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Jeux d'argent, jeux de vilains : rien ne va plus ... - Politique Africaine

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JEUX D’ARGENT, JEUX DE VILAINS<strong>Jeux</strong> d‘argent, <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> <strong>vilains</strong> :<strong>rien</strong> <strong>ne</strong> <strong>va</strong> <strong>plus</strong> au ZaïreConfiez-moi vos maigres économies et jefais <strong>de</strong> vous <strong>de</strong>s millionnaires au bout <strong>de</strong>45 jours ouvrables (1).LE Zaïre <strong>de</strong>s années 80-90 se distingue <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nte paru<strong>ne</strong> double déréliction sociale et politique dont les flambées ludiques<strong>de</strong> 1991, suivies <strong>de</strong>s pillages <strong>de</strong> septembre 1991, constituent sonparoxysme. Les pillages <strong>de</strong> septembre 1991, autant que ceux <strong>de</strong> janvier1993, ont fait intervenir un peuple aupara<strong>va</strong>nt mythique (2) et (( mi<strong>ne</strong>ur osur u<strong>ne</strong> scè<strong>ne</strong> du pouvoir désertée par ses acteurs (( légitimes D. Sui<strong>va</strong>nt lemodèle prédateur d’un (I gouver<strong>ne</strong>ment <strong>de</strong> Mobutu, par Mobutu et pourMobutu o (3), le peuple kinois a voulu instaurer, en l’espace <strong>de</strong> <strong>plus</strong>ieurspoussées <strong>de</strong> terreur et d’anarchie, un (( gouver<strong>ne</strong>ment du peuple, par lepeuple et pour le peuple o, <strong>va</strong>riante populaire d’u<strong>ne</strong> démocratie annoncée.Ce règ<strong>ne</strong> du pillage et <strong>de</strong> la violence populaire a été d’autant <strong>plus</strong>possible que les différentes instances du pouvoir politique - la Conférencenationale (4) comprise - ont été incapablles d’assurer la continuité politiquedans le cadre d’u<strong>ne</strong> transition qui, on le sait maintenant, est sanspilotage )) (5). Annoncée par le prési<strong>de</strong>nt lui-même, lors <strong>de</strong> son discours(( historique D du 24 avril 1990, puis manipulée par u<strong>ne</strong> mécanique subtiled’aggiornamento (6) par le haut, la perspective démocratique a, <strong>plus</strong>qu’aucun autre facteur, tra<strong>va</strong>illé au maintien artificiel d’un pouvoir mobutisteaux abois. Face à un Etat zaïrois défunt, à u<strong>ne</strong> opposition diviséeet à u<strong>ne</strong> opinion internationale indécise, Mobutu, dont la présence aujourd’huisur la scè<strong>ne</strong> politique zaïroise <strong>ne</strong> dépend <strong>plus</strong> <strong>de</strong> l’ordre mais duchaos, apparaît comme l’acteur incontournable d‘un drame qui approche<strong>de</strong> son dénouement.Si cette désintégration <strong>de</strong> 1’État permet au peuple <strong>de</strong> vivre d’un climat<strong>de</strong> pillage perma<strong>ne</strong>nt, la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> l’appareil économique a légitiméla débrouille, la corruption, l’attente <strong>de</strong> Ua chance et la soif du gain facile.C’est dans ce <strong>de</strong>rnier contexte qu’il faut situer la folie <strong>de</strong>s <strong>jeux</strong> qui a envoûtéla population lunoise en 1990-1991. Les <strong>jeux</strong> d’argent et <strong>de</strong> hasardconstituent <strong>de</strong>s épiphénomè<strong>ne</strong>s <strong>de</strong> l’insécurité économique et sont en voguedans la plupart <strong>de</strong>s villes du mon<strong>de</strong> (7). Au Zaïre, au sein d’u<strong>ne</strong> po-96


CH. DIDIER GONDOLApulation (( qui n’a <strong>rien</strong> à perdre D, les <strong>jeux</strong> d’argent ont très rapi<strong>de</strong>menttrouvé pre<strong>ne</strong>urs et rempli le vi<strong>de</strong> créé par u<strong>ne</strong> économie introu<strong>va</strong>ble.Compté parmi les nations africai<strong>ne</strong>s les <strong>plus</strong> riches, lors <strong>de</strong> son accessionà l’indépendance, en juin 1960, le Zaïre est <strong>de</strong>venu, en l’espace d’u<strong>ne</strong>trentai<strong>ne</strong> d’années, l’un <strong>de</strong>s pays les <strong>plus</strong> pauvres d’Afrique. Son revenupar habitant, 170 dollars en 1988 (8), est comparable à celui <strong>de</strong> payscomme le Tchad (160 dollars), pourtant ra<strong>va</strong>gé par u<strong>ne</strong> longue guerrecivile, ou 1’Ethiopie (130 dollars}, dont les crises <strong>de</strong> fami<strong>ne</strong> font régulièrementla u<strong>ne</strong> <strong>de</strong>s médias. Le taux annuel d’inflation est passé au Zaïre<strong>de</strong> 3 %, en 1970, à 265 %, en 1990, tandis que l’indice <strong>de</strong>s prix à laconsommation augmentait <strong>de</strong> 4 687 % entre 1972 et 1991 (9). En 1986,suite à l’effondrement <strong>de</strong> la production agricole, minière et métallurgique,la balance commerciale est <strong>de</strong>venue déficitaire pour la première fois(-17 milliards, en 1986, et près <strong>de</strong> -115 milliards <strong>de</strong> zaïres en 1988 (10)).Tout semble pourtant s’être précipité en 1990- 1991. A la fin du premiertrimestre 1991, le déficit budgétaire atteignait <strong>plus</strong> <strong>de</strong> 2 360 milliards <strong>de</strong>zaïres, soit <strong>plus</strong> <strong>de</strong> 20 fois ce que prévoyait le gouver<strong>ne</strong>ment pour toutel’année, tandis que le taux d’inflation, 93 %, dépassait les 60 % <strong>de</strong> prévisionannuelle et que le taux <strong>de</strong> dépréciation du zaïre-monnaie s’éle<strong>va</strong>it déjà à45 % (92 % étant prévus pour l’année). Au niveau <strong>de</strong> la vie quotidien<strong>ne</strong> <strong>de</strong>la population, cette économie en chute libre s’est traduite par la recru<strong>de</strong>scence<strong>de</strong> la (( mort alimentaire n, la grog<strong>ne</strong> <strong>de</strong>s étudiants et les expéditionspunitives orchestrées par le pouvoir. En mai 1990, quelques semai<strong>ne</strong>s aprèsle discours prési<strong>de</strong>ntiel abolissant la <strong>de</strong>uxième république, <strong>plus</strong>ieurs centai<strong>ne</strong>sd’étudiants étaient massacrés par les forces <strong>de</strong> sécurité à l’université <strong>de</strong>Lubumbashi. Un engrenage d’indiscipli<strong>ne</strong>, du côté <strong>de</strong> la population, et <strong>de</strong>répression aveugle, du côté du pouvoir, le tout sur u<strong>ne</strong> toile <strong>de</strong> fond <strong>de</strong>misère quotidien<strong>ne</strong>, <strong>de</strong><strong>va</strong>it paver la voie au règ<strong>ne</strong> <strong>de</strong> l’argent facile.La crise, quelle aubai<strong>ne</strong> !L‘enchaî<strong>ne</strong>ment <strong>de</strong>qévé<strong>ne</strong>ments au cours <strong>de</strong> l’année 1991 montre quela décomposition <strong>de</strong> 1’Etat et la banalisation <strong>de</strong> la ((mort alimentaire))(1) M. Bindo sur les anten<strong>ne</strong>s <strong>de</strong>l’Office zaïrois <strong>de</strong> radio et télévision(OZRT), mars 1991.(2) Lire les remarques <strong>de</strong> J.-C. Willame,B Gouvemance et politique. Essai surtrois trajectoires africai<strong>ne</strong>s : Madagascar,Somalie, Zaïre I), Les Cahiers afncaim(Bruxelles), no 7-8, avril 1994, p. 129.(3) La formule est <strong>de</strong> S. Kelly, America’sTyrant : The CLA and Mobutu of Zaire,Washington D.C., University of AmericaPress, 1993, p. 193.(4) Ouverte, après maints atermoiements,le 7 août 1991.(5) J.-C. Willame, L’autom<strong>ne</strong> d’un<strong>de</strong>spotisme. Pouvoir, argent et obéissance dansle Zaïre <strong>de</strong>s années quatre-vingt, Pans, Karthala,1992, p. 128.(6) I<strong>de</strong>m, p. 197.(7) En Europe, comme en Amérique,c’est le contexte récessionniste <strong>de</strong>s années30 qui a favorisé la propagation <strong>de</strong>s casinos,loteries, tomboias et autres <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> hasard; voir, pour les Etats-Unis, J.-C. Bumham,Bad Habits : Drinking, Smoking,Taking Drugs, Gawiblikg, Sexual Misbelaavior,and Swearing itz American Histoiy,New York, New York University Press,1993, p. 161.(8) Rapport,<strong>de</strong> la Banque mondiale,cité dans A<strong>ne</strong>za, Evolurioii <strong>de</strong> la situation socio-économiquedu Zaiiv <strong>de</strong> 1960 à 1990.Connibzition <strong>de</strong> I’A<strong>ne</strong>za à la Conférence nationalesouverai<strong>ne</strong>, Kinshasa, août 199 1,p. 9.(9) I<strong>de</strong>m, p. 90.(10) I<strong>de</strong>m, p. 150.97


