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Jean Flory<br />
JEAN MONNET ORAL PROJECT, CHAIRES JEAN MONNET D'HlSTOlRE<br />
HISTOIRE DES DEBUTS DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE<br />
INTERVIEW DES DECIDEURS DE L'UNITE EUROPEENNE<br />
PROGRAMME FRANCAIS<br />
1998<br />
Entretien avec Jean Flory, President de la Prevention routiere, par Gerard Bossuat,<br />
professeur al'universite de Cergy-Pontoise.<br />
25 mai 1998<br />
Transcription realisee en avril1999 par Melle Marie-Laure Boubas, DEA en Droit prive,<br />
Cassette 1, face A, 45'et B, 30'.<br />
- Gerard Bossuat: Aujourd'hui nous sommes Ie 25 mai 1998, je suis chez M Flory a la<br />
Prevention routiere, dont vous etes, je pense, Ie directeur...<br />
- Jean Flory: Le President. Ce n'est plus un job, c'est du benevolat.<br />
- Mais ce n'est <strong>pas</strong> pour la Prevention Routiere que je suis venu vous voir. C'est plutot pour<br />
votre <strong>pas</strong>sage dans les institutions europee<strong>nn</strong>es, et en particulier M Flory a ete..., vous<br />
pouvez peut etre preciser, vous avez he directeur de cabinet.<br />
- J<strong>'a</strong>i ete d<strong>'a</strong>bord directeur adjoint de cabinet de 1958 a 1963, et directeur de cabinet de 1963<br />
a1968.<br />
- D <strong>'a</strong>ccord, donc if s <strong>'a</strong>git de directeur de cabinet de Robert Marjolin.<br />
- De Robert Marjolin, Ie premier vice president franyais de la Commission de la CEE.<br />
- Je crois que I'on peut continuer M Flory si vous voulez bien preciser peut etre ... Quel<br />
temoignage pouvez vous apporter sur I'interet que portait Robert Marjolin aux Communautes<br />
Europee<strong>nn</strong>es.<br />
- Marjolin en avait ete un negociateur tres important puisqu'il etait l'econorniste de la<br />
delegation franyaise. Et en plus il etait Ie lien etroit avec Ie cabinet du Ministre des Affaires<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
Etrangeres de l'epoque, Christian Pineau. II avait cette double fonction de negociateur et de<br />
conseiller du ministre qui a fait de lui certainement un des artisans les plus irnportants de la<br />
redaction du Traite, avec Do<strong>nn</strong>edieu de Vabres pour la partie juridique, Etie<strong>nn</strong>e Hirsch pour<br />
l'EURATOM, bien sUr Maurice Faure, chefde delegation, pour les problemes politiques, Jean<br />
Franyois-Poncet et Jean-Claude Richard pour Ie compte du Quai d'Orsay, tous les deux jeunes<br />
a 1'epoque, et d<strong>'a</strong>utres negociateurs encore... Ce groupe de negociateurs franyais, avec leurs<br />
collegues des six autres pays de la Communaute, sont parvenus a etablir ce Traite<br />
exceptio<strong>nn</strong>el puisqu'il a fonctio<strong>nn</strong>e, tres bien fonctio<strong>nn</strong>e, et est devenu un modele pour<br />
beaucoup d<strong>'a</strong>utres pays qui cherchent ase rapprocher econorniquement.<br />
© Archives historiques de l'Union europée<strong>nn</strong>e<br />
© Historical Archives of the European Union
Jean Flory<br />
representait l'entreprise, et avait ete choisi pour convaincre Ie CNPF d'entrer dans l'Europe la<br />
tete haute et avec courage, et non <strong>pas</strong> a reculons comme a l'epoque c'etait plutot la tendance.<br />
- Est-ce que M Lemaignen est decide maintenant ?<br />
- Oui, il y a quinze ans. La perso<strong>nn</strong>e que vous pourriez voir est Henri Vare<strong>nn</strong>e qui etait son<br />
chefde cabinet adjoint.<br />
- Un peu comme vous.<br />
- Qui, on etait symetrique. Le directeur de Cabinet de Robert Lemaignen etait Jacques<br />
Ferrandi. Lemaignen s'est vu confier l<strong>'a</strong>ide aux pays d'Qutre mer. Comme c'etait un sujet tres<br />
sensible pour la France, on avait souhaite que ce soit un Commissaire franyais qui soit nomme<br />
Iii., les autres pays n'y attachaient <strong>pas</strong> une importance primordiale. Lemaignen dont<br />
l'entreprise qu'il avait dirigee autrefois etait irnpliquee dans Ie commerce France-Afrique,<br />
c'etait la SCAC, etait co<strong>nn</strong>aisseur de ces problemes. Ferrandi son directeur de cabinet etait<br />
l<strong>'a</strong>ncien directeur general de l'AOF.<br />
- Alors vous souhaitez continuer tout seulla ou est-ce que vous souhaitez que je vous pose des<br />
questions?<br />
- II vaut mieux que vous me rameniez vers les points qui vous interessent.<br />
- Je crois qu 'if faut aussi que vous parliez. Est-ce que I'on peut parler un peu de vous<br />
maintenant ? Qui, parce que vous etes proche de Robert Marjolin en J958. Est-ce que vous<br />
pouvez expliquer en quoi consiste votre parcours europeen. C'est sans doute un peu long.<br />
Mais deja, pourquoi vous etes vous attache. .., OU avez vous ete amene a rencontrer Robert<br />
Marjolin?<br />
- Ceux qui me l'ont fait rencontrer etaient des amis communs. II se trouvait qu<strong>'a</strong> l'epoque je<br />
terrninais mon service militaire et j<strong>'a</strong>vais donc la necessite de trouver un job. Robert Marjolin<br />
cherchait a constituer une petite equipe peu nombreuse. Et dans la rencontre qu'il y a eu, illui<br />
a semble, qu<strong>'a</strong>pres tout, je pouvais etre un jeune a essayer. Et c'est comme cela que ya s'est<br />
<strong>pas</strong>se. Tout simplement.<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
- Est-ce que vous aviez... L 'Europe vous interessait, I'unite europee<strong>nn</strong>e vous interessait ?<br />
