11.07.2015 Views

Politique de santé et population - Politique Africaine

Politique de santé et population - Politique Africaine

Politique de santé et population - Politique Africaine

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

M. BARBIERI ET P. CANTRELLE<strong>Politique</strong> <strong>de</strong> santé <strong>et</strong> <strong>population</strong>*UNE politique <strong>de</strong> santé peut être définie comme l’attitu<strong>de</strong>officielle exprimée par le gouvernement dans le domaine <strong>de</strong>la santé, lors <strong>de</strong> déclarations solennelles ou au sein <strong>de</strong> documents<strong>de</strong> planification. Le processus <strong>de</strong> formulation d’une politique<strong>de</strong> santé inclut l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> priorités, la déterminationd’objectifs, le choix d’instruments pour servir à la politique ainsidéfinie, la mise en place d’une infrastructure institutionnelle <strong>et</strong> uneallocation spécifique <strong>de</strong> fonds. Plus concrètement, il s’agit <strong>de</strong> déterminerquels sont les problèmes <strong>de</strong> santé les plus importants <strong>et</strong> d‘établir<strong>de</strong>s programmes d’action <strong>et</strong> <strong>de</strong>s prévisions en fonction, d‘unepart, <strong>de</strong> c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> santé <strong>et</strong>, d‘autre part, <strong>de</strong>s moyens disponibles.I1 s’agit également <strong>de</strong> mesurer l’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> ces activités pour corriger,si nécessaire, les orientations qui ont été prises. La mise enœuvre d’une politique <strong>de</strong> santé suppose que l’on dispose d’informationssur le potentiel <strong>de</strong>s services, sur leurs activités, sur l’état<strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s <strong>population</strong>s, les facteurs <strong>de</strong> risque <strong>et</strong> les sous-groupesles plus vulnérables, le tout <strong>de</strong> façon continue (1).Les soins <strong>de</strong> santé avant les politiques <strong>de</strong> santéLa mé<strong>de</strong>cine traditionnelleUne politique <strong>de</strong> santé, si elle n’intègre pas la mé<strong>de</strong>cine traditionnelle,ne peut l’ignorer. L’intégration plus ou moins profon<strong>de</strong><strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux rationalités, traditionnelle <strong>et</strong> mo<strong>de</strong>rne, détermine l’itinérair<strong>et</strong>hérapeutique <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s <strong>et</strong> ses conséquences sur l’issue <strong>de</strong>leur maladie.Certaines pratiques populaires sont bénéfiques <strong>et</strong> peuvent êtreutilement prises en compte par les programmes <strong>de</strong> santé mo<strong>de</strong>r-51


SINTÉ ET POPULATIONnes. D’autres, au contraire, sont nocives. Le risque <strong>de</strong> tétanos néonataldû à la section du cordon ombilical selon la technique traditionnelleafricaine est bien connu, <strong>de</strong> même que la solution qui consisteà informer les matrones rurales <strong>de</strong>s dangers qui sont associésà c<strong>et</strong>te technique <strong>et</strong> à leur fournir une trousse instrumentale appropriée.Citons encore le cas <strong>de</strong> certaines pratiques diététiques lors<strong>de</strong> maladies infectieuses comme la rougeole, ou <strong>de</strong> syndrôme diarrhéique<strong>de</strong>s enfants, qui peuvent entraîner <strong>de</strong>s complications. L’étu<strong>de</strong>systématique <strong>de</strong>s traitements adoptés par diverses <strong>population</strong>s africainesdans un cadre pluridisciplinaire (anthropologie <strong>et</strong> mé<strong>de</strong>cine)contribuerait utilement aux programmes d’éducation sanitaire.Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s pratiques familiales, quel est le rôle <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cin<strong>et</strong>raditionnelle ? Elle fait partie d‘une culture <strong>et</strong> ses représentantssont très intégrés au tissu social. Les guérisseurs sont les plusnombreux. Ils se réfèrent au culte <strong>de</strong>s ancêtres <strong>et</strong> utilisent, pourleur thérapeutique, la pharmacopée traditionnelle. Les voyants seréfèrent, eux, au système islamique, bien qu’ils utilisent également<strong>de</strong>s représentations <strong>et</strong> <strong>de</strong>s thérapeutiques non islamiques. Enfin, lesmanipulateurs ou rebouteux complètent le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cin<strong>et</strong>raditionnelle. Au Sénégal, par exemple, on compte en moyenne1 guérisseur pour 250 habitants : lorsque la mé<strong>de</strong>cine mo<strong>de</strong>rne proposeun infirmier pour 15 O00 habitants <strong>et</strong> un mé<strong>de</strong>cin pour150 O00 habitants, on <strong>de</strong>vine comment c<strong>et</strong>te assistance traditionnelleconstitue une composante essentielle du système <strong>de</strong> santé.Les moyens <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine traditionnelle sont-ils suffisammentpuissants <strong>et</strong> efficaces pour affecter le niveau <strong>de</strong> la mortalité en Afrique? Si elle peut souvent ai<strong>de</strong>r à mieux vivre, le niveau atteintdémontre, autrefois comme aujourd’hui, son impuissance à luttercontre les principales causes <strong>de</strong> mortalité, <strong>et</strong> en particulier cellesqui touchent les enfants.Le système mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> santéEn 1918, Aristi<strong>de</strong> Le Dantec fondait à Dakar la première École<strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins africains, <strong>de</strong>stinée à pourvoir les colonies françaises* Pour <strong>de</strong>s raisons qui tiennent à la disparitééconomique, sociale <strong>et</strong> culturelle trèsn<strong>et</strong>te qui existe entre les pays du Maghreb<strong>et</strong> ceux du reste <strong>de</strong> l’Afrique, c<strong>et</strong> article seconcentrera sur ces <strong>de</strong>rniers.(1) I1 convient <strong>de</strong> situer les relations quiexistent entre politique <strong>de</strong> <strong>population</strong> <strong>et</strong> politique<strong>de</strong> santé. Une politique <strong>de</strong> <strong>population</strong>a pour objectif d’influencer l’évolution démographique<strong>de</strong> la <strong>population</strong> totale, <strong>de</strong> sescomposantes, ou <strong>de</strong> ses déterminants. Unepolitique <strong>de</strong> santé a pour seul but d’améliorerl’état <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s <strong>population</strong>s. Cepen-dant, une politique <strong>de</strong> santé efficace aura unimpact sur l’évolution globale <strong>de</strong> la <strong>population</strong>dans la mesure où la mortalité s’en trouveraréduite <strong>et</strong> où la fécondité sera égalementaffectée à travers les programmes <strong>de</strong> planificationfamiliale intégrés aux interventions <strong>de</strong>santé maternelle <strong>et</strong> infantile. A son tour, unepolitique <strong>de</strong> santé peut être influencée parl’évolution globale <strong>de</strong> la <strong>population</strong> en subissantles contraintes du nombre (effectifs <strong>et</strong>répartition <strong>de</strong> la <strong>population</strong>) <strong>et</strong> du rythme <strong>de</strong>la croissance démographique.52


