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CRISTALLINE BOISNOIR - Manioc

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THÉRÈSE HERPIN<strong>CRISTALLINE</strong><strong>BOISNOIR</strong>ouLes Dangers du Bal LoulouPARIS LIBRAIRIE PLON5e édition


<strong>CRISTALLINE</strong><strong>BOISNOIR</strong>ouLES DANGERS DU BAL LOULOU


DU MÊME AUTEURAPARAITRELa Ville sur le roc. Roman.Le Coup de bambou. Roman.Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale on 1929.


THÉRÈSE HERPIN<strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>ouLES DANGERS DU BAL LOULOU« ça qui meilleu, ça qui plus doux »,« Miel-coufitu et puis vèsou« C'est l'amou, l'amou... »(Chanson créole.)PARISL I B R A I R I E P L O NLES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRITIMPRIMEURS - ÉDITEURS — 8, RUE GARANGIÈRE, 6°Tous droits réservés


Copyright 1929 by Librairie Plon.Droits de reproduction et de traduction réservéspour tous pays, y compris l'U. R. S. S.


AMON MARISa compagne de route.


PREMIÈRE PARTIEFORT-DE-FRANCE1


ILa campagne tropicale déroule, à pertede vue, ses grandes houles vertes. De lamer aux montagnes, c'est une immenseondulation, un perpétuel murmure. Uneallégresse agile glisse dans l'air léger. La4terre chante : les bambous frissonnent ;les lataniers agitent leurs palmes ; lessources s'appellent. Au bord de la ravine,la rivière roucoule et froisse en se sauvantla soie lustrée des roseaux.Là-haut, le soleil flambe, mais l'ombres'est amassée sous les feuilles et l'herbegrasse n'a pas perdu la rosée du matin.Penchées sur l'eau, les filles de la Martiniquebarbottent, bavardent, fredonnent.Ce sont les lavandières. Leur chair est8


4 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>dorée comme la mangue ou brune commela cannelle. Sur leur chevelure, en moussecrêpue, un madras est planté de guingois.Leurs goles à ramages s'entre-bâillentpour que le vent tiède se coule entre leursépaules. Jambes nues, cotillons troussés,elles incarnent la fraîcheur sylvestre, toutela belle fougue végétale, saine et fruste.Floc ! Floc ! A coups vigoureux, Chimène,pareille à un cocotier flexible, Dodo,si ronde, qu'elle semble un gros potiron,fessent le linge rudement sur les pierres.Cristalline Boisnoir, la mulâtresse, penseà ses galants. Lise, chenue, rabâche deshistoires. Elle allonge un cou plissé detortue molocoye et narre dans son patois :— Ouaï ! mes z'amies, écoutez ce qu'ilest advenu à Mme Palmyre...On s'arrête. Il y a temps pour tout.Lise reprend :— Le dernier-né de Mme Palmyre esttrépassé du mal-mâchoire sans avoir été


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 5baptisé. Il s'est montré, tout crotté parle péché, devant le bon Dieu qui lui a ditcomme ça : « Çà qui faire là, mon enfant?J'aime les anges bien débarbouillés... Vàt'enplus loin, pauv' ti saligaud. » Et il l'aenvoyé rouler jusque chez le diable, quia brûlé son âme au-dessus d'une chandelle.Dodo, optimiste, conclut :— C'est pas calalou (1), c'est pas fruità-painqui gonfle le mieux le ventre desjeunes personnes. Mme Palmyre sécherases yeux et fera un autre mamaille (2) pourse dédommager. C'est z'affaires qu'on recommenceen ménage.— C'est z'affaires qu'on gagne plus viteque les sous, soupire Chimène, moin saveça ! Les hommes sont friands de caresseset enjôleurs, et traîtres, toujours prêts à(1) Plat composé de crabes, de gombeaux, de feuillede siguine, d'un morceau de lard ou de jambon.(2) Enfant.


6 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>vous rendre un tourment pour un baiser.Ça vrai !...Cristalline riposte, en tapant très fortun drap sur les rochers.— Eh ! là, ma mie, tu es trop caponneaujourd'hui. Quoi c'est donc qui resteraaux tites négresses si elles n'ont plus labagatelle pour s'amuser?Et elle chantonne entre deux éclats derire :Madame France à son amantBaille son cœu pou de l'agent,Tandis doudou la Martinique,Si ka fait ça, c'est pou l'amou.Longtemps, tendre et vague, elle répète,en mirant son visage :Pou l'amou, pou l'amou...A force de jaser, les heures tournent.Déjà, le soleil couchant saigne sur les volcanséteints. Le linge mouillé déborde destrays (1). Avant de regagner la ville, les(1) Plateaux de bois.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 7lavandières se baignent. Elles sont là,bien seules, et retrouvent sans témoin leurenfance malicieuse. Lise arrose sa poitrineblette. Dodo courbe son échine doduepour que Chimène fasse gicler l'eau vive.Cristalline a enlevé sa chemise. Elle seroule dans la rivière qui la délasse. Elleest contente.Tout près, à l'abri d'un buisson de campêche,un étranger la regarde. C'est unblanc. Il a retiré son casque, il a chaud ets'essuie le front avec son mouchoir ensoufflant bruyamment. Peut-être, enviet-illa mulâtresse de n'être rien du tout,qu'un simple animal en liberté. L'inconnuse tient coi ; il a peur de bouger. Heureusement,Lise s'aperçoit de ses manigances,et la voilà tout à fait fâchée. Elle prend savoix de perruche en colère pour traiterl'importun de macaque sans considération,de polisson effronté et de toutes sortesde noms d'animaux domestiques.


8 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Dodo s'échappe réfugier ses rotonditéssous les balisiers. Chimène pousse des crisd'honnête femme. Mais Cristalline rampeen couleuvre à travers les roseaux. Lebuste à demi dressé, pareille à une mauvaisepaïenne, elle s'écrie :— Ah çà ! vous ne voyez jamais dejolies filles par chez vous pour nous espionnerde la sorte?Et elle rit, en abritant très mal sesdeux seins. Le promeneur rougit et s'excuse: « Pardon, mamzelle !... » Il s'enretourne en prenant des mines offusquées.En vérité, ce garçon a tout à fait la dignitéun peu nigaude d'un très jeune Mon Pèredu séminaire.Cristalline, en remettant sa gole, confieà Lise pour l'amadouer :— Je le connais. C'est un fatras-blanc.Il a débarqué par le dernier courrier deSaint-Nazaire et travaille dans les écrituresau comptoir de Pierre Desmasières,


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 9le moune-gras (1) qui vend du rhum etdes fournitures aux navires dans une boutiquedu Bord-de-Mer.Elle charge son tray sur son chignon etressasse jusqu'à sa cabane sa rengainefavorite :Pou l'amou, pou l'amou...Le fatras-blancrevient sans se presserà Fort-de-France. Il sifflote, mâche unefleur. Il apprend la joie de vivre. Et c'estpourquoi, sans doute, il conserve danstoute sa personne le maintien hésitant d'untimide, qui voudrait bien s'apprivoiser.Yves Plesguen ne porte pas ses vingtcinqans. Sa haute taille se voûte un peu ;il est très blond, très mince. Ses yeux bleus(1) Personne riche.


10 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>ont un éclat froid. Son nez droit, ses lèvresétroites donnent à sa physionomie unerégularité banale que la maturité dissipera.Alors, on s'apercevra du relief secde ses traits et de la volonté de sonmenton.Yves garde le reflet de son enfance étriquéede fils de veuve, élevé dans une médiocritédigne. Il a connu trop de journéesengourdies de lenteur dans un collègesuranné, trop de dimanches bourdonnantsde cloches, à Vannes, sa ville bretonne, sidormante, si séculaire qu'elle semble entasserdans ses rues étroites l'ennui résignédes générations éteintes.Quand sa mère l'emmenait en visitechez ses tantes, des vieilles ratatinées, quitricotaient dans leur salon, Yves s'évadaitdes conversations en rêvant. Toutessortes de choses lui parlaient à l'oreille,des choses du passé, plus vivantes que lesfalotes descendantes de ces familles usées.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 11Des gravures représentant des pirogueset des cocotiers jaunissaient au-dessusd'une cheminée. Dans une vitrine, pêlemêleavec des longues-vues et des poignardsd'argent, reposaient les coffrets depaille, les colliers, les larges éventails enfibre d'aloès. Ses défunts grands-pères, lescapitaines de la Pomone et de la Danaé,les avaient rapportés sur leurs frégates del'archipel Caraïbe. Et les marins, souriantdans leurs cadres, chuchotaient à l'adolescent:— Va-t'en, mon gas ! N'écoute pas lesdévotes qui radotent. Va-t'en ! Là-bas, lesrivages jaillissent de la mer comme desbouquets et les métisses passionnées attendentles voyageurs dans leurs casesenfouies sous les palmeraies.Le jeune homme a répondu aux appelslointains. Dans les provinces, les mortsqui ont rempli leur destinée conserventleur prestige des cent et cent ans. On se


12 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>raconte leurs aventures pour se consolerde n'en point avoir, ou bien on s'en va,poussé aux épaules par d'obscures nostalgiesvenues du fond des âges, du fonddes races.C'est toute l'histoire de Plesguen. Unjour, ses aïeules l'ont regardé partir à laconquête des îles où toute la jeunesse dumonde s'est réfugiée. Et les seuils se sontrefermés sur les semaines grises.Yves ne s'est même pas aperçu qu'ilrecommençait une mesquine existence dechef comptable, chez Pierre Desmasières,le créole orgueilleux de ses plantations, deson rhum, de ses bateaux. La nature exotiquea ensorcelé le Breton d'un coup. Ellel'a saoulé d'effluves, gorgé d'épices.Ce soir, en rentrant à l'hôtel Lèdiat,Yves éprouve le besoin de proclamer sonenchantement. Après le potage, pour éviterles considérations fastidieuses sur lacuisine au piment, il fait le panégyrique


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 13de la colonie à ses compagnons. Ils sonttrois : Francis Barcasse, de Toulon, lecommandant d'un cargo poussif qui navigueentre Marie-Galante et la Barbade,Georges Durand, professeur de mathématiquesau lycée, Jean Labaussaye, lieutenantde gendarmerie. Ce sont des garçonsefflanqués, qui fument, les coudes surla table, en dégrafant le col de leurs blancs.Ils n'ont pas bonne mine : le teint citron,la démarche lente, le cheveu rare. A cinqheures, ils prennent le punch et des cocktails,à tous les repas, de l'eau minérale etdes comprimés de quinine.Yves ne voit pas la vaisselle ébréchée,non plus le cafard qui gigote dans le siropde canne ; il évoque ses découvertes : unsentier qui grimpe entre deux précipices,une lavandière qui joue les naïades, desrues bariolées à la façon d'images d'Epinal.Jean Labaussaye ricane.


14 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>,Francis Barcasse se verse une rasadesans répondre.Georges Durand ronchonne entre sesdents :— Tout ça, c'est de la littérature !Le phonographe nasille une opéretted'avant-hier. Une buée épaisse envahit lasalle. Ça sent la pipe, le kari et l'eau grasse.Un marmiton glapit à la cantonade,bourré de coups de poing par le cuisinier.Yves se tait. Il commence à comprendrequ'il ne suffit pas, en pays noir, d'avoirla même couleur de peau pour se targuerd'idées communes. La dernière bouchéeavalée, il se dérobe sur la savane. GeorgesDurand le rejoint. Tous deux grillent descigarettes, à demi couchés sur un banc.L'orage monte. Les cargos mouillés surrade découpent leurs silhouettes immobiles.D'énormes nuages d'Apocalypserasent l'horizon. Tout de même conquis


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 15par la beauté nocturne, Georges Durandfinit par avouer :— C'est peut-être vous qui avez raison.Oui, Labaussaye et Barcasse ont tort deméconnaître la Martinique. C'est un coindélicieux des Antilles. Seulement, voyezvous,mon bon, nous ne pouvons plus goûtercertains enthousiasmes. Nous sommesfatigués, mal fichus ; nous avons le coupde bambou... C'est une maladie ! Elle estquelquefois grave, presque toujours contagieuse.On l'attrape un peu partout dansles patelins qui ne sont pas les nôtres : auMaroc, dans le bled, à Saïgon, devant larizière. Le soleil tape parfois trop fort surnotre cerveau, il en reste fêlé du choc, etquelque chose de notre raison s'échappepar cette fêlure-là. Voulez-vous desexemples de coup de bambou? Tenez, ily a Barcasse. Sous l'empire du mal mystérieux,il s'est rendu sur la savane quevoici, son violon sous le bras. Il avait


16 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>envie de saugrenu. Il a choisi deux damespudibondes et remarquablement inoffensivespour leur jouer des sérénades en roulantdes yeux de Napolitain... Et, sur unemusique italienne, Barcasse a trouvémoyen de dégoiser des couplets maritimescapables de suffoquer un gabier. Ila fait scandale. Ça l'a réjoui pendant unmois. Labaussaye s'est encanaillé avecune sang-mêlé. Il habite avec elle et sonbâtard, un pauvre marmot café au lait,dans le quartier nègre de la ville. LorsqueLabaussaye a son coup de bambou, ils'.affuble d'une robe en percale, se coucheà l'ombre d'une tonnelle et rédige sontestament. C'est sa principale distraction.Georges Durand achève, désabusé :— Ce qui me dégoûte, c'est que je finispar ressembler à tous ces types-là.— Mariez-vous !— Dans six mois, Plesguen, vous verrezqu'il n'est pas facile de trouver une


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 17femme par ici. Nous ne connaissons pasles familles martiniquaises. Les planteurs,après avoir réalisé de solides fortunes dansles distilleries, préfèrent donner leurs héritièresà des compatriotes pourvus de cultureset de barriques de rhum. Noussommes divisés en trois groupes rivaux :la société créole, la société des fonctionnaireseuropéens et celle des gens de couleur.Total : trois murs à franchir, troiscauses de discorde, trois opinions politiques...Ce n'est point gai ! Les habitantsdes Iles n'ont plus besoin de nous. Ilsnous considèrent en parasites ou en fâcheux.Les cocasseries de nos collègues,atteints du coup de bambou, achèvent denous mettre à l'écart. Le créole nous dédaigneet le nègre nous jalouse. Vous,moi, Barcasse et les autres, nous ne sommesrien que des fairas-hlancs. C'est-à-direles remplaçants de ces malheureux bougresqui s'en venaient, jadis, tenter leur chance2


18 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>aux Amériques, sans un sol vaillant. Parfoisils réussissaient ; parfois aussi on lesclouait entre quatre planches, la fièvrejaune, le paludisme ou quelque sale blaguedu même style ayant étouffé sans phrasesleur outrecuidance.Très tard, en s'agitant sur son matelasdurement rembourré de coton, Yves réfléchitaux propos décevants de son camarade.Dans sa chambre, les ravets dansentleur sarabande, des moustiques sifflent.L'ondée qui crépite sur les manguiersn'allège pas l'atmosphère moite.Les yeux clos, la bouche amère, Yvessombre dans le vide. Il songe qu'il poursuitune fille dorée que la rivière emporte.La fille lui jette son cœur, et le cœurglisse entre ses doigts, comme un peud'eau.


IICristalline Boisnoir est assise à sa porte.Elle habite à mi-hauteur de la route Bellevue.On prend, pour aller chez elle, lepont Geydon qui traverse la rivière Madame,si jaune pour son entrée en ville.La cabane de la jeune fille est toute basse,à l'abri d'un filao. Les tuiles rouges dutoit sont verdies par la mousse. Les muraillesde terre sont bosselées, craquelées,comme les parois d'une marmite qui abeaucoup servi. Devant les fenêtres, il y aun massif de marguerites de foulard. Toutprès, à travers les branches, la mer Caraïbeétale sa grande nappe lisse.Le crépuscule tombe en pluie de cendre.Les cases sont des points lumineux accro­19


20 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>chés au chemin. C'est l'heure équivoque.Les ombres font des flaques mouvantesdans les clairières. Les bêtes perduessortent des bois.Cristalline laisse longtemps mijoter lasoupe-z'herbages dans le canari (1). Lesmains inertes, elle organise tout doucementson avenir dans sa tête. Elle seratrès heureuse parce qu'elle est jolie. Sesyeux sont deux tisons qui brûlent. Sabouche est vernie, charnue, une vraiecerise-tropique; sa taille souple attendqu'on l'étreigne. Il faut à Cristalline unamoureux de qualité. Lequel? Elle nesait pas. Peut-être, un lieutenant béket (2),qui l'emportera au galop de son chevaldans une ajoupa inconnue, cachée sousles frangipaniers. Peut-être un gros bonhomme,qui aura une chaîne d'or sursa bedaine et lui achètera une graisse-(1) Marmite.(2) Individu de race blanche.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 21rie (1) peinte en rose vif... Elle vendrades tas de goyaves, des z'andouilles-Lamentinet toutes sortes de bonnes chosespour la satisfaction des gueules douces (2).Simple et confiante devant son logis,elle pressent l'aventure prochaine. C'estsans doute parce qu'elle a deviné son approcheque la mulâtresse ne se décidepoint à prendre pour époux son cousin,Popo Adilas, un neg'-z'habitant (3) quivoudrait bien l'emmener dans son villageoù toutes les maisons sont penchéesles unes sur les autres pour surprendre lessecrets de leur voisine.Cristalline est fière d'inspirer une passionrespectueuse à un homme sérieux,qui parle presque aussi bien qu'un instituteur.Mais elle n'est pas pressée de mettre,selon l'usage des fiancées consentantes, le(1) Épicerie.(2) Personnes gourmandes.(3) Nègre paysan.


22 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>balai et les pantoufles devant le seuil desa maison. Toutes ses amies connaissentles missives de son soupirant. Celle qu'onadmire sans réserve ressemble aux prièresde la messe et à une romance. Cristallinepourrait la réciter sans se tromper, cela nel'empêche pas de la tirer de sa poche etde relire, lentement, les passages les plustouchants :ChèreIdole,Si j'étais oiseau, je volerais à ta croiséepour te raconter mon tourment, fontaineque ai bue dès l'aurore du matin, territoiredu Dieu puissant! Tu infliges à mapatience l'épreuve la plus cruelle. Tu meplonges dans la végétation. Tu m'obligeschaque semaine à te peinturer mes sentimentssur une feuille, tu te détournes demoi! Je suis pour toi, même chose fourmifolle,même chose moustique, même pauvrebestiole qu'on écrase en passant !...


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 23Ah! cher ange, ingrate créature, je tefais savoir par mon honorée tout ce que monâme possède pour toi. Veux-tu savoir lafaçon dont je t'adore? J'ai sur le cœur unebarrique pleine d'amitié pour toi...C'est bien lourd pour les épaules deCristalline, une barrique d'amitié, si lourdqu'elle n'ose pas s'en charger. Elle a vingtans. Elle aime les parfums forts, les bijoux,les foulards. Quand elle va porter le lingeà ses clients célibataires, elle s'attarde auprèsd'eux. Les officiers en garnison luidébitent des gaudrioles et lui donnent desclaques retentissantes sur le bas du dos.C'est leur manière d'être polis avec lesmamzelles en madras. La jeune fille n'aplus personne pour l'empêcher d'être unpeu folle de sa jeunesse. Elle en profite àtort et à travers. C'est la faute de sonpays ! Les gueux n'arrivent pas à croirequ'ils ont de la misère. Ils naissent dans


24 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>un paradis terrestre. Ils n'ont jamais froid,jamais faim. Ils ont toujours du fruit-àpainet des bananes-cochon à manger.Alors, malgré leurs guenilles, ils se mettentà imiter les bourgeois.Cristalline a sucé la coquetterie avecsa bouillie de toloman. Lorsqu'elle n'étaitqu'un poupon repu qui gazouillait dansl'herbe, elle arborait déjà un collier degraines Jacob. C'était son uniquecostume.Sa grand'mère, la blanchisseuse,évitait ainsi des raccommodages. Maiselle ne manquait pas de gémir avec lescommères d'être obligée de subvenir auxbesoins d'une mamaille privée de ses parents.Tous deux avaient trépassé brutalement,en quelques heures, dans uneépidémie de verette-poufcomme grêle les petites gens.(1) qui fauchaA sept ans, Cristalline est allée chez(1) Epidémie de petite vérole dont l'évolution est trèsrapide.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 25les sœurs, s'initier aux manières du monde.Le soir, son aïeule la prenait sur ses genouxafin de lui apprendre le catéchismedans un manuel tout usé, que les FrèresPrêcheurs avaient composé, jadis, pourapprendre la religion aux esclaves.— Quoi c'est ça, tite bigoule moin (1),la paresse le plus vilain de tous lesvices?— La, paresse, c'est mounes (2) ka vouloirmanger farine, ka pas vouloirmanioc.planter— Et quoi c'est ça, encore, la luxure,péchécapital?— Luxure, toute fantaisie pas propre.La leçon terminée, la bonne femmeajoutait quelques réflexions de son cru,accompagnées de phrases pompeuses, glanéesau sermon, où il était question de lavallée d'alarmes, des saloperies du siècle(1) Ma mignonne.(2) Personnes.


26 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>et des mauvaises langues plus venimeusesque les piqûres des serpents...Avant de partir dormir dans le cimetièresdes pauvres, la vieille négresse apris sa petite-fille par le cou, et, tout bas,elle a murmuré :— Adieu, ma chè ! Ne baille point toncorps par inadvertance.Cristalline a pleuré, et puis la vie arepris. Les chagrins sont semblables auxchauves-souris ; ils ont peur du grandsoleil des Antilles.La mulâtresse est née pour la joie.Après avoir avalé son écuelle de soupezherbages,elle devrait se reposer jusqu'aumatin. C'est impossible. Elle ne peut pasrester seule à regarder la nuit ; elle n'aimepas se coucher de bonne heure. Les alizéseffeuillent trop de douceur dans l'air.Cela flotte dans le parfum de la vanille etdu jasmin d'Espagne. Cela vient on ne saitd'où. C'est un frisson qui s'élève de la


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 27ville assoupie et gagne les bourgades perduesdans les montagnes. Un appel troublela paix nocturne. La terre, mystérieusement,tressaille. Des pas résonnent surles routes, les échos se répondent. C'estl'heure du plaisir qui sonne.D'un carrefour obscur monte le battementsourd d'un tam-tam. Le trémolo d'uneguitare s'élance d'une fenêtre ouverte. Lesmandolines égrènent des mots d'amour. Laritournelle d'un accordéon s'envole.L'âme des Iles rôde.C'est une âme lointaine où tremble lesouvenir des dieux millénaires. Leur soufflese mêle aux musiques complices et secoule, tel un philtre, dans les veines desjeunes gens.Jusqu'à l'aube, le tam-tam réveillerales ardeurs africaines et les couples haletantss'enlaceront dans les bamboulas.Devant son miroir, Cristalline Boisnoirs'apprête pour la danse.


IIIAh ! leur tam-tam, leur maudit tam-tamdu samedi, il ne cessera donc jamais, gémitLabaussaye qui promène sa fièvre et samauvaise humeur au café.La partie de cartes languit. Yves penseà je ne sais quoi, sans doute à de brunesporteuses de gargoulettes, ou bien à descréoles très blanches, entrevues au hasardd'une flânerie. Barcasse sifflote, ragaillardipar un récent voyage à bord de soncargo charbonneux. Le marin a oubliésa maladie de foie. Sa barbe faunesquefrémit, son œil noir brille sous la brousserude des sourcils. Le poker lui sembleparfaitement insipide. Il faut inventerquelque chose.29


30 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Labaussaye, mon garçon, vous allezrentrer chez vous. Vous boirez une tassede tisane de corossol pour calmer vosnerfs, et vous vous reposerez en songeantà votre famille. Quant à nous, pour obéirà l'invite de ce maudit tam-tam, commevous dites, nous irons au bal Loulou.C'est à voir. Plesguen ignore les fastes duPetit-Casino.— Alors, je ne vous retiens pas. LesMartiniquaises seront folles du béket-neuf.Elles aiment les yeux bleus et les cheveuxblonds par esprit de contradiction, ajouteLabaussaye en prenant congé.Grelottant dans la nuit molle et toutvoûté de fatigue, il s'enfonce dans lesallées de la Savane, cependant qu'Yveset Barcasse déambulent sur la Levée.C'est une route pauvre et plate bordée decases basses dont les murailles sont rapiéciées,tant bien que mal, avec des couverclesde boîtes de conserves. Des gosses


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 31font nager dans le ruisseau une flottille decalebasses. Le cochon noir quête sa vieparmi les détritus. Les vieilles fument leurcourte pipe. Des nègres passent, empêtrésdans leur redingote de gala. Des filles sehâtent, troussant leur jupon. Des bandesde soldats font sonner leurs godillots. Toutce monde s'achemine rue des Amours. Larue des Amours n'a pas très bonne réputation.Elle mène droit au Petit-Casino,une baraque en planches où se réunissentchaque semaine les habitués du bal Loulou.Devant les fenêtres violemment illuminées,les dévotes se détournent, crachentde mépris, et s'écrient :— Bal Loulou, ti ni bal Satan!Oui, mais Satan est malin. Il ne semontre pas. Quand on franchit son antre,on découvre tout bonnement un abri rudimentaire,qui ouvre sur une cour obscurepropice aux idylles.Les deux hommes ne s'attardent guère


32 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>à déguster le punch glacé. Déjà, au vestiaire,les mamzelles en rang devant lesbaquets d'eau, rafraîchissent leurs piedssouillés par la poussière des routes avantde chausser leurs bottines à tige de drapclair. Les élégantes du Petit-Casino sontéconomes ; elles mettent leurs souliersjuste pour danser. Barcasse a retrouvé saverve de Méridional. Il chiffonne le mentonde l'une, glisse une feuille verte de patchoulidans le corsage de l'autre, et pousseson compagnon jusqu'au dancing du premierétage.C'est une volière et c'est une guinguette.C'est quelque chose de naïf et de cérémonieux.C'est le bal Loulou, le rendez-vousde la négraille où s'ébrouent en liberté lescharbonnières de la Compagnie Transatlantique,des gaillardes qui lampent unlitre de grappe-blanche sans sourciller, lesdoudous qui ont jeté leur madras pardessusles moulins, les Martiniquais de


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 33toutes les nuances de peau, depuis le neg'-Guinée, pesante bête de somme, jusqu'auchabin (1) à la crinière d'étoupe. Desmatelots en bordée dérivent dans la houlechatoyante, des coloniaux, férus de couleurlocale, étourdissent leur cafard, lagorge sèche et l'insulte aux dents.Barcasse et Yves s'installent sur unebanquette entre une luronne qui croquedes pistaches et une négresse décrépite,une personnalité de la rue des Amours.Mme Fifi Massieux porte de somptueuxbijoux, gagnés, jadis, Dieu sait comment :des bagues, des esclavages, des z'anneauxclous.Son visage est racorni comme uneracine d'igname. Elle tutoie les débardeurset répète les propos des chefs degarnison. Lorsqu'un croiseur mouille aucarènage, Mme Fifi Massieux fait le guetsur le wharf, prête à chuchoter des rensei-(1) Mulâtre blond.3


34 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>gnements confidentiels aux nouveaux-venus.On lui tire des coups de chapeau trèscourtois et très ironiques. Elle répond pardes courbettes de grand style. Quand ellevous importune, on peut la renvoyer d'unjuron ou d'un coup de pied. Cela n'a pasd'importance, ce n'est rien qu'un vieuxfétiche pervers, moitié femme, moitiéguenon.Mme Fifi Massieux cherche un sujetde conversation. Elle a trouvé. Elle seplaint de la vie chère.— Ça bien décourageant, chés missiés,le temps présent ! Au marché, les poissonscoulirous valent huit sous la livre,et le cylcone passé a crevé tant de toituresque les tites filles sont au bord de laterre (1). Pas ni beaux z'habits, pas nilotions liotrope, pas ni en rien z'agrèmentspour les jeunes personnes bien élevées.(1) Dans la misère.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 35Elle découvre ses gencives ébréchées etgrimace pudiquement :— L'honnêteté, ça ka fout le camp,chès missiés. Ça fond, ça coule, pareillela fleur giraumont... Toutes les mamzellesque voilà, y cassent-coco, les pauvres bougresses,sans avoir seulement perdu leursdents de lait.Du doigt, elle désigne les danseuses :Lise la couturière, Sylvanie la brodeuse,Exila, Polèmie, Loulouse, Athénaïs la cuisinièredes gendarmes, Estelle et Toutoune.Yves, amusé, reconnaît la mulâtressequi se baignait dans la rivière.— Et celle-ci, madame Fifi, commentse nomme-t-elle?— Celle-ci, c'est Cristalline Boisnoir, unoiseau-colibri qui voltige tout partoutsans se poser.Dominant le tumulte de sa voix pointue,elle appelle :


36 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Cristalline, ma cocotte, venez causerpar là.Cristalline ne l'entend pas. Un métisagile l'attrape par la taille et l'enlace. Onva danser la biguine. Le banjo prélude surdes notes grêles, qui évoquent des balletsfantasques de sauterelles et des chœurs decigales. Une bouffée de fraîcheur balaie lagrosse liesse. L'air léger apporte des bruissementsde roseaux et des vocalises defontaines. Horace, Achille, Nestor, mythologiqueset crêpus, fredonnent :Hier au soir moin té rêvé,Moin trapé cœu mamzelle,Ça meilleu la pomme-canelle,Pou volé,Pou mangé.Et les bergères lippues, menaçant leursgalants, minaudent :Ah ! Ah ! z'ami pas fait ça,Pas dit ça,Pas fait ça.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 37Ah ! Ah ! z'ami pas dit ça,Pas fait ça,C'est presque un menuet. Les révérencess'achèvent en pirouettes, les pas glissés endérobades. Vis-à-vis son métis pommadé,Cristalline Boisnoir se pavane en cadence.Il la poursuit, elle le nargue. Il supplie,salue très bas. Elle hésite, piétine surplace : une deux, une deux, en relevantdrôlement sa jupe entre les doigts :Ba moin un ti bo (1), doudou,Un ti bo, un ti bo...Les baisers s'éparpillent, à gauche, àdroite. Cristalline se sauve sur la ritournellefinale et vient s'abattre, palpitante,auprès d'Yves. Elle s'évente, se penche,soupire :— Moin lasse !L'oiseau colibri s'est posé.(1) Baiser.


