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jugement - Commission scolaire de Montréal

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<strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> lapersonne et <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la jeunesseCOUR D’APPEL2006 QCCA 82CANADAPROVINCE DE QUÉBECGREFFE DE QUÉBECN° : 200-09-005051-047(100-53-000009-032)DATE : 25 JANVIER 2006CORAM: LES HONORABLES RENÉ DUSSAULT J.C.A.BENOÎT MORIN J.C.A.JULIE DUTIL J.C.A.COMMISSION SCOLAIRE DES PHARESAPPELANTE-défen<strong>de</strong>ressec.COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITSDE LA JEUNESSEINTIMÉE-<strong>de</strong>man<strong>de</strong>resseetJEANNETTE PELLETIER et ROBERT POTVIN,agissant pour eux-mêmes et au nom <strong>de</strong> leur fils mineur Joël PotvinetJOËL POTVINMIS EN CAUSE-plaignantsetL’ASSOCIATION POUR L’INTÉGRATION SOCIALE (région <strong>de</strong> Rimouski)MISE EN CAUSE-partie intéresséeARRÊT[1] LA COUR; - Statuant sur le pourvoi <strong>de</strong> l'appelante contre un <strong>jugement</strong> du30 novembre 2004 du Tribunal <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne (Tribunal), accueillant enpartie la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> présentée par l'intimée agissant en faveur <strong>de</strong> Joël et <strong>de</strong> ses parents,Jeannette Pelletier et Robert Potvin, et rendant les ordonnances suivantes :


200-09-005051-047 PAGE : 2[241] CONDAMNE la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares à verser conjointementaux plaignants Jeannette Pelletier et Robert Potvin une somme <strong>de</strong> 20 103,70 $ àtitre <strong>de</strong> dommages matériels ;[242] CONDAMNE la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares à verser aux plaignantsJoël Potvin, Jeannette Pelletier et Robert Potvin une somme, répartie égalemententre eux, <strong>de</strong> 30 000 $ à titre <strong>de</strong> dommages moraux ;[243] ORDONNE à la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares, prenant en considérationles capacités et les besoins <strong>de</strong> Joël Potvin :a) De procé<strong>de</strong>r à l’évaluation <strong>de</strong> Joël Potvin en adaptant les normesd’évaluation et <strong>de</strong> classement pour tenir compte <strong>de</strong> son handicap;b) D’élaborer un plan d’intervention afin que Joël Potvin puisse être intégréà une classe ordinaire, le plus près possible <strong>de</strong> sa rési<strong>de</strong>nce;c) De procé<strong>de</strong>r à l’adaptation du matériel pédagogique pour l’intégration enclasse ordinaire <strong>de</strong> Joël Potvin, en prenant en considération les différentsmoyens proposés par les spécialistes et en s’assurant que les services<strong>de</strong> soutien à l’enseignant soient prévus <strong>de</strong> façon spécifique afin <strong>de</strong>faciliter l’adaptation <strong>de</strong> l’enseignement auprès <strong>de</strong> l’enfant.d) De procé<strong>de</strong>r à l’intégration <strong>de</strong> Joël Potvin, au moins pour mi-temps enclasse ordinaire, en s’assurant que les mesures d’adaptation nécessairesrépon<strong>de</strong>nt à ses besoins dans les domaines <strong>de</strong> l’instruction, <strong>de</strong> lasocialisation et <strong>de</strong> la qualification, <strong>de</strong> manière à ce que l’intégration soitsubstantielle et non pas seulement formelle;le tout dans un délai <strong>de</strong> soixante (60) jours à compter <strong>de</strong> la signification duprésent <strong>jugement</strong> ;[244] ORDONNE à la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares, dans l’intérêt public,d’appliquer sa politique concernant l’organisation <strong>de</strong>s services éducatifs auxélèves handicapés et le cas échéant, la modifier afin que la classe ordinaire, laplus près possible <strong>de</strong> la rési<strong>de</strong>nce, soit considérée la norme et que l’enfant nesoit pas orienté vers une classe spécialisée en raison <strong>de</strong> son handicap mais quele choix <strong>de</strong> la classe soit plutôt fait en fonction <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> l’enfant et <strong>de</strong> sesbesoins;[245] LE TOUT, avec les intérêts et l’in<strong>de</strong>mnité additionnelle conformément àl’article 1619 du Co<strong>de</strong> civil du Québec à compter <strong>de</strong> la signification <strong>de</strong> laproposition <strong>de</strong> mesures <strong>de</strong> redressement ainsi que les entiers dépens, incluantles frais d’expert, tant pour leur présence à la Cour que la préparation <strong>de</strong> leurrapport.


200-09-005051-047 PAGE : 3[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;[3] Le pourvoi traite <strong>de</strong> l’intégration, dans une classe ordinaire, d’un enfantprésentant une déficience intellectuelle. Les <strong>de</strong>ux principales questions à trancher sontles suivantes : 1) L’intégration d’un élève handicapé dans une classe ordinaireconstitue-t-elle une norme juridique impérative imposée par les articles 234 et 235 <strong>de</strong> laLoi sur l’instruction publique 1 (L.I.P.)? 2) L'appelante a-t-elle porté atteinte aux droits <strong>de</strong>l’enfant Joël Potvin, protégés par la Charte <strong>de</strong>s droits et libertés <strong>de</strong> la personne 2 (Chartequébécoise)?LES FAITS[4] Joël, né le 12 août 1994, est atteint <strong>de</strong> trisomie 21. Il présente une déficienceintellectuelle <strong>de</strong> légère à moyenne ainsi qu’un retard au niveau du développement dulangage. Il habite à Rimouski avec ses parents, Mme Jeannette Pelletier et M. RobertPotvin.[5] Au cours <strong>de</strong> l’année <strong>scolaire</strong> 1999-2000, Joël fréquente une classe pré<strong>scolaire</strong><strong>de</strong> l’école L’Annonciation, dans son quartier, trois jours par semaine.[6] L’année suivante, la direction <strong>de</strong> l’école L’Annonciation déci<strong>de</strong> que Joël <strong>de</strong>vrapoursuivre sa scolarisation dans une classe spécialisée <strong>de</strong> l’école L’Aquarelle, àRimouski. À la suite d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> révision <strong>de</strong> cette décision par ses parents, ladirection <strong>de</strong> l’école accepte finalement que Joël continue <strong>de</strong> la fréquenter à temps plein,pour l’année 2000-2001, en classe pré<strong>scolaire</strong>.[7] Au cours <strong>de</strong> l’année 2000-2001, l’évolution <strong>de</strong> Joël est consignée à son bulletin<strong>scolaire</strong>. De plus, il est évalué par l’orthopédagogue, Mme Julie Ouellet, et sonenseignante, Mme Liette Turcotte, également orthopédagogue <strong>de</strong> formation.[8] Le 19 avril 2001, le Comité d’ai<strong>de</strong> pédagogique <strong>de</strong> l’école L’Annonciationrecomman<strong>de</strong> que Joël continue son cheminement <strong>scolaire</strong> dans un groupe à effectifréduit, à l’école L’Aquarelle <strong>de</strong> Rimouski. Ses parents assistent à la réunion du comité.Ils s’opposent à sa recommandation et proposent plutôt que leur fils soit intégré dansune classe ordinaire <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> son quartier, avec le support d’une accompagnatricespécialisée. Aidés par le Centre <strong>de</strong> réadaptation en déficience intellectuelle du Bas-Saint-Laurent (CRDI), ils sont d’ailleurs prêts à défrayer le coût <strong>de</strong> cetteaccompagnatrice.[9] Le 4 septembre 2001, les parents <strong>de</strong> Joël <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt la révision <strong>de</strong> la décision<strong>de</strong> classement du 19 avril 2001.[10] Le Comité examine le dossier <strong>de</strong> Joël. Le 19 novembre 2001, il formule ainsi sarecommandation :12L.R.Q., c. I-13.3.L.R.Q., c. C-12.


200-09-005051-047 PAGE : 4Le comité appuie sa recommandation sur les motifs suivants :‣ CONSIDÉRANT que l’école a pour mission, dans le respect du principe<strong>de</strong> l’égalité <strong>de</strong>s chances, d’instruire, <strong>de</strong> socialiser et <strong>de</strong> qualifier lesélèves, tout en les rendant aptes à entreprendre et à réussir un parcours<strong>scolaire</strong> ;‣ CONSIDÉRANT que la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> doit adapter les serviceséducatifs à l’élève handicapé ou en difficulté selon ses besoins, d’aprèsl’évaluation qu’elle doit faire <strong>de</strong> ses capacités ;‣ CONSIDÉRANT que Joël a un important problème <strong>de</strong> langage tant auniveau réceptif qu’expressif ;‣ CONSIDÉRANT qu’au terme <strong>de</strong> sa 2 e année au pré<strong>scolaire</strong>, Joël aacquis moins <strong>de</strong> 10 %, soit 6/65 <strong>de</strong>s préalables requis pour le passage dupré<strong>scolaire</strong> au primaire et ce malgré le fait qu’il ait fréquenté lepré<strong>scolaire</strong> pendant 2 ans avec accompagnement constant.‣ CONSIDÉRANT que Joël se situe encore au niveau du jeu et qu’il n’a pasles acquis tant au niveau <strong>de</strong>s apprentissages que <strong>de</strong>s comportementspour entreprendre une première année primaire ;‣ CONSIDÉRANT la politique en adaptation <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong> la <strong>Commission</strong><strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares qui favorise l’intégration <strong>scolaire</strong> et sociale àl’intérieur <strong>de</strong> la classe ordinaire dans tous les cas où c’est possible etsusceptible d’assurer un meilleur développement <strong>de</strong> l’élève ;‣ CONSIDÉRANT la politique <strong>de</strong> l’adaptation <strong>scolaire</strong> du MEQ qui, commela Loi sur l’instruction publique, privilégie l’intégration à la classe ordinairelorsqu’il est établi qu’elle est profitable à l’élève ;‣ CONSIDÉRANT que cette même politique reconnaît que pour certains,ayant <strong>de</strong>s besoins particuliers, <strong>de</strong>s services adaptés plus spécialiséspeuvent être jugés nécessaires pour maximiser leurs apprentissages etleur insertion sociale.‣ CONSIDÉRANT les témoignages <strong>de</strong>s divers intervenants au dossier etplus particulièrement ceux qui ont été en étroite relation avec l’enfant ;‣ CONSIDÉRANT que le programme spécialisé offert à l’école l’Aquarelleest celui qui répond aux besoins <strong>de</strong> l’enfant ;