- L'Europe m'interessait beaucoup, mais je n<strong>'a</strong>vais <strong>pas</strong> milite auparavant a la difference d'un<br />
certain nombre d<strong>'a</strong>utres collegues qui eux avaient ete depuis un certain temps dans Ie<br />
mouvement europeen, dans Ie Conseil de l'Europe a Strasbourg ou dans les differents<br />
mouvements qui constituaient Ie mouvement europeen.<br />
- Donc c 'est plutot en raison de vos competences.<br />
- Disons que c'est en raison de rna jeunesse et de rna disponibilite. Quand on a commence, il<br />
n'y avait rien. Les Commissaires se sont reunis pour la premiere fois a Val Duchesse, pres de<br />
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Bruxelles, lieu de negociation du traite. On ne savait meme <strong>pas</strong> OU la CEE allait s'installer,<br />
puisque Bruxelles n'etait <strong>pas</strong> du tout Ie siege. Les belges proposaient avec insistance, que la<br />
Communaute fixe son siege a Bruxelles. Les franyais voulaient Strasbourg, les<br />
luxembourgeois bien entendu, defendaient l'implantation des nouvelles institutions<br />
europee<strong>nn</strong>es CEE et EURATOM a Luxembourg. On ne savait <strong>pas</strong> ou on allait tomber. Done<br />
la premiere reunion s'est faite si mon souvenir est bon, a Val Duchesse, a Luxembourg dans<br />
les locaux de la CECA, suivies tres vite par d<strong>'a</strong>utres dans ces deux lieux. Parce que Ie rythme<br />
hebdomadaire des reunions de la Commission a ete presque immediatement fixe. C'etait<br />
d<strong>'a</strong>illeurs Ie rythme que Mo<strong>nn</strong>et avait fixe aux reunions de la Haute Autorite de la CECA. On<br />
regardait de pres la fayon dont fonctio<strong>nn</strong>ait la CECA bien sUr, et EURATOM et CEE se sont<br />
rapidement rallies au mode de travail de la CECA qui avait ete fmalement assez efficace,<br />
meme si la CECA co<strong>nn</strong>aissait certaines difficultes avec Ie charbon et l<strong>'a</strong>cier qui<br />
commenyaient a etre en crise a ce moment lao<br />
Done, premiere reunion ou ces neuf commissaires, se rencontrent ou se retrouvent pour la<br />
premiere fois depuis les negociations du Traite parce que plusieurs avaient eu l'occasion de<br />
travailler ensemble dans les equipes de negociations. Par exemple Hallstein et Von der<br />
Groeben etaient dans l'equipe allemande de negociation. Mansholt, Ie hollandais n'y etait <strong>pas</strong>.<br />
II avait une notoriete forte en tant qu<strong>'a</strong>ncien ministre de l<strong>'a</strong>griculture, mais il faisait<br />
co<strong>nn</strong>aissance de ses nouveaux collegues. Le beIge Jean Rey avait ete Ministre des Affaires<br />
Etrangeres et avait ete signataire du Traite en tant que tel. Le luxembourgeois, M. Schaus,<br />
avait ete dans l'equipe de negociation. Les italiens, etaient Petrilli et Malvestiti, n<strong>'a</strong>vaient <strong>pas</strong><br />
ete dans les negociations... Du cote franyais, Marjolin etait tres a l<strong>'a</strong>ise puisqu'il avait ete dans<br />
les negociations, Lemaignen decouvrait ce monde. Les commissaires avaient une ou deux<br />
perso<strong>nn</strong>es avec eux, ce qui a fait un embryon de « staff». On est arrive la-bas. On ne savait<br />
<strong>pas</strong> ce que l'on etait. II n'y avait <strong>pas</strong> de titre. II n'y avait <strong>pas</strong> de salaire, il n'y avait rien. II n'y<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
avait <strong>pas</strong> d<strong>'a</strong>dministration. La CECA a gere cela pendant deux, trois mois. On se reunissait de<br />
temps en temps a Luxembourg, de temps en temps a Bruxelles, mais il n'y avait <strong>pas</strong> vraiment<br />
de bureaux. Chacun repartait chez lui une fois que la reunion de la Commission avait eu lieu.<br />
Cela consistait pour nous a revenir a Paris.<br />
- Oui, d<strong>'a</strong>ccord. Alors comment Ie travail etait-il organise? En particulier par rapport a<br />
Hal/stein, parce que vous avez nomme Hal/stein et Von der Groeben, mais vous n <strong>'a</strong>vez <strong>pas</strong><br />
beaucoup insiste sur Hal/stein. C'etait lui quand meme Ie President de la Commission.<br />
- C'etait un president fort qui avait une grande autorite. Parce qu'il etait Secretaire d'Etat en<br />
Allemagne, parce qu'il avait eu un parcours incontestable pendant la derniere guerre, c'est a<br />
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dire qu'il avait ete un universitaire absolument <strong>pas</strong> implique dans Ie nazisme, et fait priso<strong>nn</strong>ier<br />
en 1945. II avait <strong>pas</strong>se plusieurs a<strong>nn</strong>ees au Canada ou il avait enseigne. II parlait parfaitement<br />
Ie fran
Jean Flory<br />
au vice president italien Malvestiti. Rey a eu les affaires exterieures.<br />
- Qu 'est-ce que cela signifie les affaires exterieures a cette epoque la ? C'est les affaires<br />
exterieures economiques? C'est Ie GATT ?<br />
- C'est toutes les negociations economiques qui etaient confiees a la Commission qUI<br />
negociait sur mandat du Conseil. Et cela a tout de suite ete un des points les plus lourds du<br />
calendrier de la Commission. Ensuite il y a eu un debat entre Von der Groeben et Marjolin<br />
pour savoir qui aurait l'economie. Et fmalement, Marjolin etait incontestable sur l'economie.<br />
II fallait trouver quelque chose pour Von der Groeben. Et c'est la que quelqu'un a propose de<br />