38 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Au fond de la salle, les matelots impatientsgouaillent :— Eh ! là-bas, ça n'est pas bientôt fini,les simagrées?Aussitôt, le jazz déchaîne ses clameurs.Quatre diables à l'encre de Chine mènentleur ronde d'enfer. Un pantin en caoutchoucs'époumone dans sa clarinette enbattant la mesure ; un macaque hilareagite son tam-tam boîte-à-clous, le trombonemeugle. Une rafale sauvage emporteles couples. Les négresses ont dessouplesses de chatte, les mulâtresses, deslangueurs de lianes. Un entrechat canailledécouvre une jambe nue. Les robes s'envolent; les volants. de dentelle craquent ;les colliers-choux sautent sur les gorges ;les foulards de soie s'accrochent aux uniformes.Dans l'orage farouche de l'orchestre,toutes les races mêlées, qu'unmême délire empoigne, râlent de plaisirbouche à bouche.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 39Soulevés dans le tourbillon, Yves etCristalline tanguent silencieusement.La cohue les presse. Ils vont, pris devertige, happés malgré eux dans la ribotesensuelle. D'acres relents s'exhalent de lafoule en joie : odeurs aigres d'huile depalme et de chair noire, parfums exaspérésd'essence à bon marché et de bouquetsfanés. Brusquement, la lumière s'éteint.Cristalline s'abandonne dans les bras deson cavalier et murmure contre ses lèvres :Ba moin un ti bo, doudou,Un ti bo, un ti bo...L'ombre chaude est pleine de caresses,de roucoulades et de rires.Quand les lampions se rallument sur ladanse qui devient une bataille, Yves entraînela jeune fille au dehors. Une grandepaix tombe du ciel. Les rumeurs s'apaisent,noyées de nuit. Un peu grise, défaillantede musique, Cristalline chemine appuyée


40 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>au missié blanc. Un clair de lune de romantremble sur la mer. La campagne est transparente,si limpide, qu'elle a l'air d'uneféerie inventée dans un conte. On erre àtravers du cristal. La symphonie en mineurdes grenouilles et des crapaudsbœufsaccompagne le rêve pensif du paysage.Les lucioles qui volent sont desétoiles perdues.Yves et Cristalline se rapprochent, pousséspar le même obscur instinct d'unirleurs forces chétives contre l'indifférencedu monde. Ils sont ensemble pour quelquesheures ou pour toujours. Leurs ombresse mêlent et jouent sur le sol blanc.La case n'est pas bien loin.Cristalline ôte ses falbalas. Ses cheveuxs'échappent de son madras dénoué. Elletourne contre la muraille la statue de laVierge afin de ne point offenser sa présence.C'est l'usage des doudous. Lamulâtresse est chrétienne à sa manière.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 41Les choses muettes se font douces pouraccueillir leurs hôtes. La bougie farde derose la courbe d'une épaule et voile d'unmystère propice la vivacité d'un désir.Dans le lit en bois de Cayenne, le lit àcolonnes de la mère-grand, l'étranger tendles bras à la fille dorée. Et la fille dorée ytombe.


IVYves est revenu à la cabane, et Cristallinese réjouit d'avoir conquis un bêket.Elle a le triomphe insolent. Elle arboresans vergogne le madras à trois cornes, cettecoiffure dévergondée qui nargue les prudeset leur fait savoir qu'on a permis à son galanttout ce qu'on devrait lui défendre.Quant au béket, mon Dieu, il est beaucoupplus discret dans son bonheur. Ils'en cache de son mieux et se garde d'interrogersa conscience. Il ne se demandepas s'il aime sa maîtresse, il ne se jugepas. Il est engourdi dans un bien-êtreveule, satisfait d'avoir découvert un asileapaisant, loin de son travail et des rueséclatantes,48


44 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Le Breton pensif retourne à la viesimple, préférant le ramage d'une doudouaux querelles et aux rancœurs du menufretin colonial. Yves s'installe dans sonhome de hasard. Ses livres l'attendent surla table, entre un bouquet qui portechance et le coffret où la mulâtresse ramasseses talismans : de la poudre d'oiseaux-mouchespour captiver les garçons,une fleur de qui-vivra-verra cueillie sousla lune de minuit, un quimbois (1) contrele mal de dents, les boutons chauds (2) et lecoup de barre (3).Au début, Cristalline n'osait pas parlerlibrement devant Plesguen. Elle craignaitqu'il ne raillât ses coutumes, sesmarottes, ses superstitions de petite sauvage,que le suffrage universel et l'instruc-(1) Remède donné par le sorcier.(2) Sorte de gros boutons que provoque la fièvrepaludéenne.(3) Lumbago très violent, fréquent aux Antilles.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 45tion obligatoire ont déguisée en mamzelle.Mais, très vite, gagnée par l'indulgenceamusée de son amant, elle est devenuebeaucoup plus confiante. Elle se montretelle qu'elle est : une servante à l'échinesouple, une enfant insoucieuse, une doudou.Ce midi, Cristalline est très affairée.Elle tresse sagement une couronne enmousse-miraille... C'est une besogne compliquéequi demande de la patience. Ellene pense plus à discourir avec la chatte,ni même à délivrer la poule marrée (1)par la patte dans la crainte des mangousteset des maraudeurs. Condescendante, elleexplique à Yves étonné de son zèle subit,que cette couronne est destinée à ornerla tombe de son aïeule à l'occasion de lafête de la Toussaint. Cristalline sait qu'ondoit honorer les morts et, câline, elle quémande:(1) Attachée.


46 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— N'est-ce pas, z'ami moin, tu viendrasrendre visite à ma grand'maman.C'était un bon vieux corps, qui m'aime encoredu fond de la terre.Elle réfléchit, puis elle ajoute, apitoyée :— Ah ! pauv' diable, malgré ça, tu esbien à plaindre ! Tu es là, toujours seul,à Pâques, à Noël... Tes défunts pourrissentdans la poussière sans que tupuisses leur offrir un brin de verdure pourles consoler.Yves la contemple, surpris. L'oiseaucolibripense donc parfois sérieusement.Son caprice est tout de même impossibleà satisfaire. Le jeune homme a disposé deson congé. Il s'est entendu avec Mazimbo,le pêcheur, pour aller le lendemain excursionnerà Saint-Pierre. Le béket n'a personneà fleurir avec des guirlandes depommes-lianes et de mousse-miraille. Ilcompte entreprendre un pèlerinage à laville ensevelie et partira très tôt, en pirogue.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 47Cristalline n'entend pas rester en arrière.Elle voudrait bien connaître Saint-Pierre.Elle se rappelle, très à propos, qu'une deses tantes, Mme Céleste Bolamé, y tientboutique. C'est une boutique de rien dutout, où l'on vend des cartes postales etdes presse-papiers taillés dans la lave.La doudou, tour à tour ronronnante etpleurnichante, s'écrie :— Aïe ! aïe ! tu vas me quitter commeun ingrat. Emmène-moi, cher cœur Matante te donnera un bon manger, un mignan-cousouche,des bananes frites, toutce que tu voudras.A l'heure fraîche où l'aurore traîne surl'eau, le couple vogue sous belle brise dansla pirogue de Mazimbo. A mesure qu'ontangue et qu'on va, les rumeurs expirent


48 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>et les rivages déroulent leurs plages desable gris. La brume jette des écharpes surles collines, des fumées bleues sur la mer.Des parfums de tubéreuse flottent dansl'air. Les pailles-en-queue, qui s'éveillent,s'envolent, tout blancs, dans l'azur pâle.Les dorades fendent les vagues, aiguëscomme des poignards d'argent. Les bonitesturbulentes font des sauts périlleux.Il semble que la douceur de la terre s'estréfugiée là, dans ce paysage aux vaporeuxcontours. Le charme un peu païen et sitendre de la nature créole s'incarne dansla mollesse heureuse du matin.Très loin, à l'horizon, la MontagnePelée barre le ciel d'une ombre menaçantede mauvais génie. Et Saint-Pierre apparaît.C'est une ville muette devant la baielumineuse, Les maisons s'étagent en amphithéâtresur le versant boisé des mornes.Une longue jetée contourne la grève oùdes blocs de granit achèvent de s'enlizer.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 49Lorsque la pirogue amène sa voile à livardeet aborde au port, on s'aperçoit quela ville est morte.Les monuments sont détruits, les églisesécroulées. Tout est abandon et misère. Ona l'impression d'entrer dans l'aboli, des'égarer dans un tragique labyrinthe quiconduit tout droit au néant. Le souffleamer des prophètes de la Bible a passé surle sol dévasté.Les amants se taisent, impressionnéspar ce décor de douleur. Ils flânent àl'aventure à travers de longues rues pavéesdans le style du dix-huitième siècle.Les demeures qui bordent les trottoirssont rasées, juste à la hauteur des appuisde marbre des fenêtres. Les graines quel'alizé apporta ont germé. Les hibiscusfleurissent au hasard. Et toujours, lesfontaines d'eau vive troublent le silencepesant de leur sourdine grêle. C'était laville des chansons et de l'eau. Le Roxe-4


50 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>lane, en s'échappant des flancs de la montagne,accompagnait de son fredon d'abeillela mélopée des lavandières.Seules, sur la place du Marché, de raresmarchandes étalent encore des corbeillesde fruits et de légumes pour les quelquesfamilles de pêcheurs qui s'entêtent à braverle perpétuel danger avec l'insouciantfatalisme des humbles. On ne s'aperçoitguère de leur présence. Saint-Pierregarde son aspect d'étrange nécropole ;rien ne trouble sa méditation. Pourtant,derrière les ruines de l'Évêché,une drôle de bicoque, toute neuve etvivante, ouvre sa porte aux touristes. C'estla boutique de Mme Bolamé. A sa vue,Cristalline retrouve sa bonne humeur.Elle s'élance en avant, pousse des crisd'appel, prise d'une affection soudainepour cette parente qu'elle ne connaîtpoint.Mme Bolamé est une négresse grison-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 51nante, cérémonieuse autant que volubile.Elle répond par d'interminables exclamationsde bienvenue aux embrassadesde sa nièce.Yves reste à l'écart. La commère s'informe:— Ça qui ni missié là?— C'est mon mari.Céleste Bolamé se doute bien que cethomme rose et blond n'est pas un épouxrigoureusement authentique. Qu'importe !Il est toujours flatteur d'avoir une fille desa lignée distinguée par un békel-France.Elle prolonge ses courbettes et devienttrès accueillante. Elle s'agite, prépare lepunch, si joyeuse, qu'elle semble avoirpour unique mission d'héberger les deuxjeunes gens. On déjeune dans une piècehétéroclite, fleurant les épices et lesharengs secs. Cristalline joue à la dame.Elle se vante de ses bijoux, de ses assiettesen porcelaine, de ses berceuses. De larges


52 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>rires éclairent son visage ambré. La bonhomiefamilière qui se dégage de ce repasimprovisé rappelle à Yves des impressionsde terroir. Lorsque les paysans duMorbihan lui offraient dans leurs fermesde la galette et du lait ribot, ils avaientcette générosité spontanée, qui pare lesplus modestes attentions. Entre les Martiniquaiseset le passant, s'établit une obscureaffinité, venue on ne sait d'où, àtravers les océans. Aussi, lorsque la bonnefemme propose à ses hôtes de prolongerleur séjour, Yves accepte sans hésiter.C'est entendu, ils coucheront cette nuit àSaint-Pierre et s'en reviendront à la finepointe de l'aube par la voiture de la marchandede terraille (1). C'est une façon deconnaître toutes sortes de villages auxnoms chantants : le Morne-Rouge, lesCarbets, Case-Navire, Case-Pilote, jolis(1) La marchande de poteries.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 53coins de la vieille France exotique quebaptisèrent les cadets et les boucaniers.Jusqu'au soir, Yves et ses compagnonsdevisent amicalement en se promenantparmi les décombres. Mais, à la brune, ilssont las d'errer. Ils s'asseyent dans l'anciencimetière, sur le marbre brisé d'unmausolée. Le volcan n'a pas respecté l'ultimerepos des morts. Des os blanchis surgissentdes crevasses. Sur une croix defer, tordue par la lave, un Christ tend sesbras, déchirés par un nouveau martyr. Unrosier sauvage s'effeuille. Les anolis ontrenoncé à se poursuivre. Cristalline nejase plus. Elle pense que sa couronne demousse-miraille se fane inutilement. Déjà,à Fort-de-France, les négresses accroupiesau bord des tombes doivent marmotterdes rosaires, en rallumant les lampionsfabriqués dans les coquillages. Cette année,la jeune fille n'admirera pas sur les


54 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>gerbes et les écussons les devises ingénieuses:A MON ÉPOUX, ALCIBIADE POMPONREGRETSDÉFINITIFSCristalline a délaissé sa grand'mère poursuivre le civilisé. Il ne sait pas que les disparusse vengent. Les trépassés qu'onoublie reviennent. Ils mènent leur sarabandedans la chambre close, ouvrent lafenêtre, renversent la gargoulette, envoientdes quimbos (1) néfastes voler autourde la chandelle. La tante Bolaméachève d'effrayer sa nièce en contanttoutes sortes d'histoires d'épouvante. Ellenarre le drame de la ville heureuse. Dansla baie, les navires attendaient les cargaisonsde sucre et de cacao. Les créoless'éventaient à l'abri des varangues. Les coquinesdu port polissonnaient avec les(1) Chauves-souris.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 55marins. Et puis la Pelée s'est mise à gronder,la terre à trembler, la tornade infernaleà déferler. Saint-Pierre, en cinq minutes,est devenu une cité de fantômes.Céleste Bolamé les a vus. Ils glissentmuets et souples par les rues d'autrefois.Ils se cherchent, s'enlacent et se lamentent.Cette nuit, ils s'en iront dans les ruinés dela cathédrale du Mouillage, attendre autourd'un fragment de bénitier une messeque nul prêtre n'osera venir chanter.La doudou, éperdue, se réfugie auprèsd'Yves. Des souffles courbent les herbesfolles. Peut-être que, déjà, le mauvaisfeuvoltige au-dessus du ravin?Intarissable, Céleste Bolamé évoque lesesprits qui hantent sa solitude. Ils se déroulenten une procession immense conduitepar les féroces garous et les zombis(1) aux cornes de bouc.(1 ) Esprits malfaisants.


56 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Le Breton reconnaît, ainsi affligées desobriquets nouveaux, de très anciennes connaissances: les korrigans, les follets, l'Ankou,personnages fabuleux qui courent lalande celtique sous les brouillards d'automne.Naguère, les capitaines de Brestet de Saint-Malo ont apporté aux Iles,dans leurs coffres peinturlurés d'arabesques,leurs légendes de Nivôse. Lespauvres mamzelles ont gardé la pacotillemélancolique en échange des romancescouleur de soleil qu'elles fredonnaient surleurs genoux.Et soudain, fraternel, Yves se penche surla doudou, attendri de retrouver dans uneâme étrangère des reflets de son paysnatal et des frissons de son enfance.


VLes semaines, les mois fuient dans lamollesse dorée de la vie créole.Cristalline s'imagine qu'elle devient toutà fait une Madame-France. Elle use beaucoupde poudre de riz afin de pâlir sonépiderme foncé. Elle lit des romans ets'essaie au beau langage. Pendant desaprès-midi entiers, elle demeure oisivesur sa berceuse, guettant le va-et-vient dela route : la marchande qui chemine, sapacotille sur la tête, le garçon qui regagnela campagne en faisant sonner son bâton.Quand le garçon lui plaît, elle lui jette unefleur, coquette pour le simple plaisir demirer sa jeunesse dans les yeux des passants.Au coucher du soleil, elle secoue satorpeur, met sa gole empesée, ses bas de67


58 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>soie, ses escarpins vernis. C'est l'heure deson amant. Parfois Labaussaye et Barcasseaccompagnent Plesguen. Alors lebonheur de Cristalline est complet. Elles'ébouriffe entre les trois hommes commeune perruche vaine.Penchée sur l'étroite terrasse qui dominela ville, la mulâtresse a reconnu les silhouettesfamilières : Yves, sec et long dansson costume de toile blanche, Barcasse etLabaussaye, leur fusil en bandoulière. Ilssont allés chasser les ramiers par les bois.Ils rentrent altérés, le carnier vide. Cristallineminaude :— Bonjour, missiés, mettez-vous.Cela veut dire, tout simplement, asseyez-vous.Elle exhibe son plateau, son napperonbrodé — toutes les Martiniquaises possèdentce luxe. — Elle offre une citronnade,un verre de vin d'orange. Le décor de lachambre est amusant avec sa profusion0


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 59de menus bibelots : paniers en fibres d'ananasornés de baies de toutes les couleurs,images frangées de dentelles représentantun saint Antoine fade et rose, desbouquets, des mains enlacées surmontéesd'une devise :Je brûle d'un feu qu'on ignore.Et je n'ose en parler encore.Labaussaye s'assied sur une anciennecaisse à savon. La lumière du photophoreluit faiblement. Lespapillons-lamorttournoient avant de flamber leurs ailesde velours. La grande nuit triste reste à laporte. L'intimité est toute franche, toutesimple. Les jeunes gens font beaucoup debruit pour se prouver entre eux qu'ilssont très importants. Ils mettent leurs souvenirsen commun parce qu'ils ont besoind'avouer : « Moi aussi, j'ai un foyer, desparents qui m'attendent en causant sousla lampe, des habitudes embusquées dans


60 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>une maison, quelque part, dans un coin deprovince, où rien ne change. » Barcasseévoque ses premières fredaines ; les colèrespaternelles l'attendrissent à mesure qu'elless'effacent dans la brume des années perdues.Cristalline se mêle à la conversation.Tous les sujets qu'on effleure devantelle provoquent ses réminiscences, des récitstrès compliqués qu'elle embrouille à plaisir.Mais ce qui l'étonne par-dessus tout,c'est la sévérité des békets respectablesenvers les escapades sentimentales de leursfils. Dans les îles d'Amérique, les mèressont plus raisonnables. Elles n'ignorentpas que jeunesse et bois-chandelle se consumentjusqu'au bout... C'est en cajolantles fillettes dans les coins que l'on apprendson rôle de mari. Et, pour convaincre sonauditoire, elle entame l'histoire très séculairedu chétif serviteur noir et du riche seigneur,en imitant la voix monotone desconteuses de contes.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 61— Il y avait comme ça, un riche seigneurconfit en dévotion, qui ressemblaità un Mon Père Prêcheur. Il n'avait jamaisfréquenté les bals. Quand les serviteursdansaient le caleinda, il gémissait : « Ah !le vilain jeu. » II ne comprenait pas pourquoiles tites négresses criaient au tambouyé: « Plus vite, plus fort, missié tambouyé.» Il parcourait ses domaines sansjamais prendre de loisirs. Avant de selaisser aller au sommeil, il comptait sesécus et le cliquetis de l'or l'empêchaitd'entendre son cœur.Un matin, en longeant la rivière, leriche seigneur se pencha sur l'eau. Il vitson crâne nu comme un œuf, son mentonbourru comme un fourré d'aloès. Il s'assitsur une souche morte en bougonnant :« Suis-je devenu un vieux corps? Ça mauvaiseaffaire ! » Et il fut chagrin tout lejour.A la nuit tombante, il contempla ses


62 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>esclaves qui s'en revenaient des champs. Ilsétaient las. La sueur de leur front tombaitsur la terre. Ils déposèrent la bottelée d'herbagesqu'ils devaient fournir pour l'entretiendes bestiaux, puis le commandeur ôtason chapeau et commença la prière du soir :Notre Père ka bailler son sang pournous z' autres...Les travailleurs laissèrent leur fatigueau pied de la croix, avec le dernier Ainsisoit-il,et regagnèrent leurs paillotes. Leriche seigneur entendit les pauvres bougresrire à pleine gorge en mangeant leur calebassede cassave. Les enfants se chamaillaientgentiment, les femmes chantaient.Le riche seigneur songea :— J'ai fait construire une habitationdigne d'un prince, mes greniers sont pleinsde balles de coton, mes plantations detabac-macouba s'étendent jusqu'à la mer.Que puis-je désirer encore pour être parfaitementheureux?


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 63L'oiseau-froufrou, qui vole de brancheen branche sans jamais se poser, siffla àses oreilles : « Un nid ! Un nid ! »Le riche seigneur tressaillit. C'est vrai,il plantait, récoltait pour lui seul. Sesappartements étaient déserts, sa coucheétait vide. Il endossa son habit et s'en futquérir une épouse dans un carrosse atteléde huit mulets d'Espagne. Il choisit unefille de quinze ans, lui donna des robes desIndes, des coffres en bois de santal, unnégrillon-Congo pour gratter les chiques deses talons, une Mamzelle la lecture pourlui expliquer les Evangiles.La fille de quinze ans gaspilla ses rubans,se baigna dans un bassin d'eau-patchouli,tourna en bourrique son négrillon-Congo etpoussa des soupirs à virer les ailes d'unmoulin. Son mari l'embrassait sur lefront :— Que vous faut-il encore, ma jolie,pour vous satisfaire?


64 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Elle ne répondait pas. Elle regardait lestourterelles se becqueter dans une cage enpensant tout bas :— Bestioles-là chanceuses ! Li biendouces, bien tendres. Mari moins bien laid,bien rabougri. Pas ni pièce moyen d'imiterjamais un tourtereau !Elle bâillait sur sa méridienne, tantôtécoutant la Mamzelle la lecture, tantôt grignotantdes pisquettes (1) à la sauce papa.Le bonhomme s'essayait à débiter descompliments :Ma chère, vous ressemblez à unebelle ti dindonne. Vos seins deviennent pareilsà deux gros fouites défendus...— Oui, oui, mon ami, mais votre barbeme pique !Il voûtait son dos et la quittait ens'excusant :— A Dieu, ma mignonne ! Je vais voir(1) Minuscules poissons.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 65si l'acajou-bois est bon pour couper. Je vaisvoir si mes faillis serviteurs ont épluchéles gaulettes de pétun.Et il s'exclamait à la ronde :— Travaillez, damnés sauvages. Il mefaut des écus pour élever la rafale deyches que je compte fabriquer à ma jeuneépouse.Ouais ! Le pétun s'entassait dans lessacs, le bûcheron taillait l'acajou-bois,mais la rafale de yches ne s'abattait pointdans la case. Le nez de l'époux s'allongeait.La fille de quinze ans promettaitdes pèlerinages. Les Mon Père suppliaientla Vierge dans les chapelles : « Notre-Dame Marie, envoyez promptement unerafale de chrétiens sous le toit du paroissiencossu qui nous bâtira un presbytèreneuf par reconnaissance. » Hélas ! la SainteVierge n'écoutait pas. Elle avait bien tropd'ouvrage à protéger lès gueux des gendarmesgrosses-bottes. Le vieillard manda5


66 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>le sorcier, qui sait la façon de faire pousserles yches en prescrivant les bouillonsd'herbes. Le sorcier ne se montra pasplus malin que les Mon Père. Le riche seigneurperdit sa jactance. Il oublia de frapperles nègres paresseux avec son cocomacaque(1). Il s'arrêta devant les nourrissonsoccupés à téter leurs mamans. Lesécus coulaient de sa poche. Ses esclavesabandonnaient tout respect. Le doyend'entre eux, un chétif noir qui se courbaitvers la tombe, le tira par la mancheet lui dit :— Vous êtes nigaud la même lamentin,mon vénérable maître, si vous ne savezpas à votre âge la manière d'avoir desrejetons. Pas ni besoin bouillon d'herbes,pas ni besoin de litanies pour ça ! Venezcôté moin promener par les minuits. Etil l'emmena baguenauder au clair de lune(1) Bâton en bois très dur.