JEUX D’ARGENT, JEUN DE VILAINSrestent au Zaïre <strong>de</strong>s processus qui marchent à pas sûrs et inéluctables versleur paroxysme. Face à l’hyperinflation et à la fièvre sociale et politiqueoccasionnée par les préparatifs <strong>de</strong> la codérence nationale souverai<strong>ne</strong>, les<strong>jeux</strong> d‘argent se sont posés comme un outil d’apaisement social et <strong>de</strong>distraction populaire, u<strong>ne</strong> sorte <strong>de</strong> cirque romain. Mis à part quelquesindividus isolés, que les (I promotions R ont bel et bien enrichis, pour lamajorité <strong>de</strong>s IGnois il <strong>ne</strong> s’est agi que d’un divertissement face à la faimquotidien<strong>ne</strong>, divertissement pour lequel beaucoup ont payé le prix fort.A<strong>va</strong>nt d’établir la part <strong>de</strong> la manipulation politique et dénoncer lesresponsables (1 l), il importe d’abord <strong>de</strong> définir la nature <strong>de</strong>s <strong>jeux</strong> d’argentqui ont essaimé à IGnshasa d’octobre 1990 à mai 1991 et d’insister sur lefait qu’il <strong>ne</strong> s’agissait pas <strong>de</strong> formules nouvelles ou originales mais bien <strong>de</strong>combi<strong>ne</strong>s ancien<strong>ne</strong>s expérimentées ailleurs et qui ont pris facilement dèsleur introduction dans yn milieu social et économique sinistré (12). Lesystème, connu aux Etats-Unis sous la dénomination <strong>de</strong> aPonziGame (13) o, trouve périodiquement <strong>de</strong>s foules crédules dans la plupart<strong>de</strong>s in<strong>ne</strong>r cities américai<strong>ne</strong>s où il a pour vecteur principal la drogue, ellemêmealliée à la délinquance et au crime. En France, le même système<strong>de</strong> la (I pyrami<strong>de</strong> inversée o (peu <strong>de</strong> person<strong>ne</strong>s au départ et u<strong>ne</strong> multitu<strong>de</strong>à l’arrivée), appellé parfois (1 l’avion o, parce que le promoteur est appelléà s’envoler pour laisser la place <strong>de</strong> pilote à un autre, se pratique à maconnaissance au sein <strong>de</strong> petites communautés d’immigrés <strong>de</strong> l’Afriquenoire et du Maghreb.Depuis le début <strong>de</strong>s années 50, les tonti<strong>ne</strong>s, qu’on a coutume <strong>de</strong> désig<strong>ne</strong>rsous le terme générique <strong>de</strong> likelemba, sont au Zaïre <strong>de</strong>s groupements<strong>de</strong> thésaurisation qui ri<strong>va</strong>lisent <strong>de</strong> sérieux avec les banques officielles. Enproposant un système <strong>de</strong> renonciation financière à court terme (4, 7 et45 jours) calqué sur le sysdme <strong>de</strong>s tonti<strong>ne</strong>s, les promoteurs <strong>de</strong>s <strong>jeux</strong> d’argenttablaient tout d’abord sur la passion populaire à l’égard <strong>de</strong>s systèmesfinanciers parallèles (14). Ils comptaient ensuite faire main basse, par souscripteursinterposés, sur les produits financiers <strong>de</strong>s banques nationalesdont les taux, même dans le climat inflationniste zaïrois, <strong>ne</strong> dépissaientguère les 50 % annuels.Les (( promotions )) se sont également inscrites dans un climat où les<strong>jeux</strong> d’argent et <strong>de</strong> hasard connaissent u<strong>ne</strong> popularité sans précé<strong>de</strong>nt dansles centres urbains zaïrois. Du bingo à la loterie (15), en passant par le(11) C’est en gran<strong>de</strong> partie l’objectifpoursuivi par B. Jewsiewicki, (I <strong>Jeux</strong> d’argentet <strong>de</strong> pouvoir au Zaïre : La “bindomanie”et le crépuscule <strong>de</strong> la DeuxièmeRépublique v, <strong>Politique</strong> aficaixe, no 46, juin1993. Je reprends la question <strong>de</strong>s responsabilitéspolitiques dans la conclusion <strong>de</strong>cet article.(12) Voir ce que R.Hancoclr (withHenry Chavetz) écrit sur le (I swindle D, inThe Compleat Szuindler, New York, Macmillan,1968, p. 2.(13) Cette arnaque, qui a pris le nom<strong>de</strong> son inventeur, fait partie <strong>de</strong> ce qu’onappelle communément Pyramid scheme ;R. Hendrickson, R$offsY New York, TheViking Press, 1976, pp. 263-264. Pour lestribulations <strong>de</strong> Charles Ponzi, voir Hendrickson,p. 257 et J.-R. Nash, Bloodlettersand Badmen : A Narrative Encyclopedia ofAi<strong>ne</strong>nkaii Criminals from the pilgrinzs to thePresent, New York, M. E<strong>va</strong>ns, 1995[1973], pp. 511-514.(14) Entre 1975 et 1990, les dépôtsà terme en zaïres dans les établissementsofficiels <strong>de</strong> dépôts et d’éparme sont passés<strong>de</strong> 14,5 à 6,4 % <strong>de</strong> la masse monétaire ;A<strong>ne</strong>za, op, cit., p. 94.(15) U<strong>ne</strong> ordonnance prési<strong>de</strong>ntielleest B l’origi<strong>ne</strong> <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> la Sozal (Sociétézaïroise <strong>de</strong> loterie), dotée, dès sa naissance,du monopole sur les <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> hasar<strong>de</strong>t les concours <strong>de</strong> pronostic; voir G. <strong>de</strong>Villers, (I Zaïre 1990-1991 : Faits et dits <strong>de</strong>98


CH. DIDIER GONDOLAPMU (16), les <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> hasard progressent au Zaïre, comme ils se sontpopularisés ailleurs, à la vitesse d’un incendie <strong>de</strong> forêt et dans un contexte<strong>de</strong> crise profon<strong>de</strong> oÙ la population fon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s moyens irration<strong>ne</strong>ls u<strong>ne</strong>nrichissement qui <strong>va</strong> du gain modique au gros lot. Des gag<strong>ne</strong>-<strong>de</strong>niers setransforment en joueurs invétérés et intègrent dans un budget étriqué larubrique (I <strong>jeux</strong> D. L’absurdité d’un jeu comme le Pari mutuel urbain n’ad’égale que sa propagation rapi<strong>de</strong>. I1 se pratique <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s années90 dans <strong>de</strong>s petits kiosques installés un peu partout dans la capitale. Lesparieurs, après avoir étudié les pronostics dans les journaux turfistes locam,misent sur <strong>de</strong>s courses qui se courent à <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> kilomètres,sur les pistes hippiques <strong>de</strong> Longchamp ou <strong>de</strong> Saint-Cloud.L’originalité <strong>de</strong>s (( promotions i) tient donc à l’engouement sans limitequ’elles ont suscité parmi u<strong>ne</strong> masse <strong>de</strong> souscripteurs qui a avoisiné lemillion. La <strong>va</strong>gue a ratissé tellement large que <strong>de</strong> l’intérieur sont arrivés<strong>de</strong>s commerçants, <strong>de</strong>s femmes d’affaires, <strong>de</strong>s liquidateurs <strong>de</strong> biens familiaux,chargés <strong>de</strong> malles <strong>de</strong> billets aussitôt engloutis dans les <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> placementd’argent. La masse monétaire siphonnée - <strong>plus</strong> que toutes les banquesdu pays <strong>ne</strong> pou<strong>va</strong>ient en disposer à la même pério<strong>de</strong> - et lescon<strong>ne</strong>xions politiques, dont les complexités sont A mon avis impossiblesà démêler toutes, indiquent également la démesure atteinte par ce que lesobser<strong>va</strong>teurs ont appellé à juste titre (( bindomania )) ou (( bindofolie o, dunom du (( pionnier <strong>de</strong> ces <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> (( promotion D, Michel Bindo Bolembe.Après Dieu c’est Bindo !Lorsque Bindo commence ses activités en octobre 1990, il passe relativementinaperçu. I1 n’y a guère que son voisinage du quartier Vingt-Mai <strong>de</strong> Kinshasa qui s’intéresse, et encore <strong>de</strong> bien loin, aux activités <strong>de</strong>placement d’argent qu’il a lancées. Le seul talent que tous unanimementreconnaissent à ce jeu<strong>ne</strong> homme d’à pei<strong>ne</strong> trente ans est celui <strong>de</strong> la persuasion.I1 aurait effectué <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s en publicité a<strong>va</strong>nt <strong>de</strong> se faire engagerpar la télévision nationale pour <strong>de</strong>ux (( actions en marketing u : S-Ca<strong>de</strong>-Anétiolion-Fav’ Play )) et (( Football-Stars-Médaille d’or o (1 7) très vite interrompuespour malversation.Après s’être fait oublier quelques mois, M. Bindo crée donc, en octobre1990, l’agence en sponsoring Bindo-Promotion s.p.r.1. L’objectif,confie-t-il a posmiori, est <strong>de</strong> (( lutter contre la criminalité, le cambriolageet la tension sociale D (1 8). I1 est vrai que cette rhétorique d’intérêt public,voire <strong>de</strong> philanthropie (1 9), semble avoir constitué un paravent <strong>de</strong>rrièrelequel les responsables <strong>de</strong>s (( promotions se sont abrités pour entreprendre<strong>de</strong>s opérations d’escroquerie pure. I1 fallait cette rhétorique pourla société d’après le regard <strong>de</strong> la presse i), (19) Le dimanche 12 mai, <strong>de</strong><strong>va</strong>nt lesLes cahiers du Ceda5 no 1-2, 1992, p.,97. caméras <strong>de</strong> la télévision, il se pose en vic-(16) Le Pan mutuel urbain a ete créé time, expliquant qu’il a entrepris ses actiparla Sozal en 1989. vités (( originales D pour (I rendre service I) ;(17) Forum <strong>de</strong>s As, 20 mai 1991, (I mon souci, déclare-t-il à cette occasion,p. 11. c’est le bonheur du peuple zaïrois I).(18) Interview au Soft <strong>de</strong> filzance, 28février 1991, p. 13, cité dans B. Jewsiewicki,an. cit., p. 57.99