M. BARBIERI ET P. CANTRELLEd’Afrique. I1 donnait ainsi une nouvelle orientation à ce qui servaitalors <strong>de</strong> politique <strong>de</strong> santé, mais on était encore très loin <strong>de</strong>la définition présentée plus haut.Par la suite, la stratégie a consisté à contrôler certaines endémiesmeurtrières, comme la maladie du sommeil, ou trypanosomiase,au moyen d’équipes mobiles <strong>de</strong> prospection <strong>et</strong> <strong>de</strong> traitement. C<strong>et</strong>teforme d’intervention était liée à une politique <strong>de</strong> <strong>population</strong> implicitequi consistait à (( faiye <strong>de</strong> l’homme )) (dixit un mé<strong>de</strong>cin-colonel), afin<strong>de</strong> répondre aux besoins <strong>de</strong> main-d’œuvre, laquelle était déciméepar la trypanosomiase dans certaines régions, par <strong>de</strong>s épidémies <strong>de</strong>méningite dans d‘autres, ou qui était contrainte <strong>de</strong> quitter les valléesfertiles en raison <strong>de</strong> l’onchocercose qui s’y développait <strong>et</strong> quipouvait conduire à la cécité.Jusqu’à ces <strong>de</strong>rnières années, cependant, il n’existait pas <strong>de</strong> politique<strong>de</strong> santé digne <strong>de</strong> ce nom, dans la plupart <strong>de</strong>s pays <strong>de</strong> 1’Afriqueau sud du Sahara. Le plus souvent, la juxtaposition <strong>de</strong> postesfures <strong>et</strong> d’équipes mobiles représentait l’ensemble du système <strong>de</strong>santé disponible.L’émergence <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> santéNombre <strong>de</strong> pays en voie <strong>de</strong> développement se dotent <strong>de</strong> plans<strong>de</strong> développement dès le début <strong>de</strong>s années soixante, à l’aube <strong>de</strong>l’indépendance politique. Les premiers éléments d’une politique <strong>de</strong>santé y sont inscrits. Dans la pratique, cependant, il arrive souventque la politique formulée se réduise à un vœu pieux non suivid’action. Le développement économique était considéré comme lemécanisme <strong>de</strong> base <strong>de</strong>s politiques sociales qui incluaient, souventimplicitement, la santé. L’élévation du niveau <strong>de</strong> vie, qui <strong>de</strong>vaitrésulter du décollage économique <strong>de</strong>s jeunes nations, aurait automatiquementconduit à une amélioration du bien-être <strong>de</strong> l’ensemble<strong>de</strong> la <strong>population</strong>. La formulation <strong>de</strong> politiques spécifiques enmatière <strong>de</strong> santé était donc considérée comme inutile, celle-ci <strong>de</strong>venantun simple sous-produit du développement économique global.En fait, il apparut dès la fin <strong>de</strong>s années soixante qu’en dépit<strong>de</strong>s performances remarquables en matière <strong>de</strong> croissance économique,les problèmes <strong>de</strong> sous-alimentation <strong>et</strong> <strong>de</strong> santé en généraln’avaient encore été résolus nulle part même si certaines gran<strong>de</strong>sendémies avaient été efficacement combattues. L’une <strong>de</strong>s raisons<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te situation avait été i<strong>de</strong>ntifée comme résultant du modèlehospitalo-universitaire, alors privilégié, implanté exclusivement dansles zones urbaines <strong>et</strong> consacré presque uniquement à la hurniture<strong>de</strong> soins curatifs. C<strong>et</strong>te situation était renforcée par l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>sbailleurs <strong>de</strong> fond - organisations internationales, fondations pri-53


SINTÉ ET POPULATION.vées <strong>et</strong> organismes <strong>de</strong> coopération bilatérale - pour lesquels il étaitplus séduisant <strong>et</strong> plus facile <strong>de</strong> soutenir un système <strong>de</strong> santé combinantles avantages <strong>de</strong> visibilité <strong>et</strong> <strong>de</strong> possibilité <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>la gestion. La stratégie adoptée au cours <strong>de</strong> ces années continue<strong>de</strong> marquer le système <strong>de</strong> santé publique dans beaucoup <strong>de</strong> paysafricains.Ainsi, au Sénégal par exemple, le plan couvrant la pério<strong>de</strong>1961-1964, le premier d’une longue série <strong>de</strong> plans quadriennaux,a fait une place importante aux investissements sociaux. D’un planà l’autre, cependant, la part <strong>de</strong>s investissements sociaux s’est réduiteau profit <strong>de</strong>s investissements directement productifs économiquement.L’orientation générale <strong>de</strong>s plans successifs n’a pas été profondémentmodifiée. Les principes en sont <strong>de</strong>meurés : la prioritédu milieu rural sur le milieu urbain, <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> masse surla mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong> l’élite, <strong>de</strong>s soins préventifs sur les soins curatifs,<strong>et</strong> l’accent porté sur la communication <strong>et</strong> l’éducation sanitaire afin<strong>de</strong> (( rompre le cercle vicieux ignorance-misère-maladie )) (2). Le <strong>de</strong>voirdu gouvernement dans le domaine <strong>de</strong> la santé publique a été maintesfois rappelé, pour assurer i( le droit à la santé <strong>de</strong> chaque citoyen )) (3).On le voit, c<strong>et</strong>te approche n’a rien à envier à la Stratégie <strong>de</strong>s soins<strong>de</strong> santé primaires, développée lors <strong>de</strong> la conférence d’Alma-Ata, en1978. Rares sont les pays qui n’ont pas inscrit les mêmes principespans leurs déclarations.Etant données les conditions <strong>de</strong> réalisation <strong>de</strong> ces grands proj<strong>et</strong>s,il est cependant abusif <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> (( politiques <strong>de</strong> santé )).Au Sénégal, le 4‘ Plan reconnaît d’ailleurs que :a S( à première vue, la <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> l’infrastructure sanitaireparaît satisfaisante, il semble que les moyens <strong>de</strong> la rendre efficacediminuent, notamment les moyens matériels. De surcroît,l’allocation <strong>de</strong>s ressources se fait <strong>de</strong> plus en plus en faveur <strong>de</strong>shôpitaux, aussi bien en ce qui concerne le personnel que les médicaments,les services <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> base <strong>et</strong> les services <strong>de</strong> préventionrqoivent une part décroissante <strong>de</strong> médicaments <strong>et</strong> <strong>de</strong>matériel )) (4).De plus, <strong>de</strong> fortes disparités régionales caractérisent l’allocation<strong>de</strong>s ressources comme celle du personnel. Le nombre <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cinsa certes augmenté <strong>de</strong> 192 en 1966 à 307 en 1976, mais 73 % d’entreeux travaillent à Dakar. De même, la capitale sénégalaise absorbeà elle seule 45 ‘30 du budg<strong>et</strong> santé du pays. La même situation prévautdans la plupart <strong>de</strong>s pays du continent.(2) République du Sénégal, Dezixièine tion, Iveplan qziadri<strong>et</strong>znal <strong>de</strong> développeitz<strong>et</strong>ztplan qziadrienizal <strong>de</strong> développement écononzique écotzomiqzie <strong>et</strong> social. 1973-1977, Dakar, NEA,<strong>et</strong> social. 1965-1969, Dakar, 1965, p. 235. 1973, p. 199.(3) Ministère du Plan <strong>et</strong> <strong>de</strong> la Coopéra- (4) Ibid.54