DU LES DANGERS DU BAL LOULOU 67aux alentours du jardin. Toutes les bonnesodeurs de tubéreuses, que le soleil demidi dévore, renaissaient dans l'ombre.Les grenouilles d'arbres s'appelaient :Couc, couc, couc ! Les mangoustes sepoursuivaient. Les buissons chuchotaient :doudou, doudou!C'était Lubin Caron, l'aide-jardinier,qui attendait Jeannet ou la chambrièresous les balisiers.— Doudou ! Doudou !...C'était Ulysse Laverdure et sa cousinequi roucoulaient sous les pourpiers.— Doudou! Doudou!... Tout partout,sous les bosquets, les ti nègres et les titesnégresses s'amusaient à Adam et Eve afinde retrouver le paradis terrestre.Alors, le chétif serviteur reprit :— Vous comprenez, à présent, monmaître, comment on gagne une rafale deyches, mais, mon cher seigneur, vous êtes


68 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>trop racorni, maintenant, il fallait apprendreplus tôt.L'oiseau-froufrou, que tout ce ramageavait réveillé, s'élança de branche enbranche en sifflotant : « Trop tard, troptard ! »Barcasse applaudit; Yves attrape Cris-,talline par la taille ; Labaussaye se lève.— Bonsoir, les amoureux !


VILe jour filtre à travers les persiennesà claire-voie. Un coq chante matines surle mur. Des haillons de brouillard s'effilochentaux arbres.Cristalline s'éveille, bâille, s'étire, soupire:— Ouaï ! Ouaï ! Ouaï !...Yves s'enfonce dans son oreiller. Il n'apas envie de recommencer à vivre.La doudou saute de son lit. Elle triomphed'être au monde, de plonger son corpsavide dans le bassin d'eau courante sd'avoirles lèvres chaudes et les bras frais. Engole débraillée, les cheveux noués enpetit laquiotte sur les oreilles, Cristallineflâne par la chambre. Elle dresse sur une69


70 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>coupe les tranches de corossol qui stimulentl'appétit. Puis elle prépare uncocoyage en mélangeant avec l'indispensablebâton-lélé le lait transparent d'unenoix de coco verte, un jaune d'œuf, de lamuscade râpée et du sucre.Le jeune homme ne se décide point àouvrir les yeux. Ce n'est pas la peine, lessemaines se ressemblent toutes. La température,perpétuellement sereine, diluetoute énergie. On demeure la tête creuse,anéanti au milieu de la nature effervescente.La joie tropicale se moque des saisons.L'hivernage laque d'émeraude lepaysage. Les averses d'eau tiède grossissentles torrents, ravinent les chemins.La terre mouillée fume au soleil.Yves a perdu son enthousiasme du début.Dans la torpeur du demi-sommeil, ilévoque les sentes dépouillées où il marchaitgaillardement. Ses membres briséslui rendent plus amer le souvenir de sa


ou LES DANGERS DU BAL LOULOU 71jeunesse alerte, qu'attisait l'âpre hiver etles rudes gelées. Cristalline le taquine sursa paresse. Son babillage puéril l'impatiente.Il la renvoie avec des mots méchants,qui claquent comme des fouets.Elle courbe les épaules et se dérobe à lafontaine jusqu'à l'instant où elle l'aperçoitdescendre le morne à pas résignés.Les poings sur les hanches, la voisines'écrie :— Ah ! Ah ! pauv' diable là ka suergrosses gouttes sur son travail pour vêtirune fainéante sans pudeur. Misère demoin !...Et la bonne femme, la taille épaissiepar une prochaine maternité, fesse lespieds à terre en signe de réprobation.Orgueilleuse, consciente de sa supérioritéde doudou, Cristalline Boisnoir se rendau marché faire quelques emplettes insignifiantes: un ti brin morue, les quatrez'épices, une chopine farine manioc, un


72 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>abricot-pays qu'elle campe en équilibre surson chignon. Ce qu'il importe, c'est de gaspillerson temps sans compter, d'êtremêlée à cette kermesse de rires et de chamailleries amicales qui s'appelle le marchéde Fort-de-France. Dès le pont Gueydon,on entend le caquet des marchandes.Elles ont quitté leurs villages dès la premièrelueur du pipiri (1), apportant dansleurs hottes des régimes de bananes-paradis,le fruit-à-pain de Robinson, despommes-agouti, des pommes-roses, quisont peut-être des bijoux de corail. Tousles produits de la terre promise dégringolenten tas des corbeilles. Accroupiessur leurs talons, les négresses glapissentaigrement :— A deux sous, cinq sous, mamzelle,le coco d'eau ! Qui veut calmer les humeursde son ventre et gagner la peau lisse? A(1) L'aube.


OU. LES DANGERS DU BAL LOULOU 73.deux sous, trois sous le coco d'eau !— A quatre sous ma jojolle, les avocats,les sapotes, les cristophines !...La gamme des verts, les ocres et les vermillonsse confondent avec les madras bigarrésdes campagnardes. Dans un coins'entassent les poissons fabuleux rouges,jaunes-canari, bleus. Les lunes en argentpalpitent, pêle-mêle avec les barriques-àvinpansues et les balalous frétillants. Lestortues molocoyes s'enfoncent à l'abri deleur carapace ; la volaille s'égosille.Cristalline croque un chadèque confitenveloppé dans une feuille de cachibou.Elle suce un bout de canne à sucre etretrouve ses compagnes. On s'aborde :— Bonjour, ma mie, comment ouyez (1)?Les bonnes des békets-goyavesbékets-pommes-de-terreet des(2) dévoilent les secretsde leurs maîtres. La jeune fille ap-(1) Comment allez-vous.(2) Blancs nés dans le pays même. Blancs de passage.


74 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>prend le nouveau scandale de la rue desAmours. Elle se laisse entraîner chez latireuse de cartes qui prédit l'avenir etvend des tisanes pour toutes sortes demaux. Elle s'en retourne, n'en pouvantplus, la cervelle bourrée de contes à dormirdebout. Mais c'est tellement amusantque, pour retrouver cette atmosphère deplaisir, elle invite les commères à siroterl'ani-doux. Sa case est le rendez-vous des bavardsdont la langue n'a pas de dimanche.Le soir, en rentrant, las d'avoir subi toutun après-midi les coups de téléphone etles discussions des clients, Yves dérangeun cénacle de négresses. Deux marmots sebattent sur son lit. La plume du traversinvole, personne ne s'émeut ; on palabre.Hortensia, la parente pauvre de Cristalline,déguste un énorme plat de toulouî-ous(1). Ses doigts sont barbouillés de(1) Crabes de terre.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 75graisse, le spectacle est affligeant. Plesguense fâche. Il claque le derrière toutnu des négrillons, bouscule à la porte laparente pauvre :— Allons, ouste, foutez-moi le camp !Ses gestes sont péremptoires ; sa fureurest juste. Les importunes s'enfuient. Elless'égaillent par le morne comme une arméede poules gloussantes :— Hélas ! ma mère, béket-là sauvagemême chose neg'-Gongo.— Li butor, li mal élevé, songe toutbas Cristalline, honteuse.La case est au pillage. Yves ne retrouveplus son pyjama. Sa maîtresse l'a prêté àsa cousine Hortensia afin qu'elle lave àla rivière l'habit de travail de son époux.Des relents de ripaille flottent dans lapièce. Les fourmis montent à l'assaut desverres poisseux. La jeune fille larmoiepour sauver la situation. Elle est nerveuse; elle a trop parlé. Elle se venge des


76 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>reproches de son ami par une bouderie interminable.Quand elle cesse de bouder, ellement. Elle ment parce qu'elle a dépensétrop d'argent en achetant des rubans àson amie d'enfance, sa chè cocotte. Ellement pour cacher son désœuvrement, sagourmandise de chatte, ses coquetteriesde primitive grimée en civilisée. Ses excusessont naïves. Cristalline a l'hypocrisiespontanée et candide. Pour se fairepardonner, elle se pelotonne aux piedsd'Yves. Ses beaux yeux prennent une expressiond'humilité câline, son buste souples'abandonne dans une languissante attitudede captive amoureuse.Il sourit et caresse distraitement l'épauleronde.— A quoi penses-tu, doudou?— J'ai vu Athè, la cuisinière des gendarmes.Elle a pris un plein panier de prunesmoubinpour la confiture, et elle m'a dit enpassant : « Vous ne savez pas la nouvelle ?


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 77Eh bien ! la madame du capitaine porteun chapeau des catalogues de Paris, oui,mais elle a une paire de cornes, par endessous. »— Tais-toi, doudou !— Tu es trop fantasque, mon chéri.Le silence tombe entre eux. La mulâtressese remémore toutes sortes de menueshistoires frustes comme la gargouletteou le bâton-lélé. Yves écoute les rumeursdu crépuscule. Ce sont des rumeurs étrangères; c'est un soir qui a goût d'exil. Lesvieilles palmes des lataniers se détachentpesamment. Un mouton bêle, égaré, dansles futaies. Des appels d'enfants se prolongent,et les traînantes syllabes créolessemblent au Breton aussi incompréhensiblesque les cris d'hirondelles.L'alizé mielleux, chargé d'orage, ne rafraîchitpas le jeune homme. Toute cetteféerie somptueuse du couchant le fatigue,tous ces parfums épars l'écœurent. Ah !


78 GRTSTALLÏNÈ <strong>BOISNOIR</strong>pouvoir se reposer, fût-ce un instant dansla grisaille tranquille des automnes d'Occident.— Pourquoi partir?Le voyage, l'aventure, qu'est-ce donc?. — Pas grand'chose. Une fille bistréequ'on prend par hasard. Le jour quisombre dans une cabane enfouie sous lesarbres. On reste là, perdu dans la tristesselointaine des échos inconnus. On atout juste l'importance d'un éphémère quise noie.


VII—- Eh bien ! Plesguen, ça va?— Ça ne va pas !— La fièvre?— Non, pis que cela, le cafard.Barcasse propose un punch chez Lédiat.C'est son remède, à lui, lorsque le spleenrisque une offensive.La journée est finie. Magasins et bureauxont fermé leurs portes. C'est l'heurefraîche sur la Savane. Les madames-France et les madames-créoles rivalisentd'élégance tapageuse. Les officiers tuent leurdésœuvrement en rabâchant des histoiresde quartier. Les midships louvoient enquête d'escales amoureuses. Sous les manguiers,des groupes de fonctionnaires79


80 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>échangent les potins scandaleux qu'ils ontcueillis par le monde et égratignent, pourse distraire, la réputation des passants.— Je l'ai connu en Indo-Chine, il taquinaitle bambou dans les fumeries de Cholon,et vivait dans un méchant compartimentà trois piastres avec une congaï.— Ses années de Guyane l'ont enrichi.—- La fraude du balata rapporte beaucoup...— Oui, c'est la femme du médecinchef.Elle a débuté à Casablanca dans uncafé-chantant.— Mais non !— Mais si ! Et elle ne respecte rien, pasmême une partie de cartes. L'autre soir,l'atout était pique, elle, ne s'en souvenaitpas. Je lui ai dit : Madame, je suis un hommesérieux, je ne parle pas au bridge... Moi,vous savez, j'ai besoin d'appliquer monactivité intellectuelle en dehors de l'administration...


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 81Dans l'ombre verte, Barcasse nommeles promeneurs à son compagon :— Ces mulâtresses vêtues de jaune sontles filles de César Almenzor, l'avocat.Leur épiderme foncé a fait surnommerles deux sœurs les Sapotilles. Elles attendentle mari charitable qui les conduiraà Paris, et les délivrera de leurs oncles desgrands mornes, de vieux nègres solennellementguenilleux.— Cette blonde, trop grasse, coifféed'une capeline ingénue, a le flirt utilitaire.Ses partenaires n'ont jamais moins dequatre galons.Yves est taciturne. Son cafard le grignotejusqu'aux moelles. Il voudrait posséderla bonne humeur du marin, qui disperseson destin de bâbord à tribord et neconnaît point l'inquiétude de la continuité.Le jeune homme s'est mis au travailavec une obstination morne. Sa rustique6


82 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>doudou ne lui suffit plus. Il aimerait sortir,causer. ; mais les civilisés moyens qu'ilfréquente sont d'une désespérante monotonie.Les promenades sont toujours lesmêmes. Il a l'impression d'être jeté enquarantaine au milieu de l'océan. Lesmontagnes barrent l'horizon, le flot ceinturele rivage. On est en prison sous unciel de braise.Là-bas, dans la direction du Fort Saint-Louis, monte le signal du paquebot deFrance. La sirène déchire la quiétude del'heure. Des négrillons s'élancent, en nuéed'insectes grêles, dans la direction de laCompagnie Transatlantique. Les coloniauxtressaillent d'aise.— Voici les lettres !Les madames créoles se hâtent sur leurshauts talons. Elles ont toujours à bordune petite cousine qui revient du couvent.La Savane se vide. La statue deJoséphine de La Pagerie demeure à l'aban-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 83don au milieu de sa garde d'honneur depalmiers et la porteuse de gâteaux achèveles macarons dont personne ne voudra.Yves et Barcasse ont suivi la foule.Le navire est à quai, encore haletantd'avoir parcouru les belles routes marinesoù danse le soleil et tremble la risée.Un tambourin scande la besogne descharbonnières occupées à charger un cargoen partance. Tout est noir et blanc : noirde charbon et d'épidermes, blanc d'uniformes,de mousselines, de fumées. Lespassagers s'entassent à la coupée, pressésde toucher au port, tandis que colonset Martiniquais les envient secrètementd'être encore des voyageurs sans logis,sans habitudes, riches de leur prestiged'inconnus.Yves se glisse sur le deck. Pour le Breton,le paquebot est encore un peu dupays qui passe. A ses yeux, ce palace flottantsymbolise l'Europe : une Europe de


84 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>luxe, en marge des réalités, où des humains,réunis par hasard, se leurrent d'un échangefantaisiste d'ambitions et d'amours, sansavoir le temps de se nuire sérieusement.Yves resterait volontiers enfoncé dansun fauteuil, au fumoir des premières, àfeuilleter des magazines, en contemplantle mouvement du bord, mais Barcassel'emmène au carré. On y est entre soi,sans contrainte, sans rastas. Le ventilateursimule un peu de brise. Sur les boiseries,luisantes de ripolin, une petitefemme de la Vie Parisienneretire lestementsa chemise. Les officierscommententla chronique maritime. On seplaint du Grand-Mât(1). C'est l'usage.On vitupère contre le maître d'hôtel etle chef mécanicien, c'est aussi l'usage.Puis, quand on a bien ressassé tous lesdéboires de cette maudite navigation, on(1) Sobriquet que Ton donne au commandant à borddes navires.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 85s'emballe en décrivant une manœuvre duditGrand-Mât, une nuit qu'il ventait lapeau du diable, en rade de Saint-Nazaire.Fuyant son royaume de paperasses, lecommissaire surgit, escorté des deux mulâtressesqui flânaient sur la Savane. LesAlmenzor, Mayotte et Sylvie, sont encoquetterie avec les lieutenants. Elles nemanquent pas de les inviter à leurs sauteries,lorsqu'ils débarquent à Fort-de-France.Yves lorgne les jolies perruches.Ce doit être amusant, songe-t-il, cesalon des Sapotilles où l'on recontre lasociété de couleur, la seule qui ouvre sesportes aux étrangers sans s'inquiéter deleur généalogie.Et, désireux de se faire accueillir, ilrisque quelques compliments. Les visiteusess'apprivoisent aussitôt. Elles ontbesoin d'admirateurs pour marivauder dansles coins.


86 <strong>CRISTALLINE</strong> B0ISN0IRLorsque les jeunes filles sont lasses desucer leur citronnade au bout d'une paille,elles entraînent Yves et ses compagnonsà leur suite, cependant que l'officier dequart, énervé de renifler les odeurs deterre par tous les sabords, chasse rageusementles chats égarés dans les coursives.En ville, Maître César Almenzor reçoitle tout Fort-de-France bois d'ébène etcafé au lait.Yves s'assied sur une chaise sournoisementrongée par les termites. Les messieursplastronnent, fiers de leurs cravates.Ils sont tous très éminents, trèssatisfaits. Leurs procès sont des causescélèbres, leur politique locale, une politiquemondiale. Les femmes sont empâ-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 87tées à trente ans, accablées de volants, derubans, de froufrous.Mayotte, la cadette des Almenzor, attaqueson répertoire. Sa voix domineraitune tornade. Ses œillades de divette espagnoleet sa bouche au minium contrastentavec ses romances de pensionnat romantique.Les meubles, vétustes, vont s'effondrersous le torrent des vocalises. Lesdames, tout à fait affaissées, défaillentd'émoi et de sucreries. Une servante, engole effrangée, offre les rafraîchissements,un pénible mélange de bière et de grenadine.Les tablettes-cocos, que Loulou Maringouin,le coiffeur, fabrique dans sonarrière-boutique, circulent sur des assiettesplates. Yves admire l'argenterie,sans se douter qu'on l'a empruntée, selonla coutume, à des voisins complaisants.Après lé concert, les spectatrices, secouantleur indolence, bondissent, emportéespar le rythme endiablé des tangos.


88 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Les vieillards, gagnés par la cadence,marquent la mesure en frappant du talon.Yves les observe, gouailleur. Il note lescheveux en astrakan du maître de maison,son front en pain de sucre, sa mâchoirede requin, pavée d'or.Sylvie Almenzor menace le jeune hommedu doigt.— Vous ne dansez pas !Il enlace sans répondre le buste tendu,préoccupé d'évoluer sans maladresse à traversles couples.Sylvie s'avoue très vite fatiguée. Ellese laisse tomber sur un divan dans unepièce vaguement grimée en fumoir.La métisse ressemble à Cristalline. Ellea son charme à la fois languide et provocant,sa voix rauque, son enfantine manièred'escamoter les syllabes rudes. Elledoit avoir la même âme de mièvrerie etd'ardeur. Seulement, elle la dissimule,cette âme primitive, elle la voile sous une


ou LES DANGERS DU BAL LOULOU 89pédanterie de fortune. Sylvie pose desquestions d'album.— Aimez-vous la musique?— Que lisez-vous?Elle disserte de ses préférences sans attendrela réponse, pressée de montrerqu'entre elle et une Parisienne il n'y apas de différence. Pour l'affirmer, elleaffecte soudain une vive liberté de langage,sans trop comprendre le sens desmots qu'elle emploie.Yves se rembrunit.Décidément, cette Mademoiselle Sapotilleest très mal élevée.Mlle Sapotille déploie ses grâces, étenduesur un coussin. Son bras nu frôle la nuquede son cavalier, sa hardiesse est apprise,ses rires sonnent le fêlé. Sa fausse insouciancedresse une barrière subite entreelle et ce garçon qui ne se décide pas.Malgré lui, il compare ce tourbillon depaillettes et d'écharpes à quelque diver-


00 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>tissement forain, chatoyant aux lumièreset pauvre au soleil. Et puis, cette Sapotelui rappelle par trop Cristalline !A bout d'arguments, Sylvie se tait.Voilà des soirs et des sons qu'elle minaudeainsi pour conquérir un époux. Son sourirede commande s'efface. Le fard necache plus les plis déçus de son visage...Dans quelques heures, ce minois poudréépiera ses rides au miroir. Seule, aumilieu des brimborions délabrés de sachambre, Sylvie évoquera ses déceptionssentimentales : le dédain des créolesblanches, ses anciennes compagnes de pension,les billets doux de leurs frères, transmispar les domestiques complaisants. Lesbillets doux mentaient. Leurs auteurssont mariés. Ils évitent de la saluer. C'està peine, maintenant, si Nini Romulus, latireuse de cartes, ose lui prédire :—- As de trèfle et atout cœur, et encorepapa-roi de cœur, c'est un seigneur aux


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 91yeux clairs ka bailler z'honneurs et z'écuspour goûter ti brin à la pomme défendue...A quelque partie de rivière, ou bien à labrune dans un cabriolet, Sylvie a laissédes audacieux se pencher sur les pommesd'or de son corsage. Mais les écus et leshonneurs ne sont point venus. Elle a pleurésous sa moustiquaire, avide de baisers, deperles, d'autos.La jeune fille, amèrement, pense qu'illui faudra subir les éternelles remontrancesde son père. Quand les invités seront partis,en croquant les dernières miettes de gâteaux,l'avocat gémira longuement. Labouche pleine, il engagera sa famille à senourrir de fruit à pain jusqu'à la fin dumois pour rattraper les dépenses superflues.Sylvie, découragée de jouer son rôle,passe d'une extrême familiarité à une hauteurde cabotine vexée. Elle s'en va, sansun mot d'excuse, remplacer sa sœur aupiano.


92 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Yves s'évade sur le balcon. César Almenzorl'a devancé. Il fume un fastueuxcigare en compagnie du premier adjoint.Les notables échangent des considérationsélectorales.— Mon cher et excellent adjoint, assurele maître de maison, ce qui nous manque,à nous autres, Latins, c'est l'organisationscientifique, je dirai même aseptique despeuples du Nord. Oui, mon bon, dans unecité de l'importance de la nôtre, nous ensommes réduits à supporter les canarismauvais bouillon que les négresses (1) vontrincer sous le Fort-Saint-Louis. C'est fâcheux,indubitablement fâcheux.-— C'est nécessaire, indubitablement nécessaire,voici pourquoi...Une pause, M. l'adjoint glisse les poucesdans les poches de son gilet.— Comment, mon cher, vous, le cer-(1) Négresses dont les fonctions suppléent au tout-àl'égout.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 93veau le plus éminent de notre barreau,vous négligez d'envisager les deux facesde ce problème, un problème insoluble,croyez-moi...Seconde pause. M. l'adjoint reprend plusbas :— Sacrebleu ! mon ami, que faitesvousde notre programme? En supprimantle métier des Videuses canaris, vous ruinezun de nos petits métiers locaux les plusflorissants. Le progrès ne doit pas devenirune jouissance d'aristocrates, et vosaspirations les plus légitimes contrarient,en cette occurrence, le radicalisme de nosprincipes.Un silence. Les cigares sont éteints.Au salon, adossée à une console, uneadolescente cacao déclame :0 souveni d'azu, le papillon est mô.Courbé sur la ville, Yves Plesguen murmure:


94 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Est-ce pour jouer les Clitandre danscette baroque parodie politico-mondaineet pour coucher avec une lavandière queje suis venu jusqu'ici?


VIIILes arbres du jardin se rejoignent enmasses confuses. Sur le chemin, écrasé sousles branches, une silhouette s'obstine àgarder sa pose immobile. Elle se dressecomme une longue quenouille blanchedans la marée montante des ténèbres.C'est Cristalline Boisnoir qui guette sonamant.Elle ne s'aperçoit pas de la pénombreépaisse. Elle ne frissonne pas aux vapeursde la tombée du jour, elle attend.Yves la délaisse de plus en plus. 11 arepris pension à l'hôtel Lédiat, Cristallinesait bien que son bonheur s'effrite.— Sans doute, soupire-t-elle, s'est-illaissé enjôler par les Almenzor ou leurs95


96 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>amies. Ce sont des quarteronnes astucieuses...Une fille en madras ne luttepoint contre les mamzelles en robe debal.Déjà les lucioles font des étincellesdans l'ombre. C'est fini, il ne viendra pas.Mais elle ne peut se décider à regagnersa chambre. Elle se dit :— Je partirai quand la Croix-du-Sudsera levée.La Croix-du-Sud écarte les nuées pouréclairer les pirogues attardées ; la mulâtresses'entête toujours sur le revers dutalus.— Les cabris-bois (1) n'ont pas encorecommencé leur concert... Ce pas qui résonne,là-bas, c'est peut-être celui d'Yvesen train de gravir le morne-à-goyaves?Les cabris-bois accordent leur petitbanjo ; une grosse lune jaune, semblable(1) Grillons géants des Antilles.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 97à une gigantesque pamplemousse se balanceau ras des collines et le bruit despas se perd dans la nuit.— Rentre chez toi, doudou, ton galantt'a oubliée !Cristalline s'en retourne, la tête basse.Au logis, les lys-poincillade entr'ouvrentvainement leurs cassolettes. Elle lance lebouquet de bienvenue au dehors et s'afflige,jetée sur le sol comme une loque inutile.Les heures s'écoulent lentement. Toutessortes d'angoisses perdues chargent l'obscuritéd'un vague désespoir.Au matin, la jeune fille reprend courage.Non, non, ce n'est pas possible, Yvesne l'a pas abandonnée ; son caprice passera.Elle comprend qu'elle doit lutterpour reconquérir son bien-aimé. Il esttemps d'aller trouver le Père Quimbois.C'est un bonhomme qui vend des remèdeset des maléfices. Il enseigne quelles herbes7


98 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>il faut brûler dans les couys (1) pour attendrirles garçons. Cristalline offrira au sorcierune gourde (2) de cinq francs pour qu'illui fasse le grand jeu. On glisse dans unebouteille un z'anoli-marré (3) le cœurtranspercé d'une flèche. On cache le précieuxfétiche sous l'oreiller du coupable etl'on se signe trois fois à l'envers. C'estinfaillible, l'infidèle est pour toujours rivéà sa chaîne.Cette perspective la console un peu. Il ya bien des façons de conserver l'amitié d'unhomme. La plus efficace, évidemment,c'est encore qu'il vous fasse un yche pâle,à son image, impossible à renier.Rassérénée, ayant médité son plan dedéfense, Cristalline s'habille avec soin.Elle revêt sa douillette (4) la plus élégante,(1) Calebasse.(2) Vieille monnaie des Antilles.(3) Lézard attaché.(4) Grande robe à traîne.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 99celle qui a des bouquets lilas et des volsde perriques vertes. Elle se coiffe en madrascalendé et descend vers la ville. Yvesdoit être en train d'écrire, courbé sur seslivres. Elle l'attendra près de la porte.Lorsqu'il sortira, il faudra bien qu'il luiparle et lui demande pardon.Ah ! petite fille, ne sais-tu pas qu'il y ades baisers de charité? On en donne un,puis deux, puis trois et l'on s'en va.Un béket, vois-tu, c'est un drôle decorps auquel l'enchantement tropical jouedes tours pendables. Il arrive d'un paystrop sage. Tout y est cultivé, émondé,peut-être un peu ratatiné. Le contrasteest trop fort. Le civilisé secoue brusquementles préjugés de sa race. Il s'ébrouecomme une bête domestique échappéedans un bois. Ce n'est pas toi qu'il aime,ma mie, c'est ton île et toutes ses légendes.Quand il s'aperçoit de la médiocrité deton jeu, il devient injuste et âpre, et re-


100 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>trouve, subitement, son âme européennequ'il avait cachée au fond de sa cantine.La doudou s'installe en faction devantle bureau de Pierre Desmasières. Elle contemplele profil de son amant à travers unevitre et se révolte obscurément :— Tu es là, je ne veux pas te perdre !J'ai lissé tes cheveux entre mes doigts. Tuas dormi sur ma poitrine, aussi faible,aussi désarmé qu'un enfant. Est-ce que tachair n'a pas de mémoire?La sonnerie du téléphone retentit. Yvesse précipite à l'appareil. Sa voix sonore, quimâche rudement les mots, parvient atténuéeaux oreilles de la mulâtresse.— Allô ! Allô ! Trois cents fûts de grappeblanche! Ils sont embarqués d'hier sur laMadelon. Allô, ne coupez pas !...Elle hausse les épaules. Tout cela auprèsde sa tendresse !Une auto stoppe au bord du trottoir.Georges Pressac, l'armateur de la Com-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 101pagnie des Transports de la Barbade, sautede sa puissante torpédo. Il entre en trombe,pérore, la cigarette aux lèvres, à la foisgrand seigneur et familier.Cristalline le reconnaît. Elle a lavé sonlinge quand il était un pauvre hère, quipayait assez mal et portait des costumesélimés. Sa façon de foncer droit sur lesaffaires l'a fait surnommer le Beau Flibustier.Lorsqu'il aura ruiné la sociétédont il est l'agent, il rachètera les bateauxà bon compte. Tout le monde le sait, maiscela n'empêche pas l'intègre Desmasièresde lui tendre largement la main. Une rancunemonte au cœur de la lavandière.— Tous ces fatras-blancs plaisantent etcajolent les filles de couleur. Vienne la fortune,ils chassent sans pitié leurs servantesdes mauvais jours.Découragée, Cristalline se détourne. Autourd'elle, c'est le décor animé du Bordde-Mer.Les noirs, le torse nu, véhiculent


102 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>des ballots de sucre. Des gamins guenilleuxerrent dans les entrepôts, en quêted'une boîte de conserve à chaparder. Ungabelou surveille paresseusement une goëlettequ'on décharge. Des odeurs de goudronse mêlent à l'arome du cacao quisèche sur des bouts de voile. Etourdie detapage et de clarté, la doudou ne voit pasles débardeurs qui la dévisagent hardiment.Que veut cette créature empanachéedans ce quartier de négoce etd'empoigne?Les jambes molles elle s'accroupit surle seuil, patiente et lasse.Lorsque Georges Pressac la bouscule ensortant, Yves l'attrape par le bras.— Que fais-tu là?L'auto démarre. Le chauffeur s'esclaffe.Georges Pressac salue ironiquement de lamain.Eperdue, sans pensée, elle répète :— Moin ka vini, moin ka vini...


