour contraindrele coupable au mariage.François Font<strong>en</strong>or porte le costume habituelaux cultivateurs de la montagne : un pantalonrelevé sur les pieds nus, une blouse de cotonnadebleue, un foulard noué sur la tête et, pardessus,un grand chapeau de paille, avec deuxminces rubans, l'un bleu, l'autre rouge, auxcouleurs haïti<strong>en</strong>nes. Au côté, dans un étui decuir, la manchette, accompagnée d'un petit couteau;sur l'épaule, une alfor l , c'est-à-dire unesacoche carrée <strong>en</strong> fibre de latanier. Aux poignets,la superstition populaire lui a mis deux braceletsde cuir, destinés à le préserver des refroidissem<strong>en</strong>ts.L'habitation Furcy ne r<strong>en</strong>ferme pas plus d'unec<strong>en</strong>taine d'âmes ; les g<strong>en</strong>s y sont tous appar<strong>en</strong>tés<strong>en</strong>tre eux. Ce sont cultivateurs, plus oumoins propriétaires de leurs domaines. Quelques-unspossèd<strong>en</strong>t des titres réels de propriété,les asc<strong>en</strong>dants ayant reçu la terre <strong>en</strong> don del'Etat, après l'Indép<strong>en</strong>dance ; d'autres sont installéssur des parcelles v<strong>en</strong>dues ou afferméesconformém<strong>en</strong>t à une loi de 1877, qui règlel'appropriation des terrains domaniaux, par1. Alfor, de l'espagnol alforja, sac, sacoche, besace.EN HAÏTI. 9


130 EN HAÏTIv<strong>en</strong>tes ou baux de neuf années ; mais ilss'absti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t scrupuleusem<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong> payer laredevance ; la plupart se sont établis <strong>en</strong> vertude simples tolérances, que le temps finira partransformer <strong>en</strong> droits. Mais il va sans dire queles uns et les autres se considèr<strong>en</strong>t commemaîtres chez eux ; et l'irrégularité de leursituation ne les préoccupe guère.Cases et jardins se succèd<strong>en</strong>t le long del'arête montagneuse occupée par l'habitation;d'étroits s<strong>en</strong>tiers les réuniss<strong>en</strong>t au travers deschamps de maïs, où la récolte des épis sefait à la fin d'octobre. A l'extrémité se trouve lecimetière; au milieu, la chapelle. Dans un vallonvoisin, deux sources, <strong>en</strong>tourées de verdure,fourniss<strong>en</strong>t l'eau nécessaire : <strong>en</strong> bas, la sourceFragnon; <strong>en</strong> haut, la source Sourçailles. Matinet soir, les filles y vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t remplir leurs calebassespour les besoins du ménage; l'eau, <strong>en</strong>pénétrant par l'étroit orifice, forme un petit remousà la surface de la source. Un soir, à lasource Sourçailles, j'ai fait connaissance deMlle Avrillette Jeudi; c'est une jeune négressede quatorze ans, pleine de pudeur et de timidité;malgré sa g<strong>en</strong>tillesse, elle n'a point <strong>en</strong>corede prét<strong>en</strong>du. Elle avait déjà replacé sacalebasse sur la tête et retournait tranquille-


FURCY 131m<strong>en</strong>t au logis maternel. Elle y vit dans la craintedu Seigneur avec sa mère, Mme Marie-Louise,qui est veuve, et sa sœur aînée, Mlle Zulle. Lesdeux femmes avai<strong>en</strong>t mis sur le feu le chaudronrempli de bananes et n'att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t plus quel'eau puisée à la source pour préparer le repasdu soir.En dehors du maître de la chapelle et desnotables cultivateurs, Furcy conti<strong>en</strong>t deux autorités:le maréchal et le papaloi. On a vu qu'ilexistait,dans chaque section rurale,quatre gardeschampêtres, qui sont les principaux auxiliairesdu chef, <strong>en</strong> vue d'assurer la police; le premierd'<strong>en</strong>tre eux a grade de maréchal des logis. Or,Furcy apparti<strong>en</strong>t à la section Sourçailles, de lacommune de Pétionville ; le chef de la sectionréside actuellem<strong>en</strong>t à K<strong>en</strong>scofF, et Furcy a labonne fortune de posséder le « maréchal » <strong>en</strong>la personne d'un de ses « grands habitants »,M. Alté Bi<strong>en</strong>aimé.Quant au papaloi, M. Belleville-Millet, il habiteà faible distance du village, à l'<strong>en</strong>trée del'habitation Fragnon. C'est le sorcier le plusapprécié de la région. Il possède deux résid<strong>en</strong>ceset, dans chacune, une famille distincte.Quelquefois, il s'installe au haut de la montagne,dans sa propriété de Furcy, où il <strong>en</strong>tre-


132 EN HAÏTIti<strong>en</strong>t une femme et quatre <strong>en</strong>fants : mais on ditque ses préfér<strong>en</strong>ces le ramèn<strong>en</strong>t plus longtempsauprès de son autre femme et de ses trois<strong>en</strong>fants, qui viv<strong>en</strong>t au fond de la vallée, surl'habitation Fournier.J'eus la bonne fortune de r<strong>en</strong>contrer ce personnageà son logis d'exception. Je le trouvaidans sa cour, au milieu de l'une de ses familles,frappant à coups de hache sur un tronc de pin,pour <strong>en</strong> faire du bois-chandelle. Un grandnègre, d'âge mûr, très maigre, l'air un peuchétif, avec une mince moustache et une barberare au m<strong>en</strong>ton. Sa demeure témoigne d'unecertaine aisance et se compose des cases coutumières,mais sans le mobilier compliqué deshoumforts de la plaine.En quittant la cour du papaloi, je croisai surle s<strong>en</strong>tier la fille aînée de son ménage d'<strong>en</strong>haut, qui rapportait des patates pour le dînerdu soir. Il paraît que Mlle Philomène a étudiéles rites sous la direction paternelle et sasci<strong>en</strong>ce a sans doute découragé les épouseurs;car, malgré le charme de ses vingt années, elleatt<strong>en</strong>d <strong>en</strong>core un fiancé. Elle portait au doigtune série d'anneaux de cuivre et, au cou, cinqcolliers de verroteries multicolores, <strong>en</strong>tremêlésd'amulettes ; parmi celles-ci, figurait une mé-


FURCY 133daille de saint François d'Assise et un sachetrouge, où était cousu un petit crucifix.La section Sourçailles occupe les p<strong>en</strong>tes desMontagnes Noires ; de l'autre côté de la vallée,celles du Morne la Selle apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à la sectionde la Nouvelle-Touraine 1 , relevant égalem<strong>en</strong>tde la commune de Pétionville. Il fauttrois bonnes heures pour atteindre la chapellede Faure, qui dessert la section. Après avoirquitté Furcy par le seul chemin qui y donneaccès, on trouve un s<strong>en</strong>tier, au carrefour Bourettes,pour suivre la crête formant ligne departage <strong>en</strong>tre les deux Grandes Rivières de larégion. Cette crête se relève jusqu'à 1.650 mètres,au pic de Brouet ; elle suit une arête trèsaiguë, dont le chemin doit emprunter les aspérités,au bord de ravins, qui tomb<strong>en</strong>t à pic,tantôt vers le Trou-Coucou, tantôt vers l'autrevallée. Sur de semblables escarpem<strong>en</strong>ts, il n'ya guère de place pour la vie humaine ; les habitationsBourettes et Brouet compt<strong>en</strong>t à peinequelques cases. A mesure que l'on s'élève, la1. Vers la fin de l'époque coloniale, le canton de la Nouvelle-Touraine,dans la paroisse de Port-au-Prince, fut ainsinommé par l'arp<strong>en</strong>teur, à cause de M. de Lamardelle, procureurgénéral du Conseil supérieur de Saint-Domingue, etautrefois procureur du roi au présidial de Tours, qui yavait obt<strong>en</strong>u beaucoup de terrain.


134 EN HAÏTIvue plonge davantage dans le fond verdoyantdes vallées et découvre un panoramade montagnes, qui s'élargit constamm<strong>en</strong>t versl'est. Par une échancrure des mornes, apparaiss<strong>en</strong>tla plaine de Léogane, la mer et l'île dela Gonave. Le chemin court sous les pins; lepic de Brouet est délicieusem<strong>en</strong>t fleuri ; c'estune végétation continue de fuchsias et de bégonias,avec une infinie variété de fleurs, defougères, de pariétaires et de mousses, formantle revêtem<strong>en</strong>t des rochers. Peu de passantsdans ces solitudes. Nous faisons la majeurepartie de la route avec une négresse trèssociable, Mme Nicole, dont le mari, M. DestinéSaint-Hilaire, réside dans la Nouvelle-Touraine,sur l'habitation Godineau ; elle revi<strong>en</strong>t à chevalde Pétionville, où elle a v<strong>en</strong>du sa cueillettede café ; pour distraire la longueur du voyage,elle fume une petite pipe <strong>en</strong> terre, à court tuyau.Elle nous quitte plus bas, au carrefour qui laramènera chez elle, <strong>en</strong> multipliant les formulesd'adieu.Une fois contourné le pic de Brouet, secreuse la vallée d'un nouvel afflu<strong>en</strong>t de laGrande Rivière de Léogane, la Rivière du Petit-Boucan. Ici comm<strong>en</strong>ce la Nouvelle-Touraine,et, de l'autre côté, à mi-hauteur, sur un étroit


FURCY 135plateau, on aperçoit le toit <strong>en</strong> tôle de la chapellede Faure. La desc<strong>en</strong>te est très dure,d'abord au milieu des pins, où une verdureépaisse d'arbrisseaux et de lianes marque lessources. Les torr<strong>en</strong>ts tomb<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cascatellesle long des p<strong>en</strong>tes rapides. Puis la forêt cesseet les habitations se succèd<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> remontantla rive droite du ravin : Fournier, Badiot,Toussaint, Godineau, Bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>u. Malgré l'extrêmedéclivité du sol, les cultures ont partout<strong>en</strong>vahi le terrain utilisable, et de grandsfeux, allumés dans toutes les directions afinde faire des « bois neufs », témoign<strong>en</strong>t del'activité des défrichem<strong>en</strong>ts. Ce ne sont quechamps de maïs, giraumonts, patates, pistacheset pois Congo ; les creux form<strong>en</strong>t unecaféière ininterrompue. Au passage de la rivière,nous avions desc<strong>en</strong>du près de 600 mètres ;celle-ci vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cascades des hauteurs duMorne la Selle, dont on aperçoit le sommet autravers d'une gorge boisée. Une demi-heure <strong>en</strong>core,pour atteindre Faure. Isolée de toute habitation,la chapelle n'a d'autre voisin que sonsacristain, M. Destamas Jean-Louis ; une cloche,fixée dans un manguier, appelle à la prièreles habitants de la vallée.


CHAPITREVDE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANGSAUMATRELe bourg de la Croix-des-Bouquets ; ses origines coloniales.— Les inondations.— Combats de coq.— L'élevage : poulessavaneet poules-qualité. — La saison, l'<strong>en</strong>traînem<strong>en</strong>t, lesgagaires, les paris. — Les marchés de la plaine du Cul-desac:Pont-Beudet ; Thomazeau.— L'Étang Saumâtre. — Laroute du Mirebalais. — L'organisation du quartier sous lacolonie. — La borne-frontière n° 193.— Aux Grands-Bois.— Cornillon; une « manufacture à café ». — Un chef-lieude commune dans les mornes ; soldats et fonctionnaireshaïti<strong>en</strong>s. — Le tour de l'Étang.— De Thomazeau à Ganthier;ruines d'indigoterie. — Fond-Parisi<strong>en</strong>. — L'industrie dulatanier. — A la frontière dominicaine; le poste d'Imani ;la douane de Tierra-Nueva.Trois lieues de Port-au-Prince à la Croix-des-Bouquets; on compte toujours, <strong>en</strong> Haïti, par nosvieilles lieues de 2.000 toises. C'est la grand'route, plate et monotone, traversant toute laplaine du Cul-de-Sac; un autre chemin pr<strong>en</strong>d


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 137les bois de Saint-Martin, sur les derniers contrefortsde la montagne, desc<strong>en</strong>d le morne Prédailler,au-dessus de Fleuriau, et coupe par leschamps de cannes de la Petite Plaine. Il y a,de ce côté, une constante circulation de femmesà cheval ou à âne, qui, des diverses habitations,apport<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ville leurs charges de lait, delégumes, de charbon et d'herbes de Guinée.Les samedis, jours de marché, la populationféminine de la plaine se précipite <strong>en</strong> rangsserrés pour l'afflux du matin et le reflux dusoir...Au delà de la Grande Rivière comm<strong>en</strong>ce le-bourg. L'automne passé a vu se reproduire unde ces cataclysmes, qu'inflige périodiquem<strong>en</strong>t àchaque génération la fantaisie des cours d'eautropicaux. L'hivernage avait été très pluvieux;et d'imm<strong>en</strong>ses masses d'eau s'étai<strong>en</strong>t accumuléesdans le Trou-Coucou; la nuit du 7 octobre1905, elles forcèr<strong>en</strong>t le barrage naturel créé parles mornes, se précipitant sur la plaine. La premièrevague balaya, le long de la rivière, lescases, les habitants et le bétail ; puis l'inondations'ét<strong>en</strong>dit partout, et, trois mois après, les eauxn'étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core complètem<strong>en</strong>t écoulées...Une ligne de boue marquait sur les maisons lalimite extrême atteinte par le fléau. La rivière


138 EN HAÏTIs'était créé un nouveau lit, découpant des îlotsinconnus et dévastant les champs voisins parl'apport de ses galets.La Croix-des-Bouquets dut son origine à unsemblable désastre. Naguère, le Vieux-Bourgdu Cul-de-Sac, situé plus bas sur la rivière, àpeu près à l'<strong>en</strong>droit où se trouve aujourd'hui laCroix-des-Missions, était le chef-lieu du quartieret le c<strong>en</strong>tre des habitations de la plaine. Ildevint paroisse <strong>en</strong> 1693, et les Dominicains yretrouvèr<strong>en</strong>t leurs ouailles émigrées de Saint-Christophe et de Sainte-Croix. A l'embouchure,un fort protégeait l'embarcadère du Fossé, sur larade de Port-au-Prince, alors déserte, qui servaitde refuge à la navigation. En 1743, le gouvernem<strong>en</strong>tdécida la construction d'une capitale àPort-au-Prince, ce qui <strong>en</strong>traînait, avec la déchéancedéfinitive de Léogane et du Petit-Goave, la disparition du Vieux-Bourg. Lesintéressés résistai<strong>en</strong>t, les administrateurs deSaint-Domingue hésitai<strong>en</strong>t; la guerre de laSuccession d'Autriche, dont le contre-coup sefaisait s<strong>en</strong>tir jusqu'aux Antilles, justifiait tousles retards. Un débordem<strong>en</strong>t de la GrandeRivière régla la question. Le Vieux-Bourg futemporté <strong>en</strong> 1745, et, d'elle-même, la populationse transporta dans la nouvelle ville.


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 139Mais la plaine avait perdu son c<strong>en</strong>tre primitifet désirait le rétablir. On fit choix d'un emplacem<strong>en</strong>tmoins exposé, à la savane d'Oublon(on dit maint<strong>en</strong>ant savane Blonde) ; et le terraindu village à créer fut spontaném<strong>en</strong>t offert parles habitations limitrophes, Santo, Noailles,Bellanton et d'Argout. Il y existait une grandecroix; et, comme les Espagnols, v<strong>en</strong>us de la« partie de l'Est », avai<strong>en</strong>t pris coutume, <strong>en</strong>passant, d'y déposer des fleurs, l'<strong>en</strong>droit reçutle nom de la Croix-des-Bouquets. L'église,construite, à la suite d'un vœu, par un richehabitant, M. Aubry, fut ouverte <strong>en</strong> 1766. Cep<strong>en</strong>dant,la jalousie de la nouvelle capitale se fits<strong>en</strong>tir dès l'établissem<strong>en</strong>t de la Croix-des-Bouquets; on prét<strong>en</strong>dit la réduire à l'état desimple paroisse, affectée aux besoins religieuxde la plaine et dép<strong>en</strong>dant, pour tout le reste,de Port-au-Prince. L'ordonnance de 1749,qui la fonda, n'y toléra « qu'un chirurgi<strong>en</strong>,un machoquet, un charron, un sellier, uncabaretier-boulanger, et un étal que fournirai<strong>en</strong>tles fermiers des boucheries ». Or, c'était la seuleagglomération de la plaine ; elle <strong>en</strong> devint, parla force des choses, le marché général, et lesg<strong>en</strong>s de la ville y vinr<strong>en</strong>t même bâtir des maisonsde campagne.


140 EN HAÏTIAux débuts de la révolution, la Croix-des-Bouquets se trouva jouer un rôle assez important,comme quartier général des planteurs,qui cherchai<strong>en</strong>t à cont<strong>en</strong>ir les nègres, <strong>en</strong> s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dantou, comme on disait alors, <strong>en</strong> se confédérantavec les mulâtres; tandis que la masseblanche de Port-au-Prince, plus avancée d'idées,s'efforçait à exciter les nègres contre les aristocratesde la campagne. Le maire, M. de Jumecourt,chevalier de Saint-Louis, anci<strong>en</strong> capitained'artillerie, sut manoeuvrer au milieu de cest<strong>en</strong>dances contraires et réussit, pour quelquetemps du moins, à assurer l'exécution d'unarrangem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre blancs et mulâtres, quigarantissait la tranquillité du Cul-de-Sac.Le régime haïti<strong>en</strong> a marqué la décad<strong>en</strong>ce dela Croix-des-Bouquets. D'autres villages se sontcréés dans la plaine ; le chemin de fer a attiréle mouvem<strong>en</strong>t des affaires vers la capitale; lesmarchés se sont déplacés. Toutefois, commechef-lieu d'une grande commune, le bourgreste un c<strong>en</strong>tre administratif d'autant plus importantqu'il couvre, <strong>en</strong> cas de révolution, l'unedes <strong>en</strong>trées de Port-au-Prince. Le commandantmilitaire, chargé de cette mission de confiance,est un riche propriétaire du voisinage, le généralDorsay Falaise ; il vit au bureau de place, sur


142 EN HAÏTIpierres de taille, est restée à peu près intacte.A côté, se trouve le cimetière, où repose unprêtre av<strong>en</strong>tureux, le P. Biscade, qui fut curéde la Croix-des-Bouquets, se mêla aux agitationsrévolutionnaires et mourut fusillé <strong>en</strong> 1869.Au-devant, l'église : c'est <strong>en</strong>core celle de lacolonie, un bâtim<strong>en</strong>t bas, <strong>en</strong> forme de halle, recouvertd'un toit de tuiles et surmonté d'unclocheton. Le bourg se compose de largesvoies, coupées à angles droits, où se perd<strong>en</strong>tdes maisons espacées ; il n'est plus habité quepar les cultivateurs du voisinage ou les cabrouettiers,qui font les transports de la plaine;<strong>en</strong> tout 2 ou 300 âmes. Trois prêtres desserv<strong>en</strong>tla paroisse; trois religieuses de Saint-Joseph de Cluny, dont deux Alsaci<strong>en</strong>nes deRibeauvillé, ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l'école des filles, avec110 élèves.La Croix-des-Bouquets est le c<strong>en</strong>tre des combatsde coqs, qui constitu<strong>en</strong>t le divertissem<strong>en</strong>tnational. Les gagaires réputées fourmill<strong>en</strong>t aux<strong>en</strong>virons du bourg. On y accourt de la ville,de toute la plaine et même des extrémités dupays.La race des coqs de combat, importée de lapartie espagnole, existait déjà à l'époque coloniale.Avec le temps, elle a pénétré dans toutes


DE LA. CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 143les cours, et il n'est point d'habitant qui, parmisa volaille, ne compte des poulé-savannepoulé-qualité.et desLes premières sont les poulesordinaires; les secondes, les bêtes de combat.On reconnaît celles-ci à la dim<strong>en</strong>sion des ongles,à la forme du croupion et à la longueur despointes z'ailes.Les nègres, qui n'élèv<strong>en</strong>t pas,ne se préoccup<strong>en</strong>t point de la distinction ettolèr<strong>en</strong>t la promiscuité de leuf basse-cour. Aucontraire, les éleveurs — moune qui faitmêiié— et ce sont presque tous les cultivateurs aisés,surtout <strong>en</strong> plaine — procèd<strong>en</strong>t à la sélectiondes poussins ; on les met à part, <strong>en</strong> les nourrissantau maïs, pour leur donner plus deforce.A un an, un petit éperon s'est déjà formé et lepoussin est dev<strong>en</strong>u unpoy l . Le mom<strong>en</strong>t est v<strong>en</strong>ude le toper 2 ,c'est-à-dire de l'éprouver par unelutte d'essai, permettant d'apprécier safinesseet sa force. L'éleveur constate alors s'il a affaireà un coq « de premier» ou «de second bec». Lespremiers ont le tal<strong>en</strong>t inné du combat ; ils fond<strong>en</strong>td'eux-mêmes sur l'adversaire et sav<strong>en</strong>tl'achever <strong>en</strong> trois ou quatre bouvardsou sauts.Les autres ont besoin d'éducation; il s'agit de1. Pog, de l'espagnol polio, poussin, poulet. Tous lestermes techniques, affér<strong>en</strong>ts aux combats de coq, sontempruntés à la langue espagnole.2. Toper — de l'espagnol topar — choquer, heurter.


144 EN HAÏTIleur <strong>en</strong>seigner certains coups, grâce auxquels ilspourront à la longue v<strong>en</strong>ir à bout de leur <strong>en</strong>nemi.A l'aide d'un coq ordinaire, on leur appr<strong>en</strong>dà faire des « tourniquets », puis, selonleurs facultés, des « coups d'<strong>en</strong> haut » (coupsde salière, de tête ou de gorge, portés à la partiesupérieure du corps) ou des « coups d'<strong>en</strong>bas » (portés à la partie inférieure, au cœur, àla cuisse ou sous l'aile).Les essais comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t le classem<strong>en</strong>t du coq ;les combats l'achèv<strong>en</strong>t. A deux ans, le pöy setransforme <strong>en</strong> gäy 1 , mûr pour la lutte. Lorsdu premier combat, au mom<strong>en</strong>t où le coqvi<strong>en</strong>t de donner son premier coup de bec,le propriétaire crie le nom, qui le distinguerapour toute sa carrière. Dès lors, p<strong>en</strong>dantdeux ou trois ans, il sera prom<strong>en</strong>é de gagaire<strong>en</strong> gagaire; la continuité de ses succès lui vaudrala royauté de la basse-cour, où l'éleveur leti<strong>en</strong>dra pour le maître-caloge. Après quoi, onle mettra nan poule pou fait plant, et le rested'une vie glorieuse sera consacré à la reproduction.Les coqs reçoiv<strong>en</strong>t des qualificatifs appropriés,des noms de lois ou de générauxconnus dans les révolutions de l'île; certains1. Gây, de l'espagnol gallo, coq.


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 145ont acquis une célébrité durable. On cite :Tambou-Maîte, qui gagna soixante-deux paris,sans éprouver de défaite, Faut qu'c'est malhè,Cimebi, Consul pangniol (Espagnol), et un coqillustre du Mirebalais Becqué-Zé (arrachez'yeux).La saison dure de novembre à juin ; elle comm<strong>en</strong>ceà la Toussaint, pour finira la Fête-Dieu.En fait, les premiers temps ne serv<strong>en</strong>t qu'aux essaisetauxclassem<strong>en</strong>ts ; on ne prés<strong>en</strong>te les grandscoqs que de Noël à la fin mars. Au début del'année, p<strong>en</strong>dant les quinze jours consacrés parles superstitions africaines au culte des forcesde la nature, c'est, sur tous les chemins, unechevauchée ininterrompue d'habitants, qui s'<strong>en</strong>vont, leurs coqs sous le bras, à la gagaire prochaine.Ces dates sont fixées par les nécessitésde l'<strong>en</strong>traînem<strong>en</strong>t, qui doit att<strong>en</strong>dre la récoltedu nouveau maïs. Le coq qui, tout l'été, s'estlibrem<strong>en</strong>t prom<strong>en</strong>é dans la cour, reste alors,p<strong>en</strong>dant deux mois, attaché à une corde ; la nourriturelui est calculée <strong>en</strong> vue de l'amaigrir;de temps à autre, il est jouqué, c'est-à-dire queses pattes sont fixées <strong>en</strong>tre des morceaux de bois,afin de rapprocher les éperons, — plus loin ouplus près selon qu'il est préparé pour les coupsd'<strong>en</strong> haut ou d'<strong>en</strong> bas. A la veille de la lutte,EN HAÏTI. 10


146 EN HAÏTIon lui fait les éperons et les ongles; pour l'ai,léger, on lui coupe les plumes de derrière, dedevant et d'<strong>en</strong> bas, de la queue et des ailes ; onle nourrit de viande crue et de pim<strong>en</strong>ts z'oéseaux;on lui donne à boire du madère et dutafia; on lui masse le cou, les pattes et le croupionavec des écorces d'acajou; pour durcir lapeau et la r<strong>en</strong>dre glissante à l'éperon <strong>en</strong>nemi,on lui « fait le cuir » avec du gingembre. Cet<strong>en</strong>traînem<strong>en</strong>t compliqué exige des connaissancesspéciales. Plusieurs grands éleveurs lespossèd<strong>en</strong>t : MM. Emmanuel Basquiat, le gérantde l'habitation Digneron, le général CaliskaGalice, chef de la première section des Petits-Bois, Auguste-Marie Jacques, le maître-gagairede la Croix-des-Bouquets. Autrem<strong>en</strong>t, il fautavoir recours à des professionnels qui, aprèsavoir préparé le coq, l'assisteront durant lecombat. Les bons cariadors étant rares et recherchés,leur métier est assez lucratif; les plusconnus de la plaine sont Ti François, de Dumée,Mémé Louis, de Pernier, et Nédy, du Corail-de-Frères.Les combats ont lieu dans une gagaire. Unrond de piquets, plantés <strong>en</strong> terre les uns contreles autres, marque l'arène, recouverte par unetonnelle ; elle peut avoir 3 ou 4 mètres de


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 147diamètre. Dans les mornes, où la passion descoqs est moins vive, il y a généralem<strong>en</strong>t unegagaire par section; dans la plaine, chaque habitationpossède la si<strong>en</strong>ne. Les gagaires sontinstallées librem<strong>en</strong>t, après avis donné à l'autorité; mais elles demeur<strong>en</strong>t sous le contrôledu chef de la section, qui, à la demande desintéressés, permet le combat et <strong>en</strong> déterminele jour. D'ordinaire, les combats ont lieu, danstoute la plaine du Cul-de-Sac, les samedis etles dimanches; les lundis, à la Croix-des-Bouquets.La réunion comm<strong>en</strong>ce aux premièresheures de l'après-midi et dure jusqu'au soir. Lecarré est formé ; les coqs sont mis à terre etprés<strong>en</strong>tés les uns aux autres, pour être acceptésou refusés, selon leur taille ou leur poids; lesparis se conclu<strong>en</strong>t. Chaque coq ou groupe decoqs est appuyé par une « colonne », qui s'estformée sur une ou plusieurs habitations : parfoisdes habitations ou même des régim<strong>en</strong>ts,disposant de bons coqs, les amèn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> cage defort loin, du Mirebalais et des Hauts-Plateaux.Puis les assistants procèd<strong>en</strong>t à la désignationdes deux juges, généralem<strong>en</strong>t spécialistes, etchargés de dét<strong>en</strong>ir l'arg<strong>en</strong>t des paris ; ceux-cis'élèv<strong>en</strong>t de 20 à 1.000, ou même 2.000 gourdes.Une bonne journée comporte au moins une


148 EN HAÏTIdizaine de combats ; mais il peut arriver qu'il n'y<strong>en</strong> ait que la moitié. Quelques coqs célèbres sesont battus à plusieurs reprises le même jour ; <strong>en</strong>leur temps, Tambou-Maîte et Becqué-Zè ontpris part à trois luttes successives. Seul, lepropriétaire, ou, à son défaut, le cariador,est admis à pénétrer dans l'arène avec son champion;il le carre, c'est-à-dire le place pour ledébut du combat et s'assure que l'adversair<strong>en</strong>'a point usé de procédés déf<strong>en</strong>dus, tels que<strong>en</strong>duire son coq de graisse de couleuvre ou de« malfini », destinée à incommoder l'autre aupremier coup de bec. Les coqs se batt<strong>en</strong>t jusqu'àce que le vaincu meure ou refuse le combat;dans ce dernier cas, il est disqualifié pourl'av<strong>en</strong>ir; parfois, le propriétaire « fait lever » uncoq qui a reçu un mauvais coup, afin de le conserverqualifié pour une nouvelle épreuve. Lalutte est souv<strong>en</strong>t fort longue, sans intérêt pourle commun des mortels ; les coups se succèd<strong>en</strong>t,languissants, sur les corps <strong>en</strong>sanglantés. C'estle mom<strong>en</strong>t où un bon cariador, le geste vif,la figure convulsée, sait exciter son coq, dontil répète constamm<strong>en</strong>t le nom. S'il est épuisé,abrogate, il lui donne du jus de canne pour1. Abrogat, de l'espagnol abrogado, supprimé, révoqué.


AU MARCHÉ DU P0NT-BEUDETAu MARCHÉ DU PONT-BEIDET. ETALAGE DES “ TOILERIES ”AUBIN. En Haïti. PL. XV


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 149le refaire, lui insuffle de l'air ou de l'eau ; <strong>en</strong>cas de besoin, il <strong>en</strong> décide la retraite.Le gain du propriétaire provi<strong>en</strong>t des paris,pour lesquels il a la priorité dans sa colonne ;de son côté, le maître-gagaire perçoit 25 c<strong>en</strong>timespar combat et par coq battu ; sa famillev<strong>en</strong>d à boire et à manger aux assistants et ti<strong>en</strong>tdes jeux de hasard (jeux d'osselets et « jeux ducommerce », — sorte de pharaon)— dans tous lescoins de la cour. Dans les principales gagaires,il y a presque toujours quelque Dominicain,offrant <strong>en</strong> v<strong>en</strong>te des coqs de la partie de l'Est ;ces coqs val<strong>en</strong>t jusqu'à 1.000 gourdes ; un grandéleveur peut <strong>en</strong> posséder une vingtaine.La gagaire la plus achalandée de la Croix-des-Bouquets apparti<strong>en</strong>t à M. Auguste-Marie Jacques.Elle est située, à l'<strong>en</strong>trée du bourg, sur la routequi conduit à la Grande Plaine, vers Baugé etO'Gorman ; lui-même réside un peu plus loin,à Cotard, dans une petite maison blanche, placéeau bord du chemin, à côté de sa guildive.Le marché du samedi à la Croix-des-Bouquetsa perdu toute importance. Depuis nombre d'aninées, la facilité des communications a fait transférerle c<strong>en</strong>tre des échanges à deux kilomètresplus au nord, au carrefour du Pont-Beudet 1 , où1. M. Beudet possédait une sucrerie sur cette habitation


150 EN HAÏTIconverg<strong>en</strong>t tous les chemins de la plaine. Il s'yti<strong>en</strong>t, chaque v<strong>en</strong>dredi, le plus grand marché dupays. C'est une vaste esplanade, ombragée derares bayaondes, <strong>en</strong>tourée de parcs à bétail et decours, qui se sont groupées, <strong>en</strong> vue d'hébergerles passants, au jour unique de l'activité hebdomadaire.La meilleure maison du petit village apparti<strong>en</strong>tà un vieux militaire, le général HosannéDéli<strong>en</strong>ne, qui fut aide de camp d'unprésid<strong>en</strong>t,commandant de place de la Croix-des-Bouquets,et qui, maint<strong>en</strong>ant aigri, déchu de ses honneurspassés, s'est retiré dans les modestes fonctionsd'arp<strong>en</strong>teur.Pont-Beudetest, avant tout, un marché debétail. Dès l'époque coloniale, les savanes de lapartie espagnole fournissai<strong>en</strong>t les quatre cinquièmesdes bœufs nécessaires à la consommationde la partie française. Lerapprochem<strong>en</strong>tdes deux Puissances, <strong>en</strong> vertu du Pacte de Famille,facilita ces transactions, constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>travéesjusqu'alors par la mauvaise volonté desautorités de Santo-Domingo. Un arrangem<strong>en</strong>t de1762 assura le transit m<strong>en</strong>suel de 800 bœufs, parLaxavon, Saint-Raphaël, Las Caobas ou Neyba.et une autre aux Petits-Bois, dans la même paroisse dela Croix-des-Bouquets. Elles valur<strong>en</strong>t une indemnité de216.370 francs à ses petits-fils, le vicomte de Lanzac et lemarquis de Sourdis,


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 151Quelques années plus tard, les fermiers françaisdes boucheries fur<strong>en</strong>t autorisés à v<strong>en</strong>ir acheterlibrem<strong>en</strong>t dans les hattes espagnoles. Moreau deSaint-Méry estimait l'importation annuelle à12.000 têtes, valant deux millions de livrestournois. A l'heure actuelle, les savanes deshauts plateaux de l'Artibonite, au nord du Mirebalais,apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à la partie française etfourniss<strong>en</strong>t la plus grande part du bétail haïti<strong>en</strong>.Mais l'offre ne suffit pas aux besoins d'Haïti,qui doit toujours <strong>en</strong> rechercher l'appoint dans lapartie espagnole. Le marché haïti<strong>en</strong> continuedonc à servir de débouché naturel aux savanes dominicainesdes hautes vallées de l'Artibonite etdu Yaqui du Sud, de Saint-Jean de la Maguanaet de Neyba. Chaque semaine, éleveurs, courtierset rev<strong>en</strong>deurs dominicains franchiss<strong>en</strong>tla frontière à la tête de leurs troupeaux, qu'ilsvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>ter à Maïssade, sur les Hauts-Plateaux, pour le Nord, et au Pont-Beudet, pourle Sud.Plusieurs c<strong>en</strong>taines de bœufs s'align<strong>en</strong>t, àl'extrémité du marché, sur la route du Morne-àCabrites. Les bouchers de Port-au-Prince et desdiverses villes de la presqu'île méridionale yvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t acheter la viande sur pied ; les cabrouettierss'y procur<strong>en</strong>t les paires, les macor-


152 EN HAÏTInes 1de bœufs destinées au trait. Il y a égalem<strong>en</strong>tabondance de chevaux, mules, cochons,chèvres et moutons. Un receveur, M.JacquesArmand, installé sous une tonnelle et protégécontre les importunités du public par un rempartde terre battue, délivre les certificats dev<strong>en</strong>te et perçoit de ce chef les taxes communales.Le commandant de place ou, à son défaut,l'adjoint, ne manque jamais de v<strong>en</strong>ir surveillercette opération lucrative ; de bonne heure, ilarrive à cheval, salué par la foule, qui se découvre,au cri de « Bonjour, autorité ! » Le marchéne comporte aucun autre droit 2 . Les mar-1. Le mot créole macorne est tiré de l'espagnol. Quand leshattiers de la partie espagnole se préparai<strong>en</strong>t à <strong>en</strong>voyerleurs boeufs dans la partie française, ils les poursuivai<strong>en</strong>tà cheval à travers les savanes, où le bétail grandissait <strong>en</strong>liberté, et, les saisissant fortem<strong>en</strong>t par la queue, les r<strong>en</strong>versai<strong>en</strong>tles quatre fers <strong>en</strong> l'air, grâce à un brusque mouvem<strong>en</strong>tde côté, effectué par leur monture. Cette opérations'appelait colear ; elle reste <strong>en</strong>core <strong>en</strong> usage dans les llanosde la Côte Ferme. Les bœufs, une fois r<strong>en</strong>versés et maîtriséspar les hattiers, étai<strong>en</strong>t attachés deux à deux. Cela s'appelaitles macorner ou mancuernar. D'où le nom de macornes,donné aux paires de bœufs, qui étai<strong>en</strong>t toujours prés<strong>en</strong>tésaccouplés.2. Le bétail dominicain, v<strong>en</strong>du <strong>en</strong> Haïti, a payé un dollaret demi de droit d'exportation à la douane dominicaine. Adéfaut de douane haïti<strong>en</strong>ne, il acquitte un droit de passageaux communes traversées, une gourde à la Croix-des-Bouquets,50 c<strong>en</strong>times à Thomazeau. — A l'époque coloniale, ledroit de sortie s'élevait à 5 piastres gourdes par macornede bœufs et les hattiers exportateurs devai<strong>en</strong>t être munisd'une pat<strong>en</strong>te d'autorisation, délivrée par le Présid<strong>en</strong>t del'Audi<strong>en</strong>ce Royale de Santo-Domingo.


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 153chands y établiss<strong>en</strong>t librem<strong>en</strong>t leurs tonnelleset leurs étalages. La famille Pierre Jacques, dontles héritiers sont propriétaires du terrain, se répandà ce propos <strong>en</strong> réclamations inutiles ; letemps a consacré la liberté du marché et la prescriptioneffacé ses droits.A part ses dim<strong>en</strong>sions beaucoup plus vastesque partout ailleurs, le marché du Pont-Beudetne diffère guère des autres. C'est le grouillem<strong>en</strong>thabituel de négresses, étalant sur le solleurs fruits, leurs légumes, leurs volailles, duriz, du sel, les boulons et les andouilles detabacle tafia et le rapadou2. Les chaudronsde pois et riz, recouverts de feuilles debananier,cuis<strong>en</strong>t <strong>en</strong> plein v<strong>en</strong>t. Les rev<strong>en</strong>deusessont accourues de Port-au-Princeacheterpour le marché de la ville ou v<strong>en</strong>dre desarticles de quincaille et de toilerie; j'ai même vuun marchand syri<strong>en</strong>, maronite de Beyrouth, installéau milieu de ses cotonnades malgré la ri-1. « Le tabac pays » est prés<strong>en</strong>té <strong>en</strong> feuilles desséchées,<strong>en</strong> paquets de feuilles tordues ou boulons ou pressé <strong>en</strong> andouillesdans de longues tâches, pédoncules détachés dutronc des palmistes. L'usage de prés<strong>en</strong>ter le tabac <strong>en</strong> « torquettes» et <strong>en</strong> « andouilles », a toujours existé dans nosîles. Le P. Labat <strong>en</strong> décrit minutieusem<strong>en</strong>t la confection.2. Le rapadou est fait de sirop ti-moulin, cuit à point deconc<strong>en</strong>tration, <strong>en</strong>veloppé pour refroidir dans des tâches depalmiste, puis coupé <strong>en</strong> morceaux allongés. Cest le sucredes campagnes haïti<strong>en</strong>nes.


154 EN HAÏTIgueur des lois 1 . Tout autour, les bêtes de chargesont attachées le long des haies, gardant sur ledos leurs panneaux de roseaux et leurs toques,relevées <strong>en</strong> arrière, pour recevoir les sacs-paille.Les g<strong>en</strong>s v<strong>en</strong>us d'au delà des mornes, du Mire-1. Il n'existe presque plus de recoin dans les grandes Antilles,où ne se soit installée, plus ou moins nombreuse, unecolonie syri<strong>en</strong>ne. Il y a une vingtaine d'années, apparur<strong>en</strong>t,dans cette partie de l'Amérique, les premiers émigrants dela côte de Syrie, avec des pacotilles d'objets de piété, fabriqués<strong>en</strong> Terre Sainte. Sur les bénéfices réalisés, ces g<strong>en</strong>sse fir<strong>en</strong>t, dans les campagnes, colporteurs de m<strong>en</strong>us produitsde l'industrie europé<strong>en</strong>ne ou américaine : mercerie,quincaillerie, papeterie. Le temps finit par leur créer uncapital et plusieurs sont maint<strong>en</strong>ant dev<strong>en</strong>us de véritablescommerçants, appuyés sur les maisons de commission fondéespar des Syri<strong>en</strong>s à Paris, New-York et Manchester. Leterme générique de « Syri<strong>en</strong>s » recouvre, dans les grandesAntilles, les populations les plus diverses de l'Asie antérieure: d'abord, les Maronites, qui sont le plus grand nombre,puis des Orthodoxes, et des Melkites, quelques Musulmansou Métualis, beaucoup de Juifs de la Syrie, de la Perseet même de l'Inde.Les Syri<strong>en</strong>s sont particulièrem<strong>en</strong>t nombreux <strong>en</strong> Haïti, oùils atteign<strong>en</strong>t le chiffre de 3.000. Une loi de 1894 a eu beauleur interdire, ainsi qu'aux Chinois, l'accès du territoire dela République, ils ne cess<strong>en</strong>t de s'y multiplier. Deux maisons,dites syri<strong>en</strong>nes, mais <strong>en</strong> réalité juives, Silveira etB<strong>en</strong>jamin Ezra,qui est de Beyrouth, ont créé des comptoirsdans tous les ports, les petits marchands syri<strong>en</strong>s des bourgset de nombreux colporteurs <strong>en</strong> obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t des crédits etdistribu<strong>en</strong>t leurs marchandises.Les deux tiers de la colonie syri<strong>en</strong>ne d'Haïti résid<strong>en</strong>t àPort-au-Prince et dans la banlieue de la capitale, — tous occupésau négoce. Il <strong>en</strong> existe de moindres groupem<strong>en</strong>ts, auCap, aux Gonaïves et aux Cayes. Pourchassés par les autorités,ils devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t rares dans la campagne : on m'a cep<strong>en</strong>dantparlé d'un Syri<strong>en</strong> ingénieux, qui, ayant épousé un<strong>en</strong>égresse, s'était établi papaloi dans les mornes de Léogane.


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 155balais et des Hauts-Plateaux, sont arrivésjeudi soir et, pour la nuit, se sont accommodésde leur mieux dans les abris du village. Ceuxde Port-au-Prince arriv<strong>en</strong>t par le train du matin.La dispersion comm<strong>en</strong>ce avec l'après-midi ;le bétail s'écoule vers la capitale ; et le v<strong>en</strong>dredi,au coucher du soleil, Pont-Beudet s'est vidé pourtoute une semaine.A quelque distance, sur la route du Morne-à-Cabrites, les restes d'un mur arrondi marqu<strong>en</strong>tl'<strong>en</strong>trée de l'habitation le Meilleur; c'est le seuldébris d'<strong>en</strong>trée de l'époque coloniale que j'aieretrouvé au Cul-de-Sac. Tout auprès, les ruinesd'un pont et de conduites d'irrigationleindiqu<strong>en</strong>tque, sous le régime français, l'eau fertilisanteatteignait jusqu'à ce point. Aujourd'hui tout estdesséché; la forêt a repris son anci<strong>en</strong> domaine,les habitants viv<strong>en</strong>t de l'exploitation des bois,servant à la fabrication du charbon ou desPlusieurs ont sollicité la naturalisation haïti<strong>en</strong>ne ; quelquesunsont profité de leur passage aux États-Unis pour y acquérirles droits de citoy<strong>en</strong>s américains ; <strong>en</strong> cas de besoin,la collectivité recourt à la protection française...Malgré leur nombre, les Syri<strong>en</strong>s de Port-au-Prince ne possèd<strong>en</strong>taucune organisation. Le gouvernem<strong>en</strong>t haïti<strong>en</strong> s'esttoujours opposé à la fondation d'une société syri<strong>en</strong>ne. Ilsn'ont point de prêtres de leurs rites ; l'un d'<strong>en</strong>tre eux ti<strong>en</strong>tun petit restaurant et y prépare des plats arabes. C'est laseule institution, dont jouisse, <strong>en</strong> propre, cette communautéprospère, bi<strong>en</strong> que constamm<strong>en</strong>t m<strong>en</strong>acée par les abus dupouvoir et les jalousies du commerce.


156 EN HAÏTIpieux pour les clôtures. Sur l'habitation d'Espinose,réside un des anci<strong>en</strong>s du pays, M. BalthazarCantave, un nègre amaigri, à la barbeblanche, courte et rare, qui comm<strong>en</strong>ce à s<strong>en</strong>tirle poids de ses quatre-vingts ans sonnés. Sescases, précédées d'un péristyle et recouvertesd'herbes de Guinée, se serr<strong>en</strong>t les unes contreles autres dans une cour <strong>en</strong>close de branchesd'arbres ; la barrière d'accès est formée depieux superposés, fixés <strong>en</strong>tre deux couples detroncs latéraux, qu'il s'agit de retirer successivem<strong>en</strong>t,afin de s'ouvrir un passage ; un puitsa été creusé au pied d'un « bois de frêne ».Dans son jeune temps, M. Cantave était grandchasseur. Comme tous ceux de son voisinage,il s'<strong>en</strong> allait à l'Eau-Gaillée tirer les oiseauxd'eau qui y gît<strong>en</strong>t; et ses chi<strong>en</strong>s partai<strong>en</strong>t lanuit, à la lumière des torches, guetter les tortuesde terre, alors qu'elles vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t déposerleurs œufs dans le sable. La ponte a lieu toutel'année, mais surtout <strong>en</strong> mars et avril. Quand,avec ses pattes, la malheureuse tortue est touteoccupée à creuser un trou, les chi<strong>en</strong>s l'év<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t,l'effrai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> jappant autour d'elle, si bi<strong>en</strong> quele chasseur n'a plus qu'à ramasser son gibierimmobile pour le rapporter dans un sac. Dansla forêt voisine de d'Espinose, se trouve l'habi-


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 157tation Dessources, propriété d'un négociant <strong>en</strong>café du Havre, M. Alfred Lefèvre.Une ligne de chemin de fer à voie étroite,la seule qui existe <strong>en</strong> Haïti, traverse diagonalem<strong>en</strong>tla plaine du Cul-de-Sac, de Port-au-Prince à l'Etang Saumâtre, sur un parcours de49 kilomètres. La ligne emprunte presque constamm<strong>en</strong>tles grand'routes, traverse une régionplate et ne comporte aucun ouvrage d'art, <strong>en</strong> dehorsd'un pont sur la Grande Rivière. La CompagnieP.-C.-S. a été formée, <strong>en</strong> 1900, par desnégociants allemands et créoles de Port-au-Prince, au capital nominal d'un million de dollars; l'État lui garantit un intérêt de 6 p. 100,à raison de 16.000 dollars par kilomètre. Lematériel, v<strong>en</strong>u d'Allemagne et des États-Unis,est un peu primitif. Mais le service se fait avecrégularité, sous la direction d'un de nos compatriotes,M. Charles Thomasset.Tout le long du jour, l'arrivée des trainsmontants et desc<strong>en</strong>dants provoque une viveanimation devant la petite gare de la Croix-des-Bouquets, installée dans une vieille maison coloniale; les <strong>en</strong>fants du bourg y vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t offriraux voyageurs des fruits et des friandises locales,douces-lait et douces z'ananas (de l'espagnoldulce). P<strong>en</strong>dant les trois derniers jours de la


158 EN HAÏTIsemaine, l'afflu<strong>en</strong>ce est surtout considérable.Rev<strong>en</strong>deuses et marchandes de toiles, qui visit<strong>en</strong>tles marchés de la plaine, quitt<strong>en</strong>t la capitalepar le train du mercredi soir, opèr<strong>en</strong>t lejeudi à Thomazeau, le v<strong>en</strong>dredi au Pont-Beudetet r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t à Port-au-Prince pour le marché dusamedi, où elles rapport<strong>en</strong>t les pois, le maïs, leriz, les bananes et la cassave, achetés aux cultivateursde la campagne. Les autres jours, ce sontallées et v<strong>en</strong>ues de négresses, qui vont v<strong>en</strong>dreleurs patates <strong>en</strong> ville, et de petits spéculateurs,recherchant les peaux, les cires, le miel et lagomme-gayac. Parmi les voyageurs, 92 p. 100de femmes. En Haïti, les hommes ont pris l'habitudede rester chez eux ; la nécessité d'unpermis de circulation et la crainte d'être saisissur les routes par les autorités militaires ontfavorisé leur naturelle indol<strong>en</strong>ce. Le chemin defer transporte les produits de la plaine : sucre,tafia, bois (fustic, campêche et gayac), peaux etcharbons.Vingt-trois kilomètres de la Croix-des-BouquetsàThomazeau. La voie coupe la grande plainepar la Morinière, la Serre, Vaudreuil, Drouillard,Cotard, Merceron et Joineau. Vaudreuil etO'Gorman sont à l'heure actuelle les deux plusbelles habitations sucrières du Cul-de-Sac ; elles


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 169apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à un vieux nègre, le généralBr<strong>en</strong>nor Prophète ; son fils récemm<strong>en</strong>t rev<strong>en</strong>ude Lille, y a suivi les cours de l'Institut Industriel.A mesure que l'on s'éloigne de larégion Sud, atteinte par les irrigations de larivière Blanche, les champs de cannes disparaiss<strong>en</strong>t,les jardins eux-mêmes se font plusrares. A la Hatte-Cadet, on atteint les lagons(c'est le nom créole des marécages). L'inondationa fait son œuvre ; tout le pays estsous l'eau. Abandonnant leurs maisons inondées,les cultivateurs se sont faits pêcheurs ;leurs pirogues sont amarrées aux arbres et,chaque jour, ils ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t marché des « cabots »qu'ils ont pris.Le bourg de Thomazeau est placé un peu plushaut, au pied des mornes du Nord, à l'issuede l'échancrure conduisant aux Grands-Bois.Simple quartier, naguère, dép<strong>en</strong>dant de lacommune de la Croix-des-Bouquets, qui surveillaitde ce côté la frontière dominicaine.En 1889, p<strong>en</strong>dant la « guerre d'Hippolyte »,— les Haïti<strong>en</strong>s donn<strong>en</strong>t volontiers à leursrévolutions le nom du chef qu'elles amèn<strong>en</strong>tau pouvoir — l'armée victorieuse s'y conc<strong>en</strong>tra,à sa desc<strong>en</strong>te de la montagne, avant demarcher sur Port-au-Prince.


160 EN HAÏTIInstruit par sa propre expéri<strong>en</strong>ce, le nouveauprésid<strong>en</strong>t s'empressa d'ériger l'<strong>en</strong>droit <strong>en</strong> commune,afin d'y placer un commandant militaireà sa dévotion. Le village est petit, ilcompte à peine 150 habitants ; le curé, le P. Sinais,y construit péniblem<strong>en</strong>t son église. Lesterrains voisins se peupl<strong>en</strong>t peu à peu, les nègress'install<strong>en</strong>t sans le moindre titre de propriété,défrich<strong>en</strong>t, plant<strong>en</strong>t leurs jardins, fabriqu<strong>en</strong>tnattes et panneaux avec les roseaux desmarécages voisins. En matière de Vaudoux,ces g<strong>en</strong>s sont trop pauvres pour s'offrir les raffinem<strong>en</strong>tsusités aux al<strong>en</strong>tours de Port-au-Princeet se cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de modestes cases-lois, desserviespar des houngans sans instruction. Leplus souv<strong>en</strong>t, la propriété est indivise : les successionsse règl<strong>en</strong>t de gré à gré, <strong>en</strong> dehors dunotaire, qui végète inoccupé, à côté des autreshommes de loi. Quelques spéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>réesachèt<strong>en</strong>t du café pour le compte des négociantsde la ville ; de rares commerçants reçoiv<strong>en</strong>tchaque semaine un petit lot de marchandises,poissons séchés, salaisons, pétrole. Le bétail dominicain,v<strong>en</strong>ant de Neyba et des Étangs, y passerégulièrem<strong>en</strong>t pour gagner le Pont-Beudet et<strong>en</strong>richit la commune d'un droit de passage.La grande affaire de Thomazeau est le mar-


UN “ MAPOU ”. DANS LA PLAINE DES CAYESVILLAGE DE GANTHIERAUBIN. En Haïti. PL. XVI


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 161ché du jeudi, qui réunit 2 ou 3.000 personnes.La population des Grands-Bois pr<strong>en</strong>d deplus <strong>en</strong> plus l'habitude d'y apporter son café etses vivres. La plaine et la montagne, ne produisantpas aux mêmes époques, ont besoin dese compléter l'une par l'autre ; les mornes donn<strong>en</strong>tune seule fois, au cœur de l'été, alors quele plat pays est privé de patates et de bananes,<strong>en</strong>tre sa double récolte de printemps et d'automne.D'autre part, il leur faut acheter lesarticles d'importation chez les rev<strong>en</strong>deuses dumarché ou les commerçants du bourg. En décembreet janvier, les Dominicains apport<strong>en</strong>tles aulx frais de leurs jardins ; et c'est le marchéde Thomazeau qui fournit tout Haïti de ceproduit spécial.Au delà du bourg, il n'y a plus que 5 kilomètrespour atteindre l'habitation Manneville, aubord de l'Étang Saumâtre ou lac d'Azuey. Lelac gagne sans cesse vers l'ouest sur le rivagearrondi de la plaine ; les arbres desséchés, déchiquetéspar les « charp<strong>en</strong>tiers» (piverts), élèv<strong>en</strong>tleurs branches au-dessus des eaux. Il s'ét<strong>en</strong>d àl'est <strong>en</strong>tre la double ligne des grandes montagnes,sur 28 kilomètres de long et une largeurmaxima de 10 kilomètres. Un petit wharfpermet le débarquem<strong>en</strong>t des bois de gayac,EN HAÏTI 11


162 EN HAÏTIapportés par goélettes de Fond-Parisi<strong>en</strong> oud'Imani, sur la rive dominicaine. Deux de cesembarcations apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à un Martiniquais,M. Emmanuel Odéide, qui fit la campagne du Dahomey, dans les troupes de lamarine, et réside maint<strong>en</strong>ant à Manneville,comme ingénieur de lachemin de fer.première section duAu temps de la colonie, les indigoteries sesuccédai<strong>en</strong>t le long du lac ; on <strong>en</strong> retrouve<strong>en</strong>core les ruines parsemées à travers les bois.Les habitants actuels joign<strong>en</strong>t la chasse et lapêche à la culture de leurs jardins ; le gibierabonde : canards, sarcelles, poules d'eau, ai-,grettes blanches et grises, girones au long cou,tourterelles et ortolans. Les nassesramèn<strong>en</strong>tquantités de « têtards 1 », qui sont le poisson préféréde la plaine.Au nord, le massif des Grand-Bois dominele lac. J'y suis allé par le Mirebalais. Il fautcoucher au presbytère de la Croix-des-Bouquetset partiravant le lever du jour. Sur laplace d'Armes, le feu du poste est <strong>en</strong> train des'éteindre et le clairon vi<strong>en</strong>t de sonner la diane.Quand, vers 4 heures, apparaît l'étoile du matin,1. Descourtilz écrit « Testar » ; c'est un petit poisson fréqu<strong>en</strong>tdans toutes les eaux douces d'Haïti.