M. BARBIERI ET P. CANTRELLELa diminution <strong>de</strong> la part du budg<strong>et</strong> national consacrée à la santétraduit le désengagement progressif <strong>de</strong>s gouvernements dans cedomaine. L’Organisation mondiale <strong>de</strong> la santé recomman<strong>de</strong> que lapart <strong>de</strong>s dépenses <strong>de</strong> fonctionnement <strong>de</strong> la santé représente au moins10 Yo du budg<strong>et</strong> national. Au Sénégal, c<strong>et</strong>te part s’est réduite <strong>de</strong>9 Yo en 1960 <strong>et</strong> en 1970, à 6 70 en 1978 <strong>et</strong> à seulement 5 70 en1989. De nombreux autres pays ont suivi la même évolution. I1est vrai que c<strong>et</strong>te baisse a été compensée en partie par la priseen charge <strong>de</strong> l’achat <strong>de</strong>s médicaments par les ménages <strong>et</strong> par lesONG. Ainsi, la part du secteur public dans les dépenses <strong>de</strong> médicamentspour l’ensemble du Sénégal a diminué <strong>de</strong> 60 70 en 1964à 25% en 1978.L’évolution du svstème mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> santéFace aux carences <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine mo<strong>de</strong>rne (absence <strong>de</strong> contrôle<strong>de</strong> l’eau <strong>et</strong> <strong>de</strong>s vecteurs pathologiques, équipement <strong>et</strong> personnelmédical réduit), la mé<strong>de</strong>cine traditionnelle dominait en milieurural jusqu’à ces <strong>de</strong>rnières années. Les postes sanitaires attiraienten général une très faible proportion <strong>de</strong> la <strong>population</strong> : centre <strong>de</strong>soins doté d’un mé<strong>de</strong>cin unique pour 100 O00 habitants, dispensairesupposé subvenir aux besoins <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> 10 O00 habitantsavec un seul infirmier, personnel souvent mal <strong>et</strong> peu formé ne disposantque <strong>de</strong> quelques médicaments en quantité limitée, ... telleétait l’image <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine mo<strong>de</strong>rne en milieu rural.Les relevés d‘un dispensaire <strong>de</strong> chef-lieu d’arrondissement nousapprennent qu’en 1965, supposé couvrir une <strong>population</strong> <strong>de</strong> 20 O00habitants, il consacrait en fait 50 To <strong>de</strong> son activité aux 2 O00 rési<strong>de</strong>ntsdu village, 35 To aux 8 O00 habitants <strong>de</strong>s environs <strong>et</strong> seulement15 70 à la <strong>population</strong> la plus éloignée (une dizaine <strong>de</strong> kilomètres).L’impact <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé délivrés par le dispensaire étaitcependant très réduit : la mérence dans le niveau <strong>de</strong> mortalité entreles <strong>de</strong>ux villages <strong>de</strong> l’arrondissement disposant d’un dispensaire <strong>et</strong>le niveau <strong>de</strong> mortalité dans le reste <strong>de</strong> l’arrondissement n’est passignificative.Les seules interventions médicales <strong>de</strong> portée générale en milieurural consistaient en campagnes <strong>de</strong> protection contre la lèpre <strong>et</strong> latrypanosomiase, contre les épidémies <strong>de</strong> méningite ou l’onchocercose,<strong>et</strong> en programmes <strong>de</strong> vaccination (variole <strong>et</strong> fièvre jauned‘abord, rougeole <strong>et</strong> parfois BCG plus tard). Historiquement, c<strong>et</strong>teforme d’action, confiée à <strong>de</strong>s équipes mobiles d’un niveau élevé<strong>de</strong> technicité, a joué un grand rôle. Elle a, en particulier, fait disparaîtrela maladie du sommeil qui dépeuplait certaines régions,notamment en Afrique centrale, au Burkina Faso <strong>et</strong> au Mali. Cependant,le rôle <strong>de</strong>s équipes mobiles est resté limité à un nombre res-55