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 103Dans son trouble, elle ne se rappelle pluspourquoi elle est venue.Yves la repousse brutalement.— Va-t'en, mais va-t'en donc !Plus bas, il ajoute :— Je monterai, ce soir, là-haut.La porte claque, elle s'éloigne. Un matelotla frôle en ricanant.Le jeune homme continue sa besogne enétouffant sa colère, craignant quelque réflexionde Pierre Desmasières. Mais celui-cine s'est pas rendu compte de la scène.Une lettre absorbe toute son attention. Illa relit, perplexe, et dit soudain. :— Demain, si vous êtes libre, Plesguen,je vous enlève passer les fêtes du carnavalchez moi. J'ai à vous parler.Il continue à dépouiller son courriersans vouloir fournir d'indications précises,et sans même prêter l'oreille auxremerciements surpris de son employé.Yves se perd en conjectures. Il sait seu-


104 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>lement qu'une voiture l'attendra de bonmatin sur la Savane. Le créole doit avoirune communication bien importante à luifaire pour l'introduire ainsi dans son intimité,lui chétif fatras-blanc.Parce qu'elle a l'espoir tenace, la doudouse leurre tout le reste du jour en répétantla dernière phrase d'Yves : « Je monteraice soir là-haut. » Elle court chezle Père Quimbois acheter une amulettez'amour-marré et des plantes aromatiques.Puis elle use son souci en tournant parla case.La voisine, aux aguets, a deviné sontourment. Elle s'est bien aperçue que lesrires et les bavardages ne s'envolaient pluspar la fenêtre. La vertueuse matrone fre-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 105donne, pour narguer la belle, en dorlotantson nourrisson :Bèket ingrat ka dit cô ça,Moin bien mêlé (1) dans ajoupa,Pas ni z'oiseaux pas ni z'amou,Ché dodou ka tétés debout,Dodou bien grasse ou vini là,Réjouir cœu moin dans ajoupa,Ah! aïe, aïe..., Ah! aïe, aïe.Cristalline ne voudrait pas entendre lafin de la chanson. Mais la voix impitoyablereprend :Bèket ingrat, bèket hautain,L'a jetée au bord du chemin,La même un pauv' mangot sauvage.Pas ni z'abri quand vient z'orage,Pou la fi ka gagner chagrin,Dans ajoupa bèket hautain,Ah! aïe, aïe... Ah! aïe, aïe...Le marmot s'est apaisé, bercé par larengaine. Cristalline ne perçoit plus qu'uneplainte mélancolique et basse : « Ah ! aïe,(1 ) Embarrassé.


106 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>aïe !... Et cela se prolonge et gonfle sagorge de soupirs. Elle se blottit dans sapeine, tressaillant au moindre bruit.Lorsque tout repose, le béket frappe à laporte. Il sent le tabac et les liqueurs. Ilest gai et ne paraît pas se souvenir de soncourroux du matin. Une sorte d'allégressecontenue le rend très indulgent. Ilbouleverse les tiroirs à la recherche demenus objets de toilette. Elle, docile,s'empresse, cependant qu'il lui prometun nouveau foulard de satin. Cristallinehoche la tête sans oser formuler ses craintes.Yves prend déjà l'assurance d'un mounegras,qu'est-ce qu'il y a donc?Devant le mutisme de sa maîtresse, lajoie du Breton se calme. Le lit, qui bâille,l'attire. Il se couche, lourd de sommeil.Alors la mulâtresse prépare l'offensive dusorcier. Elle accommode dans les couys destiges et des écorces. Elle recouvre les philtresde tisons, de cendre tiède et allume deux


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 107bougies dans les verrines qui encadrentla statue de la Vierge, afin de chasser leszombis. Puis elle se glisse entre les draps.Les fumées envahissent la chambre.Elles montent en spirales bleues, mystérieuxencens qui exhale un si tendre vertigeque les désirs, assoupis dans l'ombre,s'éveillent.Les fumées qui dansent sont des fées.Yves sourit, les yeux clos. Il a retrouvéses rêves d'adolescent. Il est capitained'une frégate de course ; il a coulé par lefond deux brigantins espagnols. Toutesles femmes sont folles de lui, et il emportela plus jolie au rythme d'un palanquin.Le jeune homme presse doucement saprécieuse conquête.Cristalline se pâme et songe :— Jamais il ne m'a tant aimée.Les braises s'éteignent ; la cendre étouffeles parfums ; les bras enlacés se dénouent.Les fumées sont mortes.


IXYves ferme la porte. Cristalline dortencore. Dehors, l'aube déroule ses blancheursde lait. Le vent a une pureté d'eau.Le jeune homme aspire à larges lampéesce souffle vierge, qui n'a effleuré que lessommets ouatés de nuages et la mer. Ils'attarde par les sentiers comme si la candidejeunesse de la terre pouvait allégersa voluptueuse fatigue.Lorsqu'il arrive sur la Savane, il trouvele cabriolet prêt à partir. Un bon visageémerge d'une kyrielle de cabas. L'aïeulede la famille Desmasières se rend pourquelques jours en changement d'air, àl'habitation de son fils. C'est une Madameles z'autres fois, c'est-à-dire une madame109


110 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>très vieille, une madame d'autrefois. Sespetits-enfants l'appellent Man-Dou, unsurnom tout à fait logique dans ce paysoù tout est doux. La jeunesse de Man-Douest enterrée depuis longtemps. Elle reposeau fond des coffrets avec des boucles decheveux et des lettres de ses parents défunts.Mais son cœur n'a pas de rides. Il estresté naïf et un peu démodé. C'est uncœur en crinoline, qui a vibré en écoutantles romances de sentiment.— Que diriez-vous, grand'maman lesz'autres fois, si cet étranger au maintienmodeste vous avouait tout de go :— Je me suis réveillé sur l'oreiller d'unelavandière. Je suis las d'elle et de moi, etje vous envie, Man-Dou, d'avoir doublétous les mauvais carrefours.La madame les z'autres fois ne s'indigneraitpas trop. Elle sait que sonpays jette du poivre dans le sang desjeunes gens. C'est pourquoi les bonnes


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 111femmes négresses chevrotent dans leurpatois :L'amou, c'est z'affaires à SatanKa tout brûlé pareil volcan,Bèket et pis pêcheu couquias,Pauv' bougresse et pis esquouias (1).Est-ce bien l'amour?Deux heures de cahots sur les routes quifrôlent les abîmes, deux heures de causettesous les fougères arborescentes etMan-Dou, conquise, confie à son fils endescendant du cabriolet :— Ce petit blanc est un charmantgarçon.Yves s'épanouit, délivré de l'ambiancetrouble qui l'enfonçait dans un fatalismeamer.Pendant le déjeuner, il se tait, contempleet écoute. La salle est vaste, sansluxe, mais la table pourrait contenir une(1) Gentil&hommes.


112 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>trentaine de couverts pour les repas debouquets-de-fête où l'on chante au dessertles couplets de circonstance. Deux servantesassurent le service. L'une trèsleste, à peine adolescente, l'autre épaisse,tassée par l'âge. Zénaïde, la da (1), porteun costume que l'on ne voit plus guère, lemême qu'arboraient autrefois les esclavesfavorites et les affranchies. Sa longue jupeà-bambousgrimpe jusque sous les seins.Un collier de graines d'or brille sur sa chemisettede mousseline. Des z épinglestremblantesretiennent les plis de son mouchoir-en-l'airet les z'anneaux-chenille encadrentsa figure toute en bosses, pareilleà une noix-coco-macaque bien luisante. Souvent,un convive lui chuchote un mot àmi-voix. Elle s'épanouit. Dans son empressement,on devine la fidèle cajoleried'une nourrice qui ne se décide pas à voir(1) Nourrice.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 113grandir ceux qu'elle a bercés. Les platss'ajoutent aux plats : acras de titiris (1),salades de palmistes, daubes onctueusesmarinées dans les aromates et le pimentfleur.Les figues-makouenga et les manguesdivinesdébordent des corbeilles.Yves se prend, à envier une telle abondance,richesse éternelle que le sol fertileprodigue sans compter. Le jeunehomme, qu'un farouche besoin d'indépendancea poussé à s'expatrier, éprouveun secret bien-être à se retrouver soudainen France, dans une France attardée, quidemeure courtoise et contente.Les créoles savent aimer la vie. Ils endégustent les moindres parcelles. Mais,pour travestir les plus simples événementsen plaisirs sans cesse renouvelés, il fautavoir pratiqué leur existence patriarcale.Ils ne sont point blasés. Leur âme,(1) Beignets de minuscules poissons.8


114 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>qui baigne dans l'éclatante lumière, resteensoleillée.Les Desmasières évoquent les ancienneslignées provinciales, solides et saines. Lepère a gardé le menton volontaire de sonancêtre, un cadet de Vendée, qui s'en vintcultiver l'indigo sous le règne de Louisle Bien-Aimé. Le climat des tropiques etles alliances ont lentement transforméla race originelle. Le teint clair est devenumat, l'accent rocailleux s'est adouci,la charpente massive s'est affinée. Lestrois filles du maître de maison incarnentle type de beauté créole, tout decharme tendre et d'attitudes harmonieuses.Mme Desmasières devait avoir, à vingtans, cette chair de nacre et ces formes parfaites.Son éclat s'est fané très tôt et lesnombreuses maternités ont laissé sur sestraits une expression de passivité heureuse.Tout petits, ses fils ont dû courir lesbois avec les négrillons. On les devine


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 115rompus aux sports et fiers de leur force.Une joie franche explose sans motifs apparents,parce que la canne pousse dru etque les armoires sont pleines. Yves neveut plus penser à rien. Tout lui semblenet, facile. Cependant cette félicité quil'entoure n'est point venue par miracle, etles choses lui révèlent, à leur façon, lesétapes successives de la famille.L'habitation n'a pas toujours été cettespacieuse demeure. Primitivement, elle necomprenait qu'un étage. Elle s'est amélioréeà chaque génération. L'une surélevale bâtiment principal, la seconde ajoutaune salle, la troisième un pignon. Lachambre à bain s'est transformée en piscined'eau courante, une haie de lauriersrosesdissimule le verger. Au salon, lesmeubles en fine vannerie, tressés à la manièreCaraïbe, parlent encore des mauvaisjours. Pendant la Révolution, les culturesfurent détruites. Les noirs préci-


116 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>pitèrent les meubles au feu en dansantautour une bamboula frénétique. L'ouragan passa. On remplaça les brocarts parles indiennes, le bois précieux par les roseaux,et les lianes refleurirent autour dela varangue.Lorsque la chaleur s'apaise, Pierre Desmasièresemmène son hôte causer sousla charmille. Ils sont seuls. Accoudé auguéridon aux rafraîchissements qu'unmenuisier de village tailla dans une piècede ouacapou, le créole dévoile ses projets,par bouffées, en fumant son cigare.— Voilà : le directeur de sa succursalede Trinidad est gravement malade. Yvesdevra partir le remplacer. Il a quarantehuitheures pour boucler ses malles et retenirsa place pour le prochain courrier.Le jeune homme n'est pas surpris. Depuishier, il attendait sa chance. Il discute,cite des chiffres, des noms, très calme etsoudain pleinement rassuré sur lui-même.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 117La route est déblayée. Semblable à laplupart des Bretons, Yves suit obstinémentson chemin, butant sur l'obstaclesans le contourner. Maintenant, il n'a plusde raison pour s'arrêter. Il ira tout droit.Il avait besoin d'une volonté extérieurepour le débarrasser de cette femme-lianequi l'étouffait en l'enlaçant... Il l'auraitquittée, puis reprise. Il se serait enlizécomme Labaussaye et pas mal de copains.Et, sourdement, Yves pensa à Cristalline.— Chère doudou, qui devenait unehabitude pesante !Il revoit la case, le lit à colonnes, lanuque ferme et dorée de sa maîtresse. Lachair étreinte d'un obscur regret, il s'apitoiesur le chagrin de la Martiniquaise, surses flambées de colère et sur ses sourirestrempés de sanglots. Une émotion à fleurde peau le saisit, juste assez pour qu'il nerougisse point de son ingratitude.


118 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Pierre Desmasières, soupçonnant le tumultede sentiments qui agite soudainson employé, l'entraîne à travers lesallées. Le décor du jardin-les prend et lesrapproche. Tous deux rejoignent sur laterrasse Man-Dou à demi somnolente aucreux d'une berceuse. Une paix exquisetombe des branches. Le ramage des oiseauxbourdonneurs se confond avec lebruit mouillé des filaos. A perte de vue,la campagne étend son désert d'émeraude.Le Morne-à-Cabris dessine, à gauche, sacroupe ronde. Les champs de canne ondulent.Plus loin, la broussaille sauvageforme un immense tapis aux tons dégradés.Les montagnes limitent l'espace etenchaînent l'esprit.Pierre Desmasières désigne les hameauxenfoncés dans les futaies. Ainsi dressé,dans le soir, il a l'air de quelque féodaldébonnaire dont les souvenirs se mêlentaux contours du paysage. Il s'est fiancé


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 119sous ce boqueteau de combarils. Ses filsont joué sous cette case-à-vent(1), où, àquinze ans, il guettait les ramiers. Cettevallée fut défrichée par son arrière-grandpère.Le pétun s'est transformé en tabacdu-diable,les pommiers-Cythère sont dégénérés,mais, dans le bassin, creusé parles esclaves, le pâtre mène encore sontroupeau s'abreuver. Yves songe :— La Martinique est bien belle à traversle bonheur des autres...Brusquement expansif, il se tourne versMan-Dou qui l'encourage et murmure,presque malgré lui :— Vous m'avez sauvé !Et, d'un coup, il jette par-dessus bord,comme un mauvais lest, les confidencesqui l'oppressent.Il dit son ennui de pauvre diable quitrompe sa lassitude au fond des cocktails,(1) Case construite dans les champs pour s'abriteren cas de cyclone.


120 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>en compagnie de fonctionnaires aigris parleurs chétifs appointements. Pourtant, ils'était embarqué plein de bonne volonté,désireux de ne pas piétiner sur place dansun vieux patelin encombré. Il s'est heurtéau delà des océans aux mêmes hypocrisies,aux mêmes insanités politiques, auxmêmes luttes de castes, avivées encore pardes rivalités stupides d'épiderme. Alors ila usé son attente avec une fille de la ruedes Amours.— Ces jeunes Européens, tous pareils,reprend Desmasières. Ils s'en vont sanssavoir, le crâne bourré de romans fantaisistes.Les coloniaux, de passage dansla Métropole, évitent de les renseigner. Ilsmettent leur vanité à dissimuler leurs difficultésdu début. S'ils ne réussissent pas,ils en accusent leur bilieuse hématuriqueou le paludisme. Pourquoi, au lieu defarder la vérité, n'avouent-ils pas : Ehbien ! oui, expatriez-vous, si vous avez le


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 121courage d'être patients. La grande misèredu Français moderne, c'est sa hâte jouisseuse.A peine a-t-il semé, récolté, qu'ildisperse ses biens et rentre à Paris. C'estun colon provisoire. Il n'a pas le temps decomprendre la terre. Il cultive, arrache ets'en va, après avoir infligé des bâtardsaux négresses et donné aux indigènes desrudiments incohérents de civilisation, quidéroutent sa logique d'enfant. Les noirsont besoin d'une amitié autoritaire, vousles grisez de vagues utopies qui les enfoncentdans une médiocrité nouvelle. 11faut, pour coloniser utilement, abandonnerl'individualisme forcené de plus enplus en faveur dans nos classes dirigeantes.Un but uniquement utilitariste est toujoursde pauvre envergure. Les véritablescréateurs sont des idéalistes volontaires.Ils ont une foi... Et puis, un colonial devraitse marier avant de monter sur lebateau. Il n'aurait pas la même impres-


122 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>sion de dépaysement auprès d'une femme,qui impose ses coutumes natales, avec lapuérile ténacité de son sexe, sous n'importequelle latitude. Les enfants achèveraientensuite de l'enraciner sur le sol nouveau.Jadis, nous avons planté notre patrimoineexotique pour nos fils. La traditionest bonne ; les Anglais ne l'ontpas perdue. A Trinidad, où vous allezvous établir, Plesguen, vous admirerezla force d'un peuple qui sait s'accrocherau terrain conquis. Mais les Anglaisesn'ont pas peur de partir. Elles emportentleur patrie avec elles partout où ellespeuvent fonder leur home... Quand lesbourgeois de France ne s'efforceront plusd'inculquer aux héritières qu'ils dotentla crainte de l'inconnu et l'horreurdu risque, nous aurons fait un pas enavant.Yves médite sans répondre.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 123Un ka (1) monotone rappelle les travailleurségaillés dans les champs. Ils s'enreviennent par groupes sous le ciel rouge.Un attelage de bœufs les suit pesamment.Hommes et bêtes se rapprochent avec lamême flâneuse lenteur. Il n'y a qu'eux devivants sous l'horizon. Parvenu au bord dela terrasse, le commandeur soulève sonchapeau bacoué.— Bonsoir, notre maître.— Bonsoir, mon fi.Un par un, les faucheurs de canne découvrentleur chevelure laineuse. Des coutelaspendent à leur côté. De grands souriresblancs éclairent leurs faces rudementéquarries. Man-Dou, penchée, agite sesmains :— Bon appétit, mes amis !Au seuil des paillotes, la soupe poiszyeux-noirsfume dans les marmites.(1) Tambour.


XLa doudou compte sur ses doigts :— Un jour, deux jours, trois jours,Yves reviendra ce soir.Elle ne se ronge plus de craintes vaines.Ses caresses et les philtres du Père Quimboisont définitivement vaincu le blanc.Sa fugue à l'habitation Desmasières nel'inquiète pas. Elle sait que les plus noblesmamzelles du monde ne pourront faireoublier à son amant sa nuit passionnée.La mulâtresse jubile, délivrée de souci.Une joie vibrante lui monte au cœur.C'est Mardi-Gras et la vie est bonne.Fort-de-France est en liesse. Le fumetdes marinades et des féroces (1) s'échappe(1) Morue accommodée au piment.125


126 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>des cases. Les gosses s'affublent d'oripeaux.Les commères trémoussent leurs hanchesrebondies. Les garçons cherchent fortune,le chapeau sur l'oreille et le nez au vent.Cristalline ne sait que faire de son corpsvorace de plaisir. Elle voudrait se gaver decolombos et de confitures et calmer sonallégresse en entrechats désordonnés.A travers le morne abrupt, une silhouettese dessine, puis deux, puis trois.Elle reconnaît Athénaïs, Loulouse et Sylvanie,ses trois anciennes compagnes dubal Loulou. Les Martiniquaises se rapprochent,accrochant leurs robes à ramagesdans l'herbe-mon-cousin. L'écho prolongeleurs voix moqueuses.— Cristalline, Cristalline, ma mie?La mie agite son foulard. Les filles envahissentla chambre, brandissant des marottes,sifflant dans des mirlitons. Ellesont des berlingots plein leurs poches etjettent des nouvelles à poignées :


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 127— Un croiseur a mouillé au carénage,oui, ma jojolle! Des bandes de békets-neufsdévalent rue des Amours. Ils gaspillentles sous sans compter, et ils ont des fringalesde baisers. Le directeur du Petit-Casino organise une cavalcade magnifiqueavec des neg's-Congo, des neg's-bitation(1) et des mounes-zombis. On enterreBois-Bois en cérémonie et on danse toutpartout.Athénaïs consulte son miroir. Louloupoudre son minois foncé de sapote, Sylvaniese dandine. Elle a déjà le caleindadans les reins. Cristalline est perplexe.— Que dira Yves s'il apprend son escapade?Bah ! il n'en saura rien. On tourne,on vire, on se débarrasse de son exubérance,sans avoir besoin pour ça d'allers'accuser à confesse d'avoir polissonné aujeu Monsieur-Madame.(1) Nègres employés à la culture sur les habitations.


128 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Sylvanie lui enlève ses dernières hésitations.— L'argent, c'est pièce ronde pour rouler,la jeunesse, c'est z'oiseau pour voler.Cristalline chasse d'une chiquenaude unmoustique imaginaire, saute en l'air ets'écrie :— Moin pas esclave !Elle arrache son peignoir, vaporise sagorge, se coiffe, s'attife et les belles coquinesl'entraînent dans le froufrou deleurs jupons.Le tam-tam bat : ti blib ! ti blib ! par iciles fous, les folles. Ti blib ! ti blib ! Lesmatelots en cols bleus tirent des bordées,les gamins s'abattent comme une nuée desauterelles. Les confettis s'éparpillent enpluie. Les cris fusent, les chiens pelés glapissent,les chats se sauvent. Le soleilrutile sur les madras à trois cornes. Lesaccordéons déroulent leurs rengaines etles tambourins enragés crépitent : Ti


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 129blib ! ti blib ! Laissez passer Missié Carnaval.Missié Carnaval, c'est Bois-Bois,un grossier mannequin que quatre gaillardsexhibent sur leurs épaules. Son tricornedomine les remous. Il s'incline àgauche, à droite, gonflé, gigantesque etmou. Chaque année, Bois-Bois symboliseune personnalité locale. Cette fois, ilreprésente un gendarme-grosses-bottes, terreurdes charbonnières, des ivrognes et desphilosophes, qui maraudent pour mangeret grattent leurs chiques le reste du temps.Bois-Bois nargue la loi imposée par lesriches. Ah ! qu'on va s'amuser quand le feuléchera son ventre de paille, et quand ilrôtira, plus vite et mieux qu'un cochonmarron.Une procession hilare de masquesbariolés suit le fantoche : Neg's-grossirop(1) entortillés de loques, le visagebarbouillé de suie et de mélasse, neg's-(1) Nègres employés à la fabrication de la mélassedans les sucreries,9


130 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>bitation, vêtus du pantalon de toile etcoiffés du bonnet fautas des défunts esclaves.Des négresses arborent le largechapeau nourriture-de-mule des paysannes,et les marmots épouvantés contemplentles mounes-zombis, qui incarnent les superstitionspopulaires avec leurs ailesde quimbos, leurs draperies de spectreset leurs grimaces de Satan. Les uns ont dûse vautrer dans un sac de farine manioc,les autres ont barbouillé leur face deliane-sang.Cristalline a perdu ses amies dans lafoule. Un nègre jovial la prend par le bras.Un vieux-corps, qui a le gros-pied, gambillecomme il peut, sur sa jambe que l'éléphantiasisa épargnée. Des bonnes femmessans dents oublient leurs ravages et esquissentde raides rigodons de marionnette.Un nuage de poussière emportel'étrange cortège jusque sur la place où lebûcher de Bois-Bois est dressé. La parodie


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 131commence, parodie goguenarde et cruelle,que les acteurs prennent à moitié au sérieux.— Est-ce Bois-Bois qui flambe ou ungendarme grosses-hottes ? Ils ne savent plus.La ronde vertigineuse tourbillonne autourdu brasier. Des reflets d'incendie empourprentles peaux brunes : « Ti blib ! tiblib ! crevez gendarme ! » Les flamboyantss'effeuillent : la brise charrie par rafalesleurs pétales saignants.Cristalline tourne, chétive pirouette,dans la mêlée des pirouettes.A la dernière farandole, elle tombe surun banc. Les couleurs papillotent, lesrictus s'éteignent. Elle est bien. Un marinchevaleresque l'évente avec une branchede papaye. Dans un hoquet, une charbonnièrede la Compagnie gouaille en passant:— Prends ton mouchoir, doudou, tonbéket ka pati...