200-09-005051-047 PAGE : 5‣ CONSIDÉRANT que même si l’enfant fait partie d’une classe spécialiséeadaptée à ses besoins et ses capacités, il pourra vivre une intégrationdans les classes régulières dans différentes matières (éducationphysique, enseignement moral, s’il y a lieu, projets particuliers,…) ;‣ CONSIDÉRANT qu’après avoir entendu les différents témoignages,l’adaptation <strong>de</strong>s services éducatifs, soit une classe spécialisée adaptéeaux besoins et capacités <strong>de</strong> Joël et une intégration aux classes régulièrespar le biais <strong>de</strong> jumelage, est le moyen le plus adéquat pour ai<strong>de</strong>r Joël àfaire <strong>de</strong>s apprentissages valorisants et significatifs pour lui, et pour l’ai<strong>de</strong>rà se socialiser et lui permettre <strong>de</strong> créer <strong>de</strong> véritables liens d’interactionavec ses pairs.‣ CONSIDÉRANT que les services offerts à Joël sont à proximité <strong>de</strong> sonmilieu ;‣ CONSIDÉRANT qu’il est dans l’intérêt <strong>de</strong> Joël <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s servicesadaptés à ses besoins ;‣ CONSIDÉRANT que ces services ne peuvent se donner en classerégulière ;Le comité <strong>de</strong> révision recomman<strong>de</strong> le maintien <strong>de</strong> la décision <strong>de</strong> la direction <strong>de</strong>l’école l’Annonciation, soit le classement en classe spécialisée à l’écolel’Aquarelle, classement qui sera réévalué tout au long du cheminement <strong>de</strong> Joël.[11] Les parents <strong>de</strong> Joël déci<strong>de</strong>nt alors <strong>de</strong> ne pas l’inscrire à l’école L’Aquarelle pourl’année 2001-2002. De septembre à décembre 2001, il fréquente un centred’apprentissage privé <strong>de</strong> Rimouski pour lequel Mme Pelletier et M. Potvin doiventdébourser 388,50 $ du coût total <strong>de</strong> 1 388,50 $. À compter du 1 er février 2002 etjusqu’en juin 2003, Joël poursuit sa scolarisation à l’école Roy, <strong>de</strong> Rivière-du-Loup, où ilest intégré à mi-temps en classe ordinaire, niveau 1 re année, et à mi-temps en classespécialisée.[12] Afin <strong>de</strong> permettre à leur fils <strong>de</strong> fréquenter cette école, les parents <strong>de</strong> Joël doiventcependant louer un appartement à Rivière-du-Loup, que Mme Pelletier habite ensemaine avec Joël. Cela entraîne <strong>de</strong>s coûts et <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s difficultés dansl’organisation du travail <strong>de</strong> Mme Pelletier, ainsi que pour la vie <strong>de</strong> famille.[13] Le 25 août 2003, l'appelante offre, pour Joël, le même plan <strong>de</strong> services que celuiqu’il a reçu à l’école Roy l’année précé<strong>de</strong>nte. Ces services seront cependant dispensésà l’école L’Aquarelle plutôt qu’à l’école <strong>de</strong> quartier.


200-09-005051-047 PAGE : 6[14] À compter <strong>de</strong> septembre 2003, Joël est donc inscrit à l’école L’Aquarelle enclasse spécialisée le matin et en classe ordinaire, niveau 2 e année, l’après-midi. Il estalors accompagné d’un technicien éducateur.[15] À la fin <strong>de</strong> l’année <strong>scolaire</strong> 2003-2004, à la suite d’une recommandation duComité d’ai<strong>de</strong> pédagogique, Joël est classé, pour l’année 2004-2005, en classespécialisée.LA DÉCISION DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE 3[16] L'intimée dépose une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> introductive d'instance afin <strong>de</strong> saisir le Tribunaldu litige opposant Joël et ses parents à l'appelante. Elle soutient que cette <strong>de</strong>rnière aporté atteinte aux droits <strong>de</strong> Joël protégés par la Charte québécoise.[17] Après une longue revue <strong>de</strong> la preuve, <strong>de</strong>s expertises et du droit applicable, leTribunal pose ainsi les questions à trancher :- Les évaluations et le classement <strong>de</strong> Joël ont-ils été faits en conformité avecles prescriptions <strong>de</strong> la Charte et ce, d’avril 2001 à octobre 2001 et <strong>de</strong>septembre 2003 à juin 2004?;- L’intégration <strong>de</strong> Joël en classe ordinaire à mi-temps, à partir <strong>de</strong> septembre2003, a-t-elle été faite en conformité avec les prescriptions <strong>de</strong> la Charte?[18] Sur la première question, il conclut que les évaluations <strong>de</strong> Joël, pour l’année2001-2002, ont été complétées en utilisant les grilles appliquées aux enfants nonatteints <strong>de</strong> handicap. En ce faisant, l'appelante a mis Joël en situation d’échec, n’a pastenu compte <strong>de</strong> son handicap et a ainsi contrevenu à la Charte québécoise. Si laréussite <strong>de</strong>s apprentissages <strong>scolaire</strong>s que l’on recherche chez l’ensemble <strong>de</strong>s élèvesest imposée à un élève handicapé comme condition préalable à son intégration enclasse ordinaire, une telle intégration est vouée à l’insuccès.[19] Par ailleurs, le Tribunal est d’avis que l'appelante n’a proposé aucunaccommo<strong>de</strong>ment raisonnable alors qu’elle <strong>de</strong>vait favoriser l’intégration <strong>de</strong> Joël enclasse ordinaire, démarche qui constitue la norme juridique <strong>de</strong>puis les modificationsapportées à la L.I.P., en 1997. Selon le Tribunal, cette norme d’intégration, prévue àl’article 235, s’applique lorsque 1) l’évaluation <strong>de</strong>s capacités et <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong> l’enfanthandicapé démontre que cette intégration est <strong>de</strong> nature à faciliter ses apprentissages etson insertion sociale; 2) l’intégration <strong>de</strong> l’élève handicapé ne constitue pas unecontrainte excessive ou ne porte pas atteinte <strong>de</strong> façon importante aux droits <strong>de</strong>s autresélèves.3<strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne et <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la jeunesse c. <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>sPhares (T.D.P.Q.), [2005] R.J.Q. 309.


200-09-005051-047 PAGE : 7[20] Le Tribunal constate également que l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Joël, en classe, n’est pas <strong>de</strong>nature à porter atteinte aux droits <strong>de</strong>s autres élèves. L'appelante n’a pas, par ailleurs,démontré que l’intégration <strong>de</strong> Joël en classe ordinaire constituerait une contrainteexcessive au sens <strong>de</strong> l’article 235 L.I.P.[21] Le Tribunal conclut en outre que l'appelante a l’obligation <strong>de</strong> favoriserl’intégration <strong>de</strong> Joël en prenant les moyens requis. Ce n'est que dans l'éventualité oùcette intégration n'est pas possible, et qu’elle n’est pas finalement <strong>de</strong> nature à faciliterses apprentissages et son insertion sociale, une fois ces adaptations proposées etmises en place, qu’on peut alors conclure à une classe spéciale.[22] Quant à la <strong>de</strong>uxième question, le Tribunal considère inadéquate l’intégration <strong>de</strong>Joël à mi-temps en 2003-2004. Il est d’avis que l’intégration d’un enfant handicapé enclasse ordinaire ne consiste pas à l’asseoir à l’arrière <strong>de</strong> la pièce, avec unaccompagnateur, sans qu’il n’y ait ou presque d’interaction entre l’enfant, l’enseignantet les autres élèves. Il conclut qu’il ne s’agissait pas là d’une intégration réelle, aucunaccommo<strong>de</strong>ment raisonnable n'ayant été proposé.[23] En conséquence, selon le Tribunal, tant l’école L’Aquarelle que l'appelante n’ontpas appliqué les politiques <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière, adoptées en 1998 et 2002, qu’il jugecependant conformes à la Charte québécoise et aux politiques ministérielles découlant<strong>de</strong> la L.I.P.[24] Le Tribunal constate par ailleurs que les nombreux experts entendus ont exprimédiverses opinions à l’égard <strong>de</strong> la scolarisation <strong>de</strong> Joël. Selon l’aspect du développementqu’ils privilégient, leurs recommandations vont <strong>de</strong> l’intégration en classe ordinaire àtemps plein, à la classe spécialisée à temps plein, en passant par l’intégration à tempspartiel en classe ordinaire.[25] Après analyse, le Tribunal retient l’opinion <strong>de</strong> Mme Nathalie Poirier,psychologue, favorisant le développement du volet socialisation <strong>de</strong> Joël, important dansson cheminement <strong>scolaire</strong> et dans l’acquisition <strong>de</strong> son autonomie. Il s’exprime ainsi :[222] Dans le but d’offrir à Joël une appartenance qui soit la plus significativepossible à un groupe ordinaire, et en tenant compte <strong>de</strong>s expertises entendues,nous concluons donc qu’une intégration à mi-temps, en classe ordinaire, estcelle qui favorise les meilleures chances <strong>de</strong> réussite possible <strong>de</strong> Joël dans sesapprentissages académiques et dans sa socialisation et ce, dans la mesure <strong>de</strong>ses capacités.[26] Finalement, le Tribunal conclut que Mme Pelletier et M. Potvin ont droit à20 103,70 $ à titre <strong>de</strong> dommages matériels, représentant les coûts <strong>de</strong> la scolarisation<strong>de</strong> Joël <strong>de</strong> septembre 2001 à juin 2003.