JEUX D’ARGENT, JEUX DE VILAINScon<strong>va</strong>incre, non pas seulement la populace méfiante, mais aussi les médias(20). Et en cela (( Bindo et consorts )) ont excellé. Les journalistes, prisau jeu, élèvent aussitôt Bindo aux nues (21).Très rapi<strong>de</strong>ment, lorsque radio-trottoir puis les médias officiels consacrentla légitimité <strong>de</strong> cet entrepre<strong>ne</strong>ur provi<strong>de</strong>ntiel, un vocabulaire religieuxtrès fourni nait à son propos : (( le nouveau messie )) (22), (( Bindo leMoïse o (23), (( l’enfant chéri <strong>de</strong>s IGnois ), (( le redresseur <strong>de</strong>s consciences u,(( le mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> la misère o, (( l’instaurateur <strong>de</strong> la paix sociale r) (24), (( lebienfaiteur national D, (( le sauveur <strong>de</strong>s Zaïrois )) (25), etc. Après Dieu, tousles IGnois <strong>ne</strong> jurent <strong>plus</strong> que par le nom <strong>de</strong> Bindo. Quand le pot aux rosesest enfin découvert, c’est toujours à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce repertoire religieux queBindo est vilipendé. I1 est alors présenté comme l’antéchrist, l’en<strong>ne</strong>mi <strong>de</strong>Dieu. Dans un article intitulé (( Un piège diabolique tendu au peuple souverain)), Dieudonné Lunama tire à boulets rouges :Bindo-Promotion n’est que la pointe <strong>de</strong> l’iceberg d’un système inis enplace par le pouvoir pour faire croire au peuple zaïrois que ce <strong>de</strong>rnier aenfin trouvé la fomziile qui pemettra désormais, aux <strong>de</strong>scendants d’Adamcréés 6 l’image <strong>de</strong> Jého<strong>va</strong>h, <strong>de</strong> pie <strong>plus</strong> jamais vivre selon sa prescription :(( Tu gag<strong>ne</strong>ras ton pain à la sueur <strong>de</strong> ton fiont )) &e Phare, 17 niai 1991,P. 7).I1 est vrai qu’à l’égard d’u<strong>ne</strong> caste qui persiste au pouvoir à coups <strong>de</strong>pratiques jugées sataniques (26), la société kinoise <strong>ne</strong> conçoit <strong>plus</strong> la viepolitique que dans u<strong>ne</strong> dialectique manichéen<strong>ne</strong>. S’il est entendu que Mobutuincar<strong>ne</strong> (( le mal zaïrois n, il n’y a qu’un (( Moïse )) capable <strong>de</strong> lui fairecontrepoids. C’est <strong>de</strong> cette aura qu’a été revêtu Etien<strong>ne</strong> Tshisekedi dèsque les évé<strong>ne</strong>ments l’ont présenté comme l’opposant par excellence à Mo+butu. C’est dans ce même contexte qu’on assiste, dans toutes les couchessociales <strong>de</strong> la société zaïroise, au foison<strong>ne</strong>ment <strong>de</strong> (( groupes <strong>de</strong> prières D<strong>de</strong> confessions diverses ; car c’est par la prière que le peuple est persuadé<strong>de</strong> se débarrasser d’un tyran dont le commerce scandaleux avec les gran<strong>de</strong>s(20) La complicité <strong>de</strong>s médias constitue,selon J.-R. Nash, l’un <strong>de</strong>s ingrédientsdu succès <strong>de</strong> Poni : (I To put across hisfantastic scheme, Poni banked on the a<strong>va</strong>ricious<strong>ne</strong>ssof investors, the gullibility of thepress, and the naiveté of Americans who believedall things possible in the free-enterpnsesystem ), op. cit., p. 51 1.(21) Voir ici les titres <strong>de</strong>s journaux Lefontm <strong>de</strong>s As, Le Phare, Elinia et Unioja <strong>de</strong>cette pério<strong>de</strong>. Quelques exemples : Le foniin<strong>de</strong>s As titre à la u<strong>ne</strong> <strong>de</strong> son no 8 du 27mars 1991 : (1 Un homme fait courir toutKinshasa <strong>de</strong> l’un<strong>de</strong>rground à la dolce vita o[sic]. Au moment où Bindo-Promotion bat<strong>de</strong> l’aile et connaît <strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong> paiement,on lit encore dans Le Phare : (( QueBindo Promotion constitue à ce jour u<strong>ne</strong>bouée <strong>de</strong> sauvetage pour <strong>de</strong> nombreusesfamilles, nul doute là-<strong>de</strong>ssus. Qu’il ai<strong>de</strong> parailleurs à soulager bien <strong>de</strong>s miskres, c’estincontestables (19 avril 1991, p. 8).(22) Le Phare, 17 mai 1991, p. 7. Enrevendiquant haut et fort sa (I christianité ))et son appartenance à la Voix <strong>de</strong> 1’E<strong>va</strong>ngileo (traduction française du mouvementaméricain (I The Way r))’ Bindo <strong>ne</strong> pou<strong>va</strong>itque con<strong>va</strong>incre le lumpen-prolétariat lunoissur ses intentions philanthropiques.(23) Ce surmon lui a<strong>va</strong>it été décernépar les journalistes <strong>de</strong> I’OZRT.(24) Kapin, 4 juin 1991, p. 7.(25) Le Soft <strong>de</strong>finance, 30 mai 1991,p. 24.(26) Lire cila lettre ouverte <strong>de</strong> SakombiInongo au prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la RépubliqueI), La Conscieme, 23 décembre 1991,citée dans G. <strong>de</strong> Villers, op. cit., p. 219;voir également l’ouvrage d’E. Dungia, Mobutuet l’argent dit Zaïre : les révélations d’undiplonlate, ex-agent <strong>de</strong>s services secrets, Earis,L’Harmattan, 1992.1 O0


CH. DIDIER GONDOLAéglises tradition<strong>ne</strong>lles n’est <strong>plus</strong> à cacher. Et pourtant, ni ange ni démon,Bindo <strong>de</strong>meure le fruit <strong>de</strong> la société zaïroise qui, du sommet à la base, faitreposer la réussite sociale sur le système <strong>de</strong> la débrouille, un système souventaux frontières <strong>de</strong> l’illicite et <strong>de</strong> l’immoralité (27). Elevé à cette école,Bindo s’est révélé d’un appétit féroce qui l’a finalement conduit à pnvilégierl’arnaque pure au dépens <strong>de</strong> la débrouille constructive.La combi<strong>ne</strong> a été bien décrite par Yenga Ndula et Molioko Liseko (28)dans les colon<strong>ne</strong>s financières du Soft. Contrairement aux <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> loterie,le jeu <strong>de</strong> la pyrami<strong>de</strong> inversée repose exclusivement sur la crédulité <strong>de</strong>ssouscripteurs puisqu’il n’est en <strong>rien</strong> fondé sur le hasard mais sur u<strong>ne</strong> assuranceque l’avoir cédé sera remboursé à terme avec un taux d’intérêtexpo<strong>ne</strong>ntiel. Bindo-Promotion proposait <strong>de</strong>s taux d’intérêt <strong>de</strong> 800 % appliquésau terme <strong>de</strong> 45 jours, ce qui, en terme annuel, signifie 8 O00 % <strong>de</strong>taux d’intérêt !Quatre formules étaient initialement prévues. Ca<strong>de</strong>au suiprise et Superbewzaison, qui donnaient droit respectivement à un (( ca<strong>de</strong>au surprise ))et à u<strong>ne</strong> maison contre u<strong>ne</strong> renonciation à ses avoirs selon <strong>de</strong>s termes nonspécifiés, <strong>ne</strong> semblent avoir jamais fonctionné. Super marché et Superfiche,qui ont été les seules formules opération<strong>ne</strong>lles au cours <strong>de</strong>s huit mois <strong>de</strong>sactivités <strong>de</strong> la (( promotion )), fonctionnaient <strong>de</strong> la manière sui<strong>va</strong>nte : contreun dépôt unitaire <strong>de</strong> 40 O00 zaïres le joueur rece<strong>va</strong>it au choix, et au terme<strong>de</strong>s 45 jours, 200 O00 zaïres ou un appareil bas <strong>de</strong> gamme (réfrigérateur,congélateur, radio, et téléviseur surtout). Le dépôt <strong>de</strong> 280 O00 zaïres donnaitdroit à 2 500 O00 zaïres ou un appareil haut <strong>de</strong> gamme (29).Le,système ainsi conçu reposait da<strong>va</strong>ntage sur un effet boule <strong>de</strong> <strong>ne</strong>igeque sur un fonds massif <strong>de</strong> départ, contrairement à ce que beaucoup d’obser<strong>va</strong>teursont soutenu. Le capital <strong>de</strong> départ résidait dans la confianced’un petit groupe <strong>de</strong> joueurs auquel se joignit u<strong>ne</strong> foule <strong>de</strong> <strong>plus</strong> en <strong>plus</strong>importante grâce au bouche-à-oreille. Dès que commencent les remboursements,à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sommes placées par les joueurs, il faut compter quel’effet <strong>de</strong> bouche-à-oreille joue à plein. Non seulement <strong>de</strong>s nouveauxclients arrivent, ameutés par les joueurs qui vien<strong>ne</strong>nt <strong>de</strong> toucher leur mise(27) Voir J. Mac Gaffey, (I “On se débrouille’’: réflexions sur la <strong>de</strong>uxième économieau Zaïres, in J. Tshonda Omasombo(éd), Le Zaïre à l’épreuve <strong>de</strong> l’histoireimnzédiate, Paris, Karthala, 1993 ; pour lesimplications Lpolitiques du a débrouillez-vouspour vivre I), lire, du même auteur,(I Civil Society in Zaire : Hid<strong>de</strong>n Resistanceand the Use of Personal Ties in ClassStruggle D, in J.-W. Harbeson ¿? alii, CivilSociety and the State in Afnca, Boul<strong>de</strong>r,Lyn<strong>ne</strong> Ken<strong>ne</strong>r Publishers, 1994, p. 182.(28) (i Le règ<strong>ne</strong> <strong>de</strong> l’immoralité o, LeSoft <strong>de</strong>finance, 18 mai 1991, p. 8.(29) Au début du mois d’avril, la fiche<strong>de</strong> 120 O00 zaïres (remboursable àhauteur du million) remplaça celle <strong>de</strong>40 O00 zaïres. Le 12 mai, lors d’u<strong>ne</strong> interviewdifisCe par I’OZRT, l’annonce d’u<strong>ne</strong>nouvelle formule - u<strong>ne</strong> voiture <strong>ne</strong>uve cléen main en moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mois contre ledépôt <strong>de</strong> 300 O00 zaïres, àpei<strong>ne</strong> 60 dollarsà l’époque ! - déclencha la panique et lacolère <strong>de</strong>s souscripteurs qui s’attendaient àl’annonce <strong>de</strong> la date <strong>de</strong> paiement <strong>de</strong>s misesbloquées. Plus tard, sortant du Parquet <strong>de</strong>Kinshasa oÙ il a été mis en <strong>de</strong>meure <strong>de</strong>rembourser ses victimes, Bindo lanceQ l’opération <strong>de</strong> la Ca<strong>de</strong>za i) (Caisse d’éparg<strong>ne</strong>du Zaïre) qu’il entoure, comme il saitle faire, d‘un véritable flou artistique. I1 auraitpromis d’ouvrir un compte d’éparg<strong>ne</strong>àtous les souscripteurs contre remise <strong>de</strong> laphotocopie <strong>de</strong> leur reçu ; ce qui fera dire iun jeu<strong>ne</strong> révolté : Q Comme si cela <strong>ne</strong> suffisaitpas, Bindo nous escroque encore ennous <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> photocopier nos reçusI) (Le So$ <strong>de</strong> finance, 30 mai 1991,p. 24).101