132 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Elle s'échappe, sorcière fatidique, rejoindreun groupe de viragos trépignantes.Cristalline bondit.— Que dites-vous là?Hérissée, prête à mordre, elle fonce surla négresse, la secoue :— Ça n'est pas vrai. Farceuse ! Poison! Charogne du diable !— Si, ma cocotte, c'est vrai. Ton amiest parti par le courrier de Trinidad,moin l'a vu. M. Desmasières le bourraitde calottes d'amitié sur le dos, avec desadieux mon ché et des bénédictions d'archevêque.Et ton béket à la pommade serengorgeait, pareil à un dindon. Sur latête de ma mère, c'est la vérité même...Le bateau a démarré à quatre heures. Libien loin !...C'est peut-être la ronde qui recommenceauprès d'un invisible Bois-Bois. Cristallinen'y voit plus. Tout se brouille, les


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 133gens, les arbres, les maisons. Elle vacille, illui semble qu'une mauvaise bête, quelquezomhi échappé de la fête, l'étrangle.Elle chavire brusquement dans le noir.Le marin compatissant la traîne à l'écart,sur le talus. Il continue à l'éventer avecsa branche de papaye. Elle demeure,inerte dans ses atours, comme une grandepoupée abandonnée. Lorsqu'elle reprendconnaissance, elle se met à sangloter dansson mouchoir. Alors, le marin s'échappe.Il redoute les larmes et une fille attardéelui fait signe.La doudou a dû rester là pendant desheures. Déjà le silence nocturne bâillonnela ville. Le bruit du tam-tams'éloigne. Ce n'est plus qu'un grondementvoilé d'orage qui ne se décide pasà mourir. Les flamboyants sont devenusdes masses hostiles. Une étoile glisseun œil oblique à travers les branchestorses.


134 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Cristalline grelotte et cherche à dissiperson cauchemar.La charbonnière l'a trompée. C'est uneguenon flétrie, qui trime pour quelquessous et noie sa misère dans le tafia. Elle avoulu se venger par jalousie. C'est impossible! Yves ne s'est pas enfui à la Trinidad,semblable à un voleur. Sans doute,est-il rentré de l'habitation Desmasièreset, qui sait, peut-être F attend-il à la case?Cette supposition lui donne du courage."Elle se lève et retourne chez elle.Elle trouve la cabane fermée. Le lit n'apas été défait. Il n'y a rien. De nouveaul'inquiétude la tenaille. Elle s'effondre surune berceuse et finit par sommeiller, accabléede chagrin et transie.L'aube la surprend dans ses vêtementssouillés. Elle ne peut pas rester ainsi. Ilfaut qu'elle sache ! Titubante, dans unesorte de demi-conscience, elle dévale lesentier glissant et reprend la route de


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 135Fort-de-France. A l'hôtel Lédiat, on larenseignera.Mais, sur la Savane, tout est vide etencore barbouillé de nuit. La jeune fille seposte sous la croisée de son amant. Timidement,craignant un esclandre, elle appelle :— Yves, tu m'entends?Les persiennes ne sont pas fermées.Pourtant, Yves ne répond pas. Nulle lumièrene s'allume pour la rassurer. Ellese tasse dans un coin en attendant que lavie recommence.La vie est longue à renaître. Le tempsne se mesure point. Il prend une saveurde néant, et l'engourdit, lentement, dansune sorte d'hypnose morne.Puis, le marchand de cocos déambule,son chargement sur l'épaule. Une voile sepenche sur l'eau. L'horizon s'éclaire. Desvolets s'entre-bâillent. Le garçon de l'hôtelLédiat ouvre la porte. Un seau d'eaugicle sur le trottoir.


136 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Cristalline se précipite.— Monsieur Plesguen est ici?Le garçon la dévisage une seconde,hésite et répond en se détournant :-— Je crois qu'il y a une lettre pourvous.Il revient apportant une large enveloppe.Quelques mots d'adieu, griffonnés aucrayon, et quelques billets bleus.Là-haut, la fenêtre d'Yves, béante etsombre dans la clarté, a l'air d'une tombeentr'ouverte.


XIAutrefois, les filles de couleur quiavaient du chagrin mangeaient de la terrepour se faire mourir. C'était à l'époqueoù elles arboraient un carreau d'argentaux armes de leurs maîtres et coûtaientcent pistoles. Maintenant, les filles de couleursont plus raisonnables. Elles ont unetrès longue habitude de résignation. Lacompassion volubile qui entoure leurs déceptionssentimentales les aide à se consoler.Cristalline s'est cachée dans son coincomme une bête farouche. Mais, très vite,la nouvelle de son abandon s'est répandue,provoquant une bruyante charitéet des dévouements inattendus. La137


138 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>rancune de sa voisine s'est apaisée. C'estune créature qui n'aime pas se réjouir dubonheur des autres. Elle préfère s'apitoyersur leurs épreuves. Les danseuses dubal Loulou ont frissonné, songeant qu'unepareille aventure guettait leur étourderie.Les commères, qui ont le goût des condoléances,ont frappé à la porte de la jeunefille.— Ça, ça et ça, ma fi, tu es bien mêlée(1)aujourd'hui?Cristalline renifle dans son mouchoir.— Conte-nous ton malheur, ma pauv'.C'est paquet qu'on porte mieux en commun.— Moin pas méfiante, et béket-là tellementsavant pour débiter les brimborions-fadaises,avoue la doudou désolée.— Ah ! Ah ! ricane une vieille, parolesbéket pas ni paroles véridiques. Z'amours(1) Bien embarrassée.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 139bêkets, z'amours mauvaise qualité. Ça kapéter boum, même chose peau de boudin...— Hélas!— Seigneur-Jésus !Les visiteuses, en chœur, déchirent l'absentà belles dents.— Un fatras! Ça se croyait quelqu'unà cause de sa peau transparente. Ça disaitavec les copains : « Les tites négresses,pouah ! Ça pas bon, ça pas malicieuses. Çaka senti l'huile de palmes... Et ça profitaitde leur corps, oui ! Eh bien, les titesnégresses, ça ka dit cô ça : « Les fatrasblancs,pouah ! ça ka puer le cadavre malpropre.Ça menteur, ça serpent, ça maudit! »Prises d'une colère subite, elles accablentl'étranger d'injures :— Un salaud ! Un choléra ! plus failliqu'une crotte de chien.— Un voleur, un vampire. Un bonhommepolichinelle.


140 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Cristalline hausse les épaules :— Non, non, pas voleur, pas vampire,bonhomme polichinelle seulement.Pour calmer les esprits, la voisine -revientavec un plateau qu'elle exhibe cérémonieusementà bout de bras. On grignotedes grains de maïs grillés. On suceune mangue-quenette. Cristalline se laissetenter par un pot de confitures-patates.— Les douceurs, c'est bien nécessairepour sucrer les douleurs-sentiments, assurel'amphitryonne.Lorsque les commères se sont retirées,la mulâtresse s'assied à sa porte. Elle nepense plus à rien ; le ronron des bavardes aengourdi sa peine.Les semaines s'en vont toutes grises.Cristalline, endolorie, s'enfonce dans ses


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 141regrets. Il lui semble que son désenchantements'atténuera à force de paresse, dansune quiétude machinale. Mais l'argentqu'Yves lui a laissé baisse rapidement.Elle diminue ses dépenses, se contentantd'un fruit ou d'un yam bouilli dans la marmite.Elle vide sa bourse jusqu'au derniersou, trop insouciante pour économiser,trop fataliste pour prévoir. Quand elle n'aplus rien elle emprunte une poignée deriz à la voisine. Et puis, un jour, elle afaim ; sa tristesse immobile l'ennuie. Alorselle se décide ; elle reprend sa blouse delavandière et s'en retourne à la rivière.Le décor n'a pas changé. L'eau vivejoue toujours du tambourin sur les caillouxpour aider Chimène, Lise et Dododans leur besogne.Clic ! clac ! Cristalline bat son linge.Clic ! clac ! Cristalline passe sa rage. C'estl'infidèle qu'elle fustige durement sur lespierres. Elle le fouette, elle le tord. Clic !


142 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>clac ! Elle grommelle âprement pour elletoute seule :— Crasez béket! Crasez fatras!Les racontars de ses compagnes ne l'intéressentplus. Elle a vécu des heures tropdifférentes : des heures légères de nonchalanceamoureuse dans sa chambre, desheures triomphantes au marché, où elleachetait sans compter. Elle a mangé surune nappe blanche, en imitant les gestesprécieux d'une Madame-France. Tout luipèse. Elle ne sait plus plaisanter dans sontravail. A moitié nue, elle se plaint encorede la chaleur. Une cruelle langueur labrise. Elle murmure :— Moin lasse !Dodo s'exclame :— Eh là ! Cristalline, tu as gagné unmamaille, moin save ça.Cristalline éclate en sanglots.Eh oui ! c'est bien possible. Elle a gagnéun mamaille pour essayer de retenir son


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 143amant. Elle va mettre au monde un bâtardmalchanceux, un gosse de contrebande,qu'on baptise sans sonneries de cloches.Les lavandières se sont tues.La doudou se lamente :— Mon Dieu ! mon Dieu ! la calamitéest sur moi.Son désespoir la secoue, violent commeune tornade qui s'acharne sur un bambou.Lise reprend sans s'émouvoir :— L'autre année, Jeannette la repasseusea fait, elle aussi, un yche sans papa.— C'est arrivé également à ma cousine,ajoute Dodo. Elle a eu une ti fille biengrasse, mais le père s'en est allé du côtéde la Pointe-à-Pitre sans donner sonadresse.Et Chéchelle, et Toutoune, et MimiPomone, toutes ses mamzelles-là sont enceintespar accident.— Un enfant c'est petit, petit. Ça réchauffeun cœur délaissé. Ce n'est pas


144 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>trompeur, rêve Cristalline en essuyant sesyeux.— Ah ! oui, c'est mignon, un enfant,avant de devenir un homme !— Pardon ne guérit pas bosse. Tubailleras ton sang et ton lait pour laverton péché, conclut Lise en s'en allantvoûtée sous son fardeau...La rivière emporte les paroles et lesheures dans sa course. On dirait qu'elleraille en sourdine les pauvres mamzeilesqui n'ont pas su conserver une âme limpideà son image.Jusqu'à sa délivrance, la doudou a lavédes draps, des goles et des chemises. Ellen'a pas été par les bois cueillir l'herbeMarie-a-honte pour retrouver sa fine taille.Elle s'est abstenue de croquer l'ananas


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 145vert arrosé de muscade. Elle s'est efforcéed'être bien raisonnable. Pourtant, lorsqu'elleregagnait sa cabane, son traymouillé pesait lourdement sur sa tête. Sespieds nus enflaient par la fatigue.Et le soir est venu où Cristalline a payésa rançon de doudou. C'est un soir toutpareil aux autres. Mais la femme n'en peutplus. Son ombre difforme, qui se profilesur le chemin, l'effraie. Les graviers blessentses talons. Elle glisse, elle tombe, elle serelève. Toute sa vaillance passive de primitivel'abandonne. Elle n'est plus rienqu'une chose qui souffre, et elle s'abat dansson logis. C'est la fin, le bébé naîtra avantle matin-jour. Tout est disposé pour lerecevoir : la corbeille où il reposera, leslanges qui le vêtiront. Ou vini mamaille, ouvini... Ah ! que c'est long. La nuit baignela campagne. C'est une nuit violette, gonfléed'haleines odorantes. On entend lesmangoustes se poursuivre dans les feuilles10


146 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>sèches. La mer frémit doucement sousl'alizé. Un immense soupir monte de laterre, qui se plaint aux étoiles d'engendrertant de germes, tant de sève, tant dévie.Les gémissements de Cristalline dominentla rumeur nocturne.La voisine accourt. Les cases s'éveillent.Des lumières dansent à travers les buissons.— Qu'est-ce qu'il y a?— C'est Mamzelle Boisnoir qui accouche.Les falots se rapprochent. La voix de lamulâtresse brise par saccades le halètementsourd de l'île chaude.La sage-femme retrousse ses manches.On allume un feu devant la maison, l'eaubout dans le canari. Chaque personneémet un avis différent.— Pour calmer la colique-enfantementon doit boire une tisane de pois-gombauxdans laquelle on ajoute une corde, du grossel et du tafia. C'est souverain.


DU LES DANGERS DU BAL LOULOU 147— Mais non, il faut toucher une perlelambi.— Pas du tout. On souffle dans unebouteille. La mamaille sort d'un coup :pouf !Une négresse prévoyante prépare unepâte composée d'argile, de plantes et deblancs d'œufs. Ce mélange est destiné àdurcir le cerveau du nouveau-né, qui devragarder ce cataplasme sous son bonnetpendant toute une semaine.Cristalline crie sans arrêt :— Ouaï ! Ouaï ! Maman !...Les curieuses forment un essaim demouches bourdonnantes. On plaisante. Cen'est pas terrible, cette maladie-là. Enmatrone avisée, la sage-femme s'apitoiesur la patiente.— Cela ne se passerait pas de la sorte,si elle avait un mari !Elle serait bien tranquille dans un coinsur un vieux matelas de coton, tandis que


148 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>le compère s'allongerait sur la couche deparade. Il se tordrait avec des grimaces demacaque pour imiter les contorsions deson épouse, retenant ainsi l'attention descommères. Cette coutume a du bon. Lesnègres l'ont apprise, dans les temps, enfréquentant les Caraïbes sauvages (1).A l'Angelus, la sage-femme se tournevers les figurantes désœuvrées :—- Allumez les bougies de la Vierge, leyçhe vient...— C'est un yche mâle.Faible et meurtrie, la doudou tiententre ses bras un poupon au teintclair. Sa bouche menue aspire le ventmatinal. Il pleure d'être né sans savoirpourquoi.(1) Voyage aux Isles d'Amérique, par le R. P. LABAT,de l'Ordre des Frères prêcheurs. Bibliothèque Schœlcher,Fort-de-France.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 149Bouleversée d'un amour nouveau, lamère l'embrasse et chantonne très bas :Dodo yche moin, dodo,Dodo sous bras à maman.Papa ou c'est un ingrat,Y pati, y laissé moin.Dodo ! Dodo ! Tous deux somnolent,fragiles et tendres, dans le lit à colonnesoù l'étranger n'est jamais revenu.


XIIC'est tout petit et cela remplit la case :c'est un yche! Mano a quatre mois, deuxdents, une houpette de cheveux, un corpspotelé, doré, pétri de soleil et de lait. Lematin, Cristalline le baigne dans une carapacede tortue. Mano gigote, l'eau s'éparpilleen gerbes. Mano rit ; sa mère rit aveclui. Il tette voracement, content de boirela vie à franches lippées. On ne peut paslui montrer grise mine, et pour luiplaire, on doit retrouver une pureté nouvelle.Cet enfant de l'amour fait oublierl'amour.La doudou devient une brave créaturetoute simple, qui entre-bâille son corsage,donne son sein, son sommeil et sa161


152 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>force en ressassant gaiement des tims-timsà son poupon :Dansez caleinda,Ti mamaille là,Dansez caleinda,Toujou çô çà.Quand un flocon de fromager s'égare,Cristalline l'attrape au vol et s'écrie :— C'est le bon ange qui secoue sesailes !Et, lorsque Mano ne veut pas dormir,elle s'exclame en prenant sa grosse voix :— Entrez méchant zombi, prenez monpolisson dans votre sac à malices.Toute la nature se peuple de divinitéssecourables ou terribles avec lesquelleselle converse familièrement.Mano est élevé avec les coutumes desnégresses, leurs manies cocasses, leurs superstitions,leurs remèdes faits de graines,de feuilles et de magie. Le fils de l'étrangers'épanouit, libre et nu. Plus tard,


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 153quand il commencera à parler, il jaserale patois chantant de la créolaille. Cristallineest fière de lui. Elle l'a présenté àsa famille. Ses tantes et ses cousines, quienviaient secrètement la mulâtresse touten la méprisant, se sont amadouées, satisfaitesd'avoir reconquis une fille de leursang. Pour qu'elle ne leur échappe plus,elles l'accablent de conseils Sa marraine,qui tient une boutique lapacotte, et rougissaitfort d'avoir comme filleule uneassidue du bal Loulou, se préoccupe deson avenir. Mme Alidor est une personneimportante. C'est la veuve d'un fonctionnaire,un douanier, dont la prévoyancen'était jamais en défaut... Ilmonta le commerce de sa femme avec lesmarchandises hétéroclites que les contrebandiersdébarquaient derrière son doscomplaisant.Cristalline aime beaucoup rendre visiteà sa marraine. Elle grappille un bout de


154 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>ruban, un savon parfumé, un coupond'indienne. Mme Alidor trône à son comptoir.Dans sa robe blanche, elle a l'aird'une balle de coton prête à s'effondrer.Son visage est empreint d'une gravitémajestueuse. Elle apprécie les gens d'unemanière péremptoire. Ses idées sont bienen ordre dans sa tête, parce qu'elle n'en apas énormément. Son prestige repose sursa sévérité. Elle disserte à tout propos surle devoir, la raison, l'économie. Au JugementDernier, lorsque la trompette deJéricho la réveillera dans son tombeau,elle rendra compte de son destin au PèreÉternel en citant ses charités sou par sou.Toinette Alidor est une fourmi prévoyante,qui thésaurise pour l'autre monde. Cristallinene sera jamais qu'une cigale repentie.Elle assiste à la messe pour sedistraire. C'est joli, la messe. C'est l'inaugurationdu dimanche, un jour limpide,qui permet la paresse et favorise la vanité.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 155De la Caravelle à Fort-de-France, lescloches sonnaillent à tous les échos :— Réjouissez-vous, bonnes gens ! Aujourd'hui,il n'y a plus de pêcheurs, delavandières, de colporteuses. Tous lesgueux, qui marchent pieds nus, sont empesésà la mouchache.Et les gueux se débarbouillent de leurmisère, contents de prendre des mines solennelles.Ils se réunissent sur les placespour deviser de leurs affaires, en usant detout un bric-à-brac de phrases de cérémonies,qu'ils ont glané dans les journauxet dans leurs livres de prières.Mamzelle Boisnoir, pimpante dans sadouillette à bouquets, se rend à l'église.Mano, vêtu pendant la semaine d'unechemise, qui s'arrête au nombril, est empaquetéde broderies. Il faut que lesdévotes s'extasient sous le porche de lacathédrale :— Y bel, yche tala !


156 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Pendant le prône, il suce son pouce. Lesdames lui sourient en jouant de l'éventail.Le Sacré-Cœur en plâtre le bénit.Dans un coin, la confrérie baroque desSilencieuses marmotte un rosaire. L'encenset les orgues amollissent les esprits.On repose délicieusement sa consciencequotidienne dans une béatitude optimiste.Dès que Vite missa est délivre lesfidèles, Cristalline se précipite chez samarraine. Elle sait qu'une tonton-bananemijote pour elle dans le canari.L'après-midi, elle s'attarde auprès deTomette. Mano prolonge son somme sousla moustiquaire de la marchande. Lesrues s'engourdissent dans la langueur dominicale.On se parle d'une maison àl'autre, nonchalamment. Le soleil tend sanappe de feu sur le trottoir, les fontainesdes cours se plaignent goutte à goutte.Cristalline digère, enfouie dans une dodine.Les mains croisées sur sa poitrine abon-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 157dante, sa marraine entame son homéliehebdomadaire.— Hélas ! ma chatte, trop de bijoux,garde-manger vide. Veux-tu me dire àquoi te sert ton collier-chou? Tes foulardsse friperont, tes robes se faneront. Tudeviendras une malheureuse... On doitécouter les paroles des personnes lesz'autres-fois, Cristalline, quand on ne veutpoint voguer au gré des flots...La jeune fille bâille distraitement— Ça ka foute moin !— Ça ka foute moin, ça kat foutemoin ! ce n'est pas des raisons. Voilà, mafille, ce qu'il faut dire au Bon Dieu : Seigneur,j'ai couché sans façon avec unblanc. J'ai galvaudé ma sagesse et sali laconsidération de ma famille. Eh bien !c'est fini ! Je renonce à batifoler. Je veuxépouser un honnête garçon et accomplirsérieusement mon salut pour que toutes leschipies qui m'ont vilipendée ravalent leur


158 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>salive et sèchent de jalousie sur mon passage.— Personne ne me recherchera désormais,soupire la pécheresse humblement.— Les hommes sont bêtes, Cristalline.Popo Adilas, ton cousin, se contenterades restes du fatras.— Un neg bitaco !— L'orgueil t'aveugle, ma ché. Tongrand-papa était un esclave Mandingue ;eh bien ! ton mari lui ressemblera. Popoest un peu brun, mais cela ne l'empêchepas d'avoir les manières d'un docteur. Ila" un champ, un canot, une case ; tout celacompte dans l'existence. Tu deviendrasune vraie dame, qui met ses draps avecdes chiffres enlacés, à la blanir sur l'herbe.Tu conduiras tes enfants au catéchismesans avoir à baisser les yeux...— Adieu, marraine !— Ne te sauve pas, ti pigeon moin.Ecoute ce que Popo m'écrit pour toi.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 159Toinette tire de sa poche une lettrefrangée de dentelle et lit en hésitant entreles points et les virgules :Ma chère et vénérabledame,Je saisis mon industrieuse plume et vousmarque ma libre pensée.L'expérience me démontre que l'amourest pareil au piment-câpresse. Il est nécessaired'y goûter souvent pour qu'il ne vousincommode plus... Chère et vénérable dame,mon courage est cassé en deux, mon cœur està jeun d'amitié, le feu d'un volcan me brûle!En vérité, je suis très mal à mon aise, et letafia devient pour moi, même chose del'eau, depuis qu'une faible créature a détruitma tranquillité.C'est pourquoi, à bout de forces, je sollicitede votre bienveillance, l'objet de mesdésirs. Me conformant au savoir-vivre,que la civilité nous enseigne, je viens vousdemander formellement la main de Cris-


160 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>talline Boisnoir. Je suis disposé à légitimermon ardeur et à prendre ma cousinesur mon compte ainsi que sonenfant.Mes qualités solides, jointes aux agrémentspersonnels de votre filleule, cimenteront,j'espère, l'union indestructible quemes concitoyenssont en droit d'exiger demoncivismeintégral.Dans l'attente d'une réponse favorable, jedemeure, chère et vénérable dame, votredévoué mais anxieuxserviteur.POPO ADILAS,Propriétaire,Secrétaire de la mairie des Trois-Ilets.Le soir, pour la première fois depuis lanaissance de son fils, Cristalline rêve.Les couples rentrent au logis. Un calmemélancolique enveloppe les cabanes accroupiessous les palmiers colonnes. Cen'est pas l'instant d'être seule. L'heure estperfide. Il faudrait une chambre éclairée


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 161et le rire sonore d'un homme pour ne passentir mourir la joie. Il faudrait être deuxpour échafauder, côte à côte, les projetscharmants, qui donnent envie de vieillir...— Popo Adilas, un neg'z'habitant quiporte un chapeau bacoué, se dit Cristalline,un neg' bitaco, très noir, aux lèvresépaisses...Peut-être, Cristalline, que l'amour duz'habitant est tendre et sûr, et qu'auprèsde lui, les semaines s'en iront paisiblementcourir après de rustiques dimanchesdans le village de chaume, où le bonheurse cache, comme le miel au fond d'uneruche.11


DEUXIÈMEPARTIECHEZ LES NEG'S-Z'HABITÀNTS


IPopo Adilas tourne autour de la case desa belle. Cristalline boude et se renfrogne,comme une chatte. La jeune fille voile saprochaine défaite par des capricieusesdérobades et son orgueil féminin est sauf.Mais l'amoureux exhibe un hochetpour Mano, puis un mouchoir gorge-pigeon,puis l'anneau des fiancées. Cettefois, Cristalline tend son doigt, un peu parpolitesse, un peu par lassitude. Elle ne saitpas trop si elle est contente ou fâchée.Elle pense qu'elle ne va plus travailler.Elle deviendra une paysanne éloignée dumonde. Tout cela au fond est un peutriste.Lorsque Popo s'en vient la courtiser,165


166 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>elle l'accueille distraitement. Il arrive lesamedi, à la vêprée. Sa face réjouie a l'aird'une boule d'ébène bien encaustiquée.Ses dents sont très blanches. Il a soin deles frotter avec des fibres de canne àsucre. Popo se dandine devant elle, satisfaitde jouer un rôle. Quand elle fait lamoue, il rit ; quand elle daigne parler, iljubile. Souvent tous deux se taisent. Lesminutes sont lourdes d'un tas de souvenirs.Le neg' bitaco est patient, rien ne lerebute. Il sait attendre, et pour conserverson inaltérable bonne humeur, il se dittout bas :— Grimace à ton aise, jolie Mamzelle.Bientôt je serai ton maître. Je frapperaisur la table de mes poings solides en commandanttrès fort : Fouick là ! servez-moima soupe...


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 167Ils se sont mariés sans carillons ni falbalas.La ville n'était pas encore réveillée.A l'église, Popo, engoncé dans sa redingote,avait l'émotion rogue. Il polissait,d'un geste machinal, son chapeau bizebondeà huit reflets. Mme Toinette soupirait,regrettant le cortège et le festin. Unhomme qui donne son nom à une doudoun'ose pas se montrer. Il redoute les mauvaisesplaisanteries, les charivaris burlesquessur des casseroles, les chansonsironiques où l'on prédit au conjoint lescornes papa-bœuf. Il risque, pendant lerepas, d'éternuer cent fois dans une pimentade.Enfin, une amie futée, peutfrotter le visage de l'épousée avec unepommade au genipa, qui teint la peau en


168 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>noir pendant toute une semaine. Certainesaccordailles n'ont pas besoin du tambouyé(1) pour distraire les invités. Lesétourdies, qui ont brûlé roseau et pis bambou,n'ont plus droit au chaudeau, la boissonnuptiale, que les filles et les garçonsapportent, en grande pompe à la nouvellemariée, le lendemain de ses noces.Cristalline n'aura pas à rougir en dégustantle lait mousseux parfumé de cannelle.Cristalline cache humblement sonbâtard dans sa robe. Son mariage ressembleà un enterrement de charité, bâclésans façon, entre deux cierges éteints.Lorsqu'elle ferme son logis, elle voudraitbien pleurer sur la détresse de sachambre. Les murailles sont blessées partoutes les images arrachées. Le lit en boisde Cayenne, débarrassé des matelas etdes couvertures, gît dans un coin. Tout est(1) Joueur de tambour.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 169bouleversé. Les meubles ont pris la pauvretélépreuse des choses abandonnées.Seul un porte-manteau, fabriqué dansune racine où Yves accrochait son casque,tend vainement son moignon inutile. Lesravets, chassés de l'armoire, trottent enquête d'une cachette. La liane de mai vasécher à la fenêtre.— Es-tu prête, Cristalline?Le mari s'impatiente, soudain impérieux.Il a hâte d'emmener sa femme, bienloin, vers les confins de l'horizon, par lecourrier des Trois-Ilets.Le courrier des Trois-Ilets est une pirogueétroite et longue, qui glisse, rapidesur les lames courtes. Popo retire sa vestepour aider les marins. Cristalline, étaléeau fond de la barque, couvre ses panierssous ses amples jupons. Mano jase deshistoires incompréhensibles que le douxclapotis des vagues accompagne.Fort-de-France fuit dans la brume.