AUBIN. En Haïti.L'ETANG SAUMATREPL. XVII


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 163que les nègres appell<strong>en</strong>t bayacou, de son nomindi<strong>en</strong>, nous sommes <strong>en</strong> selle pour faire les12 lieues de chemin. La montée du Morneà-Cabritesest courte, mais dure ; on l'aborde,quand les premiers rayons du soleil vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tfrapper l'Étang et les marécages de la plaine.Elle est taillée dans le roc vif, tranchant et calcaire,percé de petits trous m<strong>en</strong>us, « roches àravets », dis<strong>en</strong>t les créoles ; on la construisitaussitôt après la guerre de Sept Ans, sur lesindications du gouverneur général, M. de Belzunce,chargé d'organiser la déf<strong>en</strong>se de Saint-Domingue et qui considérait le Mirebalais commeson réduit naturel. Les chaises de poste y pouvai<strong>en</strong>tpasser. La route n'est plus qu'un amoncellem<strong>en</strong>tde rochers, et les p<strong>en</strong>tes sont inhabitées.C'était la marche déserte, s'ét<strong>en</strong>dantde l'Arcahaye aux Grands-Bois, qui séparale royaume noir de Christophe de la républiquemulâtre de Pétion, alors que la fin desguerres napoléoni<strong>en</strong>nes et la crainte d'un retouroff<strong>en</strong>sif des Français imposèr<strong>en</strong>t aux deuxchefs rivaux un armistice tacite. En haut,quelques pauvres cases, <strong>en</strong>tourées de culturesde maïs ; puis la forêt d'acajoux et de gayacsrepr<strong>en</strong>d jusqu'au Fond-Diable. Les nôtresLavai<strong>en</strong>t ainsi nommé à cause de son manque


164 EN HAÏTId'eau ; le cabaret, qui s'y trouvait jadis, a faitplace à un petit village. Une courte montée, leposte militaire du Terrier-Rouge, et nous desc<strong>en</strong>donspar une ravine étroite vers le plateaudu Mirebalais. La couline, où se forme le torr<strong>en</strong>tde la ravine, la butte des Calebassiers et lachapelle de Trianon marqu<strong>en</strong>t la sortie desmornes. Nous y passâmes un dimanche. Leprêtre n'était pas v<strong>en</strong>u ; <strong>en</strong> l'abs<strong>en</strong>ce du sacristain,sa femme lisait à la congrégation les oraisonsdominicales ; <strong>en</strong> face de la chapelle, plusieursmarchandes, accroupies sous un sablier,v<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t aux fidèles avocats et sucreries :quelques femmes passai<strong>en</strong>t sur le chemin, rapportant,dans les sacs-paille de leurs ânes, lesobjets achetés la veille au marché de Port-au-Prince.Le Mirebalais est une vaste cuvette, forméepar les grandes montagnes. L'Artibonite le traversede part <strong>en</strong> part et y reçoit tout un <strong>en</strong>semblede cours d'eau, qui lui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> év<strong>en</strong>taildu versant sud. Les creux remplis de palmistessuccèd<strong>en</strong>t aux mamelons, recouverts del'herbe rase des savanes et des tiges minces deslataniers. Les cases sont prospères ; les toits <strong>en</strong>palmes desséchées, fixées par des tâches (pédoncules)de palmistes; les jardins <strong>en</strong>tourés de haies


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 165de « cactus-pingouins », dont le cœur rougit auprintemps, <strong>en</strong> épanouissant une fleur blanche.Depuis Trianon, il reste une heure et demie deroute, pour atteindre le bourg, <strong>en</strong> desc<strong>en</strong>dantparla section de Crête-Brûlée, le long de la rivièreJean-le-Bas. Les « passes d'eau » se multipli<strong>en</strong>tau milieu des campêches, où point<strong>en</strong>t lesorchidées. Un dernier morne, et l'on aperçoitles maisons aux toitures <strong>en</strong> tôle, groupées autourde la place d'Armes de Saint-Louis-du-Mirebalais,au conflu<strong>en</strong>t de l'Artibonite et de la rivièrela Tombe, qui se rejoign<strong>en</strong>t sous un berceaude verdure.Le Mirebalais reçut son nom de g<strong>en</strong>s du Poitou,qui le baptisèr<strong>en</strong>t d'après une région deleur province. Au début du dix-huitième siècle,il était inhabité ; c'était une réserve de bétailsauvage, abandonné par les Espagnols. M. deGalliffet, gouverneur intérimaire de la colonie,forma une société pour y établir une premièrehatte. Puis, l'agriculture prit place à côté del'élevage ; le pays fut cultivé <strong>en</strong> indigo, coton,riz, café, cacao ; des fours à chaux s'établir<strong>en</strong>t ;la difficulté des transports empêcha le développem<strong>en</strong>tde l'industrie du sucre. En 1789, le Mirebalaiscomptait 308 indigoteries et 92 hattes,avec 13.550 têtes de bétail. La population était


166 EN HAÏTIde 890 blancs, 1.200 affranchis, 11.000 nègres.La salubrité du climat préservait les colons desmaladies habituelles de la côte; <strong>en</strong> 1764, unplanteur, M. Ollive, de la Rochelle, y mourutà quatre-vingt-dix-sept ans, après soixante annéespassées dans la colonie. Vu son isolem<strong>en</strong>t,la paroisse formait, à elle seule, un quartier,administré par un aide-major pour le roi ; lajustice était confiée à un substitut, relevant dela sénéchaussée de Port-au-Prince, l'ordre garantipar un détachem<strong>en</strong>t de maréchaussée,avec un prévôt, un exempt, 2 brigadiers et10 archers. La milice de 1.140 hommes étaitrépartie <strong>en</strong> 4 compagnies de dragons blancs,quarterons, mulâtres et nègres, 3 compagniesde fusiliers blancs et mulâtres. Le courrier dela poste aux lettres arrivait de la capitale lelundi et repartait le mercredi. La communicationavec l'autre rive de l'Artibonite était assuréepar un bac au travers du fleuve ; le fermier possédaitle privilège du cabaret ; comme droit depassage, il percevait un demi ou un escalin 1detoute personne libre du quartier, selon qu'elleétait à pied ou à cheval ; le double, d'un étranger.A l'heure actuelle, la situation isolée duMire-1. Vescalin était une petite pièce de monnaie valant <strong>en</strong>viron12 sous.


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 167balais y a fait maint<strong>en</strong>ir un arrondissem<strong>en</strong>t.Pourtant, l'agglomération est petite : à peine unmillier d'habitants ; le marché est peu fourni ; lesSyri<strong>en</strong>s eux-mêmes néglig<strong>en</strong>t la place ; le commercese fait avec Port-au-Prince. Un vieuxfort, élevé p<strong>en</strong>dant l'occupation anglaise, dominele bourg. Sur le fleuve, le bac a été remplacépar un lot de pirogues, manœuvrées par douzebateliers, disp<strong>en</strong>sés, à ce titre, de tout servicemilitaire ; leur chef, M. Assé Jean-Philippe, avieilli dans le métier depuis le « règne » deSalnave.Du Mirebalais aux Grands-Bois, il y a six bonnesheures de voyage. Le général Anulysse André,commandant de l'arrondissem<strong>en</strong>t, un mulâtrequi a partagé sa carrière <strong>en</strong>tre l'armée et lesdouanes de la République, tint à m'accompagneravec toute une escorte d'adjoints, officiers etchefs de sections. La commune est écartée ; lapopulation un peu sauvage. — « En dehors desprêtres, me dit le général, vous êtes sans doutele premier blanc qui visite les Grands-Bois,depuis l'Indép<strong>en</strong>dance. »A l'est du bourg, s'embranch<strong>en</strong>t deux routes,suivant deux vallées distinctes. Sur la gauche,le chemin de Las Gaobas, qui va vers Santo Domingopar San Juan de la Maguana et Azua, re-


168 EN HAÏTImonte à travers les savanes de la rivière Ferà-Cheval.Les mornes <strong>en</strong> ferm<strong>en</strong>t la vallée: aunord, la crête allongée du Morne-à-Tonnerre,derrière lequel coule l'Artibonite ; au sud, lemassif des Grands-Bois. C'était là l'anci<strong>en</strong>nefrontière de la partie française. Les dispositionsde la paix de Ryswick ayant négligé de la préciser,les discussions se poursuivir<strong>en</strong>t, à ce sujet,<strong>en</strong>tre autorités coloniales, p<strong>en</strong>dant la meilleurepartie du dix-huitième siècle. Aux empiétem<strong>en</strong>tsfrançais répondai<strong>en</strong>t des agressions oudes réclamations espagnoles. En 1776, le gouverneurfrançais, qui était alors le comte d'Ennery,et le présid<strong>en</strong>t espagnol signèr<strong>en</strong>t uneconv<strong>en</strong>tion de limites, qui fut insérée, l'annéesuivante, dans le traité d'Aranjuez, destiné àrégler l'<strong>en</strong>semble des rapports <strong>en</strong>tre les deuxparties de l'île. La délimitation fut aussitôt poursuiviesur le terrain ; des bornes ou des rochersnumérotés marquai<strong>en</strong>t soigneusem<strong>en</strong>t la frontière; un inspecteur spécial <strong>en</strong> assurait la sauvegarde.Après avoir longé la crête du Morne-à-Tonnerre, la ligne coupait, au rocher de Neybouc,la route du Mirebalais à Santo-Domingo ;le rocher reçut le n°193 (il y <strong>en</strong> avait 221, de laRivière du Massacre aux Anses à Pitre).Au bord du chemin, à faible distance de Las


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 169Caobas, on montre <strong>en</strong>core la « grosse roche »,où se sont accrochés les pariétaires et les racinesde figuier. Pour ma part, je ne vis aucuneinscription ; mais les missionnaires, qui ypass<strong>en</strong>t fréquemm<strong>en</strong>t, m'assur<strong>en</strong>t qu'<strong>en</strong> écartantla végétation, on peut lire assez distinctem<strong>en</strong>t,sur chacune des deux faces, FRANCE et Es-PANA 1 .1. La frontière actuelle se trouve de beaucoup repousséevers l'est. Durant l'époque coloniale, toute la région occid<strong>en</strong>talede la partie espagnole était à peu près dépeuplée.Le commandant résidait au bourg de Hinche, qui datait despremières années du seizième siècle; deux colons espagnolsavai<strong>en</strong>t fondé des établissem<strong>en</strong>ts à Saint-Raphaël et à Saint-Michel-de-l'Atalaye. Il existait un poste militaire à Las Caobaset des hattes dispersées ; ce vaste territoire ne comptaitque quelques milliers d'habitants. Encore avait-il attirédes déserteurs, des criminels, des nègres marrons, v<strong>en</strong>us dela partie française.En 1822, séduits par le régime mulâtre de Boyer, les Dominicainsse réunir<strong>en</strong>t spontaném<strong>en</strong>t avec Haïti et ne s'<strong>en</strong>détachèr<strong>en</strong>t qu'<strong>en</strong> 1844, après la révolution qui rétablit lepouvoir des nègres. Les habitants de la partie française profitèr<strong>en</strong>tde la réunion de toute l'île, afin d'ét<strong>en</strong>dre leurs cultureset chercher de nouveaux pâturages à leur bétail. Saint-Raphaël, Saint-Michel, Hinche et Las Caobas, rapidem<strong>en</strong>tpeuplés d'Haïti<strong>en</strong>s, devinr<strong>en</strong>t chefs-lieux de communes, rattachésaux départem<strong>en</strong>ts de l'Ouest. Plus tard, quand laRépublique dominicaine se fut séparée d'Haïti, il <strong>en</strong> résulta,<strong>en</strong>tre les deux petits pays, un état de guerre prolongé, quifut marqué, jusqu'<strong>en</strong> 1856, par trois campagnes successives.Puis les deux armées restèr<strong>en</strong>t l'arme au pied, les postesmilitaires opposés indiquant virtuellem<strong>en</strong>t la frontière. Com<strong>en</strong>dadorétait le premier poste dominicain, surveillé partrois fortins haïti<strong>en</strong>s, les forts Résolu, Cachim<strong>en</strong>t et Malfini; <strong>en</strong>tre eux coulait, comme limite, le Rio Cariscal. En1874, Dominicains et Haïti<strong>en</strong>s s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t sur le principed'une délimitation définitive ; mais, depuis lors, aucun arran-


170 EN HAÏTIVers la droite, le chemin des Grands-Boiss'<strong>en</strong>gage dans la vallée de la Rivière Gascogne.Les noms de nos provinces se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t fréquemm<strong>en</strong>t<strong>en</strong> Haïti ; les colons donnai<strong>en</strong>t volontiersà leurs cantons les appellations de lamétropole. Nous avons trouvé une Nouvelle-Touraine sur les p<strong>en</strong>tes du Morne la Selle ; ilexiste, dans le Nord, un Trou-G<strong>en</strong>s-de-Nantes —Moreau de Saint-Méry écrit : Jean de Nantes —une Nouvelle-Bourgogne et une Nouvelle-Lorraine1dans les mornes du Sud, une Nouvelle-Saintonge et une Nouvelle-Gascogne, du côtéde l'Arcahaye. A plusieurs reprises, le s<strong>en</strong>tiertraverse les galets de la rivière, où se pos<strong>en</strong>tles crabiers gris. Les cases sont nombreuses,blanchies à la chaux, précédées de galeries extérieures,<strong>en</strong>tourées de cultures de maïs, petit mil,coton et riz ; dissimulées dans la verdure, ungem<strong>en</strong>t n'est interv<strong>en</strong>u. L'infiltration haïti<strong>en</strong>ne se poursuitdans la région de forêts et de savanes, à peine peuplée,qui s'ét<strong>en</strong>d jusqu'à Las Matas de Farfan et même San Juande la Maguana. La plupart des cultivateurs et hattiers, quel'on y r<strong>en</strong>contre, sont g<strong>en</strong>s de langue française et travaill<strong>en</strong>t,comme « de moitié », sur les terres domaniales ou lespropriétés de généraux dominicains.1. Le canton de la Nouvelle-Lorraine a reçu son nom, substituéà celui de Boucan Greffin, de ses habitants actuels,MM. Le Croix-Vill<strong>en</strong>euve, conseiller du Conseil supérieur,Locquet, fermier-général des Postes, Petit, arp<strong>en</strong>teur général,etc., auxquels il rappelle leur patrie primitive. — (Moreaude Saint-Méry.)


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 171peu à l'écart du chemin, de façon à ne pointattirer la dangereuse att<strong>en</strong>tion des autorités. Cesont terres très riches, réparties <strong>en</strong>tre petitspropriétaires de 30 et 40 carreaux. L'habitationAbeille forme c<strong>en</strong>tre, avec la chapelle etles tonnelles du marché du v<strong>en</strong>dredi. Au boutde deux heures, nous arrivons au pied desGrands-Bois. Le commandant de la commune,le général Aristide Joseph, dit Bouzoute,est v<strong>en</strong>u, avec quelques officiers, jusqu'à lalimite de son commandem<strong>en</strong>t; il est <strong>en</strong> granduniforme, habit bleu à la française, et retapé àplumet blanc. Un « casse-croûte » a été préparédans la maison d'un riche cultivateur,M. Maître Bernard. Puis, nous gravissons lemorne Guérin, dans la section de Génipayer.La vue s'ét<strong>en</strong>d sur tout le Mirebalais ; les caféièressuccèd<strong>en</strong>t aux « places à vivres ». Enhaut, la forêt de pins, des bouquets de bambouset de superbes massifs de pommiers-rose. Lesommet manque d'eau; sur l'habitation Dartis1 , quelques pauvres maisons <strong>en</strong> terre bat-1. L'introduction du café aux Grands-Bois, alors simplecanton de la paroisse de la Croix-des-Bouquets, est due àM. Dartis, qui fut le véritable fondateur du canton. A la Révolution,il se réfugia à Philadelphie et fut le plus fort souscripteur(400 exemplaires) à l'ouvrage de Moreau de Saint-Méry.


172 EN HAÏTItue et une citerne coloniale, tombant <strong>en</strong> ruines.Les Grands-Bois form<strong>en</strong>t une succession dehauteurs couvertes de pins et de creux réservésaux cultures. Les colons considérai<strong>en</strong>t cecanton comme particulièrem<strong>en</strong>t favorisé pourla culture des caféiers; au mom<strong>en</strong>t de la Révolution,il y existait 84 « caféteries » ; soncafé passe toujours pour l'un des meilleurs quisoit v<strong>en</strong>du à Port-au-Prince. L'habitation Cornillona été choisie comme chef-lieu de la commune.Elle occupe le fond d'un étroit vallon <strong>en</strong>tredeux crêtes boisées, dans la section de Plaine-Céleste. Sur un ressaut de terrain, au-dessusdu village, se trouv<strong>en</strong>t les restes d'une « manufactureà café ». Les soldats vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de couperles petits goyaviers, <strong>en</strong>combrant la terrasse del'anci<strong>en</strong>ne habitation. Ainsi déblayée, elle prés<strong>en</strong>teune vaste surface plane, qui servait deglacis au séchage des cafés; au fond, jusqu'àune certaine hauteur, les p<strong>en</strong>tes du morne rest<strong>en</strong>tmunies d'un revêtem<strong>en</strong>t maçonné, destinéà attirer les eaux dans la citerne ; sur les autrescôtés, courait une balustrade, dont les pierresd'angle sont demeurées.Les modestes cases de Cornillon se suiv<strong>en</strong>tà travers la prairie. Nul n'y fait le commerce :les cultivateurs viv<strong>en</strong>t dans la campagne ; c'est


AuxGRANDS-BOIS : LA GARNISON DE CORNILLONMAISONS DU BOURG DE CORNILLONAUBIN. En Haïti. PL. XVIII


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 173un bourg de fonctionnaires. La plupart sont g<strong>en</strong>sdu pays et y feront toute leur carrière. D'ordinaire,la meilleure maison d'un village apparti<strong>en</strong>tau juge de paix; j'ai donc reçu l'hospitalitéchez ce magistrat, M. Calixte Avril. Il a épouséune femme de la plaine, élevée chez sa marraine,à Port-au-Prince. Sa famille a prospéré ; il adéjà six <strong>en</strong>fants, dont quatre fils, et ce petitmonde vit des produits du bi<strong>en</strong> paternel,augm<strong>en</strong>tés des 60 gourdes d'appointem<strong>en</strong>tsm<strong>en</strong>suels.Chaque case, avec une galerie extérieure etun toit de paille, conti<strong>en</strong>t un office administratif.Notaire, huissier, greffier, magistrat communal,préposé d'administration, officier del'état civil, se succèd<strong>en</strong>t les uns aux autres ;sur la porte d'un chacun, apparaiss<strong>en</strong>t les avisofficiels de leurs administrations respectives.Le Conseil communal « avise au public <strong>en</strong> généralqu'il est déposé aux épaves de ce bourgun jeune taureau sous poil peintelé ». —Unepublication de mariage est affichée chez l'officierde l'état civil. Il s'agit d'un homme dequarante-deux ans, « fils majeur et naturel »,qui se résout à épouser une « agricultrice » detr<strong>en</strong>te-cinq ans, avec qui, sans doute, il vit placédepuis nombre d'années, — « laquelle publica-


174 EN HAÏTItion, lue à haute et intelligible voix, a été desuite affichée à la porte principale de notrehôtel, aux termes de l'article 63 du Code civild'Haïti ». L'école rurale est confiée à un anci<strong>en</strong>élève des Frères de Port-au-Prince ; la jeunessey paraît savoir lire, écrire et compter. Sous ladictée du commandant d'arrondissem<strong>en</strong>t, unpetit garçon traça au tableau d'une main sûre :« Napoléon est mort à Sainte-Hélène <strong>en</strong> 1821 »et « M... a fait aux Grands-Bois l'honneur de lesvisiter le... »Sur la grand'place, les tonnelles du marché,la chapelle Saint-Antoine, desservie avec intermitt<strong>en</strong>cepar un prêtre du Mirebalais, le tombeaud'un anci<strong>en</strong> commandant de la commune,le général Ambroise Toussaint, le bureau ducommandant actuel et un ajoupa pour abriterla force armée. Celle-ci est constamm<strong>en</strong>t prêteà se mettre <strong>en</strong> ligne, avec clairons, fifres ettambours, afin de saluer les moindres mouvem<strong>en</strong>tsde l'autorité. Le général Bouzoute seplace au-devant d'elle et salue du sabre, à deuxreprises, tandis que les soldats prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t lesarmes. Il pr<strong>en</strong>d soin, du reste, de bi<strong>en</strong> marquerses int<strong>en</strong>tions: « C'est pour vous, M...;c'est pour vous, l'arrondissem<strong>en</strong>t. » Le soir, lagarnison s'amuse. La plupart se group<strong>en</strong>t au-


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 175tour des cartes ou des dés, à la lumière d'unbois-chandelle. On joue à « Marie <strong>en</strong> bas » avecquatre morceaux de porcelaine, marqués deblanc et de bleu; les combinaisons paires sontbonnes pour le donneur, impaires pour lesjoueurs. Quelques-uns <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>t la salle dutribunal, où, au son d'un violon et d'un tambourin,ils dans<strong>en</strong>t sol<strong>en</strong>nellem<strong>en</strong>t la m<strong>en</strong>uet, conservéedepuis la colonie.A trois heures plus loin, par de là l'étangRoberjot, nous allâmes à la Toison, dans lasection du Boucan-Bois-Pin. Un vieux militaire,le général Nicolas Sanon, s'y est retiré surune terre de 150 carreaux. Il l'exploite, <strong>en</strong>compagnie de son fils M<strong>en</strong>tor, qui, après avoirachevé ses études <strong>en</strong> ville, au petit séminairedes Pères du Saint-Esprit, s'est marié avec unefille de l'adjoint de la place de Thomazeau. Lamaison est grande, avec plusieurs meubles dansles chambres et des chromolithographies surles murs ; le déjeuner fut excell<strong>en</strong>t. On est à800 mètres d'altitude, dans un climat frais, aumilieu des bois.Le l<strong>en</strong>demain, nous partions de fort bonneheure. Suivi de son escorte, le commandantdu Mirebalais se dirigea vers son bourg; celuide Cornillon m'accompagna, avec les princi-


176 EN HAÏTIpaux fonctionnaires et les cinq membres duConseil communal. Il fallut quatre heures pouratteindre Thomazeau par l'habitation Décayette<strong>en</strong> desc<strong>en</strong>dant la profonde échancrure, creuséeau pied du morne Trou-d'Eau. Le général Bouzoutemarchait <strong>en</strong> tête, faisant ranger sur lescôtés du chemin les g<strong>en</strong>s et les charges, quimontai<strong>en</strong>t de la plaine au marché du mercredi.« Mèté ous à côté, ouété chapeau ous ! — Mettez-vousde côté, retirez vos chapeaux ! »,criait-il. Arrivées au bas du morne, à la sourceDalmand, les autorités de Cornillon, parv<strong>en</strong>uesà la limite de la commune, prir<strong>en</strong>t congé etremontèr<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t les p<strong>en</strong>tes, afin deregagner leur village avant la clôture du marché.Le tour de l'Étang Saumâtre est une prom<strong>en</strong>aded'une vingtaine de lieues. Je l'ai faitel'automne dernier, par quelques-unes de cesmagnifiques journées, claires et fraîches, fréqu<strong>en</strong>tesau début de la saison sèche. Le seulinconvéni<strong>en</strong>t vi<strong>en</strong>t des maringouins et des bigailles,qui abond<strong>en</strong>t à cette époque, pénètr<strong>en</strong>tles vêtem<strong>en</strong>ts les plus solides et vous inflig<strong>en</strong>t,sur tout le corps, une multitude de piqûresdouloureuses, suivies d'<strong>en</strong>flures et de plaies.Comme la frontière traverse l'Étang et relève


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 177du commandant de place de Thomazeau, celui-ci,conformém<strong>en</strong>t aux ordres reçus, désigna deuxhabitants pour me servir de guide : un cultivateurde Manneville, M. Augustin Casile, et unmilitaire, M. Rénélus Artus. Ainsi, nous traversâmes,un après-midi, les 12 kilomètres deplaine <strong>en</strong>tre Thomazeau et Ganthier. Le cheminpasse au travers de jardins, <strong>en</strong>clos de pieuxde bois, où s'accroch<strong>en</strong>t les lianes fleuries ; ils'<strong>en</strong>gage <strong>en</strong>suite dans la forêt de gayacs et decampêches, parsemée d'acacias et de tamariniers.La végétation parasite des broméliacéesse multiplie au tronc des arbres et, des branches,p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t ces filam<strong>en</strong>ts touffus, que les créolesappell<strong>en</strong>t barbe pangnole — (espagnole). Surl'habitation Sire, les ruines d'une indigoteriecoloniale, avec ses bassins, ses conduites d'eau,ses ponceaux <strong>en</strong> maçonnerie. L'indigo prospéraitnaguère dans toutes les parties de plaine,où l'abs<strong>en</strong>ce d'irrigation ne permettait point laculture des cannes. Une bonne saison donnait3 coupes annuelles, quelquefois même 4 et 5.Une fois coupées, les plantes séjournai<strong>en</strong>t24 heures dans une cuve de ferm<strong>en</strong>tation ; puis1 eau, chargée de bleu, coulait dans une cuve debattage ; la conc<strong>en</strong>tration de la substance colorées'achevait dans un réservoir. L'opérationEN HAÏTI. 12


178 EN HAÏTIdurait trois mois. Les carreaux d'indigo, ainsiproduits, étai<strong>en</strong>t vivem<strong>en</strong>t recherchés par lesAnglais de la Jamaïque, dont ils alim<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>tle commerce interlope. Depuis l'Indép<strong>en</strong>dancela culture de l'indigo a tout à fait disparu dela plaine du Cul-de-Sac ; elle n'existe plus nullepart <strong>en</strong> Haïti.Au sortir de la forêt se trouve le village deGanthier, adossé aux mornets de Balisage; pardelà les jardins, apparaiss<strong>en</strong>t le clocheton del'église, le toit du presbytère, <strong>en</strong>touré de verdure,et, sur la hauteur voisine, les trois croix d'uncalvaire. Ganthier est une petite agglomération,récemm<strong>en</strong>t formée auprès d'un poste militaire.Le curé, le P. Caze, un des rares créoles de lamission d'Haïti, y vit depuis dix-sept ans. Il apris goût à sa paroisse, organisée de ses d<strong>en</strong>iers,et s'intéresse à ses ouailles. Peu à peu, ila vu se grouper les cases des cultivateurs et lescultures gagner de proche <strong>en</strong> proche sur lesbroussailles. Grâce à son influ<strong>en</strong>ce, le village estmieux t<strong>en</strong>u qu'ailleurs ; il a confiance que leshoumforts disparaiss<strong>en</strong>t des <strong>en</strong>virons. Tout à sonœuvre, le P. Caze vi<strong>en</strong>t rarem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ville. Ledimanche, les g<strong>en</strong>s des mornes afflu<strong>en</strong>t pour lamesse et le marché; mais, comme le Code ruraln'autorise les balances des spéculateurs <strong>en</strong>


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 179d<strong>en</strong>rées qu'aux chefs-lieux de communes, afinde réserver le commerce des campagnes aux« pacotilleurs pat<strong>en</strong>tés », domiciliés dans lesbourgs, il leur faut aller v<strong>en</strong>dre leur café jusqu'àThomazeau, la Croix-des-Bouquets ou Portau-Prince.Ganthier se trouve déjà sur la rive méridionalede l'Étang Saumâtre. Deux lieues plus loin,Fond-Parisi<strong>en</strong>, par delà les p<strong>en</strong>tes désertes, quiprolong<strong>en</strong>t doucem<strong>en</strong>t les mornes de Pays-Pourri. Tout d'abord le s<strong>en</strong>tier est dégagé; ilse poursuit sur des rochers couverts de cactuset de franchipannes sauvages; la vue s'ét<strong>en</strong>d surla verdure de la plaine, courant au ras de l'eau,la masse sombre des Grands-Bois et la nappebleue du lac, qui semble former un cercle parfait,d'où se détache, <strong>en</strong>foncé dans la terre dominicaine,le golfe étroit d'Imani. La forêt repr<strong>en</strong>djusqu'à Fond-Parisi<strong>en</strong> : à la sortie d'une gorge,la rivière Passe - Z'Oranges, desc<strong>en</strong>due deshautes montagnes, forme une petite plaine triangulaireet se jette dans l'Étang. En 1691, l<strong>en</strong>om de Fond-Parisi<strong>en</strong> était déjà connu; il s'ytrouvait alors un corail, appart<strong>en</strong>ant aux deuxfrères Mocquet, dont nous avons retrouvé l<strong>en</strong>om sur une habitation du Cul-de-Sac; un corpsde garde de huit garçons surveillait l'accès de la


180 EN HAÏTIpartie espagnole. Au dix-huitième siècle, l'<strong>en</strong>droitse peupla : des travaux d'irrigation fur<strong>en</strong>tréalisés; lors de la Révolution, il comptait 7 habitations,dont 3 sucreries; un détachem<strong>en</strong>tde la maréchaussée prév<strong>en</strong>ait les incursionsdes nègres marrons, réfugiés dansl'impénétrablemassif des montagnes du Sud 1 .Aujourd'hui, un millier d'habitants ont disséminéleurs cases sous les arbres, <strong>en</strong>tre Pinganeau,qui est au bord du lac, et la Ferme, aupied des mornes. L'eau court <strong>en</strong> tous s<strong>en</strong>s, au1. Un chemin part du Fond-Parisi<strong>en</strong> qui franchit, <strong>en</strong> longeantla frontière, la chaîne méridionale d'Haïti. S'élevantau-dessus de la gorge de la rivière Passe-Z'Oranges, il traversele plateau de l'habitation Diac et touche le poste militairedu Rempart-Hardi, pour desc<strong>en</strong>dre dans la profondevallée de la rivière Sor-Liette. Les Haïti<strong>en</strong>s ont poussé jusqu'auFond-Verrettes leurs caféières et leurs places à vivres.Le s<strong>en</strong>tier gagne les hauteurs parsemées de petites fraisesdes bois. Au milieu d'un imm<strong>en</strong>se panorama de montagnes,apparaiss<strong>en</strong>t l'Etang Saumâtre et le second lac, la Lagunade Enriquillo, qui se prolonge <strong>en</strong> Dominicanie. La forêtdevi<strong>en</strong>t touffue, ouverte de temps à autre par les défrichem<strong>en</strong>tsréc<strong>en</strong>ts. Les hattes de bétail sont installées sous lespins de la crête. Puis le feuillage épais des dame-maries, lesfougères arboresc<strong>en</strong>tes, l'<strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>t des lianes recouvr<strong>en</strong>tla rapide desc<strong>en</strong>te des mornes ; dans les sectionsBois-d'Ari et Mapou, plusieurs habitations caféières form<strong>en</strong>tune oasis de cultures, au milieu de cette forêt vierge, qui n'a<strong>en</strong>core été touchée que par le s<strong>en</strong>tier ; c'était, à l'époquecoloniale, l'inaccessible retraite des nègres marrons. Lesarbres sont trop d<strong>en</strong>ses pour permettre la vue ; les gayacs, lesacacias et les bayaondes annonc<strong>en</strong>t le bas pays et, du « tapion» du Prêcheur, après douze heures d'une marche trèsdure, on aperçoit, émergeant de la mer, la falaise et les aiguillescrayeuses, le long de la côte de Sale-Trou.


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 181travers des jardins, sous les cocotiers et les lataniers;«cotons-soie» et « cotons marrons », auxfleurs mauves, abond<strong>en</strong>t le long des chemins.Le bourg est bi<strong>en</strong> pourvu : il possède chapelle,houmfort et marché du jeudi, plus deux« grandes autorités », le général Tiyoute, chefde la section, et le général Emmanuel Fortuné,chef de la ligne, qui commande les postes militairesde la frontière voisine. La population vitde l'industrie du latanier. Les grandes feuillesserv<strong>en</strong>t à recouvrir les cases ; celles cueilliesau cœur même de l'arbre sèch<strong>en</strong>t dans toutesles cours; une fois jaunies, les tigesc<strong>en</strong>tralessoigneusem<strong>en</strong>t retirées, les fibres sont mises <strong>en</strong>paquets et expédiées à Port-au-Prince, où ellesserv<strong>en</strong>t à la fabrication des chapeaux, deset des macoutes 1 .alfors« Traverser dans l'espagnol » est très pénible.Le chef de la section veut bi<strong>en</strong> v<strong>en</strong>iravecnous. Il a quitté son vêtem<strong>en</strong>t militaire, mis sesbottes et un chapeau de feutre noir; surmule, sa femme a placé les valises <strong>en</strong> cuir. Lesjardins, où cocotiers, ricins et papayers ombrag<strong>en</strong>tles plants de vivres, se prolong<strong>en</strong>t jusqu'àla source Cadet ; à l'embarcadère, des1. Macoute, de même que macuto, <strong>en</strong> créole espagnol, estd'origine indi<strong>en</strong>ne : sacoche tressée <strong>en</strong> fibres végétales.sa


182 EN HAÏTIbois sont amoncelés, comas, candélons, campêcheset bois-jaune, qui att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t la v<strong>en</strong>uedes goélettes pour être transportés à la scieriede Glore ou au wharf du chemin de fer, à Manneville.L'Etang s'est rétréci ; nous sommes àl'<strong>en</strong>trée du golfe d'Imani, sur lequel la montagnevi<strong>en</strong>t tomber à pic. Au fond Bayard, sousun ajoupa, une demi-douzaine d'hommes, <strong>en</strong>blouse bleue et chapeau de paille, gard<strong>en</strong>t leposte militaire; ils prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les armes. « Gardeà vous! une... deux... », commande l'officier,qui vi<strong>en</strong>t recevoir la rémunération due à sa politesse...La montée du morne Borne a été creuséedans le rocher ; nos chevaux qui sont ferrés,gliss<strong>en</strong>t à tout instant et il faut mettre pied àterre. La forêt est monotone et rabougrie. Enhaut, second poste militaire, le poste nan borne,et, tout auprès, un amas de cailloux indiquantla frontière... Sur le plateau, quelques Haïti<strong>en</strong>sont défriché et planté leurs jardins... La desc<strong>en</strong>teest pire <strong>en</strong>core que la montée; elle emprunteconstamm<strong>en</strong>t le lit des torr<strong>en</strong>ts, laissantparfois une échappée sur la Lagune.Enfin, nous atteignons, avec la plaine, le villaged'Imani. Les cases sont nombreuses et disséminées; Haïti<strong>en</strong>s et Dominicains s'y sontétablis <strong>en</strong> un mélange fraternel. C'est le pre-


DE LA CROIX- DES- BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 183mier refuge, qui s'impose aux victimes de lapolitique ou aux malfaiteurs de la « partie française» ; un aide de camp du Présid<strong>en</strong>t d'Haïtiest arrivé l'autre jour, pour faire oublier un volcommis par lui au détrim<strong>en</strong>t de Mme la Présid<strong>en</strong>te.Cet usage existait déjà sous le régimefrançais, qui <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ait un « commissaire à l'espagnol», chargé d'y rechercher les déserteurs,criminels et nègres marrons. Plus récemm<strong>en</strong>t,une conv<strong>en</strong>tion de 1880 permit aux gouvernem<strong>en</strong>tshaïti<strong>en</strong> et dominicain de se réclamer l'un àl'autre l'expulsion de leurs réfugiés respectifs.Mais ceux-ci ne s'<strong>en</strong> inquièt<strong>en</strong>t guère, ils connaiss<strong>en</strong>tl'indol<strong>en</strong>ce naturelle des leurs et sav<strong>en</strong>tque la grosse affaire est d'échapper, par unefuite opportune, aux premiers mouvem<strong>en</strong>ts dela colère des grands.Imani s'ét<strong>en</strong>d d'un lac à l'autre. Du golfe,dev<strong>en</strong>u extrêmem<strong>en</strong>t étroit, le terrain remonte<strong>en</strong> p<strong>en</strong>te douce, atteint un seuil très bas, etredesc<strong>en</strong>d vers Rio-Blanco, au bord de la Lagune,à 54 mètres au-dessous du niveau de lamer; une ligne de mornets, détachée dumassif des Grands-Bois, se glisse <strong>en</strong>tre lesdeux lacs jusqu'au-dessus du village.L'autorité est représ<strong>en</strong>tée par le chef de laligne de Rio-Blanco, don Gregorio de Noba,


184 EN HAÏTI« Moune honnête, moune dé bi<strong>en</strong>, positive ! —Un honnête homme ; un homme de bi<strong>en</strong> »,affirme le général Tiyoute. L'Haïti<strong>en</strong> et le Dominicainparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> excell<strong>en</strong>ts termes et s'embrass<strong>en</strong>tavec effusion. D. Gregorio est v<strong>en</strong>ud'Azua s'établir à la frontière ; il a épousé unefille de Neyba, élevée à Port-au-Prince ; tousdeux sont mulâtres clairs, le teint cuivré,comme la plupart des Dominicains. Jeunes<strong>en</strong>core, ils ont une famille de 11 <strong>en</strong>fants, dont7 garçons; l'homme est mince, robuste et actif;la femme, un peu flétrie par ses nombreusesmaternités. La prospérité leur est v<strong>en</strong>ue ;leur cour conti<strong>en</strong>t plusieurs grands bohios <strong>en</strong>planches (c'est le nom donné aux cases, <strong>en</strong>créole espagnol) ; autour s'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les conucos(jardins) et les potreros (pâturages d'herbesde Guinée), <strong>en</strong>clos de pieux de bois et ombragésde lataniers. La situation est bonne ; la terre bi<strong>en</strong>arrosée par les dérivations de la rivière Sor-Liette, qui coule dans le bois voisin. L'<strong>en</strong>droits'appelle la Source, la furnia 1 , <strong>en</strong> créole espagnol.Avec la richesse, D. Gregorio a acquisl'influ<strong>en</strong>ce, qui lui vaut ses honneurs militaires.1. Une furnia est une source très profonde, un abîme quise creuse dans les calcaires ; mot créole espagnol spécialaux Antilles.


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 185La maison est bi<strong>en</strong> pourvue : Altagracia, lafille aînée, prépare, pour le repas du soir, unsancocho de gallina (le gros bouillon de pouledes Haïti<strong>en</strong>s), avec un plat de pois et riz.Quand il se fait tard, des cadres, munis d'oreillerset de couvertures, sont préparés pour leshôtes dans la grande pièce du bohio. Ces g<strong>en</strong>sviv<strong>en</strong>t heureux ; peu éclairés, ils éprouv<strong>en</strong>t peude besoins. En cas de nécessité, ils se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>tà 7 lieues 1de là, à Las Damas, le chef-lieu de lacommune, où résid<strong>en</strong>t le prêtre et les autorités,c'est-à-dire le commandant d'armes, appuyépar le recrutem<strong>en</strong>t militaire de la circonscription,et l'alcalde constitucional, à la fois chef civil,maire, officier de l'état civil, percepteur et jugede paix. Un petit corps de « dragons » montésassure la poste et le service des campagnes,moy<strong>en</strong>nant une paie de 40 sous or, par jour deréquisition. Au bourg, l'<strong>en</strong>semble de ces diversservices se trouve conc<strong>en</strong>tré dans le même bâtim<strong>en</strong>tadministratif.Les Dominicains de la frontière vont souv<strong>en</strong>tà Port-au-Prince. En leur appr<strong>en</strong>ant le créolefrançais, le voisinage a introduit chez eux certainescoutumes haïti<strong>en</strong>nes; leurs femmes1. Lieues espagnoles, à peu près le double des nôtres.


186 EN HAÏTIport<strong>en</strong>t le foulard noué sur la tête; souv<strong>en</strong>tmême, ils <strong>en</strong>terr<strong>en</strong>t leurs morts sous les cubesde maçonnerie usités dans l'Ouest. Mais ils <strong>en</strong>ignor<strong>en</strong>t le fétichisme; leurs superstitions seborn<strong>en</strong>t à la sci<strong>en</strong>ce des plantes et à la craintedes esprits. Ils redout<strong>en</strong>t particulièrem<strong>en</strong>t lesmorts et cherch<strong>en</strong>t à les concilier, <strong>en</strong> faisant, aupied des calvaires, des amoncellem<strong>en</strong>ts deroches. Pour les besoins de chaque jour, le prêtreleur apparaît comme suffisamm<strong>en</strong>t efficace. Dansles cas graves, ils recour<strong>en</strong>t aux pèlerinagesde Bayaguana et de Higuey, où ils apport<strong>en</strong>t à laSainte Vierge les prémisses des fruits et la dîmede bétail. Les Dominicains célèbr<strong>en</strong>t, par desrevues et des feux d'artifice, leurs deux fêtesnationales : le 27 février, qui leur rappellel'expulsion des Haïti<strong>en</strong>s, et le 16 août, celle desEspagnols. Les combats de coq sont, comme <strong>en</strong>Haïti, leur divertissem<strong>en</strong>t principal. Par contre,<strong>en</strong> Dominicanie, on n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d jamais battre le tambour; ces g<strong>en</strong>s ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à la danza, qui vi<strong>en</strong>tde leur asc<strong>en</strong>dance espagnole, au son de l'accordéonet du guiro (sorte de calebasse grattée avecun morceau de fer). A Imani, la danse est interrompuedepuis des semaines ; la frontière a étépeuplée par un petit groupe de familles v<strong>en</strong>uesd'Azua et de Neyba; la population <strong>en</strong>tière est


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 187appar<strong>en</strong>tée <strong>en</strong>tre elle ; quelques décès sontsurv<strong>en</strong>us ; toutes les femmes port<strong>en</strong>t le foulardnoir <strong>en</strong> signe de deuil.En ce mom<strong>en</strong>t, la politique américaineprovoque la terreur dans ces intérieurs simpleset tranquilles. Jusqu'ici la frontière était libre;la douane terrestre n'existait pas <strong>en</strong> Haïti ; <strong>en</strong>Dominicanie, elle fermait les yeux. Éloignés detout autre c<strong>en</strong>tre, les cultivateurs des régionslimitrophes vivai<strong>en</strong>t du marché haïti<strong>en</strong>, où ilstrouvai<strong>en</strong>t un débouché pour leurs vivres etleur bétail. La réorganisation des douanes dominicaines,sous le contrôle américain, m<strong>en</strong>aced'<strong>en</strong>traver ces relations par la perception dedroits prohibitifs ; si bi<strong>en</strong> que les g<strong>en</strong>s de la frontière,coupés de toutes communications avecHaïti, isolés dans le désert dominicain, sedemand<strong>en</strong>t avec anxiété comm<strong>en</strong>t ils vont vivre.Cette anxiété s'est traduite par l'av<strong>en</strong>ture surv<strong>en</strong>ueau premier contrôleur américain, qui fut<strong>en</strong>voyé de ce côté ; à peine avait-il dépasséNeyba qu'il fut reçu à coups de fusil ; p<strong>en</strong>dantquelques jours, il se traîna blessé dans lesbois, et finit par regagner Santo-Domingo, oùil est occupé à se guérir.Le l<strong>en</strong>demain matin, tandis que le généralTiyoute regagne Fond-Parisi<strong>en</strong> par la mon-


188 EN HAÏTItagne, D. Gregorio est à cheval, pour me conduireà Tierra-Nueva. Selon l'usage dominicain,il a placé sur sa selle une couverture et uneserviette, objets indisp<strong>en</strong>sables, s'il doit passerla nuit dehors. Deux heures de route : le cheminsuit de près la Lagune jusqu'au petit villagede Boca-Cachon, au pied des Grands-Bois.De la grève sablonneuse, on aperçoit le lacs'ét<strong>en</strong>dant à l'infini vers l'est, <strong>en</strong>tre la doublechaîne des mornes. Une île <strong>en</strong> barre le milieu.L'aspect de la Laguna de Enriquillo est beaucoupmoins pittoresque que celui de l'ÉtangSaumâtre ; les montagnes sont moins bi<strong>en</strong> groupées,la nappe d'eau est trop ét<strong>en</strong>due. Elle reçutson nom d'un chef indi<strong>en</strong>, le cacique H<strong>en</strong>riqui, après la conquête, tint tête aux Espagnolset les contraignit à reconnaître une sorte deréserve indi<strong>en</strong>ne.La grand'route de Neyba à la frontière haïti<strong>en</strong>netraverse Boca-Cachon, puis une largeouverture pratiquée au milieu des bois, jusqu'àTierra-Nueva. Les cases et les cultures s'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>tsous une imm<strong>en</strong>se forêt de lataniers ; partout,des essaims de guêpes ont été recueillisdans des troncs creusés de « bois-trompette ».Nous nous arrêtons chez l'administrateur de ladouane, un fonctionnaire attristé qui ne peut se


EN DOMINICANIE : LAS MATAS DE FARFANEN DOMINICANIE : SAN JUAN DE LA MAGUANAAUBIN. En Haïti. PL. XIX


DE LA CROIX-DES-BOUQUETS A L'ÉTANG SAUMATRE 189faire à cette solitude. Tierra-Nueva est, pourtant,un bourg assez important : il y réside unalcalde pedaneo (le p<strong>en</strong>dant des chefs de sectionhaïti<strong>en</strong>s et nommé pour deux ans, parmi lesprincipaux habitants), un chef militaire de laligne et un inspecteur d'agriculture.A El Fondo, une heure plus loin, est installéle dernier poste dominicain ; là même où se trouvait,à l'époque coloniale, le dernier poste espagnol;quatre soldats fort corrects, vêtus de toileblanche, rayée de bleu, y contrôl<strong>en</strong>t le passage :leur quatre hamacs sont alignés sous un abri debranchages. Une petite crête, et nous voici d<strong>en</strong>ouveau sur le bord de l'Étang Saumâtre.P<strong>en</strong>dant quatre heures, le s<strong>en</strong>tier, très escarpé,suit le lac <strong>en</strong> corniche, montant et desc<strong>en</strong>dantpar une série de pointes et de fonds déserts ;la vue est constamm<strong>en</strong>t dégagée. Une baie,fermée de petites îles rocheuses, marque, dece côté,le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t de la terre haïti<strong>en</strong>ne.C'est le meilleur <strong>en</strong>droit de chasse qu'il y aitsur le lac : un matin, nous y vînmes <strong>en</strong> canot ;des vols de canards s'élevai<strong>en</strong>t des broussailles,un caïman dormait allongé sur le sable ;et, au bruit des avirons, un gros iguane s'<strong>en</strong>fonçadans le rocher. Trois vallons resserrés —Fond-Ravets, Fond-des-Chênes et Fond-Cha-


190 EN HAÏTIleur — se succèd<strong>en</strong>t les uns aux autres ; quelquescultures y ont été <strong>en</strong>treprises, quelques casess'y sont élevées. Nous passons les postesmilitaires haïti<strong>en</strong>s, pour arriver à l'<strong>en</strong>trée dela plaine, à la scierie de Glore, qui débite, avecles bois durs de la montagne, ceux qui luivi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'au-delà du lac. Elle a été établie, pardeux jeunes créoles, <strong>en</strong> association avec uningénieur français, M. Guilloux, mort aujourd'hui.Encore une vingtaine de minutes jusqu'àManneville... L'un des deux « habitants » quim'ont accompagné, M. Augustin Casile, mequitte à l'<strong>en</strong>trée de sa cour, devant sa grandecase à volets bleus, où sa fille, Mlle Pétronne,lui souhaite la bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue.


CHAPITREVILA RIVIÈRE FROIDELe Morne l'Hôpital. — La côte, de Port-au-Prince à Carrefour.— De la Noël aux Rois : les grandes fêtes Vaudoux ;le piler-feuilles ; le casser-gâteau. — La source Mariani. —Chez le général Ti-Plaisir; service <strong>en</strong> l'honneur de MaîtreAguay. — Le culte des morts. — La cérémonie du brûlerlain.— L'usine Monfleury. — La culture et la préparationdu café. — La propriété dans les mornes. — Les marassas(jumeaux). — Le général Cyrille Paul. —Comm<strong>en</strong>t les nègresfont une tasse de café. — Le Chemin des Commissaires.— L'habitation Laval. — La vallée de la Rivière Gosseline.— Jacmel. — M. Vital. — Retour par le chemin du Gros-Morne.Le Morne l'Hôpital, où s'adosse la ville dePort-au-Prince, est une montagne allongée,bordant la côte méridionale de la baie ; il reçutson nom d'un hôpital de flibustiers, qui, instituébi<strong>en</strong> avant la fondation de la capitale, disparutdevant le progrès de l'organisation coloniale.


192 EN HAÏTILa crête comm<strong>en</strong>ce au Morne Boutillier, audessusde Pétionville, s'abaisse peu à peu parles Mornes Fourmy et Macaco, avant de mourir,sur la Rivière Froide, à une dizaine de kilomètrès,au delà de Port-au-Prince. Entièrem<strong>en</strong>tboisé au Nord, le Morne l'Hôpital se dénudesur son versant Sud. De petits cultivateurs yont établi leurs cases, leurs jardins de vivreset, tout <strong>en</strong> haut, leurs caféières. Un multipleréseau de s<strong>en</strong>tiers escarpés gravit la montagne,au travers des hort<strong>en</strong>sias sauvages ; ils serv<strong>en</strong>tde voies d'accès au massif montagneux fortélevé, qui forme, de Port-au-Prince à Jacmel,la plus belle partie de l'île d'Haïti. La RivièreFroide et la Rivière Momance (Grande Rivière deLéogane) <strong>en</strong>fonc<strong>en</strong>t, au creux de ces mornes,leurs vallées parallèles ; le plateau du morneChandelle sépare la Rivière Froide de la plainede Léogane. La vue y est partout admirable :elle embrasse une bonne partie de la chaînecôtière, les tapions du Petit-Goave et de Miragoane,dont les falaises isolées tomb<strong>en</strong>t à picdans la mer. Au pied, la ville s'ét<strong>en</strong>d <strong>en</strong>damier; les îlots de palétuviers parsèm<strong>en</strong>t larade ; une bande étroite de terrain plat se poursuitsous les palmistes, le long des d<strong>en</strong>teluresdu rivage, jusqu'à la petite plaine, qui


L'HABITATION MONFLEURY : L'USINEL'HABITATION MONFLEURT : LES GLACIS POUR LE SÉCHAGE DES CAFÉSAUBIN. En Haïti. PL. X X


LA RIVIÈRE FROIDE 193s'élargit à l'embouchure de la Rivière Froide.Du temps de la colonie, c'était le canton duTrou-Bordet; les habitations s'échelonnai<strong>en</strong>t lelong de la côte. D'abord Martissans, qui fournissaitde la chaux et du fourrage ; plus loin,une sucrerie, installée vers le milieu du dixhuitièmesiècle, par M. Bizoton de La Motte,qui appart<strong>en</strong>ait à une vieille famille coloniale(<strong>en</strong> 1723, un M. Bizoton était conseiller au ConseilSupérieur du Petit-Goave) et qui succèda,comme gouverneur de la partie de l'Ouest, àM. de Vaudreuil, nommé, <strong>en</strong> 1753, gouverneurgénéral de la colonie ; une autre sucrerie avait étéconstruite sur l'habitation Volant Le Tort, dontle corail se retrouve <strong>en</strong>core — Corail-Tort —tout au fond du morne Chandelle. Enfin, v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>tles habitations Cottes et Truitier deVaucresson 1 , détachées de la précéd<strong>en</strong>te pourla dot des deux filles d'un M. Le Tort. Le carre-1. J'ai r<strong>en</strong>contré, dans la partie ori<strong>en</strong>tale de Cuba, deuxMM. Truitier, qui desc<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t de l'anci<strong>en</strong>ne famille deSaint-Domingue. Ils étai<strong>en</strong>t déjà vieux ; le grand-père avaitémigré p<strong>en</strong>dant la Révolution et débarqué à Baracoa, le portcubain le plus proche, où se dirigea le gros des fugitifs.Avec ceux de ses esclaves qui l'avai<strong>en</strong>t suivi, il créa unecaféière au-dessus de Guantanamo ; <strong>en</strong> son temps, sa veuveavait touché sa part de l'indemnité. Atteints dans leur fortune,comme tant d'autres familles françaises, par les révolutionssuccessives de l'île de Cuba, MM. fruitier travaill<strong>en</strong>t aujourd'huisur des caféières.EN HAÏTI. 13


194 EN HAÏTIfour Truitier marquait le passage de la RivièreFroide.De ce côté, une succession d'ouvrages fortifiéscommandait la baie, <strong>en</strong> déf<strong>en</strong>dant lesapproches de la capitale ; les forts Mercredi etBizoton mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core leurs fossés mi-combléset leurs murailles aux pierres disjointes 1 .Le régime haïti<strong>en</strong> s'est égalem<strong>en</strong>t préoccupé demettre le gouvernem<strong>en</strong>t national à l'abri detoute surprise révolutionnaire par la route duSud. Les circonscriptions administratives ont étémorcelées, de façon à partager l'autorité <strong>en</strong>trequatre chefs de section, à Jean Ciseau, auxportes de la ville, à Bizoton et à Carrefour, troispostes militaires, avec autant de généraux, contrôl<strong>en</strong>tle passage ; un autre général, chargéde la surveillance de la côte, <strong>en</strong> vue d'y répri-1. Bi<strong>en</strong> qu'il fut reconnu que la position de Port-au-Princ<strong>en</strong>'était pas susceptible de déf<strong>en</strong>se, le gouvernem<strong>en</strong>t françaisy avait établi, dès avant la guerre de Sept Ans, tout unsystème de fortifications. Les forts Bizoton et Bagatelle, aujourd'huifort Mercredi, déf<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t l'accès de la ville par leSud ; le fort Islet protégeait la rade ; le fort Dimanche etle fort Sainte-Claire le bord de la mer ; le fort Saint-Joseph,construit sur le Morne Bel-Air, dominait la ville. Les fortsSaint-Joseph et Sainte-Claire portai<strong>en</strong>t les noms de baptêmedu Gouverneur, M. de Vaudreuil (1753-1757) et de safemme. Plus ou moins ruinés, ces divers forts exist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core.En 1794, quand les planteurs émigrés et leurs alliésanglais apparur<strong>en</strong>t devant Port-au-Prince, ce fut la prise dufort Bizoton qui leur livra la ville.