200-09-005051-047 PAGE : 8[27] En outre, il condamne l'appelante à verser à Joël et ses parents 30 000 $, à titre<strong>de</strong> dommages moraux, pour les difficultés importantes vécues par ces <strong>de</strong>rniers dansleurs relations avec les différents intervenants <strong>de</strong> l’école et <strong>de</strong> l'appelante.LES QUESTIONS EN LITIGE[28] Le pourvoi soulève les questions suivantes :1. Quelle est la norme <strong>de</strong> contrôle applicable à l’appel <strong>de</strong> la décision du Tribunal<strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne?2. Le Tribunal a-t-il erré en droit en faisant <strong>de</strong> l’intégration en classe ordinaire unenorme juridique impérative d’égalité en vertu <strong>de</strong> la L.I.P. et <strong>de</strong> la Chartequébécoise?3. Le Tribunal a-t-il excédé sa compétence en statuant sur l’évaluation, leclassement et l'intégration <strong>de</strong> Joël pour les années 2003-2004 et 2004-2005?4. Le Tribunal a-t-il commis <strong>de</strong>s erreurs révisables dans son appréciation <strong>de</strong>s faitsconcernant l’évaluation, le classement et l'intégration <strong>de</strong> Joël à la lumière <strong>de</strong>sprincipes juridiques applicables?L'ANALYSE1. Quelle est la norme <strong>de</strong> contrôle applicable à l’appel <strong>de</strong> la décision duTribunal <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne?[29] L'appelante soutient que la norme <strong>de</strong> contrôle, par la Cour d’appel, d’unedécision du Tribunal se rapportant à l’appréciation <strong>de</strong>s faits est celle du caractèreraisonnable alors qu’à l’égard <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> droit, il faut appliquer la norme <strong>de</strong> ladécision correcte 4 .[30] Quant à l’intimée, elle plai<strong>de</strong> que le Tribunal est spécialisé et que la norme <strong>de</strong>contrôle est celle <strong>de</strong> la décision raisonnable, tant à l’égard <strong>de</strong> l’application <strong>de</strong>s faits quedu droit.[31] Le législateur n'a pas attribué au Tribunal une juridiction exclusive sur l’ensemble<strong>de</strong>s droits protégés par la Charte québécoise. L'intimée peut s’adresser indistinctementaux tribunaux <strong>de</strong> droit commun ou aux tribunaux spécialisés 5 .45Dhawan c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne et <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la jeunesse, J.E. 2000-1321 (C.A.).Québec (<strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne et <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la jeunesse) c. Communauté urbaine<strong>de</strong> Montréal, [2004] 1 R.C.S. 789, 798-799.


200-09-005051-047 PAGE : 9[32] Lorsque c’est le Tribunal qui entend la plainte, sa décision finale est susceptibled’appel à la Cour, sur permission, en vertu <strong>de</strong> l’article 132 <strong>de</strong> la Charte québécoise. LaCour n'est donc pas en présence d’une révision judiciaire mais bien d’un appel. Commele souligne le juge Gendreau, dans l’arrêt Coutu c. Tribunal <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne,ce droit d'appel donne ouverture à un réexamen <strong>de</strong> la décision « à partir <strong>de</strong> critèresdifférents et plus larges <strong>de</strong> ceux applicables en matière <strong>de</strong> révision judiciaire […] » 6 .[33] L’expertise du Tribunal est reconnue à l’égard <strong>de</strong> l’appréciation <strong>de</strong>s faits dans uncontexte <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> la personne. Elle ne s’étend cependant pas aux questionsgénérales <strong>de</strong> droit. La Cour suprême, dans l’arrêt Canada (P. G.) c. Mossop, s’exprimeainsi 7 :[…] L’expertise supérieure d’un tribunal <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne porte surl’appréciation <strong>de</strong>s faits et sur les décisions dans un contexte <strong>de</strong> droits <strong>de</strong> lapersonne. Cette expertise ne s’étend pas aux questions générales <strong>de</strong> droitcomme celle qui est soulevée en l’espèce. Ces questions relèvent <strong>de</strong> lacompétence <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> justice et font appel à <strong>de</strong>s concepts d’interprétation<strong>de</strong>s lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever <strong>de</strong> lacompétence <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> justice. Ces <strong>de</strong>rnières ne peuvent renoncer à ce rôleen faveur du tribunal administratif. Elles doivent donc examiner les décisions dutribunal sur <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> ce genre du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> leur justesse et non enfonction <strong>de</strong> leur caractère raisonnable.[34] La décision du Tribunal doit donc être soumise aux mêmes critères <strong>de</strong> contrôleque ceux appliqués aux décisions <strong>de</strong>s tribunaux <strong>de</strong> première instance faisant l’objetd’appel, soit l’erreur manifeste et dominante, lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> l’appréciation <strong>de</strong>s faits etla décision correcte, lorsque l’appel porte sur une question <strong>de</strong> droit. Quant auxquestions mixtes <strong>de</strong> droit et <strong>de</strong> fait, la norme peut varier selon que l’erreur découle ounon <strong>de</strong> l’application d’une norme juridique incorrecte à un ensemble <strong>de</strong> faits. La Coursuprême, dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen 8 , énonce ceci :En résumé, la conclusion <strong>de</strong> négligence que tire le juge <strong>de</strong> première instancesuppose l’application d’une norme juridique à un ensemble <strong>de</strong> faits et constituedonc une question mixte <strong>de</strong> fait et <strong>de</strong> droit. Les questions mixtes <strong>de</strong> fait et <strong>de</strong>droit s’étalent le long d’un spectre. Lorsque, par exemple, la conclusion <strong>de</strong>négligence est entachée d’une erreur imputable à l’application d’une normeincorrecte, à l’omission <strong>de</strong> tenir compte d’un élément essentiel d’un critèrejuridique ou à une autre erreur <strong>de</strong> principe semblable, une telle erreur peut êtrequalifiée d’erreur <strong>de</strong> droit et elle est contrôlée suivant la norme <strong>de</strong> la décisioncorrecte. Les cours d’appel doivent cependant faire preuve <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce avant <strong>de</strong>juger que le juge <strong>de</strong> première instance a commis une erreur <strong>de</strong> droit lorsqu’il a678[1993] R.J.Q. 2793, 2801 (C.A.).[1993] 1 R.C.S. 554, 585.Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 262.


200-09-005051-047 PAGE : 10conclu à la négligence, puisqu’il est souvent difficile <strong>de</strong> départager les questions<strong>de</strong> droit et les questions <strong>de</strong> fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions<strong>de</strong>s questions « mixtes <strong>de</strong> fait et <strong>de</strong> droit ». Si le principe juridique n’est pasfacilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte <strong>de</strong> fait et <strong>de</strong> droit »,assujettie à une norme <strong>de</strong> contrôle plus rigoureuse. Selon la règle généraleénoncée dans l’arrêt Jaegli Enterprises, précité, si la question litigieuse en appelsoulève l’interprétation <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la preuve par le juge <strong>de</strong> premièreinstance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreurmanifeste et dominante.[35] Une décision du Tribunal faisant l’objet d’un appel <strong>de</strong>vant la Cour est doncsoumise, quant aux questions <strong>de</strong> fait, <strong>de</strong> droit et mixtes <strong>de</strong> droit et <strong>de</strong> fait, aux normes<strong>de</strong> contrôle élaborées par la Cour suprême dans l’arrêt Housen 9 .2. Le Tribunal a-t-il erré en droit en faisant <strong>de</strong> l’intégration en classe ordinaireune norme juridique impérative d’égalité en vertu <strong>de</strong> la L.I.P. et <strong>de</strong> la Chartequébécoise?[36] L’appelante plai<strong>de</strong> que le Tribunal revient à la position que notre Cour a rejetéedans <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> régionale Chauveau c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> lapersonne du Québec 10 et <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> St-Jean-sur-Richelieu c. <strong>Commission</strong><strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec 11 , soit que l’intégration à une classe ordinaire estune norme juridique en vertu <strong>de</strong>s articles 234 et 235 L.I.P. Le Tribunal s’exprime ainsi :[165] En tout premier lieu, la version actuelle <strong>de</strong> la L.I.P. fait expressément <strong>de</strong>l’évaluation <strong>de</strong>s besoins et <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> chaque élève handicapé uneexigence obligatoire et préalable à la détermination <strong>de</strong>s services adaptés qui luiseront offerts.[166] En outre, à la différence du droit antérieur et en conformité avec l’évolutionrécente du droit pertinent en la matière, la loi fait expressément <strong>de</strong> l’intégration àla classe ordinaire une norme juridique, et ce à <strong>de</strong>ux conditions : 1) l’évaluationdémontre qu’elle favorise les apprentissages et l’insertion sociale <strong>de</strong> l’élève;2) les mesures d’adaptation requises à cette fin n’entraînent ni <strong>de</strong> contrainteexcessive ni d’atteinte importante aux droits <strong>de</strong>s autres élèves. Aussi, la Loioblige les commissions <strong>scolaire</strong>s à adopter et à mettre en œuvre une politique,fondée sur une approche individualisée plutôt que normative, qui privilégiel’intégration au groupe ordinaire ainsi que les services d’appui à cette intégrationet qui ne se contente plus <strong>de</strong> favoriser l’intégration dans la mesure du possible.91011Id.Chauveau c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec, [1994] R.J.Q. 1196 (C.A.).<strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> St-Jean-sur-Richelieu c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec,[1994] R.J.Q. 1227 (C.A.).


200-09-005051-047 PAGE : 11[167] Ce changement en vertu duquel l’intégration en classe ordinaire est enquelque sorte passée du statut <strong>de</strong> « moyen privilégié d’adaptation <strong>de</strong>s serviceséducatifs » à celui d’une véritable norme juridique d’application générale seconcrétise d’ailleurs plus particulièrement par l’adoption, par les <strong>Commission</strong>s<strong>scolaire</strong>s, <strong>de</strong> politiques visant à assurer une réelle mise en œuvre <strong>de</strong> cettenorme juridique. La Politique 2002, adoptée par la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>sPhares, prévoit d’ailleurs à son article 5.2 qu’elle « place l’adaptation <strong>de</strong>sservices éducatifs comme première préoccupation <strong>de</strong> toute personne intervenantauprès <strong>de</strong> l’élève handicapé ou en difficulté. »(Soulignements ajoutés)(Renvoi volontairement omis)[37] L’appelante reproche également au Tribunal son interprétation <strong>de</strong> la formuled’intégration qui l'obligerait à intégrer un élève handicapé « à l’essai » dans une classeordinaire pour vérifier si cette formule est favorable ou non aux apprentissages et àl’insertion sociale <strong>de</strong> l’élève. Le Tribunal s’exprime ainsi à ce sujet :[191] Il était pourtant du <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong> favoriser pour Joëll’intégration en classe ordinaire afin <strong>de</strong> voir comment celle-ci pouvait êtrepossible, comme l’a d’ailleurs fait la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong> Kamouraska -Rivière-du-Loup <strong>de</strong> janvier 2002 à juin 2003, en adaptant les services auxbesoins <strong>de</strong> Joël plutôt qu’en le plaçant d’emblée dans un groupe composéd’élèves présentant <strong>de</strong>s besoins particuliers.[192] La commission <strong>scolaire</strong> avait l’obligation <strong>de</strong> voir comment l’intégration <strong>de</strong>Joël pouvait se faire, en se donnant les moyens <strong>de</strong> favoriser et privilégier lanorme d’intégration, que ce soit avec le soutien d’un éducateur spécialisé, avecdu matériel didactique et une pédagogie adaptés qui tiennent compte du rythmed’apprentissage et <strong>de</strong> la spécificité <strong>de</strong>s besoins <strong>de</strong> Joël. C’est seulement si cetteintégration n’était pas possible et qu’elle n’était pas finalement <strong>de</strong> nature àfaciliter ses apprentissages et son insertion sociale, une fois ces adaptationsproposées et mises en place, qu’on pouvait alors conclure à une classe spéciale.(Soulignements ajoutés)[38] Cette interprétation ferait en sorte, selon l’appelante, d’établir une présomptionlégale en faveur <strong>de</strong> l’intégration en classe ordinaire, contrairement aux enseignements<strong>de</strong> la Cour suprême dans l’arrêt Eaton c. Conseil <strong>scolaire</strong> du comté <strong>de</strong> Brant 12 .[39] Finalement, l’appelante soutient que le Tribunal a erré en décidant que la normed’égalité était l’intégration en classe ordinaire plutôt que le respect <strong>de</strong> la dignitéhumaine <strong>de</strong> l’élève handicapé.12Eaton c. Conseil <strong>scolaire</strong> du comté <strong>de</strong> Brant, [1997] 1 R.C.S. 241.