170 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Les collines resserrent la baie. Des îlotsjaillissent hors de l'eau. Une plage moirées'enroule autour du rivage. Un mornedresse sa bosse verdoyante. Sans bruit,auprès d'un palétuvier qui plonge sontronc dans la mer, la pirogue se posecomme un pigeon voyageur.Cristalline traverse le bourg. Il y a unerue, bordée de cases rousses. Une paixdormante, monotone et lourde écrase lestoits envahis par les herbes folles. Làbas,les champs coupent de larges tachesclaires la broussaille épaisse. Sur le seuild'une porte, une bonne femme agite sonfoulard. C'est la vieille maman de Popo.Cynotte est une aïeule ratatinée. Elle n'aplus que trois dents pour rire ; ses brasont la sécheresse grêle des fagots. Ellenoue son madras à la tout bonnement etaccueille sa bru par l'antique souhait debienvenue des négresses :— Bonjour, ma fi ! Tiens bien ton cœur.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 171Cristalline sourit. Elle sait que soncœur ne s'échappera plus. C'est Manoqui le garde entre ses menottes de petitenfant.Et la vie s'égrène sans hâte, dans la torpeurblonde de la campagne tropicale.C'est à peine la vie. C'est quelque chosede lent, une succession d'heures frustes oùl'esprit se disperse. L'ardent soleil l'absorbetout entier.La jeune femme a rangé ses robes degala dans une commode. Ce n'est pas lapeine d'être riche aux Trois-Ilets, il n'y apas de boutique pour gaspiller son argent.La doudou est tout de même heureuse.Elle perd son temps délicieusement.Cynotte est active, en dépit de son âgeavancé. Elle épluche les pois d'Angole,pile le manioc, cueille les fruits du jardin.Popo cultive les légumes par boutades.Quand il sarcle les choux-Caraïbes, affubléde son habit de travail, coiffé de son


172 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>chapeau bacoué il ressemble à un épouvantailà moineaux. Cristalline souffredans sa vanité de citadine. Elle se rappelleun refrain que fredonnaient ses compagnes,où il était question d'une mamzellemariée à un z'habitant qui pas connaîtreaimer. Popo, malgré ses phrases savantes,ressemble au héros de la chanson. Il ignorele badinage sentimental et les compliments.Sa passion est taciturne. Il contemplela mulâtresse avec une tranquillesatisfaction. Elle est son bien. Iléprouve le même contentement admiratifdevant son lopin de terre. Sa languese délie mieux au Piment-z'Oiseau. C'estune graisserie qui tient lieu d'auberge.Mme Alexine Bonbon y débite aux pirogueurstoutes sortes de boissons, chauffela-gueule.Les coudes sur la table, Popoentame des discussions avec les notables :le charron, l'instituteur, Siméon de Montaignele cordonnier. Un drôle de type, ce


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 173Siméon de Montaigne ! Il se vante d'appartenirà une famille dont les quartiersde noblesse remontent au célèbre auteurdes Essais. Il est très fier de sa particule,tout en détestant les aristocrates. C'estun sang-mêlé, déteint, minable, qui videsilencieusement des litres de grappeblanche.Popo ne boit guère. Ce sont lesidées qui l'exaltent. Pourtant, quand ilrentre chez lui, il roule des prunelles decacatoès. Parfois ses mains tremblanteslaissent échapper la gargoulette. Popo estivre de politique.Cynotte, qui voit sa belle-fille froncerles sourcils, supplie à mi-voix :— Ramasse ton courroux, ma ché,si tu ne veux point danser le caleindamarrê.La jeune femme se tait en maugréant.Sous le régime des rois, la cravache ducommandeur faisait danser de féroces caleindas-marrésaux nègres et aux négresses,


174 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Maintenant, les missiés noirs sont tirésd'affaire ; mais les ingrats oublient lesprincipes égalitaires qu'ils ont réclaméà grands cris, et fustigent sévèrementleurs épouses afin d'imposer leur autorité.Popo Adilas entend qu'on le respecte.Depuis le jour où Cristalline est allée lechercher à la mairie, elle comprend sonimportance et renonce à l'intéresser auxfariboles.Hier, un chasseur-chou, vous savez, unde ces galvaudeux qui s'en vont dans leshauts couper des pousses de palmistes,s'est présenté à la maison, remorquant uncochon-marron par la queue.— Madame Adilas, vous n'avez pasenvie de manger des andouilles, et duboudin, et du lard bouilli dans la marmite?Elle s'empresse d'acquiescer. Cynottereprend en tâtant le cochon terrifié :— Combien cette faillie bestiole-là?


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 175— Li pas bestiole, li grosse bête ka valoirtrois tites gourdes de cinq francs.— Ouaï ma mère ! trois belles gourdesde cinq francs pour un paquet d'ossements,passez votre chemin !Le chasseur-chou s'entête. Cynotte etlui entament une violente palabre, cependantque la victime glapit son angoisse àtous les échos.Les voisines accourent.— Eh bé ! ces Adilas, ils ne se refusentrien. Ils se paient un animal tout entierpour mettre en pâté. Que l'indigestion lesétrangle.— Ah ! Ah ! ces Adilas, ils dédaignentune écuelle de matété (1) et ils marchandentune vilaine bête sauvage.. Riches là tropavaricieux...Pour sauver la situation, Cristallinebondit à la mairie quérir Popo. Il fera(1) Mets composé de farine de manioc et de mélasse,


176 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>taire les bavardes, le chasseur-chou et ontuera le cochon-marron.Elle entre, en coup de vent, et s'arrêteinterdite devant la porte.Popo remplit majestueusement ses fonctionsde secrétaire, assis devant un pupitreboiteux. Il est seul, au milieu d'undécor d'une rigidité officielle. Les murs,blanchis à la chaux, sont honnêtementdémocratiques. Une Marianne en plâtre aperdu son nez au cours d'une querelleélectorale. Un récent portrait du Présidentde la République fait pendant à unelithographie de Napoléon III.— Qui vous permet de violer cette enceinte?s'écrie Popo.— C'est pour le cochon-marron.— Taisez-vous, ignorante !Conscient de sa mission, il continue àrédiger un procès-verbal en termes pittoresques.À pas de loup, elle s'approche et lit,


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 177en retenant son souffle, par-dessus l'épaulede son mari :A cet avis, nous nous sommes transportéssur les lieux et nous sommes arrivésaprès les plus grandes difficultés, gravissantplus de trois kilomètres de montéesinexorables, où ne passent que les genshabitués dans les bois. Nous avons trouvéle cadavre d'un individu dont les vêtementsconsistaient en un pantalon gris et unpaletot de coton blanc, ce qui annonce unesituation perspective peu fortunée. Malgréson état de putréfaction avancée, nousavons fouillé les poches, et avons trouvédeux petits morceaux de bois de goyavieret un bout de ficelle que nous avons saisi sibesoin sera.Flatté de la soumission de sa femme,Popo Adilas s'humanise.— Les soucis domestiques ne doiventpas franchir cette demeure, Cristalline. Je12


178 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>succombe sous le poids de responsabilitésinéluctables. Je dois trancher les différends,engager ma parole, savoir passersaindoux (1) aux notoriétés...— Oui, mon ami. Mais n'entends-tu pasle cochon-marron qui t'appelle. Les voisinesse moquent de nous et le chasseurchounargue ta mère.Popo consent à suivre Cristalline. L'honneurdes siens est en jeu.Il accable de bourrades le chasseurchou,conclut le marché à moitié prix et lescommères, matées, se retirent avec des.courbettes. Les deux hommes partent sedésaltérer au Piment-z'Oiseau. La grappeblancheembaume encore le vesou.Missié Adilas claque la langue.— Voilà un liquide grandiose, MadameBonbon. Un liquide qui vous console de lafripouillerie du monde, et vous apprend la(1) Flatter avec obséquiosité.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 179manière d'aracher proprement les tripesaux ennemis du peuple. A votre santé !Les verres se choquent. Le tafia coule.Popo se découvre une âme vengeresse. Il9tonne contre les abus du régime. Sonpoing solide ébranle la table. Il réforme lapatrie, il entre en guerre. Il traque lestraîtres, les têtes tombent, la vertutriomphe... Il est Bonaparte, Toussaint-Louverture et premier Consul des Troisïlets.Tapi dans son échoppe, Siméon de Montaigneraccommode une savate en épiantles moindres gestes du futur croquemitainemunicipal avec la ténacité féroced'une araignée à jeun.


IILes pirogues, qui paressaient la quilleen l'air sur le sable, croisent dans la baiedepuis le matin. Il n'y a plus un seul filetà sécher devant les maisons. Les hommessont partis pêcher la bonite et Popo les asuivis dans son canot Rien-sans-Peine.Dans le petit cimetière en face la rade,Cristalline et Cynotte attendent le retourdes barques. Elles se rapprochent lentement.Pas de vent. La mer est plate. Ilsemble qu'elle fume, mais ce n'est qu'unpeu de brouillard qui flotte. La terre estpâmée, les feuilles n'osent pas bouger.L'arbre à miel répand très loin à la rondeson arôme musqué. La grande couléefauve de l'occident pâlit. Les nuages se181


182 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>fanent et la côte s'estompe dans un miragesmauve. Déjà, un puits d'ombre creuse lavallée. L'île s'éteint.Mano s'amuse avec les coquillages quientourent les tombes. On est dans unjardin naïf et doux semé de croix debois. Les plantes envahissent l'allée et la.mort charitable étouffe son néant sousla mousse.Les femmes jasent, assises sur le tertre.Elles s'entendent très bien toutes lesdeux. La vieille négresse a été da, autrefois,chez les créoles de Saint-Pierre. Elles'est réfugiée aux Trois-Ilets, son coinnatal, et n'en sort jamais depuis la disparitionde ses maîtres dans l'éruption de la.Pelée.Les histoires de Cynotte remplissentles journées. Les défunts vivent dans samémoire. Ils sont restés auprès d'elle pourl'empêcher de s'ennuyer. Lorsqu'elle museau cimetière, elle ne manque pas de les


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 183saluer amicalement. Sous cette pierre rongéepar les pluies, repose son aïeule, lapâtoure. Elle a gardé les moutons pourle compte de messire Tascher de La Pagerie,père de Sa Majesté 1 ImpératriceJoséphine. Mais, pour les serviteurs del'habitation, celle que Paris surnommaNotre-Dame de Bon-Secours, resta toutsimplement Mamzelle Yeyette, une enfantqui trottinait de la purgerie à la vinaigrerie,et s'en venait quérir un ti brin siropbatterie pour sa collation.Cynotte évoque toutes sortes de silhouettesoubliées : forbans en peine d'unbrick, cinglant vers les Guyanes, planteursen habit de nankin, neg's-bitation,qui baisaient les mains de M. Schœlcheren l'appelant cher papa.Tandis qu'elle radote, Cristalline regardedans la direction de Fort-de-France.—- C'est l'instant, songe la jeune femme,où la Savane s'anime. Les doudous et les


184 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>soldats de la Coloniale s'embrassent derrièreles manguiers. Les matelots lancentau passage les insolences qui font plaisir,les lampions du Petit-Casino s'allumentrue des Amours.Pressentant sa nostalgie soudaine, Cynottedésigne la place du village.— Fafa Larivière, le tambouyé, a promisde mener le bal jusqu'à minuit.La mulâtresse hausse les épaules.Elle- n'aime pas les réjouissances villageoises.Les campagnardes ne quittentpas leurs goles d'indienne, les garçons neprennent pas le temps de quitter leur costumede travail. On se trémousse sansorchestre au son du tambouyé, que FafaLarivière martèle en cadence. Ce n'est pascela ! Et puis, elle ne sait pas les dansesdes z'habitants : le bélé, le guiouba, le pasdu cosaque, le bouéné, toutes sortes derigodons désuets dont elle se moque.Elle affecte, désormais, un profond dé-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 185dain envers toutes les distractions frivoles.— J'ai fini avec ça, dit-elle, sansavouer qu'elle ajoute pour elle touteseule :— Quand donc aurai-je la résignationde man-Cynotte, qui s'ajuste au miroirsans avoir à regretter sa jeunesse inutile?Et, pour essayer de conquérir la sérénité,elle ne la quitte plus, s'efforçant de suivredocilement ses conseils. Peut-être, qu'àforce de bonne volonté, Cristalline parviendraà comprendre toutes sortes dechoses ignorées dans les villes qui tiennentcompagnie aux paysans : la pensée desbêtes et les présages du ciel.Cynotte annonce les orages ou la sécheressed'après les formes des nuées et le trémolodes cabris-bois. Elle souhaite le bonjourà la poule qui promène ses poussins ;elle a un mot de pitié pour l'oiseau-coulavicouau bec tors.


186 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Crie ta soif, crie ta soif, pauv' coulavicou!.. Elle murmure à la source vive :— Belle ti l'eau claire !Lorsqu'elle passe devant la prairie, ellecomplimente les lys-poincillade qui embaumentla brise.Les sources, les fleurs et la brise luirépondent, parce qu'ils -ont reconnu leursœur.Popo est rentré, traînant dans ses effetsdes odeurs de marée. Une saine fatiguel'engourdit. Il se vautre sur un tas de foin,accoté à la case et mâche béatement unefeuille verte de tabac.Le village ne se décide pas à dormir. Letambouyé scande un bélé, la jeunesses'agite. L'écho apporte des bouffées de


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 187rires et des clameurs aiguës de filles poursuivies.Mais les très jeunes et les trèsvieux n'ont pas envie de jouer à s'enlacersur la place. Les tout petits et les ancienssont plus sérieux. Ils se rendent passer laveillée chez Cynotte. Elle est conteusede contes et transforme les événementsquotidiens en romans merveilleux. Il ya des conteuses de contes de profession.Elles font payer leurs récits un sou oudeux par personne. Cynotte est riche ; elleconte par plaisir, assise sur un banc,devant sa porte. On a un peu peur etc'est très amusant. Les bocages prennentl'air sournois. On s'attend à voir surgirla bête à Mme Hubert, qui vole les enfantsméchants. Cristalline boude en cajôlantson fils. Fafa Larivière l'agace. Il n'arrêtepas de taper. Elle voudrait bien ne pasentendre les vocalises de la chanterelle (1)(1) Femme qui improvise des chansons dans les bamboulas.


188 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>qui improvise une chanson. La joie desautres est un peu triste. Des lumièresbrillent à Fort-de-France. La doudous'hypnotise sur les lueurs immobiles etprête une oreille distraite aux propos desa belle-mère.Cynotte a tout un répertoire. Elle narrel'aventure du compère lapin, qui représentela ruse, et du compère Zamba, quisymbolise l'innocence. On frémit aux exploitsdu chasseur-chou, égaré dans laforêt à la recherche du colibri dont le plumagea la couleur des jours passés. Hélas !le chasseur-chou ne revient pas. Il a étémangé par le crapaud-bœuf qui bave dufeu à l'entrée de la grotte où la princesseRose languit depuis cent ans. La voix deCynotte devient grave. Un frisson courtdans l'auditoire quand elle répète :— Chasseur-chou, chasseur-chou, crapaud-bœufl'a croqué tout!Les spectateurs applaudissent.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 189— Trois fois bel conte !Mise en verve, Cynotte reprend aussitôt,sans omettre la formule d'usage :— Comme dit conte là, il y avait unefois un fatras-b'anc, un homme de couleuret un neg'- Guinée.Le fatras-blanc débarquait sans sol nimaille d'une corvette, qui portait, amarréà sa corne d'artimon, le pavillon des roisde France.L'homme de couleur était un bâtardqu'un négociant de Saint-Pierre n'avaitpoint reconnu.Le neg'-Guinée avait, gravé dans sachair, la marque au fer rouge des anciensesclaves.Tous trois, le blanc, le mulâtre et le noir,devisaient tristement dans le quartier duport. Le soleil de midi tapait sur leur tête,la saison des mangots était finie. Le fatrasblancdit :— J'ai grand'faim.


190 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>L'homme de couleur grommela :— J'ai bien soif.Et le neg'-Guinée soupira :— Les temps sont durs et les gens dequalité sont avares.Une femme d'âge, qui passait par là,entendit leur détresse et chuchota :— Suivez-moi, mes amis, je m'en vaisvous conduire tout droit vers la fortune.— C'est la Sainte Vierge, songea leblanc.— C'est la maman-Zombi, fit le mulâtreLe neg'-Guinée hocha sa caboche crêpue:— Moin pas save !Et il suivit ses compagnons.— Marchez, marchez, chés z'amis...Le fatras-blanc faisait de longues enjambéeset suait à grosses gouttes. L'hommede couleur cheminait tout doux, époussetantses souliers et sifflotant un air. Leneg'-Guinée rattachait sa culotte avec unbout de ficelle. Ses pieds nus saignaient.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 191Ils arrivèrent, très haut, en l'air lamontagne, dans un champ qui disparaissaitsous la z'herbe-ma-misère et le piedpoule.— Bêchez, boucanez, s'écria la mystérieusecréature en s'envolant dans un tourbillon.Vous trouverez dans le mitan d'unemotte, une bourse pleine de gourdes d'argent.Le fatras-blanc retroussa les manches desa veste sur ses bras pâles et enfonça rudementla bêche dans le sol. L'homme decouleur coupa une feuille de papaye afinde s'éventer et chercha un coin d'ombrepour s'allonger à l'aise. Le neg'-Guinéecracha dans ses mains, saisit une piocheet demanda timidement :— Ça qui faire, missiés là?— Retourne le sillon, bourrique, etobéis promptement.Les heures s'ajoutèrent aux heures. Lemulâtre, qu'un moustique avait réveillé,


192 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>tira nonchalamment quelques brins dechiendent. Il encouragea ses compagnonspar ses discours, flattant le blanc, raillantle noir. Il furetait partout, comme mangoustedans grenier en assurant :— Le trésor est par ci, par là...Et il tournait, papillonnait, pirouettait.Et le noir et le blanc bêchaient, bêchaient...Tant et si bien qu'au dernier son del' Angelus, le neg'-Guinée creva dans leventre d'une motte, la bourse pleine degourdes d'argent.— Ah ! Ah ! s'exclama l'homme de couleur,si vous aviez suivi mon conseil, il ya belle lurette qu'on aurait fouillé par là.Il ramassa vivement les écus, les réuniten deux parts, en prit une pour lui ettendit la seconde au fatras-blanc.— Et moi, gémit le neg'-Guinée, j'ailes os rompus, la gorge sèche, que me baillerez-vousen récompense?


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 193Les compères, qui comptaient les piècessonnantes, se détournèrent surpris.— Ah ! çà, macaque, perds-tu la raison?Voilà pour ta peine. Et, d'un violent pareà-virer,ils l'envoyèrent rouler de ravine enravine jusqu'au bas de la montagne.Il se retrouva dans un fourré d'aloès,tout étonné de respirer encore.Il se frotta les paupières, pansa sesbosses, pleura :—- Hi ! hi ! hi ! Moin bien sacrifié toutalentour du monde.Et il s'enfonça maronner dans les bois.Ses poches sont restées vides. Leschiques dévorent ses talons. La fourmifollele pique quand il dort parce qu'il n'apas de lit pour se reposer.Le fatras-blanc est devenu un fier seigneur.Le mulâtre s'est ruiné à force d'acheterdes cravates pour aller danser, des bagueset des. colliers à ses doudous.13


194 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>La conteuse de contes conclut en dodelinantpensivement son madras :— Neg'-Guinée, c'était un pauv' chienmalheureux. Ça vrai !Les bonshommes se plaignent de la froidure; les bambins se frottent les yeux.— Bonsoir, madame Cynotte !Les très vieux et les tout petits s'égrènentpar le chemin. Leurs silhouettes senoient dans les remous bleus de la nuit,La bonne femme, attardée sur son banc,n'a plus pour l'écouter que trois matousdu voisinage.C'est l'heure où l'oiseau-colibri, couleurdes jours passés, mène au sabbat lesmouches-à-feu.


IIILa grande fête verte du renouveau tropicalabsorbe le village. Il y a trop d'azur,trop de clarté, trop d'effluves. La jeunessese cherche. Les ramiers sauvages s'accouplent.Leur roucoulement accompagnele calme étincelant des midis. On diraitque c'est le soleil qui chante au-dessus desmornes.Aux champs, les travailleurs se couchentdans l'herbe-bonhomme, Les papillons s'égarentsur la mer. Les fougères crossesd'archevêques'ébouriffent. Les lianes dévergondéess'enlacent. La végétation estfolle.Prise d'une activité soudaine, Cristallinecommence mille choses à la fois. Mais,195


196 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>capricieuse, elle délaisse sa besogne etpart, sous le prétexte de pêcher la cribicheet la zangui, errer au bord des ruisseaux.Etendue auprès de Mano, elle lebouscule ou le câline, tout à tour langoureuseet emportée. Revenue au logis, ellese plaint d'avoir la lièvre, une petitefièvre lente, que les maringouins, en tourbillonnantau-dessus des feuilles chapeaud'eau,propagent.Quant à Cynotte, cette ardeur éparsela brise. Elle semble de plus en plus vieille,de plus en plus maigre et sèche, commeun pauvre arbre privé de sève. Elle tendses membres gourds à la chaleur et demeureinerte sur son banc. Enhardis parsa torpeur, les sauterelles bondissent surses pieds nus. Lorsque les grappes deVacajou-bois-sept-ans neigent par rafales,elle n'esquisse pas un mouvement poursecouer les pétales accrochés dans sescheveux.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 197Un jour, elle ne peut plus quitter sonlit bateau en bois divin. Elle marmottesans manifester d'amertume :— C'est la fin !L'après-midi, elle commence à délirerdoucement. On met les ciseaux en croixau-dessus de sa tête. Son fils égorge unpigeon qu'il pose, pantelant, sur sa poitrine.Cela ne suffit pas à remuer sa raison.La mort voltige par la case. Elle frôlela conteuse de contes ; elle immobilisedéjà ses jambes dans son étau. Les voisinesdisent :— C'est la paralysie !Cristalline fait bouillir de l'écorce deroseau d'Inde et des feuilles de barbadinepour soulager la patiente. Les tisanesne guérissent pas toujours. Le sorcier,appelé en hâte, s'avoue vaincu. Au derniercoup de l'Angelus, un crabe c'est-mafautese sauve en zigzaguant : c'est l'espritdu mal qui renonce à sa proie. Un


198 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>oiseau-mouche jette un cri aigu. Popoet sa femme se rapprochent, pris d'angoisse.L'invisible visiteuse se penche surl'agonisante et lui parle tout bas. Cynottese dresse sur ses oreillers et tend les brasvers l'inconnu.Elle voit, dans une divine prairie, lessaints des images et les célestes processions.Sa mère, la pâtoure, l'attend avecles nourrices qui ont allaité des générationsde bébés créoles. Les ombres luil'ont signe et lui mandent des nouvellesdu monde, Cynotte sourit. Elle s'avancedans un grand rêve et murmure :— Me voici, chès z'amis !Puis elle retombe, éblouie par Dieu.Alors, les deux époux manifestent leurdouleur par des lamentations prolongées.Un chien hurle dans le voisinage. La morts'est posée sur la case et sa présence emplitles vivants d'une mystérieuse épouvante.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 199Lorsque la défunte repose, parée de saplus belle toilette, Popo prend sur l'étagèreune corne de lambi et pousse desplaintes rauques dans le coquillage pouravertir les villageois qu'il y a, cette nuit,une trépassée à veiller.— Taisez-vous, neg'z-habitants, ne vousattardez plus sur la place ! Tambouyé,cessez la danse ! Pleurez, mamailles, dansvos berceaux ! La conteuse de contes aemporté au paradis les légendes de la Martinique.Longtemps, l'appel funèbre trouble lacampagne, évoquant le souvenir lointaindes Caraïbes, qui gémissaient ainsi dansles lambis, afin de prévenir qu'un desleurs s'en était allé boire l'ouycou chezles Ichéris (1).(1) Dieux Cara''bes,


200 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Cynotte a prîs sa place au cimetièresous la tombe usée de sa grand'mère. Déjà,l'herbe germe sur la terre fraîchementremuée ; la couronne de raisiniers marinsse fane. Les choses se flétrissent vite et leshommes oublient. Ils vident leur chagrind'un trait et reprennent hâtivement leurstravaux. Ils savent bien que leur destinest court.Popo a consacré une semaine à se désoler,mais les prochaines élections le préoccupent.Il se doit à ses ambitions et préparesa conquête en trinquant avec sespartisans.Si sa mère était encore présente, ellesaurait l'empêcher de fréquenter autantles buveurs de rhum du Piment-z'Oiseau.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 201Cristalline ne s'en donne pas la peine.Elle flâne par la chambre d'un air vague.La féerie passionnée du printemps l'oppresse.Sa gole de deuil lui pèse. Elle nes'intéresse plus aux projets de son mari.Quand il disserte sur les intrigues politiquesqui divisent le canton, quêtant uneréponse admirative, elle se blottit sur sesgenoux.— Tu ne m'embrasses pas, mon chéri?Lui, imperturbable, poursuit son idée,tandis qu'elle écoute les bruits du dehors :le glissement d'une couleuvre dans lescitronnelles,le vent dans les tamariniers.Lorsque l'alizé nocturne passait, Cynotteavait coutume de dire :— Ouvre la fenêtre, ma fi. Laisse entrerla respiration du ciel.Cette bonne femme ignorante créaitautour d'elle une atmosphère merveilleuse,qui aidait à vivre. Depuis sa disparition,la mulâtresse éprouve une im-