LA RIVIÈRE FROIDE 195mer la contrebande, réside à Port-au-Prince.Les fours à chaux sont restés, les sucreriesd'antan ont disparu ; à Bizoton, une anci<strong>en</strong>neconduite d'eau longe la route ; les blanchisseusesoccup<strong>en</strong>t les galets des rivières ; la côtesert aux divertissem<strong>en</strong>ts des g<strong>en</strong>s de Port-au-Prince. Ce ne sont que guinguettes, gagaireset maisons de campagne. Un des points de labaie s'appelle le « bain de Madame Leclerc »,<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>ir du séjour à Saint-Domingue dePauline Bonaparte, femme du général <strong>en</strong> chefde l'expédition française. De ce côté, plusieurs d<strong>en</strong>os compatriotes sont propriétaires : MM. Gostalle,Thibault, un vieil employé de la BanqueNationale d'Haïti, Tesserot, un pharmaci<strong>en</strong> v<strong>en</strong>ude la Guadeloupe. Plus haut vers le morne, l'habitationDiquini, avec une grotte creusée dansle calcaire de la montagne, avait été aménagéepar un négociant français, M. Déjardin ; à samort, elle revint à son g<strong>en</strong>dre, un Allemand,M. Lüders, et ses petits-<strong>en</strong>fants y form<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>anttoute une colonie. M. Daniel Lüders a étéélevé, à Paris, au collège Stanislas, et vit leplus souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France ; il exploite, sur sondomaine, une plantation de tabac et une fabriquede cigares, manœuvrée par des ouvriers jamaïcains.


196 EN HAÏTIQuand, après l'Indép<strong>en</strong>dance, les Haïti<strong>en</strong>s serépartir<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre eux les dépouilles des blancs,la grande habitation Le Tort échut au Présid<strong>en</strong>tPétion ; la sucrerie coloniale, la demeure présid<strong>en</strong>tiell<strong>en</strong>e sont plus que ruines. Au bord dela route, le moulin, dont la roue de fer est restéeintacte, — l'aqueduc, qui am<strong>en</strong>ait l'eau dela source voisine, la source Mahotière, — lasucrerie, aux f<strong>en</strong>êtres cintrées et grillées,l'escalier <strong>en</strong> briques plates, — le tout disparaissantsous les lianes. Plus haut, sur les premièresp<strong>en</strong>tes du morne, la maison était précédéed'une vaste terrasse, dominant la baie<strong>en</strong>tière de Port-au-Prince : des tuiles, des ardoises,des dalles de marbre se retrouv<strong>en</strong>tparmi les broussailles ; deux statues décapitéesgis<strong>en</strong>t à terre. Michaïl Scott, l'auteurde Tom Cringle's Log qui est le roman del'av<strong>en</strong>ture anglaise dans la mer des Antilles,y conduisit son héros, au cours de l'une de sescroisières. « La maison elle-même, écrit-il, n'avaitri<strong>en</strong>de particulier, qui la distinguât des autreshabitations du voisinage ; mais de petites statues,des fragm<strong>en</strong>ts de degrés <strong>en</strong> marbre, desparties détachées de balustrades <strong>en</strong> vieux ferforgé — avai<strong>en</strong>t été réunis, pour former, audessousde la maison, une terrasse monum<strong>en</strong>-


LA RIVIÈRE FROIDE 197tale, avec vue sur la mer. C'était évidemm<strong>en</strong>tune collection recueillie dans les maisons deriches planteurs français, dont les ruines noircissai<strong>en</strong>tmaint<strong>en</strong>ant au soleil dans la plaine deLéogane. » Quand M. Ch. Mack<strong>en</strong>zie vint àPort-au-Prince, <strong>en</strong> 1826, l'habitation Le Tortétait <strong>en</strong>core debout ; la fille unique du défuntPrésid<strong>en</strong>t continuait d'y résider. Elle fut détruiteun peu plus tard par un des tremblem<strong>en</strong>ts deterre, si fréqu<strong>en</strong>ts dans ces îles.L'agglomération de Carrefour dissémine sescases sur les deux bords de la Rivière Froide, àsa sortie de la montagne. Les Pères de la congrégationde Marie vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'y créer une paroisse; les Sœurs de Saint-Joseph de Clunyy ont établi leur orphelinat. Le haut du villageest occupé par l'usine Monfleury, une usinec<strong>en</strong>trale pour la préparation du café, appart<strong>en</strong>antà des Français ; plus bas s'épanouit unepetite plaine cultivée <strong>en</strong> cannes, qui desc<strong>en</strong>ddoucem<strong>en</strong>t vers la mer et s'achève à la pointedu Lam<strong>en</strong>tin. Lors du partage des terres, l'habitationMonrepos avait été attribuée au généralInginac, qui fut secrétaire général, c'est-à-direpremier ministre du Présid<strong>en</strong>t Boyer. Ce fut luiqui négocia le traité de 1838 avec nos plénipot<strong>en</strong>tiaires,le baron de Las Cases et le commandant


198 EN HAÏTIBaudin, plus tard amiral. Monrepos apparti<strong>en</strong>taujourd'hui à un groupe franco-haïti<strong>en</strong> qui yexploite une sucrerie, dirigée par un Bordelais,M. Giraud-Lacoste.Si la côte de Bizoton est réservée aux divertissem<strong>en</strong>tsprofanes, Carrefour et ses <strong>en</strong>vironsse voi<strong>en</strong>t consacrés à des soins plus élevés.La verdure, la fraîcheur des eaux, la proximitéde la mer y décelai<strong>en</strong>t la prés<strong>en</strong>ce des mystèresVaudoux ; si bi<strong>en</strong> que les houmforts s'y sontnaturellem<strong>en</strong>t groupés, à l'usage des g<strong>en</strong>s dePort-au-Prince, dont le culte, moins austère, redoutantla sci<strong>en</strong>ce des grands papalois de laplaine du Cul-de-Sac, se s<strong>en</strong>t davantage attirépar la jolie nature du lieu.P<strong>en</strong>dant les pieuses semaines qui, de la Noëlaux Rois, ramèn<strong>en</strong>t plus particulièrem<strong>en</strong>t lapopulation au souv<strong>en</strong>ir de ses origines africaineset à la vénération des forces naturelles,Carrefour est <strong>en</strong> liesse ; le travail est partoutinterrompu ; jusqu'au 15 janvier, les danses sepoursuiv<strong>en</strong>t ; à cette époque, les adeptes desdiverses sociétés de Vaudoux ne manqu<strong>en</strong>tguère de se réunir autour de leurs chefs respectifs,pour la célébration des fêtes traditionnelles.Le jour de Noël, le papaloi part, avecson monde, à travers la campagne ; toute l'après-


LA RIVIÈRE FROIDE 199midi est consacrée à la recherche de certainesplantes et feuilles médicinales ; le soir, il estprocédé au pilé-feille et celles-ci sont mises àbouillir. L'officiant appelle alors les fidèles.Fanmille moin,Vini joinne moin.« Ma famille, v<strong>en</strong>ez auprès de moi ! »C'est l'instant sol<strong>en</strong>nel où vont être écartéeles sorts m<strong>en</strong>açants, où il apparti<strong>en</strong>dra à chacunde procéder au conté vaillance, c'est-àdired'exprimer ses vœux pour l'année nouvelle.Placé devant le pè du houmfort, le papaloi faitl'appel nominal ; à tour de rôle, les g<strong>en</strong>s de lasociété vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> toute confiance, raconterleur petite histoire ; ils reçoiv<strong>en</strong>t une onctionrapide du liquide obt<strong>en</strong>u par le pilé-feille,ou, dans certains cas graves, <strong>en</strong> emport<strong>en</strong>t unefiole. A leurs yeux, un tel talisman suffira pourles r<strong>en</strong>dre indemnes, une année <strong>en</strong>tière, contrele danger des mauvais sorts.Pour le jour de l'an et les Rois, les fêtes sontsemblables aux nôtres, et les mystères n'ontri<strong>en</strong> à y voir. On profite du premier de l'anpour faire un grand « manger » et boire <strong>en</strong>compagnie toutes les bouteilles de vins et deliqueurs, déposées sur le pè p<strong>en</strong>dant l'année


200 EN HAÏTIécoulée. Puis vi<strong>en</strong>t le cassé-gâteau, le gâteaudes Rois, que chaque papaloi a coutume d'offrirà ses amis et connaissances; pour la circonstance,dépouillant son caractère religieux,le houmfort s'ouvre à la vie sociale des nègresdu voisinage.L'hiver passé, Mme veuve Derimon Bas, quihabite Port-au-Prince et vi<strong>en</strong>t opérer, de tempsà autre, à son houmfort de Carrefour, avaitréuni, pour le cassé-gâteau, la meilleure sociétéde l'<strong>en</strong>droit. Quand nous arrivâmes, safille, Mlle Vesta Louis-Charles, une jeune personned'une vingtaine d'années, <strong>en</strong> robe depiqué blanc, escortée de deux demoiselleshounsis, avec leurs drapeaux, s'employait àfaire des libations auprès des reposoirs de lacour. Elle vint à notre r<strong>en</strong>contre, invita sesdeux compagnes à nous placer sur l'épaulel'extrémité de leurs drapeaux et nous introduisitsous une vaste tonnelle. La mamanloi étaitassise au milieu de ses hôtes et des autorités<strong>en</strong> uniforme, à côté du gâteau des rois découpé,de bouteilles de sirops et de liqueurs qu'ellev<strong>en</strong>ait de servir ; elle portait une robe de satinrose avec d<strong>en</strong>telles au corsage et, sur la tête, unfoulard fort élégant. Comme il se faisait tard,on avait allumé à l'huile de ricin les lampes à


LA RIVIÈRE FROIDE 201quatre bras, p<strong>en</strong>dues aux poutres de la tonnelle ;les deux pièces du houmfort étai<strong>en</strong>t éclairées :l'une consacrée au rite Arada, l'autre au riteCongo ; dans la première, se trouvait un édicule<strong>en</strong> carton, illuminé à l'intérieur, une « maisonde Dieu », où étai<strong>en</strong>t inscrits les noms de quatrelois vénérés : Dambala Oueddo, Zamblo Cuidy,Ogoun Per et Loco. Après nous avoir offert desrafraîchissem<strong>en</strong>ts et s'être assurée que nousne répugnions point à « payer les mystères »,Mme Bas voulut bi<strong>en</strong> se livrer, pour notre édification,à quelques-unes de ses danses favorites; la plus réussie s'effectua au son du mayoyo,châssis de bois, orné de clochettes, —un accessoiredu rite Congo.De l'autre côté de la plaine de Carrefour, aupied du morne Dégand, se creuse profondém<strong>en</strong>tla source Mariani ; une nappe d'eau àl'ombre des grands arbres, dame-maries, palmisteset bois-chêne ; une cressonnière la recouvrepar <strong>en</strong>droits ; le soleil y joue tout le longdu jour, à travers les feuillages ; les <strong>en</strong>fantsvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t s'y baigner, les femmes y puiser del'eau dans les dame-jeannes, qu'elles port<strong>en</strong>tsur la tête ; il s'y forme une petite rivière,coulant à travers les bananiers, vers la pointedu Lam<strong>en</strong>tin. Parmi les « têtes de l'eau » du


202 EN HAÏTIpays, la source Mariani est particulièrem<strong>en</strong>tillustre ; les superstitions populaires la suppos<strong>en</strong>thabitée à la fois par tous les mystèresaquatiques, par les 17 lois nan bas d'leau, incarnationsmultiples de Dambala et d'Aguay.Une mamanloi, Mambô Sandrine, et un houngan,M. Sénatus Jean-Philippe, ont installé leurshoumforts dans les <strong>en</strong>virons de la source ; mais,s'ils profit<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque mesure de la réputationdu lieu, ils ne saurai<strong>en</strong>t suffire à un aussiglorieux service, — le malheur veut, du reste,que M. Sénatus relève de Papa Loco et nonpoint d'une divinité de la source. Pour êtredécemm<strong>en</strong>t servis, chacun des lois de Marianirequiert la prés<strong>en</strong>ce de ses papalois propres,de ceux qu'il inspire directem<strong>en</strong>t, et lejour des Rois, pour la cérémonie annuelle, il <strong>en</strong>accourt habituellem<strong>en</strong>t de toute l'île. Cep<strong>en</strong>dant,un culte complet exige une trop grande afflu<strong>en</strong>ce,un pèlerinage trop universel ; il est rare que17 papalois, qualifiés pour servir chacun des 17lois représ<strong>en</strong>tés, élèv<strong>en</strong>t à la fois leurs tonnellesau bord de la source, afin d'appeler et recevoirles mystères, sous la direction de l'un d'<strong>en</strong>treeux, choisi comme « maître de la source ». Pareilconcours de peuple ne peut se produireque tous les quatre ou cinq ans, surtout aux


LA RIVIÈRE FROIDE 203années de prospérité : ce sont alors « bamboches» extraordinaires, danses prolongées,« mangers » servis à la source ; parfois même,se produis<strong>en</strong>t des guérisons et des miracles.Le plus souv<strong>en</strong>t, il ne s'établit que quelquestonnelles et plusieurs des lois sont délaissés ;cette année même, il n'y <strong>en</strong> eut qu'une, érigéepar le papaloi local : une tonnelle modeste, recouvertede branches de palmistes, décorée derideaux et d'étoffes ; au-devant était app<strong>en</strong>dueune pancarte ainsi conçue :Daco Naigai GuinéeRada FrédaSénatus Jean Philippe, seul chefSociété Fleur HaïtiJe vous salue :LaSociété.Au milieu du jour, le papaloi <strong>en</strong>tama leservice <strong>en</strong> l'honneur de Dambala Oueddo etd'Aguay Aoyo ; les participants se groupèr<strong>en</strong>tsous la tonnelle ; M. Sénatus traça soigneusem<strong>en</strong>tsur le sol les signes cabalistiques affér<strong>en</strong>tsaux deux lois qu'il s'agissait d'appeler ;puis il se tourna vers la source, <strong>en</strong> agitant sonasson ; un des acolytes sonnait la clochette ;plusieurs autres soufflai<strong>en</strong>t bruyamm<strong>en</strong>t dansde grands coquillages roses, nommés lambis ;


204 EN HAÏTIles hounsis balançai<strong>en</strong>t leurs drapeaux ; tous lesv<strong>en</strong>tres s'étai<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong> mouvem<strong>en</strong>t ; les crisd'appel se faisai<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus aigus etpressants. Soudain, parmi l'assistance, deuxfemmes fur<strong>en</strong>t saisies de viol<strong>en</strong>tes crises d<strong>en</strong>erfs ; les lois, répondant aux instances de leursfidèles, v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de les pr<strong>en</strong>dre et de s'incarner<strong>en</strong> elles... Après que le papaloi se fut employé,par ses gestes, à régler, puis à calmer les premiersdébordem<strong>en</strong>ts de leur extase, la société,satisfaite d'avoir reçu les lois invoqués, et deles garder au milieu d'elle, prit du repos jusqu'àla nuit.Une jeune négresse était desc<strong>en</strong>due d'unecase voisine et assistait, un peu à l'écart, à toutecette cérémonie. Elle nous conta sa triste histoire,qui n'est point chose rare dans les villeshaïti<strong>en</strong>nes. Ciliette Lar<strong>en</strong>cul, de son nom dejeune fille, avait épousé M. Dufresne, tailleuret musici<strong>en</strong> de la marine ; le ménage nemarcha guère ; l'homme négligeait sa femme etlui refusait l'arg<strong>en</strong>t nécessaire à ses besoins ;<strong>en</strong> désespoir de cause, elle se vit obligée de« contracter affaire » avec un spéculateur <strong>en</strong>d<strong>en</strong>rées, établi au portail de Léogane. M. Dufresn<strong>en</strong>'<strong>en</strong> att<strong>en</strong>dait pas davantage ; il s'empressade publier, par la voie de la presse, ses


LA RIVIÈRE FROIDE 205infortunes conjugales et int<strong>en</strong>ta une action <strong>en</strong>divorce 1 . Doublem<strong>en</strong>t abandonnée, la pauvre1. Les Haïti<strong>en</strong>s ont coutume de confier aux journaux toutce qu'ils ont sur le cœur. Les colonnes du « Nouvelliste » dePort-au-Prince sont remplies d'élucubrations, d'annonces etd'avis individuels ; il semble que le nègre d'Haïti éprouveun particulier besoin de mettre ses semblables au courantde ses infortunes conjugales ; point de jour qu'un homme nedénonce la femme avec laquelle il vit ou une femme son mari.Avis.« Le soussigné déclare au public et au commerce qu'iln'est plus responsable des actes et actions de son épouse,née Eugénie Bristol Brice, pour avoir refusé formellem<strong>en</strong>td'<strong>en</strong>trer sous le toit marital, un procès <strong>en</strong> divorce devantlui être int<strong>en</strong>té incessamm<strong>en</strong>t.« Port-au-Prince, 9 décembre 1905. VICTOR BRIGNOL. »Le 30 août 1905, M. Usili<strong>en</strong> Tropnas, huissier à Saint-Louisdu Sud, avait rejeté « pour cause grave » sa femme OriésiaAdonis. Le 13 décembre, M. J. D. Simon, des Gonaïves, estplus précis : il dénonce Mlle Uranie Jean-François, « diteMme Desapôtres », pour incompatibilité de caractère. Le 14,un spéculateur <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées de la Petite Rivière de l'Artiboniteinforme que sa femme, Mme Estimable Bacchus, « avolontairem<strong>en</strong>t quitté le toit conjugal ».Dans leurs plaintes, les femmes sont parfois plus discrètesque les hommes. Mme Cérès Astié, épouse Anacius Désiré,de Port-au-Prince, m<strong>en</strong>tionne « des causes graves, qu'elles'absti<strong>en</strong>t d'énumérer, quant à prés<strong>en</strong>t ». D'autres sont pluspati<strong>en</strong>tes : telle la dame Cadénio Jean-Baptiste, née SinaïAlcéus André, de la commune de Saint-Marc :« Je soussignée déclare au public qu'<strong>en</strong> raison des excès,viol<strong>en</strong>ces et des sévices exercés sur ma personne par monmari, je fus obligée de fuir le toit conjugal et de me réléguer<strong>en</strong> Plaine, depuis bi<strong>en</strong>tôt cinq ans. Très prochainem<strong>en</strong>t, uneaction <strong>en</strong> divorce de ma part va lui être int<strong>en</strong>tée. »Certaines se font pathétiques. Mme Orphanie Rable, deSale-Trou, publie, le 6 décembre 1904, la dure nécessité oùelle se trouve d'abandonner son mari, M. Monélus Balthazar,« Pour ne pas finir trop tôt et tragiquem<strong>en</strong>t sa vie ». Le


206 EN HAÏTIfemme vit retirée, près de la source Mariani,6 septembre 1905, Mme Taylor, née Udamie Pascal, de Pétionville,accuse M. John Lincoln Taylor « d'immoralité qu'ilexerce depuis quelque temps avec un sans-gène révoltant...Il est prouvé que cet époux, sans foi et sans loi, qui m'insulteet m'humilie à chaque instant, se constitue à la dernièreheure mon vrai bourreau, après m'avoir ruinée defond <strong>en</strong> comble, par l'excès de ses débauches ins<strong>en</strong>sées ».Le lecteur, qui s'est att<strong>en</strong>dri sur les misères de tant deménages, peut à l'occasion se réjouir d'une réconciliation.Contre-avis.En octobre 1905, M. Th. Gaspard, des Chardonnières, « a leplaisir d'informer le public et le commerce que son unionlégitime avec son épouse, née Fénela Gattereau, est parfaitem<strong>en</strong>trétablie, vu qu'il a regagné le toit marital ».En janvier 1906, le spéculateur de la Petite Rivière a récupérésa femme ; témoin l'avis suivant :Avis.« Le soussigné, commerçant et spéculateur <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées,déclare au public et au commerce <strong>en</strong> général que l'avis, publiéau journal le Nouvelliste,à la date du 16 décembre dernier,au n° 2197, concernant son épouse Mariclaire EstimableBacchus, est nul et de nul effet, <strong>en</strong> raison que sa diteépouse Mariclaire avait abandonné le toit marital non volontairem<strong>en</strong>t,mais bi<strong>en</strong> dans un mauvais mom<strong>en</strong>t, suite dela maladie de lait passé ; arrivée à Port-au-Prince, elle estretournée au même instant chez elle, à la dilig<strong>en</strong>ce de sonfils Louis-Maximili<strong>en</strong> Belot, p<strong>en</strong>sionnaire au Petit Séminaire(collège Saint-Martial).Petite Rivière de l'Artibonite, le 15 janvier 1906. »MAXIMILIEN BELOT.Dans un autre ordre d'idées, certains avis possèd<strong>en</strong>t unégal intérêt.Petite tribune publique. — « Je prie M. Joseph Cassamajordde bi<strong>en</strong> vouloir m'excuser d'un mouvem<strong>en</strong>t de colère,dans lequel je lui ai fait m<strong>en</strong>ace d'un coup de pied, samedimatin, vers les 10 heures, sous la galerie de la pharmaciede M. Parisot


A LA GRANDE-SALINE : LE “ HOUMFORT ” ET LA CROIXA. LA GRANDE-SALINE : LE “ HOUMFORT ” DU GÉNÉRAL TI-PLAISIRAUBIN. En Haïti. PL. XXI


LA RIVIÈRE FROIDE 207sur un petit bi<strong>en</strong> de sa famille, où elle élèvepéniblem<strong>en</strong>t ses cinq <strong>en</strong>fants, dont le dernier,une fille, Parthénope, est née de sa mal<strong>en</strong>contreuseliaison.Quelques kilomètres au delà de Mariani, <strong>en</strong>suivant les mangliers du rivage, réside le chefde la section de la Grande-Saline, le généralPlaisimond fils, dit Ti-plaisir. Ti-Plaisir est lepot<strong>en</strong>tat de sa section, qu'il a administrée detout temps et qu'aucun gouvernem<strong>en</strong>t ne pourraitsonger à lui soustraire. Grand et fort, déjàvieillissant, on le r<strong>en</strong>contre souv<strong>en</strong>t, sur laroute de Léogane, surveillant, <strong>en</strong> bras de chemise,et armé d'un coco-macaque, la corvéede ses habitants ; aux sol<strong>en</strong>nités du PalaisNational, Port-au-Prince le voit apparaîtredans le bel uniforme de son grade. Un représ<strong>en</strong>tanttypique de cette aristocratie descampagnes haïti<strong>en</strong>nes, qui conc<strong>en</strong>tre <strong>en</strong> elleN'ayant jamais ri<strong>en</strong> eu de mal avec lui, je n'aurais sului faire de pareilles m<strong>en</strong>aces. »G. CORDASCO.Enfant perdu. — « Le soussigné porte à la connaissance dupublic, et particulièrem<strong>en</strong>t de la police, qu'il a perdu jeudidernier un <strong>en</strong>fant, du nom de Dumay, portant une chemisede « bon à tout ».Bonne récomp<strong>en</strong>se à celui qui fera retrouver l'<strong>en</strong>fant.S'adresser rue du Réservoir, n° 84. »DORSILMÉ GUILLAUME.


208 EN HAÏTItous les moy<strong>en</strong>s d'influ<strong>en</strong>ce, ét<strong>en</strong>d ses alliancesaccroît sa richesse terri<strong>en</strong>ne, s'élève dans lahiérarchie militaire, s'impose à la masse parses superstitions aussi bi<strong>en</strong> que par ses plaisirs;à la fois généraux, chefs de section, maîtresgagaireet papalois. La vaste cour du généralTi-Plaisir répond ainsi à tous les besoins matérielset moraux de ses administrés; sa maisonest hospitalière ; des gagaires pour combats decoq sont installés sous les arbres ; le péristylede son houmfort, chréti<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t précédé d'unecroix, est orné de peintures viol<strong>en</strong>tes, qui sontla belliqueuse image des mystères du lieu.J'eus la bonne fortune de voir, un jour, Ti-Plaisir célébrer un service <strong>en</strong> l'honneur deMaître Aguay. En grande pompe, fut extrait duhoumfort le petit bateau, symbole de ce mystère; le général, vêtu d'un complet jaune serinet le chef couvert d'un bonnet <strong>en</strong> veloursnoir, traçait sur le sol les lignes rituelles. Laprocession se r<strong>en</strong>dit au bord de la mer, surune plage minuscule, <strong>en</strong>cadrée de palétuviers;une tonnelle y avait été élevée pour abriter lebateau symbolique ; un père-savane intervint,qui procéda à son baptême. Les choses sepassèr<strong>en</strong>t le plus catholiquem<strong>en</strong>t du monde;les prières voulues fur<strong>en</strong>t prononcées <strong>en</strong>


A LA GRANDE-SALINE. “ SERVICE ” EN L'HONNEUR DE MAÎTRE AGUAYA LA GRANDE-SALINE. LA PROCESSION SORTANT DE LA COURDU GÉNÉRALTI-PLAISIRAUBIN. En Haïti. PL. XXII


LA RIVIÈRE FROIDE 209latin, les aspersions faites avec du tafia, <strong>en</strong>guise d'eau bénite ; plusieurs couples de parrainset de marraines proposèr<strong>en</strong>t des noms.Les marraines étai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ues de Port-au-Prince, des rues Chemisette, Coq-Chante etTrousse-Cotte, résid<strong>en</strong>ce ordinaire des demoisellesde peu de vertu. Vers la fin de lanuit suivante, après les danses coutumières,la congrégation s'embarqua et s'<strong>en</strong> fut, à traversla baie, jeter des « mangers » à la mer,afin d'achever de se r<strong>en</strong>dre propice MaîtreAguay, le dieu des flots.En remontant la gorge étroite de la RivièreFroide, on atteint, à la première « passe d'eau »,le cimetière Jean Comte ; sous les arbres,quelques tombes <strong>en</strong> maçonnerie, de formes variées,avec des trous creusés pour les « mangers»et les bougies. Il est de règle que chaquehabitation possède son cimetière, sis <strong>en</strong> unlieu désert, à l'écart des cases et des cultures.Chez les nègres, la mort est chose grave, moins<strong>en</strong>core pour ceux qui s'<strong>en</strong> vont que pour ceuxqui rest<strong>en</strong>t; les défunts pass<strong>en</strong>t à l'état d'espnts,devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t mauvais comme leurs congénèreset la mort les lâche à travers la nature,ou ils peuv<strong>en</strong>t faire aux vivants un mal infini.D'habitude, on regarde comme chose impru-EN HAÏTI. 14


210 EN HAÏTId<strong>en</strong>te de les conserver à proximité ; quelquesunscroi<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant plus sage d'<strong>en</strong>terrer leursmorts sur leur propre domaine, où la surveillance<strong>en</strong> sera plus facile. « Si yo pas sévi mò-là,dit la voix populaire, yo va g'ain Madichou.— Si je ne sers pas ces morts-là, il vam'arriver malheur. » Il importe donc desaisir le mort dès son décès, pour lui<strong>en</strong>lever aussitôt toute <strong>en</strong>vie de nuire. La finv<strong>en</strong>ue, la cour pr<strong>en</strong>d un air de fête ; la case estt<strong>en</strong>due d'étoffes blanches ; sur une table, aumilieu de la meilleure pièce, est placé le cadavre,revêtu de ses plus beaux habits ; il reposesur ces jolies lianes, à grappes de fleurettesroses, que les créoles appell<strong>en</strong>t la belle mexicaineou la liane d'amour. Tandis que lesfemmes pouss<strong>en</strong>t les lam<strong>en</strong>tations d'usage, etdépos<strong>en</strong>t, au besoin, quelque ouanga au pieddes arbres prochains, habités par les mystères,les hommes part<strong>en</strong>t à la recherche de gallonsde rhum ou cour<strong>en</strong>t à cheval aviser le voisinagede la « mortalité » surv<strong>en</strong>ue. C'est un inéluctabledevoir que d'assister à la veillée des mortset les g<strong>en</strong>s y accour<strong>en</strong>t, d'aussi loin que les invitationspeuv<strong>en</strong>t atteindre. Assises autour ducorps, les femmes chant<strong>en</strong>t des cantiques, sousla direction d'un père-savane, qui les choisit


LÀ RIVIÈRE FROIDE 211dans le recueil spécial, intitulé «Bouquet Funèbre». Installés sous les tonnelles, les hommesfum<strong>en</strong>t, boiv<strong>en</strong>t, mang<strong>en</strong>t et jou<strong>en</strong>t ; les passants,attirés au bruit, peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trer librem<strong>en</strong>t,sûrs d'être accueillis par des parolesde bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue : « Mèci, mèci ! nous bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>ts.»Les funérailles dur<strong>en</strong>t un ou deux jours, selonles circonstances ; les femmes sont <strong>en</strong>rouées,les hommes gris, et le mort est conduitau cimetière. Mais le corps seul est sous laterre, l'esprit erre inquiet autour de la case ;pour le décider à s'éloigner et à pr<strong>en</strong>dre sadestination dernière, il faut la cérémonie du« manger les morts ». Le neuvième jour, automber de la nuit, les g<strong>en</strong>s de l'<strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t seréuniss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core une fois ; dans la chambre,toujours ornée de ses blanches t<strong>en</strong>tures, desplats, préparés sans sel, ont été rangés surla table ; jusqu'à minuit, la veillée se prolonge,au chant des cantiques. — Passé cette heure,dans la croyance des nègres, le mort est déjàv<strong>en</strong>u, — le manger est « sans âme » ; alors,les assistants s'approch<strong>en</strong>t de la table et mang<strong>en</strong>tavec leurs doigts le repas funèbre. Pourplus de sûreté, chaque lundi, sans att<strong>en</strong>dre lagrande fête annuelle des Morts, la famille visi-


212 EN HAÏTItera la tombe, apportant au défunt, sous formede plats et de bougies, les apaisem<strong>en</strong>ts définitifs.S'il s'agit d'un individu élevé dans la hiérarchieVaudoux et possédé par un loi quelconque,qui lui a imposé, sa vie durant, son culte etson caractère, les choses se pass<strong>en</strong>t de façonplus compliquée que pour le commun desmortels. Le jour même du décès, le mort étantplacé debout, le papaloi accomplit les rites quiretir<strong>en</strong>t le mystère du cadavre et l'introduis<strong>en</strong>t<strong>en</strong> un canari soigneusem<strong>en</strong>t bouché. Le neuvièmejour, après le « manger les morts », lecanari est brisé et liberté r<strong>en</strong>due au loi. Il nereste plus qu'à procéder à une dernière cérémoniede purification, <strong>en</strong> brûlant le zain du mort.J'ai assisté à pareille affaire dans un houmfortde la Rivière Froide, sur l'habitation Louisjeune. Tard dans la nuit, le papaloi <strong>en</strong>tama l'officedu boulé-zain, s'adressant à sa congrégation:Hounsis moin yo !Z'<strong>en</strong>fants moin yo !Quand m' va mouri,Assolò pas lé gangni<strong>en</strong>son.Mes hounsis ! mes <strong>en</strong>fants ! quand je mourrai, le grandtambour n'aura plus de son.


CIMETIÈRE SUR LA ROUTE DU GRAND-GOAVE A BAINETTOMBEAU SOUS UN “ MAPOU ”, DANS LA PLAINE DE LÉOGANEAUBIN. En Haïti. PL. XXIII


LA RIVIÈRE FROIDE 213Puis, après la récitation de Pater et d'Ave,se produisit une interminable cuisine de sorcière; il s'agit de préparer la masse, qui, sousune forme symbolique, devrait représ<strong>en</strong>ter lezain, le mystère, l'esprit du mort ; successivem<strong>en</strong>t,du maïs moulu, des plantes aromatiquesfur<strong>en</strong>t jetés dans deux chaudrons ; deux pouletsnoirs fur<strong>en</strong>t égorgés, leurs membres brisés,leurs plumes arrachées, leur sang soutiré ; lesflammes s'élevai<strong>en</strong>t des chaudrons; les inévitableslignes fur<strong>en</strong>t tracées sur le sol. Celadura fort longtemps et j'<strong>en</strong> avais assez vu ; ilparaît, qu'au petit jour le symbole du zain,après avoir été sol<strong>en</strong>nellem<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>té à tousles mystères du houmfort, est <strong>en</strong>terré devant laporte.La Rivière Froide forme une gorge très étroitequi, contournant le Morne l'Hôpital, remontejusqu'aux Montagnes Noires ; le s<strong>en</strong>tier passeet repasse le lit du torr<strong>en</strong>t, constamm<strong>en</strong>tperdu dans le feuillage des caféières. A laCroix-Imbert, où la rivière marque un coudebrusque, un autre chemin gravit le morne Tailleferpour atteindre, vers Clém<strong>en</strong>ceau et Chauffard;les hauteurs du Fond-Ferrier ou redesc<strong>en</strong>dre,<strong>en</strong> lacets rapides, dans la vallée de laRivière Momance. L'usine Monfleury est placée


214 EN HAÏTIà l'issue des mornes, pour recueillir au passagetous les cafés de cette vaste région.Depuis l'Indép<strong>en</strong>dance, le café reste la principalerichesse du sol haïti<strong>en</strong>. Les premiers caféiers— on disait alors « cafiers » — fur<strong>en</strong>tintroduits dans la partie de l'Ouest <strong>en</strong> 1726,par M. de Nolivos, alors lieut<strong>en</strong>ant du roià Léogane, qui les prit à la Martinique 1 , aucours d'une relâche, et les planta dans son habitation.Il avait été précédé dans la partie duNord par les Jésuites, qui, ayant reçu les caféiersde leurs confrères de la Martinique, <strong>en</strong>fir<strong>en</strong>t des plantations au Dondon, après avoiracclimaté les arbustes dans leur habitation duTerrier Rouge, au fond de la baie du Cap. Al'heure actuelle, Haïti produit une moy<strong>en</strong>ne de65 millions de livres de café, destinées à l'exportation2 . Sa culture aisée ne dérange guère lamolle indol<strong>en</strong>ce des nègres. Les plants de lacolonie subsist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core : les arbres, dev<strong>en</strong>usvieux et improductifs, ont été successivem<strong>en</strong>t1. Le café fut introduit dans toutes nos Antilles par laMartinique, où l'<strong>en</strong>seigne de vaisseau Declieux avaitapporté, <strong>en</strong> 1720, un pied, pris au Jardin du Roi.2. Dans les dernières années de la période coloniale, laproduction caféière de Saint-Domingue était s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>tégale à la production actuelle. Elle n'était que de 7 millionsde livres <strong>en</strong> 1755. Elle tomba à une moy<strong>en</strong>ne de 30 millions,dans les années qui suivir<strong>en</strong>t l'Indép<strong>en</strong>dance.


LA RIVIÈRE FROIDE 215coupés pour faire place aux jeunes pousses ;celles-ci grandiss<strong>en</strong>t à l'ombre des forêts,créées par les nôtres, — mombins, sucrins etavocatiers. Des plantations nouvelles sont constamm<strong>en</strong>t<strong>en</strong>treprises. Afin d'att<strong>en</strong>dre l'ombragedes grands arbres, on plante des bananiers àcroissance rapide ; une fois leurs feuilles dev<strong>en</strong>uesassez larges, le café se substitue aux culturesde vivres ; au bout de trois années, l'arbustecomm<strong>en</strong>ce à produire, mais la cinquièmeseule <strong>en</strong> marquera la pleine production. L'Haïti<strong>en</strong><strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t peu sa caféière et l'abandonne à lagrâce de Dieu. De mois <strong>en</strong> mois, de janvier àmai, avec quelque retard dans les terrains demontagne, le caféier porte cinq floraisons successives.Après six mois, les floraisons réussiesdonn<strong>en</strong>t une récolte de cerises rougissantes,alignées le long des branches. La cueillettepeut durer cinq ou six mois, de juillet à lafin de l'année. C'est le mom<strong>en</strong>t du travailpour les g<strong>en</strong>s des mornes ; ils pratiqu<strong>en</strong>t unléger sarclage au pied des arbustes, les dégag<strong>en</strong>tdes lianes <strong>en</strong>vahissantes, et <strong>en</strong> détach<strong>en</strong>tles grains mûrs ; si leur famille ne suffit pas àla besogne, ils form<strong>en</strong>t un coumbite avec leursvoisins ou les g<strong>en</strong>s de la plaine.La récolte faite, il s'agit d'<strong>en</strong> réaliser le café.


216 EN HAÏTIL'habitant est-il pressé d'arg<strong>en</strong>t, il écrase à lahâte les cerises dans un pilon, lave les grains,puis les fait rapidem<strong>en</strong>t sécher au soleil ;c'est du café tchioca. S'il a plus de loisir, il lelaisse <strong>en</strong> coque, l'ét<strong>en</strong>d plusieurs semaines surla terre durcie de sa cour, puis le décortiqueau pilon ; c'est du café habitant. Ces deuxsortes de café sont égalem<strong>en</strong>t recueillies par lesspéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées et achetées par lesexportateurs du port prochain, qui leur fontsubir une petite préparation, un triage sommaire,les mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> sacs et les expédi<strong>en</strong>t auHavre. Le producteur v<strong>en</strong>d selon ses besoins;il sait que son café est une monnaie sûre etrecherchée ; mieux vaut pour lui le t<strong>en</strong>ir<strong>en</strong>calogé que de s'<strong>en</strong>combrer de gourdesdépréciées. Bi<strong>en</strong> que fort simple, l'installationde nos planteurs était déjà plus perfectionnée;outre le glacis et les magasins, elle comportaittrois moulins successifs pour déceriser, détacherles parchemins et « vanner » les grains de café.Au reste, le traitem<strong>en</strong>t primitif, actuellem<strong>en</strong>temployé par les habitants, contribuerait à détériorerles cafés : ils sèch<strong>en</strong>t mal, la ferm<strong>en</strong>tationdes cerises abîme les grains ; un séjour prolongédans les mornes humides les blanchit,leur fait perdre leur arôme et leur valeur ; les


LA RIVIÈRE FROIDE 217brisures sont nombreuses. Pour parer à de telsinconvéni<strong>en</strong>ts, des usines c<strong>en</strong>trales ont été fondéesdans la plupart des pays producteurs :jusqu'ici, ce g<strong>en</strong>re d'industrie n'a pu pr<strong>en</strong>drepied <strong>en</strong> Haïti que sur les côtes de la presqu'îleméridionale, de Port-au-Prince à Jérémie. Iln'<strong>en</strong> existe pas dans le nord de l'île. Depuis 1878,plusieurs usines ont été installées au débouchédes vallées principales ; elles se rattach<strong>en</strong>tpresque toutes à un double système, l'un appart<strong>en</strong>antà un Allemand, M. Simmonds, qui habiteParis, l'autre à la raison sociale Monfleuryfrères.M; Monfleury père, v<strong>en</strong>u de la Martinique,fonda, <strong>en</strong> 1883, l'usine de Carrefour. Ses troisfils, <strong>en</strong> association avec un Parisi<strong>en</strong>, M. Bertin,qui a épousé une jeune fille créole et passeici la moitié de l'année, exploit<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>antl'usine agrandie, plus celle de Fauché, près duGrand-Goave, et celle de la Petite-Rivière deNippes. Tout un village s'est créé autour del'usine; les 50 ouvriers, les 150 trieuses y ontgroupé leurs cases; quelques rev<strong>en</strong>deuses ontouvert boutique. Chaque jour, p<strong>en</strong>dant la saison,les habitants desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t des mornes,surtout les v<strong>en</strong>dredis et samedis, jours demarché à Port-au-Prince. Quelques-uns vi<strong>en</strong>-


218 EN HAÏTIn<strong>en</strong>t spontaném<strong>en</strong>t, d'autres attirés par lesconseils de chefs de section ou de cultivateurs,amis de l'usine. Il est <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du qu'ils ne recevrontaucune avance. L'expéri<strong>en</strong>ce prouve quele nègre redoute tout contact avec son créancieret l'arg<strong>en</strong>t avancé ne servirait qu'à l'écarterde ses prêteurs.Par contre, on leur paye comptant les cafésapportés dans les sacs-paille de leurs ânes ; cescafés sont mesurés au baril, ou fraction debaril, de 18 litres ; les cerises, les cafés <strong>en</strong>coque, susceptibles d'une préparation complète,obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t un prix meilleur ; les cafés-habitant,destinés à subir une simple amélioration, sontpayés moins cher. Les g<strong>en</strong>s des mornes sembl<strong>en</strong>ts'accoutumer peu à peu à apporter leurscafés <strong>en</strong> cerises, au l<strong>en</strong>demain même de la cueillette.En 1896, l'usine de Carrefour n'<strong>en</strong> achetaitque 2.000 barils ; il <strong>en</strong> v<strong>en</strong>ait 8.000 <strong>en</strong> 1900,12.000 <strong>en</strong> 1903.A peine acheté, le café est directem<strong>en</strong>t versé,des barils, dans les machines à déceriser, qui<strong>en</strong> ôt<strong>en</strong>t l'écorce ; il retombe <strong>en</strong>suite aux bacsde ferm<strong>en</strong>tation, y séjourne vingt - quatreheures, et un lavage à grande eau achève defaire disparaître la pulpe décomposée. Ainsi estobt<strong>en</strong>u le café <strong>en</strong> parchemin, dont les deux


LA RIVIÈRE FROIDE 219grains se trouv<strong>en</strong>t séparés, mais rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong>veloppésd'une pellicule légère. Transportésdans des wagonnets, les cafés sont alorsexposés sur l'un des tr<strong>en</strong>te glacis cim<strong>en</strong>tés del'usine et y sèch<strong>en</strong>t au soleil p<strong>en</strong>dant plusieursjours; le soir, ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong> cas de pluie, on pr<strong>en</strong>dsoin de les rassembler sous des prélarts. Complètem<strong>en</strong>tséchés, les cafésaboutiss<strong>en</strong>t à lasalle de préparation ; ils y sont mécaniquem<strong>en</strong>tdécortiqués ; leurs parchemins sontemportés par les v<strong>en</strong>tilateurs ; <strong>en</strong>fin, ils sontpolis à la machine, puis divisés au tamis, selonla dim<strong>en</strong>sion de leurs grains. Après que lestrieuses, accroupies sur le plancher, ont retiréà la main les fèves avariées, la préparationcomplète est terminée ; le café, ainsi gragé,prêt pour l'exportation, et n'a plus qu'àestêtremis dans des sacs, cont<strong>en</strong>ant 90 kilogrammes<strong>en</strong>viron 1 .Le café <strong>en</strong> coque subit à peu près les mêmesopérations que le café <strong>en</strong> cerise, sauf qu'il estsoumis à un séchage préliminaire ; mais il n'estplus possible de le polir ; il reste moins bi<strong>en</strong>prés<strong>en</strong>té que le café gragémoins flatteuse. Le café-habitant,et sa couleur estdirectem<strong>en</strong>t1. Les sacs, dont on se sert <strong>en</strong> Haïti, sont importés d'Angleterre.


220 EN HAÏTIporté sur les glacis, passe <strong>en</strong>suite au diviseuret aux trieuses. Enfin, les déchets de tous cescafés donn<strong>en</strong>t le café-triage, le café à bonmarché, que les épiceries de Francev<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<strong>en</strong> poudre. Il va sans dire que ces diversesespèces obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, sur le marché, des prixdiffér<strong>en</strong>ts. A l'heure actuelle, au Havre, le cafégragé vaut <strong>en</strong>viron 70 francs le quintal ; le café<strong>en</strong> coque, 58 francs ; le café-habitant,triage, 46.56 ; leRi<strong>en</strong> n'est plus joli <strong>en</strong> Haïti que les régionscaféières ; c'est l'âpreté des hautes montagneset la verdure de la grande forêt ; les s<strong>en</strong>tiersse ramifi<strong>en</strong>t sous les arbustes, que les premiersmois de l'année recouvr<strong>en</strong>t de fleurs blanches;de temps à autre, une clairière, où l'habitanta nivelé sa cour et construit ses cases. Sur certainspoints du pays, notamm<strong>en</strong>t dans la presqu'îledu Sud, il s'est constitué de grandsdomaines caféiers de 100 carreaux 1et mêmedavantage ; ce sont de véritables exploitations,munies de glacis et de moulins, où la cultureest répartie <strong>en</strong>treun certain nombre de métayers,« de moitié». Tel n'est point le cas dans laRivière Froide, où l'on ne connaît quepetits1. On calcule que chaque carreau de terre porte <strong>en</strong>viron10.000 arbustes.


LA RIVIÈRE FROIDE 221propriétaires, dont le bi<strong>en</strong> ne dépasse guèreune dizaine de carreaux ; bon nombre sontfermiers pour le compte des g<strong>en</strong>s de Port-au-Prince.Tout <strong>en</strong> haut de la Rivière Froide, vers lesMontagnes Noires, résid<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant quelquescultivateurs plus aisés. L'habitation Bourdon setrouve à la limite des pâturages ; elle est composéede plusieurs petites caféières, étagéesles unes au-dessus des autres, <strong>en</strong>tremêlées decultures de légumes, où les choux, les haricots,les petits pois, que l'on nomme ici « pois-France » pouss<strong>en</strong>t au milieu des herbes.Bourdon 1date du temps des blancs et conserve<strong>en</strong>core les restes de l'anci<strong>en</strong>ne « manufactureà café » : un terre-plein creusé dans lamontagne pour y établir les glacis, des murs desoutènem<strong>en</strong>t, un plan incliné qui donnait issuevers les crêtes, une vaste citerne, aux paroisde laquelle s'attach<strong>en</strong>t les feuilles veloutéesdes « tabacs-marrons », quelques ruines deconstructions, où pouss<strong>en</strong>t des bananiers, descaféiers, des mirlitons et des malangas. Au1. M. Bourdon avait été présid<strong>en</strong>t du Conseil supérieur dePort-au-Prince. Lors du règlem<strong>en</strong>t des indemnités de Saint-Domingue, l'habitation reçut 61.575 francs. Les indemnitésfur<strong>en</strong>t fixées au dixième de la valeur admise de la propriété.


222 EN HAÏTIdevant s'ét<strong>en</strong>dait une allée de châtaigniers :quelques-uns, une demi-douzaine, viv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>coremalgré leur grand âge, et produis<strong>en</strong>t mêmedes châtaignes ; les autres sont morts ; le solest parsemé tout al<strong>en</strong>tour de gros troncs achevantde pourrir.Au bout de l'allée des châtaigniers, le principalcultivateur de Bourdon, M. Romulus Bi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>u,a établi ses cases ; il y vit au milieu d'unedesc<strong>en</strong>dance nombreuse, qui essaime sur lesp<strong>en</strong>tes voisines : l'une de ses filles, Mme Mouguet,a accouché, par trois fois, d'une paire dejumeaux. On nous prés<strong>en</strong>te les aînés, Pierre etJoseph, de jeunes <strong>en</strong>fants vêtus d'une courtechemise, avec des amulettes au cou et <strong>en</strong> sautoir.Chez les nègres, la v<strong>en</strong>ue de marassas, dejumeaux, n'est pas petite affaire. La famille <strong>en</strong>tire honneur, comme d'une marque de force etde virilité ; elle a soin de joindre le culte de sesmarassas à celui de ses ancêtres et se considèrevolontiers comme une famille privilégiée. Ils'établit autour des marassas une hiérarchiefamiliale. Les croyances africaines veul<strong>en</strong>t que,des deux jumeaux, le second né soit le supérieurde l'autre, l'<strong>en</strong>fant qui vi<strong>en</strong>t au mondeaprès eux, le dossou, est le supérieur des marassas,l'<strong>en</strong>fant né immédiatem<strong>en</strong>t avant eux,


LA RIVIÈRE FROIDE 223le dossa, est le supérieur de tous. De cettegradation de supériorité <strong>en</strong>tre <strong>en</strong>fants, ne peuv<strong>en</strong>tque dériver des haines ; le privilège accordéà la famille peut exciter contre elle desesprits jaloux. Il faut concilier ces haines,désarmer ces jalousies. De là est v<strong>en</strong>ue l'institutiondu manger-marassas, pratiquée par lesfamilles intéressées. Dans la cérémonie, le papaloivoisin doit interv<strong>en</strong>ir; il apporte les plats,la « gamelle-marassas », et prépare les diversmets. La scène se passe dans la cour ; toutel'habitation se groupe autour des deux jumeaux; l'officiant leur prés<strong>en</strong>te la nourriture<strong>en</strong> disant : « Marassas, vini ouè ça n'ap paré baous ! Jumeaux,v<strong>en</strong>ez voir ce que nous vous avonspréparé ! » ; et les convives, assis par terre, semett<strong>en</strong>t à manger avec leurs doigts.De Bourdon, par les habitations Brantôme etGr<strong>en</strong>ier-le-Haut, la desc<strong>en</strong>te de la ravine estfort raide ; à mi-côte apparaiss<strong>en</strong>t, sur lagauche, l'habitation Blanchet et la chapelleFessart ; de l'autre côté de la Rivière Bertrand,qui pr<strong>en</strong>d plus bas le nom de Rivière Froide,se trouv<strong>en</strong>t les habitations Thomassin et Gr<strong>en</strong>ier.Toute la vallée est un amoncellem<strong>en</strong>t deverdure ; les caféières recouvr<strong>en</strong>t les p<strong>en</strong>tes ;les clochettes lie de vin, des « belles de nuit »


224 EN HAÏTIfleuriss<strong>en</strong>t les s<strong>en</strong>tiers. Le général Cyrille Paulest propriétaire de toute la vallée, de Bourdonà Thomassin.Dans les mornes, la grande propriété estbeaucoup plus rare que dans le pays bas. On avu, qu'<strong>en</strong> plaine, les concessions faites sous legouvernem<strong>en</strong>t de Pétion avai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>ules habitations primitives ; <strong>en</strong> haut, la terres'est morcelée et la meilleure part, exempte detoute appropriation, apparti<strong>en</strong>t nominalem<strong>en</strong>t audomaine de l'Etat. Surgit-il, au fond des mornes,un homme plus actif et plus travailleur que lesautres, il arrondit promptem<strong>en</strong>t son petit bi<strong>en</strong>et s'élève aux honneurs administratifs ; p<strong>en</strong>dantde longues années, commandant sa propre section,il <strong>en</strong> profite pour <strong>en</strong>vahir les terres domaniales.Le voilà dev<strong>en</strong>u puissant et riche : toutesles filles du voisinage le recherch<strong>en</strong>t ; le mariag<strong>en</strong>'est point nécessaire ; il lui suffira d'acheter <strong>en</strong>ville un beau papier <strong>en</strong>jolivé de fleurs et d'oiseauxet d'écrire successivem<strong>en</strong>t aux pères des jeunespersonnes choisies une « lettre de demande » ;la lettre vaudra contrat et, dédaigneux des cérémoniesnuptiales, le ménage se constitueraséance t<strong>en</strong>ante. La multiplicité des femmes,conséqu<strong>en</strong>ce de semblables mœurs, procured'utiles alliances avec les autres cultivateurs;


LA RIVIÈRE FROIDE 225la desc<strong>en</strong>dance s'accroît démesurém<strong>en</strong>t ; et, sil'homme atteint un grand âge, il est dev<strong>en</strong>u lemaître incontesté de toute une vallée, peupléede ses femmes, de ses <strong>en</strong>fants et de ses proches.Tel est le cas du général Cyrille Paul, le seigneurde la section de l'Étang-de-Jonc, dans lahaute vallée de la Rivière Froide.Ses cases, recouvertes <strong>en</strong> paille de vétiver,sont dispersées dans la caféière, des lianes degiraumonts et de gr<strong>en</strong>adilles grimp<strong>en</strong>t aux branchesdes caïmitiers, les maïs jauniss<strong>en</strong>t auxtroncs des palmistes ; cochons et poulets s'ébatt<strong>en</strong>tdans la cour. Dans un coin, sèch<strong>en</strong>t lesgraines noires du ricin, le palma Christi descréoles. Au beau milieu, l'un des fils de la maison,M. M<strong>en</strong>tor, écrase, dans un pilon de bois,les cerises de café fraîchem<strong>en</strong>t cueillies ; toutautour de lui s'amoncell<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> tas plus oumoins desséchés, les grains qui, les jours passés,ont déjà subi pareille opération. CyrillePaul travaille à la cueillette dans sa caféière ;il apparaît, à travers les branches, portant surl'épaule une macoute, remplie de cerises : unvieux nègre, les cheveux et la barbiche blancs.Son hospitalité est exubérante : « Mettez-vous,chè », — et il réunit tout son monde : « Faisvite grillé ti café pou moin », ordonne-t-il àEN HAÏTI. 16


226 EN HAÏTIM. M<strong>en</strong>tor. Une petite fille passe sur le s<strong>en</strong>tier,un collier de verroterie au cou, des bouteillesde lait sur la tête. « Adieu pitite chètoute moin. » Il l'arrête et lui <strong>en</strong> achète. Voiciqu'un autre fils, M. Fénelon, émerge des caféiers,t<strong>en</strong>ant son petit <strong>en</strong>fant dans ses bras;un fort garçon tout nu, recouvert d'amuletteset de médailles, avec un collier contre le mald'yòck, le mauvais œil, et une corne de giraudmont desséchée, pour lui faciliter la d<strong>en</strong>tition.Peu à peu la famille a <strong>en</strong>vahi la cour. Le générala besoin de quelque réflexion pour seremémorer exactem<strong>en</strong>t le nombre des si<strong>en</strong>s.« Espéré; faut temps calquioulé. Huit avecMadam! qui là; quai dèrhò; gnoune Grégnié :treize <strong>en</strong> tout. Pitites-pitites <strong>en</strong> pile. Passé cinquante...grand' famille ! — Att<strong>en</strong>dez, il faut letemps de calculer. Huit avec Madame qui estlà ; quatre au dehors ; un à Gr<strong>en</strong>ier : treize <strong>en</strong>tout. Petits-<strong>en</strong>fants <strong>en</strong> masse : plus de cinquante...Grande famille ! »La confection du café est une longue affaire ;M. M<strong>en</strong>tor pr<strong>en</strong>d, sur le sol de la cour, le caféle plus sec ; il le secoue sur un laïo, un plateau<strong>en</strong> vannerie, pour <strong>en</strong> écarter les écorceset les parchemins ; les grains, une fois grillés,sont écrasés dans le pilon de bois, et la


UNE rUE DES CAYESAUBIN. En Haïti.A JACMEL : TRIEUSES DE CAFÉPL. XXIV


LA RIVIÈRE FROIDE 227poudre placée au fond d'un petit sac, appelégrèpe, dont l'orifice est maint<strong>en</strong>u ouvert pardeux branchettes transversales. L'eau chaude,sucrée avec du sirop, y passe et repasseplusieurs fois et il <strong>en</strong> sort un café excell<strong>en</strong>t,qu'il a fallu près d'une heure pour conduire àpoint.Après la guerre de Sept ans, le gouvernem<strong>en</strong>tfrançais s'étant décidé à mettre la colonie<strong>en</strong> meilleures conditions de déf<strong>en</strong>se, il fut jugénécessaire de créer une voie directe <strong>en</strong>trePort-au-Prince et Jacmel, dont le port sur lamer des Antilles assurait mieux les communicationsde l'île avec les îles du V<strong>en</strong>t et sonravitaillem<strong>en</strong>t év<strong>en</strong>tuel par les Hollandais deCuraçao. Jusque-là, le chemin ordinaire allaitchercher, douze lieues plus à l'est, un passagetrès abaissé <strong>en</strong>tre la vallée du Grand-Goave etla vallée de Jacmel ; on se résolut donc à tracerune route au travers des montagnes. Lestravaux fur<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>ts. Au mom<strong>en</strong>t de la Révolution,la route projetée passait de la RivièreFroide dans la Rivière Momance, et s'arrêtait auconflu<strong>en</strong>t de la Rivière du Fourcq. Quand, exaspéréspar l'abolition de l'esclavage, les grandsplanteurs appelèr<strong>en</strong>t les Anglais de la Jamaïque,qui débarquèr<strong>en</strong>t à Port-au-Prince, les deux


228 EN HAÏTIcommissaires de la Conv<strong>en</strong>tion, Sonthonax etPolvérel, dur<strong>en</strong>t s'<strong>en</strong>fuir par cette route, accompagnésd'une escorte nègre et de 200 muleschargées d'objets précieux. Ils y passèr<strong>en</strong>t le5 juin 1794 et parvinr<strong>en</strong>t à gagner Jacmel, d'oùils s'embarquèr<strong>en</strong>t pour la France. Ils n'avai<strong>en</strong>tplus ri<strong>en</strong> à faire dans la colonie. Le Sud étaitau mulâtre Rigaud, le Nord à Toussaint Louverture; conduits par les colons, les Anglaiss'installai<strong>en</strong>t sur les côtes. Cep<strong>en</strong>dant, le souv<strong>en</strong>irde Sonthonax et de Polvérel reste indissolublem<strong>en</strong>tattaché aux mornes témoins deleur fuite. Les traditions populaires prét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>tque l'arg<strong>en</strong>t, dont ils étai<strong>en</strong>t porteurs, seraittombé dans une ravine et y demeurerait <strong>en</strong>core ;cette lég<strong>en</strong>de d'un trésor caché, si plaisanteaux imaginations nègres, suffit à maint<strong>en</strong>ir auchemin et à la montagne le nom des Ag<strong>en</strong>tsCommissaires.La montée du Morne des Commissaires estrude et longue ; le Fond-Ferrier se creusetrès profondém<strong>en</strong>t, déjà noyé d'ombre parl'heure tardive du jour. Nous étions partisl'après-midi de Port-au-Prince, pour atteindre,<strong>en</strong> quatre heures de voyage, l'habitation Laval.Le maître de la chapelle, M. Eti<strong>en</strong>ne, est unpetit propriétaire de cinq carreaux de terre ; il


LA RIVIÈRE FROIDE 229habite une grande case au milieu de sa caféière ;sa cour est <strong>en</strong>tourée de bananiers, depalmisteset de chadecquiers 1 . Nous trouvâmes la maisons<strong>en</strong>s dessus dessous ; un <strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>aitd'avoir lieu sur l'habitation, et les hommesn'étai<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>core rev<strong>en</strong>us. Impossible demettre la main sur des bougies de cire brune ousur une lampe à huile de ricin. Une toute jeunefille du voisinage, Mlle Cerise Exumé, sechargea d'éclairer notre dîner, <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ant alluméun morceau de bois-pin ; de son pied nu, elleéteignait les brindilles ard<strong>en</strong>tes qui tombai<strong>en</strong>t àterre ; un éclat intermitt<strong>en</strong>t illuminait les mursde la chambre, tapissés d'images de piété et defeuilles de journaux illustrés français. M. Eti<strong>en</strong>nefinit par arriver, accompagné de son fils M. Lamartine,de son cousin, M. Murat et dequelquesvoisins ; tous étai<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t pris de tafia.Ils se répandir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> manifestations de joie, <strong>en</strong>protestations debi<strong>en</strong>v<strong>en</strong>ue ; ils voulur<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>l'honneur des nouveaux v<strong>en</strong>us, repr<strong>en</strong>dre« labamboche », qu'ils v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à peine d'achever<strong>en</strong> l'honneur du mort.Le son du lambis convoque à la danse les1. Chadecquier ou oranger de la Barbade. Ce nom lui vi<strong>en</strong>tde celui qui l'introduisit de la Barbade à la Martinique ; ildonne un fruit assez semblable à l'orange, mais aussi grosqu'une pamplemousse. — (P. Labat).