200-09-005051-047 PAGE : 12[40] L'intimée plai<strong>de</strong>, pour sa part, que le Tribunal a rendu une décision conforme auxprincipes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Eaton 13 , en reconnaissantl’intégration comme une norme juridique et en imposant <strong>de</strong> l’envisager « avant <strong>de</strong>penser à <strong>de</strong>s services adaptés plus spécialisés pour un élève donné » 14 . Elle soutientégalement qu’il est faux <strong>de</strong> prétendre que le Tribunal a fait <strong>de</strong> l’intégration en classeordinaire une formule « à l’essai ».[41] Quant à l’évaluation <strong>de</strong> l’élève handicapé, elle doit servir à i<strong>de</strong>ntifier les mesuresd’accommo<strong>de</strong>ment et non à déterminer le classement, comme le prétend l'appelante.[42] Enfin, elle plai<strong>de</strong> qu’en matière <strong>de</strong> discrimination fondée sur la déficience, laquestion n’est pas <strong>de</strong> savoir si on a appliqué <strong>de</strong>s stéréotypes contraires à la dignitéhumaine, mais plutôt si on a tenu compte <strong>de</strong>s besoins et capacités <strong>de</strong>s individusconcernés. Il faut déterminer si un accommo<strong>de</strong>ment raisonnable a été prévu afind’éviter un traitement défavorable.[43] Depuis les arrêts Chauveau 15 et St-Jean-sur-Richelieu 16 , en 1994, la Coursuprême, en 1997, dans l'arrêt Eaton 17 , s'est penchée sur la question <strong>de</strong> l'intégration<strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s élèves handicapés. La même année, le législateur a modifié les articles234 et 235 <strong>de</strong> la L.I.P.. Par la suite, l'appelante et le ministère <strong>de</strong> l'Éducation adoptaient<strong>de</strong> nouvelles politiques relatives à l'adaptation <strong>scolaire</strong>. Il faut donc déterminer, à lalumière <strong>de</strong> l'arrêt Eaton 18 , ainsi que <strong>de</strong>s changements législatifs et <strong>de</strong> politiquegouvernementale, si les principes énoncés dans nos arrêts Chauveau 19 et St-Jean-sur-Richelieu 20 trouvent toujours application.[44] La juge Rousseau-Houle s’exprimait ainsi concernant l’interprétation à donneraux articles 234 et 235 L.I.P., en vigueur entre le 1 er juillet 1989 et le 1 er juillet 1998 21 :La Loi sur l’instruction publique, sans nier les bénéfices <strong>de</strong> l’intégration <strong>scolaire</strong><strong>de</strong>s élèves handicapés ou en difficulté, ne fixe pas cette intégration comme unobjectif à réaliser pour tous. Elle fixe plutôt comme norme l’adaptation <strong>de</strong>sservices éducatifs aux besoins <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces élèves en fonction <strong>de</strong> sesapprentissages et <strong>de</strong> son insertion sociale. À ces fins, les commissions <strong>scolaire</strong>s131415161718192021Id.Précité, note 3, paragr. [168].Chauveau c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec, précité, note 10.<strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> St-Jean-sur-Richelieu c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec,précité, note 11.Eaton c. Conseil <strong>scolaire</strong> du comté <strong>de</strong> Brant, précité, note 12.Id.Chauveau c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec, précité, note 10.<strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> St-Jean-sur-Richelieu c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec,précité, note 11.Id., 1241 et 1244.


200-09-005051-047 PAGE : 13doivent définir, pour chacun <strong>de</strong> ces élèves, <strong>de</strong>s aménagements <strong>de</strong> services quilui permettent son plein épanouissement.L’orientation suivant laquelle l’intégration <strong>scolaire</strong> doit être réalisée chaque foisque cela est possible et propre à faciliter les apprentissages et l’insertion sociale<strong>de</strong>s élèves handicapés et <strong>de</strong>s élèves en difficulté d’adaptation et d’apprentissage,sans être une norme juridique imposée par la loi, est tout <strong>de</strong> mêmeinscrite dans la formulation <strong>de</strong> l’article 235. […][…]L’intention du législateur québécois, telle qu’elle s’est graduellement manifestéeau cours <strong>de</strong>s 20 <strong>de</strong>rnières années, a été d’assurer progressivement que lesélèves handicapés soient traités selon leurs propres aptitu<strong>de</strong>s et leurs propresbesoins et non en fonction <strong>de</strong>s caractéristiques d’un groupe tout en favorisant,cependant, leur insertion sociale et, dans la mesure où le permettent leurs acquiset les programmes <strong>de</strong> cours, leur intégration en classe régulière.Ce n’est donc pas le fait que l’on adapte les services éducatifs qui est source <strong>de</strong>discrimination puisque cette adaptation constitue une condition essentielle <strong>de</strong> lapoursuite <strong>de</strong> l’égalité réelle. L’obligation d’adaptation <strong>de</strong>s services éducatifs nesaurait toutefois, à mon avis, aller jusqu’à créer en faveur <strong>de</strong>s élèves handicapésou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage un droit, en pleine égalité, àl’intégration en classe régulière.Comme je l’ai déjà mentionné, il m’apparaît qu’il résulte <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> la Loi surl’instruction publique, <strong>de</strong>s règlements sur les régimes pédagogiques, <strong>de</strong>sinstructions du ministre <strong>de</strong> l’Éducation ainsi que <strong>de</strong>s règlements et résolutions <strong>de</strong>la commission <strong>scolaire</strong> appelante que l’intégration en classe régulière <strong>de</strong>s élèveshandicapés et <strong>de</strong>s élèves en difficulté d’adaptation et d’apprentissage n’est pasun droit exclusif et absolu mais un moyen que doivent privilégier les commissions<strong>scolaire</strong>s tenues, aux termes <strong>de</strong>s articles 234 et 235 <strong>de</strong> la loi, d’adapter lesservices éducatifs aux besoins <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces élèves en fonction <strong>de</strong> sesapprentissages et <strong>de</strong> son insertion sociale.(Soulignements ajoutés)(Renvoi volontairement omis)[45] Par ailleurs, en 1997, la Cour suprême, dans l’arrêt Eaton 22 , s'est prononcée surla question <strong>de</strong> l’intégration <strong>de</strong>s enfants handicapés en classe ordinaire : elle estimequ’une telle intégration <strong>de</strong>vrait être reconnue comme une norme d’application généralemais non comme une présomption en faveur <strong>de</strong> l’enseignement intégré. L’intérêt <strong>de</strong>22Eaton c. Conseil <strong>scolaire</strong> du comté <strong>de</strong> Brant, précité, note 12.


200-09-005051-047 PAGE : 14l’enfant doit primer puisque l’intégration peut se révéler un avantage ou un far<strong>de</strong>au,selon le cas, à cause <strong>de</strong>s différences énormes existant entre les individus 23 :Il s’ensuit que la déficience, en tant que motif illicite, diffère <strong>de</strong>s autres motifsénumérés tels que la race ou le sexe parce que ces motifs ne comportentaucune différence sur le plan individuel. Par contre, quand il s’agit <strong>de</strong> déficience,il existe <strong>de</strong>s différences énormes selon l’individu et le contexte. Cela engendre,entre autres, [TRADUCTION] « le dilemme <strong>de</strong> la différence » dont parlent lesintervenants et selon lequel la ségrégation peut à la fois protéger l’égalité et yporter atteinte selon la personne concernée et le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> sa déficience. Danscertains cas, l’enseignement à l’enfance en difficulté constitue une adaptationnécessaire du courant général qui permet à certains élèves handicapés d’avoiraccès au milieu d’apprentissage dont ils ont besoin pour obtenir l’égalité <strong>de</strong>schances en éducation. L’intégration <strong>de</strong>vrait être reconnue comme la normed’application générale en raison <strong>de</strong>s avantages qu’elle procure habituellement,mais une présomption en faveur <strong>de</strong> l’enseignement intégré ne serait pas àl’avantage <strong>de</strong>s élèves qui ont besoin d’un enseignement spécial pour parvenir àcette égalité. […][…][…] Pour cette raison, l’instance décisionnelle doit en outre s’assurer que sadécision au sujet <strong>de</strong> l’arrangement approprié dans le cas d’un enfant en difficultésoit prise dans une optique subjective et orientée vers l’enfant, qui tente <strong>de</strong>rendre l’égalité significative du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’enfant par opposition à celui <strong>de</strong>sadultes qui l’entourent. Pour atteindre ce but, elle doit également s’assurer que legenre d’arrangement choisi est dans l’intérêt <strong>de</strong> l’enfant. Une instancedécisionnelle doit déterminer si le cadre intégré peut être adapté pour répondreaux besoins spéciaux d’un enfant en difficulté. Lorsque ce n’est pas possible,c’est-à-dire lorsque <strong>de</strong>s aspects du cadre intégré qui ne peuvent pasraisonnablement être modifiés empêchent <strong>de</strong> répondre aux besoins spéciaux <strong>de</strong>l’enfant, le principe <strong>de</strong> l’arrangement exigera un placement spécial à l’extérieur<strong>de</strong> ce cadre. […](Soulignements ajoutés)[46] Pour sa part, le législateur a modifié en 1997 les articles 234 et 235 <strong>de</strong> la L.I.P.,au cœur du litige. Ils sont en vigueur <strong>de</strong>puis 1998 :234. La commission <strong>scolaire</strong> doit, sous réserve <strong>de</strong>s articles 222 et 222.1, adapterles services éducatifs à l’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation oud’apprentissage selon ses besoins, d’après l’évaluation qu’elle doit faire <strong>de</strong> sescapacités selon les modalités établies en application du paragraphe 1 o du<strong>de</strong>uxième alinéa <strong>de</strong> l’article 235.23Id., 273-274, 277-278.