JEUX D’ARGENT, JEUX DE WLAINSgrossie <strong>de</strong> 800 % d’intérêt simple, mais ces <strong>de</strong>rniers remettent en jeu lessommes qu’ils vien<strong>ne</strong>nt à pei<strong>ne</strong> <strong>de</strong> toucher.Au sein d’u<strong>ne</strong> population kinoise où les citadins mal informés ontréellement cru à u<strong>ne</strong> opération <strong>de</strong> bienfaisance, et dans un cadre où lesinstitutions tradition<strong>ne</strong>lles d’éparg<strong>ne</strong> et d’investissements ont perdu laconfiance <strong>de</strong>s clients potentiels, Bindo-Promotion <strong>ne</strong> pou<strong>va</strong>it susciterqu’un raz <strong>de</strong> marée. Cette réussite qui surprit Bindo lui-même est la causeprincipale <strong>de</strong> l’arrêt prématuré <strong>de</strong>s paiements. Un maillage serré <strong>de</strong>s agencesBindo s’étendit rapi<strong>de</strong>ment dans tous les coins <strong>de</strong> la capitale, <strong>de</strong>s servicespublics aux camps militaires, en passant par les points chauds commela place <strong>de</strong> la Victoire ou le grand marché. On mit à la tête <strong>de</strong>s agences<strong>de</strong>s receveurs qui, <strong>de</strong><strong>va</strong>nt la masse incroyable <strong>de</strong>s recettes recueillies, s’enmirent plein les poches, opérèrent <strong>de</strong>s remboursements prématurés contre<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> table et falsifièrent les reçus. Bindo, lui-même courtisé par lesbarons du régime, fit éclater son plafond en acceptant <strong>de</strong>s sommes colossalesque les souscripteurs venaient récupérer, accompagnés <strong>de</strong> (( leurs Hmilitaires, u<strong>ne</strong> semai<strong>ne</strong> après le dépôt au lieu <strong>de</strong>s 45 jours prévus. Bindos’exécutait.Au début du mois <strong>de</strong> mai, toutes les agences Bindo ferment, sauf sonquartier général <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> la Victoire qui sera saccagé au milieu dumois par la foule déchaînée. Bindo profite alors d’u<strong>ne</strong> ultime apparitionà I’OZRT, le dimanche 19 mai, pour rassurer avec sa morgue habituelle :(( Bindo-Promouon <strong>ne</strong> veut pas arrêter les opérations, il <strong>ne</strong> peut pas arrêteret n’arrêtera jamais R. L‘interview a lieu dans ses bureaux où les journalistes,au premier rang <strong>de</strong>s souscripteurs, sont allés chercher l’informationsur la reprise <strong>de</strong>s remboursements. Recherché par les militaires, qui parlent<strong>de</strong> l’abattre, les étudiants, les journalistes et la justice, Bind01 <strong>de</strong>meureintrou<strong>va</strong>ble à la fin du mois <strong>de</strong> mai.Le samedi 2 juin 1991, le parquet <strong>de</strong> Kinshasa l’interpelle enfin etl’interroge sur ses intentions quant au paiement <strong>de</strong>s sommes escomptéespar les souscripteurs. Bindo annonce le remboursement <strong>de</strong>s mises seules,le 101 juin pour les militaires <strong>de</strong> la FAZ, le 11 pour les fonctionnaires etle 12 pour tous les autres souscripteurs. I1 <strong>ne</strong> s’agit que <strong>de</strong>s mises introduitesau cours <strong>de</strong>s mois <strong>de</strong> février et mars. Celles d’avril et <strong>de</strong> mai seraientrestituées ultérieurement. La promesse reste lettre morte ; seuls les grandssouscripteurs, commissaires <strong>de</strong> zo<strong>ne</strong>, généraux et directeurs en tête, tirentles marrons du feu. Le 6 juin 1991, Bindo est arrêté et écroué 1 la maisond’arrêt <strong>de</strong> Makala.Le goufie du Panier <strong>de</strong> la ménagère ))Lorsque la nouvelle opération (( Panier <strong>de</strong> la ménagère )) est lancée, le3 1 mars 199 1 , Bindo-Promotion opère déjà <strong>de</strong>puis six mois et vient d’enregistrerson mois le <strong>plus</strong> juteux, marqué par u<strong>ne</strong> a<strong>va</strong>lanche <strong>de</strong> souscriptionset quasiment pas <strong>de</strong> remboursements. Pourquoi avoir attendu sixmois pour lancer u<strong>ne</strong> opération concurrente ? Parce que, jusqu’à la mi-.fkvrier, date à laquelle a lieu u<strong>ne</strong> série importante <strong>de</strong> remboursements chezBindo-Promotion, peu <strong>de</strong> gens compren<strong>ne</strong>nt encore comment fonction<strong>ne</strong>le système et beaucoup pensent même que Bindo a recours à <strong>de</strong>s pratiques102


CH. DIDIER GONDOLAmagiques pour multiplier l’argent (30). I1 a fallu que les médias audiovisuelslui offrent u<strong>ne</strong> tribu<strong>ne</strong> libre oh, jouant l’expert en économie, Bindoexplique les mécanismes <strong>de</strong> sa maison pour que d’autres entrepre<strong>ne</strong>ursentrent dans le bal.Masamuna Ialema, promoteur du (( Panier <strong>de</strong> la ménagère o, semblelui aussi avoir bénéficié <strong>de</strong> la complaisance <strong>de</strong> journalistes qui ont tout faitsauf leur métier (31). Umoja et Le Phare lui consacrent <strong>de</strong>s plei<strong>ne</strong>s pagesd’in$onzercial. Elima, qui l’appelle (( un fils authentique du Zaïre o, aprèsavoir fourni u<strong>ne</strong> brève hagiographie du promoteur, explique dans u<strong>ne</strong> langue<strong>de</strong> bois les moti<strong>va</strong>tions qui ont poussé l’affairiste à créer le (( Panier<strong>de</strong> la ménagère o :De<strong>va</strong>nt l’awzpleur <strong>de</strong> la crise économique qui ronge le pays et quifrappe <strong>de</strong> plein fouet les éconoiniquei<strong>ne</strong>iat faibles, M. Kilenza Masaniuna,fort <strong>de</strong> son expé<strong>rien</strong>ce dans les affaires, déci<strong>de</strong> alors <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong> à ces<strong>de</strong>rniers en ayant recours seulement Ci la métho<strong>de</strong> tradition<strong>ne</strong>lle d’entrai<strong>de</strong>appliquée dans u<strong>ne</strong> gestion iiio<strong>de</strong>r<strong>ne</strong> <strong>de</strong> marketing et <strong>de</strong> semrice (Elima,13-14 avril 1991, p. 6).Grâce à la bénédiction <strong>de</strong>s autorités municipales et avec la complicité<strong>de</strong> la presse, Masamuna réussit à ouvrir <strong>de</strong>s anten<strong>ne</strong>s dans les 24 zo<strong>ne</strong>s<strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> IGnshasa. La seule zo<strong>ne</strong> <strong>de</strong> Matete, oh se trouve le siègeadministratif, compte cinq anten<strong>ne</strong>s. Dans la zo<strong>ne</strong> <strong>de</strong> Ngaliema, Masamunaouvre <strong>de</strong>ux anten<strong>ne</strong>s au SNIP (les redoutables (( sévices o spéciaux)et chez les BSRS (les briga<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sécurité). Le 19 avril, pour remercier lapresse <strong>de</strong> sa collaboration, il inaugure u<strong>ne</strong> anten<strong>ne</strong> au siège <strong>de</strong> l’Union <strong>de</strong>la presse zaïroise, dans la zo<strong>ne</strong> <strong>de</strong> Gombe. Quelques jours <strong>plus</strong> tard, cesera au tour <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> IGnshasa - pourtant fermée<strong>de</strong>puis le 1“ avril suite à l’agression <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux professeurs par <strong>de</strong>s étudiantsmécontents - <strong>de</strong> recevoir comme u<strong>ne</strong> bénédiction l’ouverture d’u<strong>ne</strong> anten<strong>ne</strong>.La participation au (1 Panier <strong>de</strong> la ménagère o était subordonnée à undroit d’entrée modique <strong>de</strong> 1 O00 zaïres. Les membres pou<strong>va</strong>ient alors déposerentre 30 O00 et 3 millions <strong>de</strong> zaïres pour bénéficier du double auterme <strong>de</strong> sept jours. Lorsque le dimanche 6 avril, les premiers souscripteurstouchent leurs mises doublkes, la foule se bouscule aux portes <strong>de</strong>(30) D’oÙ u<strong>ne</strong> sorte <strong>de</strong> mythologie <strong>de</strong>la malédiction qui s’est construite, dès lespremières <strong>va</strong>gues <strong>de</strong> remboursement, autour<strong>de</strong>s ((millions <strong>de</strong> Bindo f). Quelquesgagnants ont cm déceler sur certains billets<strong>de</strong>s sig<strong>ne</strong>s cabalistiques, preuve du commercemaléfique entre Bindo et les forcesoccultes (Le Soft <strong>de</strong> fimance, 6 mai 1991,cité dans G. <strong>de</strong> Villers, op. cit., p. 105).(31) Le passé <strong>de</strong> ce nouvel hommeprovi<strong>de</strong>ntiel est aussi peu connu que celui<strong>de</strong> Bindo Bolembe. Agé d’u<strong>ne</strong> quarantai<strong>ne</strong>d’années, l’homme aurait commencé sacarrière à la Ge<strong>ne</strong>ral Motors Zaïre, en1974, pour la continuer à la SNEL (Sociéténationale d’électricité) entre 1975 et1985. On le retrouve ensuite en tant queconseiller financier dans le Groupe Mado<strong>va</strong>- dont le responsable n’est autre queManda Mobutu -, u<strong>ne</strong> société d’importexportconnue pour <strong>ne</strong> jamais payer lesdroits <strong>de</strong> doua<strong>ne</strong>. Après avoir nié au débuttout lien avec le fils <strong>de</strong> Mobutu, son ancie<strong>ne</strong>mployeur, Masamuna l’impliquera aumoment où les <strong>de</strong>ttes du (( Panier <strong>de</strong> la ménagèreD <strong>de</strong>viendront trop lour<strong>de</strong>s pour sesseules épaules. En réponse à ces allégations,Manda Mobutu fera parvenir uncommuniqué à la presse déclinant sa responsabilitédans les activités <strong>de</strong> son ancienconseiller.103