230 EN HAÏTIg<strong>en</strong>s du morne. La lune s'est levée ; la cour esttout éclairée et les feuilles de bananiers yprojett<strong>en</strong>t de larges ombres. Un jeune hommede l'habitation, M. Rouleau Petit-CompèreJean-Baptiste, est le premier arrivé, avec deuxtambours Pétro. Peu à peu, chaque s<strong>en</strong>tieramène son conting<strong>en</strong>t de danseurs. Une cinquantainede personnes se trouv<strong>en</strong>t réunies ; lestambours se mett<strong>en</strong>t à battre ; les chants et lesdanses comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t. Soudain, apparaît une robust<strong>en</strong>égresse, flanquée de deux individusportant le képi de la police rurale ; c'est lafemme du commandant Myrtil, le chef de lasection. En l'abs<strong>en</strong>ce de son mari, parti aurapport à Port-au-Prince, elle s'est chargée demaint<strong>en</strong>ir l'ordre dans la circonscription et n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dpoint que l'on y danse, sans son cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t,aux jours interdits par le Code rural. Dugeste elle arrête les tambours, invective lesdanseurs et reproche sévèrem<strong>en</strong>t au maître dechapelle d'avoir fait résonner le lambis, mode deconvocation Vaudoux, alors qu'il est chargé parses fonctions de la cloche chréti<strong>en</strong>ne. Les g<strong>en</strong>sregimb<strong>en</strong>t et veul<strong>en</strong>t danser ; le chef de districtintervi<strong>en</strong>t pour discuter l'autorité de la femmedu chef de section. P<strong>en</strong>dant une bonne heure,l'on crie, l'on s'agite. Finalem<strong>en</strong>t, Mme Myrtil


LA RIVIÈRE FROIDE 231again de cause et, sur un dernier coup de tafia,chacun se décide à r<strong>en</strong>trer chez soi.Encore sept heures de route jusqu'à Jacmel.Il faut l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t monter, le long d'une crêteétroite, qui sépare le Fond-Ferrier de la profondevallée de la Rivière du Fourcq. Le Bois-Malangacouronne la crête ; l'eau y est abondante ; l'humiditéa créé, sur ce point favorisé de la montagne,un merveilleux <strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>t de fougèreset de lianes. Au travers de la végétation,apparaiss<strong>en</strong>t, par delà les mornes inférieurs,toute la baie de Port-au-Prince et les accid<strong>en</strong>tsde la côte vers le Petit-Goave et Miragoane ;de l'autre côté, la mer du Sud, avec la baie etla ville de Jacmel. Le Morne la Selle, qu<strong>en</strong>ous avons contourné, se prés<strong>en</strong>te maint<strong>en</strong>antcomme un pic isolé, dont la majestueuse pyramideattire les nuages, à mesure que montele soleil ; de ses p<strong>en</strong>tes ravinées coul<strong>en</strong>t lestorr<strong>en</strong>ts, qui s'uniss<strong>en</strong>t, à travers le Fond-Melon, pour former la Rivière Gosseline. Desc<strong>en</strong>terapide par les habitations Jérôme, Fortin,Montigny, puis par les lacets du morneMonte-au-Ciel. Nous sommes à la source de laRivière Marbial, à trois heures de Jacmel. Peuà peu, la vallée s'élargit ; les bords de la Gosselinedevi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus monotones ; de beaux


232 EN HAÏTIarbres, de grandes maisons <strong>en</strong> bois, des culturesde café,de coton, de maïs et de petit mil;la rivière se répand <strong>en</strong> un lit démesuré; lesbayaondes de la plaine comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à apparaître; les dattes aux fleurs jaunes se multipli<strong>en</strong>tdans les galets. Le Morne Cap Rouge etle Morne de la Voûte sépar<strong>en</strong>t la basse valléede la mer, d'une part, et de la Grande Rivièrede Jacmel, de l'autre. Aux portes mêmes de Jacmel,la Gosseline se jette dans la Grande Rivière,et nous <strong>en</strong>trons <strong>en</strong> ville par le portail de laGosseline.Bi<strong>en</strong> que les boucaniers français y ai<strong>en</strong>tpris pied dès 1680, Jacmel 1ne devint jamais1. Moreau de Saint-Méry fait une triste description de laville de Jacmel p<strong>en</strong>dant la période coloniale. Bi<strong>en</strong> qu'ellefût chef-lieu de quartier, elle restait un séjour humide etmalsain, ne comptant pas plus de 63 maisons.Chaque année, son port était fréqu<strong>en</strong>té par une vingtainede navires, allant des Cayes à Bordeaux, parfois au Havreou à Marseille. Habitants et fonctionnaires y vivai<strong>en</strong>t péniblem<strong>en</strong>t.« On se rapproche sans s'unir, on se quitte sans désirerde se revoir, on mange sans gaieté ; le bruit d'un cornet etles fureurs du jeu remplac<strong>en</strong>t tous les épanchem<strong>en</strong>ts del'amitié. » (Moreau de Saint-Méry.)Le quartier de Jacmel avait été formé des trois paroissesde Bainet, Jacmel et les Cayes-Jacmel. Il fut mis <strong>en</strong> valeurpar la Compagnie de Saint-Domingue, dont le c<strong>en</strong>tre était àSaint-Louis du Sud, et qui <strong>en</strong> eut la concession de 1698 à 1720.La Compagnie chercha à y développer la culture de l'indigo,qui, dès le milieu du dix-huitième siècle, était remplacée parcelle du café. Au mom<strong>en</strong>t de la Révolution, la population


LA RIVIÈRE FROIDE 233une agglomération bi<strong>en</strong> importante. Elle n'a pasaujourd'hui plus de 10.000 habitants; détruite,<strong>en</strong> 1896, par un inc<strong>en</strong>die, elle se relève à peinede ses ruines; au-devant, s'arrondiss<strong>en</strong>t unepetite baie et une plage bordée de cocotiers. Lavieille ville, avec l'église, le marché, la placed'Armes, l'Hôtel de l'Arrondissem<strong>en</strong>t, occupeun ressaut de terrain ; <strong>en</strong> bas, se trouv<strong>en</strong>t l'uniquerue du Bord de Mer et le portail de Léogane.Le port, où un petit wharf sert au chargem<strong>en</strong>tdes chalands, est le débouché des cafés,v<strong>en</strong>us des diverses vallées, se ramifiant <strong>en</strong> év<strong>en</strong>tailderrière la ville ; il <strong>en</strong> reçoit égalem<strong>en</strong>t, pargoëlettes, des places voisines de Bainet et duSale-Trou, qui ne sont point ouvertes au commerceextérieur ; Jacmel est, pour cette d<strong>en</strong>rée,le troisième port de la République ; il comm<strong>en</strong>ce,<strong>en</strong> outre, à exporter du coton et même un peu demaïs, à destination de Curaçao.A côté de quelques négociants allemands etsyri<strong>en</strong>s, le grand maître du commerce deblanche du quartier ne dépassait pas 1.338 individus. La partieori<strong>en</strong>tale, vers le Sale-Trou et les Anses-à-Pitre, <strong>en</strong> était à peuprès inhabitée, se trouvant exposée aux incursions desnègres marrons, des « créoles des bois », tant français qu'es-Pagnols, qui trouvai<strong>en</strong>t dans les grandes montagnes, prolongeantle Morne la Selle, un refuge traditionnel.


234 EN HAÏTIJacmel est un de nos compatriotes, v<strong>en</strong>u d'Ag<strong>en</strong>,M. Vital. Il fait, à lui seul, plus de la moitiédes affaires du port, et ses halles occup<strong>en</strong>tune bonne partie du Bord de Mer. Je ne connaispas, <strong>en</strong> Haïti, magasins mieux installés, niFrançais qui nous fasse plus d'honneur. Endehors de M. Vital et de ses fils, notre coloniese compose du directeur de la succursale de laBanque Nationale, M. Desrue, d'un médecinMartiniquais, M. Castéra, de quelques g<strong>en</strong>s d<strong>en</strong>os îles, et d'un Corse, qui fabrique, sur unehabitation voisine, du sucre et du tafia. Il fauty ajouter l'élém<strong>en</strong>t religieux, le curé et sestrois vicaires, six Frères de Ploërmel, dontl'école, ouverte <strong>en</strong> 1867, compte 300 élèves etautant de sœurs de Saint-Joseph de Cluny.L'école des filles est moins fréqu<strong>en</strong>tée; lespetites négresses sont coquettes ; elles ne cons<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tà v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> ville que bi<strong>en</strong> vêtues etbi<strong>en</strong> chaussées, et le malheur des temps nepermet plus à leurs par<strong>en</strong>ts de pareilles dép<strong>en</strong>ses.La vie de Jacmel est douce et provinciale.La ville reste à l'écart des intrigues politiquesdu Nord et des agitations de la capitale. Lecafé est la seule affaire. Le commerce prospère,sous les auspices du commandant de l'arron-


AUBIN. En Haïti.BAÏNET : VUE PRISE DE LA ROUTE DE JACMELBAÏNET : VUE PRISE DE LA BAIEPL. XXV


LA RIVIÈRE FROIDE 235dissem<strong>en</strong>t, le général Berrouet, un mulâtre clair,dont chacun paraît se louer... Au reste, la régionde Jacmel est délicieuse : un imm<strong>en</strong>seamphithéâtre de mornes, creusé de vallées verdoyantes.Du haut de la montagne, qui dominela ville sur la route de Bainet, se dégage lameilleure vue du pays : la petite baie arrondie,formée par la mer bleue, et la succession defalaises grises, desc<strong>en</strong>dant du Morne la Sellevers Marigot et le Sale-Trou.Le chemin des Commissaires est trop accid<strong>en</strong>tépour servir aux communications habituelles<strong>en</strong>tre Port-au-Prince et Jacmel ; on remonted'ordinaire la Grande Rivière de Jacmel, pourpasser dans la plaine de Léogane par le MorneCal et le Gros-Morne. La distance est un peuplus longue, mais il y a moins à monter et less<strong>en</strong>tiers sont plus faciles. La route est si fréqu<strong>en</strong>téeque plusieurs habitants aisés ont priscoutume d'accueillir les voyageurs. Selonl'heure choisie pour le départ, on sait d'avancesi l'on ira coucher chez M. Saintili<strong>en</strong>, dans laGrande Rivière, ou si l'on poussera jusqu'auMorne Cal, pour y être reçu par le maîtrede la chapelle Saint-Antoine du Fond-d'Oie,M. Blanc Cyrille, avec ses quatre filles, MllesSalomé, Séréna, Marianne et Rosianne ; plus


236 EN HAÏTIloin <strong>en</strong>core, au delà du Gros-Morne, il y a, surl'habitation Deslandes 1 , la grande maison <strong>en</strong>bois,à toiture de tôle, de M. Canusse Désir. Aprèsquoi, c'est la traversée de la plaine de Léogane,l'habitation Sercey, où se retouve intact un bassinde distribution qui servait aux irrigationsde la colonie 2 , le passage de la Rivière Momance,les villages de Momance et de Gressier,et, après vingt lieues de chemin, le retour àPort-au-Prince.1. M. Deslandes, qui fut major pour le roi de Léogane, établitsur son habitation, <strong>en</strong> 1680, la première sucrerie de lapartie française de Saint-Domingue.2. La distribution des eaux de la Grande Rivière de Léoganeétait effectuée, dès 1737, <strong>en</strong>tre 27 habitations. Au mom<strong>en</strong>t dela Révolution, une distribution nouvelle et plus ét<strong>en</strong>dueavait été mise à l'étude.


LES CAYES-JACMELSALE-TROUAUBIN, En Haïti. PL. XXVI


CHAPITRE VIIDE PORT-AU-PRINCEA SAINT-MARCComm<strong>en</strong>t on voyage <strong>en</strong> Haïti. — Vestiges de la coloniefrançaise : l'habitation Prince. — La plaine et le bourg del'Arcahaye. — Superstitions créoles : la lég<strong>en</strong>de du Trou-Forban.Vingt-quatre lieues, soit douze heures de routede Port-au-Prince à Saint-Marc. Cela paraît ici unfort long voyage. Les créoles ont l'indol<strong>en</strong>ce facileet <strong>en</strong>visag<strong>en</strong>t comme très graves les fatiguesdu chemin. Ils ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de leur asc<strong>en</strong>dance,que le premier contact des Europé<strong>en</strong>s avec lestropiques a naturellem<strong>en</strong>t surprise et effrayée,quantité de croyances ou de prév<strong>en</strong>tions, peufavorables à la mobilité. A les <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, il nefaudrait point marcher p<strong>en</strong>dant le milieu dujour, afin d'éviter le soleil, ni le soir, où le


238 EN HAÏTIserein peut causer des refroidissem<strong>en</strong>ts dangereux; surtout ne pas s'exposer à la pluie,qui tombe <strong>en</strong> Haïti les trois quarts de l'année ;s'abst<strong>en</strong>ir de fruits rafraîchissants et ne boireque de l'eau coupée de rhum; le tout afind'éviter une « mauvaise fièvre ». Telle est, dumoins, l'exig<strong>en</strong>ce de la plaine. Dans les mornes,grâce à l'altitude, liberté plus grande est laissée; les créoles affirm<strong>en</strong>t volontiers que l'ony jouit d'un « climat d'Europe » et que l'eaumême y est « glacée ». Mais ils redout<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>tle chaud et le froid, qui sont représ<strong>en</strong>tés,dans ces pays, par un faible écart de température.Un fait d'atavisme id<strong>en</strong>tique a r<strong>en</strong>duces exagérations communes dans toutes lesvieilles colonies. il est heureux que les nouveauxétablissem<strong>en</strong>ts d'Asie et d'Afrique <strong>en</strong>rest<strong>en</strong>t indemnes.En Haïti, il faut voyager à cheval, car lesabords des villes sont seuls praticables auxvoitures. Les campagnes sont bi<strong>en</strong> traverséesde larges routes, qui fur<strong>en</strong>t naguère <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ues; les vieilles g<strong>en</strong>s se rappell<strong>en</strong>t que, dutemps de l'empereur Soulouque, c'est-à-direvers le milieu du dernier siècle on pouvait ser<strong>en</strong>dre, <strong>en</strong> chaise de poste, d'une extrémité àl'autre du pays, <strong>en</strong> empruntant les anci<strong>en</strong>s


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 239chemins de la colonie, qui se maint<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core.Aujourd'hui, il ne serait plus possible det<strong>en</strong>ter pareille av<strong>en</strong>ture ; les routes sont dev<strong>en</strong>uesdes pistes incertaines, transformées <strong>en</strong> fondrièrespar les pluies ; <strong>en</strong> cas de nécessité, leschefs des sections intéressées font appel aux habitantsvoisins, réquisitionn<strong>en</strong>t leurs cabrouetset leurs bêtes de charge, pour procéder àune réparation rapide, avec des troncs d'arbre,des branchages, voire des résidus de cannes àsucre. Le Code rural prescrit, <strong>en</strong> effet, quetout chemin, classé comme « route publique »c'est-à-dire unissant deux arrondissem<strong>en</strong>ts,soit <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u par les prestations des g<strong>en</strong>s dela section voisine, obligés, <strong>en</strong> xas de besoin,d'y travailler à tour de rôle, p<strong>en</strong>dant les quatrepremiers jours de la semaine.Les chevaux haïti<strong>en</strong>s sont les rejetons deschevaux andalous, introduits par les premierscolons espagnols dans l'île de Saint-Domingue.Sous le régime français, la race fut modifiéepar des croisem<strong>en</strong>ts avec des chevaux importésde l'Amérique du Nord. Depuis lors, elle adégénéré, faute de soins, et perdu sa taille primitive.Bi<strong>en</strong> que petits et ramassés, ces chevauxsont excell<strong>en</strong>ts pour la besogne qu'onleur demande. Ils parcour<strong>en</strong>t la plaine d'un


210 EN HAÏTIamble rapide et escalad<strong>en</strong>t facilem<strong>en</strong>t les mornes; on peut compter avec eux sur un trainsout<strong>en</strong>u de 8 à 10 kilomètres à l'heure, et surune marche moy<strong>en</strong>ne de 50 kilomètres parjour. Il n'y a plus <strong>en</strong> Haïti d'élevage régulier ;les chevaux y naiss<strong>en</strong>t et grandiss<strong>en</strong>t à la grâcede Dieu ; on dit que les meilleurs provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tdes savanes de l'Artibonite ou des escarpem<strong>en</strong>tsdes Côtes-de-Fer, situés sur la côteméridionale de l'île <strong>en</strong>tre Bainet et Aquin.Accompagné d'un domestique, j'ai voyagéjusqu'ici avec trois chevaux de cette doubleorigine ; et, malgré mon poids fort lourd, ils onttoujours bi<strong>en</strong> supporté la route. Il est, d'ailleurs,inutile de se surcharger outre mesure. Ontrouve partout l'hospitalité la plus empressée;dans les bourgs, chez les curés, qui sont tousnos compatriotes, chez les autorités ou les principauxde l'<strong>en</strong>droit ; dans les campagnes, chezdes cultivateurs aisés, surtout chez les sacristainsdes chapelles. Il suffit donc d'emporteravec soi quelques objets de toilette, un peu devin et de conserves, qui r<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans les « valises» <strong>en</strong> cuir ou <strong>en</strong> toile vulgaire, dite quat'-fils, p<strong>en</strong>dues aux deux côtés de la selle. Pourles courses plus longues, il faudrait emm<strong>en</strong>er,comme bête de charge, une mule, dont les


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 241« sacs-paille » conti<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t un plus sérieuxbagage. En cas d'accid<strong>en</strong>t, l'obligeance haïti<strong>en</strong>nevous tirera promptem<strong>en</strong>t d'affaire ; voshôtes sont toujours disposés à vous procurercheval ou mule, qui revi<strong>en</strong>dront <strong>en</strong>suite chezleur propriétaire, à la première occasion oumême par les soins du courrier postal.Sur l'habitation Drouillard, à 5 kilomètresde Port-au-Prince, la route du Nord se détache,vers la gauche, du grand chemin traversanttoute la plaine du Cul-de-Sac. Elle franchitla Grande Rivière au milieu des cultures, quise sont développées sur les deux rives, dans leshabitations Duvivier et Sibert. Aux temps héroïques,où le pouvoir établi ne s'effondrait pasde lui-même, au moindre souffle de révolution,l'interv<strong>en</strong>tion des bandes du Nord a souv<strong>en</strong>tfait de ces habitations, situées sur le grand chemindes guerres civiles, le champ de bataille,où se réglai<strong>en</strong>t le sort de la capitale et l'attributiondu gouvernem<strong>en</strong>t. En 1806, Dessalinesfut assassiné au Pont-Rouge, aux portes mêmesde la ville. En 1807 et 1812, Christophe se r<strong>en</strong>contraà Sibert avec les troupes de Pétion. En1859, Geffrard s'établit à Drouillard, pour r<strong>en</strong>verserl'empire de Soulouque et s'élever luimêmeà la présid<strong>en</strong>ce.EN HAÏTI.16


242 EN HAÏTIPlus loin, au pied des mornes, fermant labaie de Port-au-Prince, la rareté des eaux arecouvertla plaine d'un taillis peu élevé de bayaondes,d'où point<strong>en</strong>t les cierges et les raquettesdes cactus. Un marécage désséché par la saison,la saline Lerebours, précédé de quelques îlots depalétuviers, marque une forte avancée de lamer ; puis quelques flaques d'eau, où flott<strong>en</strong>t desdépôts verdâtres, mérit<strong>en</strong>t, par leur odeur sulfureuse,leur nom de Sources-Puantes ;les cases ontdisparu, excepté sur une petite bande utilisablepour la culture des bananiers et du petit mil, l'habitationLafiteau. Le long du chemin, des bœufset des chèvres, <strong>en</strong>través par une large barre debois fixée au cou, err<strong>en</strong>t à leur gré, à la recherched'une herbe rare. Une maison de pêcheurs,quelques barques amarrées au rivage, un bouquetde cocotiers et l'ombre d'une source, lasource Matelas, marqu<strong>en</strong>t le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t dela plaine de l'Arcahaye.La plaine de l'Arcahaye est formée par unécartem<strong>en</strong>t des mornes, s'éloignant de la mersur la longueur d'une vingtaine de kilomètres;ce sont les mornes des Délices, puis la chaînedes Matheux, qui va jusqu'à Saint-Marc ; montagnesboisées, <strong>en</strong>trecoupées de ravines rapideset garnies, au sommet, d'une ligne de


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 243pitchpins. Elles offrir<strong>en</strong>t aux blancs un refugeefficace p<strong>en</strong>dant les massacres de la Révolution.L'une des premières habitations, à l'<strong>en</strong>tréede la plaine, porte le nom de Prince.C'est assurém<strong>en</strong>t l'une des constructions colonialesles mieux conservées du pays : deux bâtim<strong>en</strong>ts<strong>en</strong> maçonnerie, recouverts de tuiles,demeur<strong>en</strong>t à peu près intacts ; à travers l'év<strong>en</strong>trem<strong>en</strong>td'un mur apparaît la grande roue noiredu moulin; l'aqueduc, à arcades, aux pierresrecouvertes de mousse, se prolonge, p<strong>en</strong>dantplusieurs c<strong>en</strong>taines de mètres, pour disparaîtresous les bananiers. La propriété appart<strong>en</strong>aitjadis au prince de Rohan-Montbazon 1; elle agardé, sinon son nom, du moins son titre. Elleest maint<strong>en</strong>ant tombée aux mains d'un de noscompatriotes martiniquais, M. Anatole Marmonne,un des plus riches propriétaires dece pays. De ce côté, d'ailleurs, les traces dupassé sont nombreuses ; ruines de maisons oude moulins, conduites d'eau <strong>en</strong> briques ouaqueducs de pierre, souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> bon état de1. Le Prince de Rohan fut gouverneur de Saint-Dominguede 1766 à 1770. Ayant eu maille à partir avec les membresdu Conseil Supérieur de Port-au-Prince, il les fit <strong>en</strong>lever,le 7 mars 1769, du lieu même de leurs séances et conduireà bord des bâtim<strong>en</strong>ts qui les transportèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>


244 EN HAÏTIconservation, se multipli<strong>en</strong>t, le long de la route,sur les habitations Garesché 1 , Deschapelles, Dubuisson,l'Évêque, Imbert, Poy-la-Générale,Poy-la-Ravine, où se trouve le bourg mêmede l'Arcahaye. Plus heureux que le Cul-de-Sac,dont la rupture du Bassin général a desséchéune bonne moitié, la plaine de l'Arcahaye gardeà peu près intact le système des irrigationsfrançaises. Il <strong>en</strong> est de même à Léogane; et cesdeux plaines qui se font vis-à-vis, des deuxcôtés de la baie de Port-au-Prince, conserv<strong>en</strong>tainsi une bonne part de leur spl<strong>en</strong>deur anci<strong>en</strong>ne.Toutefois, à une différ<strong>en</strong>ce près : avec le sucre etl'indigo, les plaines constituai<strong>en</strong>t naguère la richessede la colonie, tandis qu'elles ne donn<strong>en</strong>tplus que les vivres pour la consommation locale.Et les mornes, moins appréciés jadis, fourniss<strong>en</strong>ttoujours le café, dev<strong>en</strong>u le principalarticle de l'exportation haïti<strong>en</strong>ne.En arrivant au quartier de Cabaret, un peuau delà de Prince, j'ai r<strong>en</strong>contré le curé del'Arcahaye, le P. Primet, un de nos compatriotes,originaire de Saint-Éti<strong>en</strong>ne, fait assez1 Garesché porte le nom d'armateurs de la Rochelle, quiavai<strong>en</strong>t des intérêts à Saint-Domingue. Sur la liste dessouscripteurs aux ouvrages de Moreau de Saint-Méry, figur<strong>en</strong>tdeux colons de ce nom : l'un était réfugié à Philadelphie,l'autre à Wilmington (Del.).


AUBIN. En Haïti.L'ArCAHAYECASES DANS LES MORNES DE LA GUIANAUDÉE - (JÉRÉMIE)PL. XXVII


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 246rare dans une mission presque exclusivem<strong>en</strong>tcomposée de Bretons. C'était un dimanche, etle prêtre était v<strong>en</strong>u dire sa messe dans la chapellede l'habitation. L'assistance, surtout féminine,était plus relevée que dans les habitationsordinaires; car le Cabaret, dominant la routedu Nord, à l'<strong>en</strong>trée de la plaine, a été organisé<strong>en</strong> quartier et muni, à ce titre, de quelques autorités: un chef de quartier, un juge de paix etun officier de l'état civil. La fille du juge depaix, M. Jean-Baptiste, ayant reçu une bonneéducation à Port-au-Prince, a ouvert une petiteécole; elle y obti<strong>en</strong>t de réels succès avec sesélèves et les petites demoiselles du lieu se mett<strong>en</strong>tà parler très conv<strong>en</strong>ablem<strong>en</strong>t le français.J'ai traversé la plaine <strong>en</strong> compagnie du P.Primet et du chef de la section intéressée, lasection de Boucassin. Le pays est très peupléet les habitations se succèd<strong>en</strong>t les unes auxautres; les cases paraiss<strong>en</strong>t aisées, les arbresfruitiers abond<strong>en</strong>t ; les champs de cannes, lesplantations de bananiers, de pois, d'ignames etde patates se multipli<strong>en</strong>t. Sur nombre de propriétés,on aperçoit, à travers le feuillage des« bois d'orme », les cylindres <strong>en</strong> bois des guildives,qui extrai<strong>en</strong>t le jus de canne pour lapréparation du tafia. Cette fabrication est à peu


246 EN HAÏTIprès la seule industrie de la plaine, où la productiondu sucre est maint<strong>en</strong>ant négligée. Aubord de la mer, sur l'habitation la Bauderie, aété relevé un bon gisem<strong>en</strong>t de terre à brique etdeux briqueteries s'y sont installées, qui fourniss<strong>en</strong>ttoute la République, à l'exception de lacôte Nord. L'une d'<strong>en</strong>tre elles, la plus importante,apparti<strong>en</strong>t à un vieux Corse de Piana,depuis longtemps établi <strong>en</strong> Haïti, M. Massoni.Tout le long de la côte, les habitations ont leurpetit port, avec une dizaine de barges chacun,pour le transport des fruits et légumes dans lesdiverses villes, depuis les Cayes jusqu'à Portde-Paix.Le principal débouché du tafia est lesGonaïves. Quant au café des mornes, peu abondant,mais de qualité excell<strong>en</strong>te, celui des Délicesest transporté par bateau à Port-au-Prince;celui du Fond Baptiste gagne Saint-Marc àdos de mule.Bi<strong>en</strong> arrosée, bi<strong>en</strong> cultivée, cette plaine estextrêmem<strong>en</strong>t riche. Ce fut <strong>en</strong> 1675, que les premiersFrançais vinr<strong>en</strong>t y créer des corails et deshattes. Au dix-huitième siècle, les colons semultiplièr<strong>en</strong>t, et la distribution des eaux, terminée<strong>en</strong> 1742, assura leur prospérité. Lors dela Révolution, la paroisse de l'Arcahaye étaitpeuplée de 702 blancs, 574 affranchis, 17.241 es-


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 247claves. Elle comptait 48 sucreries, 49 indigoteries,25 cotonneries, 68 caféteries, 15 guildiverieset 25 fours à chaux. Elle fut, complètem<strong>en</strong>tabandonnée après l'Indép<strong>en</strong>dance.La guerre civile <strong>en</strong>tre Pétion et Christophe<strong>en</strong> fit un désert. Sous l'empereur Soulouque,un commandant militaire de l'Arcahaye,Mgr Jeannot Jean François, comte dequelque chose dans la noblesse d'alors, profitadu régime d'autorité qu'il représ<strong>en</strong>tait pourobliger les habitants, sous peine de prison, àrepr<strong>en</strong>dre le travail de leurs terres. La prospéritérevint grâce à ce bon tyran et la populations'est <strong>en</strong>richie. La propriété est bi<strong>en</strong>divisée ; peu de cultivateurs y possèd<strong>en</strong>t plusd'une c<strong>en</strong>taine de carreaux de terre.Il faut ajouter que leur richesse même permetaux g<strong>en</strong>s de la plaine de l'Arcahaye de s'offrir,plus largem<strong>en</strong>t qu'ailleurs, les distractions multiplesque les nègres d'Amérique doiv<strong>en</strong>t à leurasc<strong>en</strong>dance africaine. Nulle part, <strong>en</strong> Haïti, lessuperstitions ne sont plus florissantes ; lesdanses Vaudoux sont fréqu<strong>en</strong>tes; la cli<strong>en</strong>tèlese presse autour des papalois, devins, jeteursde sorts, préparateurs de philtres et autres sorciers; les houmforts abond<strong>en</strong>t dans la campagne,et la r<strong>en</strong>ommée de ce lieu d'élection est


218 EN HAÏTIdev<strong>en</strong>ue si grande qu'elle attire même la pratiquede régions fort éloignées. En traversant l'habitationGourrejolles, on me fit voir une grandemaison <strong>en</strong> bois à étage, où opérait naguère leplus célèbre papaloi du pays. Le général Ti-Séné est fort réputé dans son métier et, detoute la République, les g<strong>en</strong>s v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t le consulterà son houmfort de la plaine de l'Arcahaye;ce qui lui valait à la fois gloire et fortune. Lajalousie d'un concurr<strong>en</strong>t moins heureux, appuyépar les hasards de la politique, aurait <strong>en</strong>travéles opérations de Ti-Séné, qui dut plier bagageet transférer le siège de ses affaires à la Grande-Saline, à l'embouchure de l'Artibonite.Le bourg de l'Arcahaye est plutôt le chef-lieuadministratif que le c<strong>en</strong>tre commercial de larégion. Gomme le cultivateur expédie directem<strong>en</strong>tses produits, il n'a pas besoin du servicedes sept ou huit spéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées, qui yvégèt<strong>en</strong>t. De même, les communications pargoëlettes étant journalières avec Port-au-Prince,chacun s'y approvisionne directem<strong>en</strong>t, et l'ona peu regretté le départ de quelques détaillants syri<strong>en</strong>s, qui, n'ayant pu se r<strong>en</strong>dre assezagréables aux autorités communales, ont étéexpulsés l'été passé.En fait, le bourg est petit et ne conti<strong>en</strong>t guère


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 249plus de 1.500 habitants ,groupés dans des maisons<strong>en</strong> bois à étage ou dans des cases de campagnardsautour de la grand'place. C'est la dispositionordinaire aux bourgs haïti<strong>en</strong>s. Au c<strong>en</strong>tre, uneesplanade <strong>en</strong> forme de carré allongé, le « Champde Mars », qui comporte le palmiste, arbre de laliberté, et la tribune dénommée « autel de lapatrie », d'où, aux jours de cérémonie, l'autoritéharangue le peuple. Auprès de l'autel, la reconnaissancepublique a placé le tombeau d'unanci<strong>en</strong> commandant de la place de l'Arcahaye,le général Tintifort Agnan. Les dimanches etjours de fête, il y a parade ; matin et soir, auxheures de la diane et de la retraite, le poste<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d languissamm<strong>en</strong>t une prom<strong>en</strong>adecirculaire, au son du fifre et du tambour. Surles côtés, se trouve l' « Hôtel de la Place », oùréside le chef militaire, le commandant de lacommune ; quelques soldats, des fusils rouillesalignés le long du mur et un petit canon mis <strong>en</strong>batterie devant la porte, acc<strong>en</strong>tu<strong>en</strong>t le caractèremilitaire de l'institution. Au fond, l'église, unvieux bâtim<strong>en</strong>t de l'époque coloniale, construit<strong>en</strong> 1748, aux murs épais, aux contreforts massifs,badigeonné de jaune, construit pour résisteraux tremblem<strong>en</strong>ts de terre et aux inc<strong>en</strong>dies,L'extrémité opposée de la place donne sur la


250 EN HAÏTImer; elle est marquée par les ruines de deuxanci<strong>en</strong>s bastions français, dont les pierres noircieset les canons abandonnés demeur<strong>en</strong>t àl'ombre des cocotiers. L'élém<strong>en</strong>t europé<strong>en</strong>, avecla culture française, est conc<strong>en</strong>tré au presbytère,où deux prêtres desserv<strong>en</strong>t la paroisse.Depuis quatre ans, deux Frères de l'Instructionchréti<strong>en</strong>ne de Ploërmel, des Bretons, ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tl'école communale, fréqu<strong>en</strong>tée par 90 garçons;En 1904, deux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny,des filles de l'Aveyron, ont été <strong>en</strong>voyées pourouvrir une école, qui réunit déjà 68 élèves.Et c'est ce petit personnel religieux qui, à l'Arcahayecomme dans toutes les campagnes haïti<strong>en</strong>nes,marque le li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre les temps anci<strong>en</strong>set les temps nouveaux.Quatorze lieues <strong>en</strong>core jusqu'à Saint-Marc.La plaine cesse et la chaîne des Matheux vi<strong>en</strong>ttomber à pic dans la mer. Au poste militaire deWilliamson, deux soldats, installés sous unajoupa, c'est-à-dire sous un toit de branchages,sout<strong>en</strong>u par des piquets de bois, sont chargésde surveiller la sortie de la plaine, <strong>en</strong> contrôlantles permis de circulation des passants. Ilssort<strong>en</strong>t à la hâte avec leurs fusils, prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tles armes, puis inclinant la crosse, qu'ils ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tre les deux mains, sollicit<strong>en</strong>t le


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 251« cadeau » d'usage. Jusqu'à la pointe duMont-Roui, sur une vingtaine de kilomètres,nous devrons voyager <strong>en</strong>tre la mer et la montagne,dans une forêt touffue et à peu prèsinhabitée. D'abord, les bayaondes et les gayacs,puis toutes les variétés des ess<strong>en</strong>ces haïti<strong>en</strong>nes,gommiers, tchatchas, comas, acajoux, bois dechêne et de frêne, qui n'ont ri<strong>en</strong> de communavec leurs homonymes de nos pays; sur lescrêtes, une ligne de pins ; aux bords de la mer,des mangliers et des raisiniers, avec ces grappesde fruits verts, auxquels les créoles donn<strong>en</strong>t l<strong>en</strong>om de « raisins la mer ». Le flot vi<strong>en</strong>t mourirà leurs pieds, sur des plages étroites de sableou de gravier. Nous sommes <strong>en</strong> plein dans lasaison sèche; c'est le mom<strong>en</strong>t où plusieursarbres « jett<strong>en</strong>t leurs feuilles », si bi<strong>en</strong> que lebois paraît triste et dénudé. Au large, les îlotsdes Arcadins, dont le phare marque l'<strong>en</strong>tréesept<strong>en</strong>trionale de la baie de Port-au-Prince et,plus loin, la bande allongée de l'île de la Gonave1 .Un peu avant la pointe du Mont-Roui, ungrand trou se creuse à mi-hauteur dans la mon-1. Du temps de la colonie, aucun établissem<strong>en</strong>t sérieuxn'avait été t<strong>en</strong>té dans la grande île de la Gonave, qui barretoute la baie de Port-au-Prince. Elle fut concédée, <strong>en</strong> 1768,


252 EN HAÏTItagne ; c'est le Trou-Forban. Les mornes r<strong>en</strong>ferm<strong>en</strong>tainsi nombre de cavernes, que les g<strong>en</strong>sdu pays appell<strong>en</strong>t des trous hygnes, et qui pass<strong>en</strong>tpour avoir servi jadis aux mystères de lareligion indi<strong>en</strong>ne. Avec l'esprit superstitieuxde la race nègre, le peuple haïti<strong>en</strong> s'est empresséde les peupler de génies malfaisants, <strong>en</strong>les <strong>en</strong>tourant parfois de terribles lég<strong>en</strong>des. Lesmatelots, qui navigu<strong>en</strong>t dans le canal de Saint-Marc, racont<strong>en</strong>t que le Trou-Forban est la demeured'un sorcier puissant, qui, chaque nuit,sortirait de sa caverne, pour se r<strong>en</strong>dre à Léogane,au travers de la baie, dans un char atteléde quatre chevaux marins. Il va sans dire quece sorcier est un être mauvais, sans cesseappliqué à nuire à l'humanité voisine; car l<strong>en</strong>ègre se préoccupe surtout des esprits du mal.Une nuit, rev<strong>en</strong>ant de la Gonave avec son <strong>en</strong>fant,un pêcheur <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit une voix qui lui criait,<strong>en</strong> créole : « Ollo ! Ban m'pitite-là, non ! 1 Donnemoidonc cet <strong>en</strong>fant-là. » Il crut avoir affaire àau marquis de Choiseul, et cette concession sans valeur futrachetée au bénéficiaire, <strong>en</strong> 1775, moy<strong>en</strong>nant une p<strong>en</strong>sion de12.000 livres tournois. La Gonave est <strong>en</strong>core peu habitée;elle apparti<strong>en</strong>t aux pêcheurs, et quelques habitants de9côtes voisines y ont <strong>en</strong>trepris des cultures de vivres.1. Le dialecte créole multiplie à chaque membre de phraseles exclamations : oui I et non 1, p<strong>en</strong>sant donner ainsi plusde force au discours.


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARCJ53quelque autre pêcheur et répondit <strong>en</strong> plaisantant:« Main oui, vini pr<strong>en</strong>d, li, non ! Mais oui,vi<strong>en</strong>s donc le pr<strong>en</strong>dre ! » Or, c'était le géniedu Trou-Forban qui avait traversé les ténèbreset, quand le pêcheur atteignit le rivage, ils'aperçut que son <strong>en</strong>fant était mort. Le commundes mortels ne connaît pas le chemin qui conduità la caverne : seuls, par des mots magiques,quelques papalois de la région ont réussi à sel'ouvrir et ils aurai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trevu, dans l'intérieurde la montagne, un palais <strong>en</strong>chanté, un palaisd'or et de pierreries. Même par les plus grostemps, aucun bateau ne cons<strong>en</strong>tirait à mouillerau pied du Trou-Forban, de peur qu'il ne prîtau génie du lieu la fantaisie d'<strong>en</strong>lever un matelot.Se r<strong>en</strong>dant par mer de Port-au-Prince àSaint-Marc, Descourtilz subit à sa manière lafâcheuse influ<strong>en</strong>ce du Trou-Forban. Il raconte,dans les Voyages d'un Naturaliste, que sa barquey resta <strong>en</strong> panne, le long de la côte, tandisque le patron s'épuisait à appeler le v<strong>en</strong>t <strong>en</strong>soufflant dans un lambis, selon le procédé resté<strong>en</strong> usage chez les marins haïti<strong>en</strong>s.Voici maint<strong>en</strong>ant que les montagnes s'écart<strong>en</strong>t<strong>en</strong>core du rivage, pour faire place auxchamps de cannes et aux cultures de vivres. LaPointe de Saint-Marc apparaît. Nous traversons


254 EN HAÏTIla rivière et le petit village du Mont-Roui, puisles habitations de Lugé et Lanzac, qui sontvillages de pêcheurs, s'ét<strong>en</strong>dant au bord de lamer sous les cocotiers.Il y a une tr<strong>en</strong>taine d'années, une bonne partde l'habitation de Lugé appart<strong>en</strong>ait à un Corse,M. Lota, dont les <strong>en</strong>fants résid<strong>en</strong>t toujours <strong>en</strong>Haïti. Un jour, M. Lota y serait allé chasser avectrois de nos compatriotes, habitant Saint-Marc.Une couleuvre étant sortie d'un arbre au-devantdes chasseurs, ceux-ci la tuèr<strong>en</strong>t, sans pr<strong>en</strong>dregarde aux objurgations des nègres qui les accompagnai<strong>en</strong>t.Ces derniers affirmèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> vainque la couleuvre était « maman de l'eau », c'està-direl'incarnation de l'esprit des eaux, et qu'ons'exposait, <strong>en</strong> la tuant, à mourir au cours del'année. Et, de fait, p<strong>en</strong>dant les douze moisqui suivir<strong>en</strong>t, les quatre chasseurs, victimes deleur incrédulité, mourur<strong>en</strong>t tous de mort naturelleou viol<strong>en</strong>te. L'imagination facile descréoles se complaît à ces sortes de récits et ilstrouv<strong>en</strong>t volontiers créance chez presque tousceux qui ont longtemps vécu dans les vieillescolonies.Afin de franchir la petite arête montagneuse,qui se termine à la pointe de Saint-Marc, lechemin remonte dans les mornes, par les habi-


DE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARC 255tarions Pierre et Pay<strong>en</strong> ; il traverse la salineBoisneuf, puis, pour atteindre le faîte, la forêtdénudée de la ravine Marie. De l'autre côté, laravine Jeanton, puis une dernière ravine, laravine Freyssineau, et, à un tournant de la route,nous débouchons sur la baie même de Saint-Marc, à 1.500 mètres de la ville.


CHAPITRE VIIISAINT-MARCLes restes du passé colonial : l'église, les vieilles maisons,les rues et les remparts. — La ville haïti<strong>en</strong>ne. — Le commerce<strong>en</strong> Haïti. — La maison Boutin. — Importation etexportation : café, campêche et coton. — Les rev<strong>en</strong>deuses.— Les « spéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées ». — La colonie française.— La chasse ; les huîtres de palétuviers. — Unesoirée à Saint-Marc.Il n'existe, à ma connaissance, aucune autreville <strong>en</strong> Haïti ayant mieux conservé que Saint-Marc les restes de la colonie française. La vieilleéglise et nombre de maisons de l'époque colonialesubsist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, avec les ruines des fortifications.— Les villes haïti<strong>en</strong>nes sont sujettesà des causes de destruction multiples ; il y <strong>en</strong> apeu qui n'ai<strong>en</strong>t été presque <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t recons-


SAINT-MARC MAISONS NOUVELLESAUBIN. En Haïti.SAINT MAKC. MAISONS DE L'ÉPOQUE COLONIALEPL. XXVIII


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SAINT-MARC 257truites par la génération prés<strong>en</strong>te ; leurs déplorablesmaisons de bois sont bâties à bon marché,afin de limiter les pertes, <strong>en</strong> cas de désastre ; caril n'est pas <strong>en</strong> ce pays placem<strong>en</strong>t plus av<strong>en</strong>turéque la propriété urbaine. Les constructions quirésist<strong>en</strong>t aux tremblem<strong>en</strong>ts de terre périss<strong>en</strong>tpar l'inc<strong>en</strong>die, qu'il résulte de l'imprud<strong>en</strong>ce deshommes ou de la fureur des révolutions. Saint-Marc eut l'avantage de n'être brûlée qu'uneseule fois ; ce fut, <strong>en</strong> 1802, par les soins de Dessalines,alors qu'une division française marchaitde Port-au-Prince sur Saint-Marc, pourrejoindre le gros de l'expédition Leclerc, occupéeà cerner dans les Mornes des Cahos lesforces de Toussaint Louverture. Brûler lesvilles à l'arrivée de nos troupes, comme Christophe<strong>en</strong> avait donné l'exemple au Cap-Français,était dev<strong>en</strong>u la tactique constante des chefsnègres ; elle resta leur programme jusqu'<strong>en</strong>1825, <strong>en</strong> cas de retour off<strong>en</strong>sif de notre part.Depuis lors, Saint-Marc a pu garder intactesles reliques de son passé, épargnées dans la• circonstance.La population actuelle n'atteint pas 5.000 âmes.Saint-Marc n'a, du reste, jamais été qu'unepetite ville. Les colons la fondèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1716,longtemps après que les boucaniers, et mêmeEN HAÏTI. 17


258 EN HAÏTIles colons, euss<strong>en</strong>t multiplié leurs établissem<strong>en</strong>tsdans toute la partie occid<strong>en</strong>tale de l'îlede Saint-Domingue ; c'était le débouché naturelde la vallée de l'Artibonite, c'est-à-dire de toutela région c<strong>en</strong>trale du pays, dont le traité deRyswick nous avait reconnu la possession.Réduite à la situation d'un modeste chef-lieude quartier, elle vécut, à l'écart des honneursadministratifs, avec un simple lieut<strong>en</strong>ant de roiet un sénéchal. L'État-major du quartier y futinstallé <strong>en</strong> 1724; un édit de la même annéecréa la sénéchaussée de Saint-Marc. Le 16 avril1725, se tint la première séance. « Le l<strong>en</strong>demain,les commissaires du Conseil Supérieur du Petit-Goave et les officiers de la sénéchaussée allèr<strong>en</strong>tfaire dresser une pot<strong>en</strong>ce au bord de la mer etun pilier avec deux carcans au-devant de l'emplacem<strong>en</strong>t,où le palais devait être élevé, commemarques de justice. — (Moreau de Saint-Méry.)»La sénéchaussée avait 7 procureurs, 14 notaireset 14 huissiers. Quand Port-au-Prince devintcapitale, les autorités provinciales de l'Ouests'établir<strong>en</strong>t à Saint-Marc. Dès lors, elle prit plusd'importance et l'on y mit une petite garnison,détachée du régim<strong>en</strong>t de Port-au-Prince. Au mom<strong>en</strong>tde la Révolution, la ville avaitl4 rues, 32 iletsou carrés, 250 maisons ; 50 navires de Bordeaux et


SAINT-MARC 26»du Havre <strong>en</strong> fréqu<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t annuellem<strong>en</strong>t leport. Depuis 1773, elle possédait même unthéâtre, où v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t jouer les troupes de Portau-Prince,de Léogane ou des Cayes... Fautede société féminine blanche, comme dans lesautres villes de la colonie, les hommes allai<strong>en</strong>tjouer au Vaux-Hall ou se distrayai<strong>en</strong>t avec des« courtisanes de couleur ». Le nom de Saint-Marc est particulièrem<strong>en</strong>t attaché aux débuts dela Révolution de Saint-Domingue. Le 15 avril1790, les planteurs s'y réunir<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> assembléegénérale, pour protester contre l'humanitarismede la métropole, qui faisait litière des intérêtsde la colonie.Cet éclat révolutionnaire fut passager dans lavie de Saint-Marc. Depuis lors, rev<strong>en</strong>ue à soncommerce primitif, elle a cessé de faire parlerd'elle. Aujourd'hui, la petite ville somnole doucem<strong>en</strong>tau bord d'une plage de sable, qui s^arrondità l'extrémité d'un baie profonde. Sesmurs s'adoss<strong>en</strong>t à une ligne de mornes, où lapiété publique a élevé un calvaire ; une étroitevallée remonte <strong>en</strong> p<strong>en</strong>te douce, tandis que lesravins boisés des Monts Terribles ferm<strong>en</strong>t l'horizonvers le sud.Saint-Marc forme, le long de la mer, un rectanglefortifié, dont les rues se coup<strong>en</strong>t à angle


260 EN HAÏTIdroit. Selon la disposition coutumière aux villeshaïti<strong>en</strong>nes, le « bord de mer » est réservé aucommerce ; la grand'place du Champ-de-Mars,aux monum<strong>en</strong>ts officiels et aux parades militaires; la population se répartit dans les diversquartiers, et les quartiers exc<strong>en</strong>triques,proches des issues, pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, comme partoutailleurs, le nom spécial de « portails ». A parcourirles rues désertes, on se croirait <strong>en</strong>coreau temps de la colonie ; leurs appellations noussont familières ; ce sont la Grand'Rue, la rue del'Eglise, la rue Neuve, les rues Saint-Charles etSaint-Simon ; il existe <strong>en</strong>core des rues Royale,Dauphine et Traversière, des rues de Bourbon etde Bourgogne ; la prom<strong>en</strong>ade des remparts conduitau fort Bergerac et au fort Vallière 1 . Au milieudes maisons de bois, qui dat<strong>en</strong>t d'hier, demeur<strong>en</strong>t<strong>en</strong>castrées, dans chaque quartier, plusieursmaisons de l'époque coloniale. Celles-ci n'ontpoint d'étage ; leurs murs sont <strong>en</strong> maçonnerieet recouverts d'un toit de tuiles, qui, s'appuyantsur des poutres extérieures, forme galerie audessusdu trottoir. La vieille église, trapue etmassive, datant de 1779, s'est aussi conservée ;sur le côté, son clocher octogone, coiffé d'un1. M. de Vallière fut gouverneur de la colonie de 1772à 1775. Il mourut à Port-au-Prince.