SANTÉ ET POPULATIONtreint d’affections <strong>et</strong> la mortalité générale n’a que peu diminué. Lesprogrès ont été très réduits en ce qui concerne la santé <strong>de</strong>s enfantssurtout.Alma-Ata <strong>et</strong> la Stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primairesDevant la faible efficacité d’un système qui n’érodait que trèslentement les niveaux <strong>de</strong> mortalité <strong>de</strong>s <strong>population</strong>s africaines, lesgouvernements ont été conduits à adopter une stratégie plus adaptéeaux besoins du plus grand nombre. Les années soixante-dix ontainsi vu se forger <strong>de</strong> nouveaux concepts qui ont abouti à la formulation<strong>de</strong> la Stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primaires. C<strong>et</strong>te stratégieht définie lors <strong>de</strong> la conférence tenue en 1978 à Alma-Ata, enUnion soviétique, pour réaliser ce que l’Assemblée mondiale <strong>de</strong> lasanté avait tracé comme objectif un an auparavant, sous la formedu slogan (( la santé pour tous en l’an 2000 D. La conférence d‘Alma-Ata, organisée sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Nations unies - OMS <strong>et</strong> FISE plusprécisément -, marque une profon<strong>de</strong> rupture dans la façon dontles problèmes <strong>de</strong> santé dans le Tiers mon<strong>de</strong> en général, en Afriqueen particulier, ont été abordés. En 1983, la presque totalité<strong>de</strong>s pays du mon<strong>de</strong> avait adopté l’idée que I’Etat, responsable dubien-être <strong>de</strong> ses <strong>population</strong>s, se <strong>de</strong>vait <strong>de</strong> tout m<strong>et</strong>tre en œuvre pourorienter les services <strong>de</strong> santé publique vers la satisfaction <strong>de</strong>s besoinsessentiels <strong>de</strong> tous.Les soins <strong>de</strong> santé primaires avaient été définis à Alma-Atacomme (i les soins <strong>de</strong> santé essentiels universellement accessibles iì tousles individus <strong>et</strong> iì toutes les familles <strong>de</strong> la communauté par <strong>de</strong>s moyensqui leur sont acceptables, avec leur pleine participation, <strong>et</strong> iì un coûtabordable pour la communauté <strong>et</strong> le pays n. I1 était également soulignéque (( les soins <strong>de</strong> santé primaires font partie intégrante du système<strong>de</strong> santé du pays dont ils constituent le noyau, ainsi que du développementsocial <strong>et</strong> économique global <strong>de</strong> la cow”nauté n. Plus spécifiquement,la stratégie comprend <strong>de</strong>s actions médicales directes (vaccinationcontre les gran<strong>de</strong>s endémies infectieuses : diphtérie, coqueluche,tétanos, rougeole, poliomyélite <strong>et</strong> tuberculose ; prévention <strong>et</strong>contrôle <strong>de</strong>s maladies parasitaires par élimination <strong>de</strong>s vecteurs auniveau communautaire ; fourniture <strong>de</strong>s médicaments essentiels : soinsprénataux ; assistance à l’accouchement), <strong>de</strong>s actions dans le domaine<strong>de</strong> la nutrition (promotion <strong>de</strong> bonnes conditions alimentaires <strong>et</strong>nutritionnelles) <strong>et</strong> <strong>de</strong>s actions plus indirectes, qui relèvent dudomaine social global plutôt que spécifiquement <strong>de</strong> la santé (éducation<strong>de</strong>s <strong>population</strong>s en matière <strong>de</strong> santé, d’hygiène <strong>et</strong> <strong>de</strong> prévention<strong>de</strong>s maladies ; approvisionnement en eau potable <strong>et</strong> assainissementdu milieu ; planification familiale).En fait, dans nombre <strong>de</strong> pays africains, les mé<strong>de</strong>cins <strong>et</strong> autresagents <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> prospection, <strong>de</strong> prévention <strong>et</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine56


M. BARBIERI ET P. CANTRELLEmobile, ont reconnu dans les principes définis à Alma-Ata une stratégiequ’ils appliquaient <strong>de</strong>puis longtemps mais dont l’affirmationne pouvait que renforcer leur position dans la politique <strong>de</strong> santédu pays. Aussi, dès le début, la Déclaration d’Alma-Ata fit soli<strong>de</strong>mentsoutenue par la plupart <strong>de</strong>s pays africains. L’OUA proclamedans la Charte africaine <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’Homme <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Peuples <strong>de</strong>1981 qu’il est du droit <strong>de</strong> chaque individu <strong>de</strong> jouir dp meilleurétat <strong>de</strong> santé physique <strong>et</strong> morale (article 16.1) <strong>et</strong> que les Etats signatairess’engagent à prendre les mesures qui s’imposent pour protégerla santé <strong>de</strong> leur peuple <strong>et</strong> pour s’assurer que chaque individureçoit l’attention médicale qui lui est due lorsque so? état <strong>de</strong> santéle nécessite (article 16.2). L’Assemblée <strong>de</strong>s chefs d’Etat <strong>et</strong> <strong>de</strong> gouvernement<strong>de</strong> l’OUA a constamment réaffirmé son adhésion à laDéclaration <strong>de</strong> la santé pour tous en l’An 2000 <strong>et</strong> l’adoption duslogan comme principe fondateur du développement économique<strong>et</strong> social. En 1990, le somm<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’OUA, auquel participaient lesreprésentants officiels <strong>de</strong> 31 pays, a adopté l’Initiative <strong>de</strong> Bamako,conçue pour mieux gérer les soins <strong>de</strong> santé primaires dans l’ensemble<strong>de</strong> l’Afrique au sud du Sahara. Les éléments d’action r<strong>et</strong>enuscomme instruments <strong>de</strong> la stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primairesétaient les suivants : tout d’abord, une amélioration <strong>de</strong> l’accès physique<strong>et</strong> financier aux structures sanitaires pour l’ensemble <strong>de</strong>s <strong>population</strong>s,qui <strong>de</strong>vait s’accompagner d’un effort important <strong>de</strong> décentralisation<strong>et</strong> <strong>de</strong> (( démédicalisation )) : on adm<strong>et</strong>tait le principe d’unedélégation <strong>de</strong>s tâches <strong>et</strong> <strong>de</strong>s responsabilités en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la professionmédicale avec la volonté d’adapter la stratégie au contexte local,les soins <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> type occi<strong>de</strong>ntal étant considérés comme complémentau système traditionnel plutôt que comme substitut ;ensuite, une participation active <strong>de</strong>s <strong>population</strong>s, représentées parles communautés locales, aux décisions <strong>et</strong> aux actions en matière<strong>de</strong> santé ; enfin, une approche multisectorielle, avec un développementconjoint <strong>de</strong> l’enseignement, <strong>de</strong> la santé, <strong>de</strong> l’agriculture : ilétait reconnu que, pour être efficace, la politique <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>vaits’intégrer dans un proj<strong>et</strong> plus global <strong>de</strong> développement économique<strong>et</strong> social.L’adoption <strong>de</strong> la Stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primaires a ainsiincité les gouvernements <strong>de</strong> nombreux pays africains à développerun système <strong>de</strong> santé caractérisé par une forte décentralisation <strong>et</strong>la formation d’un personnel <strong>de</strong> base. En Mauritanie, par exemple,la politique <strong>de</strong> santé a été orientée <strong>de</strong>puis 1986 vers (( la créationd‘une mé<strong>de</strong>cine préventive <strong>de</strong> masse, mieux à même <strong>de</strong> profiter à toutesles couches <strong>de</strong> la <strong>population</strong> urbaine <strong>et</strong> rurale, <strong>et</strong> I‘extension <strong>de</strong>ssoins primaires qui requiert peu d’infrastructures <strong>et</strong> fait davantage appelà la participation <strong>de</strong> la <strong>population</strong> )) (commentaire officiel en réponseà la 6‘ enquête <strong>de</strong>s Nations unies, 1990). La priorité a été donnéeau renforcement <strong>de</strong>s structures communautaires déjà en place <strong>et</strong>57