JEUX D’ARGENT, JEUX DE VILAINSl’agence <strong>de</strong> Matete qui est alors la seule à fonction<strong>ne</strong>r. Bientôt, c’estl’arrière-pays alerté qui envoie en camion, en bateau et en avion ses contingents<strong>de</strong> joueurs qui vien<strong>ne</strong>nt avec <strong>de</strong>s fortu<strong>ne</strong>s remplir le (( Panier <strong>de</strong> laménagère D. Mordus par la passion du jeu, la plupart <strong>de</strong> ces joueurs resteront<strong>plus</strong>ieurs semai<strong>ne</strong>s à Kinshasa (33, remettant sans cesse en jeuleurs gains jusqu’aw <strong>de</strong>rniers jours d’avril où Masamuna suspend les paiements.Le même mécanisme boule <strong>de</strong> <strong>ne</strong>ige qui a mis fin aux activités <strong>de</strong>Bindo-Promotion fut à l’origi<strong>ne</strong> <strong>de</strong> la faillite <strong>de</strong>s opérations du (( Panier <strong>de</strong>la ménagère B. La fin rocambolesque <strong>de</strong> Masamuna n’a d’égale que l’ampleurextraordinaire <strong>de</strong> l’arnaque (33).Quand le boa fait son apparition. ..Vers la <strong>de</strong>uxième moitié du mois d’avril apparaissent, dans la plupart<strong>de</strong>s instituts supérieurs et au campus <strong>de</strong> I’Unikin, <strong>de</strong>s agences <strong>de</strong> ristour<strong>ne</strong>dont, jusqu’à présent, l’i<strong>de</strong>ntité du ou <strong>de</strong>s promoteurs <strong>de</strong>meure inconnue.(( Nguma (le boa), appelé parfois (( Longindo )) (l’enrichissement) ou (( SuperLongindo ), est <strong>de</strong>stiné exclusivement aux étudiants. Au total,227,4 milliards <strong>de</strong> zaïres, soit environ 50 millions <strong>de</strong> dollars, soit encorele tiers <strong>de</strong> toute la masse monétaire qui circulait au Zaïre à l’époque, furentperçus en moins d’un mois au sein <strong>de</strong>s établissements d’enseig<strong>ne</strong>mentsupérieurs (34). Le système, fondé sur le méme principe qui a fait le succès<strong>de</strong> Bindo-Promotion et du (( Panier <strong>de</strong> la ménagère’)), s’est caractérisé par<strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> recouvrement <strong>de</strong> gains très brefs que les étudiants manipulaient?I volonté.A la base, on trou<strong>va</strong>it <strong>de</strong>s étudiants chargés <strong>de</strong> percevoir les sommesdéposées par leurs collègues étudiants. Les sommes ainsi réunies étaientversées à d’autres étudiants connus; sous le titre <strong>de</strong> (( secrétaires du gestionnaireordinaire R. Contrairement aux autres <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> placement d’argent,la confiance constitua ici le maître mot. Pas <strong>de</strong> fiche ou <strong>de</strong> reçu remisà I’étudiant-souscripteur. Pas non <strong>plus</strong> <strong>de</strong> bureau ou <strong>de</strong> local où s’opèrentdépôts et versements. Seuls le nom et le montant versé étaient relevés dansun cahier par l’étudiant-percepteur que tous connaissaient. Les mises(32) Alertés par la curée qui battaitson plein à Kinshasa, <strong>plus</strong>ieurs Zaïrois vi<strong>va</strong>nten Europe sont rentrés précipitammentavec un billet aller simple, escomptants’en mettre aussi plein les poches.Comme ceux venus <strong>de</strong> l’intérieur du pays,ils resteront bloqués après la débacle dumois <strong>de</strong> mai (confirmé par Le So$ <strong>de</strong> fitzance,35 juin 1991, cité dans G. <strong>de</strong> Villers,op. cit., p. 104).(33) Dans la matinée du 8 mai, lesagents du SNIP, envoyés par le général Lilrulia,se présentent au siège administratifdu (1 Panier <strong>de</strong> la ménagère o, à Matete, etemmè<strong>ne</strong>nt Masamuna à leur quartier général.I1 est reçu par le directeur du SNIP/intérieur qui lui fait savoir qu’il est prisonnieret condition<strong>ne</strong> sa libération auremboursement <strong>de</strong> <strong>plus</strong> d’un milliard <strong>de</strong>zaïres qu’il doit à ses agents. Lorsqu’il estrelâché quelques jours <strong>plus</strong> tard, aprèsavoir remboursé les sommes litigieuses,Masamuna est appréhendé cette fois-ci parles agents du SNIP/extérieur qui lui réclament400 millions <strong>de</strong> zaïres qu’il paye aussitôt.C’est alors au tour <strong>de</strong>s militaires <strong>de</strong>la BSFS d’en<strong>va</strong>hir son bureau pour réclamerleurs gains. Les étudiants <strong>de</strong> 1’Unilunarriveront trop tard pour récupérer les5 milliards <strong>de</strong> zaïres bloqués <strong>de</strong>puis le11 mai. A pei<strong>ne</strong> remis <strong>de</strong> ses mésaventures,Masamuna découvre que, pendant sesabsences forcées, ses employés ont vidé lacaisse. Convoqué par le parquet <strong>de</strong> 1” instance<strong>de</strong> Gombe, il est arrêté le 25 mai etincarcéré aussitôt à Makala où il tente à<strong>plus</strong>ieurs reprises <strong>de</strong> se suici<strong>de</strong>r.(34) Elima, 23-24 mai 1991, p. 7.104


CH. DIDIER GONDOLAétaient doublées au bout <strong>de</strong> quatre, voire trois ou parfois seulement <strong>de</strong>uxjours. Le plafond pour chaque (( déposant fut fHé à 500 O00 zaïres, maisles percepteurs fermaient les yeux sur <strong>de</strong>s montants <strong>plus</strong> importants quigrossissaient d’autant la marge officieuse <strong>de</strong> 10 % qu’ils touchaient à chaqueversement.En considérant les centai<strong>ne</strong>s <strong>de</strong> milliards <strong>de</strong> zaïres engloutis parNguma-Promotion, on voit mal comment les étudiants kinois, dont onconnaît le casse-tête quotidien pour payer le bus qui les amè<strong>ne</strong> à leursétablissements, auraient été les seuls souscripteurs. La plupart <strong>de</strong>s officiels<strong>de</strong>s instituts, les professeurs compris, ont participé aussi bien en tant qu’organisateursque simples souscripteurs. Le directeur <strong>de</strong> I’IBTP (Institut <strong>de</strong>sbâtiments et <strong>de</strong>s tra<strong>va</strong>ux publics) aurait versé dix millions <strong>de</strong> zaïres,l’épouse d’un ancien ministre <strong>de</strong> l’Economie et <strong>de</strong> l’Industrie, 45 millions ;le directeur général adjoint <strong>de</strong> I’Ozac (Office zaïrois du commerce), 25 millions; l’épouse d’un général, 53 millions ; un général, 300 millions ; unlea<strong>de</strong>r <strong>de</strong> parti politique, 50 millions. La liste complète <strong>de</strong>s personnalitéshaut placées, envoutées par le démon du jeu, compterait presque tout lebeau mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> IGnshasa. I1 n’y a pas jusqu’aux commerçants libanais <strong>de</strong>Kinshasa qui n’aient joué <strong>de</strong>s sommes fabuleuses par l’intermédiaire d’étudiants.En cherchant bien, on trouverait certai<strong>ne</strong>ment <strong>de</strong>s prêtres qui ontsacrifié la dîme <strong>de</strong> leurs ouailles sur l’autel <strong>de</strong> la débrouille (35).Le détour<strong>ne</strong>ment <strong>de</strong>s recettes par les (( secrétaires du gestionnaire ordinaire)) constitua un facteur déterminant dans l’arrêt rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s paiementsau sein <strong>de</strong>s différents instituts, même si à terme les pyrami<strong>de</strong>s <strong>ne</strong>pou<strong>va</strong>ient manquer <strong>de</strong> s’effondrer.L’affaire a mis les allures d’un sinistre nationalLes <strong>jeux</strong> d’argent ont détruit le peu d’espoir qui restait encore auxZaïrois. Sur le plan économique, on n’a<strong>va</strong>it <strong>rien</strong> vu <strong>de</strong> pire <strong>de</strong>puis lesmesures <strong>de</strong> za‘ïrianisation <strong>de</strong>s années 70. Toutes les e<strong>ne</strong>rgies et toute l’activitééconomique <strong>de</strong> Kinshasa, centre <strong>ne</strong>rveux du pays, s’engouffrèrent,comme happées par un trou noir, dans les (I promotions D. A quoi bons’adon<strong>ne</strong>r à un commerce oh, dans les meilleurs <strong>de</strong>s cas, les marges escomptées<strong>ne</strong> dépassent pas les 20 % quand on peut se croiser les bras enattendant que son fonds fructifie <strong>de</strong> 800 % (36) ? A quoi bon se rendre à(35) Selon u<strong>ne</strong> é<strong>va</strong>luation <strong>de</strong> La Semai<strong>ne</strong>(14 juin 1991), (( 7 person<strong>ne</strong>s sur 10à Kinshasa affirment avoir souscrit chezBindo I), cité dans A. Gbabendu Engunduka& E. Efolo Ngobaasu, op. cit., vol. 2,p. 209.(36) Voici quelques exemples mculents<strong>de</strong> démobilisation sociale :o M.N.M. Joseph, habitant la zo<strong>ne</strong> <strong>de</strong> Bambuaussi est exploitant minier <strong>de</strong> l’ordans le Haut-Zaïre. Informé par sonépouse du phénomè<strong>ne</strong> u Pronzotiovz ))(Bindo, SGI et Masamuna), il n’a pastrouvé mieux que <strong>de</strong> rentrer à Kinshasapour placer son argent et tout son argentchez Bindo. Et en ce moment il se toumeles pouces en attendant l’échéance à laquelleil verra ses millions multipliés pardix B ; La sœur (en Christ) Matufueni faisaitallègrement son commerce <strong>de</strong> produitsmanufacturés <strong>de</strong> l’Angola. Elle en ramenaitainsi <strong>de</strong>s boîtes <strong>de</strong> lait, l’huile, sardi<strong>ne</strong>s,les casseroles, les services <strong>de</strong> table ...Elle dépannait ainsi ceux habitant les environsdu quartier Christ-Roi dans la zo<strong>ne</strong><strong>de</strong> Kasa-Vubu. Mais <strong>de</strong>puis qu’elle a<strong>va</strong>itmisé u<strong>ne</strong> fois chez Bindo, elle <strong>ne</strong> fait que<strong>plus</strong> que cela et <strong>ne</strong> cesse <strong>de</strong> remettre sonvoyage à la prochai<strong>ne</strong> fois et cela <strong>de</strong>puis sixmois i), La Seinai<strong>ne</strong> du 30 avril 1991.105