lui do<strong>nn</strong>er la concurrence. Et au fond la politique de la concurrence de l'Europe est nee Ie jour<br />
ou on en a fait l<strong>'a</strong>ttribution a un commissaire. Celui-ci y a applique Ie schema allemand qui<br />
etait lui-meme Ie schema americain. Donc pour les franyais on decouvrait la lune<br />
compU:tement, toute cette mecanique allemande et americaine on n'en avait <strong>pas</strong> la moindre<br />
idee. Et Von der Groeben a ete rigoureux, il a fait <strong>pas</strong>ser cela comme un rouleau compresseur,<br />
et cela continue avec M. Van Miert. Schaus Ie luxembourgeois a eu l<strong>'a</strong>dministration, c'est a<br />
dire perso<strong>nn</strong>el, immeubles et fmances, et en plus les transports. Le President avait Ie<br />
secretariat general, ce qui va de soi. C'est a dire qu'il avait Emile Noel a ses cotes.<br />
- Est-ce que vous pouvez parler un peu d'Emile Noel?<br />
- Beaucoup, des heures.<br />
- C'est vrai, serieusement des heures ?<br />
- Oh oui!<br />
- Alors ilfaudra que I'on se revoit peut-etre. Non, mais sans en parler des heures, est-ce que<br />
vous pouvez preciser Ie role d 'Emile Noel a cette epoque lao<br />
- Oui. Emile Noel est arrive dans une position un peu compliquee, parce qu'il y avait eu dans<br />
Ie secretariat de la negociation emanant du Conseil de la CECA un homme tres sympathique<br />
et ouvert, beIge, Pierre Bourguignon. Et Pierre Bourguignon a joue, jusqu<strong>'a</strong> ce que l'on<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
procede aux premieres nominations, Ie role de Secretaire general de la Commission. Si bien<br />
que tout naturellement, Ie jour ou il a fallu nommer les responsables des services et ou l'on a<br />
cherche Ie secretaire general, plusieurs ont propose Bourguignon. Quelques commissaires<br />
dont Marjolin qui co<strong>nn</strong>aissaient Bourguignon pour l<strong>'a</strong>voir vu travailler pendant les<br />
negociations de Val Duchesse, ont pense qu'il ne do<strong>nn</strong>erait <strong>pas</strong> la stature qu'il faut a la<br />
Commission. II fallait un homme a la fois tres intelligent, acharne au travail et qui cree en<br />
quelque sorte l'institution. Et cela ya a ete Ie role irremplayable d'Emile Noel. Emile Noel a<br />
ete a la fois Ie conseiller du prince, Ie chef de gare de toutes les procedures, et celui qui<br />
exeryait une autorite de guide et de soutien sur l'ensemble des services, sans Ie montrer mais<br />
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de fait. 11 etait la memoire de la Commission, il faisait toutes les negociations difficiles avec Ie<br />
Conseil. 11 savait calmer Ie Parlement. 11 en a fait des choses!<br />
- De qui est venu sa nomination?<br />
- La proposition? Elle est venue de Marjolin. 11 etait directeur adjoint de cabinet de Guy<br />
Mollet, premier ministre charge de suivre la negociation du traite de Rome.<br />
- II etait au Parlement, enfin if a ete au Conseif de I'Europe.<br />
- 11 etait Secretaire general ou directeur du Conseil de l'Europe. Donc il etait tres bien prepare.<br />
11 co<strong>nn</strong>aissait bien les affaires europee<strong>nn</strong>es, il co<strong>nn</strong>aissait tres bien Ie fonctio<strong>nn</strong>ement d'un<br />
systeme multinational, il co<strong>nn</strong>aissait bien la politique.<br />
- Done vous pensez qu 'il a ete propose par Marjolin...<br />
- Je ne Ie pense <strong>pas</strong>, je Ie sais.<br />
- C'est votre temoignage, d<strong>'a</strong>eeord.<br />
- Sa nomination a dfi intervenir trois ou quatre mois apres la mise en place de la structure sur<br />
Ie papier des services de la Commission. Chaque commissaire recevait une direction generale<br />
pour l<strong>'a</strong>ssister dans sa tache. On a commence d<strong>'a</strong>bord par choisir Ie directeur general. Cela a<br />
do<strong>nn</strong>e lieu it des discussions assez compliquees, parce qu'il fallait trouver Ie bon, et il fallait<br />
quand meme un peu d'equilibre, qu'il n'y ait <strong>pas</strong> que des belges parce qu'on etait en<br />
Belgique, ou qu'il n'y ait <strong>pas</strong> que des allemands ou des franyais. On essayait de croiser Ie<br />
commissaire et Ie directeur general pour qu'ils ne soient <strong>pas</strong> de la meme nationalite. C'est une<br />
regIe sage. Tout cela a ete un enorme travail. Imaginez que l<strong>'a</strong>dministration franyaise ait ete<br />
creee d'un seul coup, qu'on ait decide combien il fallait de ministeres, quels organigrammes,<br />
qui va etre Ie directeur general du ministere et en combien de directions on va articuler Ie<br />
ministere? C'est ce qu<strong>'a</strong> fait la Commission en trois mois pratiquement. Ce qui est<br />
extremement rapide. Chaque commissaire a ete prie d<strong>'a</strong>rriver avec un schema d'organisation<br />
de sa direction generale. Et alors on voyait tout de suite Ie caractere de chacun. Hallstein, qui<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
ne voulait <strong>pas</strong> que la Commission pose d'entree de jeu un probleme budgetaire, parce que tout<br />
cela, c'etaient des hommes, donc des salaires, donc un budget, a beaucoup milite pour que<br />
l'on demarre modestement. Donc cela a demarre avec de petits « staffs». La premiere a<strong>nn</strong>ee<br />
du travail de la Commission, les fonctio<strong>nn</strong>aires n'etaient <strong>pas</strong> nombreux. 11 y avait 200 ou 300<br />