SAINT-MARC 261clocheton très bas, dépasse à peine la hauteurdu bâtim<strong>en</strong>t. Les vieillards se souvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t avoirvu dans l'église un banc seigneurial, maint<strong>en</strong>antdisparu ; il appart<strong>en</strong>ait naguère à la premièrefamille des colons de Saint-Marc, la famillePiver, qui donna son nom à une habitationvoisine et à l'un des portails de la ville. Lesmurailles d'<strong>en</strong>ceinte sont <strong>en</strong> ruines, mais leurslignes, leurs bastions d'angle et leurs portesrest<strong>en</strong>t nettem<strong>en</strong>t indiqués par des amoncellem<strong>en</strong>tsde pierres ; certaines parties sont demeuréesà peu près intactes, et l'on m'a faitvoir un pont fortifié, <strong>en</strong> fort bon état, donnantpassage à l'un des ruisseaux qui travers<strong>en</strong>t laville.La ville haïti<strong>en</strong>ne s'est développée dans lecadre colonial, qu'elle a respecté. Le Champ-de-Mars, ombragé de sabliers et de flamboyants,était naguère la place du marché ; il cont<strong>en</strong>aitun emplacem<strong>en</strong>t spécial pour les étalages demarchandises sèches, dit marché des blancs. IIs'est <strong>en</strong>richi d'une colonne, élevée à la mémoiredu général Guerrier. Après la chute de Boyer,<strong>en</strong> 1843, cet homme souleva Saint-Marc et ymourut deux ans plus tard. Une fortune éphémèrel'avait élevé à la Présid<strong>en</strong>ce de la République,<strong>en</strong>tre Rivière-Hérard et Pierrot. A côté


262 EN HAÏTIde sa colonne, se trouve le tombeau d'un certainMgr Jean-Louis-Jean-Jacques, qui mourut <strong>en</strong>1857, à l'âge de quatre-vingt-huit ans, ayant été,sous le règne de Soulouque, commandant de l'arrondissem<strong>en</strong>t.Les bastions et les remparts sontdev<strong>en</strong>us la sépulture favorite des familles militaires: l'un des bastions est <strong>en</strong>combré par lestombeaux d'une famille Barthélemy, qui paraîtavoir fourni à Saint-Marc toute une série dechefs ; l'ingéniosité filiale n'a trouvé à inscriresur ces tombeaux qu'une épitaphe id<strong>en</strong>tique :« Officier distingué par sa valeur et d'un caractèrerempli d'honneur. »Saint-Marc vit de son commerce ; le peu demouvem<strong>en</strong>t qui existe <strong>en</strong> ville converge au bordde mer, autour des négociants consignataires,qui sont les seigneurs de la place, de leurscli<strong>en</strong>ts, les commerçants au détail, « marchandsde finesse et grosserie », et de leur fournisseurs,les « spéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées ». Le samedi,l'animation se transporte au marché ; c'est lejour où les vivres arriv<strong>en</strong>t de l'Arcahaye et del'île de la Gonave, où les femmes des Mornesde Terreblanche apport<strong>en</strong>t sur leur tête lesfruits et légumes pour l'approvisionnem<strong>en</strong>t dela semaine. Le reste du temps, c'est le vide etle sil<strong>en</strong>ce ; il n'y a de vie que dans le lit des


SAINT-MARC 263deux petites rivières, où les blanchisseusesdemi-nues, vêtues d'un simple tanga, — légermorceau d'étoffe, attaché à la taille et passant<strong>en</strong>tre les deux jambes, — vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t laver leurlinge, pour le sécher <strong>en</strong>suite sur les plahis voisins,c'est-à-dire sur les couches de cailloux,déposées par les eaux.Le commerce <strong>en</strong> Haïti est chose très spéciale,du fait que les nègres, dev<strong>en</strong>us maîtres du payset désireux d'<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir écartés les blancs, ont eusoin de parquer les étrangers dans certainsports ouverts, seuls points où ils soi<strong>en</strong>t autorisés,<strong>en</strong> droit, à créer des établissem<strong>en</strong>ts.Encore n'y pourrai<strong>en</strong>t-ils faire que le commercede gros ; et la Constitution leur déf<strong>en</strong>d d'acquérirla moindre propriété. Dans de telles conditions,les colonies étrangères, composées deg<strong>en</strong>s nés <strong>en</strong> Europe ou aux États-Unis, sontnaturellem<strong>en</strong>t peu nombreuses; il ne vi<strong>en</strong>t surla côte que le personnel strictem<strong>en</strong>t nécessaireaux opérations commerciales, le plus souv<strong>en</strong>tfrançais ou allemand, et ces g<strong>en</strong>s se born<strong>en</strong>tà profiter de la tolérance haïti<strong>en</strong>ne le tempsvoulu pour réaliser quelque fortune, afin des'établir <strong>en</strong>suite parmi des populations moinsdéfiantes.Cep<strong>en</strong>dant, <strong>en</strong> dépit de telles précautions, le


264 EN HAÏTIcommerce haïti<strong>en</strong> t<strong>en</strong>d à passer de plus <strong>en</strong> plus<strong>en</strong>tre des mains étrangères. Plusieurs blancss'étant mariés dans le pays, y ont fait souche:il <strong>en</strong> est résulté un groupe créole, qui resteétranger, tout au moins de nationalité. Uneimportante émigration de la Martinique, etsurtout de la Guadeloupe, a facilem<strong>en</strong>t pénétré<strong>en</strong> Haïti, à la faveur de sa langue et de sa couleur.Enfin, une forte proportion de Syri<strong>en</strong>sréussit à s'infiltrer jusque dans les campagnes,grâce à la vénalité des autorités et à leur propreabjection. Si bi<strong>en</strong> que ces intrus finiss<strong>en</strong>t pardét<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> fait l'<strong>en</strong>semble des affaires et parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tmême à posséder la terre, soit au nomde tiers interposés, soit au moy<strong>en</strong> de contrelettresou de baux à longs termes.Il existe, à Saint-Marc, trois principales maisonsde commerce, qui s'occup<strong>en</strong>t de la consignationdes navires, de l'importation et de l'exportation.L'une est française ; une autre est lasuccursale d'une maison allemande de Port-au-Prince ; la troisième est haïti<strong>en</strong>ne. Le plus beaumagasin du bord de mer apparti<strong>en</strong>t à un Syri<strong>en</strong>,Michel Sayeh, grec catholique de Beyrouth, quiv<strong>en</strong>d des nouveautés à l'<strong>en</strong>seigne de « la R<strong>en</strong>ommée».Notre compatriote, M. Boutin, était v<strong>en</strong>u, il


SAINT-MARC 265y a une cinquantaine d'années, de Marie-Galante,à l'époque où le bouleversem<strong>en</strong>t économique,résultant de l'abolition de l'esclavage,obligeait nombre de Guadeloupé<strong>en</strong>s à s'expatrier.Il réussit à fonder l'une des premièresmaisons de commerce de Saint-Marc ; depuis samort, elle est dirigée par sa veuve et par sesfils, qui ont égalem<strong>en</strong>t créé un établissem<strong>en</strong>t àPort-au-Prince.En Haïti, les maisons de commerce sonttoutes installées sur un modèle id<strong>en</strong>tique etcomport<strong>en</strong>t plusieurs compartim<strong>en</strong>ts, à causede la variété des affaires qui s'y trait<strong>en</strong>t. Selonl'usage des colonies, l'on achète de tout et l'onv<strong>en</strong>d de tout. Plus la maison est importante,plus elle occupe de « halles », c'est-à-dire demagasins au bord de mer. A côté du localpour les bureaux, se trouv<strong>en</strong>t des dépôts pourles marchandises importées, qui sont <strong>en</strong>tasséespêle-mêle dans un même magasin. Les besoinsde la population haïti<strong>en</strong>ne sont limités et lemalheur des temps les réduit <strong>en</strong>core ; il nes'agit donc pas d'introduire des articles bi<strong>en</strong>abondants ni bi<strong>en</strong> raffinés. Les cotonnades pourles vêtem<strong>en</strong>ts vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'Angleterre et desEtats-Unis, un peu de France et d'Alsace; lesfoulards fins pour la coiffure des femmes sont


266 EN HAÏTIimportés de France, les foulards ordinairesd'Angleterre, les chaussures sont françaises;la fabrique de Choisy-le-Roi fournit les faï<strong>en</strong>ces;la verrerie, la quincaillerie, la coutellerie et lamercerie provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de France et un peud'Allemagne, la parfumerie de France ; demême les vins, que l'on choisit très épais pourêtre coupés d'eau, puis répandus dans les campagnescomme remèdes ou pour la célébrationdes jours de fête. Une maison d'Augsbourg ainondé tout le pays de ses allumettes. Mais cesont naturellem<strong>en</strong>t les États-Unis qui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tla plus grande part de l'importation, avec leursbois et leurs articles de consommation, — farine,saindoux, poissons séchés, salaisons.Les détaillants de la ville et les rev<strong>en</strong>deursdes campagnes vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t s'approvisionner chezles négociants importateurs. C'est surtout, auxjours de marché, qu'on accourt des habitations,situées dans la sphère d'attraction de Saint-Marc, c'est-à-dire de toute la basse vallée del'Artibonite et des mornes qui la bord<strong>en</strong>t. Lesrapports sont plus fréqu<strong>en</strong>ts avec les bourgs dela plaine. Le commerce de l'intérieur est presqueexclusivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les mains des femmes;elles sont actives et honnêtes, toujours <strong>en</strong> mouvem<strong>en</strong>tpour acheter <strong>en</strong> ville et rev<strong>en</strong>dre dans


SAINT-MARC 267les marchés ou sous une tonnelle au bord duchemin ; les négociants leur accord<strong>en</strong>t volontiersde petits crédits et elles pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t grand soin defaire honneur à leurs <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>ts. En Haïti, lanégresse vaut mieux que le nègre. P<strong>en</strong>dant quel'homme s'<strong>en</strong>dort dans la néglig<strong>en</strong>ce du travaildes champs et l'abrutissem<strong>en</strong>t du servicemilitaire local, boit du tafia ou « bamboche » auson du tambour, la femme trime par les chemins,pour assurer les r<strong>en</strong>trées du ménage et<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir la paresse de l'époux. En général, lescommerçantes haïti<strong>en</strong>nes sont assez aviséespour rester à l'écart du mariage; elles se« plac<strong>en</strong>t » avec un homme de leur choix, afinde se procurer les joies conjugales ; mais ellesse gard<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> de l'épouser, de crainte de luidonner autorité sur leurs opérations et sur leursprofits. Les négociants des ports affirm<strong>en</strong>t queleurs meilleures cli<strong>en</strong>tes ne sont jamais mariées ;le plus souv<strong>en</strong>t, leurs affaires prospèr<strong>en</strong>t et ellespay<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t; si, par faiblesse, elles selaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>traîner au mariage, c'est signe quele petit commerce va être livré aux dilapidationsde l'homme et que la ruine est prochaine.Le négociant paye ses importations avec lesproduits qu'il exporte. Saint-Marc a la bonnefortune de disposer d'une grande variété d'ex-


268 EN HAÏTIportations, puisqu'elle expédie à la fois le caféle campêche et le coton Du fait de cette diversité,la place s'est mieux maint<strong>en</strong>ue que lesautres ports haïti<strong>en</strong>s. Grâce au coton, dont elleest le débouché principal, elle a pu échapper àla crise provoquée ailleurs par la baisse desprix sur les cafés et les campêches.La loi haïti<strong>en</strong>ne ne permet pas aux étrangersd'acheter directem<strong>en</strong>t la récolte des habitants.Ils doiv<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre pour intermédiairesles courtiers, dits « spéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées »,établis dans les villes et les bourgs. Ces g<strong>en</strong>sachèt<strong>en</strong>t au producteur, pour rev<strong>en</strong>dre à l'exportateur.Ils ont, dans leur maison, un comptoiret un dépôt ; devant leur porte, fixée àune pot<strong>en</strong>ce, une grande balance à plateaux debois. L'alignem<strong>en</strong>t de ces balances est une descaractéristiques d'un bourg haïti<strong>en</strong> ; parfois ilsvont au-devant de la pratique, <strong>en</strong> installantleurs accessoires, à quelques c<strong>en</strong>taines de mètres<strong>en</strong> avant du bourg. Dans un pareil métier,il va sans dire que les voyages sont nécessaireset qu'il faut constamm<strong>en</strong>t visiter la cli<strong>en</strong>tèle.1. Exportations du port de Saint-Marc, <strong>en</strong> 1904 : 3 millions706.000 livres de café; 1.836.000 livres de coton; 15.149.000 livresde campêche ; 11.762.000 livres de racines de campêche;2.279.000 livres de gayac; 136.000 livres de café triage.


SAINT-MARC 269Les bénéfices d'un spéculateur peuv<strong>en</strong>t atteindredes chiffres assez élevés, mais, pour y réussir,l'homme doit être fort <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, disposer d'uncertain capital et savoir manier le paysan haïti<strong>en</strong>.C'est grâce à ces avantages que M. JosephSaint-Fleur est dev<strong>en</strong>u le principal spéculateurde Saint-Marc. Il opère dans toute la région,achetant indifféremm<strong>en</strong>t aux propriétaires café,campêche et coton. Il leur cons<strong>en</strong>t des avancessur la récolte, et ses recouvrem<strong>en</strong>ts sont assuréspar les chefs militaires locaux, dont il aété assez habile pour s'assurer le concours.Le café de Saint-Marc est connu partout; ilcouvre, de son nom et de sa r<strong>en</strong>ommée, la presquetotalité du café haïti<strong>en</strong>; mais il ne pousseplus qu'<strong>en</strong> proportion très limitée, son domainese réduisant à peu près aux sommets desMornes des Cahos, qui ferm<strong>en</strong>t, à l'est, la plainede l'Artibonite. Les paysans l'apport<strong>en</strong>t au bourgde la Petite-Rivière, au pied même des mornes;et les spéculateurs de l'<strong>en</strong>droit le réexpédi<strong>en</strong>t àleurs correspondants de Saint-Marc, dans deschariots qui leur apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, se chargeantainsi de l'achat et du transport de la d<strong>en</strong>rée.Pour être expédié <strong>en</strong> ville, on a vu que le cafén'exigeait qu'un séchage sommaire, effectué ausoleil dans la cour de chaque case. Le coton


270 EN HAÏTIdemande plus de soins, car il faut un moulinpour le séparer d'avec ses graines. D'habitude,le spéculateur <strong>en</strong> fournit à chaque habitation etrémunère son capital, <strong>en</strong> prélevant le quart ducoton égr<strong>en</strong>é. Dans la région de Saint-Marc,l'espace cultivé <strong>en</strong> coton est considérable; iloccupe toute la plaine et le rivage de la mervers Port-au-Prince, jusqu'à la pointe du Mont-Roui. Le campêche est égalem<strong>en</strong>t abondant; ilcroît <strong>en</strong> plaine et se multiplie <strong>en</strong> bouquetstouffus parmi les savanes de l'Artibonite. Lespéculateur s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d avec les propriétaires desemblables bois, leur fait des avances pour lescoupes et assure le transport des campêches, qui,par radeaux, desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t le fleuve au fil de l'eau.A leur arrivée à Saint-Marc, les chariots,chargés de café et de coton, aboutiss<strong>en</strong>t auxhalles des négociants exportateurs ; après avoirpassé sous une presse très primitive, le cotonest aussitôt mis <strong>en</strong> balles. Le café subit quelquesopérations rapides : tout d'abord, onl'ét<strong>en</strong>d sur des prélarts, au beau milieu de larue, pour le faire sécher au soleil ; il y demeuretout un jour, remué de temps à autre à la pelle,afin d'<strong>en</strong> détacher les pellicules; le nettoyagedes grains s'achève à la machine; puis desnégresses, accroupies dans une halle, <strong>en</strong> opè-


SAINT-MARC 271r<strong>en</strong>t le triage ; dès lors, il est mis <strong>en</strong> sacs etexpédié au Havre, qui est le principal marchédes cafés haïti<strong>en</strong>s. Le campêche 1est trop volumineuxpour <strong>en</strong>trer dans les magasins. Il forme,sur la plage de sable, d'énormes amoncellem<strong>en</strong>tsde troncs et de racines. Parv<strong>en</strong>us àl'embouchure de l'Artibonite, les radeaux sontdémontés et leurs pièces <strong>en</strong>tassées dans desbarges, qui les amèn<strong>en</strong>t au fond de la baiede Saint-Marc. Chaque jour, ce sont nouveauxarrivages ; la p<strong>en</strong>te est si rapide queles bateaux peuv<strong>en</strong>t presque accoster à la plage,et, malgré les requins, les hommes, se jetant àl'eau, transport<strong>en</strong>t les bois sur leurs épaules.Quelques-unes de ces barques sont toujours<strong>en</strong> déchargem<strong>en</strong>t. Comme les nègres, elles sontaffublées d'un double nom, le nom de baptêmeet le « nom-jouet». J'ai vu décharger deuxd'<strong>en</strong>tre elles, le Dieu-Devant et la Sainte-Elisabeth;mais, la plupart, ignorant ces appellationschréti<strong>en</strong>nes, les désignai<strong>en</strong>t sous le nomde Grand-Bois et de P<strong>en</strong>dié-à-part, — (p<strong>en</strong>duà part, — hors classe). — Pour la teinture, lecampêche a perdu sa valeur d'antan; les bois de1. Les campêches, apportés du Mexique, fur<strong>en</strong>t introduitsdans l'île <strong>en</strong> 1730 ; les premiers plants <strong>en</strong> fur<strong>en</strong>t acclimatéssur l'habitation de M. Le Normant de Mézy, près du Cap.


272 EN HAÏTIteinture disparaiss<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus devantles progrès de la chimie; les prix sont si basque le campêche ne peut supporter le fret desbateaux à vapeur ; ce sont voiliers français ounorvégi<strong>en</strong>s, qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t le chercher pour letransporter <strong>en</strong> Europe.Il <strong>en</strong> est, à Saint-Marc, comme partout auxcolonies; la vie y est régularisée par les arrivagesdes navires, qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à la consignationdes négociants importateurs et exportateurs.Les bateaux français, allemands et hollandais,qui touch<strong>en</strong>t le port, apport<strong>en</strong>t, avec lesmarchandises prévues, le courrier, les nouvelles,un peu d'air du dehors. Ils emport<strong>en</strong>tles d<strong>en</strong>rées emmagasinées, depuis le dernierpassage, par l'activité commerciale de toute larégion; leurs apparitions périodiques sont datesimportantes dans la monotone exist<strong>en</strong>ce de laville.La colonie étrangère, qui vit du commercede Saint-Marc, est naturellem<strong>en</strong>t limitée. Il nes'y trouve ni Anglais, ni Américains; deuxAllemands, employés de commerce; quelquesSyri<strong>en</strong>s. Les nôtres sont les plus nombreux : lamaison Boutin <strong>en</strong> occupe une demi-douzaine,que le hasard a am<strong>en</strong>és des divers points de laFrance contin<strong>en</strong>tale ou des colonies. Un vieux


SAINT-MARC 273Corse est employé dans une maison allemande;un mulâtre très foncé, fils d'un Corse, v<strong>en</strong>unaguère pour faire des coupes d'acajou, ti<strong>en</strong>t uneépicerie; quelques créoles français s'occup<strong>en</strong>tvaguem<strong>en</strong>t d'exportation; plusieurs Guadeloupé<strong>en</strong>sexerc<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ville de petits métiers; unMartiniquais expédie du gayac aux Etats-Unis.Enfin, l'élém<strong>en</strong>t religieux, toujours nombreuxet actif <strong>en</strong> Haïti, est représ<strong>en</strong>té par le curé dela ville avec ses deux vicaires; une Alsaci<strong>en</strong>ne,la Mère Sainte-Alvire, dirige, depuis vingt-sixans, avec quatre religieuses, l'école des Sœursde Saint-Joseph de Cluny, qu'elle a fondée; elleréunit 220 <strong>en</strong>fants; l'école des Frères de Ploërmel,créée à la même date, compte 200 élèves,qui sont éduqués par quatre Frères.Les distractions sont rares à Saint-Marc et lachasse est réservée aux jours de loisir. Lesdeux pointes, qui <strong>en</strong>cadr<strong>en</strong>t la baie, conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tdes fourrés épais, où gît<strong>en</strong>t l'iguane et lachèvre sauvage, que les indigènes appell<strong>en</strong>t le« cabrite marron » ; il y a abondance de perdrix,de ramiers et d'ortolans ; les canards, les plongeonset les poules d'eau se r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t dansl'es étangs et les marécages de la plaine. Entrela plaine de l'Artibonite et la baie de Saint-Marc,le morne allongé de l'Anse à l'Inde se termine àEN HAÏTI. 18


274 EN HAÏTIla Rivière Salée; par delà, un petit îlot, peupléd'aigrettes, avec la Table au Diable, où se trouvela pointe sept<strong>en</strong>trionale fermant la baie. LaRivière Salée est tout <strong>en</strong>combrée de palétuviers;sur les multiples racines de ces arbres,ainsi que sur les tiges de bois rosé, qui, desbranches, plong<strong>en</strong>t perp<strong>en</strong>diculairem<strong>en</strong>t dansla mer, vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t se fixer toute une variété decoquillages; les huîtres, que l'on y recueille,sont, avec celles d'Aquin, dans le Sud, les plusr<strong>en</strong>ommées du pays. Elles sont petites et biscornues;mais le goût <strong>en</strong> est excell<strong>en</strong>t, exceptéquand les crues de l'Artibonite, dont l'embouchureest voisine, <strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t, jusque dans larivière, le limon du fleuve.J'ai été à Saint-Marc l'hôte de MM. Boutin.Sur la terrasse de leur maison, la soirée étaitdélicieuse. Au point de vue du climat, je neconnais aucune région tropicale plus favoriséeque les Antilles. Le milieu du jour y est pénible,surtout dans la saison des pluies; mais,avecle déclin du soleil, la brise se lève et l'on jouitalors de longues heures de fraîcheur. Parmalheur, la nuit vi<strong>en</strong>t vite sous ces latitudes,le crépuscule dure à peine et c'est, avant la findu jour, un instant unique, dont profit<strong>en</strong>t lescréoles pour se répandre au dehors.


SAINT-MARC 275Ce soir-là, dans une petite maison située visà-visde celle de MM. Boutin, on <strong>en</strong>terraitun anci<strong>en</strong> juge de paix, M. Victorin Sylvestre,mort la veille. Il y eut un grand mouvem<strong>en</strong>tdans la rue ; puis, au milieu des gémissem<strong>en</strong>tspoussés par les femmes de la famille,un corbillard vitré, accompagné de nègresempanachés, emporta le corps au cimetière,avec cette pompe funèbre voyante et grotesque,habituelle aux pays du Sud. Une demiheureaprès, la foule était rev<strong>en</strong>ue pour <strong>en</strong>vahirde nouveau la maison, où se trouvait préparée,après l'<strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t, la collation d'usage. On yversait du rhum à tout v<strong>en</strong>ant, et les oisifs, toujoursdisposés à manger et à boire aux frais d'autrui,ceux que le dialecte créole désigne sousle nom de tchionels, accourai<strong>en</strong>t à l'aubaine detous les coins de la ville. Quand tomba la nuit,un petit groupe de soldats dép<strong>en</strong>aillés parcourutles rues, <strong>en</strong> sonnant la retraite sur des fifres,des trompettes et des tambours. La retraites'arrêta devant la maison mortuaire, et, sansinterrompre la musique, chacun des soldatss'<strong>en</strong> fut à tour de rôle boire à la santé dudéfunt. A 7 heures, on plaça des gardes aubord de la mer, pour empêcher la contrebande ;puis l'obscurité appartint aux groupes de


276 EN HAÏTI« Mardi-Gras », c'est-à-dire aux masques donts'affubl<strong>en</strong>t les nègres, p<strong>en</strong>dant les longuessemaines du carnaval, et ces g<strong>en</strong>s<strong>en</strong>vahir<strong>en</strong>tles rues avec des tambours, des chants et deslumières1. A 10 heures, le bruit cessa ; lapatrouille sonna le couvre-feu et, par ordre desautorités militaires, la ville dut s'<strong>en</strong>dormir; carles ports sont <strong>en</strong> état de siège, crainte desrévolutionnaires éparpillés dansles îles voisines,et toutes précautions sont prises pourrepousser un débarquem<strong>en</strong>t.1. Tous les nègres éprouv<strong>en</strong>t un goût très vif pour les déguisem<strong>en</strong>tset les mascarades. Les Mardi-Gras <strong>en</strong>vahiss<strong>en</strong>tles villes haïti<strong>en</strong>nes, dès les premières semaines de janvier; ils séviss<strong>en</strong>t particulièrem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant les trois joursdu carnaval et le jour de la mi-carême. Ils exist<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>tà Cuba, sous le nom de comparsas. A la fin de la semainesainte, les nègres s'employai<strong>en</strong>t avec zèle à brûler unJuif <strong>en</strong> effigie, afin de v<strong>en</strong>ger la mort du Christ. Cette coutumeparaît avoir à peu près disparu de Cuba, mais elle doitsubsister à Porto-Rico, où, un Samedi Saint, j'ai r<strong>en</strong>contrésur une grand'route, la jeunesse prom<strong>en</strong>ant un mannequinqu'elle couvrait d'ignominies ; elle existe toujours <strong>en</strong> Dominicanie.En Haïti, le loiloidi serait un dérivé de cette mêmecoutume.Jusqu'à l'abolition de l'esclavage, chez les planteurs françaisde Cuba, les esclaves avai<strong>en</strong>t l'habitude de former, lejour de l'an, une mascarade, avec destambours et des casseroles<strong>en</strong>rubannées. Ils apparaissai<strong>en</strong>t ainsi, à minuit, dans lesalon du maître ; après un complim<strong>en</strong>t récité par une négresseexpérim<strong>en</strong>tée, ils chantai<strong>en</strong>t des chansons créoleset recevai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> m<strong>en</strong>us objets, leurs cadeaux de la nouvelleannée. La même coutume existait à la Louisiane.


CHAPITREIXLES MORNES DES CAHOSDe Saint-Marc aux Mornes des Cahos. — A travers la plainede l'Artibonite ; le coton. — Les radeaux de campêche. —Le « chemin royal » et le transport des cafés par cabrouets.— Le bourg de la Petite-Rivière ; le fort de laCrête-à-Pierrot. — Chez le commandant de la commune ;le général Val<strong>en</strong>tin Achille. — La forteresse impériale deDessalines. — Petits et Grands Cahos. — La lég<strong>en</strong>de dutrésor de Toussaint Louverture. — Les deux sections desGrands Cahos : Pérodin, Médor. — Desc<strong>en</strong>te sur l'Artibonite; le passage du fleuve <strong>en</strong> « bois-fouillé ». — Lequartier de la Chapelle. — Retour à Port-au-Prince. —Sur les routes haïti<strong>en</strong>nes.La route du Nord sort de Saint-Marc par leportail des Guêpes et remonte par la ravine dumême nom, à travers des fourrés de gommierset de bayaondes. — De ce côté, les abords dela ville sont déf<strong>en</strong>dus par trois forts, couron-


278 EN HAÏTInant les mornes Blockhouse, Bel-Air et Diamant.Le pont Lioquant, flanqué de quatrecanons, est jeté sur un fossé étroit et profond,creusé par les eaux de la ravine. On gagnepromptem<strong>en</strong>t le sommet du Gros-Morne, d'oùla vue embrasse toute la plaine de l'Artibonite.C'est la basse vallée du fleuve, plate commela main et d'une verdure grise, s'ét<strong>en</strong>dant àl'infini vers le nord ; son sol sec et un peuaride est, <strong>en</strong> Haïti, le principal c<strong>en</strong>tre de laproduction cotonnière, comme il était déjà dutemps de la colonie. Tout au fond, à peineperceptible, la chaîne des montagnes sept<strong>en</strong>trionalesde l'île; puis, s'arrondissant vers l'est,la ligne de mornes qui ferme la plaine, lesMornes de la Coupe-à-l'Inde et les Mornesdes Cahos. Au pied, sous un ajoupa, le postemilitaire de la Croix-Mulâtresse, au carrefourdes deux routes traversant la plaine, l'une versles Gonaïves, l'autre, <strong>en</strong> amont du fleuve, versla Petite-Rivière ou les Verrettes.Il y a 7 lieues de Saint-Marc à la Petite-Rivière de l'Artibonite ; trois bonnes heures devoyage. La route traverse une contrée boisée,où les comas, les tchatchas, les acajoux etles gayacs pouss<strong>en</strong>t parmi les bayaondes ; detemps à autre, les arbres ont été coupés, les


LES MORNES DES CAHOS 279troncs <strong>en</strong>foncés dans la terre pour former clôture;les habitants ont construit de pauvres maisons<strong>en</strong> terre battue dans leurs champs de cotonou de petit mil. L'aspect du pays est triste etdesséché : les cotonniers, que l'on néglige detailler, devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de véritables arbustes. Noussommes à l'époque de la cueillette, qui comm<strong>en</strong>ceà la fin de janvier, pour se terminer <strong>en</strong> mai;sur les tiges noircies et dépouillées, le duvet,chargé de graines, s'échappe des gousses flétries; quelques fleurs jaunes ou rouges persist<strong>en</strong>t<strong>en</strong>core, pour la floraison du printemps 1 . Laplaine de l'Artibonite n'a jamais été riche ; elleétait sèche, assez peu peuplée ; les colons n'yplantai<strong>en</strong>t que l'indigo et le coton ; les travauxd'irrigation, mis à l'étude, n'avai<strong>en</strong>t pas été<strong>en</strong>trepris, ayant été reconnus trop coûteux ; lesprises d'eau, pratiquées par les riverains sur lefleuve, étai<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>levées par lescrues.Les jardins ne se form<strong>en</strong>t que sur les bordsde l'Artibonite, aux approches du pont Sondée.I. Le coton de Saint-Domingue fut, dès l'origine, de qualitémédiocre, et ne pouvait être comparé à celui du Brésilni des Indes ori<strong>en</strong>tales. D'ailleurs, les cotonneries étai<strong>en</strong>tles « manufactures » où les planteurs avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>gagé lemoindre capital ; elles ne produisai<strong>en</strong>t guère plus de6 millions de livres par an.


280 EN HAÏTICe pont est le plus bel ouvrage d'art que se soitoffert la République d'Haïti. Il est susp<strong>en</strong>dusur le fleuve, qui peut bi<strong>en</strong> avoir <strong>en</strong> cet <strong>en</strong>droit80 mètres de largeur ; une maison américainele construisit <strong>en</strong> 1878, pour assurer les communications<strong>en</strong>tre le Nord et le Sud du pays ;par malheur, son <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> s'est trouvé négligé,la couleur ne ti<strong>en</strong>t plus, les fers se disjoign<strong>en</strong>tet les poutres du plancher sont percées de trousinquiétants.L'Artibonite est le principal cours d'eau,drainant la région occid<strong>en</strong>tale de l'île de Saint-Domingue. Il sort, <strong>en</strong> Dominicanie, du massifc<strong>en</strong>tral, et desc<strong>en</strong>d des grandes montagnespour recevoir, sur ses deux rives, toute unesérie d'afflu<strong>en</strong>ts, qui parcour<strong>en</strong>t les savanesdes hauts plateaux. Le fleuve roule ses eauxtroubles <strong>en</strong>tre des berges boisées. Comme ilest trop large et trop profond pour être franchià gué, une population, vivant de l'Artibonite,s'est développée sur ses bords ; des stations depirogues échelonnées <strong>en</strong> assur<strong>en</strong>t le passage etles radeaux l'utilis<strong>en</strong>t pour le transport des campêches.Les bois vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t surtout du haut fleuve, audessusdu Mirebalais, où ils sont le plus abondants.Étant très lourds, on a coutume de les


LES MORNES DES CAHOS 281placer sur des cadres de bambous, remplisde bois légers, « bois-trompette » ou troncsde bananiers, qui serv<strong>en</strong>t de flotteurs. Leradeau ainsi formé comporte une surface dequelque 50 mètres carrés et un poids d'unedizaine de tonnes. Par ce moy<strong>en</strong>, les campêchesfont sous l'eau tout le voyage ; le séjourprolongé dans le limon du fleuve agirait sur lanature et la couleur du bois, d'une façon qui <strong>en</strong>accroît la valeur. A Saint-Marc, le « bois desaline », v<strong>en</strong>u par l'Artibonite, se paye presquele double du « bois de ville », apporté par chariotsde l'intérieur. Les convois sont conduitspar des équipages de « radayeurs », commandéspar un capitaine ; leur métier est difficile etmême dangereux, Quand les eaux sont basseset que se form<strong>en</strong>t les bancs de sable, il fautaller l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, évitant les échouages, et l'onmet quelquefois deux mois pour atteindre jusqu'àla mer. Avec les hautes eaux et le courantrapide, les radeaux risqu<strong>en</strong>t de se briser sur lessaillants des berges, multipliés par les méandresdu fleuve ; les radayeurs n'ont pas de gouvernailet c'est <strong>en</strong> s'appuyant sur de grandes perches<strong>en</strong> bambou qu'ils parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à gouverner.Arrivés à l'embouchure, à la Grande-Saline1. Les premiers Français, v<strong>en</strong>us à l'île de la Tortue, se


382 EN HAÏTIdes cordes leur sont lancées, afin d'am<strong>en</strong>er àterre et d'amarrer les radeaux. Si, <strong>en</strong>traînéspar la vitesse des eaux, ils ne réussiss<strong>en</strong>t pasà saisir ces amarres, il ne leur reste qu'à sejeter à la nage, tandis que les campêches s'<strong>en</strong>vont à la dérive, et l'on <strong>en</strong> retrouve, emportéspar le Gulf Stream, jusque sur les côtes de Floride.Il y a même certaines saisons où le fleuveest complètem<strong>en</strong>t impraticable ; l'automne,après les pluies, aucun radayeur ne cons<strong>en</strong>tiraità se risquer sur l'Artibonite. Quand la cruecomm<strong>en</strong>ce à baisser, l'expéri<strong>en</strong>ce est faite parun petit radeau d'essai, un pipéri, qui r<strong>en</strong>seignesur les conditions de navigabilité. Une foisr<strong>en</strong>dues à la Grande-Saline, les équipes ontachevé leur tâche ; elles remont<strong>en</strong>t à pied le longdu fleuve, pour pr<strong>en</strong>dre une nouvelle charge decampêche et la conduire à lamer.Du pont Sondée à la Petite-Rivière, le « cheminroyal » est une ligne droite, très large,qui n'<strong>en</strong> finit point et conduit jusqu'au pied despréoccupèr<strong>en</strong>t des salines naturelles, qui se trouvai<strong>en</strong>t à lacôte de Saint-Domingue. Ils <strong>en</strong> préparai<strong>en</strong>t le sel et s'<strong>en</strong>servai<strong>en</strong>t comme matière d'échange, surtout avec lesAnglais. Leur principal établissem<strong>en</strong>t fut créé à l'embouchurede l'Artibonite, <strong>en</strong> un lieu qu'ils appelèr<strong>en</strong>t la Grande-Saline. Il s'y maintint, p<strong>en</strong>dant tout le dix-huitième siècle,une communauté de saliniers, recrutés au hasard et vivant<strong>en</strong> dehors de tout contact avec la société des planteurs.


LES MORNES DES CAHOS 283mornes, marquant, à l'est, l'extrémité de laplaine. Les habitations se succèd<strong>en</strong>t les unesaux autres avec des cases prospères et desjardins bi<strong>en</strong> cultivés. Leurs noms — Moreau,Villars, Cloville, Laville, Ségur — rappell<strong>en</strong>tle souv<strong>en</strong>ir des anci<strong>en</strong>s colons français. Parbonheur, il n'a pas plu depuis quelque tempset la route est praticable. Sur plusieurs points,des corvées de paysans travaill<strong>en</strong>t à la remettre<strong>en</strong> état ; le sol, profondém<strong>en</strong>t remué par lesroues des chariots, témoigne assez des fondrièresqui s'y doiv<strong>en</strong>t creuser avec la mauvaisesaison. Car la route apparti<strong>en</strong>t aux cabrouets,qui apport<strong>en</strong>t, de la Petite-Rivière à Saint-Marc,le café des Cahos. Ce sont lourds chariots roulantsur deux roues énormes, où l'on peut<strong>en</strong>tasser vingt-cinq sacs de cafés ; un attelagede cinq paires de bœufs les traîne péniblem<strong>en</strong>tà travers les ornières de la plaine ; d'habitude,ils sont expédiés le lundi matin pour arriver auport le mercredi ; le reste de la semaine estconsacré au retour.Au bourg de la Petite-Rivière, qui, du tempsdes blancs, fut le premier établissem<strong>en</strong>t de laplaine, le terrain comm<strong>en</strong>ce à s'élever; lesmaisons de bois s'éparpill<strong>en</strong>t sur un sol rocheux.Plus haut, les galeries à triples arcades


284 EN HAÏTId'un grand palais de briques, qui, comm<strong>en</strong>cépar le roi Christophe, n'atteignit jamais le premierétage. Au sommet, le fort ruiné de laCrête-à-Pierrot eut son heure de célébrité p<strong>en</strong>dantles guerres de la Révolution.En 1802, lors de l'expédition du général Leclerc,les troupes françaises, qui se conc<strong>en</strong>trai<strong>en</strong>tde toutes parts contre les dernièresforces de Toussaint Louverture, refoulées dansles Mornes des Cahos, se heurtèr<strong>en</strong>t à cet ouvrage,construit, quelques années auparavant, par lesAnglais. La petite garnison noire fit, vingt joursdurant, une admirable déf<strong>en</strong>se et finit pars'<strong>en</strong>fuir, <strong>en</strong> forçant nos lignes. Pourtant la prisede la Crête-à-Pierrot décida de l'issue de lacampagne ; elle <strong>en</strong>traîna la reddition des principauxchefs, y compris Toussaint lui-même.Descourtilz se trouvait alors prisonnier dans lefort et parvint à s'échapper aux derniers joursdu siège. Allié par son mariage à la familleRossignol-Desdunes, dont les multiples branchespeuplai<strong>en</strong>t la plaine de l'Artibonite, ilétait v<strong>en</strong>u à Saint-Domingue <strong>en</strong> 1798, p<strong>en</strong>santprofiter des bonnes dispositions de ToussaintLouverture, qui proclamait l'int<strong>en</strong>tion de restituerles terres des blancs, sur lesquelles lesesclaves émancipés serai<strong>en</strong>t restés comme


LES MORNES DES CAHOS 285métayers. Les circonstances am<strong>en</strong>èr<strong>en</strong>t Descourtilzà faire métier de naturaliste, davantageque de planteur. Mais, au débarquem<strong>en</strong>tdes troupes françaises, la fureur s'empara desnègres, qui se saisir<strong>en</strong>t des blancs et les massacrèr<strong>en</strong>t<strong>en</strong> grand nombre. Descourtilz fit partied'un groupe de nombreux prisonniers, cueillissur les habitations de l'Artibonite et internésà la Petite-Rivière. Au cours des massacres,Mme Dessalines le sauva <strong>en</strong> le cachant sous sonlit. C'était une négresse fort distinguée, qui avaitété la « ménagère » d'un riche colon, <strong>en</strong> avaitgardé bon souv<strong>en</strong>ir et qui, dans sa situationnouvelle, s'employait de son mieux <strong>en</strong> faveur desblancs. Elle continua de s'intéresser au sort deDescourtilz, et lui fit passer des provisions dansles Mornes des Cahos, où il servait de médecinaux troupes nègres. Une t<strong>en</strong>tative d'évasion luivalut son internem<strong>en</strong>t à la Crête-à-Pierrot. Ilraconta, par la suite, « les détails de sa captivitépar 40.000 nègres » dans un mémoire inséréau troisième volume de ses Voyages d'un naturaliste.La Crête-à-Pierrot est un de ces épisodes héroïquesde l'Indép<strong>en</strong>dance, dont les Haïti<strong>en</strong>saim<strong>en</strong>t à garder la mémoire. Ce nom avait étédonné à un petit bateau de guerre, qui, p<strong>en</strong>-


286 EN HAÏTIdant la révolution de 1902, fut impitoyablem<strong>en</strong>tcoulé par une canonnière allemande, pourn'avoir point marqué le respect voulu au commercegermanique. Le procédé était un peu vif ;l'amiral, qui commandait la Crête-à-Pierrot (lesgrades élevés abond<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Haïti) se s<strong>en</strong>tit inspirépar les grands souv<strong>en</strong>irs révolutionnaires et,après avoir débarqué ses hommes, périt bravem<strong>en</strong>tavec son navire.Le fort, dont les murs se sont écroulés,forme un carré, <strong>en</strong>touré de fossés. Deux figuiersmaudits ont poussé parmi les décombres, lescanons aux roues de bois et les boulets abandonnés.Une croix de pierre s'élève auprès dequelques tombeaux ; sur l'un d'eux, au-dessousd'armoiries, on lit l'inscription suivante : « CigîtThomas d'Hector, duc de l'Artibonite,âgé de soixante-seize ans, natif de l'Artibonite,décédé le 18 août 1852. Passants, priez pourlui. Am<strong>en</strong> I » La poudrière est à peu près intacte,à côté d'un ajoupa construit pour abriterun poste abs<strong>en</strong>t.Au sud, le mamelon de la Crête-à-Pierrot esttaillé à pic ; des acajoux ont poussé dans lesruines des fortifications et la vue s'ét<strong>en</strong>d sur lecours inférieur du fleuve, qui sort des montagnes,<strong>en</strong>tre les Mornes des Cahos et la chaîne


LES MORNES DES CAHOS 287des Matheux, pour serp<strong>en</strong>ter jusqu'à la mer àtravers la verdure de la plaine. Sur la rive opposée,une tache grise marque le bourg desVerrettes. Un bac, glissant sur un câble, assurele passage <strong>en</strong>tre les deux agglomérations.Établi par les g<strong>en</strong>s de la Petite-Rivière, il estaffermé à un <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur, M. Auguste Supplice,magistrat communal de Saint - Marc,moy<strong>en</strong>nant une redevance annuelle de 200gourdes ; la taxe perçue sur les passants estde 2 c<strong>en</strong>times par homme ou par bête, d'unegourde et demie par cabrouet. Le bac actuel setrouve à l'<strong>en</strong>droit même où avait été établi, àl'époque coloniale, le «bac d'<strong>en</strong> haut.» C'était lemoins achalandé des trois bacs de l'Artibonite ;adjugé à la criée devant les officiers de la sénéchausséede Saint-Marc, il ne rapportait que5.500 livres. Le fermier avait le droit d'exploiter,au bord même de la rivière, une auberge,une boulangerie et une « boutique de marchandisessèches ».J'ai reçu l'hospitalité chez le curé de la Petite-Rivière,le P. Ménager, un Breton de l'Illeet-Vilaine.Les presbytères sont la Provid<strong>en</strong>cedes voyageurs <strong>en</strong> Haïti. C'est, <strong>en</strong> règle générale,la meilleure maison du bourg ; un bon lity est toujours préparé pour les hôtes ; la table


288 EN HAÏTIest propre et bi<strong>en</strong> servie ; la gouvernante ducuré, qui est, le plus souv<strong>en</strong>t, la présid<strong>en</strong>tedes Enfants de Marie de la paroisse, est <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dueet av<strong>en</strong>ante. Le prêtre est heureux d'accueillirun compatriote, qui apporte, dans sasolitude, un ressouv<strong>en</strong>ir du pays.La Petite-Rivière est un gros bourg de deuxmille habitants, conc<strong>en</strong>trant le commerce dufond de la plaine et des mornes voisins. Avectout le coton du plat pays <strong>en</strong>vironnant, il yvi<strong>en</strong>t aboutir le café des Petits et des GrandsCahos, parfois même celui des Matheux, del'autre côté du fleuve. Aussi les balances, indicatricesde la demeure des spéculateurs <strong>en</strong>d<strong>en</strong>rées, se multipli<strong>en</strong>t-elles aux portes desmaisons, à côté des boutiques de rev<strong>en</strong>deuses.Chaque v<strong>en</strong>dredi, sur la grand'place, devantl'église, le marché provoque une animationconsidérable ; les tonnelles, restées vides toutle long de la semaine, sont occupées par leurst<strong>en</strong>ants. — La plupart des métiers se trouv<strong>en</strong>treprés<strong>en</strong>tés au village : tailleurs, orfèvres pourchaînes, bagues et boucles d'oreilles, selliers,cordonniers et charp<strong>en</strong>tiers. — Le cordonnierest un Cubain ; deux Syri<strong>en</strong>s font le petit commerce.La commune est munie de toutes les auto-


LES MORNES DES CAHOS 289rités requises : un chef militaire, le commandantde place, qui assure le mainti<strong>en</strong> de l'ordreet du régime établi, un magistrat communalélu, chargé de la municipalité, un juge de paix,un officier de l'état civil, un préposé d'administrationpour le service des finances. Le curéa deux vicaires : 50 <strong>en</strong>fants fréqu<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t l'écoledes Frères ; 118 petites filles, celle des Religieusesde Saint-Joseph de Cluny. Il n'y a pasde médecin ; car les vertus des plantes sontconnues de tous et, dans les cas graves, on arecours au papaloi. Le bourg est prospère ;chaque habitant possède et cultive son jardindans le voisinage. Entre l'Église et l'État, lesrelations sont excell<strong>en</strong>tes ; le prêtre est bi<strong>en</strong> vu ;les « convertis » abond<strong>en</strong>t et il y a toujoursgrande afflu<strong>en</strong>ce à la messe. Les autorités marqu<strong>en</strong>tpour le catholicisme le même attachem<strong>en</strong>tque pour le Vaudoux ou la franc-maçonnerie.S'il y a des houmforts dans tous les coinsde la plaine, le bourg apparti<strong>en</strong>t à l'Église etles principaux de l'<strong>en</strong>droit, au nombre d'unevingtaine, travaill<strong>en</strong>t à la loge maçonniquelocale, la Terre-Promise, n° 56 1 .1. La franc-maçonnerie est extrêmem<strong>en</strong>t répandue <strong>en</strong>Haïti, où elle fut introduite par les colons français. Elle yjouit d'une organisation autonome, sous l'autorité d'unEN HAÏTI. 19


290 EN HAÏTIPour aborder les Mornes des Cahos, il falluts'adresser au commandant de la commune, à« la place », comme le désigne le respect deses administrés, qui peut seul, <strong>en</strong> cas de besoin,fournir guides et montures. Avant mondépart de Port-au-Prince, le ministre de la Guerrem'avait remis une lettre d'introduction pourson subordonné.LIBERTÉ. ÉGALITÉ. FRATERNITÉ.REPUBLIQUE D'HAÏTIPort-au-Prince, le...,an 102 ede l'Indép<strong>en</strong>dance.Le secrétaire d'Étatau Départem<strong>en</strong>t de la Guerreau commandant de la commune de la Petite-Rivièrede l'Artibonite.Général, M..., porteur de la prés<strong>en</strong>te, <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d unvoyage dans votre commandem<strong>en</strong>t. Je n'ai pas besoin devous rappeler que vous devez avoir toute bi<strong>en</strong>veillance<strong>en</strong>vers lui et lui faire tous les accueils possibles. Dansl'espoir que vous vous acquitterez dignem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vers cetimportant personnage, recevez, général, l'assurance dema parfaite considération.Signé : CYRIAQUE CÉLESTIN.Grand-Ori<strong>en</strong>t local. Dans les ports du Sud, quelques logesrelèv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core du Suprême Conseil de France. Ellesport<strong>en</strong>t le nom « des Philadelphes », qui avait été la premièreloge ouverte au Cap-Français,


LES MORNES DES CAHOS 291J'ai voyagé par toute la République avec desemblables lettres, n'ayant jamais eu qu'à melouer des facilités qui m'ont été faites.Les chefs des diverses circonscriptionsapparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à cette oligarchie militaire, dontémane le pouvoir <strong>en</strong> Haïti 1 ; ce sont hommesde confiance, habitués au service et au maniem<strong>en</strong>tdes populations haïti<strong>en</strong>nes ; quelques-unspossèd<strong>en</strong>t intellig<strong>en</strong>ce et instruction ; plusieurssont simplem<strong>en</strong>t de vieux soldats, arrivés àl'anci<strong>en</strong>neté, fatigués par les révolutions, et1. En dehors de la garde et des corps spéciaux (l'un d'euxa été formé par un anci<strong>en</strong> sous-officier français, M. Giboz),qui rest<strong>en</strong>t fixés à Port-au-Prince, l'armée perman<strong>en</strong>ted'Haïti compr<strong>en</strong>d un effectif régulier de 38.000 hommes, quise succède par tiers sous les drapeaux ; <strong>en</strong> fait, l'effectifréel ne dépasserait pas 8.000 hommes... Chacun des27 arrondissem<strong>en</strong>ts, et même quelques communes, fourniss<strong>en</strong>t,par recrutem<strong>en</strong>t local, un régim<strong>en</strong>t de deux bataillons,<strong>en</strong> tout 38 régim<strong>en</strong>ts d'infanterie et 4 d'artillerie. Les soldats,répartis dans les garnisons et les postes militaires, doiv<strong>en</strong>têtre déplacés chaque année. On les pr<strong>en</strong>d de préfér<strong>en</strong>cedans les campagnes, afin d'avoir des g<strong>en</strong>s plus lourds,moins accessibles à l'idée révolutionnaire ; on les éloignede leur lieu d'origine, pour éviter les désertions. La plupartdes grands chefs haïti<strong>en</strong>s sont sortis du corps d'officiers.Monsieur soldat, comme le désigne la courtoisie deses officiers, est un être pittoresque et débraillé ; il sonnela diane et le couvre-feu, arrête, le soir, par un vigoureux :Qui vive 1 les inoff<strong>en</strong>sifs prom<strong>en</strong>eurs, touche sa paie lesamedi et la joue aux dés séance t<strong>en</strong>ante. Il fait, du reste, peud'exercices, se distingue dans les coudiailles, qui sont desretraites au tambour d'un rythme rapide, et participe deson mieux aux couris, crises subites d'affolem<strong>en</strong>t, qui, sansrime ni raison, agit<strong>en</strong>t périodiquem<strong>en</strong>t les villes haïti<strong>en</strong>nes,


292 EN HAÏTIdont les connaissances ne dépass<strong>en</strong>t pas lalangue créole. Le général Val<strong>en</strong>tin Achille,« Général de division aux armées de la République,aide de camp honoraire de S. Exc. lePrésid<strong>en</strong>t d'Haïti, commandant la commune etla place de la Petite-Rivière », est au nombrede ces derniers. Avant de s'élever aux honneurs,il a m<strong>en</strong>é la rude exist<strong>en</strong>ce du militairehaïti<strong>en</strong>. Il y a soixante-six ans de cela, il naquitau Trou, dans le Nord de l'île, et servit,jusqu'au grade de sous-lieut<strong>en</strong>ant, dans le 28 erégim<strong>en</strong>t, celui de son bourg natal. Il débutasous « l'Empereur » et garde bon souv<strong>en</strong>ir deces temps héroïques, où Soulouque payait sessoldats. « Ça pas lé con jodi : sold'té payérecta. Ce n'était pas comme aujourd'hui : lasolde était régulièrem<strong>en</strong>t payée. » Il devint officiersous le «règne » de Geffrard — (les Haïti<strong>en</strong>scalcul<strong>en</strong>t volontiers d'après les « règnes »de leurs Présid<strong>en</strong>ts), — général sous Salnave ;<strong>en</strong>tre temps, le hasard des garnisons l'avaitconduit à Plaisance, sur la route du Cap aux Gonaïves; il y prit femme et y possède <strong>en</strong>core dubi<strong>en</strong>. Avec le grade de général, vinr<strong>en</strong>t lesgrandeurs.Il commanda successivem<strong>en</strong>t la place à Jérémie,au Limbé, à Port-Margot, à la Petite-


LES MORNES DES CAHOS 293Rivière, allant ainsi du nord au sud de laRépublique avec des vicissitudes diverses.Naguère, la tourm<strong>en</strong>te révolutionnaire le chassaviolemm<strong>en</strong>t de la Petite-Rivière ; il y est maint<strong>en</strong>antrev<strong>en</strong>u avec des temps meilleurs, et sesmésav<strong>en</strong>tures d'autrefois ne nuis<strong>en</strong>t <strong>en</strong> aucunefaçon à son prestige d'aujourd'hui.Le général Val<strong>en</strong>tin Achille est un vieillardmince, la figure <strong>en</strong>tourée d'une barbe toute blanche; il semble un peu gêné dans sa redingot<strong>en</strong>oire. L'appartem<strong>en</strong>t, qu'il habite à l'« Hôtel dela place », comporte une chambre meublée d'unetable et de quelques chaises ; un lit dans unealcôve. Sur la table se trouv<strong>en</strong>t un plateau, desverres et une carafe remplie de tafia. Le généralla vide de son cont<strong>en</strong>u, la remet à unofficier qui s'<strong>en</strong> va chercher du rhum ; puis,avec une serviette, il essuie soigneusem<strong>en</strong>tchacun des verres. En même temps, de cettevoix monotone et chantante si particulière auxnègres des Antilles, il nous expose la philosophiedouce, que, dans ses trois phases de soldat,d'agriculteur et de grand chef, lui a <strong>en</strong>seignéel'av<strong>en</strong>ture de sa vie. « Nous oué tête mointout blanc : moin passé passage <strong>en</strong> pile nan lagué, nuite dèrhò, la pli la jounain, domi nan sérein,mouillé, la fièv', grand goût. Ous coué c'est


294 EN HAÏTItoute ? Non ! Mangni<strong>en</strong> té, planté mangnioc, patates,bannanes, pois, di riz, toutes bagäy ! C'estçà qui fait m'vini grand moune con ça. Si m'travaillési tant, c'est pace qui m'té malhéré, oui.Jodi m'chita. — Vous voyez ma tête blanche, c'estque j'ai eu beaucoup à <strong>en</strong>durer p<strong>en</strong>dant lesguerres; il m'a fallu passer les nuits dehors, recevoirla pluie p<strong>en</strong>dant le jour, dormir au serein,être mouillé, avoir la fièvre, avoir faim.Vous croyez que c'est là tout ? Non ! Il a aussifallu travailler, planter du manioc, des patates,des pois, du riz, toutes sortes de choses. C'estcela qui m'a fait dev<strong>en</strong>ir un aussi grand personnage.Si j'ai tant travaillé, c'est que j'ai étépauvre ; aujourd'hui je me repose. » Puis il repr<strong>en</strong>d: « Ac tout çà, ous coué m'chita? Lan nuite,au mol : desse, pam ! m'bigé guetté nègue-là yo.Soldats jodi pas soldats. Yo pas fait passédòmi. Yo pas connin fait gade ; go jeinne. M'bigéquitté chaume moin, pour m'vini dòmi sounatte, nan bireau moin, apé tann la diann. Aprèsçà, c'est là m'capab'cabicha. — Avec çà, vouscroyez que je me repose ? La nuit, brusquem<strong>en</strong>t,je suis obligé de surveiller ces nègres-là. Lessoldats d'aujourd'hui ne sont pas des soldats ;ils ne font que dormir ; ils ne sav<strong>en</strong>t pas monterla garde ; ils sont jeunes. Il faut que je quitte


LES MORNES DES CAHOS 295ma chambre, pour aller dormir dans mon bureau,jusqu'à la diane. Après cela, c'est alorsseulem<strong>en</strong>t que je peux faire un somme. »Et, le rhum étant v<strong>en</strong>u, le général Val<strong>en</strong>tinAchille nous servit à tous un grog 1 , <strong>en</strong> buvant« à notre conservation ! »En remontant vers le nord, le long desmornes, il faut deux heures pour faire les cinqlieues de chemin, séparant la Petite-Rivièrede Dessalines. Le pays est plat, verdoyant etmonotone; les habitations se succèd<strong>en</strong>t le longde la route, Lucas, Marquez, Palmiste, etc. LePont-B<strong>en</strong>oit franchit l'Estère, qui desc<strong>en</strong>d desCahos, pour traverser diagonalem<strong>en</strong>t la plaineet atteindre la mer, aux <strong>en</strong>virons des Gonaïves.Dans une échancrure du morne, apparaiss<strong>en</strong>tsur la hauteur plusieurs forts, aux angles saillants; au pied, le Champ-de-Mars, sur lequelse group<strong>en</strong>t l'église et les maisons du bourg.1. Dans la préparation des boissons, où le rhum intervi<strong>en</strong>tinévitablem<strong>en</strong>t, les créoles distingu<strong>en</strong>t les grogs, lesthés et les punchs. Les grogs comport<strong>en</strong>t toutes variétés demixtures, à base de rhum et de citron ; les thés sont desinfusions d'herbes locales (mélisse, petit baume, citronelle,bourgeons d'oranger, verveine). Les punchs sont confectionnésavec des jus et des pulpes de fruits tropicaux (oranges,corossols, gr<strong>en</strong>adilles), avec un peu de rhum, de sucre etde muscade. Les « punchs à l'eau de coco », de Mlle RosePimpin, qui ti<strong>en</strong>t un petit café sur le bord de mer à Portau-Prince,sont particulièrem<strong>en</strong>t réputés.