JEUX D’ARGENT, JEUX DE VILAINSson poste <strong>de</strong> tra<strong>va</strong>il quand on sait que le salaire, si salaire il y a, suffira àpei<strong>ne</strong> à l’achat d’un sac <strong>de</strong> manioc ? On peut encore s’interroger, comme1:. fait 1.enge Mukengeshayi, sur le pouvoir <strong>de</strong> contrôle économique d’unEtat zaïrois moribond.Que dans un pays nao<strong>de</strong>eme, en cette fin <strong>de</strong> XX” siècle, toute l’économied’un pays soit paralysée parce que la population a retiré ses avoirs daicircuit bancaire pour les placer duns les jetlx d’argent, et à ai<strong>ne</strong> ;i pan<strong>de</strong>échelle, peut-on trouver meilleur exemple <strong>de</strong> l’impuissance <strong>de</strong> I’Etat à réglementerla vie écononaique ? (Le Phare, 17 mai 1991, p. 2).Ces <strong>jeux</strong> ont donc offert un terrain d’activité monétaire qui, mis à partson caractère pervers, a capturé <strong>de</strong>s fonds qui ont brutalement fait défautaux opérateurs économiques et donné u<strong>ne</strong> fausse impression <strong>de</strong> croissancemonétaire. En réalité, l’argent a changé <strong>de</strong> mains sans engendrer d‘activitééconomique et souvent pour se retrouver engagé dans <strong>de</strong>s dépenses somptuaires.Plus grave, sans doute, est le fait que les responsables <strong>de</strong>s institutionsbancaires ont versé dans la combi<strong>ne</strong>.On est ainsi en mesure d’établir aujourd’hui, que l’indisponibilité <strong>de</strong>sliquidités dam le circuit bancaire s’expliqueyait par l’hypothèse selon laquelleceux qui détien<strong>ne</strong>nt le pouvoir économico-financier auraient soustraitdu circuit bancaire d’importantes soinmes d’argent pour monter etfinancer Bindo-Prornotion et donc lui permettre d’honorer les engagementsqu’il a pris au début <strong>de</strong> ses activités (Yenga Ndula 6’ Mokolo Liseko,Le Soft <strong>de</strong> finance, 18 mai 1991, p. 8).L‘affaiblissement du zaïre-monnaie vis-à-vis <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vises étrangères, etnotamment du dollar américain, s’est également inscrit dans ce contexte<strong>de</strong> (( l’argent facile H. Dès la faillite <strong>de</strong>s (( promotions )), le dollar creusal’écart avec le zaïre en passant au marché réel <strong>de</strong> 4 600 à 7 500 zaïres entrele 24 et le 30 mai 1991 , tandis qu’au cours du marché officiel il <strong>de</strong>meuraitstable à 4 200 zaïres. Pour lutter contre cette spéculation, la Banque duZaïre décida, le 19 août, la suppression du taux officiel d’échange et l’instaurationd’un cours [unique] déterminé par les forces du marché o appelécours <strong>de</strong> change en République du Zaïre o. Le 21 août, le zaïre étaitdé<strong>va</strong>lué <strong>de</strong> 100 % et s’échangeait le len<strong>de</strong>main à 15 700 pour 1 dollar.Sur le plan social, les pertes occasionnées par les <strong>jeux</strong> sont incalculables.Aussi extraordinaire que cela paraisse, la folie <strong>de</strong>s <strong>jeux</strong> a touché toutesles couches <strong>de</strong> la population, <strong>de</strong>s barons du régime aux cireurs <strong>de</strong> chaussures,<strong>de</strong>s professeurs d’université aux commerçantes du marché, <strong>de</strong>s éColiersaux retraités <strong>de</strong> la fonction publique. Les journalistes qui sont allés,le dimanche 12 mai, interviewer Bindo sur ses intentions <strong>de</strong> reprendre lespaiements, a<strong>va</strong>ient eux-mêmes engagé <strong>de</strong>s sommes considérables dans sa(( promotion I) ; d’oh, dans les questions posées, u<strong>ne</strong> complaisance maldissimulée qui a scandalisé les téléspectateurs. Dans les bureaux administratifs,comme dans les salles <strong>de</strong> cours <strong>de</strong>s établissements secondaires et<strong>de</strong>s instituts supérieurs, comme <strong>de</strong>rrière les étals du marché, la démobilisationfut totale.Au sein <strong>de</strong>s familles, la perte d’éparg<strong>ne</strong>s et d’investissements souventréalisés au coût <strong>de</strong> sacrifices énormes a entraîné <strong>de</strong>s désunions et <strong>de</strong>s hai-106