perso<strong>nn</strong>es, <strong>pas</strong> plus. Mais evidemment de haut niveau, parce que l'on avait commence par<br />
nommer au-dessus. Cela marchait tres bien. Tout en matiere grise, c'etait parfait. Et cela a ete<br />
une periode de creativite inoule parce que c'est alors que l'on a detini les principes de toute la<br />
politique agricole commune, c'est lit que l'on a etabli les premieres grandes regles de la<br />
concurrence, que l'on a defmi la strategie en matiere de relations internationales, que l'on a<br />
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noue les dates de negociations avec les anglais qui voulaient rentrer sans rentrer: c'etait la<br />
periode de la zone de libre echange. Cela a ete des negociations assez rudes avec les<br />
americains aussi, avec Ie GATT qui ont commence presque immediatement. Et puis cela a ete<br />
egalement la periode OU l'on a commence a defmir une politique de transports. Qu'est-ce que<br />
l'on a fait encore? Bien sill, chercher les bases de la politique economique, la coordination de<br />
la politique economique et monetaire. Cela, c'etait Ie travail de Marjolin. Des les premieres<br />
reflexions, il etait question de mo<strong>nn</strong>aie unique. On savait que cela ne pouvait aboutir qu<strong>'a</strong><br />
cela, ou bien que l'union economique ne tiendrait <strong>pas</strong>, en particulier dans son aspect agricole.<br />
- La premiere question que j <strong>'a</strong>imerais vous posez, c 'est peut etre celie se rapportant aEmile<br />
Noel. Est-ce que vous pouvez preciser pour la periode oil vous etiez aux Communautes Ie role<br />
que vous lui voyiez jouer, et sur quels dossiers a-t-il insiste ? Emile Noel est tellement<br />
mysterieux, ce monsieur n<strong>'a</strong> <strong>pas</strong> tellement parle, c 'est Ie moins que I'on puisse dire. II est<br />
mort trop tot malheureusement. Et donc il faut que I'on ail des temoignages si on veut<br />
comprendre son role.<br />
- Oui, effectivement, c'etait quelqu'un d<strong>'a</strong>ssez discret. II faisait de la discretion une vertu forte<br />
dont les gens lui etaient d<strong>'a</strong>illeurs tres reco<strong>nn</strong>aissants, ce qui fait qu'ils savaient qu'on pouvait<br />
lui parler sans qu'il y ait une chance de voir reutiliser sa propre parole. Noel a joue un role<br />
eminent d<strong>'a</strong>bord sur la mise en place de la Communaute. C'etait un organisateur de premiere<br />
qualite. C'etait un organisateur qui etait a la fois un stratege et un tacticien. Un stratege, parce<br />
qu'il savait voir OU etaient les enjeux et par consequent defmir les grands objectifs. Et un<br />
tacticien parce que, au jour Ie jour il conduisait tres bien la mise en place des elements<br />
necessaires pour aboutir aux objectifs. C'est donc quelqu'un qui a fait fonctio<strong>nn</strong>er toute la<br />
machine. II y a mis un acharnement et une gentillesse qui parfois pouvait etre accompagnee<br />
de beaucoup de fermete, exceptio<strong>nn</strong>elle. Enfm perso<strong>nn</strong>e n<strong>'a</strong>urait eu la patience d'Emile Noel,<br />
sauf lui. Les points qui Ie <strong>pas</strong>sio<strong>nn</strong>aient... Je crois qu'il y en avait deux surtout. L'economie,<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
I<strong>'a</strong>griculture, les transports, il les comprenait tres bien, mais ce n'etait <strong>pas</strong> les points OU<br />
intellectuellement il avait Ie sentiment de pouvoir do<strong>nn</strong>er toute sa mesure. Les deux points qui<br />
Ie <strong>pas</strong>sio<strong>nn</strong>aient, c'etait les institutions et l'elargissement. D<strong>'a</strong>illeurs les deux points ont une<br />
forte co<strong>nn</strong>exion. C'est sur ces deux questions qu'il etait toujours aux aguets. II intervenait,<br />
sortait de sa reserve, savait faire la suggestion institutio<strong>nn</strong>elle, Ie compromis historique de tres<br />
bo<strong>nn</strong>e qualite que perso<strong>nn</strong>e ne pouvait recuser, par exemple l'idee qu'il fallait mettre des<br />
calendriers, qu'on devait peut etre placer un probleme avant l<strong>'a</strong>utre, l'ordre du cortege etant<br />
toujours tres important. Et la il a joue un role au jour Ie jour absolument determinant. II y<br />
avait un autre domaine ou il etait encore egalement tres precieux. Comme il participait a tout,<br />
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qu'il savait tout, il etait un peu Ie confident de tout Ie monde. Quand il y avait de vrais<br />
blocages, il y en a quand meme eu <strong>pas</strong> mal dans la Communaute, il etait souvent l'homme qui<br />
proposait au commissaire, qui allait faire la proposition officielle, la solution de compromis,<br />
en lui disant « moi si j'etais vous, je ferais plutot comme cela ». II a eu un role considerable,<br />
soit aupres du President, soit aupres des commissaires, car il savait conseiller la bo<strong>nn</strong>e<br />
perso<strong>nn</strong>e.<br />
- Est-ce que vous pouvez preciser les dossiers sur lesquels it a pu intervenir d<strong>'a</strong>pres ce que<br />
vous savez. Sur la politique agricole ?<br />
- Dans les compromis ? Alors la, un peu tous. Mais les points sur lesquels sa marque a ete tres<br />
directe et tres visible, c'est toute la partie institutio<strong>nn</strong>elle, OU il a preside des groupes de<br />
