Coupde projecteurProtestantisme, humanisme, démocratiePAGE6Que le <strong>protestant</strong>isme ait quelque lienavec la pensée démocratique n’apparaîtraà personne comme une nouveauté.Cette idée fait partie de nosreprésentations mentales ; chacun denous l’a présente à l’esprit, au moinsconfusément, et il suffit pour se la rappeler,d’observer les structures de nosÉglises réformées, ayant remplacé lapyramide épiscopale par un systèmed’assemblées représentatives, s’emboîtantcomme autant de poupéesrusses, de l’assemblée d’Église localeau synode national.Pour autant, il n’est sans doute pasinutile de tenter d’expliquer pourquoila Réforme a tissé des liens, dès sonéclosion, avec la pensée pré-démocratique,cela même avant le siècledes Lumières. Savoir d’où nous vientcette fidélité démocratique, c’est eneffet permettre de se la réapproprier.L’organisation inégalitaire de la sociétéeuropéenne sous l’Ancien régimetrouve sa légitimité dans la tradition.Synode AmsterdamC’est la coutume qui justifie que les rôlessociaux des individus diffèrent, etavec eux leurs droits. Ceux qui prient(oratores), ceux qui se battent (bellatores)et ceux qui travaillent (laboratores)constituent les trois groupes discernéspar Georges DUBY au sein de la sociétémédiévale, confirmant la persistancedans le temps de la division des fonctionsmise au jour par Georges DUMÉZILen ce qui concerne la civilisation indoeuropéenne: les prêtres, les combattants,les producteurs.Ces trois groupes se retrouvent encoreà la veille de la Révolution au traversdes ordres du clergé, de la noblesse etdu tiers-état. La tradition, bien qu’elles’autojustifie, est en général peu facilementexplicable. Aussi, bien souvent,c’est le principe de l’inspiration divinequi prévaut : ainsi de l’absolutisme ditde droit divin.Le siècle de l’humanisme, peu à peu,mettra en question les a priori scientifiques,touchant par ricochet lesautorités traditionnelles. Au-delà dela mise en cause du trafic des indulgences,en effet, c’est la mise en doutede l’autorité pontificale qui heurteraRome. Si le dogme de l’infaillibilitépontificale n’est proclamé qu’au XIXesiècle, l’infaillibilité implicite des décisionsdu pape est acquise dès la findu XIe siècle. En instillant le doute surl’autorité du pape, Luther enfonce uncoin dans le principe de justificationpar la tradition : si la prétendue qualitéde successeur de Pierre ne confère pasl’infaillibilité au pape, il devient aussitôtdouteux que les seigneurs et lespuissants soient inspirés de Dieu. Biensûr, cette mise en doute des autoritéstraditionnelles sera très lente.Néanmoins, l’influence de la Réforme,qui fait reposer l’inspiration et la légitimitéde l’Église sur sa base, et nonsur une personne unique dominant lesautres, renforcera tous ceux qui, peu àpeu, dès le XVI e siècle, mais davantageencore au XVIII e siècle, penseront etproclameront que c’est le peuple quidoit consentir au pouvoir s’exerçantsur lui, et convenir de sa forme, et nonun Prince, fût-il inspiré. La Réformeremplaçant l’infaillibilité papale par lalecture collégiale des Écritures, prépareainsi la révolution copernicienneau cœur du passage de l’Ancien régimeà l’ère des révolutions libérales etnationales : le pouvoir vient du bas etnon du haut ; du peuple et de la masseplutôt que d’un despote individuel ! Lesynode remplaçant le pape préfigure lalutte historique du parlementarismecontre l’absolutisme.g Mosaïque N°6