296 EN HAÏTIA l'époque coloniale, Dessalines n'existait pas ;son emplacem<strong>en</strong>t actuel appart<strong>en</strong>ait à l'habitationMarchand. — Or, après l'Indép<strong>en</strong>danceet jusqu'à ce que celle-ci eût été reconnuepar la France <strong>en</strong> 1825, les Haïti<strong>en</strong>s ont vécudans la crainte perpétuelle d'un retouroff<strong>en</strong>sif de notre part, et la principale préoccupationde leurs chefs militaires fut d'établir,dans les montagnes de l'intérieur, des campsretranchés, qui devi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t, le cas échéant,les boulevards de la nationalité nouvelle. C'estainsi, qu'<strong>en</strong> 1802, Dessalines créa, au c<strong>en</strong>tre dupays, le bourg fortifié qui prit son nom; plustard, le roi Christophe construisit, dans leNord, la forteresse de la Ferrière.La fortune de Dessalines fut éphémère,comme celle de son fondateur. Les troupes l'yproclamèr<strong>en</strong>t empereur <strong>en</strong> 1804, la Constitutionimpériale y fut rédigée l'année suivante ;puis le grand homme partit et ne revint plus ;il était mort assassiné. Depuis lors, Dessalinesa perdu sa raison d'être ; le bourg ne conti<strong>en</strong>tpas 800 habitants ; il ne s'y fait aucun commerce;un prêtre breton, le P. Moissan, dessertl'église ; 104 petites filles se group<strong>en</strong>t autourde la robe bleue et des voiles noirs de deuxSœurs de Saint-Joseph de Cluny. Les souv<strong>en</strong>irs


LES MORNES DES CAHOS 297de Dessalines n'ont cessé de valoir à son bourgune situation particulière dans les divisionsadministratives de l'île. Christophe <strong>en</strong> avait faitle c<strong>en</strong>tre d'un arrondissem<strong>en</strong>t spécial, qui embrassaittout le massif des Cahos. La Républiquehaïti<strong>en</strong>ne y a maint<strong>en</strong>u le chef-lieu d'un arrondissem<strong>en</strong>t,qui compr<strong>en</strong>d les deux communesde la Petite-Rivière et de la Grande-Saline. Maisla circonscription est purem<strong>en</strong>t militaire ; pourla justice et les écoles, elle relève de Saint-Marc ; comme départem<strong>en</strong>t financier, elle serattache aux Gonaïves. Le commandant luimêmeredoute l'isolem<strong>en</strong>t de Dessalines et résideà la Grande-Saline.Nous partîmes de bon matin pour les Mornesdes Cahos ; j'ai fait la route avec le P.Sauveur, vicaire de la Petite-Rivière et un autrede nos compatriotes, M. Duc, employé d'unemaison française de Saint-Marc. Nous accompagnaitégalem<strong>en</strong>t le magistrat communal,M. Juli<strong>en</strong> Hérard, un jeune nègre, mince,remuant et futé, qui fait métier de spéculateur<strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées. En l'abs<strong>en</strong>ce de sa femme, <strong>en</strong> visiteaux Gonaïves chez une par<strong>en</strong>te, sa petite maisonétait t<strong>en</strong>ue par sa soeur, Mlle JulinetteJuli<strong>en</strong>, qui est une des principales commerçanteset vit honorablem<strong>en</strong>t « placée » dans le


298 EN HAÏTIbourg. Enfin suivait, comme préposé aux bêtesde charge, M. Dieujuste Nicolas Gaby, natif dela plaine et servant au 14 e régim<strong>en</strong>t ; un soldatépais et lourd, qui dormit consci<strong>en</strong>cieusem<strong>en</strong>tsur sa mule p<strong>en</strong>dant toute la durée duvoyage.Le chemin remonte l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t la vallée del'Estère et les premières p<strong>en</strong>tes de la montagne,<strong>en</strong>tre les habitations Laverdure et Trembley 1 ;des canaux, dérivés du fleuve, irrigu<strong>en</strong>t leschamps de pois et de coton. Ces irrigations,étant réc<strong>en</strong>tes, ne sont point soumises auxanci<strong>en</strong>s règlem<strong>en</strong>ts coloniaux, et les riverains<strong>en</strong> profit<strong>en</strong>t pour user de l'eau selon leursconv<strong>en</strong>ances. Quand vi<strong>en</strong>t la saison sèche,les habitants ne se gên<strong>en</strong>t guère pour pratiquerles coupures nécessaires à l'arrosagede leurs jardins, sans se préoccuper du baspays. Là, comme ailleurs <strong>en</strong> Haïti, les oiseauxsont peu nombreux : des corneilles, des piverts,des tacaux au plumage gris et à la gorgemordorée : des oiseaux palmistes, qui recherch<strong>en</strong>tcet arbre ; de petits oiseaux verts à la1. M. Trembley était v<strong>en</strong>u de G<strong>en</strong>ève à la Rochelle et, de là,passa à Saint-Domingue; il exploitait une petite cotonneriesur son habitation de l'Artibonite. En 1781, il publia des recherchesintitulées : Essais hydrauliques pour la plaine del'Artibonite.


LES MORNES DES CAHOS 299gorge jaune, appelés par les créoles « MadameSarah » ; quant aux perroquets et aux perruches,à peine <strong>en</strong> r<strong>en</strong>contre-t-on de loin <strong>en</strong>loin.Peu à peu les cultures cess<strong>en</strong>t pour faireplace aux savanes, semées de pierres ; les casesdevi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus rares et plus pauvres ; lescampêches se multipli<strong>en</strong>t ; les mornes s'élèv<strong>en</strong>t,recouverts de petits lataniers ; nous passons laSavane Grande Hatte, puis la Savane Brûlée, quidesc<strong>en</strong>d vers Dessalines, et la Savane Campde-Roches.Nous <strong>en</strong>trons maint<strong>en</strong>ant dans lamontagne ; le chemin s'élève rapidem<strong>en</strong>t par unvallon latéral, où se précipite la Rivière Morne-Rouge. A l'ombre des figuiers, des acajoux, desbois chêne, des mombins et des manguiers, lescultures de coton et de bananes rempliss<strong>en</strong>tles creux. Les tombes du cimetière Bouchoreaus'align<strong>en</strong>t au bord du s<strong>en</strong>tier ; puis, avec l'habitationBoiscarré, nous atteignons une crête, quinous ramène dans la vallée de l'Estère. Lefleuve a contourné la ligne des mornes,pourformer à nos pieds le val de Mirault 1 . C'est un<strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>t de montagnes, aux p<strong>en</strong>tes1. Lors de la Révolution, M. Mirault était un habitant dela Petite-Rivière. M. Lucas, dont l'habitation a été citée plushaut, résidait à Saint-Marc. Sa maison, l'une des plus bellesde la ville, fut occupée par Dessalines.


300 EN HAÏTIgazonnées : les habitations, avec leurs jardins,occup<strong>en</strong>t la surface plane des platons ; dans lesreplis du sol, où coul<strong>en</strong>t les eaux, se développele fouillis des grands arbres. Le chemin continueà flanc de coteau. Voici la Savane Conseiller,la source Michaux et l'on desc<strong>en</strong>d jusqu'aubord de l'Estère, maint<strong>en</strong>ant près de sa source,roulant sur un lit pierreux, <strong>en</strong>tre les hautesmontagnes. Le torr<strong>en</strong>t passe sous un berceaude pommiers-rose, dominé par les escarpem<strong>en</strong>tsrocheux du Morne Jacques. La montéedevi<strong>en</strong>t rapide jusqu'à l'habitation Tort, où setrouve la « tête du fleuve ». Un <strong>en</strong>clos, qui sepoursuit le long des p<strong>en</strong>tes, <strong>en</strong>toure l'imm<strong>en</strong>secaféière, occupant le sommet des Cahos. Laterre est rougeâtre, l'humidité des sources constante; des blocs de rocher émerg<strong>en</strong>t de toutesparts. La forêt, dont l'ombrage protège lescaféiers, est diverse et touffue. Mombins etsucrins form<strong>en</strong>t une voûte de verdure, queperce çà et là le tronc droit des palmistes oule feuillage grisâtre des bois-trompette. Leslianes p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t des branches ; mousses, fougèreset pariétaires s'accroch<strong>en</strong>t au roc. Lesarbres fruitiers de la forêt tropicale fourniss<strong>en</strong>tla végétation intermédiaire, — manguiers, caïmitiers,corossoliers, goyaviers, des bananiers


LES MORNES DES CAHOS 301sauvages et quelques orangers, recouverts deleurs oranges sûres. Nous sommes au cœurdes Grands Cahos, à 1.500 mètres d'altitude.Les Petits et les Grands Cahos form<strong>en</strong>t l'extrémitéd'une arête montagneuse, qui s'est détachéeperp<strong>en</strong>diculairem<strong>en</strong>t de la chaîne sept<strong>en</strong>trionalede l'île, pour mourir sur l'Artibonite,<strong>en</strong> séparant la plaine du bas fleuve des hauts plateauxde son cours moy<strong>en</strong>. L'<strong>en</strong>droit est assezisolé et difficile d'accès, pour servir de refug<strong>en</strong>aturel aux détresses du plat pays. P<strong>en</strong>dant larévolution de Saint-Domingue, nombre de colonsfrançais y trouvèr<strong>en</strong>t un abri sûr ; aux heuresmauvaises, les chefs de l'Indép<strong>en</strong>dance vinr<strong>en</strong>tà leur tour y chercher asile pour leurs familles;Toussaint Louverture s'y retira, avant que dese r<strong>en</strong>dre. Sur le Morne Jacques, vit <strong>en</strong>core unvieillard presque c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire, qui, condamné àmort par Soulouque, parvint, des Cayes, à gagnerles Cahos ; ses desc<strong>en</strong>dants habit<strong>en</strong>tautour de lui ; il est dev<strong>en</strong>u le patriarche dela montagne, indique à tous les plantes quiguériss<strong>en</strong>t et se fait le juge des contestations.Le souv<strong>en</strong>ir de Toussaint Louverture est lalég<strong>en</strong>de de ces mornes. Les paysans montr<strong>en</strong>t


302 EN HAÏTIsur les rochers des signes vagues, creusés, <strong>en</strong>forme de croix, par l'action des eaux; ils y veul<strong>en</strong>tvoir des points de repère, marqués parl'ancêtre pour indiquer la place où fut<strong>en</strong>fouison trésor, à l'approche des troupes du généralLeclerc. Afin d'empêcher toute indiscrétion,les soldats, commandés pour creuser la fosse,aurai<strong>en</strong>t été fusillés à leur retour, si bi<strong>en</strong> qu<strong>en</strong>ul ne sait plus exactem<strong>en</strong>toù se trouve lemonceau d'or, signalé par les croix révélatrices.Pamphile de Lacroix estime le trésor de Toussaintà 80.000 « doubles portugaises », soit unpeu plus de trois millions de francs. Il ne m<strong>en</strong>tionnepas que la cachette ait été év<strong>en</strong>tée parnos soldats et rapporte que, dès sonarrivée<strong>en</strong> France, Napoléon fit plusieurs fois interroger,à ce propos, le vieux nègre qui resta muet.Madiou prét<strong>en</strong>d, au contraire, que le trésor futretrouvé dans les Cahos et <strong>en</strong>levé par Rochambeau.Le fait historique n'est pointéclairci;mais la croyance aux trésors cachés, aux trouvaillesinespérées est si <strong>en</strong>racinée dans l'imaginationnègre qu'aucun habitant de ces mornesne doute de la prés<strong>en</strong>ce réelle, <strong>en</strong> quelque <strong>en</strong>droitignoré, de cette prodigieuse fortune, destinéeà <strong>en</strong>richir un heureux chercheur.Pérodin est un petit village, situé sur la crête


LES MORNES DES CAHOS 303de la montagne, au-dessus du val de l'Estère,à six bonnes heures de la Petite-Rivière. D'uncôté, on aperçoit la plaine et la mer, par delàl'<strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>t des mornes ; de l'autre, la vues'ét<strong>en</strong>d sur les contreforts aboutissant auxhauts plateaux de l'Artibonite. Quelques casesont été construites auprès de la chapelle etdes tonnelles du marché ; le gouvernem<strong>en</strong>tvi<strong>en</strong>t d'installer un maître d'école ; une commerçante,Mlle Ursule Saget, ti<strong>en</strong>t boutique. Ontrouve chez elle des salaisons, du savon, desallumettes, quelques cotonnades, un peu demercerie et de vaisselle. Mlle Saget est la sœuraînée, la « grande sœur » du juge suppléant dela Petite-Rivière ; son grand-oncle, Nissage-Saget, fut naguère Présid<strong>en</strong>t de la République.Malgré cette illustre par<strong>en</strong>té, la pauvre fillevieillit obscurém<strong>en</strong>t au fond des mornes, occupéeà son petit commerce et travaillant sur unemachine à coudre, à la porte de sa modestemaison.Le village de Pérodin s'est créé pour les besoinsde toute la première section des Grands-Cahos, dont il est le c<strong>en</strong>tre. Le chef militairey réside, appuyé d'une force de police rurale;le général H<strong>en</strong>ri Charles fait aussi métierspéculateur <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées et expédiededu café à


304 EN HAÏTIla Petite-Rivière. Lundis et mardis, les rev<strong>en</strong>deusesde la contrée ont visité les marchésdes Petits-Gahos ; elles consacr<strong>en</strong>t les jeudis etv<strong>en</strong>dredis aux deux villages des Grands-Cahos,Pérodin et Médor. C'est précisém<strong>en</strong>t un jeudique nous tombons à Pérodin ; il est déjà deuxheures de l'après-midi et l'activité comm<strong>en</strong>ce àse ral<strong>en</strong>tir. Le chef de la section apparaît danstoute sa spl<strong>en</strong>deur : les cinq chefs de district,avec leurs galons de capitaine, le maréchal etles trois gardes champêtres se sont joints àl'autorité supérieure, à l'occasion du marchéhebdomadaire. L'hospitalité est abondante ; lejeudi est le seul jour de semaine où l'on débitede la viande au village.De Pérodin, il serait facile de gagner Médor<strong>en</strong> trois heures. Le s<strong>en</strong>tier suit d'abord lescrêtes, au milieu de buissons de pommiersroseet de cultures de bananes ; il contournele Morne Jacques, puis desc<strong>en</strong>d les p<strong>en</strong>tes rapidesdu Morne Ingrand. C'était l'anci<strong>en</strong>ne limite<strong>en</strong>tre les parties française et espagnolede l'île. Le traité d'Aranjuez m<strong>en</strong>tionne l'établissem<strong>en</strong>tdes bornes n os162 à 174 sur les plantationsPérodin, Cottereau et Ingrand. Le n° 175était placé sur le « piton des orangers », d'oùla frontière desc<strong>en</strong>dait vers l'Artibonite. Nos


LE PASSAGE DE L'ARTIBONITE EN “ BOIS FOUILLÉ ”VUE DE DESSALINESAUBIN. EnHaïti.PL.XXIX


LES MORNES DES CAHOS 305compagnons nous ont abandonnés ; il ne resteplus que le P. Sauveur et moi pour poursuivr<strong>en</strong>otre route, avec un habitant du voisinage, M. DésiréTi Da, réquisitionné par le chef de la section,pour nous servir de guide. Mais nous étions partistrès tard, la pluie m<strong>en</strong>açait ; M. Ti Da éprouvale désir naturel de r<strong>en</strong>trer chez lui et nous remitaux soins d'un petit garçon de bonne volonté.La nuit vint vite ; les feux de la veillées'allumèr<strong>en</strong>t, marquant les habitations éparpilléesaux flancs des montagnes ; l'obscurité étaittelle, que nous perdions constamm<strong>en</strong>t notrechemin. Enfin, nous arrivâmes auprès d'unecase isolée ; la maison était hermétiquem<strong>en</strong>tclose : la lumière du foyer filtrait par les intersticesdes murs. On tarda à répondre à notreappel ; les nègres sont défiants de nature etleurs superstitions redout<strong>en</strong>t les œuvres de lanuit, peuplée de rev<strong>en</strong>ants, de zombis. Notrepetit garçon cria aux g<strong>en</strong>s de lui « baillé tisonpou pé, donner un tison pour le Père ». Quelqu'unse hasarda à sortir, avec un grand morceaude bois-chandelle, et ce fut à la lueur decette torche, éclairant la forêt, que nous arrivâmesà Médor. Il était près de dix heures dusoir. Il fallut réveiller le village ; ni le chef dela deuxième section des Grands-Cahos, le gé-EN HAÏTI. 20


306 EN HAÏTInéral Thélima Louissaint, ni le sacristain de lachapelle, M. Balthazar Bi<strong>en</strong>aimé,ne nous att<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>tplus.Médor est un petit village, répondant auxmêmes nécessités que Pérodin. Il occupe unplateau découvert, <strong>en</strong>touré de grands mursrocheux. Cinq ou six maisons, une chapelleprécédée d'un cirouellier, où est fixée la cloche;sur la place gazonnée, à l'ombre des manguiers,les tonnelles du marché. Le soir et dans la nuit,bon nombre de marchandes sont arrivées de laplaine et des mornes; elles s'empil<strong>en</strong>t dans lescases et sous les abris de branchages ; il <strong>en</strong>vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core par tous les s<strong>en</strong>tiers. Dès le petitjour, le marché du v<strong>en</strong>dredi s'est formé : unecinquantaine de femmes ont étalé leurs marchandises,petit mil, riz, légumes, morceaux deviande, sel, savon et allumettes.Médor se trouve au pied du morne des Orangers,dont le fort commande le défilé de l'Artibonite,<strong>en</strong>tre la moy<strong>en</strong>ne et la basse vallée. Sousla conduite du chef de district, M. Simili Silhomme,qui nous accompagne jusqu'à « sa limite», nous gagnons par une montée très durela crête du Morne Pardon. La montagne estrecouverte d'une herbe touffue, de goyaviersnains et d'une sorte de fougère, dont les nègres


LES MORNES DES CAHOS 307font des balais. La vue est magnifique sur toutela partie du fleuve, <strong>en</strong>serrée <strong>en</strong>tre deux chaînesparallèles. Desc<strong>en</strong>te rapide par les habitationsPoincy et Lahatte ; les cases se multipli<strong>en</strong>t,les champs de coton repr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t. Deux pintadesmarronnes, poussant des cris effroyables,travers<strong>en</strong>t l'air, poursuivies par ces oiseaux deproie, que les créoles nomm<strong>en</strong>t des « malfinis ».Chemin très raide, pour atteindre la Savane àRoches et le bord du fleuve.Nous sommes désormais <strong>en</strong> pays de savanes.Cases et jardins se font plus rares. Des espacesdénudés, recouverts d'une herbe jaunâtre, altern<strong>en</strong>tavec des bouquets de campêche : c'estune région de pâturages et d'exploitation debois. Le sol est uni, bon pour les pieds deschevaux. Le printemps est délicieux dans lessavanes. C'est alors que les gayacs port<strong>en</strong>t leursfleurs violettes et les campêches leurs grappesde fleurettes jaunes. Sur l'habitation Vinant,à l'extrémité de la savane Deslandes, réside legénéral Saint-Louis, qui assure le passagede l'Artibonite, pour la commune voisine de laChapelle ; vieux militaire retiré sur son bi<strong>en</strong>,il cherche à accroître ses rev<strong>en</strong>us par cette<strong>en</strong>treprise. Le passeur manœuvre à la percheune pirogue, que l'on nomme ici un boumba ou


308 EN HAÏTI« bois-fouillé », creusé dans le tronc du mapou,le fromager de nos colonies. A l'avant,les chevaux sont attachés par des cordes ; lepasseur conduit sa barque <strong>en</strong> remontant lefleuve, peu profond sur sa rive droite, puislaisse dériver au courant et les chevaux semett<strong>en</strong>t à la nage pour aborder à la berge opposée.Sur ce point, l'Artibonite coule au pied d'uneligne de collines, percée de fréqu<strong>en</strong>tes ravines.Derrière ces collines, à deux ou trois kilomètresde distance, se trouve le quartier de la Chapelle ;cinq heures de voyage depuis Médor. Dans unchamp voisin du fleuve, un nègre à barbe grisonnante,pieds nus et <strong>en</strong> manches de chemise, estoccupé à travailler les cannes. C'est le commandantde la commune, le général Succès Jean-Baptiste; il remet ses vêtem<strong>en</strong>ts et monte à chevalpour nous installer dans son village. Le bourgest petit ; il y a quatorze ans seulem<strong>en</strong>t qu'ilfut érigé <strong>en</strong> commune et, depuis lors, le mêmechef militaire administre la circonscription.Quelques cases autour de la chapelle; l'hôtelde la place se compose d'une chambre unique,où sont déposés les fusils des soldats; par devant,un abri, recouvert d'un toit de chaume, où dorm<strong>en</strong>t,à côté du poste, les passants attardés.


LES MORNES DES CAHOS 309La meilleure maison du lieu apparti<strong>en</strong>t au jugede paix, M. Suprême Clerjeune Clém<strong>en</strong>t fils. Déjàvieillissant, dev<strong>en</strong>u gros et maladif, il eut sonheure de gloire comme député au Corps législatif; avec sa femme et ses trois <strong>en</strong>fants, il s'estmaint<strong>en</strong>ant retiré à la Chapelle, où il arrangede son mieux les affaires de ses justiciables. Ily vit <strong>en</strong>tre le commandant de la commune et lamaîtresse d'école, Mlle Cypris Malvoisin, unevieille fille, éduquée par les sœurs de Saint-Marc, — qui sont les seules g<strong>en</strong>s cultivés de l'<strong>en</strong>droit.La maison de M. Clerjeune fut hospitalière;j'y dormis dans un superbe lit d'acajouà baldaquin, les f<strong>en</strong>êtres ouvertes sur la nuitbruyante des tropiques. La conversation demon hôte était confiante et attristée. La maîtressedu logis avait préparé un ragoût deporc et les « pois et riz », qui sont le plat nationalhaïti<strong>en</strong> : haricots rouges, cuits dans unesauce abondante (saindoux, beurre, lard et cives,espèces de poireaux), et mélangés <strong>en</strong>suite avecdu riz.Il y a fort loin de la Chapelle à Port-au-Prince, au moins douze heures de route ; <strong>en</strong> partantavant le jour, on a chance d'arriver à la nuit.Après avoir traversé les savanes et les bois decampêche qui <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t le bourg, c'est la dure


310 EN HAÏTImontée du Morne Créplaine. L'aube comm<strong>en</strong>ceà poindre ; dans les cases dispersées,les feux s'éteign<strong>en</strong>t successivem<strong>en</strong>t ; peu à peu,les tambours, qui ont accompagné les dansesde la nuit, cess<strong>en</strong>t leurs battem<strong>en</strong>ts rythmés.Quand nous atteignons la crête, le soleil estdéjà haut ; une marche interminable nous faitcontourner toute la haute vallée du Mirebalais.Les habitations sont nombreuses ; peu de café,mais cultures de vivres, bananes, maïs et cannes.Après le petit village de la Coupe-Mardi-Gras, nous r<strong>en</strong>trons <strong>en</strong> pays de savanes. Nouspassons le fond des Orangers, puis le MorneP<strong>en</strong>sez-y-bi<strong>en</strong>, pour desc<strong>en</strong>dre dans la plainedu Cul-de-Sac. Nous avions marché tout le jour;il faisait nuit close quand nous arrivâmes àPort-au-Prince.Il y a peu de pays moins visités qu'Haïti ; iln'y <strong>en</strong> a guère qui soi<strong>en</strong>t plus beaux et où lesvoyages soi<strong>en</strong>t aussi faciles. Après un premiermouvem<strong>en</strong>t d'instinctive défiance, le nègre serassure et s'empresse à recevoir le voyageur.Il lui laisse la disposition de toute sa case etlui abandonne son propre lit. La nourriturelaisse bi<strong>en</strong> à désirer, car les habitudes frugalesdes indigènes ne concord<strong>en</strong>t pas avec les nôtres,et c'est une longue affaire pour se procurer de


LES MORNES DES CAHOS 311la viande ou même un poulet. Vis-à-vis de sonhôte étranger, le nègre devi<strong>en</strong>t peu à peu causeuret admiratif ; s'il est pris de tafia, il y adanger que ses empressem<strong>en</strong>ts ne devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>timportuns. « Après bon Dieu, c'est blanc »,dit le proverbe créole. Pour prix de ses services,le nègre s'att<strong>en</strong>d à peine à une rémunérationde quelques gourdes, et il n'a pas assezde remerciem<strong>en</strong>ts à vous faire d'être <strong>en</strong>tré danssa maison.Sur le chemin, les passants salu<strong>en</strong>t très polim<strong>en</strong>t.Les hommes ôt<strong>en</strong>t leurs chapeaux ; lesfemmes font une petite révér<strong>en</strong>ce rapide, appeléeta, un souv<strong>en</strong>ir persistant des belles manièresde la colonie. Selon les lieux, la formuledu salut affecte des formes diverses. On vousdit: « Bonjou, Blanc ! » à cause de votre couleur; « Bonjou général ! » ou « Bonjou, Chef! »,pour l'émin<strong>en</strong>ce de votre situation ; ou, plusfamilièrem<strong>en</strong>t, « Bonjou, papa! » — Le plussouv<strong>en</strong>t, au fond des campagnes, où les seulsblancs connus sont les missionnaires, lesnégresses vous jett<strong>en</strong>t au passage : « Bonjou,Pè ! — Bonjou, Madanm ! — Comm<strong>en</strong>t ou ié ?Gomm<strong>en</strong>t allez-vous ? — Com' ça; meci, Pé,grâce à bori Guié. Comme ça, merci, Père, grâceà Dieu, »


312 EN HAÏTILes g<strong>en</strong>s vous donn<strong>en</strong>t avec complaisance etprécision toutes les indications possibles quantà la direction à suivre ; s'agit-il de la durée duvoyage, les nègres sont incapables de l'apprécier.Pour eux, les heures ne signifi<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> ;leurs formules sont indiffér<strong>en</strong>tes. « Gangni<strong>en</strong>gnou bon boute; g'ain gnou ti distance, oui ! —Il y a <strong>en</strong>core un bon bout; il y a <strong>en</strong>core unebelle distance » ou « G'ain route <strong>en</strong> pile <strong>en</strong>cô. Ily a beaucoup de chemin » signifi<strong>en</strong>t une heureaussi bi<strong>en</strong> que six heures de route. « Çà passi loin passé ça. Ce n'est pas très loin » ou « oustout rivé — Vous êtes tout arrivé » ne veul<strong>en</strong>tnullem<strong>en</strong>t dire que l'on soit au bout du voyage.Le r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t le plus sûr est fourni parceux qui s'arrêt<strong>en</strong>t à vos questions, regard<strong>en</strong>tdans le ciel la hauteur du soleil et vous dis<strong>en</strong>t« Vous arriverez à midi ou pour l'Angélus ».Etes-vous fatigué, il n'est point de case oùl'on ne vous donnera de l'eau pour boire avecdu tafia, s'il y <strong>en</strong> a, et une chaise pour vousreposer. Sur le chemin, — les routes apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>taux femmes, <strong>en</strong> Haïti, — les jeunespersonnes ne sont point farouches ; elles ri<strong>en</strong>tet plaisant<strong>en</strong>t volontiers, qu'elles blanchiss<strong>en</strong>tleur linge au ruisseau ou port<strong>en</strong>t leurs d<strong>en</strong>réesau marché prochain. Que de fois n'ai-je pas


LES MORNES DES CAHOS 313<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du mon embonpoint provoquer la réflexionsuivante : « A là blanc qui gras, sans réproche ! »Sans réproche est soigneusem<strong>en</strong>t ajouté pourprév<strong>en</strong>ir le mal qui pourrait résulter de la « mauvaisebouche ».


CHAPITRE XDES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIENLa baie des Gonaïves. — Du temps de la colonie. — La villede l'Indép<strong>en</strong>dance haïti<strong>en</strong>ne. — Souv<strong>en</strong>irs révolutionnaires.— Le commerce du port et la colonie française. — Lescommunications <strong>en</strong>tre le nord et le sud de Saint-Domingue.— Le chemin des Escaliers. — Les « Nords ». — L'arrondissem<strong>en</strong>tde Plaisance. — La vallée du Limbe. — Le régimedu roi Christophe : ses traces persistantes. — La raqueà Maurepas. — L'Acul et la Plaine du Nord. — Une imagesuperstitieuse de saint Jacques : le saint et le loi. — L'habitationVaudreuil : un « moulin à bêtes » de la colonie.— Arrivée au Cap-Haïti<strong>en</strong>.Les navires de la Compagnie Transatlantique,faisant le récolem<strong>en</strong>t des cafés autour de labaie de Port-au-Prince, vont chaque mois de lacapitale aux Gonaïves. On y arrive au petit jour.La ville est au ras de l'eau, <strong>en</strong>tre le Morne Bl<strong>en</strong>acet la colline isolée du Morne Grammont;


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 315la plaine, large de quatre lieues, longue de dix,se termine aux Montagnes Noires, perdues dansles nuages. Au nord, par un coude brusque,une chaîne de montagnes dénudées s'<strong>en</strong> va versle Môle Saint-Nicolas. Au sud, une côte basse,formée de palétuviers, où les deux branches del'Estère, l'Estère aux Rats et l'Estère la Joie,se jett<strong>en</strong>t dans la Baie de la Tortue. A traversl'<strong>en</strong>chevêtrem<strong>en</strong>t des racines, les « bois fouillés »ont frayé leur chemin, pour apporter <strong>en</strong> villeles campêches, les nattes et les sacs-paille del'intérieur. La pêche et la chasse sont égalem<strong>en</strong>tabondantes : sardes rouges, perroquetsbleus et jaunes, vivanos, orphis, tassarts etnègres ; tortues de mer, langoustes et cériques ;des écrevisses dans la rivière ; des huîtres surles palétuviers, des bancs de pisquets dans lesestuaires. Canards et sarcelles pass<strong>en</strong>t à l'automne.Toute l'année, il y a, dans l'Estère,plongeons, poules d'eau, crabiers, bécassineset flamands ; <strong>en</strong> plaine, des ramiers, des perdrixet des pintades marronnes. Autour de labaie, plusieurs salines ; elles produis<strong>en</strong>t 250 ou300.000 barils, consommés sur place ou expédiésvers le sud. Le principal intéressé dans lasaline du Grand-Carénage est un de nos compatriotes,M. Krause.4


316 EN HAÏTIDu temps de la colonie, les Gonaïves avai<strong>en</strong>tpeu d'importance. Dès le début, l'<strong>en</strong>droit avaitbi<strong>en</strong> été fréqu<strong>en</strong>té par les flibustiers et les boucaniers; <strong>en</strong> 1666, l'Olonois, le meilleur piratedont notre pays se soit <strong>en</strong>orgueilli au dix-septièmesiècle, y vint faire le partage des richessesacquises au pillage de Maracaïbo. Gomme dansles autres plaines de l'Ouest, la populationstable ne s'accrut qu'<strong>en</strong> 1690, après la prise deSaint-Christophe par les Anglais ; les colons,quittant la plus anci<strong>en</strong>ne de nos îles, s'embarquèr<strong>en</strong>tpour Port-de-Paix, y arrivèr<strong>en</strong>t aprèsmainte av<strong>en</strong>ture et, s'<strong>en</strong>fonçant dans l'intérieurs'établir<strong>en</strong>t aux Gonaïves, sur l'Artibonite etau Cul-de-Sac. Parmi les émigrants, on a conservéles noms de MM. Rossignol, Courpon dela Vernade, doy<strong>en</strong> du Conseil Souverain de lapetite île, Le Vasseur, capitaine des milices,et Dubois, fils d'un anci<strong>en</strong> gouverneur de Sainte-Croix. Quelques-uns ne dépassèr<strong>en</strong>t point lesGonaïves et la famille de M. Rossignol s'ymultiplia dans la plaine. Lors de la Révolution,la desc<strong>en</strong>dance de ce patriarche avait essaiméde façon telle, qu'on <strong>en</strong> retrouvait des branchessur la plupart des habitations.Néanmoins, les Gonaïves restèr<strong>en</strong>t une simpleparoisse, rattachée au quartier de Saint-Marc.


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 317En 1760, le bourg fut transporté au bord de lamer ; les habitants fir<strong>en</strong>t les frais du transport,<strong>en</strong> s'imposant de 10 livres par tête d'esclaves.Il y avait <strong>en</strong> tout 67 maisons, réparties dansneuf islets ; 4 bateaux faisai<strong>en</strong>t la navette<strong>en</strong>tre le Cap et les Gonaïves, qui servaitde port aux paroisses de Plaisance et d'Ennery.Le fort Castries, aujourd'hui détruit,déf<strong>en</strong>dait la petite ville. Les services publicscomportai<strong>en</strong>t un bureau de poste, un substitutde la sénéchaussée de Saint-Marc, un exemptde la maréchaussée. Aucun travail d'irrigationn'avait été <strong>en</strong>trepris, la sécheresse réduisaitles cultures : 3 sucreries, 135 indigoteries,15 cotonneries et une hatte ; 50 caféteries surles hauteurs ; 940 blancs, 750 affranchis, 7.500 esclaves.Le passage de la grand'route, qui, depuisle milieu du dix-huitième siècle, réunissaitpar terre Port-au-Prince au Cap, donnait seulquelque mouvem<strong>en</strong>t aux Gonaïves.Il se trouva que ce bourg, dédaigné desblancs, devint le boulevard de l'Indép<strong>en</strong>dancehaïti<strong>en</strong>ne. Après son arrestation <strong>en</strong> 1802, ToussaintLouverture avait été embarqué auxGonaïves ; il fut transporté <strong>en</strong> France et mourut,l'année suivante au fort de Joux. Puis l'expéditionLeclerc fut anéantie par la fièvre jaune ;


318 EN HAÏTIRochambeau capitula au Cap. Le l er janvier1804, les généraux haïti<strong>en</strong>s se réunir<strong>en</strong>t auxGonaïves, pour conférer à Dessalines l'autoritésuprême et faire connaître au peuple, du hautde l'autel dela Patrie, la déclaration d'Indép<strong>en</strong>dance.Nous fûmes abondamm<strong>en</strong>t traités de« tigres dégoûtants de sang », « vautours » et« peuple bourreau ». « Anathème au nom français; haine éternelle à la France ! » Les nègresjurèr<strong>en</strong>t d'y r<strong>en</strong>oncer à jamais; les mois suivantsvir<strong>en</strong>t le massacre des blancs, la confiscationdéfinitive de leurs bi<strong>en</strong>s. Ce sont là chosesdu passé.Depuis lors, les Gonaïves ont prospéré ; c'estmaint<strong>en</strong>ant une jolie ville de 15.000 habitants,avec de grandes halles au bordde mer, debelles maisons recouvertes de tôles ou d'« ess<strong>en</strong>tes» 1 . Le général Oreste Zamor commandel'arrondissem<strong>en</strong>t; M. Destiné Désir, qui a faità Paris des études de pharmacie,administrela ville, comme magistrat municipal. Les rues,coupées à angle droit, ont rejeté les noms de1. On appelle ess<strong>en</strong>tes, aux colonies, les bardeaux de bois,destinés à recouvrir la toiture des maisons, <strong>en</strong> guise dede tuiles ou d'ardoises. Ce mode de toiture est <strong>en</strong>core trèsfréqu<strong>en</strong>t dans l'Europe C<strong>en</strong>trale et Ori<strong>en</strong>tale. A Saint-Domingue,les ess<strong>en</strong>tes étai<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>t faites de boischêne,et surtout employées dans la partie du Nord, oucet arbre était le plus abondant.


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 319provinces françaises ou des gouverneurs etint<strong>en</strong>dants, habituels à la colonie ; elles ont prisdes appellations révolutionnaires : rue Sans-Culottes,ruelle Carmagnole. Sur la place d'Armes,honorée du tombeau de Mgr Toussaint D<strong>en</strong>is,duc des Gonaïves, mort <strong>en</strong> 1859, l'autel dePatrie porte inscrits les noms de héros de l'Indép<strong>en</strong>dance.En 1904, date du c<strong>en</strong>t<strong>en</strong>aire, lareconnaissance nationale ouvrit le musée de laRévolution : il y a là toute une série de scènesglorieuses, déf<strong>en</strong>se de la Crête-à-Pierrot,attaque du fort de Vertières, proclamationl'Indép<strong>en</strong>dance, qui donn<strong>en</strong>t une piteuse idéede l'<strong>en</strong>fance de l'art haïti<strong>en</strong>. Au milieugribouillages, figure un tableau déc<strong>en</strong>t,ladede cespeintpar Lethière : un mulâtre et un nègre, unjaune et un noir, comme on disait alors, <strong>en</strong>costumes militaires de l'époque, se serr<strong>en</strong>t ardemm<strong>en</strong>tla main, devant un autel antique, sousle regard du Père Éternel.Le port s'est développé. Il est visité par lesbateaux français et allemands pourl'exportationdes cafés, cotons, gayacs et pites 1 . Caféset cotons vont au Havre, gayacs et pites aux1. Le pile est un aloès, dont la fibre sert au tissage ou àla fabrication des cordages; le gayac est un bois très dur,dont on fabrique certains objets spéciaux, tels que pouliesde navires, quilles, etc.


320 EN HAÏTIÉtats-Unis. A moins que les prix ne soi<strong>en</strong>t meilleursau Cap, tout le versant méridional desmornes du Nord <strong>en</strong>voie son café aux Gonaïves ;il <strong>en</strong> arrive du Gros-Morne, de Terre-Neuve,Pilate, Plaisance, Marmelade, Saint-Michel del'Atalaye. Les g<strong>en</strong>s de la plaine assur<strong>en</strong>t les« charrois », à dos d'âne ou de mule. Il s'agit àpeu près de 50.000 sacs par an. Faute d'irrigations,la plaine ne produit que le coton, un millierde balles, mal préparées, humides, mélangéesde chaux et de sable.L'<strong>en</strong>semble de ce commerce est <strong>en</strong>tre lesmains de deux maisons françaises, une maisonanglaise créole, deux haïti<strong>en</strong>nes et la succursaled'une maison allemande de Port-au-Prince.MM. Lancelot déti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t l'ag<strong>en</strong>ce consulairede France et l'ag<strong>en</strong>ce de la Compagnie Transatlantique; leur père, capitaine au long coursdu port de Nantes, s'était fixé <strong>en</strong> Haïti. Il yprit femme et fonda un comptoir aux Gonaïves,<strong>en</strong> association avec des Nantais, J.-M. Cassartet Cie, établis à Port-au-Prince. Il mourut <strong>en</strong>1869. Ses deux fils, assistés d'un cousin v<strong>en</strong>ude France, continu<strong>en</strong>t les affaires de la maison.Les trois derniers jours de la semaine, a lieule marché ; les femmes de la montagne appor-


LES GONAÏVES. L'ÉGLISELE CAP HAÏTIEN. LABARRIÈRE-BOUTEILLEAUBIN. En Haïti. PL. XXX


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 321t<strong>en</strong>t les vivres et font leurs achats <strong>en</strong> ville. Autourde la place, c'est une succession de boutiques,dont l'étalage <strong>en</strong>vahit les rues ; de longueslignes de chemises, de pantalons, de bonneterievariée, flott<strong>en</strong>t au v<strong>en</strong>t. Nous comptonsune compatriote parmi ces marchandes,Guadeloupé<strong>en</strong>ne, Mme Veuve AlbertuneÉti<strong>en</strong>ne,dont les quatre fils sont employés chez les négociantsde la ville. En outre des g<strong>en</strong>s de nosîles, la petite colonie française compr<strong>en</strong>d unhorloger, v<strong>en</strong>u de Paris, et un employé decommerce, originaire du Havre, qui n'a pointréussi, s'est marié avec une négresse et vitd'un vague fond d'épicerie. Les Allemands sontsix, dont deux pharmaci<strong>en</strong>s.L'église donne sur la place d'Armes. Ellegarde les restes d'un pauvre missionnaire, « usépar les travaux apostoliques », auquel Haïtia dû paraître sans gaieté. Sur sa tombe, on agravé l'épitaphe suivante : « En quittant laFrance et ma famille, je puis dire : tout estconsommé. Je ne puis pas vous donner plus,Seigneur ! » Grâce à Dieu, les g<strong>en</strong>s de notre générationquitt<strong>en</strong>t avec moins de regret la vieresserrée des vieux pays. L'École des Frères a300 élèves, celle des Soeurs de Saint-Joseph 230 ;les mêmes Sœurs desserv<strong>en</strong>t un petit hôpitalEN HAÏTI- 21


322 EN HAÏTIde 30 lits, <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u par souscriptions. En Haïti,il convi<strong>en</strong>t de m<strong>en</strong>tionner les loges après l'église ;car le nègre est aussi ferv<strong>en</strong>t franc-maçon qu'ilest bon catholique. Les Gonaïves <strong>en</strong> possèd<strong>en</strong>ttrois : l'Heureuse Indép<strong>en</strong>dance n° 16, la Sympathiedes Cœurs n° 27 et la Clém<strong>en</strong>te Aménitén° 55.Nous sortons de la ville par le chemin desDattes. Naguère, un Dauphinois, M. Solérieux-Soleil, avait planté quelques dattiers sur sonhabitation ; c'étai<strong>en</strong>t les seuls qu'il y eût dansl'île ; avec le temps, ils ont formé toute unepalmeraie. Nous y avons maint<strong>en</strong>ant un compatriote,M. Bourgain, qui achète du gayac pourl'exporter aux États-Unis.La traversée de la plaine est fort monotone ;le sol est blanc et desséché ; les cases, recouvertesde roseaux, ont mauvaise appar<strong>en</strong>ce ; lescultures de coton et de petit mil altern<strong>en</strong>t avecles fourrés de bayaondes. Les colons l'avai<strong>en</strong>tbi<strong>en</strong> nommée la Savane-la-Désolée. Au carrefourdes Poteaux, une colonne <strong>en</strong> maçonneriemarque la direction des quatre grands cheminsde la plaine vers le Cap, Port-de-Paix, lesGonaïves et Saint-Marc. Une montée rapid<strong>en</strong>ous conduit à la Coupe à Pintades, <strong>en</strong>tre lesMontagnes Noires et la Chaîne de la Marme-


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 323lade ; puis nous pr<strong>en</strong>ons à gauche, au carrefourd'Ennery 1 , pour suivre la vallée de la GrandeRivière, où se jette la Rivière Laquinte, aufond de la plaine des Gonaïves. Lesmornesse resserr<strong>en</strong>t, les caféières comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t, lavégétation devi<strong>en</strong>t plus belle, leshabitationsse multipli<strong>en</strong>t. Une coupure dans les muraillescalcaires de la montagne donne passage à larivière du Chemin-Neuf et à la route des Escaliers.C'était le grand chemin du Cap à Port-au-Prince par la Coupe des Orangers. Jusqu'<strong>en</strong> 1752,il fallait aller par mer dusud de la colonie ; sinon, suivre un<strong>en</strong>ord à l'ouest ou auroute, qui, du Joli-Trou de la GrandemauvaiseRivièredu Nord, gagnait la partie espagnole, par l'étroiteporte de Saint-Raphaël ; de là, une bifurcation dechemins conduisait, d'un côté, aux Gonaïves,par Saint-Michel de l'Atalaye, de l'autre, à Portau-Prince,par Hinche et le Mirebalais. Levoyage était peu sûr, exposé aux agressions desEspagnols, « à qui, disait le P. Labat, il estaussi naturel de dérober qu'aux femmes depleurer quand elles veul<strong>en</strong>t» . M. de Vaudreuil,1. Le comte d'Ennery fut gouverneur de la colonie de 1775à 1776. Il mourut à Port-au-Prince. Sa plaque tombale existe<strong>en</strong>core au cimetière de l'église de Sainte-Anne, à côté dumonum<strong>en</strong>t de Dessalines.


324 EN HAÏTIdev<strong>en</strong>u gouverneur de Saint-Domingue, <strong>en</strong>treprit,<strong>en</strong> 1750, de relier les deux principaux c<strong>en</strong>tresde la colonie, à travers la bande étroite deterritoire, qui, derrière les Gonaïves, séparaitalors la partie espagnole de la mer. La p<strong>en</strong>teétait trop rude pour que l'on y pût passer <strong>en</strong>chaise de poste. Il fallait quitter la voiture aucabaret de Bonnefoy, au pied même des Escaliers: 700 toises conduisai<strong>en</strong>t à la source de larivière du Chemin-Neuf et au cabaret du Breton ;puis il restait à franchir un escarpem<strong>en</strong>t de1.119 toises, avant d'atteindre le col.Les inconvéni<strong>en</strong>ts d'une telle route, exigeantl'alternance de la voiture et du cheval, se fir<strong>en</strong>tpromptem<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>tir. La guerre de Sept Ansdémontra l'intérêt que l'on aurait à faciliterl'accès d'un massif montagneux, offrant uneretraite sûre aux colons de la côte nord et permettantd'assurer le passage rapide des vivresde la partie de l'Ouest ou des produits d'Europedébarqués au Cap. Le traité d'Aranjuez nous reconnaissaitbi<strong>en</strong> le droit d'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir une route <strong>en</strong>territoire espagnol, et même d'y faire passer nostroupes. Pourtant le gouvernem<strong>en</strong>t ne fit pointusage d'un tel privilège et lui préféra une voiede communication, toute <strong>en</strong>tière établie surle sol français. Les études définitives s'effec-


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 325tuèr<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant la guerre d'Amérique ; lanouvelle route, carrossable cette fois sur toutson parcours, fut comm<strong>en</strong>cée <strong>en</strong> 1781 ; elle remontaittrès haut dans la Grande Rivière ets'élevait <strong>en</strong> lacets nombreux, plus longue dequatre lieues que les Escaliers. La suppressiondu Conseil Supérieur du Cap, <strong>en</strong>traînant, versPort-au-Prince, les affaires et les justiciables,donna l'impulsion dernière. Les paroisses intéressées,les soldats des régim<strong>en</strong>ts coloniaux,les nègres de l'atelier du roi travaillèr<strong>en</strong>t sousla direction de l'ingénieur, M. de Vinc<strong>en</strong>t. Dès1788, les voitures passai<strong>en</strong>t sur la route, quiavait coûté 1.200.000 livres. Une ordonnancedes administrateurs <strong>en</strong> date du 28 mai 1789autorisait un « établissem<strong>en</strong>t de carrioles,réuni à la ferme de la poste aux lettres » ; sibi<strong>en</strong> qu'on pouvait désormais voyager, du Capà Port-au-Prince, moy<strong>en</strong>nant 396 livres par personne.Le siècle écoulé a fait disparaître le chemincarrossable, sans v<strong>en</strong>ir à bout des Escaliers.Jusqu'à la source, le s<strong>en</strong>tier actuel gravit péniblem<strong>en</strong>tdes amas de roches, où persist<strong>en</strong>t surquelques points les empierrem<strong>en</strong>ts d'autrefois.Le paysage est fort beau, <strong>en</strong>tre les grandes paroisgrises, d'où p<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les lianes. Par contre,


326 EN HAÏTIla montée même du col est presque intacte ; ondit qu'elle fût réparée par le roi Christophe.Les ajustem<strong>en</strong>ts de pavés, les rigoles transversalespour l'écoulem<strong>en</strong>t des eaux sont demeuréssur de longs espaces. Les p<strong>en</strong>tes sonttrès fortes, les tournants rapides et nos chevauxgliss<strong>en</strong>t sur les pierres polies.La passe une fois franchie, les crêtes dénudéesdesc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t vers des fonds remplis de verdure.C'est la vallée des Trois-Rivières, et, del'autre côté, à mi-hauteur, le bourg de Plaisance.Le chemin contourne le Morne Mapou,pénètre dans les caféières, où se mêl<strong>en</strong>t désormaisles cacaoyers, et suit le cours de la RivièreLongue, dans la section de la Grande-Rivière.En Haïti, la ligne des mornes du nord ests<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t moins élevée que ceux du sud ; ilsne dépass<strong>en</strong>t guère 1.000 à 1.200 mètres; si lepaysage n'y est pas aussi beau, la végétation <strong>en</strong>est plus riche. Les nuages, poussés du Nord-Ouest par les v<strong>en</strong>ts alizés, se cond<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t surces montagnes et r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les pluies plus abondantes.Quand il fait saison sèche dans le restede l'île, il pleut <strong>en</strong>core au Cap-Haïti<strong>en</strong>. De novembreà mars, les cantons sept<strong>en</strong>trionaux sontnoyés dans la succession d'averses, provoquéespar les « Nords ». A la différ<strong>en</strong>ce des « ava-


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 327lasses » courtes et viol<strong>en</strong>tes de l'hivernage, c'estune pluie fine et continue qui s'abat sur le pays.Ces pluies font, d'ailleurs, la richesse du Nordde l'île, dont les plaines, jouissant d'une humiditéconstante, peuv<strong>en</strong>t se passer d'irrigations.Entouré de mornes et de forêts épaisses, necommuniquant avec Port-de-Paix que par unegorge resserrée, — la « porte » des Trois-Rivières—,couvert de pluies et de brouillards, lecanton de Plaisance avait été d'abord négligépar les colons. Quand les premiers, v<strong>en</strong>us dela Tortue sur la grande terre, eur<strong>en</strong>t pris piedà Port-Margot, quelques-uns, s'av<strong>en</strong>turantdans les mornes et séduits par la fraîcheur duclimat, s'établir<strong>en</strong>t à Plaisance. Ils y vivai<strong>en</strong>tde chasse, de pêche et de la culture de l'indigo-bâtard.La paroisse ne fut créée qu'<strong>en</strong>1726; <strong>en</strong> 1770, un groupe de colons riches vinty planter des caféières. Il existait, au mom<strong>en</strong>t dela Révolution, 180 caféteries, 32 indigoteries,600 blancs, 230 affranchis, 6.600 esclaves. Lacirconscription n'avait même point de chef-lieu.L'église se trouvait à 6 kilomètres du « carrefourou espèce de bourg » de Plaisance. Unedouzaine de maisons et d'auberges, le logem<strong>en</strong>tde la maréchaussée n'étai<strong>en</strong>t là que pour letrafic de la grand'route.


328 EN HAÏTITout le régime du Nord de la République seress<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core du règne d'H<strong>en</strong>ri I er . Christopheétait un nègre viol<strong>en</strong>t, despote et sanguinairedans la forme, avec un certain fond de bonnesint<strong>en</strong>tions. Issu de l'esclavage, il <strong>en</strong>visagea sonroyaume comme un vaste atelier d'esclaves, oùune noblesse de sa composition remplissait lafonction des anci<strong>en</strong>s commandeurs, avec l'appuid'une force noire, importée d'Afrique, qui, sousle nom de Royal Dahomets, se chargeait de lapolice rurale. Attaché à la glèbe et recevant,pour salaire, le quart des produits du sol, lecultivateur dut se moraliser, selon les indicationsroyales. La constitution lui recommandale mariage, dont il n'avait point l'habitude, et,faute de ce faire, le Code H<strong>en</strong>ri déshérita ses<strong>en</strong>fants. Les règlem<strong>en</strong>ts lui imposèr<strong>en</strong>t l'oublides divertissem<strong>en</strong>ts Vaudoux et la fréqu<strong>en</strong>tationdes offices chréti<strong>en</strong>s ; il lui fallut appr<strong>en</strong>dreun métier et travailler à heures fixes. Lamoindre infraction était punie des travaux forcés,c'est-à-dire que le délinquant s'<strong>en</strong> allaittravailler à la construction de l'imm<strong>en</strong>se citadellede la Ferrière, que le Roi faisait élever,<strong>en</strong> haut des Mornes du Cap, à la sueur de sessujets. Bi<strong>en</strong> qu'éphémère, — il ne dura que de1806 à 1820 —, un système aussi brutal a créé,


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 329dans le nord de l'île, une population plus faroucheet plus vigoureuse, qui, par sa vigueur même,a fini par s'acquérir l'autorité politique dansla République <strong>en</strong>tière. Au reste, le Nord a pourlui l'avantage du nombre : l'anci<strong>en</strong> royaume deChristophe compr<strong>en</strong>ait à peu près la moitié dela population totale et la majorité des c<strong>en</strong>tresde recrutem<strong>en</strong>t militaire. Sur 86 communes,qui form<strong>en</strong>t aujourd'hui l'unité électorale, 47 <strong>en</strong>faisai<strong>en</strong>t partie.Bi<strong>en</strong> que la terre se trouve désormais trèsmorcelée dans la section du Mapou, les partagessuccessoraux n'ont pas <strong>en</strong>core détruit dans cesvallées l'effet des dotations du roi Christophe ;plusieurs grands propriétaires y possèd<strong>en</strong>t150 carreaux d'un seul t<strong>en</strong>ant. Ces g<strong>en</strong>sconsomm<strong>en</strong>t eux-mêmes leur cacao dont ils<strong>en</strong>velopp<strong>en</strong>t la pâte, mélangée de sirop, dansune feuille de bananier. Le café est v<strong>en</strong>du auxspéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées, qui form<strong>en</strong>t la populationdu bourg. L'agglomération de Plaisance n'aque deux mille habitants, mais elle doit à sa positionstratégique de posséder un commandant1. Il n'existe plus de cacaoyères, <strong>en</strong> Haïti, que dans le Nordde l'île et à l'extrémité de la presqu'île méridionale, autourde Jérémie. Le cacaoyer était indigène à Saint-Domingueet constitua, dès la conquête, avec le sucre et les mines,•a principale richesse de la colonie espagnole.