travail de tres haut niveau. Par exemple sur l<strong>'a</strong>venir des institutions, ou sur l'elargissement de<br />
la Communaute.<br />
- Quelles etaient ses idees?<br />
- Ses idees, c'etait la conjonction du possible et du souhaitable, de la rigueur et du realisme.<br />
C'est un homme intransigeant sur la clarte et l'efficacite des institutions. II n'etait absolument<br />
<strong>pas</strong> pour une Communaute molle avec des institutions vagues et des regles mal defmies, des<br />
compromis tordus, OU on vendait quatre fois Ie meme cheval... II etait tres clair toujours, ce<br />
qui faisait d<strong>'a</strong>illeurs la qualite de son action. Et les structures communautaires, illes voyait en<br />
homme d'Etat. II avait Ie sens de l'Etat, et se projetait dans une communaute qui etait un Etat.<br />
Alors toutes les clauses compliquees par lesquelles on essayait de faire que l'Etat ne soit <strong>pas</strong><br />
I'Etat, ce qui etait un peu l<strong>'a</strong>rt des comprornis de Bruxelles, il essayait de s'y opposer dans<br />
toute la mesure du possible. Mais en meme temps il etait realiste, c'est a dire qu'il vous disait<br />
« la bo<strong>nn</strong>e solution c'est celIe la, mais elle ne <strong>pas</strong>sera <strong>pas</strong>, donc il faut arriver a trouver la<br />
petite dose de compromis qui fera que fmalement I'Allemagne ou I'Angleterre ou la France,<br />
pourront accepter l<strong>'a</strong>ffaire ».<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
- Parce que vous etiez it la Commission au moment ou it y a eu les plus gros affrontements<br />
entre la France, De Gaulle, Hallstein et les cinq.<br />
- Qui, la crise de la chaise vide.<br />
- La crise de la chaise vide. II y a eu Plan Fouchet aussi. A propos d'Emite Noel, est-ce que<br />
vous I<strong>'a</strong>vez entendu se prononcer par exemple pour une Europe federale, ou prendre position<br />
sur les principes de depart?<br />
- Noel etait federaliste. II venait du mouvement federaliste.<br />
- Bien. Vous-rneme, quels etaient les dossiers que vous aviez it trailer, avec Marjolin ?<br />
- Les equipes etaient organisees de la maniere suivante. Chez tous les comrnissaires, il yavait<br />
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oil sa conception du Plan n'etait <strong>pas</strong> du tout sovietique.<br />
-n n <strong>'a</strong> <strong>pas</strong> <strong>choque</strong> Mo<strong>nn</strong>et.<br />
- Ii n<strong>'a</strong> <strong>pas</strong> du tout <strong>choque</strong> Mo<strong>nn</strong>et qui etait exactement...<br />
- Qui etait exactement pareil.<br />
- Je dirai, s'il y avait une comparaison a faire, que Marjolin etait un « Strauss Kahn» par<br />
beaucoup de cotes.<br />
- Je suis d<strong>'a</strong>ccord.<br />
-.Sa grande specialite etait Ie monetaire. Ii a fait sa these sur l'etalon or. Et quand on Ie mettait<br />
sur les questions de la mo<strong>nn</strong>aie, il etait fascinant. Tres vite, il a esquisse les bases du SME que<br />
Barre a repris ensuite et a pousse a son terme. Le premier dossier qu'il a pris a ete Ie dossier<br />
regional. Pardon, Ie tout premier dossier a ete de doter la Commission d'un service d<strong>'a</strong>nalyse<br />
conjoncturelle, pour que l'on sache oil l'on allait de trois mois en trois mois. Bien entendu, il<br />
a fallut creer l'Office Statistique, copilote par plusieurs commissaires, parce qu'il concernait<br />
plusieurs disciplines. Une direction de la conjoncture a ete creee avec une serie de divisions<br />
specialisees par pays oil un ou deux economistes observaient les pays et etaient capables de<br />
faire la synthese conjoncturelle de l'Europe des Six, une fois tous les trimestres. La deuxieme<br />
chose qu'il a mis en route a ete la politique regionale. Parce que Ie probleme des regions s'est<br />
pose presque tout de suite dans les debats avec les gouvernements, avec Ie Parlement, etc.<br />
« Qu'est-ce que vous faites pour la Bretagne? », etc. L'Italie etait un cas majeur. Ii y a donc<br />
eu une Direction de la politique regionale qui a ete creee. C'etait en fait une direction sur les<br />
inegalites de structure, a l'interieur de la Communaute. Un certain nombre de regles ont ete<br />
proposees aux Etats et que la Commission se proposait de mettre en ceuvre elle-meme dans sa<br />
politique economique, de telle sorte que les demums ne se retrouvent <strong>pas</strong> encore plus<br />
demunis, et que les plus en avance ne se retrouvent <strong>pas</strong> encore plus riches. Je parle des<br />
regions. Une grande conference regionale a eu lieu rapidement, au bout de deux ans. Et a la<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
suite de cela, on a commence a preparer ce qui allait devenir Ie Fond de developpement<br />
regional, que Marjolin n<strong>'a</strong> <strong>pas</strong> co<strong>nn</strong>u. Cela s'est fait dans les a<strong>nn</strong>ees 1970.<br />
- Je suis d<strong>'a</strong>ccord avec vous.<br />
- Le troisieme dossier qu'il a pris a ete Ie dossier de la politique a moyen terme. Cela a ete<br />
plus rude. Parce que derriere la politique a moyen terme, i1 y avait une notion de planification.<br />
Hurlement des allemands sur tout ce qui ressemble a un plan. Les hollandais n<strong>'a</strong>dorent <strong>pas</strong> les<br />
plans non plus. Les italiens, pourquoi <strong>pas</strong>. Et les belges, <strong>pas</strong> tres chauds. Un peu envers et<br />