202 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>pression grandissante de solitude. Elle sesent étrangère dans cette bourgade où lespaysans continuent fidèlement les habitudesde leurs pères. Elle pense en surveillantla marmite :— J'ai été l'esclave d'un blanc ; pourfinir, me voici la servante d'un gros nègre.Pas ni chance !Que faire lorsqu'on ne fréquente pasles bamboulas? Les romances vous restentdans la gorge. On espère en vain les motsd'encouragement d'un mari, indifférentaux menues besognes qui lui tissent unequiétude. Alors, insensiblement, on devientune moune chimérique. C'est très dangereux.M. le curé Tiretaine le sait bien. Enrentrant de sa promenade, il ne manquepas de lever les yeux de son bréviaire et derépéter à Cristalline, qui s'ennuie, les brasballants :— Eh bé ! ti madame, êtes-vous changéeen tortue? L'oisiveté est mauvaise


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 203conseillère, venez m'entendre prêcher, machère. La religion, c'est le refuge des mèresde famille.Le curé reçoit depuis vingt ans les confidencesdes filles de couleur. Il n'ignorepas qu'elles ont besoin de miracle et d'effroipour rester sages. Popo n'est pas deson avis. Il redoute l'influence du prêtreet ronchonne tout bas :— La boîte-confession c'est un endroitperfide. Les commères y apprennent toutessortes de raisons pour faire endêver leshommes. Popo Adilas se vante d'être librepenseur. Il gronde sa femme quand elles'avise de fréquenter les offices du carême.Par esprit de contradiction, elle se précipiteà l'église dès qu'il a le dos tourné. C'estune façon de narguer son autorité. Les disputesrompent la monotonie et les réconciliationsfont toujours plaisir.Le Jeudi-Saint, Cristalline s'empressede suivre la procession des négresses qui


204 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>battent Judas sous le porche de l' église.A l'heure où l'on chante Ténèbres, lesdévotes, qu'un pieux délire exalte, frappentsur des futailles, des tambourins, descalebasses. Les casseroles crèvent sousles coups. Les gamins enragés trépignent :« Crasez! Judas! » Les vieux, regaillardispar tout ce tapage, font des moulinetsavec leurs bâtons-moudongue (1).Popo ricane, les bras croisés, à la portede la mairie. Siméon de Montaigne se tientcoi dans son échoppe et M. le curé Tiretainese frotte les mains. Il n'est pointennemi du symbolisme bruyant de sesparoissiens et leur enseigne l'Evangile ens'inspirant de la familiarité goguenardedes Mystères du Moyen-Age.Le soir, tandis que son mari pérore, Cris-(1) Le mot créole moudongue est la corruption deMandingue, ancien peuple de l'Afrique. Un esclaveMandingue était redouté de ses compagnons. Le nomde cette race s'est transformé en qualificatif pourdésigner tout ce qui est terrible, féroce.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 205talline se faufile au sermon. Il y a foule :les mamzelles recueillies dans leurs robesroses, les matrones convaincues de leurimportance, les z'habitants las de leurjournée de travail.L'église a été bâtie autrefois avec lesdons des flibustiers. M. de La Pagerie,capitaine des dragons de sa paroisse, s'estincliné sur ce banc vermoulu, en uniformede camelot rouge, brodé d'or. Ledécor n'a pas changé, les bonnes gensnon plus. Lorsque l'abbé Tiretaine monteen chaire, ses ouailles poussent un soupirde soulagement. Un prédicateur, n'est-cepas, c'est un très beau conteur de contes.Le curé s'exprime en patois, sans reculerdevant les termes à la fois débraillés etcandides, qui caractérisent le langagelocal.C'est malheureux ça, mes frères, s'écriel'orateur, c'est malheureux d'être obligé de


206 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>grommeler continuellement. Les uns kaprier la Vierge sans goût. Les autres kapas comprendre que c'est l'âme qui est lemaître. Z'autres entêtés comme bourriquesz'autres fainéants comme manicous. Moin kaparlé, mes frères, pour tous les mounes engénéral, tant pis pour celui qui se reconnaîtra...La femme veut bien promettrefidélité au mari. Hélas! moin ka voir pasplus tard qu'hier, une mâtine bailler fameuxcoup de canif dans son contrat. Tout çafait pleurer Notre-Seigneur, ka passer quarantefours et quarante nuits dans le mitandes bois. Ecoutez bien :Le Bon Dieu dit à garçon li : « Tant pis,mon fils, descends sur la terre, mais méfietoi,le diable c'est une bête malfaisante.Prends garde ka pas badiner li! »Jésus répond : Oui, papa. Et il descenddans les forêts.Li marché longtemps, longtemps! Passérivières, monté montagnes. Pieds à li, mains


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 207à li en sang à force de traverser piquantsraquettes,crocs-à-chien, z' herbes coupantes...Pendant ce temps-là, le diable ordonne àgarçon li : « Compère Satan, mon fi, le bonDieu té ka battre les champs, en bas, pournous empêcher de tenter les hommes. Allezmon fi, fermez gueule li! »Satan s'en va faire le faraud, fourrantqueue li dans culotte, un chapeau à claquessur ses cornes pour que Jésus ne le reconnaissepas. Ce bougre-là est bien savant!D'un bond, le voilà rendu en l'air le Morne-Rouge où le Seigneur méditait, le frontdans la poussière.— Bonjour, compère Jésus, murmure letentateur, vous devez avoir bien faim, biensoif?— Passez votre chemin, fit Jésus en luimontrant le poing.Vous croyez Satan rebuté? Pas ni! Li kavirer, ka tourner autour du divin maîtreen bougonnant :


208 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Si vous êtes le fils à Bon Dieu, changezles rochers en gros jambon, les fontainesen bon vin. Venez souper avec moi,pour proclamer tout partout : C'est moi,l'enfant au Bon Dieu!Mais Jésus qui voit tout, aperçut lescornes de Satan qui dépassaient de sonchapeau, et répondit :— Papa moin ne veut pas qu'on défiesa puissance!Alors le démon rit très fort et, tenace,suivit Jésus en rabâchant son antienne.— Compère Jésus, changez les caillouxen bon manger, les calebasses en bananesfigues!Le Seigneur ne tourna point la tête : Ilchassa le Malin en criant : « Va-t'en, maudit!Bave de crapaud! Saloperie!...Et dans ce moment-là, six paniers sambourasdescendirent du ciel portés par desanges. Jésus trouva sa récompense. Il mangeala saucisse en pile et but un coco d'eau.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 209Tout ça veut dire, mes frères, qu'il fautsupporter la faim, la soif, toutes sortes demalédictions plutôt que d'écouter les conseilsdu démon. Ça veut dire, mes frères,qu'il faut croire vos parents, regretter vosfautes et prendre votre mal en patience sivous voulez recevoir la bénédiction du Très-Haut...Mais, avant de finir, mes z'amis, pargrâce ne mêlez jamais l'odeur patchouli àl'huile carapate. Tonnerre! il n'y a pasmoyen de résister quand vous venez dans maboîte-confession (1).Cristalline, en regagnant sa case, échangeses réflexions avec ses voisins : Ulysse Panieret Zéphirine Fantaisie.— Curé là ka bien causé, mon ché !— Ça vrai, ma ché. Tous les scélératsferont leur soumission.(1) Traduit du créole.14


210 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Pas tous les scélérats, riposteMme Adilas. Jamais, vous m'entendez,Martin Bauregard n'avouera ses larcins.— Si fait, Martin Bauregard s'agenouilleradans la boîte-confession et manderaà Missié le curé :—- Hélas! mon père, j'ai défailli unbrin.— Comment cela, mon enfant?— J'ai volé la corde, mon Père.— Ce n'est pas grave, mon cher garçon...— Eh bé ! pauv' saint homme, il nesaura point qu'au bout de la corde, il yavait un bœuf !...Ulysse Panier et Zéphirine Fantaisie seréjouissent : « Ah! Ah! Ah! »Et ils se donnent des tapes retentissantessur les cuisses.Cristalline plaisante à l'unisson. D'avoirentendu un sermon, côte à côte avec lesz'habitants, l'a rendue soudain un peupareille à eux.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 211Le Samedi-Saint, elle ne manque pasla cérémonie du Gloria. Lorsque les clochesreviennent de Rome et font le tour del'île, pèlerines joyeuses de chanter leurvoyage, les Martiniquais jettent leurs péchésdans la rivière :— Gloria! Gloria! carillonnent les cloches.Gloria! Gloria répètent les fidèles.Et, les lavandières se précipitent dansles ruisseaux, les négrillons barbotentdans les baquets, les pêcheurs piquentune tête dans la mer. Gloria! Gloria!Toutes les négresses sont pures, tous lesnègres sont débarrassés de la vilaine poussière,des vices.— Gloria! Gloria! clame Cristalline enaspergeant son sein bronzé, les fautespolissonneriessont pardonnées. Gloria!Gloria!Le rite devient un jeu. On rit, on crie,on se dérobe. Les jeunes gens taquinentles filles. L'eau gicle en fumée de cristal.


212 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Les palmes des lataniers se balancent.Un voile d'or enveloppe la vallée. L'ivressede vivre éclate comme un fruit mûr.Gloria!A demi nue sous les balisiers, la doudoutend sa chair frémissante à l'apothéosede la terre.C'est le vieux Pan qui mène l'Alleluia.


IVDes tourbillons de poussière sur lesroutes. Les gendarmes passent au galop.Les mairies pavoisent, les drapeaux claquentau vent. Ce sont des élections : lemissié nègre est roi. Pieds nus, sa dibasse(1) sur l'épaule, il dépose son bulletinde vote dans les urnes. Il a l'air terrible,parce qu'il est convaincu. Il chantela Marseillaise, braille l'Internationale, acclameles uns, conspue les autres. Sonvieux sang africain bouillonne dans sesveines. On lui a donné un jeu très dangereux.Aux Trois-Ilets, sous l'ombrage des(1) Matraque.218


214 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>acouas géants, les neg'-z'habitants se pressentsur la place. Ils sont tous là : les faucheursde canne, les pêcheurs et les notables.Les gamins brandissent des palmesde lataniers, les chiens jappent, les coqss'égosillent. Popo mène le branle. Il seprésente comme conseiller municipal. Sespartisans se groupent en troupe docileautour de lui... Affublé d'une ample redingote,juché sur un tonneau, Popo tient del'ogre et du pantin. Il ouvre une bouchetoute grande pour mieux dévorer sesadversaires. Ses dents sont prêtes àmordre.— Je suis votre homme, citoyens, s'écriel'orateur, un prolétaire que la patrie vousenvoie. Je sais mon devoir. Je me ferail'écho de vos plaintes, le bras vengeurde vos revendications, la voix justicièrequidénonce l'insalubrité et la concupiscence.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 215Emporté par sa fougue, il reprend dansson jargon familier :— Si ou ka pas voter pour moin, outous citoyens, devenir des bougres d'andouilles,plus bêtes passés les neg's-Guinée.Moin compatissant, moin ka connaître lamisère du pauv' moune. C'est pourquoi,chès compatriotes, dans un sentiment dedémocratie fraternelle, fe souhaite au travailleuret à la compagne qui partage sacouche nécessiteuse, d'engraisser leur ventrede calalous-crabes et de goyaves-confitures.Oui, camarades, j'ai une ambition : c'estla prospérité de ma commune : Je veuxporter secours aux orphelins, distribuer despensions aux veuves, veiller à l'entretiendes chemins pour la commodité des voitureset des missiés et dames qui n'ont pasde souliers. Vienne un cyclone, qui arracheles palissades, crève les toits, mutile lesrécoltes, je suis là, muni de mon instructioncivique et obligatoire. Je parle à com-


216 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>père député. Je lui dis : « Baillez l'argent,honorable bienfaiteur, pour la consolationdes sinistrés. » Et, par la vertu de mon éloquence,les catastrophes se changent en bénédiction.A nom de l'Egalité et de la Fraternité,mes amis, vous devez savoir ce qui vousreste à faire. C'est de voter pour moin, PopoAdilas, socialiste incorruptible. Tonnerrede Dieu! citoyens, j'aurais pour vous lecœur d'un père.On porte Popo en triomphe.Hélas ! ses ennemis arrivent au pas decourse, soufflant dans des cornes de lambis.La parade se gâte. On s'envoie desnoix de coco. Les dibasses assomment lesplus faibles. Popo disparaît avalé par sontonneau. Un antique pistolet pétarade. Lesgendarmes grosses-bottes tapent dans letas. Les commères qui ont risqué un œilcurieux aux alentours s'esquivent. Elles


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 217ramassent leurs gosses. Toutes les casesse taisent. La tornade politique déferlesur les toits.Cristalline redoute les bagarres. Elleest restée chez elle à garder Mano quipleurniche pour aller se promener. Lesheures semblent longues à la jeune femme.Que fait son mari dans la bataille? Reviendra-t-iltriomphant ou bien poursuivipar les quolibets? Toutes ces luttessont ridicules !Cristalline comprend très mal les revendicationsdes gens de couleur. Aujourd'hui,ils se souviennent amèrementdu Code Noir. Les haines défuntes ressuscitentet les blancs tremblent sansoser se montrer.La doudou n'a pas de rancune. Elle esttoujours prête à écouter les garçons pâles,qui débitent de savants compliments.C'était ainsi naguère. Les seigneurs, privésde femmes de qualité, enseignaient l'amour


218 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>et les belles manières aux négresses. Alorsles brunes favorites se détournaient de leurdevoir et faisaient la moue aux nègresfarouches qui défrichaient la broussaillecampêche en sifflotant des airs du Congo.Vers le soir, fatiguée d'attendre, cloîtréeà la maison, Cristalline s'enfoncedans la campagne. Elle prend le sentierqui grimpe derrière le verger et se réjouitavec le petit Mano de pouvoir flâner enpaix. Quelques rares bûcherons se hâtentà travers les mornes. Ils saluent la mulâtressebien poliment au passage. La forêtles a préservés des attitudes insolenteset des gros mots qu'on apprend sur lesquais en déchargeant les bateaux. Cristallinerejoint la route ; c'est le but habituelde ses promenades. Elle gagne unesourde nostalgie à force de contemplercette longue coulée d'argile, qui courtentre deux ravines rejoindre l'horizon.Tout est vide, tout est nu. Il n'y a jamais


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 219rien. C'est triste et c'est irritant comme unespoir qui ne veut pas mourir.Pourtant, cette fois, une ombre cheminedans le lointain. Elle se rapproche. C'estquelque chose de gris et puis c'est unegole à pastilles, et finalement c'est Sapote,la colporteuse. Elle trotte alertement, saboîte en bois sur la tête. Voilà une bonneaubaine !— Bonjour, Mamzeile Sapote.— Bonjour, ma mie. Déchargez-moi !La marchande s'agenouille. Cristallinelui enlève son fardeau, un ballot qui pèseau moins quarante livres. Mamzeile Sapoteétale sa marchandise sur l'herbe. Ily a de tout dans la boîte en bois : descoupons d'indienne, des cravates, des désen argent, des rubans. On cause.Sapote connaît les nouvelles du pays.Cela lui aide à débiter trois sous de poudrede riz et dix sous de pommade à la violette.Un jour, elle traverse le bourg


220 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>Sainte-Marie, le lendemain, elle est à laTrinité, le dimanche elle entend la messeau Vauclin. Elle s'improvise la messagèredes familles et narre des choses surprenantes.— A l'Anse-à-l'Ane, Virginie Fidélitéa mis au monde un mamaille-zombi. Il ale ventre d'un crapaud-bœuf, les yeux d'unmanicou ! C'est ça qui est z'affaires !— Qu'est-ce qu'il y a encore?— Aux Carbets, Jean Macouba, enrentrant à la brune, a tué avec sa matraqueson voisin qu'il prenait pour unrevenant.— A Fort-de-France, Mayotte Beausoleilest à la geôle pour avoir volé deslapins au juge d'instruction.— Et puis, Mamzelle Sapote?— C'est tout !... Non, pourtant, ce n'estpas tout. En passant devant l'habitationDesmasières, Sapote a entendu les violonschanter. Il y a des noces dans l'air.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 221— Quelles noces? questionne distraitementCristalline.— Les noces d'une des jeunes filles.On dit qu'elle s'est mise en tête d'épouserun béket établi à la Trinidad. Il l'emmèneracôté li, chez les Anglais comparaison.— Ou pas connaître le nom du béket?— Moin pas save ! C'est un ancien fatrasqui tient la succursale de missié Desmasières...Garçon-là malin !Cristalline laisse tomber les fanfreluchesqu'elle tourne entre ses doigts.— Ce ruban-ci, pour vous, Madame,c'est une pièce d'un franc.— Pas ni ! pas ni !Il n'y a plus de colifichets, d'histoires àdormir debout. Il y a le retour d'unamant. C'est un ingrat. Il est heureuxsans s'inquiéter du sort de sa maîtresse,enterrée dans la cabane d'un rustre pourélever son bâtard.


222 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Etes-vous devenue une statue encarton, grommelle Sapote? Eh bien ! adieu.Ah ! Mamzelle, qui vendez des fariboles,vous auriez dû continuer votre cheminsans ouvrir votre boîte en bois. Mais lanégresse, indifférente, reprend son chargementen répétant pour les arbres et lesoiseaux :— La colporteuse, la colporteuse !Z'épingles, z'aiguilles, z'odeur patchouli !Colporteuse, colporteuse, vous n'avezpas emporté toute votre pacotille. Vousavez jeté au vent des mots cruels quiblessent comme la pointe de vos z épinglestremblantes.Cristalline entend bourdonnerà ses oreilles vos racontars de vieille radoteuse.Elle n'a plus le courage de regagnerle village. Elle s'allonge, sans force, contrela mousse, à l'abri d'un taillis.Yves est revenu. C'est pour lui les révérenceset les musiques. Pour lui les fiancéesprécieusement attifées et les bou-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 223quets de fête. Cristalline voudrait s'élancerd'un trait jusqu'à l'habitation Desmasières,troubler le bal, arrêter les violonset chasser honteusement le béket. Il s'enirait l'échine basse, pareil à un chien quia perdu son gîte.Auprès d'elle, las d'être sage, Mano sefâche. Il s'ennuie, il a faim et demandesa soupe. Le jour se retire du taillis, c'estdéjà presque la nuit. Les rameaux enchevêtréssemblent à la jeune femme degrands bras fantastiques qui se tordentet se joignent pour l'empêcher de passer.Irritée par la monotonie champêtre, ellegémit :— Moin pauvre esclave à la chaîne,pauvre esclave !Elle s'en retourne à pas lents, un peuhagarde, giflée par les branches quiveulent la retenir.


224 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>*Très tard, dans la maison fermée, Cristallineévoque le souvenir de l'étranger,hantée de regrets jaloux. Son mari estretenu à la mairie, elle s'en réjouit. Ellen'aurait pas la patience de s'intéresser àlui. Qu'il soit victorieux ou battu, peului importe ! Le présent se détache d'ellesans secousses. Seul, l'avenir compte etl'attire en avant à la façon d'un vertige.Sur la place, les clameurs s'apaisent. Letrot des gendarmes grosses-bottes ébranlela porte. Un dernier pochard, chassé duPiment-z Oiseau, rote « Vive la République »au fond d'un fossé. Un silence gagne levillage par étapes. On n'entend plus quel'imperceptible frisson des feuilles et desvagues.


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 225Popo rentre vaincu. Il s'effondre sur ladodine. Ses vêtements sont déchirés. Sabouche pue comme une gourde à tafia.Il marmotte des mots sans suite.—- Il a été trahi ! Siméon de Montaignelui a joué un tour. Ce bandit a fait voterles morts. Il a inscrit sur les bulletinsde vote les noms des trépassés qui reposentdans le cimetière sous les pierresabandonnées. C'est l'usage, il aurait dûSe méfier; Ah ! malédiction !La colère l'empoigne. Il s'excite, ébranleles meubles, écrase la gargoulette, voeifèré:- Le déshonneur est sur moi !La mulâtresse se cache dans son tablier.Popo, que cette craintive inertieachève d'exaspérer, lève le poing. C'estun besoin lorsqu'on a été molesté parune horde de fantoches en délire Ilsecoué les épaules fragiles, cogne le frontbuté. Ses éngks s'enfoncent rageusement15


226 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>dans la chair passive, moelleuse sous lescoups.— Danse, Cristalline, le caleinda-marré,c'est la danse de tes sœurs !Quand l'homme n'a plus la force detempêter, il tombe sur le lit et s'endort,les bras en croix, lourde brute crucifiéed'ivresse.La nuit baigne le corps brisé de Cristallinedans sa pureté d'eau profonde. Lejardin entre par la fenêtre ouverte. Lessenteurs éparses se font légères et frôlentles meurtrissures de la doudou d'un invisiblebaume. A l'horizon, la mer luit. Ellea pris toute la lumière du ciel. Il n'y aqu'elle et la route pour éclairer la terre.Ah ! cette route. Elle se glisse avecdes perfidies de serpent dans la campagneimmobile. Elle traverse les mornes,côtoie les précipices, elle s'échappe, rejoindrela ville. Elle quitte le village,cet humble amas de cases qui abritent


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 227les atomes de bonheur, les souffrancestaciturnes, la résignation quotidienne despaysans.Cristalline soupire.— Les violons chantaient !La route scintille, long reptile fascinateur,la route l'appelle. La chandelle estpresque morte, il est temps.Cristalline ne dansera plus le caleindamarré.Elle rassemble dans son panier ses bijoux,ses foulards, ses robes, les chemisesde Mano. Encore ce madras, ce bout desoie et l'almanach qui donne la clé dessonges...— Ou vini, yche moin.Le yche se plaint, surpris dans son sommeil.Elle l'attache sur son dos, solidement,avec le mouchoir à carreaux quientoure sa taille quand elle lave à la rivière.Pieds nus elle s'en va, sans détourner


228 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>la tête, retrouver la ville en suivant laroute.Et le village, gardé par les manguierscentenaires, s'enfonce au tournant, prostrédans le noir.


YElle a marché toute la nuit de son pasélastique de montagnarde, A la pointe dujour elle s'assied, accotée sur une borne,et Mano mange un pain-mi.L'aube éteint les étoiles, elles clignotent,à demi évanouies. La lune attire sa facemorte entre les nuages ; la brume rampedans les marigots. Tout est gris, pétrifiédans du rêve. La nature n'ose pas. bouger,enveloppée de limbes et hésitante à renaître.Cristalline plonge ses pieds nus dans,l'herbe humide. Elle respire à l'aise, contented'être libre, déjà loin de sa vied'hier. Puis des vapeurs roses tendentl'Orient de féeriques banderoles. L'aurore229


230 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>perce les nuées. La chaîne des Carbetss'embrase. Un mansfeni s'envole en quêted'une proie. La joie éclate dans la gloireverte des champs. A califourchon sur sonmulet, une marchande passe. Ses hottesdébordent de bananes, de chapelets écarlatesde piments. Etonnée de rencontrersi tôt une passante, elle s'informe, touteronde et franche sous son chapeau dejonc.— Eh bien ! que faites-vous là, pauv'malheureuse ?— Hélas ! moin bien chagrine, rompue,battue comme lambi... Moin ka pati...Le mulet s'arrête et mâche une fleurbaraguette.La marchande se penche enavant, pressentant une aventure, quelquechose de très sentimental qu'elle pourraconter au marché.Cristalline narre son histoire, pas toute,juste ce qu'il en faut. Son mari est unbrutal. Il la délaisse, il la torture, alors


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 231voilà, elle se sauve, emportant son yche.— Pas ni besoin d'un tout ti service,reprend la femme apitoyée.— Prenez mon panier, vous le déposerezà la case de ma ché cocotte, une personnetrès bien, qui loge sur la Levée.Vous demanderez Sylvanie, la brodeuse.Vous verrez, il y a deux plants de giroflierdevant la porte. C'est tout de suiteavant la rue des Amours...La marchande cale le panier dans sescorbeilles.— Bonne chance !— Merci à vous !Cristalline sourit. Elle sait que l'inconnues'acquittera de sa mission. Lespetites gens des Antilles sont compatissantsentre eux. C'est pour cela qu'ilsparviennent à suivre leur fantaisie sanss'inquiéter du reste. Et l'insoucieusefille continue son voyage en monologuant:


232 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>— Ah ! oui, on saura ce que vaut unedoudou. Le fatras si orgueilleux de saréussite, elle l'abattra, le pulvérisera,elle le piétinera et il rampera à sesgenoux.Cette vision de l'infidèle repentant l'attendritsoudain. Yves n'était pas méchant.Il avait prêté sa vie sans faire attention,il l'a reprise de même. Quand il verra sonfils, il ne pourra pas le repousser. Et,pour occuper Mano impatienté par la Longueurdu trajet, elle échafaude toutessortes de projets.—- Tais-toi, mamaille! Tu vas embrasserton vrai papa, un beau papa neuf qui ades cheveux blonds, un habit gommé, desmanières polies. Il dira comme ça : « Qïe,mon Dieu ! le bel enfant, Je le. reconnais.Il a mon nez droit, mes lèvres pincées..Ce n'est pas un vilain neg' bitaeo qui l'afabriqué, non !... » Et pis, c'est Mano quiengraissera son ventre avec des tablettes-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 233cocos et c'est Cristalline qui s'achètera desz'agréments : mouchoirs, foulards, esclavages,tout !.,.Une allégresse l'entraîne. Elle oublie safatigue et, pour rythmer son pas, elle fredonnesur deux notes en poursuivant sachimère : Tablettes-cocos, mouchoirs, foulards,esclavages !La route déroule ses lieues de pendre.Il faut gravir les côtes, sauter le gué,longer le torrent, Ici, des toits en lattesde palmiers émergent des bois ; la, lespétales neigeux des caféiers- piquent leshaies. Le bref coup de clairon du coqannonce la prochaine bourgade. Le §soleilmonte et Mano devient lourd, si lourd !Il pleure, surpris, de sentir chez sa mèreun autre désir que le sien.Le sol brûle, Cristalline va. C'est uneombre courbée dans un désert d'or. Lesoleil l'enveloppe dans son triomphe defeu. Son corps fléchit, sa voix s'enroue.