330 EN HAÏTId'arrondissem<strong>en</strong>t. Le général Milfort Jean-François a été élevé au petit séminaire dePort-au-Prince ; un nègre corpul<strong>en</strong>t, qui a dépasséla quarantaine, barbiche noire et cheveux<strong>en</strong> brosse ; ses lunettes d'or lui donn<strong>en</strong>tun certain air de gravité. On <strong>en</strong> dit grand bi<strong>en</strong>.Sa femme est blanche et blonde comme les blés;elle est la fille d'un Breton, qui, de R<strong>en</strong>nes, estv<strong>en</strong>u mourir à Fort-Liberté ; le ménage n'apoint d'<strong>en</strong>fants.Plaisance s'adosse au Morne Bédoret, hérisséde pitons verdoyants. C'est signe de pluie, ditla sagesse de l'<strong>en</strong>droit, « quand le Morne Bédoretfume ». Or, nous sommes à l'automne, <strong>en</strong>pleine saison des « Nords » ; et la montagne estcouverte de nuages. Du sommet, la vue devraits'ét<strong>en</strong>dre sur la grande Ravine du Limbé etjusqu'à la plaine du Cap. Mais le temps n'estpas favorable, et nous faisons les cinq lieues dechemin sous une pluie battante. La vallée secreuse très profondém<strong>en</strong>t. La Rivière Dorée,qui vi<strong>en</strong>t des montagnes du Dondon ; celle del'Islet à Cornes, qui desc<strong>en</strong>d de la Marmelade,se rejoign<strong>en</strong>t <strong>en</strong> torr<strong>en</strong>ts, pour former la Rivièredu Limbé. La végétation est spl<strong>en</strong>dide ; caféierset cacaoyers se press<strong>en</strong>t sous les grandsarbres ; le chemin serp<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre des bouquets


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 331de bambous ou de pommiers-rose et des haies decactus-pingouin. En bas, comm<strong>en</strong>ce, au Camp-Coq, la plaine du Haut-Limbé. Les cases, <strong>en</strong>terrejaunie, sont recouvertes de toits de chaume ;les habitants font un grand commerce, v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>tleurs cafés, selon les prix, soit aux Gonaïves,soit au Cap et voyag<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre cesdeux villes. Tous relèv<strong>en</strong>t d'un papaloi connu,nommé M. Bataille Rémi. Cet homme dessertdeux houmforts, l'un à la Ravine-Champagnesur Plaisance, l'autre au Boucan-Guimby sur leLimbé. La double installation répond moinsaux commodités de sa cli<strong>en</strong>tèle qu'aux variationsd'humeur des autorités. Dans le Nord,l'exercice du Vaudoux serait moins aisé quedans le reste du pays ; l'oligarchie des généraux,grands propriétaires, y <strong>en</strong>visage plus sévèrem<strong>en</strong>tles divertissem<strong>en</strong>ts du peuple et ti<strong>en</strong>tparfois la main à l'application des articles duCode rural, réglem<strong>en</strong>tant la matière. Aussi lespapalois évit<strong>en</strong>t-ils, comme ils ont coutume dele faire dans l'Ouest et dans le Sud, de se grouper<strong>en</strong> plaine autour des lieux habités; ilscherch<strong>en</strong>t le refuge des mornes, prêts à gagner,<strong>en</strong> cas de besoin, une commune plus favorisée.Quant aux nègres, là comme ailleurs,ils partag<strong>en</strong>t les superstitions ancestrales ; bi<strong>en</strong>


332 EN HAÏTIque les puissants de ce monde leur <strong>en</strong> gât<strong>en</strong>tparfois le plaisir, ils <strong>en</strong> conserv<strong>en</strong>t strictem<strong>en</strong>tles pratiques. Il n'est point de case qui n'ait,au-devant de sa porte, une bouteille <strong>en</strong>foncée<strong>en</strong> terre, pour chasser les mauvais esprits.Du Camp-Coq au Limbé, une heure et demiede voyage le long de la rivière, dont le lit s'élargitde plus <strong>en</strong> plus. Près d'une passe d'eau,<strong>en</strong>combrée de pierres, se trouve la « roche àl'Inde », où les Indi<strong>en</strong>s d'antan avai<strong>en</strong>t essayé dereprés<strong>en</strong>ter une série de figures humaines pardes ronds et par des trous. A deux kilomètresdu bourg, sur l'habitation Modieu, un canald'irrigation, datant de la colonie, se détachepour arroser toute la rive gauche ; il est aujourd'huicomblé, mais la voûte s'<strong>en</strong> est conservée,avec un petit mur, fleuri de « mangercochons» bleus.On était déjà bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>tré dans le dix-huitièmesiècle, avant que nos colons euss<strong>en</strong>t songé à passerde la plaine du Nord dans celles du Haut etBas-Limbé. En 1715, toute la vallée fut concédéeà M. de Brach, lieut<strong>en</strong>ant de roi à Léogane.Plus tard, la construction de la grand'-route développa le pays ; le bourg fut mêmeérigé <strong>en</strong> chef-lieu de quartier. 22 sucreriesoccupai<strong>en</strong>t les deux bords de la rivière


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 33313 indigoteries, 124 caféteries remontai<strong>en</strong>t lesp<strong>en</strong>tes des mornes. Les produits allai<strong>en</strong>t auCap, <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant la mer à l'embarcadère duBas-Limbé. Il y avait, lors de la Révolution,300 blancs, 200 affranchis, 5.000 nègres.Le bourg actuel du Limbé compte 2.500 habitants; le commandant d'arrondissem<strong>en</strong>t s'appellele général Orélius Delphin. C'est un tristelieu pour y patauger un jour de pluie. La valléeest étroite et le ciel très bas ; le Morne à Deux-Têtes disparaît sous les nuages. Vers la mers'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t des lagons, plantés de rizières. Ladernière révolution a tout détruit ; les spéculateurs<strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées, les cultivateurs, quelquesartisans relèv<strong>en</strong>t péniblem<strong>en</strong>t leurs maisons debois. Tout un côté de la place d'Armes estoccupé par les ruines d'un anci<strong>en</strong> palais deChristophe ; de l'autre, au-devant de l'église,les ajoupas du marché, recouverts d'ess<strong>en</strong>tes ;les rev<strong>en</strong>deuses du Cap y apport<strong>en</strong>t des vivresles mardis et samedis ; car le Limbé ne produitque bananes et patates. En att<strong>en</strong>dant que lapluie cesse, j'ai passé l'après-midi chez le curé,le père Val<strong>en</strong>tin, un breton de Redon ; là,comme à Plaisance, trois sœurs de la Sagessefont la classe aux petites négresses.Après le passage de la rivière, au travers de


334 EN HAÏTIliserons blancs, d'hort<strong>en</strong>sias et de dattes, la routedu Cap atteint promptem<strong>en</strong>t, à la Grande-Coupe,le sommet des mornes, séparant la vallée duLimbé de la vaste plaine du Nord. Au pied, labaie de l'Acul, <strong>en</strong>foncée dans les terres, parseméed'îlots de palétuviers ; plus loin, émergeantde la verdure, le massif isolé du MorneRouge. Le petit embarcadère est <strong>en</strong>combré demadrépores grattés au fond de la mer, « rochesrécif», dont on fait la « chaux-caraïbe » pourles constructions du pays. Le terrain est marécageux,détrempé par la saison; nos monturesavanc<strong>en</strong>t avec peine dans un épouvantablebourbier, où elles <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t jusqu'au poitrail...C'est le comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t de la terrible Raqueà Maurepas 1 ... Tel est l'inconvéni<strong>en</strong>t du voyageà l'époque des « Nords », qui peuv<strong>en</strong>t parfoisinterrompre toute communication. Un officierarrête son cheval au milieu de la boue, salue deson sabre rouillé et se prés<strong>en</strong>te : « Général Mes-Amours, adjoint de place de l'Acul du Nord. »1. « La Raque à Maurepas, écrit Moreau de Saint-Méry, dunom d'un anci<strong>en</strong> propriétaire de ce sol, qui est si compactet si boueux, dans les temps de pluie, qu'il n'est pas depati<strong>en</strong>ce dont la durée puisse égaler celle du temps qu'onmet alors à parcourir cette raque. » Les créoles appell<strong>en</strong>traque une fondrière, un passage de boue; ce terme n'estplus guère usité que dans le nord d'Haïti. Il est vrai quec'est là où il a le plus d'usage.


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 335L'Acul du Nord est à quelque distance dansles terres, au pied du Morne de la Coupe à David; un petit bourg de 300 habitants, tous cultivateurs,avec un curé, trois sœurs v<strong>en</strong>dé<strong>en</strong>neséduquant 96 petites filles et un commandant decommune, le général Siméon Jean-Pierre. C'estune région de caféières, abritées par les grandsarbres, manguiers, caïmitiers et mombins. Aune heure de là, au travers des campêches etdes haies de pingouins, des jardins et des rizières,une route toute droite conduit à la Plainedu Nord ; quantité de ruisseaux, desc<strong>en</strong>dant desmornes vers la Rivière Salée, se perd<strong>en</strong>t <strong>en</strong>d'effroyables bourbiers. Le village est aussichef-lieu de commune, habité par les cultivateursdu voisinage — 400 habitants.A la fin du dix-septième siècle, les colons yavai<strong>en</strong>t établi la paroisse du Moustique et construitune église dédiée à saint Jacques. Ce saintfait <strong>en</strong>core la gloire de l'église actuelle. Il y estreprés<strong>en</strong>té par une grande image <strong>en</strong> relief,portant un costume de pèlerin, le chapeau surl'épaule et le bâton à la main. Ce chef-d'œuvrefut importé de la partie espagnole et garde l<strong>en</strong>om du donateur : Dedit Petrus Aunay,17M.Or, le Vaudoux haïti<strong>en</strong> s'est habitué à confondresaint Jacques avec Papa Ogoun ; l'effigie attira


336 EN HAÏTIdu même coup les dévots du loi et les fidèlesdu saint; la superstition populaire adoptal'église, où l'on vint <strong>en</strong> pèlerinage. Les nègresde la plaine du Cap eur<strong>en</strong>t ainsi la satisfactionde réunir <strong>en</strong> un même lieu les deux sanctuairesde leurs croyances religieuses, l'église et lehoumfort.Indigné, l'évêque voulut écarter lapieuse image, déshonorée par un tel scandale;mais l'opinion s'émut, l'autorité s'interposa etle curé du village continue de célébrer la messe,sous le regard d'un loi africain, déguisé <strong>en</strong> saintcatholique.L'Acul et la Plaine du Nord se trouv<strong>en</strong>t àl'écart de la grand'route, que nousau carrefour Morne-Rouge, par lesrejoignonshabitationsBréda, Deau et d'Héricourt. De ce côté, lesruines coloniales devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t nombreuses : descolonnes et des margelles de puits, des pilastres,formant jadis aux domaines une <strong>en</strong>trée monum<strong>en</strong>tale,se perd<strong>en</strong>t dans les campêches. Aucun<strong>en</strong>e s'est mieux conservée que l'habitationVaudreuil. Sur la route, à l'ombre defiguiersd'Inde, quatre pilastres orn<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core unevaste rotonde <strong>en</strong> maçonnerie, garnie de bancset percée de passages. La grande allée conduità un bassin avec jet d'eau, précédant les mursruinés de l'habitation coloniale. Tout à côté, l'an-


AUBIN. En Haïti.LA GRANDE RIVIÈRE DU NORDLE CAP HAÏTIEN ; VUE PRISE DE LA RADEPL. XXXI


DES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIEN 337ci<strong>en</strong> moulin à bêtes reste à peu près intact ; on ydistingue nettem<strong>en</strong>t les ouvertures pour l'<strong>en</strong>tréedes cannes et le retrait des bagasses, laconduite donnant issue au vin de canne ;par-dessus, un chemin circulaire, destiné à latraction animale, où persist<strong>en</strong>t les supports dela balustrade disparue; le milieu du moulin est<strong>en</strong>combré de figuiers et de cachim<strong>en</strong>tiers.L'habitation Vaudreuil, de 200 carreaux, apparti<strong>en</strong>taujourd'hui à un mulâtre du Cap,M. Monpremier Gautier, qui y fabrique du tafiaet du rhum. Nous arrivons <strong>en</strong>fin au quartierdu Haut-du-Cap où se rassemblèr<strong>en</strong>t les douzeFrançais conduits par Pierre Lelong, de laTortue sur la grande terre, quand nos g<strong>en</strong>s yprir<strong>en</strong>t pied pour la première fois. Puis nous<strong>en</strong>trons <strong>en</strong> ville par la vieille porte <strong>en</strong> fer forgé,ouverte dans le mur crénelé, qui joint le morneaux palétuviers du rivage ; on la nomme la Barrière-Bouteille.Des Gonaïves au Cap, nousavions fait <strong>en</strong> tout 27 lieues de chemin 1 .1. La partie du Nord était particulièrem<strong>en</strong>t favorisée dansla colonie : elle avait l'avantage d'être plus accessibleaux navires de la métropole et son sol était naturellem<strong>en</strong>tarrosé par les pluies. Ses plaines produisai<strong>en</strong>t le sucre,l'indigo et le campêche ; ses mornes, le café et le cacao.A la Révolution, elle comptait 16.000 blancs, 9.000 affranchis,70.000 esclaves. Sa capitale, le Cap-Français, avec1.361 maisons et 12.151 habitants, dont 2.740 blancs,EN HAÏTI. 22


338 EN HAÏTI<strong>en</strong> était le véritable c<strong>en</strong>tre. La ville, mieux fournie qu'aucuneautre à la côte de Saint-Domingue, garda, jusqu'<strong>en</strong>1787, un Conseil supérieur. Elle possédait un commandant<strong>en</strong> second, qui, jusqu'à la cession de l'île au Danemark,fut aussi gouverneur de Sainte-Croix, un commissaireordonnateur de la marine, une sénéchaussée, une garnison,des hôpitaux, des casernes, un théâtre, une Chambre de Commerce,une autre d'agriculture. Elle avait des marchés, descommerçants achetant la cargaison des capitaines de navires,des libraires, des imprimeurs, voire un « Cercle des Philadelphes», puis une Société Royale des Sci<strong>en</strong>ces et Arts. Ils'y publiait l'Almanach de Saint-Domingue et les Affichesaméricaines. Parfois, 80 bateaux français s'y trouvai<strong>en</strong>t<strong>en</strong>semble dans la rade ; les bâtim<strong>en</strong>ts de Nantes, qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>tchercher le fret, apportai<strong>en</strong>t des pierres pour laconstruction, des ardoises de l'Anjou, des tuiles de Normandie.Christophe y fut roi, sous le nom de H<strong>en</strong>ri I er , après avoirété maître d'hôtel chez Mme Modion, qui t<strong>en</strong>ait la premièreauberge du Cap et qui, réfugiée aux Etats-Unis, reçut unep<strong>en</strong>sion de 6.000 francs de son serviteur couronné. La villedevint temporairem<strong>en</strong>t le Cap H<strong>en</strong>ri.Aujourd'hui, malgré le terrible tremblem<strong>en</strong>t de terrede 1842, la ville du Cap-Haïti<strong>en</strong> conserve <strong>en</strong>core sa vieillecathédrale, les fontaines monum<strong>en</strong>tales de ses places, et bonnombre de maisons à étage, datant de l'époque coloniale.Elle sert de débouché à tout le nord de l'île, dont elle exporteles cafés, les cacaos et les campêches. Cinq maisons françaises,trois maisons allemandes, une seule anglaise, quelqueshaïti<strong>en</strong>nes, particip<strong>en</strong>t à ce trafic. Les maisons françaisesles plus importantes apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à MM. Reine, duHavre, et Altieri. M. Altieri vint, il y a une vingtaine d'années,de la Dominicanie; à sa suite, il attira au Cap-Haïti<strong>en</strong>toute une colonie de g<strong>en</strong>s du Cap-Corse, qui, peu à peu,essaimèr<strong>en</strong>t dans l'intérieur, à la Grande-Rivière du Nord,à Fort-Liberté, à Ouanaminthe. Un de nos compatriotes,v<strong>en</strong>u de Reims, s'est établi au Trou, comme missionnairebaptiste ; il s'est créé une famille de couleur et fait unpetit commerce.


I - PARISImp. Dufrénoy. Paris.


Euéène Aubin. EN" HAÏ TIPl. 2LIBRAIRIEARMAND COLIN - PARISImp J>u/rénqy.Parùr.


Eugène Aubin .EN llAÏTiPl.lLIBRAIRIE ARMAND COLIN - PARISImp J>u/rénqy. Parùr.


TABLE DES PLANCHES HORSTEXTEFRONTISPICE. — Gressier. Route de Port-au-Prince à Léogane.— Les cases de M. Blanc CyrilleauFond d'Oie. Route de Léoganeà Jacmel.PLANCHE I. — Le bassin général : Porte Saint-Martin. —Porte Dumée— II. — Aqueduc de l'habitation Lamardelle. —La grande rivière du Cul-de-Sac aubassin général 16-17— III. — Habitation Mocquet. Un moulin de l'époquecoloniale. — Habitation Caradeux.Ruines d'étuve à « terrer » le sucre 32-33— IV. — Un papaloi : M. Alsse. — Un chef de section:le colonel Gélin Néret 42-44— V. — Habitation Frères : le moulin. — L'école.. 64-65— VI. — Route de Port-au-Prince à Pétionville: vuedePort-au-France. —Vue de Pétionville. 70-71— VII. — Fête de la Saint-Pierre à Pétionville; lesautorités. — La foule 80-81— VIII. — Pétionville,: 1' « autel de la patrie ». —Source Caron; les filles de M. Saint-Just. 84-85— IX. — Chez Mambo Téla :1e bélier. — MamboTéla. 96-97— X. — Chez Mambo Téla : les «arbres habillés ». 100-101— XI. — Les forts Jacques et Alexandre(àl'horizon).Le marché du carrefour Tintin 110-111— XII. — Le carrefour R<strong>en</strong>dez-vous. — K<strong>en</strong>scoff.. 114-115— XIII. — Le Morne La Selle, vu de la « Tête duBois-Pin »; — vu de Furcy 118-119— XIV. — Femmes desc<strong>en</strong>dant au marché, sur laroute de Pétionville à Furcy. — Le« maître de la Chapelle » de Furcy,M. Ulysse 128-129


348 TABLE DES PLANCHES HORS TEXTEPLANCHE XV. — Au marché du Pont-Beudet. Etalage des« toileries » 148-149— XVI. — Un « mapou ». Dans la plaine de Cayes.Village de Ganthier 160-161— XVII. — L'étang saumâtre 162-163— XVIII. — Aux Grands-Bois. La garnison de Cornillon.— Maisons du bourg de Cornillon.. 172-173— XIX. — En Dominicanie : les Matas de Farfan.— San Juan de la Maguana 188-189— XX. — L'habitation Montfleury : l'usine; — lesglacis pour le séchage des cafés 192-193— XXI. — A la Grande-Saline: le « houmfort » et lacroix ; — le « houmfort » du généralTi-Plaisir 206-207— XXII — A la Grande-Saline : « Service » <strong>en</strong> l'honneurdu maître Aguay. — La processionsortant de la cour du général Ti-Plaisir. 208-209— XXIII. — Cimetiére sur la route du Grand-Goave àBainet. — Tombeau sous un « mapou »,dans la plaine de Léogane 212-213— XXIV. — Une rue des Cayes. — A Jacmel : trieusesde café 226-227— XXV. — Bainet : vue prise de la route de Jacmel ;vue prise de la baie 234-235— XXVI. — Les Cayes Jacmel. — Sale-Trou 236-237— XXVII. — L'Arcahaye. — Cases dans les Mornes dela Gninaudée (Jérémie) 244-245— XXVIII. — Saint-Marc: maisons nouvelles. — Maisonsde l'époque coloniale 256-257— XXIX. — Le passage de l'Artibonite <strong>en</strong> « bois fouillé ».— Vue de Dessalines 304-305— XXX. — Les Gonaïves. L'église. — Le Cap-Haïti<strong>en</strong> ;La Barrière-Bouteille— XXXI. — La grande rivière du Nord. — Le Cap-Haïti<strong>en</strong> : vue prise de la rade 336-3372489. — Tours, Imprimerie E. ARRAULT et C ie .


TABLE DES MATIÈRES


TABLE DES MATIÈRESPRÉFACEi-xxxvCHAPITRE PREMIERLE BASSIN GÉNÉRALLa plaine du Cul-de-Sac. — « Du temps des blancs. »— Ce qui reste des irrigations de la colonie. — Lesdeux systèmes : Rivière Grise et Rivière Blanche. —Le chef de la première section des Petits-Bois. —L'habitation Lamardelle. — Le règlem<strong>en</strong>t d'eau; lessyndics d'irrigation 1CHAPITRE IILA PLAINE DU CUL-DE-SACLa Petite Plaine. — L'appropriation des terres aprèsl'Indép<strong>en</strong>dance. — Systèmes de culture : le métayage;les « de moitié ». — L'habitation Caradeux. — Formationde la race haïti<strong>en</strong>ne ; les nègres créoles. — Lalangue créole. — Coutumes créoles : la danse marti-


342 TABLE DES MATIÈRESnique ; le loiloidi. — Religions d'Afrique : le Vaudouxhaïti<strong>en</strong>. — Mélange de fétichisme et de christianisme.— Rite de Guinée et rite Congo. — Les lois. — Papalois,Houngans et Pères-Savane. — Le culte familial.— Les sociétés de Vaudoux. — Les houmforts. —Visite aux Papalois. — Le cimetière de Châteaublond.— L'habitation Frères. — Un « docteur-feuilles ». 23CHAPITRE IIIPÉTIONVILLEDe Port-au-Prince à Pétionville. — La nom<strong>en</strong>claturegéographique des îles françaises. — La Coupe. —Capitale <strong>en</strong> projet. — Séjour d'été. — Domesticiténègre : M. Esope jeune, M. Alfred Cumberland, MmeHerminie Bernard. — Recettes communales. — Fournisseurset rev<strong>en</strong>deuses. — Le commandant de la place :général Alfred Celcis. — Mœurs créoles. — La sourceCaron. — La chapelle de Notre-Dame-des-Ermites. —La Vierge de Mayamand.— Le fort Jacques. — L'habitationLe François. — Chez la mamanloi: Mambô Téla.— La « fête de la maison ». — La section des Cadets.— Un coumbite. — Le marché du carrefour Tintin. —L'école rurale 70CHAPITRE IVFURCYDe Pétionville à Furcy. — Le carrefour R<strong>en</strong>dez-Vous.— K<strong>en</strong>scoff et la Tête-du-Bois-Pin. — Le sanatoriumde Port-au-Prince. — Une « habitation » dans lesmornes. — Le « maître de chapelle ». — Mœurs etinstallation des « habitants ». — Cuisine créole : le« gros bouillon de poule ». — Mariages et « services ».— Les sources. — La Nouvelle-Touraine 112


TABLE DES MATIÈRES 343CHAPITRE VDE LA CROIX-DES-BOUQUETS AL'ÉTANG SAUMATRELe bourg de la Croix-des-Bouquets ; ses origines coloniales.— Les inondations. — Combats de coqs. —L'élevage : poules-savane et poules-qualité. — La saison,l'<strong>en</strong>traînem<strong>en</strong>t, les gagaires, les paris. — Les marchésde la Plaine du Cul-de-Sac : Pont-Beudet; Thomazeau.—L'Étang Saumâtre. — La route du Mirebalais.— L'organisation du quartier sous la colonie. — Laborne-frontière n° 193. — Aux Grands-Bois. — Cornillon: une « manufacture à café ». — Un chef-lieu decommune dans les mornes ; soldats et fonctionnaireshaïti<strong>en</strong>s. — Le tour de l'Étang. — De Thomazeau àGanthier ; ruines d'indigoterie. — Fond-Parisi<strong>en</strong>. —L'industrie du latanier. — A la frontière dominicaine ;le poste d'Imani; la douane de Tierra-Nueva. . . . 136CHAPITRE VILA RIVIÈRE FROIDELe Morne l'Hôpital. — La côte, de Port-au-Prince àCarrefour. — De la Noël aux Rois : les grandes fêtesVaudoux; le piler-feuilles; le casser-gâteau. — Lasource Mariani. — Chez le général Ti-Plaisir ; service<strong>en</strong> l'honneur de Maître Aguay. — Le culte des morts.— La cérémonie du brûler-zain. — L'usine Monfleury.— La culture et la préparation du café. — La propriétédans les mornes. — Les marassas (jumeaux). — Legénéral Cyrille Paul. — Comm<strong>en</strong>t les nègres font unetasse de café. — Le Chemin des Commissaires. —L'habitation Laval. — La vallée de la Rivière Gosseline.— Jacmel. — M. Vital. — Retour par le chemin duGros-Morne 191


314 TABLE DES MATIÈRESCHAPITRE VIIDE PORT-AU-PRINCE A SAINT-MARCComm<strong>en</strong>t on voyage <strong>en</strong> Haïti. — Vestiges de lacolonie française : l'habitation Prince. — La plaine etle bourg de l'Arcahaye. — Superstitions créoles : lalég<strong>en</strong>de du Trou Forban 237CHAPITRE VIIISAINT-MARCLes restes du passé colonial : l'église, les vieilles maisons,les rues et les remparts. — La ville haïti<strong>en</strong>ne.— Le commerce <strong>en</strong> Haïti. — La maison Boutin. —Importation et exportation : café, campêche et coton.— Les rev<strong>en</strong>deuses. — Les « spéculateurs <strong>en</strong> d<strong>en</strong>rées». — La colonie française. — La chasse; leshuîtres de palétuviers. — Une soirée à Saint-Marc. 256CHAPITRE IXLES MORNES DES CAHOSDe Saint-Marc aux Mornes des Cahos. — A travers laplaine de l'Artibonite ; le coton. — Les radeaux decampêche. — Le « chemin royal » et le transport descafés par cabrouets. — Le bourg de la Petite Rivière;le fort de la Crête-à-Pierrot. — Chez le commandantde la commune ; le général Val<strong>en</strong>tin Achille. — Laforteresse impériale de Dessalines. — Petits et GrandsCahos. — La lég<strong>en</strong>de du trésor de Toussaint Louverture.— Les deux sections des Grands-Cahos : Pérodin,Médor. — Desc<strong>en</strong>te sur l'Artibonite; le passage dufleuve <strong>en</strong> «bois-fouillé ». — Le quartier de la Chapelle.— Retour à Port-au-Prince. — Sur les routes haïti<strong>en</strong>nes. 277


TABLE DES MATIÈRES 34gCHAPITRE XDES GONAÏVES AU CAP-HAÏTIENLa baie des Gonaïves. — Du temps de la colonie. — Laville de l'Indép<strong>en</strong>dance haïti<strong>en</strong>ne. — Souv<strong>en</strong>irs révolutionnaires.— Le commerce du port et la coloniefrançaise. — Les communications <strong>en</strong>tre le nord et lesud de Saint-Domingue. — Le chemin des Escaliers.— Les « Nords ». — L'arrondissem<strong>en</strong>t de Plaisance.— La vallée du Limbé. — Le régime du roi Christophe: ses traces persistantes. — La raque à Maurepas.— L'Acul et la Plaine du Nord. — Une imagesuperstitieuse de saint Jacques : le saint et le loi.— L'habitation Vaudreuil : un « moulin à bêtes » dela colonie. — Arrivée au Cap-Haïti<strong>en</strong> 314


EXTRAITDU CATALOGUEPUBLICATIONSGÉOGRAPHIQUESVOYAGES. EXPLORATIONS O ALBUM O ATLAS OGÉOGRAPHIE GÉNÉRALE. GÉOLOGIE. SÈISMOLOGIEO É T U D E S ET MONOGRAPHIES GÉOGRAPHIQUES.O DICTIONNAIRE. E N S E I G N E M E N T O PÉRIODIQUE.LIBRAIRIE ARMAND COLINRue de Mézières, 5,PARISP. 8770.


LIBRAIRIE ARMAND COLIN r. de Mézières,S, PARISDIVISIONS DE CE CATALOGUEPages.Voyages, Explorations 3Atlas. . . . . . . 10Géographie générale. — Géologie. — Séismologic 11Études et monographies géographiques 15Dictionnaire. — Enseignem<strong>en</strong>t 19Cartes murales Vidal-Lablache 20Périodique 21TABLE ALPHABÉTIQUE par 710222s d'auteurs 21Tous les ouvrages compris dans ce Catalof/ue sont expédies franco au prixniarquè, contre <strong>en</strong>voi de leur montantes un mundatpostul àl'adresse suivante:LIBRAIRIE ARMAND COLIN, 5, rue de Mézières, Paris, vi r . — Aoff publicationssont <strong>en</strong> v<strong>en</strong>te chez tous les libraires.


Librairie ArmandColinRue de Mézières, 5, PARISP. 8770.PUBLICATIONSGÉOGRAPHIQUESVOYAGES, EXPLORATIONSTerres françaises (Bourgogne, Franche-Comté, Narbonnaise),par W. Morton Fullerton. Un vol. in-18, broché. ... 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie française (Prix Marcelin Guérin)et par la Société de Géographie commerciale de Paris.)« Il s'est trouvé parfois des écrivains étrangers pour bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre etaimer la France : je ne sais pas si l'un d'eux l'avait jamais « s<strong>en</strong>tie » aussivivem<strong>en</strong>t, pleinem<strong>en</strong>t, intimem<strong>en</strong>t. Ces descriptions de nos villes et provincesseront pour beaucoup do lecteurs une révélation. L'autour sait nous insinuerdoucem<strong>en</strong>t ses façons de voir et d'expliquer, par un subtil mélange d'humouranglais, de précision américaine, de grâce et comme de câlinerie françaises. »(La Revue de Paris.)« Eu retraçant, sans prét<strong>en</strong>tion, les impressions d'un voyage accompli dansune partie de la France, M. W. Morton Fullerton, qui est de nationalité américaine,nous a donné une œuvre vraim<strong>en</strong>t intéressante, d'une saveur originaleet pénétrante Les lecteurs français trouveront beaucoup de charme à celivre et les touristes le consulteront comme un guide précieux. »(Revue de Géographie.)Espagnols et Portugais chez eux, par M. Quillardet.Un vol. in-i8, broché 3 fr. 50« Les Français connaissai<strong>en</strong>t assez mal leurs voisins de tras los montes.L'auteur est allé les étudier chez eux, dans leur vie do tous les jours. Sonlivre, d'une observation pénétrante et avertie, nous donne de la société espagnoleet de la société portugaise un tableau très étudié et très vivant, bi<strong>en</strong>digne de fixer notre att<strong>en</strong>tion. »(Journal des Débats.)« Ce sont les notes de voyage d'un écrivain infinim<strong>en</strong>t curieux et consci<strong>en</strong>cieuxqui regarde att<strong>en</strong>tivem<strong>en</strong>t et avec un s<strong>en</strong>s aigu du pittoresquetout ce qu'on lui montre, et s'arrange de façon à pénétrer ce qu'on lui dissimule.Aussi a-t-il vu bi<strong>en</strong> des choses amusantes, inédites et instructives, qu'ilnous rapporte dans des pages alertes, sincères et vivantes. »(Le Figaro.)


4 LIBRAIRIE ARMAND COLINSuédois et Norvégi<strong>en</strong>s chez eux, par m.Quillardet.Un vol. in-18 (2 e ÉDITION), broché . . . 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« Livre plein do faits et d'idées qui seront le plus souv<strong>en</strong>t pour le lecteurfrançais des révélations. Le pays, le « monde », les classes sociales, la vieagricole, les pêcheries, le commerce et l'industrie, la vie religieuse et intellectuelle,la littérature, la femme, la politique : <strong>en</strong> neuf chapitres nous savonsde deux peuples, qui se ressembl<strong>en</strong>t si peu <strong>en</strong>tre eux, tout ce qu'un étrangerpeut savoir. Et n'allez point croire que M. Quillardet, si informé, si docum<strong>en</strong>té,soit <strong>en</strong>nuyeux ; il y a au travers de ses récits une lumière légère qu'onpoursuit avec plaisir jusqu'à la fin. » (Le Temps.)En Méditerranée. Prom<strong>en</strong>ades d'histoire et d'art, par CharlesDiehl, professeur d'histoire byzantine à l'Université de Paris.Un volume in-18 (2 e ÉDITION), broché 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.)« Le savant professeur nous conduit d'abord dans la Dalmatie romaine, etil fait revivre à nos yeux le palais Domiti<strong>en</strong> à Spalato, puis les nécropolesrécemm<strong>en</strong>t explorées de Salone. Il nous mène <strong>en</strong>suite aux fouilles de Delphes,puis aux villes mortes do l'Ori<strong>en</strong>t latin (Chypre, Famagouste, Rhodes), et finalem<strong>en</strong>tà Jérusalem. Ce qui ajoute <strong>en</strong>core à l'intérêt de ce beau livre, c'estquo son auteur n'excelle pas moins à ressusciter le passé qu'à dépeindre le prés<strong>en</strong>t,<strong>en</strong> dégageant de l'état actuel des choses dos <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts et des prévisionsdignes de l'att<strong>en</strong>tion do tous ceux qui p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t. » (Journal des Débats.)Excursions archéologiques <strong>en</strong> Grèce, par charlesDiehl.Un vol. in-18, avec 8 plans (6 e ÉDITION), broché 4 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« Dans ce livre charmant, l'auteur nous promène successivem<strong>en</strong>t à Mycènes,à Tirynthe, sur l'acropole d'Athènes, pour nous montrer la Grèce primitivequi sera pour plus d'un une véritable révélation. A Dodone, il nous tait l'histoirede 1 oracle de Zeus; à Délos, celle du culte d'Apollon; à Olympie, celledes jeux; à Eleusis, celle des mystères; à Tanagra, celle de la mode. Il arésumé les travaux les plus réc<strong>en</strong>ts avec une élégante concision, et il instruitautant qu'il plaît. » (Revue historique.)Les Phénici<strong>en</strong>s et l'Odyssée, par Victor. Bérard (2 volumes) :Chaque vol. in-8° grand jésus de 600 pages, nombreuses carteset gravures, relié demi-chagrin, tête dorée. 32 fr. ; broché.. 25 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« L'éloge n'est plus à faire de ce savant ouvrage, véritable résurrection despersonnages de l'épopée homérique... Ajoutons que la correction matérielleet l'impression <strong>en</strong> sont aussi parfaites que possible, et que les plans, cartes etgravures sont exécutés avec beaucoup de goût. » (Revue des Deux Mondes.)« La Méditerranée d'Ulysse, la vie des corsaires aché<strong>en</strong>s ont autant deréalité que la rade de Toulon et les exploits de Duquesne et de Surcouf ; ilest possible de refaire aujourd'hui le voyage d'Ulysse. Telle est la thèse neuveet hardie que M. Victor Bérard démontre dans ce magnifique ouvrage avecun tal<strong>en</strong>t d'écrivain, un art de peindre aux yeux qui s'alli<strong>en</strong>t de la plus rarefaçon à l'érudition la plus riche et la plus sûre. » (Journal des Débats.)


PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES 5La Grèce d'aujourd'hui, par Gaston Deschamps. Un vol.in-18 (11° ÉDITION), broché 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« Ce livre de M. Gaston Deschamps sur la Grèce d'aujourd'hui est un livredélicieuxoù la description des pays helléniques, les souv<strong>en</strong>irs de l'antiquité,la peinture de la société grecque moderne se mêl<strong>en</strong>t sans se nuire, où l'ontrouve de l'esprit, de la poésie, du pittoresque et aussi des vues philosophiqueset historiques qui, pour n'être pas pédantes, n'<strong>en</strong> sont pas moins très sérieuses. »(Revue Historique.)Sur les routes d'Asie, par Gaston Deschamps. Un volume in-18(3 e ÉDITION), broché 3 fr. 50« M. Gaston Deschamps a réuni dans ce volume une suite d'impressionsqu'il a recueillies dans un voyage comm<strong>en</strong>cé au Pirée et terminé vers laPisidie après avoir visité l'île do Chio et les villes qui bord<strong>en</strong>t l'ouest del'Asie Mineure. Très apte par sa nature et ses études à dégager l'intérêt detoutes choses sur un pareil terrain, l'auteur sait s'arrêter aux bons <strong>en</strong>droits,et c'est un utile plaisir que l'on goûte <strong>en</strong> sa compagnie p<strong>en</strong>dant cette belleexcursion. » (Le Figaro.)Au Pays russe, par Jules Legras. Un volume in-18 (3 e ÉDITION),broché 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie française et par la Société de Géographiecommerciale de Paris.)« L'auteur a parcouru les steppes, de la Baltique à la Mer Noire. La désolationde ce morne pays, ses mœurs <strong>en</strong>core sauvages <strong>en</strong> tant de points, maisaussi sa physionomie pittoresque mal connue jusqu'à prés<strong>en</strong>t, et surtout sesressources infinies, tout cela est expliqué et dépeint par l'<strong>en</strong>quêteur perspicaceet consci<strong>en</strong>cieux. »(Le Figaro.)En Sibérie, par Jules Legras. Un volume in-18, 22 gravureshors texte et i carte <strong>en</strong> couleur (2 eÉDITION), broché.. . . 4 fr.« Jules Legras a visité deux fois la Sibérie, et ces voyages ont laissé <strong>en</strong>lui de profondes impressions. Son livre n'a pas la prét<strong>en</strong>tion d être autre chosequ'un journal de route; mais toute la physionomie de l'Asie russe nous yapparaît dans un récit plein d'observations, d'anecdotes et de bonne humeur. »(La Revue de Paris.)Les Chinois Chez eux, par E. Bard. Un volume in-18,12 planches hors texte (5 e ÉDITION), broché 4 fr.« M. Bard n'est pas un savant do bibliothèque, c'est un homme d'action,un commerçant qui a r<strong>en</strong>du d'excell<strong>en</strong>ts services à notre colonie de là-bas,qui parle plus volontiers de ce qu'il sait que du reste et qui <strong>en</strong> parle simplem<strong>en</strong>t,clairem<strong>en</strong>t et avec méthode. Il a vu la Chine, a vécu parmi lesChinois, a fait des affaires avec eux... De ses investigations diverses, il a tiréun bon livre, rempli de faits, écrit sobrem<strong>en</strong>t, avec précision, où il nousprés<strong>en</strong>te une Chine vraie, peuplée d'hommes véritables, et non pas cetteChine baroque à laquelle on nous avait habitués. »(GRENARD. — Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris.)


6 LIBRAIRIE ARMAND COLINEn Mandchourie, par Georges de la Salle. In-18, br. 3 fr. 50« Ri<strong>en</strong> n'est plus suggestif à la fois et plus impressionnant que la lecturede ces pages véridiques et sincères. L'auteur, qui n'est pas un « correspondantde guerre » professionnel, a séjourné sur le théâtre de la guerre de mai àdécembre 1904; il a successivem<strong>en</strong>t assisté à la bataille d'Ouafango, à l'évacuationde Tachitchao et à celle de Haïtch<strong>en</strong>, à la bataille de Liaoyang età celle de Cha-Kho; et de tous ces événem<strong>en</strong>ts il nous donne des impressionsvécues, d'un incomparable intérêt. » (Journal des Débats.)Au Japon et <strong>en</strong> Extrême-Ori<strong>en</strong>t, par F. Challaye. un vol.in-18, broché 3 fr. 50M. Challaye a prom<strong>en</strong>é à travers le Japon, l'Annam, l'Inde, Java, uneâme pleine de sympathie pour les spectacles nouveaux et les mœurs inconnuesqui s'offrai<strong>en</strong>t à son observation, une curiosité att<strong>en</strong>tive à recueillir destraits précieux et dos impressions exactes. Aussi les rotations qu'il publi<strong>en</strong>'ont-elles ri<strong>en</strong> de livresque, mais beaucoup de fraîcheur, d'attrait et d'originalité....Son étude, sans effort de style artiste, ni lourdeur de sociologie, décritagréablem<strong>en</strong>t les habitudes, le caractère, l'art, le costume, la maison duJaponais et de la Japonaise modernes : il analyse ces âmes, profondes etcharmantes, et distingue avec une perspicacité très avisée ce qui, <strong>en</strong> elles,s'est ouvert à l'influ<strong>en</strong>ce europé<strong>en</strong>ne et, d'autre part, ce qui y reste et resteratoujours fermé.Le Tibet. Le pays et les habitants, par F. Gr<strong>en</strong>ard (MissionDutreuil de Rhins). Un fort vol. in-18, avec 1 carte <strong>en</strong> couleur,broché5 fr.« Dans cet ouvrage, M. Gr<strong>en</strong>ard résume d'abord l'exploration qu'il fit avecDutreuil de Rhins; il donne <strong>en</strong>suite une « vue d'<strong>en</strong>semble sur le Tibet et seshabitants », sur leurs mœurs et coutumes, la vie économique, etc. La curiositépolitique et sociale do M. Gr<strong>en</strong>ard le distingue très nettem<strong>en</strong>t de tantd'explorateurs qui nous ont seulem<strong>en</strong>t rapporté des r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts géographiques.Aussi lira-t-on son livre avec le plus grand intérêt et le plus grandprofit. » (Journal des Débats.)La Perse d'aujourd'hui (Iran, Mésopotamie), par EugèneAubin. Un vol. in-18, 450 p., 1 carte <strong>en</strong> couleur h. texte, br. 5 fr.Go nouveau livre de l'auteur du Maroc d'aujourd'hui nous prés<strong>en</strong>te untableau très complet de l'état actuel de la Perse au triple point de vue politique,économique et social. Entièrem<strong>en</strong>t édifié sur des docum<strong>en</strong>ts de premièremain et sur une expéri<strong>en</strong>ce personnelle des hommes et des choses, il acquiertpar là une valeur et une portée vraim<strong>en</strong>t exceptionnelles.L'auteur se trouvait parcourir la Perso à l'époque même où se produisai<strong>en</strong>t<strong>en</strong> ce pays les premiers phénomènes révolutionnaires. En traversant lesprovinces Nord-Ouest de la Perso, <strong>en</strong> desc<strong>en</strong>dant de Téhéran à Ispahan et àBagdad, puis à Chiraz, il a pu suivre les manifestations révolutionnaires,qui, toutes issues d'une même cause, diffèr<strong>en</strong>t d'aspect selon les villes. Lesprincipaux fonctionnaires, les chefs du mouvem<strong>en</strong>t des réformes lui ontfourni des indications intéressantes, qui lui ont permis, tout <strong>en</strong> étudiant lepays dans les conditions perman<strong>en</strong>tes do son exist<strong>en</strong>ce, d'observer utilem<strong>en</strong>tla transformation prés<strong>en</strong>te de l'Ori<strong>en</strong>t moy<strong>en</strong>.


PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES 7Le Siam et les Siamois, par le Commandant K. i.unet deLajonquicrc. Un vol. in-18 de 360 pages, broché. ... 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie française.)L'auteur, qui a été chargé, de mission au Siam, s'est efforcé de fixer laphysionomie, restée un peu imprécise, de ce pays que nous avons le plusgrand intérêt à connaître, à cause de sa proximité de nos possessions indochinoiseset du rôle qu'il est appelé à jouer <strong>en</strong> Asie. Son livre nous faitvisiter la presque totalité des provinces siamoises; il nous donne une vued'<strong>en</strong>semble du royaume, de son administration actuelle, du commerce, desindustries qui font sa richesse; il nous montre ce que sont exactem<strong>en</strong>t lesSiamois et quelle est l'action des étrangers au Siam.Java et Ses habitants, par *. Challley-Bcrt. Un vol. in-18(3* ÉDITION, corrigée et augm<strong>en</strong>tée), broché 4 fr.« M.' Chailloy-Bert est allé à Java. Il y est demeuré plusieurs mois, et ilnous transmet dans ce volume les résultats de son voyage. D'une lecture facile,voire même fort agréable, cet ouvrage conti<strong>en</strong>t des études ét<strong>en</strong>dues et pénétrantessur la société indigène et la société europé<strong>en</strong>ne à Java ; la concurr<strong>en</strong>ceéconomique <strong>en</strong>tre Europé<strong>en</strong>s et Ori<strong>en</strong>taux; la question chinoise ; la concurr<strong>en</strong>cepolitique <strong>en</strong>tre Hollandais et Javanais ; la question si complexe de l'éducationdes indigènes. »[Le Musée social.)Une Mission française <strong>en</strong> Abyssinie, par syivamVignéras. Un volume in-18, avec 60 photographies, broché. 4 fr.« M. Vignéras fut attaché à la mission qui se r<strong>en</strong>dit, sous la direction deM. Lagarde, gouverneur des Établissem<strong>en</strong>ts français de la Côte française desSomalis, auprès du négus Ménélik. Son livre, qui n'a d'autre prét<strong>en</strong>tion qued'être un journal de route, conti<strong>en</strong>t mille observations précieuses, fidèlem<strong>en</strong>tnotées, qui laiss<strong>en</strong>t une impression très nette de la nature do la région qu'ila parcourue. »(Le Temps.)Impressions d'Egypte, par LOUU Malosso. In-18 br. 3 fr. 50« Cet ouvrage se divise <strong>en</strong> deux parties : l'une qui est purem<strong>en</strong>t narrativeet descriptive; l'autre, où l'auteur étudie l'état moral et politique du pays. Lapremière partie va d'une allure rapide qui <strong>en</strong>traîne le lecteur. C'est, <strong>en</strong> deuxc<strong>en</strong>ts pages, le tour de l'Egypte conté avec autant d'agrém<strong>en</strong>t que de vérité...M. Malosse analyse <strong>en</strong>suite la situation morale et politique de l'Egypte,explique le caractère et les actes du khédive, relève les traces persistantesde l'influ<strong>en</strong>ce française, apprécie l'œuvre de l'Angleterre... Ces pages, pleinesd'informations exactes, mérit<strong>en</strong>t d'être lues. »{Le Temps.)Ail CongO belge, avec des Notes et des Docum<strong>en</strong>ts sur le Congofrançais, par Pierre Mille, préface par PAUL BOURDE. Un vol.in-18 (4° ÉDITION), avec / carte <strong>en</strong> couleur hors texte, broché. 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« Ce livre est « un coup de lumière »... M. Pierre Mille a vu inaugurer lechemin de fer de Matadi à Léopoldville. Il a profité de son voyago pour m<strong>en</strong>erà bi<strong>en</strong> une <strong>en</strong>quête rapide et avisée : c'est l'histoire et les résultats de cette<strong>en</strong>quête qu'il livre .aujourd'hui à nos méditations dans cet ouvrage vivant,spirituel, pittoresque et précis. »(La Revue de Paris.)


8 LIBRAIRIE ARMAND COLINLe Maroc d'aujourd'hui,par Eugène Aubin. In-18 de 300 pages,avec 3 cartes <strong>en</strong> couleur hors texte (5 e ÉDITION), br...... 5 fr.(Ouvrage couronné par la Société de Géographie commerciale de Paris.)« M. Eugène Aubin a eu la bonne fortune de séjourner, au cours de ces deuxdernières années, à Tanger, à Marrakech, à Fez; il nous explique dans cetouvrage l'organisation du gouvernem<strong>en</strong>t marocain et le mécanisme de la viemarocaine... Il y a plaisir à le lire, parce qu'il nous prés<strong>en</strong>te les faits selonune heureuse méthode, et que la recherche de l'exactitude n'empêche pasl'auteur d'avoir le souci de la clarté... Ce livre exact est aussi un livreagréable, et par là il participe d'une tradition très française. »(Journal des Débals.)Voyages au Maroc (1899-1901), par le M lsde Segonzac, avec178 photographies, dont 10 grandes planches hors texte (20 panoramas<strong>en</strong> dépliants), 1 carte <strong>en</strong> couleur hors texte et d<strong>en</strong>ombreux app<strong>en</strong>dices. Un vol. in-8° de 400 pages, broché 20 fr.Relié demi-chagrin, tête dorée27 fr.(Couronné par l'Académie française et par la S té de Géographie de Paris.)« En trois explorations successives, de 1899 à 1901, le marquis de Segonzaca visité, sous le déguisem<strong>en</strong>t d'un m<strong>en</strong>diant musulman, les régions les moinsabordables du Maroc. Son ouvrage, rédigé dans la forme d'un journal deroute, mais sans sécheresse, a la précision d'un docum<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifique <strong>en</strong>même temps qu'il donne dans de sobres descriptions une vive impression deschoses vues, et qu'il doit à son style chaud et coloré un véritable charmelittéraire. » (Revue de Géographie.)MISSIONS AU SAHARA, par E.-F. Gautier et R. Chudeau.i. — Sahara algéri<strong>en</strong>, par E.-F. Gautier, chargé de cours àl'École supérieure des Lettres d'Alger. In-8° raisin, 65 fig. et cartesdont 2 cartes <strong>en</strong> couleur, 96 phototypies hors texte, br. 15 fr.« Le savant professeur de l'Ecole supérieure d'Alger apparaît dans cetouvrage comme un explorateur qui était préparé pour sa tâche d'une façoneu commune. 11 traite de la géologie, de la paléographie, de la botanique,pe la zoologie, de la linguistique et de l'histoire avec une égale compét<strong>en</strong>ce.Son livre représ<strong>en</strong>te un progrès considérable dans nos connaissances surl'imm<strong>en</strong>se région qui sépare nos possessions du Soudan de celles de l'Afriquedu Nord. » (Le Temps.)II. — Sahara Soudanais, par R. Chudeau, chargé de mission<strong>en</strong> Afrique Occid<strong>en</strong>tale française. Un vol. in-8 raisin 83 figureset cartes dans le texte et hors texte, dont 1 carte <strong>en</strong> couleur,72 phototypies et 2 photogravures hors texte, br 15 fr.Ce volume débute par une série do monographies des régions traversées parl'auteur <strong>en</strong>tre l'Ahnet, le Niger et le Tchad. Les chapitres suivants sont consacrésà de nombreuses questions qui intéress<strong>en</strong>t l'étude du Sahara. La géographiebotanique et zoologique, à cause do l'importance économique qu'ellespeuv<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>ter, ont été traitées avec un soin particulier. Un dernier chapitroest consacré au commerce du Sahara.


PUBLICATIONSGÉOGRAPHIQUES9Dahoé, Niger, Touareg. Notes et récits de voyage, par leGénéral Toutée. Un volume in-18 jésus, avec 4 carte hors texte(4 e ÉDITION), broché 4 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« On sait que parti de Kotonou <strong>en</strong> décembre 1894 avec la mission de relierle Dahomey français au Niger, l'auteur, à travers des obstacles et des difficultéssans nombre, put remonter le Niger jusqu'à Farka, dép<strong>en</strong>dant duCercle de Tombouctou ; puis le redesc<strong>en</strong>dit jusqu'à son embouchure, démontrantainsi que le Niger moy<strong>en</strong> était navigable. On trouvera dans ce livre lerécit de cette exploration si féconde <strong>en</strong> résultats, et de cette mission si bi<strong>en</strong>remplie. »(Revue des Deux Mondes.)DU Dahomé au Sahara. La Nature et l'Homme, parle GénéralToutée. Un volume in-18 (2 e ÉDITION), avec 1 carte <strong>en</strong> couleur,broché . . 3 fr. 50(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« Dans Dahomé Niger, Touareg, l'auteur nous a raconté avec un grandcharme de gaîté tous les incid<strong>en</strong>ts pittoresques do son exploration. Le prés<strong>en</strong>tvolume est d'un ordre tout différ<strong>en</strong>t : c'est une étude grave, riche d'informationset d'idées, qui permettra au public français d'apprécier l'av<strong>en</strong>ir économiquedu Soudan, <strong>en</strong> le r<strong>en</strong>seignant sur le degré de civilisation des indigènes,sur la qualité du sol et la nature de ses productions. »(La Revue de Paris.)ALBUM GÉOGRAPHIQUE, par Marcel Dubois, professeur de géographiecoloniale à l'Université de Paris, et Camille Guy, agrégéd'histoire et de géographie, lieut<strong>en</strong>ant-gouverneur du Sénégal.OUVRAGE COMPLET EN 5 VOLUMES :Aspects généraux de la Nature.Les Régions tropicales.Les Régions tempérées.Les Colonies françaises.La France.Chaque volume i'n-4°, 500 à 650 gravures, broché 15 fr.Relié demi-chagrin, plats toile, fers spéciaux20 fr.« On retrouve dans les cinq volumes de l'Album géographique la mômeméthode, une description précise et topique des montagnes, des rivages, desfleuves, des populations, des villes, des industries, des voies de communication,etc., accompagnée d'illustrations qui vis<strong>en</strong>t moins à l'effet pittoresquequ'à la démonstration. Par tous ces docum<strong>en</strong>ts concrets, la vie des divers paysse trouve fort heureusem<strong>en</strong>t évoquée. » (La Revue de Paris.)« Dans les cinq volumes qui compos<strong>en</strong>t cet ouvrage, on trouve tous les élém<strong>en</strong>tsd'une étude complète et approfondie de la géographie générale ; et ils sont prés<strong>en</strong>tésd'une façon si habile, les images dues à la photographie sont si nombreuseset si frappantes, les textes rédigés <strong>en</strong> termes clairs, précis, par deuxmaîtres de la géographie moderne, sont à la fois si complets et si discrets, qu'onlit et regarde d'un bout à l'autre ces ouvrages avec autant d'intérêt que leplus passionnant des récits de voyages Sans fatigue, nous parcourons tousles pays, représ<strong>en</strong>tés par des photographies d'hommes, de paysages, de mon- 1tagnes, de villes et de rues, qui sont do véritables « tranches de vie », comm<strong>en</strong>tées<strong>en</strong> des textes qui constitu<strong>en</strong>t les plus précieuses et les plus fécondes desleçons; Un tel ouvrage est aussi accessible et aussi utile au grand public qu'auxétudiants et à leurs maîtres. * (Le Figaro.)