200-09-005051-047 PAGE : 15235. La commission <strong>scolaire</strong> adopte, après consultation du comité consultatif <strong>de</strong>sservices aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation oud’apprentissage, une politique relative à l’organisation <strong>de</strong>s services éducatifs àces élèves qui assure l’intégration harmonieuse dans une classe ou un groupeordinaire et aux autres activités <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces élèves lorsquel’évaluation <strong>de</strong> ses capacités et <strong>de</strong> ses besoins démontre que cette intégrationest <strong>de</strong> nature à faciliter ses apprentissages et son insertion sociale et qu’elle neconstitue pas une contrainte excessive ou ne porte pas atteinte <strong>de</strong> façonimportante aux droits <strong>de</strong>s autres élèves.Cette politique doit notamment prévoir :1 o les modalités d’évaluation <strong>de</strong>s élèves handicapés et <strong>de</strong>s élèves en difficultéd’adaptation ou d’apprentissage, lesquelles doivent prévoir la participation <strong>de</strong>sparents <strong>de</strong> l’élève et <strong>de</strong> l’élève lui-même, à moins qu’il en soit incapable;2 o les modalités d’intégration <strong>de</strong> ces élèves dans les classes ou groupesordinaires et aux autres activités <strong>de</strong> l’école ainsi que les services d’appui à cetteintégration et, s’il y a lieu, la pondération à faire pour déterminer le nombremaximal d’élèves par classe ou par groupe;3 o les modalités <strong>de</strong> regroupement <strong>de</strong> ces élèves dans <strong>de</strong>s écoles, <strong>de</strong>s classes ou<strong>de</strong>s groupes spécialisés;4 o les modalités d’élaboration et d’évaluation <strong>de</strong>s plans d’intervention <strong>de</strong>stinés àces élèves.Une école spécialisée visée au paragraphe 3 o du <strong>de</strong>uxième alinéa n’est pas uneécole visée par l’article 240.(Seules les modifications pertinentes au litige, apportées en 1997, sont soulignées)[47] Le 22 juin 1998, l'appelante adoptait, conformément à l’article 235 L.I.P., saPolitique relative à l’organisation <strong>de</strong>s services aux élèves handicapés et en difficultéd’adaptation et d’apprentissage. Celle-ci pose, comme principe, que l'appelante visel’intégration harmonieuse <strong>de</strong> l’élève handicapé dans une classe ou groupe ordinaire.[48] La Politique <strong>de</strong> l’adaptation <strong>scolaire</strong> du ministère <strong>de</strong> l’Éducation, en vigueur<strong>de</strong>puis 2000, énonce, pour sa part, que la norme générale est l’intégration <strong>de</strong>s élèvesdans une classe ou un groupe ordinaire, sous réserve <strong>de</strong>s conditions prévues àl’article 235 L.I.P. 24 :24Une école adaptée à tous ses élèves, Politique <strong>de</strong> l'adaptation <strong>scolaire</strong>, ministère <strong>de</strong> l'Éducation duQuébec, 1999, 99-0798.


200-09-005051-047 PAGE : 16[…] La norme générale est l’intégration <strong>de</strong>s élèves dans une classe ou un groupeordinaire en raison <strong>de</strong>s avantages que cela procure habituellement.Ainsi, dès que l’évaluation individuelle d’un élève handicapé révèle que sonintégration, partielle ou complète, en classe ordinaire est la mesure la plusprofitable pour lui en vue <strong>de</strong> maximiser ses apprentissages et son insertionsociale, la commission <strong>scolaire</strong> doit procé<strong>de</strong>r à cette intégration et offrir à l’élèveles moyens jugés nécessaires, à moins que cela ne constitue pour elle unecontrainte excessive ou ne porte atteinte <strong>de</strong> façon importante aux droits <strong>de</strong>sautres élèves.En effet, la Loi précise que la politique d’organisation <strong>de</strong>s services qu’élabore lacommission <strong>scolaire</strong> doit assurer l’intégration harmonieuse dans une classe ouun groupe ordinaire <strong>de</strong> tout élève dont l’évaluation individuelle <strong>de</strong>s capacités et<strong>de</strong>s besoins démontre qu’une telle intégration facilitera ses apprentissages etson insertion sociale. […][49] Selon la Cour, les changements législatifs n’ont pas eu pour effet <strong>de</strong> transformerla norme générale d'intégration en classe ordinaire en norme juridique impérative. Lelégislateur fait <strong>de</strong> l’intégration un but à atteindre, sous réserve <strong>de</strong> certaines conditionsprévues aux articles 234 et 235 L.I.P., dont la principale est une évaluation <strong>de</strong>s besoinset capacités <strong>de</strong> l’enfant démontrant que l’intégration est <strong>de</strong> nature à faciliter sesapprentissages et son intégration sociale. En fait, le législateur place l’intérêt <strong>de</strong> l’enfantau cœur <strong>de</strong> la démarche.[50] En outre, les articles 234 et 235 <strong>de</strong> la L.I.P. ainsi que la politique du ministère <strong>de</strong>l’Éducation et celle <strong>de</strong> l'appelante respectent les enseignements <strong>de</strong> la Cour suprêmedans l’arrêt Eaton 25 . L’intégration d’un enfant handicapé dans une classe ordinaireconstitue une norme d’application générale, mais non une présomption. L’arrangementchoisi (classe ordinaire ou classe spéciale) doit être dans l’intérêt <strong>de</strong> l’enfant.[51] Transformer la norme d’application générale qu’est l’intégration en classeordinaire en norme juridique impérative, revient à établir une présomption selon laquellecette intégration sert le meilleur intérêt <strong>de</strong> l’enfant, à moins d’une preuve contraire. Cen’est pas là le but visé par la Charte québécoise et la L.I.P.[52] En imposant une telle présomption, le Tribunal a d’ailleurs erré en décidant quel’intégration <strong>de</strong> Joël <strong>de</strong>vait effectivement être tentée avant <strong>de</strong> conclure qu’il sera orientéen classe spéciale 26 .2526Eaton c. Conseil <strong>scolaire</strong> du comté <strong>de</strong> Brant, précité, note 12.Précité, note 3, paragr. [192], cité au paragr. [37] <strong>de</strong> l'arrêt.


200-09-005051-047 PAGE : 17[53] Les principes énoncés dans les arrêts Chauveau et St-Jean-sur-Richelieus’appliquent donc encore en gran<strong>de</strong> partie, sauf quant à la norme d’égalité garantie parl’article 40 <strong>de</strong> la Charte québécoise, élaborée dans l’arrêt Chauveau <strong>de</strong> la façonsuivante 27 :La reconnaissance, en pleine égalité, du droit à l’instruction publique gratuitegaranti par l’article 40 <strong>de</strong> la charte doit être examinée dans ce contexte. Lanorme d’égalité garantie à l’égard <strong>de</strong>s élèves handicapés ne saurait donc êtrel’intégration en classe ordinaire, mais plutôt l’adaptation <strong>de</strong>s services éducatifsdans le cadre <strong>de</strong>s modalités d’adaptation prévues, soit l’intégration en classeordinaire et le regroupement en classe ou école spécialisée.(Soulignements ajoutés)[54] Les modifications apportées aux articles 234 et 235 L.I.P. indiquent que lelégislateur privilégie maintenant l’intégration en classe ordinaire, mais à certainesconditions.[55] Le Tribunal a erré en statuant que l’intégration en classe ordinaire est une normejuridique impérative, le but <strong>de</strong> l'évaluation d'un enfant handicapé n'étant pas <strong>de</strong>déterminer comment l'intégrer en classe ordinaire, mais plutôt <strong>de</strong> déterminer si unepareille intégration rejoint son meilleur intérêt.[56] La Cour est d'avis que pour prendre une telle décision d'une manière quirespecte les dispositions <strong>de</strong> la L.I.P., la Charte québécoise et les enseignements <strong>de</strong> laCour suprême, une commission <strong>scolaire</strong> comme l'appelante doit suivre les étapessuivantes :i. L’enfant doit subir une évaluation dont le but est <strong>de</strong> déterminer ses besoins etl’étendue <strong>de</strong> ses capacités. Cette évaluation doit être subjective, c'est-à-direadaptée au handicap et à la personne même <strong>de</strong> l’enfant pour qu’il en découle unvéritable portrait dépeignant ses forces, mais également ses faiblesses. Il est ànoter que cette évaluation personnalisée doit porter autant sur les capacités<strong>scolaire</strong>s que sociales <strong>de</strong> l’élève;ii.Une fois ce portrait <strong>de</strong> l’enfant établi, la commission <strong>scolaire</strong> doit se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r,dans la mesure <strong>de</strong>s forces et <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> l’enfant, si ses apprentissages ouencore son insertion sociale seraient facilités dans une classe ordinaire. À cetteétape, elle doit élaborer un plan d'intervention envisageant toutes les adaptationsraisonnables pouvant permettre une intégration <strong>de</strong> l’enfant en classe ordinaire,toujours dans le but que l’intégration profite à son intérêt. Ainsi, la règle généraled’intégration est respectée, l’intégration étant recherchée dans les limites <strong>de</strong>l’intérêt <strong>de</strong> l’enfant;27Chauveau c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec, précité, note 10, 1245.