CH. DIDIER GONDOLA<strong>ne</strong>s qui ont parfois causé suici<strong>de</strong>s et meurtres. I1 est vrai qu’au momentoh la frénésie <strong>de</strong>s (( promotions R battait son plein, les prix <strong>de</strong> l’immobilierconnaissaient u<strong>ne</strong> chute vertigi<strong>ne</strong>use due à l’explosion <strong>de</strong> l’offre. Beaucoupcédèrent leurs maisons à <strong>de</strong>s prix dérisoires pour investir chez (( Bindoet consorts (37).L’aveuglement fut tel que même les mises en gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Banque duZaïre sur le caractère illicite <strong>de</strong> ces <strong>jeux</strong> attisèrent, au contraire, la passionpopulaire et mirent la banque dans le collimateur <strong>de</strong>s clients <strong>de</strong> Bindo.Au sein <strong>de</strong> cette clientèle, qui comptait beaucoup d’adolescents, s’organisèrent<strong>de</strong>s briga<strong>de</strong>s <strong>de</strong> protection qui (( ont juré <strong>de</strong> s’attaquer à tout véhicule<strong>de</strong> la Banque qu’ils surprendraient sur la route. La Banque du Zaïrea donc été obligée <strong>de</strong> retirer <strong>de</strong> la circulation tous les véhicules <strong>de</strong> soncharroi automobile portant la mention (( Banque du Zaïre i) pour <strong>ne</strong> pasexposer ses agents et ses moyens <strong>de</strong> cransport à la colère <strong>de</strong> la population B(Le Phare, 17 mai 1991, p. 13).Les <strong>jeux</strong> d’argent ont également causé <strong>de</strong>s morts et <strong>de</strong>s blessés graves,surtout au sein <strong>de</strong> la population estudianti<strong>ne</strong> qui s’est retrouvée au sommet<strong>de</strong> la <strong>va</strong>gue <strong>de</strong> violences (38). Les poussées <strong>de</strong> violence <strong>de</strong>s étudiants seprolongeront jusqu’à la fin du mois <strong>de</strong> juin, mais seront à chaque foisdésamorcées par la promesse du gouver<strong>ne</strong>ment <strong>de</strong> rembourser lui-même,dans un bref délai, les sommes bloquées dans les (( promotions D. Ainsi, lejeudi 20 et le vendredi 21 juin, u<strong>ne</strong> expédition <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s civils, agissant<strong>de</strong> connivence avec la gendarmerie, a coûté la vie à u<strong>ne</strong> dizai<strong>ne</strong> <strong>de</strong> souscripteurset causé <strong>plus</strong>ieurs blessés. Le drame a eu lieu aux abords <strong>de</strong>sbureaux du (( Panier <strong>de</strong> la ménagère n <strong>de</strong> Matete où, après <strong>plus</strong> <strong>de</strong> douzeheures d’attente, les souscripteurs ont été molestés et dépouillés <strong>de</strong> leurseffets person<strong>ne</strong>ls par les forces <strong>de</strong> l’ordre coalisées (39). I1 faut rechercherles causes <strong>de</strong>s pillages (40) <strong>de</strong> septembre dans l’atmosphère qui pré<strong>va</strong>lutà Kinshasa au cours <strong>de</strong>s mois <strong>de</strong> juillet et d’août. La vie chère, la colère(37) A Kisangani, u<strong>ne</strong> famille entièrese retrouve dans la rue, sans abri, le papaayant vendu la parcelle et placé l’argentchez Nguma. Mais le temps d’être payé enretour <strong>de</strong> ses millions, le pire a surgi. L’infortuné,un enseignant, crie <strong>de</strong>puis à lamalchance. Mais il n’est pas le seul. Chaquejour qui passe, même les <strong>va</strong>gabondsont appris à être fidèles au journal télévisé<strong>de</strong> 20 heures pour en savoir un peu <strong>plus</strong>sur le sort <strong>de</strong> leur fortu<strong>ne</strong> (i glacée r) (Le Soft<strong>de</strong>filtance, 30 mai 1991, p. 24).(38) Le 14 mai, <strong>de</strong>s étudiants désespérés<strong>de</strong> I’ISTA saisissent un busCity-train et u<strong>ne</strong> remorque d’essence appartenantà la société Zaïre-SEP. Ils menacent<strong>de</strong> brûler les <strong>de</strong>ux véhicules au casoù le commandant <strong>de</strong> la ville interviendraitpar la force. Le général Bolozi don<strong>ne</strong> alorsl’ordre à ses gar<strong>de</strong>s civils <strong>de</strong> quadriller l’institut.Les étudiants répon<strong>de</strong>nt par <strong>de</strong>s insulteset <strong>de</strong>s jets <strong>de</strong> pierre. L’ordre estdonné <strong>de</strong> libérer les <strong>de</strong>ux véhicules. Deuxétudiants tombent sous les balles <strong>de</strong>s militaires; 18 autres s’en tirent avec <strong>de</strong>s bles-sures (La Sewzazlze, 16 mai 1991, p,. 8). Lelen<strong>de</strong>main, en représailles, les étudiants <strong>de</strong>I’ISTA brûlent vif un gar<strong>de</strong> civil. La violenceredouble et s’étend aux autres institutsquand tombe, au soir du 14 mai, ladécision <strong>de</strong> la primature interdisant les<strong>jeux</strong> <strong>de</strong> placement dans les campus et lesinstituts supérieurs. Le len<strong>de</strong>main, les affrontementsentre étudiants et gar<strong>de</strong>s civilsse multiplient. On dénombre, à l’issue <strong>de</strong>séchauffourées, <strong>plus</strong>ieurs étudiants blessésà la baïon<strong>ne</strong>tte et brûlés aux gaz lacrymogè<strong>ne</strong>set un mort par balle à I’ISC. Le 17mai, le gouver<strong>ne</strong>ment ferme 1’IPN. Le 24mai, tous les autres instituts supérieurssont assiégés par la gar<strong>de</strong> civile.(39) EZima, 28 juin 1991, p. 1.(40) Ils ont fait les u<strong>ne</strong>s du Mon<strong>de</strong>(du 24 septembre au 27 septembre 1991).Provoquée par u<strong>ne</strong> rébellion orchestrée <strong>de</strong>la 31‘briga<strong>de</strong>, dans la nuit du dimanche22 au lundi 23 septembre, la furie a gagnéla population qui, sans relâche, a pillé et<strong>va</strong>ndalisé pendant les trois jours sui<strong>va</strong>nts.107


JEUX D’ARGENT, JEUX DE VILAINSjointe à l’impuissance, et surtout ce sentiment, qui <strong>de</strong>venait <strong>de</strong> <strong>plus</strong> en<strong>plus</strong> intense, d’avoir été joué par le pouvoir lui-même, poussèrent la populationà récupérer (41) par la violence ce qui lui a<strong>va</strong>it été ravi par laruse.A qui profite le crime ?La question <strong>de</strong> savoir qui tirait les ficelles <strong>de</strong>rrière les promoteurs <strong>de</strong>s<strong>jeux</strong> d’argent n’est pas sans intérét, quand on sait que l’u<strong>ne</strong> <strong>de</strong>s donnéesfondamentales du Zaïre <strong>de</strong>s années 90 <strong>de</strong>meure l’émiettement du pouvoiret l’utilisation <strong>de</strong> tous les moyens pour en conserver les débris. De<strong>va</strong>nt unMobutu aux abois, contrôlant à distance, plutôt mal que bien, et parconseillers interposés, la situation à IGnshasa, l’opposition, vraie ou fausse,s’est présentée comme le dépositaire d’un pouvoir qu’elle ramasse souventdans la rue où étudiants, militaires, joumalistes, fonctionnaires, religieux,Libanais et femmes commerçantes constituent autant <strong>de</strong> groupes <strong>de</strong> pression.Pour les victimes <strong>de</strong> ces escroqueries, il n’y a<strong>va</strong>it pas l’ombre d‘undoute : (( Bindo et consorts n’étaient que <strong>de</strong>s prête-noms avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>squelsle pouvoir mobutiste a tenté <strong>de</strong> brouiller les cartes <strong>de</strong><strong>va</strong>nt les échéanceset le climat politiques instaurés par l’ouverture démocratique. De<strong>va</strong>ntcette gran<strong>de</strong> inconnue qu’a constitué la perspective <strong>de</strong> l’ouverture <strong>de</strong> laConférence nationale, Mobutu aurait voulu tout saboter et provoquer undésordre in<strong>de</strong>scriptible qui lui aurait permis d’émerger u<strong>ne</strong> fois <strong>de</strong> <strong>plus</strong>comme le garant <strong>de</strong> la paix et <strong>de</strong> la sécurité nationales.Ceci permet <strong>de</strong> comprendre pourquoi, ignorant même le gouvemement<strong>de</strong> Mulumba Lukoji, les étudiants exigeront directement <strong>de</strong> Mobutule remboursement <strong>de</strong> leur argent. Dans un communiqué qu’ils adressentau gouver<strong>ne</strong>ment, le 25 mai, ils promettent <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre dans la rue lemercredi 29 mai et d’aller même jusqu’au ((sacrifice suprême^)) si ((lescritères <strong>de</strong> remboursement <strong>de</strong> leurs placements <strong>ne</strong> sont pas respectés parle promoteur <strong>de</strong> toutes ces escroqueries, le (( maître inspirateur )), qui n’estautre que Mobutu u (Umoja, 29 mai, p. 3). Qu’il s’agisse <strong>de</strong>s journalistes,<strong>de</strong>s partis d’opposition, 1’UDPS <strong>de</strong> Tshisekedi en tête, ou même <strong>de</strong>s partis<strong>de</strong> la mou<strong>va</strong>nce prési<strong>de</strong>ntielle, la responsabilité du gouver<strong>ne</strong>ment, et àtravers lui celle <strong>de</strong> Mobutu, <strong>ne</strong> fait pas <strong>de</strong> doute. Le joumal (( mpriste )) et(( jusque-mobutiste H Kapia n’hésita pas à accuser directement un gouver<strong>ne</strong>mentqu’il sa<strong>va</strong>it bien à la sol<strong>de</strong> <strong>de</strong> Mobutu en écri<strong>va</strong>nt :Assurer la séczwité <strong>de</strong> Bindo et ses actions par les éléments <strong>de</strong> la Gar<strong>de</strong>Civile, lui accor<strong>de</strong>r <strong>plus</strong> <strong>de</strong> temps à la télé et à la radio, <strong>plus</strong> même quele Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République, lui cé<strong>de</strong>r les installations administratives <strong>de</strong>I’Etat, notamment dans les zo<strong>ne</strong>s <strong>de</strong> Kinshasa, démontre à suffisancel’appui que le gouver<strong>ne</strong>ment accordait à Bindo (Icapia, 4 juin 1991,P. 7).(41) Le vocabulaire du pillage estd’ailleurs suggestif sur ce point. Les pilleurs,selon le peintre zaïrois Cheri Samba,Q emploient les mots ramasser, é<strong>va</strong>cuer, allerchercher, déplacer, mais jamais voler )), entretienaccordé au Het Belang Va’nlz Limburg,cité dans G. <strong>de</strong> Villers, op. cit., p. 145.108


CH. DIDIER GONDOLALa presse <strong>de</strong> l’opposition, <strong>de</strong> son côté, insista surtout sur les audiencesmultiples que Mobutu a accordées à Bindo, preuves infaillibles <strong>de</strong> la collusio<strong>ne</strong>ntre les <strong>de</strong>ux hommes ou plutôt <strong>de</strong> la récupération du <strong>de</strong>rnier parle premier.La réalité <strong>de</strong> cette récupération semble évi<strong>de</strong>nte pour l’opinion parl’installation <strong>de</strong>s agences K Bindo-Promotion )) dans tous les foyers <strong>de</strong> tensionsociale L. .] susceptibles d’être les points <strong>de</strong> départ <strong>de</strong>s mécolztentenzentssociaux, <strong>de</strong>s grèves, <strong>de</strong>s grog<strong>ne</strong>s et <strong>de</strong>s agitations politiques et sociales.Bipido s’y installe comme pour les <strong>ne</strong>utraliser et les étouffer. (Il fautnoter que le noni <strong>de</strong> Biiido a été utilisé aussi com<strong>ne</strong> ten<strong>ne</strong> générique pourdésig<strong>ne</strong>r les promotions) (42).La seule réserve qu’on peut opposer à ce scénario idéal est le fait que,pendant <strong>plus</strong>ieurs mois, entre octobre 1990 et février 1991, les activités<strong>de</strong> Bindo <strong>ne</strong> suscitèrent aucun Ccho dans les médias, et surtout à 1’OZRTpourtant vendu au pouvoir. La popularité <strong>de</strong> Bindo se confirma avec lesremboursements massifs du 15 février qui vinrent à bout <strong>de</strong> la méfiance<strong>de</strong> ceux qui hésitaient encore à jouer et attirèrent sur lui l’attention <strong>de</strong>smédias. Ce fut à ce moment précis que les tentatives <strong>de</strong> récupération acculèrentBindo à négocier la poursuite <strong>de</strong> son système contre le placement<strong>de</strong> mises importantes par les barons du régime.Quand le système s’écroula, certains partis profitèrent du désarroi <strong>de</strong>ssouscripteurs pour combler les places vi<strong>de</strong>s à leur meeting. C’est le cas duMPR, qui fit le plein d’un meeting au sta<strong>de</strong> Tata Raphaël (ex-sta<strong>de</strong> du 20mai), le dimanche 19 mai, en distribuant les jours précé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s tractsannonçant que le paiement <strong>de</strong> tous les sinistrés <strong>de</strong>s promotions s’effectueraità la sortie du meeting. Si l’on écarte la collusion Bindo-Mobutu,il reste le scénario Bindo-Kengo qu’a retenu Bogumil Jewsiewicki pourexpliquer la bindomania.[. . .] la proniotion Bindo n’a pas été lancée par le prési<strong>de</strong>nt Mobutumais par ses proches qui l’ont quitté, ceux qu’on appelle habituellementles dinosaures du clan Kengo wa DoFido 6.. ] L’objectif principal auraitété d’entanaer son prestige [<strong>de</strong> Mobutu] d’homme tout-puissant lorsqueinterviendra la faillite que ces entrepre<strong>ne</strong>urs très habiles a<strong>va</strong>ient dû incluredans leur calcul (43).J’ai indiqué <strong>plus</strong> haut que le système Bindo a dû commencer sanscapital <strong>de</strong> départ et je maintiens cette hypothèse parce que le mécanismeconnu <strong>de</strong> la pyrami<strong>de</strong> inversée <strong>ne</strong> nécessite aucun investissement initial.Tout au <strong>plus</strong> Bindo a recherché et obtenu u<strong>ne</strong> protection politique etmilitaire locale nécessaire pour me<strong>ne</strong>r à bien ses activités sans craindre lessuspicions et les dérangements. Quant aux autres promoteurs, leurs commanditairesfurent da<strong>va</strong>ntage alléchés par l’appât <strong>de</strong> gains juteux que séduitspar la tentation <strong>de</strong> jouer u<strong>ne</strong> carte politique. I1 est très possible que(42) Kalrese Vinalu, La Seimim, 36avril 1991, p. 10, cité également dansB. Jewsiewiclu, an. cit., p. 66.(43) An. cit., p. 63.1 o9