contre tous, il est arrive a faire <strong>pas</strong>ser l'idee d'une politique a moyen terme. Plusieurs<br />
memorandums ont ete presentes la-dessus, qui avaient pour objet d'encadrer l<strong>'a</strong>venir de la<br />
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Jean Flory<br />
Communaute. Le cheminement vers la politique monetaire commune impliquait la<br />
coordination des politiques economiques, d'ou la politique a moyen terme, et cela irnpliquait<br />
des disciplines monetaires qui permettaient que petit a petit les mo<strong>nn</strong>aies commencent a se<br />
souder les unes aux autres, ce qui a conduit au serpent monetaire.<br />
- A partir de quand a-t-if... Enfin vous, vous avez beaucoup insiste. Votre temoignage est<br />
important la-dessus. Pour moi historien, c 'est de montrer que les questions monetaires ont ete<br />
envisagees des Ie debut de la Commission.<br />
- oLe premier reglement de politique agricole commune, s'est <strong>pas</strong>se entre trois hommes. Cela<br />
c'est <strong>pas</strong>se entre Marjolin, Mansholt et Von der Groeben, les autres ne s'y interessaient <strong>pas</strong><br />
beaucoup.<br />
Interruption, face B.<br />
- En matiere de prix agricoles, il y avait ceux qui etaient pour la liberte complete, c'etaient<br />
plutot les allemands. Plus exactement, pour eux, chaque Etat devait avoir la liberte de fixer les<br />
prix comme il l'entendait. Mais il etait clair que ceci n'etait <strong>pas</strong> l'ouverture des marches. II<br />
n'y a <strong>pas</strong> qu'une seule fayon de faire circuler les marchandises, et la Mansholt a ete<br />
intraitable, et a vrairnent fait plier les allemands. II a dit: « il n'y a qu'une seule fayon, c'est un<br />
prix commun ». «Mais alors si on fait un prix commun, qu'est-ce qui se <strong>pas</strong>se en cas de<br />
devaluation? », « Mais, ont commence a dire Marjolin et Mansholt, il ne faut plus qu'il y ait<br />
de devaluation ». Et cela s<strong>'a</strong>ppelle la mo<strong>nn</strong>aie unique.<br />
- Ah oui c'est exact!<br />
- Des Ie debut, des la premiere discussion du reglement des cereales, cela a ete evoque.<br />
- Est-ce que vous vous souvenez du moment ou Marjolin a fait des propositions, et s'if en a<br />
fait, concernant une mo<strong>nn</strong>aie commune ou des reglements financiers communs. Un fond de<br />
stabilisation par exemple ?<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
- Alors attendez, son premier document etait en 1965. Un document qui etait de sa mam<br />
entierement, sur une politique monetaire pour la Communaute. On ne prononyait <strong>pas</strong> encore Ie<br />
mot « mo<strong>nn</strong>aie commune» parce qu'il ne fallait <strong>pas</strong> effaroucher les gens. Mais on parlait de<br />
politique monetaire coordo<strong>nn</strong>ee qui etait fondamentalement necessaire au bon fonctio<strong>nn</strong>ement<br />
d'une union economique. En plus, c'etait inscrit dans Ie Traite.<br />
- Est-ce que c 'etait original a I'epoque d'en parler?<br />
- Qui, on avait peur d'en parler. Cela avait une co<strong>nn</strong>otation federaliste qui deplaisait<br />
profondement a <strong>pas</strong> mal de gens. En plus techniquement il n'y avait <strong>pas</strong> beaucoup de gens<br />
© Archives historiques de l'Union europée<strong>nn</strong>e<br />
© Historical Archives of the European Union<br />
12
Jean Flory<br />
par Ie Conseil.<br />
Interruption<br />
- Les rapports avec Ie gouvernement.<br />
- Oui, ce principe de bon sens etant pose, il fallait Ie vivre au jour Ie jour et cela n'etait <strong>pas</strong><br />
toujours tres commode. Surtout quand une perso<strong>nn</strong>alite de la stature du General avait Ie<br />
se.ntiment que l'Europe etait une chose a<strong>nn</strong>exe dans la vie des grands pays, et qu'un peu<br />
d'Europe peut aider a avoir une surface economique plus sure et a mieux resister aux autres.<br />
Beaucoup d'Europe ou il faut que les gouvemements alienent une partie de leur liberte, c'est<br />
beaucoup moins bien. La cohabitation entre Ie nouveau President de la Republique issu de la<br />
crise de 1958, la Commission en general, et Marjolin en particulier, s'est bien <strong>pas</strong>see au<br />
debut. Le General a fait tout ce qu'il fallait pour que la France entre vraiment dans la<br />
Communaute, puisque tout a commence en 1958, pour qu'elle suive Ie rythme des<br />
desarmements douaniers, n'invoque <strong>pas</strong> les clauses d'exception qui etaient prevues dans Ie<br />
Traite. Tout s'est deroule grace a la volonte ferme du gouvemement. Marjolin tout seul a joue<br />
un role important la-dedans. Mais il y a eu un homme fondamental, Couve de Murville, qui<br />
etait un europeen et un gaulliste. II avait fait son choix en faveur du bon fonctio<strong>nn</strong>ement de la<br />
Communaute. Et ce qui a pese tres lourd dans les choix qui ont ete faits. Avec d<strong>'a</strong>illeurs<br />
encore beaucoup d<strong>'a</strong>utres tres hauts fonctio<strong>nn</strong>aires qui constituaient Ie « staff» economique<br />
de la France a l'epoque, que ce soit Ie Directeur des relations economiques exterieures,<br />
Clapier, ou Ie directeur des affaires economiques du Quai d'Orsay, Wormser, etc. Tout Ie<br />
monde poussait dans la meme direction et Ie General, sans forcement etre content de tout, a<br />
decide qu'on faisait l'Europe. II y avait des impatiences et des enervements de temps en<br />