SANTÉ ET POPULATIONaux interventions locales conçues pour bénéficier aux groupes lesplus vulnérables <strong>et</strong> les plus isolés <strong>de</strong> la <strong>population</strong>. Plusieurs proj<strong>et</strong>sont été entrepris afin <strong>de</strong> former les villageois qui souhaitaientparticiper au programme, aux soins médicaux <strong>de</strong> base <strong>et</strong> aux pratiquesfavorisant l’hygiène. La Tanzanie représente un autre exempl<strong>et</strong>ypique <strong>de</strong> l’application réussie <strong>de</strong> la stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santéprimaires. En 1983, un programme baptisé Iringa ht élaboré suivantles principes <strong>de</strong> la Déclaration d’Alma-Ata. Le programme adébuté par un certain nombre d’événements <strong>de</strong> promotion organisésdans près <strong>de</strong> 170 villages. Dans chacun <strong>de</strong> ces villages, uncomité <strong>de</strong> santé fut constitué <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux travailleurs <strong>de</strong> santé ont étéformés. Les parents ont participé en amenant leurs enfants aux Jours<strong>de</strong> santé du village qui avaient lieu régulièrement. Les enfants ontété à chaque fois pesés, vaccinés <strong>et</strong> soignés si nécessaire. Les parentsont reçu <strong>de</strong>s conseils d’hygiène <strong>et</strong> <strong>de</strong> soins médicaux simples <strong>de</strong>la part <strong>de</strong>s travailleurs <strong>de</strong> santé. A la suite du programme, la malnutritions’est trouvée réduite <strong>de</strong> 60 Yo dans les localités concernées<strong>et</strong> les décès <strong>de</strong> jeunes enfants ont diminué d’environ 30 Yo,démontrant, si besoin est, l’efficacité d’une telle stratégie. Durantles années 1988-1989, le programme a été étendu aux 620 villages<strong>de</strong> la région. Une approche similaire a également été développéedans six autres régions <strong>et</strong> la mise en œuvre d’une campagne nationaleest maintenant envisagée.Le bilan global <strong>de</strong> la Stratégie <strong>de</strong>s soim <strong>de</strong> sante‘ primaires enAfrique conduit cependant au pessimisme. L’Afrique du sud duSahara est loin d’approcher l’objectif <strong>de</strong> la Santé pour tous enZ’an 2000 préconisé lors <strong>de</strong> la Conférence d’Alma-Ata (dont l’un <strong>de</strong>sindicateurs <strong>de</strong>vait &tre un niveau d’espérance <strong>de</strong> vie à la naissance<strong>de</strong> 60 ans) <strong>et</strong> réitéré par la suite à l’issue <strong>de</strong>s Assemblées mondialespour la santé successives. Seulement 15 <strong>de</strong>s 51 pays <strong>de</strong> la régionatteindraient le seuil <strong>de</strong>s 60 ans d’espérance <strong>de</strong> vie à la naissanceen l’an 2000, selon les estimations les plus récentes <strong>de</strong>s Nationsunies. L’Organisation mondiale <strong>de</strong> la santé évalue que dans 12 paysafricains sur 25 pour lesquels les données sont disponibles, plus<strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong> la <strong>population</strong> habite à plus d’une heure <strong>de</strong> marched’un centre <strong>de</strong> soins <strong>de</strong> santé local. Pour l’ensemble <strong>de</strong> l’Afriqueau sud du Sahara, seulement un quart <strong>de</strong> la <strong>population</strong> rurale <strong>et</strong>les <strong>de</strong>m-tiers <strong>de</strong> la <strong>population</strong> urbaine ont un accès à l’eau potableà moins <strong>de</strong> 15 minutes <strong>de</strong> marche. A peine un enfant africainsur trois est couvert par un programme <strong>de</strong> surveillance nutritionnelle.Moins <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s femmes enceintes reçoit <strong>de</strong>s soinsprénatals ou accouche en présence <strong>de</strong> personnel qualifié. A peineune femme sur dix est vaccinée contre le tétanos. Pour l’ensemble<strong>de</strong> l’Afrique, seulement 32 Yo <strong>de</strong>s enfants ont reçu le BCG, 17 Yole DTC-3 <strong>et</strong> 31 YO le vaccin contre la rougeole <strong>et</strong> dans <strong>de</strong>s payscomme le Burundi, le Cameroun, le Tchad, l’Éthiopie, Madagas-58