284 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>De plus en plus bas, de plus en plus lente,elle soupire :— Mouchoirs, foulards, esclavages !Et cela devient presque une plainte,presque une douleur. Elle va, fugitiveamoureuse, sans avoir la force de penserpourquoi elle fuit.A deux heures de l'après-midi, traînantses pieds gonflés, Cristalline arrive à l'habitationDesmasières. A travers la grille,elle aperçoit les branches entre-croiséesau-dessus de l'allée principale. La maisonest silencieuse, les persiennes sontcloses.Man-Dou est là, béate dans son fauteuil,Plesguen, les jeunes filles feuillettent desmagazines. Nul ne se doute qu'une passanteles guette, avide de détruire d'unmot cette quiétude de riches.La mulâtresse contemple, indécise, lepaisible décor et songe :— Je vais sonner, entrer, dire : Bon-


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 235jour Madame, je viens chercher monamant. C'est très simple !Et c'est pourtant très difficile à réaliserquand on est lasse à mourir et qu'un enfantréclame son lit en gémissant.Elle s'abat comme une bête fourbue,murmure : « Plus tard, » et se couche dansle fossé.L'ombre est douce. Un sommeil pesantterrasse la campagne. La brise molle détacheles mangots mûrs à point. Cristallinesuce un fruit, berce Mano. Lorsqu'ellea jeté plusieurs noyaux autourd'elle, la mulâtresse s'endort, épuiséed'avoir tendu sa volonté pendant deslieues.Et cela dure longtemps cet assoupissementvaincu de la femme et des choses.Le claquement d'un fouet la réveille.Dans une vague somnolence elle entendles roues d'une voiture grincer sur le gravier.Le portail s'ouvre et un cabriolet


236 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>tourne. Derrière le dos d'un cocher débonnaire,des rires fusent, des exclamationsse mêlent.Elle se frotte les yeux. C'est lui, c'estYves. Elle a reconnu sa voix. Elle sedresse, s'élance, crie :— C'est moi, c'est moi !Un instant distraite, Mlle Desmasièresse détourne.— Il y a une mendiante qui essaie denous rattraper.Mais le jeune homme ne voit qu'unefourmi égarée sur le cou de sa compagne.Ses doigts s'attardent sur la nuque lisseet sa bouche se pose.Cristalline court après la poussière quivole. Ses bras sont tendus en avant. Illui semble qu'elle poursuit le vent. Aupremier earrefour, elle trébuche et s'affaissesur le talus. Les cabriolets des blancsvont trop vite.Son espoir, sa rancune, tout cela a


OU LES DANGERS DU BAL LOULOU 237fondu. On ne saisit pas le bonheur augalop. Il fait trop chaud pour aller jusqu'aubout de son désir. Cristalline riesait pas aider son destin. Elle le prendtel qu'il est. G'est une doudou! ! Trop defantômes la tiennent. Ils lui ont transmisleur passivité de barbares enchaînés. Ilsveillent en elles, innombrables, pour l'empêcherd'être une autre qu'eux-mêmes, etpour qu'elle reflète docilement les gestes desa race;Elle regarde le cabriolet disparaître,hausse les épaules, ricane : « Ça ka faitmoins ! » et chasse un moustique tenace.Mano, à moitié nu, se vautre dans lamousse. Les mangots tombés sont bons.Jusqu'au soir, elle se repose.Et l'alizé passe en rafales.L'île, délivrée, frémit. La doudou s'étire.Elle se lève, elle écoute.Le tam-tam bat. C'est une invite lointaine,toujours pareille, sourde puisa-


238 <strong>CRISTALLINE</strong> <strong>BOISNOIR</strong>tion qui s'exhale de la terre moite. Lesdieux païens sont ressuscites. Les sorcièresles ont réveillés avec leurs merveilleusesfumées. Une acre odeur végétales'échappe des forêts. Les essences aphrodisiaquess'éparpillent dans l'air plus vifet soufflent au visage leur volupté sauvage.Le soleil se couche. A l'horizon,Fort-de-France est un immense buissonardent.Il est temps de secouer l'accablementdu jour et de désaltérer sa soif de vivrejusqu'au matin.Cristalline, son bâtard sur le dos, suitla route qui mène à la ville. Le bruit dutam-tam scande ses pas. Légère, semblableà l'oiseau-colibri, elle gazouille dans sonjargon d'enfant :Ça qui meilleu, ça qui plus doux,Miel-confitu et puis vesou,C'est l'amou, l'amou,L'amou.


DU LES DANGERS DU BAL LOULOU 239Ça qui voltiger tout partout,Ça qui guetter sous les bambous.Chasseur-chou,C'est l'amou.L'amou, l'amou, sirop plus doux,Miel-confiture et puis vesou,L'amou, l'amou...La peau luisante, l'œil vif, elle lance àpleine gorge son appel passionné :L'amou, l'amou...De la vague au ruisseau, de la sourceau bocage, l'écho répète en sourdine : L'amou,l'amou !C'est la chanson de la Martinique.Cette nuit, Cristalline dansera la biguineau bal Loulou.FIN.


TABLE DES MATIÈRESPREMIÈRE PARTIEPages.FORT-DE-FRANCF. 1DEUXIEMEPARTIECHEZ LES NEG'S-Z'HABITANTS 163241 16


PARISTYPOGRAPHIEPLON8, rue Garancière1929


Prix au 1er Février 1929.EXTRAIT DU CATALOGUED E L A L I B R A I R I E PLONROMANS ET NOUVELLESBonr?et(Panl), de l'Acad. franc.— Barrés (Maurice), de l'Ac. franç.—le Tapin. 28emille 12 Amori et Dolori sacrum. E. déf. 12Nos actes nous suivent. 87» mille. le Jardin de Bérénice. Ed. d. f. 122 volumes. 24 Du sang, de la volupté et de lala Geôle. 74e rallie 12 mort. Edit. déf 12le Danseur mondain. 70e m. Sous l'œil des Barbares. E. 12Conflits intimes. 30» mille 12 Un Homme libre. Edit. déf... 12Cœur pensif ne sait où il va. Un Jardin sur l' Oronte. 96e éd. 85e mille 12 La Colline inspirée. Edit. déf. 12-Un Drame dans le monde. 66e m. Les Déracinés. 15e édit. 2 v. 24Prix 12 Colette Baudoche. Edit. déf... 12lazarine. 180e mille 12 Les Amitiés françaises. E. d. 12Anomalies. 25emille 12 l'Appel au soldat. Éd. déf. 2 vol.L'Ecuyére. 17» mille 12Le Sens de la mort. 169e mille. 12Prix 2e:Le Mystère en pleine lumièLaurence Albani. 52» mille, 12 40e édit 12Le Démon de midi.97»m. 2v. 24 L'Ennemi des lois. Édit. déf. 12L'Emigré. 82emille 12 Au service l'Allemagne.E. d. 12L'Etape. 96emille. 2 vol 24 Bertrand (L.),de l'Acad. française.Un Divorce. 116e mille 12 — Uns Nouvelle éducation sentimentale.12* mille 12Némésis. 69e mile 12le Fantôme. 41emille 12 Bordeaux (H.), de l'Acad. franç. —Le Justicier. 39emille 12 Andromède et le monstre. 45emille.L'Envers du décor. 21emille. 12 Prix 12La Dame fui a perdu son peintre. Le Calvaire de Cimiez. 48e m.. 27e mille 12 Rap et Vaga. 28emille 12Les Détours du cœur. 83e m.. 12 Le Barrage. 46» mille... 12les Deux Sœurs. 36» mille... 12 Les Jeux dangereux. 48emille 12*Drames de famille. 40emille. 12 Le Cœur et le sang. 50emille. 12l'Eau profonde. 36emille.., 12 L'Amour elle Bonheur. 36e m. 12Un homme d'affaires. 22e m., La Chartreuse du Reposoir. 82e m.*Monique. 36emille 12André Cornélis. Edit. déf.... 12Prix 12yamilé sous les cèdres. 76e m. Complications sentimentales... 12est un sport. 25emille. 12Pastels et Eanx-fortes. E. déf. La Vie recommence : I. La Résurrectionde la chair. 68emille. 12Voyageuses. Edit. déf 12II. La Chair et l'esprit. 42e m. La Maison morte. 44emille.. 12l'Irréparable. Edit. déf 12Physiologie de l'amour moderne.Edit. déf 12Un cœur de femme. Ed. déf... 12Ménages d'après guerre. 32e m. 12*la Nouvelle croisade des enfants.le Disciple. Edit. déf 12Mensonges. Edit. déf. vol.. 2441e mille 12la Peur de vivre. 132» mille.. 12Cosmopolis. Edit. déf. 2 vol. 24 Une Honnête Femme. 82° m.. Terre promise. Edit. déf 15 Le Lac noir. 20°mille 12La Duchesse bleue. Ed. déf... 12 Les Yeux qui s'ouvrent.Mi'm. 12Cruelle énigme. Edit. déf 12 la Maison. 85°mille 12Une Idylle tragique.Ed.dèt.. 15 La Neige sur les pas. 105° m. 12Un Crime d'amcur Ed. déf... 12 La Robe de laine. 130° mille.. 12*Un Saint. Ed. déf 12 la Croisée des chemins. 58° m. 12Recommencements. Ed. déf... 12 Les Roquevillard. 36° mille.. 12Rourget (P.), Houvile (G. d'), La Petite Mademoiselle. 37° m. 12Benoit (P.), Duvernols (H.). — L'Amour en fuite. 26° mille.. 12le Roman des Quatre. 79e m. 12 Jeanne Michelin. 8° mille.... 12Micheline et l'Amour. 48e m. 12 Le Pays natal. 16°mille 12


Bordeaux (H.), de l'Acad. franc.— B!l!y (A.) et Twersky (M.) —Le Fantôme de lame Michel-Ange. Comme Dieu en France, 14e éd. 1233° mille 12 Le Lion, V Ours et le Serpent. 12Amours du temps passé. 13e m.. 12 Boulenger (Jacques). — Les romansL'Ecran brisé. 21e mille ... 12 de la Table ronde. 27e édit.La Fée de Port-Cros. 38 mille. 13 1. Histoire de Merlin l'enchanteur.Le Carnet d'un toute stagiaire 15e m. 12 Prix 12Lavedan (Henri) de l'Académie II. Les Amours de Lancelot.. 12française. — Le Chemin du salut : III. Le Chevalier à la charrette. 12I. Irène Olette. 12e mille 15 IV. Le Saint Graal 12II. Gaudias. 2 vol. 10e mille. 20B o u z i n s e - C a m b o n . — E c h e c e t m a t . 12III. Panteau. 2 vol. 8e mille.. 20 Notre amitié. 10e édit 12IV Madame Lesoir. 8e m. 2 v. 24 Carrère (Jean) La fin d'Atlantis.Monsieur Gastère. 13e mille.. 12 19e édit 12Vogüé(Vte.E.-M. de), de l'Ac. fr.— Castagnou (A.), — Diana. 4e m. 12Les Morts qui parlent. 31» éd. 15 Cazin (Paul). (Prix de littér. régienalisto).—Le Maître de la mer. 50e éd.. 15*Décadi.21e édit. 12Jean d'Agrève. 78e édit 12 L'Alouette de Pâques. 12e édit. .12Acker (P.). — La Protectrice... 12 L'hôtellerie du Bacchus sans tête.*Les Exilés. 32e édit 12 20e édit 12Acremant ( G . ) . — * L e Carnaval d'été. Lubies. 12e édit 1220e mille 12 Chadourne(M.).— Vasco.22e m. 12*Gai t marions-nous ! 55e- édit. 12 Chenu (Ch. M.) — Thea ou le Chant"La Huile d'acajou. 25e édit.. 12 de l'alouette. 10e édit 12*Ces Dames aux chapeaux verts. Chérau (G.), de l'Ac. Goncourt.—63e édit 12 Valentine Pacquault.12°m.2v. 24La Sarrasine. 20e édit 12 *La Despélouquéro. 10 e mille. 12Adam (J.). — Chrétienne. 36e éd. 12 *La Maison de Patrice Perrier. 12Païenne. 36e édit 12 Le vent du destin. 10e mille..." 12André-Cuel.— Barocco. 10e éd. 12 Chossin (Serge de). — Les EpavesL'Homme fragile. 7e mille.... 12 blanches. 8e édit 12La Jonque immobile. 12e édit. 12 Christophe (Jacques). — RayonsLe Meneur de joies. 6e mille. 12 violets. 4e mille 12Ardel (H.). — L'Aube. 82e édit. 12 Le Diable et son train. 6e m.. 12Le Chemin qui descend 82e éd. 12 Coiplet. — Marcellin Mauohartier.La Nuit tombe. 95e édit 12 (Pr. Blumenthal 1924). 8e éd. 12La Faute d'autrui. 62 e édit... 12 La Onzième heure. 14e édit.. 12L'Absence. 58e édit 12 Créach (J.). — Maudez le Léonard.Le Feu sous la cendre. 92e éd. 12 8e mille 1 12L'Etreinte du passé. 95e édit. 12 Davignon. — Un Belge. 6e édit. 12L'Appel souverain. 76e édit... 12 Année Collinet. 7e édit 12L'Imprudente aventure. 82e éd. 12 Mon ami français. 8e édit.... 12Les Ames closes. 80e édit 12 Les Deux Hommes. 10e édit... 12Arène (Paul). — La Veine d'argile. Un pénitent de Furnes. 16e éd. 127e mille 12 Le vieux Bon Dieu. 14e édit.. 12Aubarède (Gabriel d'). — L'Injusticeest m moi. 10e édit.. 12 pelle des morts. 8e édit 12Denarlé (Emmanuel). — La Cha­Agnès. 5e mille 12 Dostoïevsky (Th.). — L'Esprit souterrain.Aubriat (J.-P.). — Le Chaînon.10e édit 1210e édit 12 L'Idiot. 35e édit. 2 vol 24Avesnes. — La Vocation Prix du . Souvenirs de la maison des morts.Roman Ac. fr. 191.6. 16e éd. 12 37e édit 16L'Ile heureuse. 12e édit 12 Crime et le châtiment. 77e éd. 15Balde (Jean). — Seine d'Arbieux. Humiliés et offensés.20°éd.2 v. 2426e mille 12 Les Frères Karamazov. 44° éd. 2 v.La Vigne et la Maison. 18 éd. 12 Prix 24La Survivante. 6e mille 12 Les Possédés. 2 vol. 9°mille.. 24Le Goéland. 16e édit 18 Les Pauvres gens. 7° mille.... 12Bernanos (Georges). — Sous te La Confession de Stavroguine. 12°ed.soleil de Satan. 66e mille... 12 Prix 12L'Imposture. 26 e mille 12 Duour (J.). —*Marielle 15° éd. 12Billy (A.) et Twersky (M.). — Le Sur la rouie de lumière, 8» éd. 12Fléau du savoir. 16 e édit 12 Qrâce ou la chatte sauvage. 8°ed. 12


Dufourt (J.). — Désormais. 10e éd.Prix 12Calixte ou V Introduction à la vielyonnaise. 35e édit 12Maîtresse Jacques. 21e mille.. 12Dumas (André). — *Ma petiteYvette. 17e édit 12Dupont (M.). — Gloire. 12e éd.. 12Fragilité. 20e édit 12Estalenx (J.-Fr. d'). — Les Auventsau soleil. 8« mille 12Fournier (P.-P.). — Le Dernieramour du colonel Lee. 10 e éd. 12Fromentin (Eugène). — Dominique.82e édit 12Giraud-Mangin. — Secrétaire d'ambassade.4e mille 12Ceux de jadis. 6e édit 12Green(J.).—Mont-Cinère. 10 e m. 12Adrienne. Mesurat. 25e mille. 12Henriet (Emile). — Aricie Brun oules vertus bourgeoises. (Prix duRoman. Ac. fr. 1924) 31e m. 12L'Instant et le Souvenir. 9e m. 12Les Temps innocents. 6° m.. ,12Le Diable à l'hôtel. 5« mille.. 12Les Aventures de Sylvain Dutour.5 e mille 12L'Enfant perdu- 8e mille 12Huysmars (J.-K.). — En route.57 e mille 18La Bièvre et Saint-Séverin.8e m. 16La Cathédrale, 61e mille 18Ste Lydwine de Schiedam. 29 e m. 15L'Oblat. 87e mille 20Les Foules de Lourdes. 48e m. 16Là-bas. 61» mille 15En rade. 12» mille.... 15Jaloux (Edmond). — La Branchemorte. 8e mille 12Le reste est silence. 29 e édit.. 12Les Profondeurs de la mer. 24» édit.Prix 12Les Amours perdues. 26e édit. 12L'Eventail de crêpe. 18e mille. 12Au-dessus de la ville. 7e mille. 12L'Escalier d'or. 10» mille 12L'Alcyone. 24e édit 12La fin d'un beau jour. 17e m.. 12Fumées dans la campagne.9e m. 120 toi que j'eusse aimée/ 24e éd. 12Soleils disparus... 20e édit... 12Le jeune homme au masque. 18» éd.Prix 12Jammes (Francis). — "Le Livre desaint Joseph. 7e mille 12Jean-Javal (Lily). — L'Inquiète.8e édit ., 12Le Brasier 6e édit 12Jouglet (René). — Le Nouveau Corsaire.8e milleConfessions amoureuses. 7e m. 12Ht Bal des Ardents. 7e mille. 12La Brète (J. de). — Les Rejlets.30e édit 12La Source enchantée. 15e m.. 12La Glay (Maurice). — Badda, filleberbère. 13e édit 12Le Chat aux oreilles percées. 10e éd.Prix 12lito. 12e édit 12Le Goflle (Charles). — L'Abbissede Guérande. 15e édit 12L'Illustre Bobinet. 10e édit... 12Madame Ruguellou. 12e édit.. 12Lhande (P.). — Luis. 16e édit. 12Mirentchu. 19e édit 12Les Mouettes. 20e édit 12*Mémoires d'un écureuil. 15e éd. 12Les Lauriers coupés. 26e édit. 12Bilbllis. 19e édit 12Llehtenberger (André). — PetiteMadame. 62e édit. 12Le Petit Roi. 38e édit 12Le Sang nouveau. 25e édit.... 12Biche. 22e édit 12Chez les Graffougnat. 26e édit. 12Les André Graffougnat.24e éd. 12Le Cœur est le même. 18e édit. 12La Mort de Corinthe(A).VifêA. 12Juste Label, Alsacien. 20e édit. 12Des enfants dans un jardin. 24» éd.Prix 12Longnon. — La Nouvelle Hélène.7e mille 12Longworth Chambrun. — Le romand'un homme d'affaires. 6e édit. 12La Nouvelle Desdémone. 6» éd. 12Louwyck (J.-H.). — La Légende dugui. 10e édit 12Malo (Henri).— Clorinde. 5e m. 12Margueritte (Paul). — La Maisonbrûle, 20e édit 12L'Autre lumière. 30e dit 12"Ma Grande. 62e édit 12Nous, les mères... 27e édit.... 12La Tourmente. 25e édit 12M3rguerltto (Paul et Victor). —Les Braves gens. 89e édit... 15La Commune. 71e édit 12Le Désastre. 126e édit 15Les Tronçons du claive. 94e éd. 15*Poum. 35° édit. 12* Zette. 71° édit 12Les Deux vies. 68° édit 12Martial-Piéchaud. — La romanesà rétoile. 6° mille 12Vallée heureuse. 20e édit 12Renaître. 8» mille 12Martinon (S.). — Nous deux.10e éd.Prix 12Le Cœur mal défendu. 10e éd. 12L'Orgueilleuse 12Les Tourmentés. 5e mille 12Mauclère (J.). — L'Internale.. 12Tiotis aux yeux de mer. 8» éd. 12


Mayran (Camillo). — Histoire lieGotton Connixloo. Prix du RomanAc. fr. 1918. 11e édit 12L'Epreuve du fils. 10e édit... 12Milan(René) (Maurice Larrouy).—L'Esclave triomphante. 5e m. 12Moselly (E.). — Terres lorraines.(Prix Concourt 1907). 17e éd. 12N l g o n d ( G . ) . — M a r i e Montraudoigt.5< mille 12Oudard (Georges) et Novik(Dmitri).— Les Chevaliers mendiants.. 12Pérochon (Erneat). — Néne (PrixGoncourt 1920). 93e mille... 12Le Chemin de plaine. 16e m.. 12les Creux-de-Maisons. 21 e m. 12La Parcelle 32. 21e mille 12Les Ombres. 25 e édit 12Les Gardiennes. 20 e mille.... 12Huit gouttes d'opium. 13 e m.. 12Les Hommesfrénétiques. 14 e m. 12Bernard l'ours. 12e mille 12Rageot (G.). — Le Jubé. 6 e éd. 12Rameau (Jean). — L'Amour merveilleux.10 e édit 12l'Arrivée aux étoiles. 8 e édit. 12l'Inoubliable. 8 e édit 12Renaudln (P.). — Le Maître deFroidmont. 10 e édlt 12Rhaïs (Eltssa). — Les Juifs ou la filled'Eléazar. 19 e édit 12Le Café Chantant. 16 e édit... 12Sadda la Marocaine. 26 e édlt. 12La Fille des Pachas. 16 e édit. 12La Fille du Douar. 17 e édit... 12La Chemise qui porte bonheur.15 e édit 12Le Mariage de Hanifa. 18 e éd. 12Par la voix de la musique. 18 eédit.Prix. 12Richard-Bourdet. — Gaou-Tieng.5» mille 12Rosny (J.-H.).del'Ac. Goncourt.—La Force mystérieuse. 10 e éd. 12L'Impérieuse bonté. 11 e édit. 12L'lndimptie. 10 e édit ... 12La Vague rouge. 16 e édit.... 12Vamireh. 16 e édit 12Eyrimah. 6 e édit 12Le Félin géant. 18 e édit 12La Mort de la terre. 10 e édit.. 12Marthe Baraquin. 12 e édit... 12Rounnel (G.). — Nono. 18 e éd. 12Sandy(L).— Chantai Daunoy. 12La Descente de croix. 6 e édit., 12L'Heure folle, 3 e édit 12L'Homme et la Sauvageonne.. 12Sandy (1.). — Andorra. 8 e m.. 12Llivia. 14 e édit... ; 12Sarment (Jean). -- Jean Jacques deNantes. 16 e édit........... 12SehultZ (Yvonne). — L'Idylle pas.sionnée. 16 e édit 12Les Nuits de fer. 17 e édit.... i2La Flammesur le rempart. 13« éd.Prix , 12*La Couronne d'étoiles. 12 e éd. 12S l l v e s t r e ( C h . ) . — L ' A m o u r et la Mortde Jean Pradeau. 10 e édit.. 12*Aimée Villard. 16 e édit 12• Belle Sylvie. 20 e édit 12*Prodige du cœur. 65 e édlt.. 12*Amour sauvé. 13 e édlt 12Le Vent du gouffre. 10 e mille. 20S y o m a r a . — L e Grand Paon.5 e m. 12Tharaud (J. et J.). — La Maîtresseservante. 69 e édit. 12La Tragédie de Ravaillac. 39 e éd. 12l'Ombre de la croix. 57 e mille. 12Un royaume de Dieu. 26 e m. 12Quand Israel est roi. 45 e mille. 12La Randonnée de Samba Diouf.31 e mille 12Le Chemin de Damas. 69 e éd. 12Dingley l'illustre écrivain. 66 e éd.Prix 12L'An prochain à Jérusalem. 70 e éd.Prix 12La Fête arabe. 54 e édit 12.Marrakech ou les Seigneurs del'Atlas. 39 e mille 12Rabat ou les heures marocaines.60 e édit 12La Bataille à Scutari. 32» éd. 12La Rose de Sdron. 65 e édlt... 12Thélen (M.) et I)' Bertheaume (M.).— L'Interne. 8 e édit 12Le Docteur Odile. 10 e édit ... 12Théo Varlet — Le Roe d'or... 12Vaudoyer(J.-L.).-Peau d'ange. 12La Reine évanouie. 12 e édit.. 12La Maîtresse et V Amie. 11 e éd. 12Raymonde Mangematin. 7 e m. 12Premières amours. 6 e mille... 12Vignaud (Jean). — Niky. 20 e éd. 12La Maison du Maltais. 12 e m. 12Sarati le Terrible. 19 e édit... 12Week (René de). — Jeunesse dequelques-uns. 5 e édit 12Le Roi Théodore. 5 e mille.... 12Wharton (Edith). — Au temps del'innocence. 10 e édit 12Un Fils au front. 6e édit 12Zanta (L.). —La part du feu. (PrixClaire Virenque 1928).10e éd. 12La Science et l'Amour. 8e éd. 12Zifferer (Paul). — La Ville impériale.5° mille. 12Le Saut dans l'inconnu. 5° m. 12PARIS. TVP. PLON. 8, RUE GARANCIÈRE. l929. 37492. — P. 82-2.


DERNIÈRESPaul ARÈNELa Veine d'argile, contes.Gabriel D'AUBARÈDEAgnès, roman.Jean BALDEReine d'Arbieux, roman.(Prix du roman de l'Ac. fr. 1928.)Georges BERNANOSL'Imposture, roman.Henry BORDEAUXSous les pins aroles, roman.Andromède et le monstre, roman.Paul BOURGETAu Service de l'ordre, essais.Le Tapin, nouvelles:CAMOConte à Miquette. — Miquette écritses Mémoires.Pierre CHASLESLa Vie de Lénine.-Jacques CHRISTOPHELe Diable et son train, roman.Georges CLEMENCEAU*Claude MonetJoseph CRÉACHMaudez le Léonard, romanEmile DERMENGHEMLa Vie de Mahomet.Th. DOSTOÏEVSKYL'Esprit souterrain, roman.Jean D'ESMEL'Ile rouge.Jean-François D'ESTALENXLes Auvents au soleil, roman.Henri FREMONTAprès le feu, roman.Georges GOYAUMère Javouhey, apôtre des noirs.Auguste GÉRARDMémoires.Gabriel HANOTAUXRegards sur l'Egypte et la Palestine.G. HANOTAUX et ses collaborateursL'Empire colonial français.PUBLICATIONSWalter B. HARRISLe Maroc disparu. .Edmond JALOUXLa Branche morte, roman.Agnès DE LA GORCERobert Hugh Benson.Georges LECOMTELa Vie héroïque et glorieuse de Carpeaux.Rosamond LEHMANNPoussière, roman traduit de l'anglais,Léon LEHURAUXSur les pistes du désert.Salvador DE MADARIAGAQuatre Espagnols à Londres, essais.Louis MADELINLes Hommes de la Révolution.Henri MALOClorinde, roman.Maurice PALÉOLOGUELes Entretiens de l'impératrice EugéniePIREY SAINT-ALBYA première vue, roman.Raymond POINCARÉL'Invasion (1914).Armand PRAVIELVie de S. A. R. Madame la duchessede Berri.Maurice QUATRELLES L'ÉPINELe Maréchal de Saint-Arnaud. 2 vol.Marcel RONDELEUXLes Derniers jours de la marine à voilesYvonne SCHULTZL'Idylle passionnée, roman.Charles SILVESTRELe Voyage rustique.R. P. Marie-H. TAPIEChevauchées à travers déserts et forêtsvierges du Brésil inconnu.René SCHWOBMoi, Juif, livre posthume.PARIS. - TYPOGRAPHIE PLON, 8, RUE GARANCIÈRE. — I929. 37431.1-5.

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