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Le ravage - entre angoisse et jouissance (C.Vankerkhoven).

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<strong>Le</strong> <strong>ravage</strong> : <strong>entre</strong> <strong>angoisse</strong> <strong>et</strong> <strong>jouissance</strong>…Ravage, avant d’avoir été pointé par Lacan, est un terme couramment utilisé. Son étymon latin rapererenvoie à enlever de force mais aussi à transporter d’admiration, de joie. <strong>Le</strong> Bloch <strong>et</strong> Von Wartburgpropose, au plus concr<strong>et</strong>, pour <strong>ravage</strong> : dommages faits avec violence <strong>et</strong> rapidité pouvant, <strong>entre</strong> autres,être accomplis par les eaux ,les tempêtes, les maladies <strong>et</strong> au sens métaphorique désordres que lespassions causent. Sa première occurrence (chez Ag. d’Aubigné) renvoie à l’action de piller.<strong>Le</strong> ravissement <strong>et</strong> l’extase, certes mais surtout la destruction, le ravinement, le rapt, la dévastation <strong>et</strong>l’engloutissement. Toutes ces variations renvoient à la violence <strong>et</strong> au dégât. Dans le champ de lapsychanalyse, ces images se déportent sur une certaine relation mère-fille. Lien marqué autant par lahaine <strong>et</strong> le conflit que par un amour pathétique <strong>et</strong>/ou dramatisé.Ma mère mon amour, son incroyable dégaine (…) elle nous fait honte, elle me f ait honte dans la ruedevant le lycée, (…) elle, elle s’aperçoit de rien, jamais, elle est à enfermer, à battre, à tuer. Elle meregarde, elle dit : peut-être que toi tu vas t’en tirer. De jour <strong>et</strong> de nuit, l’idée fixe. Ce n’est pas qu’ilfaut arriver à quelque chose, c’est qu’il faut sortir de là on l’on est 1Mais que recouvre <strong>ravage</strong> ? Partons alors du passage suivant de l’Etourdit : L’élucubration freudiennedu complexe d’Œdipe qui y fait femme poisson dans l’eau de ce que la castration soit chez elle dedépart (Freud « dixit ») contraste douloureusement avec le fait du <strong>ravage</strong> qu’est chez la femme, pourla plupart, le rapport à sa mère, d’où elle semble bien attendre comme femme plus de subsistance quede son père – ce qui ne vas pas avec lui étant second, dans ce <strong>ravage</strong> 2 .Qu’est-ce qui motive la condamnation de Lacan vis-à-vis du père de la psychanalyse ? La femme estellepoisson dans l’eau ?Au fur <strong>et</strong> à mesure de son élaboration théorique, Freud va de plus en plus se heurter chez ses patientesau lien exclusif à la mère, lien intense <strong>et</strong> passionné dont la durée avait été fortement sous-estimée 3 . Nesoupçonne d’ailleurs t-il pas dans c<strong>et</strong>te dépendance vis-à-vis de la mère le germe de la paranoïaultérieure de la femme. (…) l’<strong>angoisse</strong> d’être assassinée (dévorée ?) par la mère, <strong>angoisse</strong>surprenante mais que l’on trouve régulièrement. On veut dévorer la mère de laquelle on s’est nourri 4 .Persistance de c<strong>et</strong>te relation-catastrophe, attachement qui se termine en haine… expressions fortes quel’on trouve dans La sexualité féminine, la Féminité <strong>et</strong> autres textes datant des années 1925-32.En 1932, Freud dans La féminité, démontre que c<strong>et</strong>te haine s’enracine dans la découverte de lacastration de la mère. Son amour s’adressait à la mère phallique : avec la découverte que la mère estchâtrée, il lui devient possible de la laisser tomber comme obj<strong>et</strong> d’amour, de sorte que les motifsd’hostilité accumulés depuis longtemps prennent le dessus 5 .Et quels sont ces motifs d’hostilités sinon que la mère n’a pas donné à l’enfant un vrai organe génital,c’est-à-dire qu’elle l’a fait naître femme 6 . Face à la castration, la fille a jugé <strong>et</strong> décidé. Elle a vu cela(en l’occurrence, le pénis-phallus), sait qu’elle ne l’a pas <strong>et</strong> veut l’avoir 7 <strong>et</strong> la mère est bien en peine dele lui fournir, elle qui tombe aussi sous la coupe de la castration.Or, la relation au père ne fait pas disparaître complètement c<strong>et</strong>te fixation infantile à c<strong>et</strong> Autrepréhistorique, inoubliable que nul n’égalera jamais. Voire, le partenaire amoureux risque égalementd’en hériter. Ainsi, le ratage symptômatique de la relation mère-fille se marque dans l’insuffisance dela métaphore paternelle – père pacifiant ou pas si fiant -: la fille n’est pas à l’abri du r<strong>et</strong>our dévastateurdes restes du lien préoedipien à la mère. Ce ratage n’est-il pas aussi la marque de la persistance de1 DURAS, M., L’Amant, Paris, <strong>Le</strong>s Editions de Minuit, 1991, pp. 31-32.2 LACAN , J., L’étourdit in Autres récits, p. 572.3 FREUD, S., Sur la sexualité féminine in La vie sexuelle, Paris, P.U.F, 1969, pp. 139 <strong>et</strong> sq., (Bibliothèque depsychanalyse)4 ibidem5 idem, La féminité (33 ème conférence) in Introduction à la Psychanalyse, p. 1636 idem, Sur la sexualité féminine in La vie sexuelle, p. 147.7 Idem, La différence anatomique <strong>entre</strong> les sexes in La vie sexuelle, p. 127.


l’attachement à c<strong>et</strong>te Mère phallique <strong>et</strong> qui, placée (ou se plaçant) en position d’exception consistante,évite de s’affronter à la castration en tant qu’inéluctable ?Pour la fille, la découverte de la castration ne peut que renforcer la renvendication phallique <strong>et</strong> ladéception vis-à-vis de c<strong>et</strong>te mère qui a lancé l’enfant dans la vie avec un équipement aussi insuffisant 8Quelles issues sont offertes à la fille pour assurer son destin féminin ?: abstinence, complexe demasculinité ou maternité 9 ! La fin de la théorisation freudienne sur la féminité se marque par une sortede réponse « toute faite » à la castration : le devenir-femme se rabat sur le devenir-mère. C’est, parl’entrée dans le complexe d’Œdipe corrélat de la castration de facto, que la fille, déçue par la mèrecastrée, va se tourner vers le père (<strong>et</strong> par la suite, le partenaire) pour recevoir un enfant, celui-ciprenant la place du pénis-phallus.Expliquer le <strong>ravage</strong> sur la persistance du lien à la mère phallique est loin d’être satisfaisant.Questionnons pourquoi l’intervention paternelle ne suffit pas.En somme, la métaphore paternelle échoue non pas tant parce que ce lien primaire à l’Autre primordialest indéfectible mais parce que quelque chose manque essentiellement, de substance. Alors qu’est-cequi est jeu dans la relation mère-fille si ce n’est justement c<strong>et</strong>te bouche d’ombre esquissé dans Laféminité, ce point où rien n’est à attendre des femmes, - qu’elle soit mère ou fille, Vierge ou putain,sainte femme ou mégère – femmes, qui « sont elles-mêmes c<strong>et</strong>te énigme » ? Enigme que Freudrenvoie à sa question même.<strong>Le</strong> fait du <strong>ravage</strong> qu’est chez la femme, pour la plupart, le rapport à sa mère, d’où elle semble bienattendre comme femme plus de subsistance que de son pèreQu’est-ce que la fille attend, dans son choix de destin féminin : plus de subsistance <strong>et</strong> c’est de sa mèrequ’elle l’attend… C<strong>et</strong>te espérance montre bien qu’attendre un enfant du père – soit s’inscrire dans ledomaine de l’avoir phallique – ne suffit pas à définir c<strong>et</strong>te subsistance. De même la réponse paternelleà c<strong>et</strong> énigme désir de la mère ne satisfait pastoute la fille. Quelque chose – odor di femina – échappe.En douterait-on que l’insistante demande que la plupart (des femmes) continue à adresser à leurmère, là où elles ont fait l’expérience d’un défaut de la promesse nous prouverait le contraire.Qu’est-ce que c<strong>et</strong>te subsistance ? Il est frappant que son étymon latin – subsistare – a donné