temps. Et certainement un des roles importants de Marjolin a ete de desarmer ces impatiences<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
et ces enervements. II voyait beaucoup les ministres les uns apres les autres, et rencontrait de<br />
temps en temps, <strong>pas</strong> tres souvent, Ie General. II voyait beaucoup Couve de Murville en<br />
particulier.<br />
- Vous pouvez preciser ces enervements, ces impatiences?<br />
- C'etait par exemple a propos de la Commission qui faisait une proposition pour accelerer Ie<br />
desarmement douanier. II y a eu les condamnations de la France sur des aides d'Etat. Cela<br />
<strong>pas</strong>sait mal. On n'etait <strong>pas</strong> encore habitue a une Commission gardie<strong>nn</strong>e des traites et de la<br />
concurrence. C'etait les premiers balbutiements. Et puis iI y a eu l<strong>'a</strong>ffaire du role accru du<br />
Parlement Europeen, lie au fmancement de la politique agricole commune. La demarche de<br />
© Archives historiques de l'Union europée<strong>nn</strong>e<br />
© Historical Archives of the European Union<br />
14
Jean Flory<br />
Hallstein etait la suivante, il faut Ie rappeler: « Je vais demander beaucoup d<strong>'a</strong>rgent aux pays<br />
de la Communaute, en particulier au mien, cela va etre dur a vendre. La seule fayon que j<strong>'a</strong>i<br />
de Ie faire accepter c'est de renforcer Ie controle parlementaire sur l'usage de ces fonds, donc<br />
d<strong>'a</strong>ugmenter les pouvoirs du Parlement Europeen ». Et c'est cette declaration la qui a<br />
declenche une crise majeure avec les franyais, la chaise vide et toute la suite. Alors la chaise<br />
vide! C'etait tout de meme un peu etrange de voir la France rompre les relations<br />
diplomatiques avec elle-meme. Ne <strong>pas</strong> sieger au Conseil des ministres dont elle etait une<br />
pc:rrtie essentielle cela faisait un drole d'effet. En sous-main on a quand meme fait que la<br />
France soit presente completement, meme si elle n'etait <strong>pas</strong> lao Pas seulement la Commission<br />
d<strong>'a</strong>illeurs, <strong>pas</strong> seulement l'equipe Marjolin, mais les autres pays qui etaient tres tristes de cette<br />
situation. Donc fmalement la France y etait sans y etre. Et on a trouve ce compromis de<br />
Luxembourg, sur lequel nous n'insisterons <strong>pas</strong>. Qui a quand meme complique les choses par<br />
la suite parce que c'etait un facteur de brouillage de la lecture institutio<strong>nn</strong>elle. Et cela a ete<br />
mauvals.<br />
- Emile Noel a du etre tres oppose.<br />
- Emile Noell<strong>'a</strong> accepte dans la tristesse. Pendant la crise, avec la representation permanente<br />
franyaise, Noel et moi etions tout Ie temps au telephone pour lui permettre de continuer a<br />
participer completement a la vie de la Communaute.<br />
- Justement puisque la on est dans les rapports Commission et gouvernement. Qui<br />
representait la France?<br />
- Boegner.<br />
- C'est Roegner d<strong>'a</strong>ccord. Vous voulez do<strong>nn</strong>er un temoignage sur Roegner?<br />
- Jean-Marc Boegner etait un perso<strong>nn</strong>age de haute stature et de grande qualite. Tres sous<br />
instructions, comme tout ambassadeur, ce n'etait <strong>pas</strong> commode pour lui. D'une vision<br />
gaulliste des choses, mais en meme temps tres europeen, c'etait son job. II a ete la grande<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
victirne de la chaise vide finalement, parce qu'il n<strong>'a</strong> <strong>pas</strong> pu revenir ensuite. On ne remet <strong>pas</strong><br />
un ambassadeur qui a ete rappele. II avait un adjoint remarquable, Maurice Ulrich,<br />
actuellement senateur de Paris.<br />
- Je vais Ie rencontrer.<br />
- II vous en dira beaucoup.<br />
- Done, cette politique de la chaise vide, vous I<strong>'a</strong>vez vecu comment. Parce que vous en parlez<br />
avec une certaine decontraction.<br />
- Apres coup, forcement.<br />
- Oui, sur Ie moment?<br />
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Jean Flory<br />
- Sur Ie moment c'etait tres difficile et tres penible quand on etait fran
Jean Flory<br />
franyaise... Et il fallait integrer cela.<br />
- Je ne comprends <strong>pas</strong> que vous disiez... Enfinje ne mets <strong>pas</strong> en doute votre temoignage, c 'est<br />
vous Ie temoin. Mais par rapport aquinze, cela semble plusfacile de resoudre les problemes?<br />
- C'etait plus facile, mais cela s'est fait a un rythme beaucoup plus rapide. Les dix premieres<br />
a<strong>nn</strong>ees ont ete une cavalcade incroyable. On a reforme toute l<strong>'a</strong>griculture en dix ans!<br />
- Oui, c 'hail une creation.<br />
- Une creation complete.<br />
- .C'est pour cela que l'onfail ce programme. C'est pour savoir comment cela se <strong>pas</strong>se.<br />
- II n'y a jamais eu autant de choses imaginees et mises en place en si peu de temps, dans<br />
aucun pays du monde. Cela a ete une incroyable renovation des structures politiques et<br />
administratives des pays europeens. On n<strong>'a</strong>urait jamais pu faire cela dans un de nos pays.<br />
Imaginez ce que c'est que de deplacer trois sous de subventions en France des poubelles vers<br />
les canards. La tout y a <strong>pas</strong>se: tous les prix ont ete changes, tous les modes de production, tous<br />
les circuits de distribution ont ete modifies. Les autres ont ete invites a venir chez nous. Nous<br />