M. BARBIERI ET P. CANTRELLEcar <strong>et</strong> le Mali, à peine 10 90 <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> moins d‘un an ontreçu les trois doses <strong>de</strong> vaccin anti-poliomyélite.Contraintes matérielles<strong>et</strong> culturelles <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> santé mo<strong>de</strong>rnes.L’échec pâtent <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> santé africaines telles qu’ellesont été développées au cours <strong>de</strong>s années soixante-dix résulte engran<strong>de</strong> partie d’un manque <strong>de</strong> ressources attribuées au secteur <strong>de</strong>la santé, renforcé par un engagement <strong>de</strong>s gouvernements <strong>et</strong> <strong>de</strong> moinsen moins actif. La responsabilité en revient également en partieà la façon dont la Stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primaires avait étéconceptualisée, puis mise en œuvre, faisant souvent fi <strong>de</strong> la spécificitépropre à chaque région <strong>et</strong> aux obstacles majeurs susceptibles<strong>de</strong> l’entraver.La participation <strong>de</strong>s communautés locales avait été pensée, dèsles débuts <strong>de</strong> la Stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primaires, comme uninstrument privilégié pour réaliser l’objectif <strong>de</strong> la (( santé pour tous )).La mise en œuvre <strong>de</strong> programmes relevant <strong>de</strong> la stratégie supposaitdonc l’existence <strong>de</strong> communautés autonomes, représentantl’ensemble <strong>de</strong> la <strong>population</strong> <strong>et</strong> pouvant être immédiatement mobiliséespour organiser leur propre bien-être collectif <strong>de</strong> façon égalitaire.Outre le fait que <strong>de</strong> tels réseaux communautaires relevaientsouvent du domaine purement théorique, c<strong>et</strong>te stratégie s’est presquepartout heurtée à <strong>de</strong>s résistances prévisibles <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s élitesvillageoises traditionnelles d‘une part <strong>et</strong> du corps médical quivoyait son pouvoir menacé du fait <strong>de</strong> la valorisation du personnelpara-médical (infirmiers <strong>et</strong> sage-femmes), voire extra-médical (guérisseurs),d‘autre part. En plus <strong>de</strong> ces blocages sur le terrain, lespolitiques <strong>de</strong> santé s’inspirant <strong>de</strong>s principes d’Alma-Ata ont en partieété battues en brèche par la rigidité du système <strong>de</strong> santé qu’ellesprétendaient réformer.La difficulté principale résidait dans le contrôle très fortementcentralisé exercé par les bureaucraties <strong>de</strong>s gouvernements nationaux,Affaiblissant l’administration chargée <strong>de</strong> gérer la santé publique 2la périphérie, c<strong>et</strong>te hyper-centralisation a fait obstacle à la mise enœuvre d‘une nouvelle rationalité. La plupart <strong>de</strong>s bureaucrates responsablesdu domaine <strong>de</strong> la santé sont restés enfermés dans unelogique caractérisée par le privilège <strong>de</strong>s villes sur les campagnes,<strong>de</strong>s hôpitaux sur les autres centres <strong>de</strong> santé <strong>et</strong> <strong>de</strong> la haute technologiemédicale sur les soins essentiels, ce système se perpétuant <strong>de</strong>lui-même à la fois politiquement <strong>et</strong> administrativement. La rigidité<strong>de</strong>s structures <strong>de</strong> pouvoir traditionnelles a également fait échec àl’intégration <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong> santé dans un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> développementéconomique <strong>et</strong> social global comme cela avait été préconisé lors <strong>de</strong>59


M. BARBIERI ET P. CANTRELLEcorrespondait mieux à leur vocation initiale, caractérisée par <strong>de</strong>sinterventions verticales <strong>et</strong> ponctuelles réalisées indépendamment <strong>de</strong>sprogrammes dans le cadre <strong>de</strong> la planification <strong>de</strong> la santé par lesgouvernements.Une nouvelle approche pour la Stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santéprimairesL‘impulsion initiale füt donnée par la Fondation Rockefeller qui,estimant que les ressources financières disponibles étaient insuffisantespour couvrir l’ensemble <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primaires, établissait,dès 1979, une liste d’interventions considérées comme prioritaires.Deux groupes, jugés comme les plus vulnérables, représententla cible principale <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te stratégie sélective : les enfants<strong>de</strong> moins <strong>de</strong> cinq ans, auxquels sont <strong>de</strong>stinés les programmesd’immunisation, <strong>de</strong> réhydratation orale <strong>et</strong> d’allaitement prolongé,<strong>et</strong> les femmes en âge <strong>de</strong> procréer, qui bénéficient ainsi <strong>de</strong> campagnes<strong>de</strong> vaccination contre le tétanos, <strong>de</strong> bonnes conditions d’accouchement<strong>et</strong> du libre accès à la contraception.C<strong>et</strong>te nouvelle démarche, dite <strong>de</strong>s (( soins <strong>de</strong> santé primairessélectifs D, connut très vite un succès considérable auprès <strong>de</strong>s organisationsinternationales (Banque mondiale <strong>et</strong> diverses agences <strong>de</strong>sNations unies, dont l’UNICEF qui avait pourtant été l’un <strong>de</strong>s plusactifs promoteurs <strong>de</strong> la stratégie définie à Alma-Ata), <strong>de</strong>s organismes<strong>de</strong> coopération bilatérale (Agence américaine <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> au développement,alias USAID) <strong>et</strong> <strong>de</strong>s fondations privées (Fondation Fordpar exemple). Seule l’organisation mondiale <strong>de</strong> la santé, dépourvuemalheureusement <strong>de</strong> moyens importants, continue <strong>de</strong> soutenirtechniquement <strong>et</strong> politiquement la stratégie globale <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong>santé primaires. Les autres organisations internationales s’en sontdétournées pour en revenir au mo<strong>de</strong> d’intervention vertical qui existaitavant la conférence d’Alma-Ata <strong>et</strong> qui consistait à établir, lespriorités en fonction <strong>de</strong> la prévalence <strong>et</strong> <strong>de</strong> la sévérité <strong>de</strong>s maladies,<strong>de</strong> leurs risques <strong>de</strong> mortalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’efficacité <strong>et</strong> du coût <strong>de</strong>leur contrôle. Un programme <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong> ampleur füt en ce sensconçu par l’UNICEF dès 1982. Baptisé GOBI-FF, d’après les initiales<strong>de</strong> ses éléments principaux, ce programme est dirigé vers lesenfants <strong>de</strong> moins <strong>de</strong> cinq ans. Ses composantes sont : la surveillance<strong>de</strong> la croissance (Growth monitoring) <strong>de</strong>stinée à contrôler lamalnutrition ; la promotion <strong>de</strong> la thérapie <strong>de</strong> réhydratation par voieorale (Oral rehydration therapy) qui perm<strong>et</strong> d’éviter les décès dusà <strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s <strong>de</strong> diarrhée aiguë ; un allaitement prolongé (Breastfeeding)pour assurer le meilleur équilibre nutritionnel, <strong>de</strong> bonnesconditions d’hygiène alimentaire <strong>et</strong> une protection immunitaire antiinfectieuse; la vaccination contre les principales maladies <strong>de</strong>l’enfance (Immunization); un apport <strong>de</strong> suppléments alimentaires61