deuxdérivés : d’une part, subsistance se référant au domaine de la nourriture <strong>et</strong> des biens nécessaires àl’existence : ce qui n’est pas sans évoquer la mère nourricière <strong>et</strong> d’autre part, substance (dérivant desubsistancia), désignant, notamment en philosophie, ce qui subsiste par soi-même, indépendammentde tout accident 10 <strong>et</strong> là, on touche à l’idée d’une essence féminine qui serait transmise par la mère…Faut-il rappeler que dès 1972, Lacan m<strong>et</strong> en place ses fameuses formules de la sexuation – où à partirde la fonction phallique se distribuent la position masculine <strong>et</strong> la position féminine. Or, à y regarder deplus près, rien ne vient ni définir ni unifier la femme, partagée, en tant qu’elle n’existe pas, <strong>entre</strong> φ <strong>et</strong>S(A) barré. Lacan reprend quelque part le fameux continent noir qu’est la féminité est lui apposant lesceau du pastout : la femme n’est pastoute dans le registre phallique mais elle y est inscrite quandmême (à moins d’être psychotique). Et c’est parce qu’elle n’est pastoute qu’elle se sent en droit derevendiquer un signifiant qui la dirait toute.Ainsi, le <strong>ravage</strong>, certes, se réfère à la relation mère-fille mais, dans le contexte d’élaboration théoriquedes années 70, c’est également un eff<strong>et</strong> de ce qu’une femme n’est pas-toute inscrite dans la fonctionphallique, puisqu’elle a aussi rapport, en tant que femme, à S(A)barré 11 . S(A)barré, écriture logique8 FREUD, Quelques conséquences psychiques sur la différence anatomique <strong>entre</strong> les sexes in La vie sexuelle, p.129.9 Cfr. supra10 repris dans Wikipédia11 PICKMANN, Cl.-N., L’hystérique <strong>et</strong> le <strong>ravage</strong> in Actualités de l’hystérie, s.d., d’André Michels, 2001, éd.Erès.


de la faille dans l’Autre 12 , est l’eff<strong>et</strong> le plus radical du signifiant en tant qu’il lui échappe tout enn’étant situable qu’à partir de lui.Or, si le <strong>ravage</strong> touche à S(A)barré – avec ce S(A)barré, je ne désigne rien d’autre que la <strong>jouissance</strong>de la femme 13 , il n’en est pas pour autant assimilable ni à la <strong>jouissance</strong> féminine ni à la <strong>jouissance</strong> dupsychotique même s’il se réfère à la <strong>jouissance</strong> Autre. En outre, si la <strong>jouissance</strong> féminine n’est pasdonnée à toutes, de même toutes ne sont pas dans le <strong>ravage</strong>.Cantonner le <strong>ravage</strong> à la revendication pénienne, c’est l’ancrer à l’arrimage phallique, à ce qu’il n’estjustement pas car le phallicisme est ordonné par les signes du langage, le <strong>ravage</strong>, lui, c’est son senssémantique, se réfère à l’abolition des repères, c’est le contraire. <strong>Le</strong> <strong>ravage</strong> va de pair avec ladésorientation, l’effacement des traces <strong>et</strong> des édifices signifiants, c’est beaucoup plus radical quel’envie du pénis 14 . La <strong>jouissance</strong> féminine est désidentifiante, hors signifiant <strong>et</strong> il n’est pas possible dedire si la femme peut en dire quelque chose – si elle peut en dire ce qu’elle en sait 15 , le <strong>ravage</strong>, vu sonaccointance, est-il à m<strong>et</strong>tre sur le même pied ?En tant que pastoute inscrite dans la fonction phallique tout en y étant inscrite néanmoins, le suj<strong>et</strong>féminin n’a rien à attendre d’une identité qui lui donnerait subsistance. C<strong>et</strong> indécidable de structurepeut alors non pas tant relever d’une carte à jouer que de l’impossible vécu comme insupportable : lerapport avec c<strong>et</strong> indécidable va se nouer <strong>entre</strong> une fille <strong>et</strong> sa mère <strong>et</strong> ce, de la manière dont chacuned’elles s’inscrit dans l’Autre <strong>et</strong> dans leur féminité singulière. Car la mère ne sait rien dire de la femmequ’elle est… peut-être.En clair, si que d’être pas toute, elle (la femme) a, par rapport à ce que désigne de <strong>jouissance</strong> lafonction phallique, une <strong>jouissance</strong> supplémentaire 16 , le <strong>ravage</strong> est peut-être c<strong>et</strong>te exigence de savoirqu’une fille a envers sa mère soit une volonté de faire de ce rapport supplémentaire à la <strong>jouissance</strong>phallique une <strong>jouissance</strong> complémentaire (ce que Lacan réfute). Voire unique.