200-09-005051-047 PAGE : 18iii. La commission <strong>scolaire</strong> peut alors en venir à <strong>de</strong>ux conclusions :a) La première est que malgré les adaptations nécessaires, l’évaluation n’a pasdémontré qu’il était dans l’intérêt <strong>de</strong> l’enfant <strong>de</strong> l’intégrer en classe ordinaire.Dans ce cas, l’enfant sera orienté vers une classe spécialisée. Il <strong>de</strong>vra joindre ungroupe ordinaire pour certaines activités, s’il y va <strong>de</strong> son intérêt;b) La secon<strong>de</strong> est que les apprentissages et le développement social <strong>de</strong> l’enfantseront facilités, en classe ordinaire, grâce aux adaptations envisagées. Dans cecas, la commission <strong>scolaire</strong> aura l’obligation d’intégrer l’enfant en classeordinaire soit à plein temps, soit à temps partiel, en lui fournissant lesadaptations dont il a besoin, sous réserve <strong>de</strong> ce qui suit. Si la commission<strong>scolaire</strong> démontre que les adaptations nécessaires à l’intégration <strong>de</strong> l’élève dansune classe ordinaire lui causent une contrainte déraisonnable ou encore portentatteinte <strong>de</strong> façon importante à l’intérêt <strong>de</strong>s autres enfants, elle pourra alors placerl’enfant en classe spécialisée à plein temps.[57] Ainsi, l’intérêt <strong>de</strong> l’enfant <strong>de</strong>meure le point central <strong>de</strong> l’analyse et l’intégration, lanorme générale, celle-ci ne se faisant que lorsque l’intérêt <strong>de</strong> l’enfant le comman<strong>de</strong> etqu’elle ne crée <strong>de</strong> contrainte déraisonnable ni pour l’établissement <strong>scolaire</strong> ni pour lesautres élèves.[58] Par ailleurs, l'appelante plai<strong>de</strong> que la norme d’égalité, en matière <strong>de</strong> serviceséducatifs aux élèves handicapés, n’est pas l’intégration en classe ordinaire mais bien lerespect <strong>de</strong> la dignité humaine <strong>de</strong> cet élève. Elle soutient que pour qu’il y aitdiscrimination au sens <strong>de</strong> l’article 10 <strong>de</strong> la Charte québécoise, il doit y avoir une preuved’atteinte à la dignité humaine.[59] Bien qu'il soit vrai que l'article 10 <strong>de</strong> la Charte québécoise doive s'interpréter à lalumière <strong>de</strong> l'interprétation donnée à l'article 15 <strong>de</strong> la Charte canadienne <strong>de</strong>s droits etlibertés 28 (Charte canadienne), selon laquelle une différence <strong>de</strong> traitement ne constituevraisemblablement pas <strong>de</strong> la discrimination si elle ne viole pas la dignité humaine ou laliberté d’une personne ou d’un groupe 29 , la prétention <strong>de</strong> l'appelante n'est pas fondée.[60] La Cour suprême, dans l’arrêt Law c. Canada (ministre <strong>de</strong> l’Emploi et <strong>de</strong>l’Immigration) 30 , a clarifié l’interprétation qu’il faut donner à l’article 15 <strong>de</strong> la Chartecanadienne. Elle indique qu’une différence <strong>de</strong> traitement ne constituevraisemblablement pas <strong>de</strong> la discrimination si elle ne viole pas la dignité humaine ou laliberté d’une personne ou d’un groupe.282930Partie 1 <strong>de</strong> la Loi constitutionnelle <strong>de</strong> 1982 [annexe B <strong>de</strong> la Loi <strong>de</strong> 1982 sur le Canada (1982 R.-U.,c. 11)]; Québec (C.D.P.D.J.) c. Montréal (Ville <strong>de</strong>), [2000] 1 R.C.S. 665, au paragr. [42].Miron c. Tru<strong>de</strong>l, [1995] 2 R.C.S. 418, Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, Thibau<strong>de</strong>au c. Canada[1995] 2 R.C.S. 627, Law c. Canada (ministre <strong>de</strong> l’Emploi et <strong>de</strong> l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497,529.Law c. Canada (ministre <strong>de</strong> l'Emploi et <strong>de</strong> l'Immigration), précité, note 28, 529.


200-09-005051-047 PAGE : 19[61] Dans l’arrêt Eaton 31 , traitant <strong>de</strong> l’intégration en classe ordinaire d’une enfantatteinte <strong>de</strong> déficiences physiques, la Cour suprême n’a cependant pas requis la preuved’une atteinte à la dignité humaine. Le juge Sopinka fut d’avis que, lorsque la déficienceengendre la discrimination, « c’est la reconnaissance <strong>de</strong>s caractéristiques réelles, etl’adaptation raisonnable à celles-ci, qui constituent l’objectif principal du paragraphe15(1) […] » <strong>de</strong> la Charte canadienne.[62] Quoique antérieur à l’arrêt Law 32 , l’arrêt Eaton 33 est postérieur aux arrêts Mironc. Tru<strong>de</strong>l 34 , Egan c. Canada 35 et Thibau<strong>de</strong>au c. Canada 36 , dans lesquels la Coursuprême a traité <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> démontrer une atteinte à la dignité humainelorsqu’on invoque la discrimination au sens au sens <strong>de</strong> l’article 15 <strong>de</strong> la Chartecanadienne. C’est à la lumière <strong>de</strong> ces arrêts qu’elle distingue la discrimination fondéesur la déficience <strong>de</strong>s autres types <strong>de</strong> discrimination.[63] De plus, l’article 15 <strong>de</strong> la Charte canadienne est une norme constitutionnelled’égalité. Elle est conçue pour contester les actions du gouvernement et <strong>de</strong>slégislateurs. La norme d’égalité prévue à l'article 10 <strong>de</strong> la Charte québécoise doitcependant être qualifiée <strong>de</strong> quasiconstitutionnelle. Elle régit principalement les rapportsprivés 37 , l’article 4 <strong>de</strong> la Charte québécoise protégeant <strong>de</strong> façon distincte les atteintes àla dignité humaine.[64] Il peut arriver qu'il soit nécessaire <strong>de</strong> prouver une atteinte à la dignité humainelorsque l'article 10 <strong>de</strong> la Charte québécoise est invoqué à l’encontre <strong>de</strong> normeslégislatives ou réglementaires 38 . Afin <strong>de</strong> déterminer s’il y a discrimination ou non envertu <strong>de</strong> cette Charte, il peut donc être fort utile d’utiliser la notion d’égalité réelleélaborée par la Cour suprême, « en en extirpant le critère <strong>de</strong> l’atteinte à la dignitéréservé chez nous à l'article 4 <strong>de</strong> la Charte québécoise » 39 . L’égalité réelle « prendacte <strong>de</strong> ce que le même traitement pour tous (ou égalité formelle) ne permet pasnécessairement d’atteindre la véritable égalité » 40 .[65] En considérant que l’objectif <strong>de</strong>s Chartes est <strong>de</strong> parvenir à une égalité réelle, ilpeut être essentiel que la preuve d’une atteinte à la dignité soit apportée pour conclureà la discrimination lorsque <strong>de</strong>s normes législatives ou réglementaires sont contestéesen vertu <strong>de</strong> la Charte québécoise, comme ce fut le cas dans l’arrêt Québec (Procureur31323334353637383940Eaton c. Conseil <strong>scolaire</strong> du comté <strong>de</strong> Brant, précité, note 12.Law c. Canada (ministre <strong>de</strong> l'Emploi et <strong>de</strong> l'Immigration), précité, note 28.Eaton c. Conseil <strong>scolaire</strong> du comté <strong>de</strong> Brant, précité, note 12.[1995] 2 R.C.S. 418.[1995] 2 R.C.S. 513.[1995] 2 R.C.S. 627.Daniel PROULX, Le concept <strong>de</strong> dignité et son usage en contexte <strong>de</strong> discrimination : <strong>de</strong>ux Chartes,<strong>de</strong>ux modèles, Numéro spécial <strong>de</strong> la Revue du Barreau, mars 2003, 485, p. 521.Id., 533.Id., 535.Id.


200-09-005051-047 PAGE : 20général) c. Lambert 41 . Par contre, si la plainte <strong>de</strong> discrimination vise une décision priseen application d’une législation ou <strong>de</strong> politiques conformes à la Charte québécoise, il nesera pas nécessaire <strong>de</strong> faire cette démonstration.[66] En l’espèce, la plainte <strong>de</strong> discrimination, en vertu <strong>de</strong> l’article 10 <strong>de</strong> la Chartequébécoise, ne vise aucunement une mesure législative ni une politiquegouvernementale. Au contraire, le Tribunal et les parties reconnaissent que les articles234 et 235 L.I.P., <strong>de</strong> même que la politique du ministère <strong>de</strong> l’Éducation et celle <strong>de</strong>l'appelante, sont conformes à la Charte québécoise. La plainte conteste l’applicationfaite par l'appelante <strong>de</strong> la L.I.P. et <strong>de</strong>s politiques. On lui reproche le fait que Joël n’aitpas bénéficié d’une évaluation adéquate et <strong>de</strong> mesures d’accommo<strong>de</strong>ment afin <strong>de</strong>permettre son intégration en classe ordinaire, si cela est dans son intérêt. Le Tribunalpouvait donc conclure à <strong>de</strong> la discrimination au sens <strong>de</strong> l’article 10 <strong>de</strong> la Chartequébécoise sans qu’il soit nécessaire <strong>de</strong> faire la preuve d’une atteinte à la dignité.3. Le Tribunal a-t-il excédé sa compétence en statuant sur l’évaluation, leclassement et l'intégration <strong>de</strong> Joël pour les années 2003-2004 et 2004-2005?[67] L'appelante soutient que le Tribunal a excédé sa compétence en statuant surl’évaluation et le classement <strong>de</strong> Joël pour les années 2003-2004 et 2004-2005. En effet,la plainte et la requête introductive d’instance ne portent que sur les faits survenus en2001.[68] L'intimée n’abor<strong>de</strong> pas cette question dans son exposé.[69] Le Tribunal pose ainsi les questions à trancher :[183] Plusieurs pério<strong>de</strong>s sont ici à regar<strong>de</strong>r. Le Tribunal doit trancher les <strong>de</strong>uxquestions suivantes :- Les évaluations et le classement <strong>de</strong> Joël ont-ils été faits en conformité avecles prescriptions <strong>de</strong> la Charte et ce, d’avril 2001 à octobre 2001 et <strong>de</strong>septembre 2003 à juin 2004?;- L’intégration <strong>de</strong> Joël en classe ordinaire à mi-temps, à partir <strong>de</strong> septembre2003, a-t-elle été faite en conformité avec les prescriptions <strong>de</strong> la Charte?[70] Par la nature même du problème soumis au Tribunal, ce <strong>de</strong>rnier ne pouvaitlimiter son analyse à l'année 2001. En effet, le Tribunal traite <strong>de</strong> questions connexes. Ilabor<strong>de</strong> d'abord l'évaluation et le classement <strong>de</strong> Joël pour ensuite analyser la question<strong>de</strong> l'intégration en classe ordinaire. Ces questions sont liées. En fait, l'évaluation et leclassement sont <strong>de</strong>s étapes préalables à l'intégration.41[2002] R.J.Q. 599 (C.A.).