10 LIBRAIRIE ARMAND COLINATLASAtlas général Vidal-Lablache historique et géographique,par p. vidai de la Blanche, membre de l'Institut, professeur àl'Université de Paris. [NOUVELLE ÉDITION mise à jour et regravée]:420 cartes et cartons <strong>en</strong> couleur; Index alphabétique de 46 000noms. Un vol. in-folio, relié toile30 fr.Avec reliure amateur40 fr.(Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris.)« Les Allemands nous ont, p<strong>en</strong>dant longtemps, devancés do très loin sur leterrain géographique. On peut dire que nous les avons rejoints, et il semblemême douteux que l'Allemagne puisse opposer à l'Atlas Vidal-Lablache uninstrum<strong>en</strong>t de travail plus souple et mieux approprié aux exig<strong>en</strong>ces actuellesde la sci<strong>en</strong>ce et de l'<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t. Qu'on ne se cont<strong>en</strong>te pas de feuilleter auhasard les 420 cartes et cartons du recueil, qu'on cherche à suivre le li<strong>en</strong> quiles unit, à saisir les rapports que l'auteur s'est efforcé de suggérer, et l'onverra ces représ<strong>en</strong>tations, inanimées <strong>en</strong> appar<strong>en</strong>ce, pr<strong>en</strong>dre vie et s'ordonnersuivant un dessin fermem<strong>en</strong>t suivi. Cet effort, si honorable pour la sci<strong>en</strong>cefrançaise, produira dans l'idée que nous nous faisons de la géographie et dansla pratique de notre <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t, les effets que l'auteur et les éditeurs sont<strong>en</strong> droit d'<strong>en</strong> att<strong>en</strong>dre. »(Le Temps.)« Ceux qui regard<strong>en</strong>t la géographie comme une sci<strong>en</strong>ce ingrate n'auront qu'àjeter les yeux sur l'Atlas général Vidal-Lablache. Ils y trouveront une quantitéde r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts historiques, statistiques, ethnographiques, géologiques,r<strong>en</strong>dus s<strong>en</strong>sibles aux yeux par des cartes et des graphiques d'une merveilleuseclarté.... Il n'existe pas à notre connaissance d'atlas qui, jusqu'ici, ait réunisous une forme aussi claire et à un prix aussi minime, une aussi grande abondancede notions de tout g<strong>en</strong>re ».(GABRIEL MONOD. — Revue Historique.)Atlas des Colonies françaises, dressé par ordre duMinistère des Colonies, par Paul Pelet. 27 cartes (62 e x 42 e ) et50 cartons <strong>en</strong> 8 couleurs avec Texte explicatif de 78 pages etIndex alphabétique de 34 000 noms. Un vol. in-4° colombier(42 e X33 e ), relié toile. net. 30 fr,(Ouvrage couronné par l'Académie des Sci<strong>en</strong>ces morales et politiqueset par la Société de Géographie de Paris.)« M. Pelet se distingue heureusem<strong>en</strong>t de la plupart des cartographes, surtoutde ceux qui s'occup<strong>en</strong>t des régions coloniales : il traite avec le mêmesouci de vérité sci<strong>en</strong>tifique les territoires dits « étrangers » et ceux que lesFrançais rev<strong>en</strong>diqu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> maîtres. Il a le respect de la Terre sous quelquedrapeau qu'elle soit ombragée; et les cartes qu'il nous donne pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ainsiun intérêt général et un caractère esthétique dont nous lui sommes reconnaissants.Chaque carte, <strong>en</strong> particulier, mérite d'être signalée dans l'Atlas etd'être louée pour la précision et la clarté du dessin et de la nom<strong>en</strong>clature, pourla belle ordonnance du travail, pour tous les r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts complém<strong>en</strong>tairesqui ont été fournis sans trop charger la feuille.A tous égards, l'Atlas de M. Pelet doit être cité <strong>en</strong> modèle pour la probitésci<strong>en</strong>tifique et la belle exécution du travail. »(Elisée RECLUS. — LaRevue).


PUBLICATIONSGÉOGRAPHIQUES11GÉOGRAPHIE GÉNÉRALE. — GÉOLOGIE.SÉISMOLOGIETRAITÉ DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE {Climat - Hydrographie-Relief du sol - Biogéographie), par Emm. de Martonne, professeurde géographie à l'Université de Lyon :PREMIER FASCICULE : In-8 raisin de 204 pages, avec 90 figures etcaries, 2 planches photographiques hors texte, broché.. . . 5 fr.DEUXIÈME FASCICULE : ln-8 raisin de 202 pages, avec SO figures, S planisphères<strong>en</strong> couleurs et 5 planches photographiques h. texte,broché5 fr.(L'ouvrage sera complet <strong>en</strong> 4 fascicules.)Le développem<strong>en</strong>t des études géographiques <strong>en</strong> France, la diffusion doplus <strong>en</strong> plus universelle du goût de la géographie dans le grand public,taisai<strong>en</strong>t s<strong>en</strong>tir plus vivem<strong>en</strong>t chaque jour le besoin d'un Traité do géographiephysique, comme celui que nous donne M. de Martonne.Dans cet ouvrage, qui compr<strong>en</strong>dra quatre fascicules, l'auteur a fait <strong>en</strong>trerl'étude de tous les phénomènes physiques dont la surface du globe terrestreest le théâtre : d'abord les phénomènes climatiques, expliqués par les lois dola météorologie; l'hydrographie océanique et contin<strong>en</strong>tale; puis la morphologieterrestre étudiée à la lumière des méthodes géologiques et topographiques;<strong>en</strong>fin, un exposé rapide des principes ess<strong>en</strong>tiels do la biogéographie(géographie des plantes et des animaux), destiné à répondre aux désirs desexplorateurs et des économistes.Une introduction résume les connaissances nécessaires pour aborder touslos problèmes traités au cours de l'ouvrage.Ainsi conçu, le Traité de Géographie physique de M. de Martonne n'intéressepas seulem<strong>en</strong>t les géographes, mais <strong>en</strong>core les économistes qui cherch<strong>en</strong>t àexpliquer par le milieu physique les conditions des faits sociaux, et tousceux, plus nombreux <strong>en</strong>core, qui s'intéress<strong>en</strong>t dans le grand public à cettesci<strong>en</strong>ce comploxo ot si vivante, qu'est la géographio moderne.L'Architecture du Sol delà France. Essai de géographietectonique, par le comm> o. Barré. Un vol. in-8", 189 figures dont31 planches hors texte, broché 12 fr.(Ouvrage couronné par la Société 4e Géographie de Paris.)« Voici un gros volume bi<strong>en</strong> géologique de fond et de forme, mais qui selit clairem<strong>en</strong>t, à la française, éclairé qu'il est par de nombreux croquis et despanoramas d'un g<strong>en</strong>re tout nouveau... Ceci suffit à faire vivre un livre, etceux que les termes géologiques pourrai<strong>en</strong>t effrayer n'ont qu'à regarder pourcompr<strong>en</strong>dre... La sci<strong>en</strong>ce du Commandant Barré, qui a professé p<strong>en</strong>dant delongues années à l'Ecole d'application de Fontainebleau, n'est plus à apprécier.Il a laissé une trace profonde dans l'esprit de ses auditeurs, et l'ouvragequ'il publie aujourd'hui est le fruit mûr d'une forte floraison. »(Bévue de Géographie.), Cet ouvrage arrive à. son heure et marque une étape nouvelle dans ledéveloppem<strong>en</strong>t de la géographie française(EMM. DE MARGERIE. — Annales de Géographie.)


12 LIBRAIRIE ARMAND COLINTRAITÉ DE GÉOLOGIE, par Émile Haug, professeur à la Facultédes Sci<strong>en</strong>ces de l'Université de Paris:I. Les Phénomènes géologiques. Un volume in-8°raisin, 195 figures et cartes, 71 planches de reproductions photographiques,hors texte, broché. . 12 fr. 50II. Les Périodes géologiques. — PREMIER FASCICULE : ln-8°raisin, 100 figures et cartes, 28 planches de reproductions photographiqueshors texte, broché 9 fr.(Le Tome II compr<strong>en</strong>dra 2 fascicules.)« Nul doute que cet ouvrage ne soit accueilli avec faveur par une nombreusecatégorie de lecteurs. Entre le magistral «Traité » de M. de Lappar<strong>en</strong>tet les manuels trop élém<strong>en</strong>taires, il y avait place pour un nouveau v<strong>en</strong>u :j'ajoute tout de suite qu'il est très bi<strong>en</strong> v<strong>en</strong>u et tel qu'on pouvait l'att<strong>en</strong>dredu savant professeur de la Sorbonne... Outre l'abondance de la docum<strong>en</strong>tation,il est d'autres qualités qui apparaîtront seulem<strong>en</strong>t à la lecture et quipeuv<strong>en</strong>t se résumer <strong>en</strong> deux mots : clarté et méthode. La clarté résulte del'exposition elle-même, où se reconnaît la main d'un maître, et aussi de lamagnifique illustration... Il est impossible qu'après avoir feuilleté le livre onn'éprouve point le désir de le lire. On <strong>en</strong> appréciera alors les qualitésintrinsèques et quand le lecteur, presque sans s'<strong>en</strong> apercevoir, sera arrivé àla fin du volume, il constatera avec plaisir qu'il a beaucoup appris. »(Revue Sci<strong>en</strong>tifique.)« Il manquait <strong>en</strong> France un livre qui, tout <strong>en</strong> conservant la rigueur sci<strong>en</strong>tifique,fût à la portée de toutes les personnes instruites et servît tant auxgéologues qu'à toutes les personnes qui aim<strong>en</strong>t à s'instruire, sans cep<strong>en</strong>dantque les notions y fuss<strong>en</strong>t trop élém<strong>en</strong>taires. Et ce livre est précisém<strong>en</strong>t letraité du professeur Haug : il a pour caractère particulier d'être conçusous une forme toute nouvelle...« L'auteur, partant des faits élém<strong>en</strong>taires, s'élève peu à peu jusqu'aux plushauts problèmes de la géologie moderne. Son traité a donc un caractèrebi<strong>en</strong> original. II sera de la plus grande utilité pour les géologues aussi bi<strong>en</strong>que pour les personnes instruites qui s'intéress<strong>en</strong>t à ce g<strong>en</strong>re d'études. »(Il Monitore Tecnico, Milan.)Géologie pratique et Petit Dictionnaire technique des termesgéologiques les plus usuels, par L. de Launay. ingénieur <strong>en</strong> chefdes Mines, professeur à l'École supérieure des Mines. Un volumein-18, broché 3 fr. 50« C'était un livre à faire. Écrite par un professeur de la valeur de M. deLaunay, on peut dire que cette Géologie pratique est une bonne fortune.Les applications de la géologie sont nombreuses <strong>en</strong> effet, et tout le monde abesoin de les connaître. Cot ouvrage sera dans toutes les mains, parce qu'ilrépond à un besoin de chaque jour. » (Journal des Débats.)« Pleine de conseils sages et judicieux dictés par un savoir remarquablem<strong>en</strong>tét<strong>en</strong>du, la Géologie pratique de M. de Launay ne peut que faire mieuxcompr<strong>en</strong>dre l'intérêt de la sci<strong>en</strong>ce géologique, son utilité immédiate et saportée philosophique. »(Polybillion.)


PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES 13La Sci<strong>en</strong>ce géologique : ses Méthodes, ses Résultats, ses Problêmes,son Histoire, par E. de Launay. ln-8° de 752 pages, avec53 fig. dans le texte et 5 planches <strong>en</strong> couleur h. texte, br. 20 fr.Relié demi-chagrin, tête dorée25 fr.* Ce nouveau travail considérable du savant professeur de géologie doit êtredéfini « la synthèse et la philosophie des connaissances géologiques au débutdu xx esiècle ». Les géologues le placeront, dans leur bibliothèque, <strong>en</strong>tre leTraité de M. de Lappar<strong>en</strong>t et la Face de la Terre de Suess... L'élégance dustyle et la clarté d'exposition de M. de Launay r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t son ouvrage accessibleà tous, d'une lecture aussi pratique qu'attrayante. Tout esprit ouvert s'instruirasans peine sur les hautes questions qu'il traite....(La Géographie.)« J'estime qu'il a fallu à M. de Launay des années et des années pour m<strong>en</strong>erà bonne fin ce travail colossal et unique <strong>en</strong> littérature spéciale.... L'auteur avoulu faire sortir la géologie du domaine étroit où les spécialistes la confin<strong>en</strong>t,pour mettre <strong>en</strong> valeur sa portée générale et la faire <strong>en</strong>trer dans le cadre plusvaste de la philosophie naturelle. Pour atteindre ce but, il fallait des connaissancesd'une ét<strong>en</strong>due singulière, une expéri<strong>en</strong>ce consommée, un s<strong>en</strong>s critiqueaigu et un tal<strong>en</strong>t d'exposition tout particulier. La Sci<strong>en</strong>ce Géologique est uneétude puissante et originale et n'a pas d'équival<strong>en</strong>t parmi tous les livrespubliés sur ce sujet. » (Journal des Débats.)La Face de la Terre (das Antlitz der Erde), par Ed. Suess,correspondant de l'Institut de France, anci<strong>en</strong> professeur de géologieà l'Université de Vi<strong>en</strong>ne. Traduit de l'allemand et annotésous la direction de EMM. DE MARGERIE, avec une préface parMARCEL BERTRAND, de l'Académie des Sci<strong>en</strong>ces.TOME I. — Les Montagnes. In-8° (3 e ÉDITION), de xv-835 pages, avec S cartes<strong>en</strong> couleur et 123 figures, dont 76 exécutées pour l'édit. française, br. . 20 fr.TOME IL — Les Mers. In-8° de 878 pages, avec S cartes <strong>en</strong> couleur et128 figures, dont 85 exécutées pour l'édition française, broché 20 fr.TOME III. — La Face de la Terre (l rePARTIE). In-8° de xii-530 pages, avecS cartes <strong>en</strong> coul. et 94 fig., dont 67 exécutées pour l'édit. française, br. 15 fr.(Le Tome III et dernier compr<strong>en</strong>dra 2 parties).« C'est l'honneur de M. de Margerie de s'être fait, au prix d'un labeur queceux-là seuls peuv<strong>en</strong>t apprécier qui l'ont suivi de près, l'ordonnateur vigilantet infatigable de cette traduction à laquelle ont collaboré les meilleursgéologues de notre pays.... Une véritable <strong>en</strong>cyclopédie, d'une sûreté sans égale,se dissimule sous ces pages où les vues du maître ont été conservées danstoute leur fraîcheur, avec un respect complet de la forme, souv<strong>en</strong>t presquepoétique, dont M. Suess avait eu l'art de les revêtir. » (La Géographie.)« Les traducteurs ont r<strong>en</strong>du la p<strong>en</strong>sée du maître avec une fidélité qui luilaisse à la fois sa précision et sa poésie ; ils l'ont respectée aussi <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>squ'ils se sont interdit tout comm<strong>en</strong>taire critique. Mais des notes brèves etdiscrètes indiqu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelle mesure les vues de l'auteur émises il y a 12 ansont été confirmées, <strong>en</strong> quelle mesure contredites ou ébranlées par lesexplorations plus réc<strong>en</strong>tes. Tout ce travail de recherche et de mise au pointdonne à l'édition française — l'on dira plus justem<strong>en</strong>t édition que traduction— son originalité et son prix aux yeux des travailleurs. L'œuvre à laquellereste attaché le nom de M. de Margerie fait honneur à la sci<strong>en</strong>ce française. »(Revue critique.)


14LIBRAIRIE ARMAND COLINLes Tremblem<strong>en</strong>ts de Terre (Géographie séismologique),par le Comte F. de Montessus de Hnliorc, anci<strong>en</strong> élève de l'Écolepolytechnique, directeur du Service séismologique de la Républiquedu Chili; avec une préface de A. DE LAPPÀHENT, membre del'Institut. Un vol. in-8° raisin de 500 pages, .avec 89 cartes etfigures dans le texte et 3 cartes hors texte, broché. . . 12 fr.(Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris.)Les réc<strong>en</strong>ts événem<strong>en</strong>ts dont la Calabre a été le théâtre, donn<strong>en</strong>t auxtremblem<strong>en</strong>ts de terre une telle actualité, qu'un livre traitant de cette matièrepeut se prés<strong>en</strong>ter tout seul, même au grand public.« Avec autant de pati<strong>en</strong>ce que de discernem<strong>en</strong>t, l'auteur a catalogué etmarqué sur des cartes tous les phénomènes sëismiques auth<strong>en</strong>tiquem<strong>en</strong>t<strong>en</strong>registrés, <strong>en</strong> leur appliquant un figuré <strong>en</strong> rapport avec la fréqu<strong>en</strong>ce etl'int<strong>en</strong>sité des secousses. Cette monographie du phénomène, il l'a mise <strong>en</strong>rapport constant avec la structure géologique et la topographie des contréescorrespondantes, et ce rapprochem<strong>en</strong>t lui a permis de formuler une loi depremière importance... Ce sont les élém<strong>en</strong>ts de son <strong>en</strong>quête qu'il nous met sousles yeux dans ce grand ouvrage. On verra que nul n'a plus consci<strong>en</strong>cieusem<strong>en</strong>tétudié que l'auteur la répartition des régions instables à travers le globe, qu<strong>en</strong>ul n'a dépouillé avec plus de soin tous les docum<strong>en</strong>ts sci<strong>en</strong>tifiques ayant traitaux pays considérés. » (A. DE LAPPARENT.— Extrait de la Préface.)La Sci<strong>en</strong>ce Séismologique (Les Tremblem<strong>en</strong>ts de Terre),par le Comte F. de Montessus de nailore. Préface par ED.SUESS, Associé étranger de l'Institut de France. Un volume in-8°raisin de 590 pages avec 185 figures et caries, dans le texte, et32 planches hors texte, broché 16 fr.« Dans la Sci<strong>en</strong>ce Séismologique M. do Montessus de Ballore offre une excell<strong>en</strong>tesuite à son livre antérieur sur les Tremblem<strong>en</strong>ts de terre. Il n'y a ri<strong>en</strong>de plus complet, ou de meilleur actuellem<strong>en</strong>t, sur la question des mouvem<strong>en</strong>tssismiques. » (Bibliothèque universelle.)« Il y a là près de 600 pages du plus haut intérêt, parce qu'on y trouve,pour ainsi dire cond<strong>en</strong>sée, la « sci<strong>en</strong>ce séismologique », nouvelle et cep<strong>en</strong>dantdéjà si avancée... Dans ce beau volume, le lecteur trouvera la réponsesimple, claire, facile, exacte, à tant de questions et à tant de pourquoi quel'on chercherait <strong>en</strong> vain, dispersés dans les innombrables mémoires quel'autour a étudiés patiemm<strong>en</strong>t et magistralem<strong>en</strong>t. »(Bivista Sci<strong>en</strong>tifica Jndustriale, Flor<strong>en</strong>ce.)« Ce nouveau volume traite de la séismologie sous tous ses aspects, etest à la fois l'ouvrage le plus vaste et qui fait le plus autorité <strong>en</strong> cettematière. M. de Montessus est un lecteur insatiable et méthodique desouvrages de sci<strong>en</strong>ce; et, <strong>en</strong> plus dos trois langues principales du mondesavant, il a la ressource de savoir <strong>en</strong> lire plusieurs autres, notamm<strong>en</strong>tl'itali<strong>en</strong>, l'espagnol et le russe. C'est à ce fait, autant qu'à la longue durée dela période p<strong>en</strong>dant laquelle il a réuni les données, qu'est due la vaste portéede son ouvrage. »(The Journal of Geology. Chicago.)


PUBLICATIONSGEOGRAPHIQUES15ÉTUDES ET MONOGRAPHIES GÉOGRAPHIQUESLa Flandre. Étude géographique de la Plaine Flamande <strong>en</strong>France, Belgique et Hollande, par Raoul Blanchard, docteur èslettres, professeur adjoint à la Faculté des lettres de Gr<strong>en</strong>oble.Un volume in-8°, 76 figures dans le texte, 48 photographies etê cartes hors texte, broché 12 fr.{Ouvrage couronné par VAcadémie des Sci<strong>en</strong>ces morales et politiques etpar la Société de Géographie de Paris.)C'est un bel ouvrage dans lequel le sujet est développé d'une manièrelogique et ordonnée, où les notes au bas des pages form<strong>en</strong>t une vastebibliographie de tout ce qui a été publié sur la Flandre jusqu'à prés<strong>en</strong>t...Traitant de nombreux côtés des questions qui se posai<strong>en</strong>t, sans cesse définissantla cause et décrivant le résultat, le travail <strong>en</strong>tier de l'auteur aboutità la conclusion si nettem<strong>en</strong>t exprimée par Michelet : « La Flandre a étéfaite, pour ainsi dire, <strong>en</strong> dépit do la nature. C'est une œuvre du travailhumain. » Ce livre précieux donnera à beaucoup de lecteurs le moy<strong>en</strong> demieux connaître certains traits de la géographie locale de trois grandesrégions.a Dans les deux parties de son ouvrage, admirablem<strong>en</strong>t ordonné»M. Blanchard a déployé une égale finesse d'observation, une même intellig<strong>en</strong>cecritique, et de remarquables qualités d'interprétation... C'est unouvrage digne de grands éloges, un de ceux qui font le plus d'honneur à lajeune école géographique française. »(Polybiblion.)La Picardie et les régions voisines (Artois, Cambrêsis, Beauvaisis),par Albert Bemangeon, docteur ès lettres, professeurà l'Université de Lille. Un volume in-8°, 4% figures dans letexte, 34 photographies hors texte, 3 cartes hors texte <strong>en</strong> noir et<strong>en</strong> couleur, broché 12 fr.Relié demi-chagrin, tête dorée17 fr.(Ouvrage couronné par l'Acad. des Sci<strong>en</strong>ces morales et politiques, par la Sociétéde Géographie de Paris, et par la Société de Géogr. commerciale de Paris).« Cette belle monographie sur une dos régions les plus intéressantes de laFrance, et qui fait le plus grand honneur à son auteur, montre ce que peutfournir de fécond la géographie actuelle, véritablem<strong>en</strong>t inspirée par les t<strong>en</strong>dancessci<strong>en</strong>tifiques, dans toute la complexité de ces études. A lire le beaulivre de M. Demangeon, à se laisser aller, au cours de ces pages, aux déductionsfines qui permett<strong>en</strong>t de rattacher à des phénomènes naturels et à deslois simples, jusqu'aux manifestations sociales qui <strong>en</strong> paraiss<strong>en</strong>t au premierabord les plus éloignées, on ne peut résister au plaisir et à la séduction quiéman<strong>en</strong>t de cette logique sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>t basée sur une observation att<strong>en</strong>tive.M. Demangeon connaît à fond le pays dont il parle, et il sait fairepreuve, sans les étaler, des connaissances les plus diverses, comme cela estnécessaire pour se livrer avec fruit aux études géographiques. Géologue,botaniste, météorologiste tour à tour, il montre <strong>en</strong>core qu'il s'intéresse vivemontau côté pratique de sa sci<strong>en</strong>ce, à tout ce qui peut éclairer l'agricultureet l'industrie »(Revue Sci<strong>en</strong>tifique.)


16 LIBRAIRIE ARMAND COLINÉtude sur la Vallée lorraine de la Meuse, par j.vidalde la Blache, capitaine breveté au 20 ebataillon de Chasseurs àpied, docteur de l'Université de Paris. Un volume in-8 carré,8 cartes hors texte, broché 4 fr.« Vallée de capture », dernier témoin d'un réseau de rivières lorraines etchamp<strong>en</strong>oises ori<strong>en</strong>té vers la Belgique à une époque antérieure, la valléelorraine de la Meuso prés<strong>en</strong>te d'un bout à l'autre le phénomène de l'agglomérationexclusive des maisons dans les villages. L'auteur nous montre quecette vallée offre à tous les points de vue, tant de la géographie humaine quede la géographie physique, les caractères les plus typiques.Les Paysans de la Normandie Ori<strong>en</strong>tale (Pays de Caux,Bray, Vexin Normand, Vallée de la Seine), par Jules Sion.docteur ès lettres, professeur au lycée d'Angoulême. Un volumein-8° raisin, 8 planches hors texte <strong>en</strong> phototypie, broché. 12 fr.Ce livre est une étude de la vie rurale de cette partie de la Normandie quicorrespond approximativem<strong>en</strong>t au départem<strong>en</strong>t de la Seine-Inférieure et àl'arrondissem<strong>en</strong>t des Andelys.Comm<strong>en</strong>t les populations rurales se sont-elles attachées au sol qui lesnourrit? Quelle est leur origine ? Comm<strong>en</strong>t ont-elles conquis leurs champs surles forêts ou les marécages? Quel est le système de culture qui caractérisetelle ou telle région? Le laboureur doit-il compléter par l'industrie domestiquele rev<strong>en</strong>u de son domaine? Quelle est la proportion des cultivateurspropriétaires, des fermiers, des journaliers? de la grande ou de la petiteexploitation? Quelles sont la d<strong>en</strong>sité de la population, sa répartition, sa vitalité?Dans la forme de ses habitations, dans la texture de ses groupem<strong>en</strong>ts,peut-on déceler des influ<strong>en</strong>ces ethniques? Telles sont quelques-unes desquestions dont l'auteur a cherché la solution, rapprochant dans sa synthèse lestravaux des agronomes de ceux des économistes, dégageant parmi les faitssociaux ceux qui s'expliqu<strong>en</strong>t par l'action du sol et du climat, par les diversitésde la technique et de la production agricoles.Le Berry Contribution à l'étude d'une Région française, parAntoine Vacher, docteur ès lettres, chargé de cours à l'Universitéde R<strong>en</strong>nes. Un volume in-8° raisin, 48 figures et cartes, 32 photographieset 4 planches de cartes et profils hors texte, br. 15 fr.On ne sait guère d'habitude où le Berry comm<strong>en</strong>ce ni où il finit. Il <strong>en</strong> fallaitchercher les limites, montrer comm<strong>en</strong>t jadis l'homme et la nature avai<strong>en</strong>tcollaboré pour les créer ; puis comm<strong>en</strong>t, la nature laissant aux soins del'homme l'œuvre commune, ces limites s'étai<strong>en</strong>t effacées au cours des siècles,comme à l'usage les rebords d'une monnaie vieillie.De cette étude remarquable par la précision des analyses, se dégage <strong>en</strong>même temps une forte impression d'<strong>en</strong>semble : on a la s<strong>en</strong>sation de voir agirla nature sur la surface d'une des régions de notre France qui compte pourtantparmi les moins accid<strong>en</strong>tées et les plus humanisées. Cette transformationincessante du sol, résultat du travail modeste, mais quotidi<strong>en</strong> des ag<strong>en</strong>tsatmosphériques, voilà la p<strong>en</strong>sée féconde partout prés<strong>en</strong>te dans cette étudeconsacrée à l'une de nos plus intéressantes provinces.


PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES 17Le Morvan. Étude de géographie humaine, par le CapitaineLevainville. docteur de l'Université de Bordeaux. Un volumein-8° raisin, 44 figures et cartes dans le texte, 40 phototypies et4 dessins hors texte, br 10 fr.Le Morvan, qui n'eut jamais au cours de l'histoire d'unité politique, n'<strong>en</strong>est pas moins une des régions les plus individualisées de notre sol : payspauvre et d'accès difficile, il semble, comme la Bretagne, resté à l'écart dela civilisation. — Analyser <strong>en</strong> détail les caractères de ce pays, <strong>en</strong> chercherl'explication, tel est le but de l'auteur. Avec les données de la géologie,de la météorologie, de l'hydrologie, il montre de façon précise comm<strong>en</strong>ts'explique l'aspect du sol, de la végétation, des cultures; comm<strong>en</strong>t toutela vie des habitants est conditionnée par le milieu physique. C'est ainsi quel'exploitation des forêts, la mise <strong>en</strong> valeur des terres, l'industrie, le commerce,etc., sont rigoureusem<strong>en</strong>t analysés et expliqués.Le Var Supèrieur Étude de géographie physique, par JulesSion. 1n-8° raisin. 8 photogr. hors texte. Br 3 fr.La région du Var supérieur est particulièrem<strong>en</strong>t intéressante pour qui veutétudier l'œuvre des torr<strong>en</strong>ts : nulle part peut-être les défrichem<strong>en</strong>ts, l'exploitationabusive des forêts et dos pâtures, n'ont am<strong>en</strong>é une recrudesc<strong>en</strong>ce plusterrible de l'activité torr<strong>en</strong>tielle.Régions naturelles et Noms de pays. Étude sur la régionparisi<strong>en</strong>ne, par L. Gallois, professeur adjoint à l'Université deParis. Un volume in-8° carré, 8 planches hors texte, broché 8 fr.On s'accorde généralem<strong>en</strong>t à reconnaître que les divisions politiques ouadministratives ne convi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t guère à de bonnes descriptions géographiques.Si l'on veut peindre fidèlem<strong>en</strong>t la nature et r<strong>en</strong>dre compte de ses différ<strong>en</strong>tsaspects, c'est à elle-même qu'il faut emprunter ses divisions. Mais seprête-t-elle à un sectionnem<strong>en</strong>t de ce g<strong>en</strong>re? Est-il vrai, comme on l'a dit,qu'il suffirait de recueillir avec soin les noms de pays forgés par l'instinctpopulaire pour retrouver du même coup les divisions rationnelles du sol ?L'auteur a <strong>en</strong>trepris de résoudre cotte question pour une portion ét<strong>en</strong>duede notre territoire, celle qui va de Laon jusqu'à la Loire, des confins de laNormandie à ceux de la Champagne. Montrant les différ<strong>en</strong>ts aspects do cetterégion, s'attachant à <strong>en</strong> expliquer les particularités et la structure, il étudie,avec toutes les ressources de l'érudition moderne, les noms de pays qu'on acru y reconnaître.L'Afrique du Nord (Tunisie, Algérie, Maroc), par H<strong>en</strong>ri lorin.anci<strong>en</strong> professseur au lycée Carnot, de Tunis, professeur à l'Universitéde Bordeaux. Un volume in-18, 27 gravures, 3 cartes horstexte et un index, relié toile. 3 fr. 50; broché, 3 fr.Ce livre est divisé <strong>en</strong> quatre parties : esquisse géographique générale,accompagnée d'un sommaire historique ; géographie régionale, embrassant ladescription de toutes les parties de l'anci<strong>en</strong>ne Maurétanie romaine ; géographieéconomique, où sont méthodiquem<strong>en</strong>t exposés les progrès de lacolonisation ; géographie politique, où l'étude des régimes administratifs secomplète par celle du peuple néo-latin <strong>en</strong> formation dans l'Algério-Tunisie,et des conditions du Maroc contemporain.


18 LIBRAIRIE ARMAND COLINLe Peuplem<strong>en</strong>t itali<strong>en</strong> <strong>en</strong> Tunisie et <strong>en</strong> Algérie, parGaston Loth, docteur ès lettres, directeur du Collège Alaoui, àTunis. Un vol. in-8° de 500 pages, avec 36 gravures et cartes dont10 planches hors texte, broché 10 fr.« Voici le jugem<strong>en</strong>t d'un témoin impartial, d'un savant, d'un patriote,d'un Tunisi<strong>en</strong> : ce livre sera beaucoup discuté, souv<strong>en</strong>t pillé par les écrivainset discoureurs; il faut que le public sache d'avance quelle sera la sourcevéritable où les « spécialistes coloniaux » iront puiser leurs argum<strong>en</strong>ts etleurs opinions. » (Revue de Paris.)La Bosnie et l'Herzégovine. Ouvrage publié sous la directionde Louis olivier, docteur ès sci<strong>en</strong>ces, directeur de la Revuegénérale des Sci<strong>en</strong>ces. Un vol. in-8° de 370 pages, 223 gravures etcartes, broché 15 fr.Ce beau livre est dù à la collaboration de toute une pléiade de savantsfrançais : Léon Bertrand, Paul Boyer, Charles Diehl, A. Leroy-Beaulieu, DanielZolla, etc., qui, conviés par la Revue générale des Sci<strong>en</strong>ces à l'étude approfondiede la Bosnie et de l'Herzégovine, ont visité ces provinces <strong>en</strong> détail etnous prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les résultats de leurs observations. L'ouvrage est luxueusem<strong>en</strong>timprimé et rempli do photogravures et de cartes très intéressantes.La Valachie. Essai de monographie géographique, par Emm. deMortonne, professeur à l'Université de Lyon. In-8°, 5 cartes,48 figures, 12 planches hors texte, br 12 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie française.)« Étude très docum<strong>en</strong>tée où l'auteur fait ressortir l'individualité géographiquede la Valachie qui résulte aussi bi<strong>en</strong> de son relief que de son climatet de sa végétation et trouve sa manifestation dans les efforts qu'elle afaits pour se constituer <strong>en</strong> unité politique. Avec un grand tal<strong>en</strong>t, M. de Martonnea su coordonner dans un s<strong>en</strong>s géographique toutes los données qui constitu<strong>en</strong>tles traits caractéristiques de la physionomie du pays, montrant ainsique la géographie peut toucher à beaucoup des connaissances humaines sanscep<strong>en</strong>dant sortir de son vrai domaine. » (Revue de Géographie.)La Colombie Britannique. Étude sur la colonisation auCanada, par Albert Métin, professeur à l'École coloniale et àl'École des Hautes Études commerciales. Un volume in-8° raisin,20 cartes et cartons, 33 phototypies hors texte, broché. . . 12 fr« Ce livre se prés<strong>en</strong>te des l'abord au lecteur avec des référ<strong>en</strong>ces de premierordre : il est l'utilisation intellig<strong>en</strong>te, détaillée, synthétique de la collectionconsidérable do publications officielles auxquelles le problème de la colonisationa donné lieu dans la Colombie britannique, comme dans les autres paysde civilisation anglo-saxonne ; mais il est aussi le résultat des <strong>en</strong>quêtes personnellesd'un esprit qui a su voir vite et bi<strong>en</strong> et qui sait nous communiquerl'impression do la réalité vivante... Un tel livre peut être donné comme modèleaux monographies futures de « pays neufs et de colonies anglo-saxonnes ».(Revue du Mois.)


PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES19DICTIONNAIREDictionnaire-manuel-illustré de Géographie, parALBERTDEMANGEON, docteur ÈS lettres, professeur À l'Université de LILLE,avec la collaboration de MM. J. BLAYAC, Is. GALLAUD, J. SION etA. VACHER. Un volume in-18 de 870 PAGES, cartes et figures, reliétoile, tranches rouges6 fr.« Ce dictionnaire-manuel, fruit d'un labeur méthodique, original, appuyésur une éducation géographique aussi ét<strong>en</strong>due que profonde, n'a pas seulem<strong>en</strong>tla valeur d'un conseiller sûr; c'est un livre à lire. Ses mérites pédagogiquesseront vite reconnus, et — si ce n'est déjà fait — il sera bi<strong>en</strong>tôt considérépar les élèves et par les maîtres comme un ouvrage classique. Toutlecteur cultivé sera reconnaissant à M. Demangeon de lui avoir permis, siaisém<strong>en</strong>t, d'ét<strong>en</strong>dre sa curiosité et de préciser les rapports nécessaires et incessamm<strong>en</strong>tvariables qui li<strong>en</strong>t la Nature et l'Homme. »(RevuePédagogique.)ENSEIGNEMENTCours de Géographie, refondu et illustré, conforme aux Programmesde l'Enseignem<strong>en</strong>t secondaire (31 mai 1902 et 28 juillet1905), par P. VIDAI DE LA BLACHE, membre de l'Institut, professeurde géographie à l'Université de Paris, et P. CAMENAD'ALMEIDA, professeur de géographie à l'Université de Bordeaux :La Terre, l'Amérique, l'Australasie(Sixième A, B), par P. CAMENA D'AL­MEIDA. In-18, 26 cartes et figures, reliétoile 3 fr. »L'Asie, l'Insulinde, l'Afrique (CinquièmeA, B), par P. VIDAL DE LABLACHE et P. CAMENA d'ALMEIDA. In-18,98 cartes et gravures, rel. toile. 3 fr.L'Europe (Quatrième A, B), parP. CAMENA D'ALMEIDA. In-18, 81 carteset gravures, relié toile ... 3 fr. 25La France (T?'oisième A, B), parP. CAMENA D'ALMEIDA. In-18, 95 carteset gravures, relié toile . . . 3 fr. »La Terre. Géographie générale(Seconde A, B, C, D), par P. CAMENAD'ALMEIDA. In-18 de 630 pages,122 cartes et gravures, rel. toile. 4 fr. 50La France (Première A, B, C, D), parP. *VIDAL DE LA BLACHE et P. CAMENAD'ALMEIDA. In-18, 118 cartes et gravures,relié toile 3 fr. 25Les Principales Puissances du Monde(Philosophie et Mathématiques A, B),par P. CAMENA D'ALMEIDA. In-18 do446 pages. 26 cartes, plans et graphiques,relié toile 3 fr. 25« Sous des appar<strong>en</strong>ces modestes, ces précis apparaîtront tels qu'ils sont :des chefs-d'œuvre de sci<strong>en</strong>ce, d'observation et d'exposition. Ils sont remplisd'idées fécondes ; ils appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à réfléchir, à p<strong>en</strong>ser. »(L'Enseignem<strong>en</strong>t secondaire.)« Il faut tirer hors de pair et saluer comme des modèles et comme desnouveautés fécondes, les manuels que M. Vidal de la Blache a écrits <strong>en</strong> collaborationavec M. Cam<strong>en</strong>a d'Almeida. » (Revue critique.)


20 LIBRAIRIE ARMAND COLINAtlas Classique Vidal-Lablache historique et géographique,par P. Vidal de la Blache. 342 cartes et cartons <strong>en</strong> couleur ; indexalphabétique de 46000 noms. Un vol. in-folio, cart. . . . 15 fr.Avec reliure toile souple16 fr.Atlas de Géographie physique, politique, économique, géologiqueet ethnographique, par P. Vidal de la Blache. 197 cartes etcartons. Un volume in-folio, cartonné 10 fr. 5)Géographies-AtlaS, par P. Foncin, inspecteur général de l'Instructionpublique, (avec nombreuses cartes <strong>en</strong> couleur <strong>en</strong> regarddu texte, gravures <strong>en</strong> noir et <strong>en</strong> couleur dans le texte) :Géographie [Année prép.] : Coursélém<strong>en</strong>taire. Oblong, cart . . . » 75Géographie [Première année] : Coursmoy<strong>en</strong> (La France, les cinq Parties dumonde). In-4, cart 1 fr. 50Géographie : Cours supérieur et complém<strong>en</strong>taire.(La France, les cinq Partiesdu monde). In-4, cart. . 2 fr. 25Géographie : Deuxième année. Écolesprimaires supérieures et Ecoles normales(La France). Un volume in-4,cartonné 4 fr. 25Géographie : Troisième année. Écolesprimaires supérieures, Ecoles norma-LES, etc. (Les cinq Parties du monde.)Un vol. in-4, cart 6 fr. 50CARTES MURALES VIDAL-LABLACHE39 cartes double face, sur carton (1 m ,20x1 m ), tirage <strong>en</strong> couleur :1 er SÉRIE : FRANCE ET CINQ PARTIES DU MONDE.Les Cartes marquées d'un astérisque sont parlantes au recto, muettes au verso.1 Termes de géographie. 10 France. Front, du N.-E., et 10 ­­­ Contin<strong>en</strong>t bisFrance américainmilita2* France, Cours d'eau.pliysique.3* — Relief du sol. 11 Algérie et Tunisie phy­ 19* Amérique du Nord4" — Départem<strong>en</strong>ts. sique et politique. politique.5* — Villes. 12* Europe physique. 20* Amérique du Sud polit.6* — Canaux 13* — politique. 21* Océanie.7* — Chemins de fer. 14* Asie physique. 22* Planisphère.8 — Agriculture, et 8 bis 15* — politique. 23 Palestine et paysIndustrie. 1G* Afrique physique. d'Ori<strong>en</strong>t.9* — Provinces. 17* — politique.24 Paris et <strong>en</strong>virons.39 France. Géologie.2 e SÉRIE : CONTRÉES D'EUROPE.Ces Cartes sont physiques au recto, politiques au verso.25 Belgique. 29 Pays-Bas. 33 Péninsule des Balkans.26 Suisse.27 Allemagne.30 Italie.34 Russie.28 Iles Britanniques. 32 Autriche-Hongrie. 35 Grèce et Archipel.31 Espagne.3 e SÉRIE : COLONIES ET PROTECTORATS FRANÇAIS.Madagascar et 37 Afrique occid<strong>en</strong>tale et 38 Tunisie physique et30 bis Indo-Chine fran­ 37 bis Guyane, Antilles. 38 bis Tunisie politiçaise.N lle Calédonie. que.Chaque carte, double face, sur carton (1 m ,20 X 1 m ), tirage <strong>en</strong>couleur 6 fr. 50Notice pour chaque carte : in-12, cart » 40Meuble pour r<strong>en</strong>fermer toutes les cartes. 12 fr. | Appareil do susp<strong>en</strong>sion. . 2 fr.


PUBLICATIONSGÉOGRAPHIQUESi iPÉRIODIQUEAnnales de Géographie (17 eANNÉE), publiées sous la directionde P. Vidal de la Blache, L. Gallois et Emm. de Margerie,paraissant les 15 janvier, 15 mars, 15 mai, 15 juillet et 15 novembre.Les abonnés reçoiv<strong>en</strong>t gratuitem<strong>en</strong>t la Bibliographie géographiqueannuelle, qui parait le 15 septembre.Chaque année des Annales de Géographie forme un vol. in-8, br. Prix. 20 fr(La Première année est incomplète (le numéro 3 étant épuisé) ; les 6 e , 7 e , 8 e et12 e années ne sont pas v<strong>en</strong>dues séparém<strong>en</strong>t.)Première Table déc<strong>en</strong>nale des Annales de Géographie (1891-1901). In-8°, br. 4 fr.Bibliographies de 1893 à 1907 (sauf 1896, épuisée) : Chacune 10 frTABLE DES OUVRAGESPagesFrance. — Comm O. t BARRÉ.L'Architecture du sol de laFrance 11R. BLANCHARD. La Flandre. . . 15P. CAMENA D'ALMEIDA. La France(cl. de Troisième A, B) 19ALBERT DEMANGEON. La Picardieet les régions voisines 15L. GALLOIS. Régions naturelles etnoms de pays 17LEVAINVILLE. Le Morvan . . . . 17« On manquait <strong>en</strong> France de publications géographiques réellem<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifiques.Nous n'avions ri<strong>en</strong> à opposer aux bi<strong>en</strong> connues Mitieilung<strong>en</strong> dePetermann. Cette lacune a été comblée par la fondation des Annales de Géographie.La t<strong>en</strong>ue de cette revue, la sûreté des informations de sa chroniquegéographique, la variété de ses articles de géographie régionale, la sci<strong>en</strong>cede ses études do géographie générale ont assuré son succès. Il s'est trouvé<strong>en</strong> France un public pour goûter la sci<strong>en</strong>ce géographique et <strong>en</strong> compr<strong>en</strong>drel'utilité, et, à 1 étranger, les Annales de Géographie sont aujourd'hui estiméesà l'égal des Mitteilung<strong>en</strong>. » (Le Temps.)ABONNEMENT ANNUEL (de janvier)France20 fr. | Colonies et Union postale. . . 25 fr.Chaque numéro, 4 fr. — Bibliographie géographique de l'année courante, 5 fr.W. MORTON FULLERTON. Terresfrançaises 3EMM. DE MARTONNE. La Valachie. 18SION. Les Paysans de la Normandieori<strong>en</strong>tale 16VACHER. Le Berry 16P. VIDAL DE LA BLACHE et P. CA­MENA D'ALMEIDA. La France(cl. de Première A, B, C, D).. 19PagesJ VIDAL DE LA BLACHE. Le valléelorraine de la Meuse 16Europe. — VICTOR BÉRARD, LesPhénici<strong>en</strong>s et l'Odyssée . . . . 4P . CAMENA D'ALMEIDA. L'Europe 19GASTON DESCHAMPS. La Grèce d'aujourd'hui5CHARLES DIEHL. En Méditerranée. 4— Excursions archéologiques <strong>en</strong>Grèce 4JULES LEGRAS. A U Pays russe.. . 5GASTON LOTH. Le Peuplem<strong>en</strong>t itali<strong>en</strong><strong>en</strong> Tunisie et <strong>en</strong> Algérie. . 18Louis OLIVIER. La Bosnie et l'Herzégovine18M. QUILLARDET. Espagnols et Portugaischez eux 3— Suédois ET Norvégi<strong>en</strong>s CHEZ EUX. 4


22 PUBLICATIONS GEOGRAPHIQUESPagesAsie. — EUGÈNE AUBIN. LesAnglais aux Indes et <strong>en</strong> Egypte. 15— La Perse d'aujourd'hui ... 6E. HARD. Les Chinois chez eux. . 5FÉLICIEN CHALLAYE. Au Japon et <strong>en</strong>Extrême-Ori<strong>en</strong>t 6GASTON DESCHAMPS. Surles routesd'Asie 5F. GRENARD. Le Tibet 6JULES LEQRAS. En Sibérie. . . . 5Comm* Lu NETDE LAJONQUIÈRE.Le Siam et les Siamois 7G. DE LA SALLE. En Mandchourie. 6P. VIDAL DE LA BLACHE et P. CA-MENA D'ALMEIDA. L'Asie, t'ïnsu-Jinde, l'Afrique 19Afrique. — EUGÈNE AUBIN. LeMaroc d'aujourd'hui 8R. CHUDEAU. Le Sahara soudanais. 8E. F. GAUTIER. Sahara algéri<strong>en</strong>. 8II. LORIN. L'Afrique du Nord. . 17L.MALOSSE. Impressionsd'Egypte. 7PIERRE MILLE. Au Congo belge. . 7M '» DE SEGONZAC. Voyagea auMaroc 8Général TOUTÉE. Dahomé, Niger,Touareg 9— Du D a homé au Sahara 9SYLVAIN VIGNÉRAS. Une Missionfrançaise <strong>en</strong> Abyssinie 7Insulinde. — j. CHAILLEY-BERT. Java et ses habitants . . 7Amérique. — A. METIN. La Colombiebritannique. 18Table des ouvrages (suite).PagesDivers. — Annales de Géographie21P. CAMERA D'ALMEIDA. La l'erré. 19— La Tewe, l'Amérique, VAustralasie19— Les Principales puissances dumonde 19A. DEMANGEON. Dictionnairemanuel-illustréde Géographie. 19MARCEL DUBOIS et CAMILLE GUY.Album géographique^ volumes) :Aspects généraux de la Nature;— Régions tropicales ; — Régionstempérées; — Colonies françaises;— France 9P. FONCIN. Geographies-Atlas . . 20E. HAUG. Traité de géologie . . 12L. DE LÀUNAY. Géologie pratique. 12— La Sci<strong>en</strong>ce géologique 13EMM. DE MARTONNE. Traité deGéographie physique 11F. DE MONTESSUS DE BALLORE.Les Tremblem<strong>en</strong>ts de Terre. . . 14— La Sci<strong>en</strong>ce Séimologique ... 14PAUL PELET. Atlas des Coloniesfrançaises 10ED. SUESS. La Face de la Terre :3 volumes parus : Les Montagnes.— Les Mers. — La Facede la Terre (l re partie) 13P. VIDAL DE LA BLACHE. Atlasgénéral 10— Atlas classique.. 20— Atlas de Géographie physique,politique, économique, etc. ... 20— Cartes murales 20t— Nouvelle édition <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t à jour et regravée —ATLAS GÉNÉRAL VIDAL-LABLACHEHistorique et Géographique4 2 0 cartes et cartons <strong>en</strong> couleurs. — Index de 4 6 OOO noms.Un vol. in-folio, avec reliure amateur, 40 fr. ; — rel. toile. 30fr.(Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris.)


LIBRAIRIE ARMAND COLIN, rue de Mézières, 5, PARISÉTUDES SOCIALES ET ÉCONOMIQUE!PSYCHOLOGIE DES PEUPLESDemander le prospectus détaillé.Fleuves, Canaux et Cheminsde fer, par PAUL LÉON, avecune Introduction de PIERREBAUDIN. In-18, 4 planches horstexte, broché.4 fr.L'Émigration europé<strong>en</strong>ne au La Hongrie au XX esiècle, parXIX* siècle : Angleterre, Allemagne,Italie, Autriche-Hongrie,RENÉ GONNARD. In-18, br. 4fr.Russie, par R. GONNARD. Un vol. Le développem<strong>en</strong>t économiquein-18, broché. . . . 3 fr. 50 de la Russie, par J. M ACHAT.In-18, 4 cartes, br. . . . 4 fr.Essai d'une Psychologie politiquedu Peuple anglais au L'Empire Russe et le Tsarisme,XIX° siècle, par EMILE BOUTMY.In-18 (3 e édit.), br. . . . 4 fr.par VICTOR BÉRARD. In-18,L'Angleterre et l'Impérialisme,par VICTOR BÉRARD. Un vol.in-18, une carte <strong>en</strong> couleur horstexte (2° éd.), broché . . 4 fr.[Ouvrage couronné par l'Académie française.)Hambourg et l'Allemagne contemporaine,par PAUL DE Rou-SIERS. In-18, broché. 3 fr. 50La Belgique morale et politique(1830-1900), par MAURICEWiLMOTTE.In-18, br 3 fr. 50La Suisse au XX esiècle. Étudeéconomique et sociale, parL'Or dans le monde (Géologie, P. CLERGET. In-18, br. 3 fr. 50Extraction, Economie politique),Notes sur l'Italie contemporaine,par PAUL Ghio. Un vol.par L. DE LAUNAY. Un vol.in-18, broché. . . . 3 fr. 50in-18, broché3 fr.400 pages, I carte <strong>en</strong> couleurhors texte (2 eédit.) br. . 4 fr.Le Sultan, l'Islam et les Puissances,par VICTOR BÉRARD.In-18, broché4 fr.La France <strong>en</strong> Afrique, par leC T ED. FERRY. Un vol. in-18,broché 3 fr. 50L'Affaire Marocaine, par VICTORBÉRARD. In-18, 470 pagesLes Anglais aux Indes et <strong>en</strong>(2 e édit.), broché. . . . 4 fr.Egypte, par EUGÈNE AUBIN.In-18 (3 e édit.), br. . 3 fr. 50 La Révolution Turque, par VIC­(Ouvrage couronné par l'Académie française.) TOR BÉRARD. In-18. br. . 4 fr.L'Impérialisme allemand, par Les Musulmans français duMAURICE LAIR. In-18, br. 3 fr. 50 nord de l'Afrique, par ISMAËL[Ouvrage couronné par l'Académie françaiie.) HAMET. Un vol. in-18, 2 cartes,broché 3 fr. 50L'Expansion allemande horsd'Europe (Etats-Unis, Brésil, La Production du coton <strong>en</strong>Chantoung, Afrique du Sud), par Égypte, par FRANÇOIS CHARLES-E. TONNELAT. In-18, br. 3 fr.50 Roux. In-8, br.. . . 7 fr. 50


LIBRAIRIE ARMAND COLIN, rue de Mézières, 5, PARISÉTUDES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES (tuile)La Rivalité Anglo-Russe, auXX e siècle, <strong>en</strong> Asie (Golfe Persique— Frontières de l'Inde), parle D R ROUIRE, In-18, carte horstexte, broché 3 fr. 59L'Inde d'aujourd'hui. Étudesociale, par ALBERT MÉTIN.In-18, broché . . . . 3 fr.50La Révolte de l'Asie, par VICTORBÉRARD. In-18, 440 pages(2 e édit.), broché. . . . 4 fr.Chine anci<strong>en</strong>ne et nouvelle.Impressions et réflexions, parG. WEULERSSE. In-18, br. 4 fr.La Chine novatrice et guerrière,par le Commandant d'OL-LONE. In-18, br. . . 3 fr. 50(Ouvrage couronné par i'Academie française.)Le Japon d'aujourd'hui. Étudessociales, par G. WEULERSSE.In-18(4 e édit.),br 4fr.(Ouvrage couronné pur l'Académie française.)Le Japon politique, économiqueet social, par HENRIDUMOLARD. In-18, br. . 4 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie française.)Paix Japonaise, par LouisAUBERT. Un volume in-18 Jésusbroché 3 fr. 50Américains et Japonais, parLouis AUBERT. In-18, I cartehors texte, broché.... 4 fr.Les États-Unis au XX esiècle,par PIERRE LEROY-BEAULIEU.In-18, 4.80 pages (2° édition),broché4 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie des Sci<strong>en</strong>cesmorales et politiques.)Aux États-Unis (Les Champs.— Les Affaires. — Les Idées), parle VicomteG. d'AVENEL. Un volumein-18, broché 3 fr. 50Les États-Unis, puissance mondiale,par ARCHIBALD CARY COO-LIDGE (Traduction de ROBERTL. CRU). Préface par ANATOLELEROY-BEAULIEU. In-18, br. 4 fr.Élém<strong>en</strong>ts d'une Psychologiepolitique du Peuple américain,par ÉMILE BOUTMY. In-18,(2 e édit.), broché. . . . 4 fr.La Religion dans la Sociétéaux États-Unis, par HENRYBARGY. In-18, br. . . 3fr. 50L'Idéal américain, par TH. ROO­SEVELT, traduit par A. et E. DEROUSIERS. Préface par PAUL DEROUSIERS. Un volume in-18(3 E édition), broché . 3 fr. 50Le Canada, les deux races, parANDRÉ SIEGFRIED. In-18 de 420pages, broché 4 fr.Le Brésil au XX esiècle, parPIERREDENIS.IN-18, BR. 3 fr. 50L'Arg<strong>en</strong>tine au XX e siècle, parA.-B. MARTINEZ et M. LEWAN-DOWSKi. Introduct. par CH.PELLE­GRINI. In-18, 470 pages (2° édition),2 cartes, br. . . . 5 fr.La Démocratie <strong>en</strong> Nouvelle-Zélande, par ANDRÉ SIEGFRIED.In-18, I carte <strong>en</strong> couleur horstexte, broché4 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie française.)Les nouvelles Sociétés anglosaxonnes (Australie et Nouvelle-Zèlande, Afrique du Sud), parPIERRE LEROY-BEAULiEU. Un vol.in-18, broché 4 fr.(Ouvrage couronné par l'Académie françaiseet par l'Académie des Sci<strong>en</strong>ces morales etpolitiques.)1687-08. — Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD. — 2-09.


Librairie Armand Colin, rue de Mézières, 5, PARIS.Les États-Unis au XX e Siècle, par PIERRE LEROY-BEAULIEU. Un -volume in-18, de 480 pages (3° Édition),broché 4 »(Couronné par l'Académie des Sci<strong>en</strong>ces morales etpolitiques).Aux États-Unis (Les Champs — Les Affaires — LesIdées), par le V TE G. D'AVENEL. Un vol. in-18, br. 3 50Le Canada, les deux races (Problèmes politiques comtemporains),par ANDRÉ SIEGFRIED. Un volume in-18,420 pages (2 E Édition), broché 4 - »La Colombie Britannique. Étude sur la colonisationau Canada, par ALBERT MÉTIN, professeur à l'École colonialeet à l'École des Hautes Études commerciales. Unvol. in-8° raisin, 20 cartes et cartons, 33 phototypies horstexte, broché 12 »Le Brésil au XX eSiècle, par PIERRE DENIS. Un volumein-18 (2 E Édition), broché 3 50L'Arg<strong>en</strong>tine au XX esiècle, par ALBERT B. MARTINEZ,anci<strong>en</strong> sous-secrétaire d'État au Ministère des Finances dela République Arg<strong>en</strong>tine et MAURICE LEWANDOWSKI, docteur<strong>en</strong> droit. Introduction par CH. PELLEGRINI, anci<strong>en</strong> Présid<strong>en</strong>tde la République Arg<strong>en</strong>tine. Préface d'ÉMILE LEVASSEUR.(3 E Edition <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t refondue et mise à jour).Un vol. in-18, 500 pages, 2 cartes hors texte, br. 5 »Java et ses habitants, par M. J. CHAILLEY-BERT. Unvolume in-18 (3 E Edition), broché 4 »Au Japon et <strong>en</strong> Extrême-Ori<strong>en</strong>t,Un volume in-18, brochépar5805. — Paris. — Imp. H<strong>en</strong>.merlé et C ie . (2-10).

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