SANTÉ ET POPULATION(Food) pour compenser les carences nutritionnelles ; <strong>et</strong>, enfin, unmeilleur accès à la planification familiale (Family planning) dans lamesure où le risque <strong>de</strong> mortalité <strong>de</strong>s enfants nés avant ou aprèsun intervalle intergénésique court - inférieur à 24 mois - est beaucoupplus élevé que pour les autres enfants. La plupart <strong>de</strong> ces élémentsfiguraient certes déjà dans les programmes mis en œuvre dansle cadre <strong>de</strong> la Stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé primaires <strong>et</strong>, au départ,l’UNICEF plaçait ses priorités dans le cadre global <strong>et</strong> intégré <strong>de</strong>sactions <strong>de</strong> développement.La stratégie <strong>de</strong>s soins <strong>de</strong> santé sélectifs n’est sans doute pas àrej<strong>et</strong>er en bloc. Les réalisations du Programme élargi <strong>de</strong> vaccination,un autre programme sélectif élaboré par l’UNICEF en conjonctionavec GOBI-FF, ont été remarquables dans certaines régions.Reste à savoir si c<strong>et</strong>te approche se révèlera adaptée au défis mena-Fants qui émergent en c<strong>et</strong>te aube du XXI~ siècle : recru<strong>de</strong>scence dupaludisme, explosions sporadiques <strong>de</strong> choléra <strong>et</strong>, surtout, extensionprogressive <strong>de</strong> l’épidémie <strong>de</strong> Sida. Pour c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière maladie, enparticulier, le caractère ponctuel <strong>de</strong> programmes sélectifs <strong>et</strong> leurmanque d’articulation avec les systèmes <strong>de</strong> santé publique déjà enplace semblent mal s’accor<strong>de</strong>r avec la nécessité d’un effort soutenu,qui toucherait en profon<strong>de</strong>ur toutes les couches <strong>de</strong> la <strong>population</strong>.Evaluer l’impact <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> santé sur la mortalitéLes responsables <strong>de</strong> la santé publique dans les pays africainssouhaiteraient connaître <strong>de</strong> faFon suivie les niveaux <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> la<strong>population</strong>, en particulier à partir d’indicateurs robustes, commepar exemple le niveau <strong>de</strong> la mortalité. Cependant, <strong>de</strong>s indicateurscamme l’espérance <strong>de</strong> vie à la naissance ou le tau.. <strong>de</strong> mortalitéinfantile sont très difficiles à évaluer précisément dans la mesureoù rares sont, en Afrique, les séries temporelles continues.Soucieux <strong>de</strong> comparaisons internationales, les éditeurs d‘annuairesinternationaux n’hésitent certes pas à publier chaque année, pourchaque pays, <strong>de</strong>s chiffres qui sont bien souvent <strong>de</strong>s estimationshasar<strong>de</strong>uses fondées sur <strong>de</strong>s données dispersées <strong>et</strong> peu fiables. Leschiffres estimés à partir d‘informations disponibles au niveau sousrégionalont parfois un sens, mais ils ne répon<strong>de</strong>nt pas au besoind’une politique nationale. La publication annuelle <strong>de</strong> tels taux pourchaque pays africains dans les annuaires internationaux crée l’illusionchez les utilisateurs non avertis <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> fiabilité relatifsaux chiffres présentés. Elle a malheureusement aussi un eff<strong>et</strong>démobilisateur dans les pays sur la collecte <strong>de</strong>s données qui seraientnécessaires à une connaissance sérieuse <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> santénationaux.Plusieurs pays disposent cependant, au niveau national, <strong>de</strong> quel-62


M. BARBIERI ET P. CANTRELLEques points <strong>de</strong> repère dans le temps, fournis par <strong>de</strong>s enquêtes ponctuelles.Ainsi, au Sénégal, une enquête réalisée en 1970 a montréque la Casamance se caractérisait par un niveau <strong>de</strong> mortalité plusélevé que dans les autres régions du pays. Ce résultat a été plustard confirmé par l’Enquête <strong>de</strong> fécondité du Sénégal <strong>de</strong> 1978 <strong>et</strong>par l’Enquête démographique <strong>et</strong> <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> 1986. C<strong>et</strong>te constatationaurait pu entraîner une orientation particulière <strong>de</strong> la politique<strong>de</strong> santé ou, au moins, une recherche <strong>de</strong>s facteurs déterminant c<strong>et</strong>tedifférence. En réalité, elle semble n’avoir eu aucun écho, peut-êtreparce que les relations entre service statistique <strong>et</strong> service <strong>de</strong> santén’en sont encore qu’à leurs débuts. On est encore loin <strong>de</strong> la relationentre connaissance <strong>et</strong> action.Pourtant, la plupart <strong>de</strong>s gouvernements déplorent leur manqued’information dans le domaine <strong>de</strong> la santé. Certains pays (( affirnientqu’ils ne disposent pratiquement d’aucune information sur les conditions<strong>de</strong> mortalité <strong>et</strong> n’ont donc pas encore pu dqinir une politiqueà ce suj<strong>et</strong>. ))Que sait-on aujourd’hui <strong>de</strong> l’impact <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> santé surla <strong>population</strong> en Afrique ?Dans le domaine <strong>de</strong> la mortalité, les progrès réalisés au cours<strong>de</strong>s trois ou quatre <strong>de</strong>rnières décennies ont été considérables. Selonles estimations <strong>de</strong>s Nations unies, l’espérance <strong>de</strong> vie à la naissance(i.e. durée <strong>de</strong> vie moyenne en an<strong>de</strong>s pour tout individu né vivantdurant l’année pour laquelle le calcul a été effectué) est passéed’environ 38 ans en 1950-1955 à 46 ans en 1970-1975, puis à 52 ansen 1985-1990. Les projections moyennes <strong>de</strong>s Nations unies suggèrentcependant que, dans les décennies à venir, la mortalité verrason niveau diminuer dans une moindre mesure, l’espérance <strong>de</strong> vie1 la naissance ne s’élevant encore qu’à 54 ans en 1990-1995, à56 ans en 1995-2000 <strong>et</strong> à seulement 58 ans en 2000-2005. Ces estimationsmasquent les gran<strong>de</strong>s disparités qui caractérisent le continentafricain en matière <strong>de</strong> santé. Ainsi, les Nations unies estimentque quatre pays n’atteindront même pas un niveau d’espérancce <strong>de</strong>vie à la naissance <strong>de</strong> 50 ans en l’an 2000 (Gambie, Guinée, Ethiopie<strong>et</strong> Sierra Leone).Au cours <strong>de</strong>s années soixante, il n’était pas rare <strong>de</strong> trouver, enmilieu rural africain, <strong>de</strong>s taux <strong>de</strong> mortalité dans l’enfance qui dépassaientle niveau <strong>de</strong> la mortalité <strong>de</strong> l’Europe au XVIII~ siècle, Sansnégliger l’environnement particulier <strong>de</strong> la zone intertropicale, c<strong>et</strong>tesituation était la preuve que le système <strong>de</strong> santé fonctionnant alorsn’avait pas <strong>de</strong> prise sur la mortalité. Malgré le déclin enregistrédans la plupart <strong>de</strong>s pays africains, <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong>s disparités <strong>de</strong>meurententre les sous-groupes <strong>de</strong> <strong>population</strong>s dans un même pays. Cesdifférences suggèrent que la disponibilité <strong>de</strong>s soins médicaux n’est63