<strong>Le</strong> <strong>ravage</strong> s’enracinerait dans la croyance en un S(A) barré consistant dont la Mère serait la gardienne.Il trouve sa source dans c<strong>et</strong> appel d’être lance à c<strong>et</strong>te Autre nantie imaginairement d’un savoir surc<strong>et</strong>te <strong>jouissance</strong> féminine au-delà du phallus, au-delà du sens. - c<strong>et</strong>te <strong>jouissance</strong> à elle, dont peut-êtreelle-même ne sait rien 17Réponse qui ne peut advenir <strong>et</strong> ce, de structure parce que ce signifiant manque pour toutes <strong>et</strong> que cemanque est recouvert par le semblant phallique (<strong>et</strong> il faut bien faire avec).La déception à c<strong>et</strong>te question n’engendre que rancœur, frustration <strong>et</strong> haine, envers du fol amour ouvertpar S(A) barré. Pour gloser Lacan, « celle » à qui je suppose le savoir, je l’aime 18Car, à porter l’ « au-delà du phallus » <strong>et</strong> la mère comme seules mesures de la féminité <strong>et</strong> en mêm<strong>et</strong>emps de ne pastoute être dans la fonction phallique, la tentation est grande de se réfugier dansl’absolutisation de l’amour <strong>et</strong> dans l’abolition dans l’Autre.Ainsi, le <strong>ravage</strong>, c’est à la fois réclamer de la mère de fa ire exister ce « elle » qui n’existe pas 19 <strong>et</strong>boucher S(A) barré. L’Autre en devient inentamable <strong>et</strong> increvable.Ceci n’est pas sans renvoyer au contenu de la parenthèse qui suit la traduction de rapere : enlever deforce … certes, mais ce qui est un autre 20 ou au <strong>ravage</strong> (moyen fr .) comme action de piller. Sauf quepersonne ne le possède… ce quelques chose. Faire de la mère, la coupable idéale évite de s’affronterau manque de ce signe qui n’est pas là <strong>et</strong> par là au désir.Ces moments de folles r<strong>et</strong>rouvailles <strong>entre</strong> mère <strong>et</strong> fille, instants désarrimés de la boussole phallique,parce que, justement, la fonction nouante, nommante des NdP se défait, fonctionnent soit commeappel au père soit comme solution foireuse à l’approche du trou dans le symbolique. Dénonciation du12 LACAN, J., <strong>Le</strong> Séminaire XX – Encore, Paris, 1975, <strong>Le</strong> Seuil, p. 31.13 Ibidem, p. 7814 SOLER, C., Déclinaisons de l’<strong>angoisse</strong>, p. 122.15 LACAN, I., <strong>Le</strong> Séminaire – Livre XX Encore, p. 82.16 Ibidem, p. 68.17 Ibidem, p. 69.18 Ibidem, p. 64.19 Ibidem, p. 6920 BLOCH und VAN WARTBURG, s.v. <strong>ravage</strong>r


semblant sans pouvoir s’en servir. Car le NdP, c’est un nom qui, lui, a une efficacité, c’est précisémentparce que quelqu’un se lève pour répondre 21 <strong>et</strong> qui ne dit… pastout.Savoir faire avec ce semblant qu’est le NdP qui ne dit pas tout… perm<strong>et</strong>tra peut-être d’accéder audésir sans garantie <strong>et</strong> à une <strong>jouissance</strong> moins désarrimée : la mère on doit s’en passer pour ne plus luiservir 22 * **Coralie <strong>Vankerkhoven</strong>Exposé présenté dans le cadre de la matinée Intercartel de l’AFCLW(B) du 11 novembre 200621 Idem, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Séminaire du 16 juin 1971, inédit, repris dansBRAUNSTEIN, N.A., p. 8722 SOLER, C., Déclinaisons de l’<strong>angoisse</strong>, p. 133.

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