JEUX D’ARGENT, JEUX DE VILAINSManda Mobutu, l’homme <strong>de</strong> tous les bons coups, soit entré dans le jeu<strong>de</strong>rrière Masamuna dans un but totalement lucratif. Même scénario dansles instituts supérieurs où étudiants, professeurs et certai<strong>ne</strong>s personnalitésinfluentes du pouvoir ont voulu dans la précipitation réaliser u<strong>ne</strong> <strong>va</strong>steopération d’escroquerie.A qui profite donc le crime ? A person<strong>ne</strong>, en réalité. Les promoteurs,(( grillés 1) et indésirables dans la ville <strong>de</strong> IGnshasa, n’ont guère profité <strong>de</strong>toute cette masse d’argent qu’a drainée leur système et <strong>de</strong> la popularitéqui les a entourés. Les commanditaires et les gros joueurs, qui ont hâtél’échec inévitable <strong>de</strong>s (I promotions o, ont été payés en retour lors <strong>de</strong>s pillages<strong>de</strong>s 22-24 septembre 1991 durant lesquels, pour se venger, la populaces’est systématiquement achamée sur tout ce qui leur appartenait. Cefut également le cas <strong>de</strong>s Libanais, littéralement razziés par les pilleurs, età qui le gouver<strong>ne</strong>ment Kengo fait aujourd‘hui payer l’immoralité et l’indiscipli<strong>ne</strong>économique en en expulsant <strong>de</strong>s centai<strong>ne</strong>s.L’échec <strong>de</strong>s (( promotions D a également présenté Mobutu sous un journouveau : il est <strong>de</strong>venu pour l’immense majorité <strong>de</strong>s Zaïrois le (( maîtreinspirateur )) et le (( maître instigateur D, l’en<strong>ne</strong>mi public no 1, la source <strong>de</strong>tous les maux. I1 n’y a <strong>plus</strong> un coup bas infligé à la population dont il <strong>ne</strong>soit tenu pour responsable direct. I1 a certai<strong>ne</strong>ment perdu un soutien populaire,certes réduit, mais qui lui permettait encore jusqu’à u<strong>ne</strong> pério<strong>de</strong>récente <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r sa légitimité sur autre chose que la force <strong>de</strong> sa miliceprivée ou la complaisance <strong>de</strong>s puissances étrangères.Le crime, dont la responsabilité reste partagée, a produit <strong>de</strong>s ra<strong>va</strong>gesqui dureront longtemps. Dans leur faillite, les <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> placement d’argentont enterré ce mythe qui faisait reposer l’économie du Zaïre sur la banalisationdu système D. La perversité <strong>de</strong> la débrouille, sa propension àemprunter les voies illicites et ses effets corrupteurs sur le fonction<strong>ne</strong>ment<strong>de</strong> l’économie réelle restent à mon avis la leçon principale à tirer du mirage<strong>de</strong>s (( promotions n. En se fondant sur u<strong>ne</strong> analyse psychopathologique quiprésente la victime d’escroquerie comme un individu foncièrement malhonnête,le constat sur la santé morale <strong>de</strong> la société zaïroise semble accablant.L‘escroqué, selon Ralph Hancock, est lui-même un escroc dont lastructure mentale (fiame of mind) n’est en <strong>rien</strong> différente dê celle <strong>de</strong> l’escroc: (( He is looking for easy mo<strong>ne</strong>y, bites on anything that looks like a surething, and if it is a little shady, so much the better o (44). Celui qui douteraitencore <strong>de</strong> cette théorie <strong>de</strong>vrait considérer la provenance <strong>de</strong>s fonds qui ontalimenté les promotions. Si, comme je l’ai déjà indiqué, quelques person<strong>ne</strong>sont (( placé )) leurs propres économies, beaucoup d’autres ont déposé<strong>de</strong>s sommes illégalement acquises.La quête <strong>de</strong> l’argent facile est <strong>de</strong>venue si commu<strong>ne</strong> et si désespéréedans la société zaïroise qu’elle a en quelque sorte déprogrammé dans l’esprit<strong>de</strong>s citoyens l’estime pour le tra<strong>va</strong>il comme source <strong>de</strong> revenus, le respectdu bien public, l’effort, sa rétribution, et toutes les autres <strong>va</strong>leurssociales et économiques attachées au tra<strong>va</strong>il. Elle les a en même tempsrendu réceptifs aux <strong>va</strong>leurs contraires. U<strong>ne</strong> pratique comme la corruption,<strong>de</strong>venue u<strong>ne</strong> institution au Zaïre sous le terme <strong>de</strong> ma<strong>de</strong>szi ya bana (les(44) op. cit., p. 3.110


CH. DIDIER GONDOLAharicots pour nourrir les enfants), en dit long sur la popularisation <strong>de</strong>s<strong>va</strong>leurs contre l’effort et le mérite au sein <strong>de</strong> la population zaïroise (45).<strong>Jeux</strong> d’argent, <strong>jeux</strong> <strong>de</strong> <strong>vilains</strong> ? Rien n’est moins vrai dans le cas <strong>de</strong>s(i promotions i) qui ont été montées à Kinshasa. Les repercussions politiqueset sociales <strong>de</strong> leur débacle permettent. <strong>de</strong> dégager au moins <strong>de</strong>uxconstats. U<strong>ne</strong> relecture du politique me paraît d’abord nécessaire. L’Etatau Zaïre, si tant est qu’il existe toujours, comme a<strong>va</strong>nt lui celui du Congovoisin, du Bénin et d’autres pays africains, a fait le choix d’u<strong>ne</strong> démocratieconçue a<strong>va</strong>nt tout comme un changement <strong>de</strong>s institutions politiques.L’économique, abandonné <strong>de</strong>puis les années 70 aux bailleurs <strong>de</strong> fondsocci<strong>de</strong>ntaux, puis confisqué par l’armée <strong>de</strong> l’informel o, reste au Zaïre undomai<strong>ne</strong> sur lequel 1’Etat exerce moins un contrôle qu’u<strong>ne</strong> prédation.Les évé<strong>ne</strong>ments <strong>de</strong> Kinshasa montrent, cependant, les dangers d’u<strong>ne</strong>+forme politique sans un effort concerté d’assainissement économique.Ecartelés entre l’urgence d’u<strong>ne</strong> solution économique et la constructiond’un politique durable, les réformateurs africains ont privilégié le politiqueen aménageant <strong>de</strong>s passerelles politiques qui, dans le cas du Zaïre, se sontrévélées fragiles face aux <strong>va</strong>gues du chaos économique. I1 convient ensuite<strong>de</strong> soulig<strong>ne</strong>r,u<strong>ne</strong> autre nécessité, celle d’un contrat social global qui engager,aitles Etats africains vers la voie du développement économique et<strong>de</strong> 1’Etat <strong>de</strong> droit. Tout prouve actuellement qu’on <strong>ne</strong> peut pas créer dudéveloppement sans démocratie, et le cas du Zaïre indique que la démocratieest un fruit mûr qui se mange le ventre plein.Ch. Didier GondolaHisto<strong>rien</strong>, Columbia, Etats-Unis(45) Joseph Houyoux soulignait déjà,dans son enquête <strong>de</strong> 1973, la part importante<strong>de</strong> la frau<strong>de</strong> dans les sources du revenuextra-salarial <strong>de</strong>s Knois, Budgets ntknagers,nutrition et mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie à Kinshasa,Kinshasa, Presses universitaires du Zaïre,1973, pp. 246-247. Aujourd’hui, un emploisalarié ouvre la porte à l’influence, ellemême<strong>de</strong>venue service négociable. La fron-tière est désormais introu<strong>va</strong>ble entre vented’influence et corruption. Pour certains salariés,le vol d’outils <strong>de</strong> tra<strong>va</strong>il permet <strong>de</strong>se mettre à son propre compte ou, pourparler comme J. MacGaffey, <strong>de</strong> transférer<strong>de</strong>s moyens et <strong>de</strong>s ressources économiquesdans le secteur <strong>de</strong> la distribution, (i “On sedébrouille” ... I), art. cit., p. 150.111

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