SANTÉ ET POPULATIONpas le seul facteur important <strong>et</strong> que d’autres, tels que le milieuécologique, l’environnement socio-économique <strong>et</strong> les pratiques culturelles,jouent également un grand <strong>de</strong>.Une forte disparité géographique caractérise également 1’Afriquesubsaharienne en matière <strong>de</strong> mortalité, avec une n<strong>et</strong>te oppositionentre l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest <strong>et</strong> l’Afrique <strong>de</strong> l’Est <strong>et</strong> australe. I1apparaît en général que, plus le niveau <strong>de</strong> mortalité était élevé en1960, moins les progrès ont été importants. Mis à part la Réunion,Maurice l<strong>et</strong> l’Afrique du Sud, l’écart <strong>de</strong>s quotients <strong>de</strong> mortalitéjuvénile était <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l à 3,3 en 1960 <strong>et</strong> <strong>de</strong> l à 5,5 en1978.Les progrès <strong>de</strong> la technologie médicale continuent à imprimerleur marque sur l’évolution <strong>de</strong> la mortalité en Afrique. Après l’éradication<strong>de</strong> la variole, la lutte contre certaines endémies, telles quela trypanosomiase, la fièvre jaune <strong>et</strong> la méningite, a fait reculerle spectre <strong>de</strong> la mort. Il est en général très difficile <strong>de</strong> faire la partentre ce qui revient à l’action sanitaire directe <strong>et</strong> ce qui est dûà une amélioration <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie <strong>et</strong> d’hygiène. L’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>l’action médicale sur la mortalité ne peut être mesuré <strong>de</strong> façon préciseque dans certaines circonstances. C’est le cas pour le développement<strong>de</strong> l’immunisation contre la rougeole. L’eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>s premièrescampagnes a été spectaculaire, interrompant le cours <strong>de</strong> l’épidémiequi sévissait <strong>et</strong> faisant chuter l’inci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la maladie, avecune baisse <strong>de</strong> la proportion <strong>de</strong> consultations pour rougeole dansles dispensaires. De plus, la mortalité a reculé dans une proportionplus large que celle due uniquement à la rougeole, assurantun eff<strong>et</strong> positif sur la survie <strong>de</strong>s enfants.Les politiques <strong>de</strong> santé peuvent avoir un eff<strong>et</strong> indirect sur l’évolution<strong>de</strong> la <strong>population</strong> par leur action sur la fécondité. I1 y a quelquesdécennies, l’hypofécondité prévalait dans certains régions <strong>de</strong>l’Afrique. Elle était liée à une tréponématose (le béjel) dans le Sahel,à d’autres pathologies en Afrique centrale. Grâce aux progrès <strong>de</strong>l’action sanitaire, l’infécondité primaire <strong>et</strong> secondaire a presque partoutreculé.Un autre vol<strong>et</strong>, plus connu, <strong>de</strong> la planification familiale, estcelui <strong>de</strong> la régulation <strong>de</strong>s naissances. Les trois formes les plus fréquentesen sont : la prévention <strong>de</strong>s grossesses chez les adolescentes,l’espacement <strong>de</strong>s naissances <strong>et</strong> la contraception d’arrêt chez lesfemmes à risque. La planification familiale fait partie intégrante <strong>de</strong>ssoins <strong>de</strong> santé primaires. Elle est théoriquement inclue dans les SMI(programmes <strong>de</strong> santé maternelle <strong>et</strong> infantile). En pratique, cependant,c<strong>et</strong> aspect <strong>de</strong>s politiques <strong>de</strong> santé est rarement appliqué.L’e establishment )) médical ne s’est longtemps guère senti concernépar c<strong>et</strong>te question. Quant aux pédiatres en charge <strong>de</strong>s services <strong>de</strong>SMI, ils ont toujours eu tendance à privilégier la santé <strong>de</strong> l’enfantpar rapport à celle <strong>de</strong> sa mère. A c<strong>et</strong> état d’esprit s’est ajouté, dans64


M. BARBIERI ET l’. CANTRELLEnombre <strong>de</strong> pays africains, un tabou <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s autorités gouvernementales<strong>et</strong> <strong>de</strong> ceux qui les représentaient, tabou d’ailleurshérité <strong>de</strong> la tradition coloniale en la matière.Malgré les prises <strong>de</strong> position officielles, les interventions <strong>de</strong> santéont parfois eu un rôle négatif sur la fécondité en décourageant l’allaitementmaternel - par la promotion du biberon dans les maternitéspar exemple. L’allaitement au sein est associé à un r<strong>et</strong>ard dur<strong>et</strong>our à la capacité <strong>de</strong> concevoir, en inhibant la production <strong>de</strong> l’hormoneresponsable <strong>de</strong> la régulation <strong>de</strong>s cycles ovulatoires. En Afrique,la durée moyenne <strong>de</strong> l’allaitement <strong>de</strong>meure cependant très élevée,avec en général une moyenne <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans en milieu rural,<strong>de</strong> dix-huit mois en milieu urbain. Ses eff<strong>et</strong>s positifs sur la survie<strong>de</strong>s enfants <strong>et</strong> la durée <strong>de</strong>s intervalles entre les naissances sont maintenantheureusement reconnus.Au total, les politiques <strong>de</strong> santé ont participé à réduire considérablementles niveaux <strong>de</strong> mortalité extrêmement élevés qui caractérisaientl’Afrique jusqu’à ces <strong>de</strong>rnières décennies, réduction quia contribué à l’cc explosion démographique D du continent.Magali BarbieriCEPEDPierre CantrelleORSTOM65

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!