200-09-005051-047 PAGE : 21[71] D'ailleurs, les parties l'ont bien compris. L'appelante, dans sa contestationamendée du 20 avril 2004, traite abondamment <strong>de</strong>s faits postérieurs à 2001 et, plusparticulièrement, <strong>de</strong> l'année <strong>scolaire</strong> 2003-2004. Lors <strong>de</strong> l'audience, elle fait entendreplusieurs témoins experts dont les opinions portent sur <strong>de</strong>s faits constatés en 2003 et2004.[72] Pour sa part, l'intimée amen<strong>de</strong> également sa requête introductive d'instance le19 avril 2004. Parmi les conclusions <strong>de</strong>mandées, on retrouve celles-ci :ORDONNER à la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares, prenant en considérationles besoins et l'intérêt <strong>de</strong> Joël Potvin :a) <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une évaluation <strong>de</strong> Joël Potvin en adaptant les normesd'évaluation et <strong>de</strong> classement pour tenir compte <strong>de</strong> son handicap;b) d'élaborer un plan […] d'intervention afin que Joël Potvin […] reçoiveles services éducatifs conformes à ses besoins et son intérêt, et quedans ce contexte il soit intégré, le cas échéant, à une classe ordinaire<strong>de</strong> son école <strong>de</strong> quartier, cette <strong>de</strong>rnière option étant à privilégier.Le tout dans un délai <strong>de</strong> 60 jours du <strong>jugement</strong> à intervenir.[73] Cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> vise l'évaluation <strong>de</strong> Joël et l'élaboration d'un plan d'intervention àêtre réalisées dans les 60 jours du <strong>jugement</strong> à intervenir. Elle ne se limite donc pas àl'année 2001.[74] Par ailleurs, la requête introductive d'instance est à nouveau amendée le 24 août2004, à l'audience <strong>de</strong>vant le Tribunal. Il s'agit d'une précision à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>d'ordonnance amendée en avril 2004 :ORDONNER à la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares, prenant en considérationles besoins et l'intérêt <strong>de</strong> Joël Potvin :a) <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une évaluation <strong>de</strong> Joël Potvin en adaptant les normesd'évaluation et <strong>de</strong> classement pour tenir compte <strong>de</strong> son handicap;b) d'élaborer un plan […] d'intervention afin que Joël Potvin […] reçoive lesservices éducatifs conformes à ses besoins et son intérêt, et que dans cecontexte il soit intégré, le cas échéant, à une classe ordinaire <strong>de</strong> sonécole <strong>de</strong> quartier, cette <strong>de</strong>rnière option étant à privilégier.Pour ce faire, il est suggéré <strong>de</strong> faciliter et <strong>de</strong> privilégier l'intégration <strong>de</strong> Joëlen classe régulière :


200-09-005051-047 PAGE : 22i) En procédant à l'adaptation du matériel pédagogique pourson intégration en classe régulière, en prenant enconsidération les différents moyens proposés par lesspécialistes;ii)En offrant une formation au professeur <strong>de</strong> la classe régulière,tant sur l'intégration <strong>de</strong> façon générale que sur le handicap<strong>de</strong> Joël, les caractéristiques qui y sont associées et lesbesoins particuliers qu'il présente en regard <strong>de</strong> l'adaptationdu matériel pédagogique.Le tout dans un délai <strong>de</strong> 60 jours du <strong>jugement</strong> à intervenir.(Reproduction intégrale)[75] Il est difficile <strong>de</strong> concevoir que l'ordonnance <strong>de</strong>mandée, qui ne précise aucunedate, ne viserait seulement que l'année 2001-2002 puisque l'audition <strong>de</strong> cette affaire,<strong>de</strong>vant le Tribunal, a eu lieu du 16 au 20 août 2004. L'ordonnance ne pouvait doncs'appliquer avant l'année <strong>scolaire</strong> 2004-2005.[76] La Cour conclut donc <strong>de</strong>s procédures et <strong>de</strong>s faits mis en preuve par les partiesque le débat dont le Tribunal était saisi n'était nullement limité à l'année 2001, comme leprétend maintenant l'appelante.4. Le Tribunal a-t-il commis <strong>de</strong>s erreurs révisables dans son appréciation <strong>de</strong>sfaits concernant l’évaluation, le classement et l'intégration <strong>de</strong> Joël à lalumière <strong>de</strong>s principes juridiques applicables?[77] Le Tribunal, pour parvenir à sa conclusion, applique une norme erronée aux faitsen preuve. Il s’agit donc d’une question mixte <strong>de</strong> fait et <strong>de</strong> droit. Il faut, par conséquent,conformément à l'arrêt Housen 42 , examiner son appréciation <strong>de</strong>s faits en déterminantd’abord si les conclusions sont entachées « d’une erreur imputable à l’application <strong>de</strong> lanorme correcte » 43 . Dans ce cas, cette erreur pourra être qualifiée d’erreur <strong>de</strong> droit etêtre contrôlée suivant la norme <strong>de</strong> la décision correcte.[78] Comme le précise toutefois la Cour suprême, dans cet arrêt, si le principejuridique n’est pas facilement isolable et que la question litigieuse en appel soulèvel’interprétation <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la preuve par le juge <strong>de</strong> première instance, notre Courne peut intervenir qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante.4243Housen c. Nikolaisen, précité, note 8.Id.


200-09-005051-047 PAGE : 23[79] En ce qui concerne l'évaluation <strong>de</strong> Joël, l'erreur commise par le Tribunal, enfaisant <strong>de</strong> l'intégration en classe ordinaire une norme juridique impérative, n'a pasengendré d'erreur dans son appréciation <strong>de</strong>s faits à cet égard. En effet, même s’il avaitconsidéré l’intégration en classe ordinaire comme une norme générale, en suivant lestrois étapes énoncées précé<strong>de</strong>mment, plutôt que comme une norme juridiqueimpérative, cela n’aurait rien changé au type d’évaluation qui <strong>de</strong>vait être réalisée àl’égard <strong>de</strong>s besoins et <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> Joël (art. 235 L.I.P.). Par conséquent, en ce quiconcerne cette partie <strong>de</strong> la décision, il faudra déci<strong>de</strong>r si le Tribunal a commis <strong>de</strong>serreurs manifestes et dominantes sur cette question.[80] Quant à la décision du Tribunal à l'égard du classement et <strong>de</strong> l'intégration <strong>de</strong>Joël, elle touche <strong>de</strong>s questions mixtes <strong>de</strong> droit et <strong>de</strong> fait pour lesquelles le principejuridique n'est pas facilement isolable et qui soulèvent l'interprétation <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>la preuve. Notre Cour ne peut donc également intervenir qu'en présence d'une erreurmanifeste et dominante 44 .[81] En ce qui concerne les évaluations <strong>de</strong> Joël, le Tribunal conclut <strong>de</strong> la preuve quecelles réalisées au printemps 2001 l’ont été sans tenir compte que le niveau <strong>de</strong>réussite, pour ce <strong>de</strong>rnier, était différent <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s élèves non atteints <strong>de</strong> handicap. Enagissant <strong>de</strong> la sorte, il est certain que Joël se retrouvait en situation d’échec et nepouvait être intégré en classe ordinaire 45 .[82] En octobre 2000, un plan d’intervention est élaboré par Mme Liette Turcotte,l’enseignante <strong>de</strong> Joël, Mme Johanne Vignola, du CRDI, Mme France Bélanger,directrice, Mme Marie Dubé, coordonnatrice en adaptation <strong>scolaire</strong> pour l'appelante,Mme Julie Ouellet, orthopédagogue et Mme Jeannette Pelletier, la mère <strong>de</strong> Joël. Ceplan d’intervention est adapté à la situation particulière <strong>de</strong> Joël en fixant <strong>de</strong>s objectifs àatteindre et les moyens à mettre en place pour les réaliser. On constate que Joël faitl’objet <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux évaluations en cours d’année relativement à ce plan : le 20 février 2001et le 11 juin 2001.[83] De même, l’évolution <strong>de</strong> Joël est consignée dans son bulletin <strong>scolaire</strong> par sonenseignante, Mme Turcotte. Il s’agit du même bulletin que celui utilisé pour les autresélèves. Mme Turcotte précise cependant qu’elle a tenu compte <strong>de</strong> la situationparticulière <strong>de</strong> Joël. Il ressort toutefois <strong>de</strong> la preuve que les objectifs <strong>de</strong> ce bulletin sontceux du programme régulier du pré<strong>scolaire</strong>. Le 15 juin 2001, à la <strong>de</strong>rnière étape,Mme Turcotte et la directrice, Mme Bélanger, ont recommandé un classementspécialisé à l’école L’Aquarelle.[84] Finalement, le 17 avril 2001, soit <strong>de</strong>ux jours avant la décision du Comitépédagogique, datée du 19 avril 2001, <strong>de</strong>ux rapports ont été produits.4445Dhawan c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne et <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la jeunesse, précité, note 4, 262-263.Précité, note 3, paragr. [185] à [189].


