appropriées et consommées. “En face du tableau,jamais le regard ne se rassasie, la <strong>photo</strong> correspondplutôt à l’aliment qui apaise la faim, à la boisson quiétanche la soif”.Aussi, que reste-t-il du monde antérieur, si cen’est l’image d’un monde que Baudelaire nousprésente<strong>com</strong>me “voilé par les larmes de lanostalgie”.Cette nostalgie des images, Benjamin la retrouvechez Octavius Hill, dans la <strong>photo</strong>graphie despêcheuses de New Haven, dans “ce quelque chosequ’il est impossible de réduire au silence et quiréclame avec insistance le nom de celle qui a véculà ”.Mais cette aura n’aurait pas existé, sans unecertaine approche technique qui était celle ducalotypiste. Comme l’affirmait Brentano cité parBenjamin “un <strong>photo</strong>graphe de 1850 est à la hauteurde son instrument”. Il considérait encore la<strong>photo</strong>graphie <strong>com</strong>me une ”grande expériencemystérieuse”. Homme de l’art, habile etexpérimentateur, il savait découvrir les secrets de lamatière, révéler les images et les fixer à jamais dansl’épaisseur grenue du papier. Le négatif papier étaitalors semblable à une partition dont on pouvait tirertoutes sortes d’interprétations. L’image était unobjet unique, énigmatique dans son extrêmedouceur, et dans la profondeur d’une troisième15dimension, celle de sa présence dans la matièremême du papier.16
5. le monde et la terreLe palladium d’Athéna aussi bien que l’ “aura” deBenjamin nous ont mis sur le chemin de ce qui dansl’art est initial ; son enracinement dans le sacré quiest la limite de notre condition de mortels, dans unmonde qui est notre séjour.Le monde, Heidegger l’a montré, constitue lecadre où se rassemblent les choses du monde,pierres, arbres, maisons, temples, lieux sacrés duculte, troupeaux et hommes affairés à leursoccupations. Le cadre est le monde où se déploientles choses dans leur être de choses. Il donne aumonde son image.En lui chante le quatuor, l’unisson quirassemble les quatre dans la simplicité.- la terre et la libre étendue de la roche, du sableet de l’eau, s’offrant <strong>com</strong>me plante et animal, séjouret transhumance pour les mortels- le ciel et la mesure du soleil, le cheminement dela lune, la lumière et le déclin du jour,l’amoncellement des nuages et la profondeur del’azur- les divins et les signes de la divinité, leurpuissance sacrée- les mortels qui, dans le quatuor sont ceux quihabitent et ont la garde du site : sauver la terre et la17ménager, laisser libre cours au ciel, à la juste mesuredes journées et des saisons, être attentifs aux signesqui viennent des dieux, “garder l’esprit ouvert ausecret”.Dans cet unisson du quatuor, advient l’œuvre d’arten tant qu’objet. Tout <strong>com</strong>me l’antique idole,l’œuvre d’art ne représente rien. “L’œuvre d’art neprésente jamais rien, et cela pour cette simple raisonqu’elle n’a rien à présenter, étant elle-même ce quicrée tout d’abord ce qui entre pour la première foisgrâce à elle dans l’ouvert”. Car tel est le mystère del’apparaître que, dans l’ouvert, ce qui se montre toutà la fois se tient en retrait. Ce conflit, Heidegger lenomme <strong>com</strong>bat du monde et de la terre.Le monde dans l’œuvre est ce qui joint, rassembleet unifie un peuple dans son histoire, dans sondestin. Il donne son sens à l’œuvre, la rendaccessible à notre intelligence, dans notre désir de la<strong>com</strong>prendre, de la soumettre. Par le monde, l’œuvred’art nous apparaît lumineuse, évidente. Elle nousest proche.“Installant un monde, l’œuvre fait venir la terre”.La terre est d’abord l’emprise obscure du<strong>com</strong>mencement quand sont encore cachées lespossibilités de l’œuvre à venir.Elle est ensuite la matière même, le marbre dutemple, les pigments du tableau, l’épaisseurmétallique du palladium. La terre est ce qui dans18