200-09-005051-047 PAGE : 24[85] Le premier rapport, préparé par Mme Julie Ouellet, fait une synthèse <strong>de</strong>l’évaluation et <strong>de</strong>s observations concernant Joël, à l’égard <strong>de</strong> la conscience <strong>de</strong> l’écritainsi que <strong>de</strong> l’éveil logico-mathématique. Mme Ouellet conclut ainsi : « En résumé : lesoutils utilisés nous montrent que Joël est insuffisamment préparé aux apprentissagesproposés en première année ».[86] L’autre rapport, intitulé Grille synthèse <strong>de</strong>s compétences acquises facilitant lepassage du pré<strong>scolaire</strong> au primaire, est rédigé par Mme Ouellet et Mme Turcotte. Cettegrille synthèse vise l’évaluation d’enfants ne souffrant pas d’un handicap intellectuel,comme Joël. Bien que Mme Turcotte affirme que cet instrument d’évaluation n’estutilisé que pour les élèves en difficulté, il n’est pas conçu pour les enfants souffrantd’une déficience intellectuelle. Joël a donc été évalué par rapport aux compétences quedoivent possé<strong>de</strong>r les enfants ne souffrant pas <strong>de</strong> handicap, pour passer du pré<strong>scolaire</strong>au <strong>scolaire</strong>.[87] Le Tribunal n’a commis aucune erreur manifeste et dominante relativement à saconclusion concernant les évaluations <strong>de</strong> Joël, ce <strong>de</strong>rnier n'ayant pas bénéficié d'uneévaluation personnalisée, c'est-à-dire d'une évaluation centrée sur lui, déterminant sesacquis et ses capacités, dressant <strong>de</strong>s objectifs adaptés à ses besoins permettantd'élaborer un programme <strong>scolaire</strong> personnalisé et indépendant <strong>de</strong>s objectifs <strong>scolaire</strong>scommuns aux enfants non-handicapés. Se servir <strong>de</strong>s grilles et <strong>de</strong>s bulletins existantsconçus en fonction <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers ou encore d'enfants en difficulté d'apprentissageconstitue en soi une erreur. L'évaluation <strong>de</strong> Joël <strong>de</strong>vait être faite à partir <strong>de</strong> critèresélaborés pour lui en fonction <strong>de</strong> ses acquis et <strong>de</strong> ses capacités.[88] En ce qui concerne le classement <strong>de</strong> Joël en classe spécialisée, pour l’année2001-2002, le Tribunal aurait dû examiner la décision <strong>de</strong> l'appelante en considérant quel’intégration d’un enfant handicapé en classe ordinaire est un but à atteindre, une normegénérale, mais non une norme juridique impérative. Il <strong>de</strong>vait <strong>de</strong> plus réviser la décision<strong>de</strong> l'appelante en vérifiant si elle est raisonnable et non en y substituant une décisionqu’elle croit plus appropriée 46 . En effet, cette <strong>de</strong>rnière est la mieux placée pour déci<strong>de</strong>r,en première ligne, du classement d’un enfant, dans son meilleur intérêt, en respectantles différentes étapes prévues à l’article 235 L.I.P.[89] En l’espèce, il ressort <strong>de</strong> la preuve, comme le constate le Tribunal, qu’aucunemesure d’accommo<strong>de</strong>ment n’a été envisagée pour déterminer si, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> tellesmesures, Joël pouvait, dans son meilleur intérêt, être intégré à une classe ordinaire.Les parents <strong>de</strong> Joël, aidés par le CRDI, ont d’ailleurs offert <strong>de</strong> payer uneaccompagnatrice spécialisée pour intégrer Joël en classe ordinaire. Or, l'appelante arefusé cette proposition afin <strong>de</strong> ne pas créer <strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nt.[90] L'appelante <strong>de</strong>vait, avant <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r du classement <strong>de</strong> Joël, envisager <strong>de</strong>smesures d’accommo<strong>de</strong>ment qui auraient pu permettre qu’il soit intégré en classeordinaire. L’omission <strong>de</strong> respecter cette étape essentielle dans le processus décisionnel46Chauveau c. <strong>Commission</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne du Québec, précité, note 10, 1210.


200-09-005051-047 PAGE : 25menant au classement invali<strong>de</strong> la décision <strong>de</strong> l'appelante, telle que révisée le19 novembre 2001.[91] Il faut toutefois noter que le Comité <strong>de</strong> révision était favorable à une certaineintégration <strong>de</strong> Joël en classe ordinaire, pour quelques activités ou matières <strong>scolaire</strong>s. Ila cependant confirmé, dans sa conclusion, la décision du 19 avril 2001 d’intégrer Joëlen classe spécialisée, sans examiner les mesures d’accommo<strong>de</strong>ment qui auraient pupermettre <strong>de</strong> l’intégrer en classe ordinaire.[92] Le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur susceptible d’être révisée par la Couren décidant que le classement Joël en classe spécialisée, en 2001, était discriminatoire.[93] L'appelante n'a pas davantage démontré que le Tribunal a erré <strong>de</strong> façonmanifeste et dominante dans l'appréciation <strong>de</strong>s faits en concluant que l'intégration <strong>de</strong>Joël en classe ordinaire lors <strong>de</strong>s années 2003-2004 et 2004-2005 s'est déroulée <strong>de</strong>façon discriminatoire.[94] Le Tribunal conclut que même si formellement en 2003-2004 Joël a profité dumême type d'intégration que celle dont il a bénéficié à Rivière-du-Loup, dans les faits,ce n'est pas le cas. Selon le Tribunal, l'intégration d'un enfant handicapé ne consistepas simplement, comme ce fut le cas en l'espèce, à l'asseoir à l'arrière d'une classeordinaire, avec un accompagnateur, sans qu'il n'y ait, ou presque, d'interaction avecl'enseignant responsable <strong>de</strong> la classe ou les autres enfants. De l'avis du Tribunal, il n'ya eu aucune intégration <strong>de</strong> Joël puisqu'il formait, avec son accompagnateur, un sousgroupeau sein <strong>de</strong> la classe.[95] Par ailleurs, l'enseignante responsable <strong>de</strong> la classe ordinaire n'a reçu aucuneformation spécifique la préparant à intégrer Joël à son groupe. On ne lui a communiquéaucune information sur la façon dont l'intégration s'était réalisée <strong>de</strong> manièreharmonieuse, l'année précé<strong>de</strong>nte, à Rivière-du-Loup.[96] Le Tribunal constate également qu'il n'y a eu aucune adaptation du programmed'enseignement et du matériel pédagogique en fonction du handicap que présente Joël.[97] Finalement, le bulletin <strong>scolaire</strong> pour l'année 2003-2004 ne fait nullement état dufonctionnement et <strong>de</strong> l'évolution <strong>de</strong> Joël en classe ordinaire. Le nom <strong>de</strong> sonenseignante, dans cette classe, n'y apparaît même pas.[98] Pour l'année 2004-2005, le Tribunal conclut <strong>de</strong> la preuve qu'aucune mesured'accommo<strong>de</strong>ment raisonnable du programme <strong>scolaire</strong> n'a été envisagée en fonctiondu handicap <strong>de</strong> Joël dans la décision <strong>de</strong> l'orienter dans une classe spécialisée.[99] L'intégration <strong>de</strong> Joël en classe ordinaire pour les années <strong>scolaire</strong>s 2003 à 2005était donc discriminatoire pour <strong>de</strong>ux raisons. La première, comme le conclut le Tribunal,tient au fait que même si Joël était placé physiquement dans une classe ordinaire, il n'aen aucun temps bénéficié d'une intégration réelle. La secon<strong>de</strong> est qu'en l'absence d'uneévaluation personnalisée qui seule aurait permis <strong>de</strong> déterminer le meilleur intérêt <strong>de</strong>l'enfant, les décisions relatives à son classement et à son intégration <strong>de</strong>venaientdiscriminatoires, aucune d'entre elles ne pouvant être prise dans son meilleur intérêt.


200-09-005051-047 PAGE : 26CONCLUSION[100] En conclusion, bien que le Tribunal ait erré en droit en faisant <strong>de</strong> la normed'intégration à privilégier une norme juridique impérative, la Cour ne voit aucune erreur<strong>de</strong> sa part dans l'appréciation <strong>de</strong>s faits. Joël n'a pas été évalué en fonction <strong>de</strong> seshabiletés et <strong>de</strong> ses besoins propres. Il en découle que l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s moyensd'accommo<strong>de</strong>ment n'a pu être adéquate et qu'il est impossible <strong>de</strong> dire si la décisionrelative au classement <strong>de</strong> Joël reflétait son meilleur intérêt, ce <strong>de</strong>rnier n'ayant pas étédéterminé. Le Tribunal n'a pas non plus erré en concluant que l'intégration <strong>de</strong> Joël étaitdiscriminatoire, puisqu'il a été placé dans une classe ordinaire sans être réellementintégré au groupe.[101] Par contre, la Cour estime que le Tribunal erre lorsqu'il ordonne l'intégration <strong>de</strong>Joël en classe ordinaire. Cette <strong>de</strong>rnière ne pourra se faire que si les conditions <strong>de</strong>l'article 235 L.I.P. sont remplies, c'est-à-dire si l'évaluation <strong>de</strong> Joël, une fois tous lesaccommo<strong>de</strong>ments raisonnables nécessaires envisagés, démontre qu'il est dans sonintérêt <strong>de</strong> poursuivre sa scolarité dans une classe ordinaire. Le Tribunal ne pouvaitdonc ordonner l'intégration <strong>de</strong> Joël sans que l'appelante n'ait d'abord procédé à sonévaluation personnalisée. Par conséquent, il ne pouvait prononcer l'ordonnance prévueau paragraphe [243] <strong>de</strong> son <strong>jugement</strong>.[102] Puisque l'intégration en classe ordinaire ne constitue pas une norme juridiqueimpérative, le Tribunal ne pouvait non plus prononcer l'ordonnance prévue auparagraphe [244] <strong>de</strong> son <strong>jugement</strong>.POUR CES MOTIFS :[103] ACCUEILLE le pourvoi en partie, sans frais, aux seules fins <strong>de</strong> :- remplacer le paragraphe [243] par le suivant :[243] ORDONNE à la <strong>Commission</strong> <strong>scolaire</strong> <strong>de</strong>s Phares, prenant enconsidération les capacités et les besoins <strong>de</strong> Joël Potvin :a) De procé<strong>de</strong>r à une évaluation personnalisée <strong>de</strong> Joël Potvin dans lebut <strong>de</strong> déterminer ses besoins ainsi que l'étendue <strong>de</strong> ses capacités<strong>scolaire</strong>s et sociales, en adaptant les normes d'évaluation et <strong>de</strong>classement pour tenir compte <strong>de</strong> son handicap;b) D'élaborer un plan d'intervention envisageant toutes lesadaptations raisonnables pouvant permettre l'intégration <strong>de</strong> Joël enclasse ordinaire, le plus près possible <strong>de</strong> sa rési<strong>de</strong>nce;c) De déterminer, à la lumière <strong>de</strong> l'évaluation et du plan d'intervention,si l'intégration <strong>de</strong> Joël Potvin en classe ordinaire rejoint son meilleurintérêt;- et biffer le paragraphe [244];


200-09-005051-047 PAGE : 27[104] DÉCLARE que l'appelante doit exécuter l'ordonnance prévue au paragraphe[243] du <strong>jugement</strong> du Tribunal <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la personne sous l'éclairage <strong>de</strong>s règlesélaborées au paragraphe [56] du présent arrêt.RENÉ DUSSAULT J.C.A.BENOÎT MORIN J.C.A.M e Jean-Clau<strong>de</strong> GirardM e Ghislain OtisPothier, DelisleAvocats <strong>de</strong> l’appelanteM e Isabelle HudonTremblay, Bois, MignaultAvocats-conseils <strong>de</strong> l’appelanteM e Athanassia BitzakidisAvocate <strong>de</strong> l’intiméeDate d’audience : 31 mai 2005JULIE DUTIL J.C.A.

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