avons invite nos agriculteurs a aller chez les autres.<br />
- Justement, groupes de pression. On parlail des gouvernements, mais est-ce que les<br />
professio<strong>nn</strong>els n 'exerraient <strong>pas</strong> un lobbying sur vous?<br />
- On faisait avec les professio<strong>nn</strong>els exactement ce que l'on faisait avec les gouvemements,<br />
c'est a dire qu'on les voyait beaucoup. Par exemple, je voyais constamment les cinq<br />
dirigeants d'organisations agricoles qui comptaient en France. lIs etaient membres du Comite<br />
Economique et Social a Bruxelles, et c'etait facile de se voir comme cela. Tout Ie monde<br />
faisait de meme. Ils nous disaient: « si vous fixez Ie prix du pore a tel niveau, cela va avoir<br />
telle consequence ». On verifiait, mais c'etait important de Ie savoir, sinon on aurait fait des<br />
betises. Je ne veux <strong>pas</strong> parler de lobby au sens negatif du mot, mais de concertation avec les<br />
professio<strong>nn</strong>els. Bruxelles est a cet egard plus ouvert que Paris, Bruxelles en tant<br />
qu'institution.<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
- D <strong>'a</strong>ccord. Cela c 'hail vraiment voulu par Ie Traile, il n y a <strong>pas</strong> de doute.<br />
- C'etait voulu par Ie Traite et a ete, tres pratique, peut etre au-dela de ce que voulait Ie Traite<br />
parce que l'on etait <strong>pas</strong> sUr de ce que l'on faisait. Reformer la politique des transports n'est<br />
<strong>pas</strong> evident. II fallait voir les transporteurs routiers, ferroviaires, fluviaux, demander: « si on<br />
fait cela, qu'est-ce que cela do<strong>nn</strong>e? ». Les professio<strong>nn</strong>els etaient heureux d'etre accueillis. A<br />
Paris on ne les accueille <strong>pas</strong> beaucoup. Les administrations nationales n'ont sans doute <strong>pas</strong> Ie<br />
temps... La-bas on les sollicitait, parce qu'on avait vraiment besoin de savoir quelles allaient<br />
etre les consequences des actes qui seraient eventuellement pris. Si bien que lorsqu'on arrivait<br />
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Jean Flory<br />
a une decision, fut-elle difficile, Ie terrain etait quand meme tres prepare. Et les decisions sur<br />
la politique agricole se sont <strong>pas</strong>sees sans drames rnajeurs. Tous les paysans ne sont <strong>pas</strong><br />
descendus dans la rue, loin de lao<br />
- Non, c 'est plus tard qu 'ils sont descendus.<br />
- C'est plus tard, quand on a ouvert les frontieres davantage, et baisse les prix.<br />
- En ce qui concerne les gouvernements, il y a encore un gouvernement dont on n <strong>'a</strong> <strong>pas</strong> parle,<br />
qui n 'est <strong>pas</strong> europeen. C'est Ie gouvernement americain. Est-ce que ce gouvernement<br />
americain a eu une influence sur la Commission Europee<strong>nn</strong>e a cette epoque la?<br />
- Les Americains ont pris tres au serieux cette Communaute a la naissance de laquelle ils<br />
avaient fortement contribue. Et ils ont d<strong>'a</strong>bord ete des observateurs extremement vigilants et,<br />
sur certains points sensibles pour eux sur Ie plan economique, ils ont presente des demandes<br />
franches et pour ne <strong>pas</strong> dire brutales, notarnment dans certains domaines agricoles, dernandes<br />
dont on n<strong>'a</strong> <strong>pas</strong> tellement tenu compte au debut, ce qui fait qu'on peut parler d'un veritable<br />
froid entre les Etats Unis et la Communaute Europee<strong>nn</strong>e, dans les a<strong>nn</strong>ees 1965-1970. lIs<br />
voyaient cette agriculture europee<strong>nn</strong>e monter, leurs exportations se stagner. Les affaires au<br />
GATT ne se <strong>pas</strong>saient <strong>pas</strong> aussi bien qu'ils l<strong>'a</strong>uraient souhaite, meme si fmalement cela a<br />
marche. La Communaute faisait tres attention. On recevait tout Ie temps les membres de la<br />
mission americaine qui etait tres nombreuse.<br />
- Quel hail l<strong>'a</strong>mbassadeur?<br />
- Je ne sais plus. La representation americaine a toujours ete plus forte que les representations<br />
permanentes aupres de la CEE. La Communaute avait aux USA un bureau. Le premier bureau<br />
que l'on a ouvert a l'etranger etait aux Etats Unis de fayon a suivre tout ce qui se <strong>pas</strong>sait.<br />
- Mais qui hail Ie representant?<br />
- II y a eu d<strong>'a</strong>bord un bureau de presse qui ensuite a ete complete par une representation<br />
diplomatique. Le bureau de presse etait conduit par Leonard Te<strong>nn</strong>yson, qui vit toujours, sur la<br />
cote du Pacifique.<br />
- C'est un Americain?<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
- C'est un americain tres interessant. Un cabinet d<strong>'a</strong>vocats americains aidait aussi la<br />
Communaute au debut. C'etait Cleary, Gottlieb et Ball, Georges Ball, l<strong>'a</strong>ncien secretaire<br />
d'Etat americain.<br />
- On retrouve Mo<strong>nn</strong>et la, non.<br />
- On retrouve Mo<strong>nn</strong>et. Les deux travaillaient pour la CECA, Te<strong>nn</strong>yson et Ball.<br />
- D <strong>'a</strong>ccord, donc vous estimez... Est-ce que Marjolin avail une doctrine concernant les<br />
rapports avec les Etats Unis?<br />
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Jean Flory<br />
- 11 co<strong>nn</strong>aissait bien les Etats Unis. 11 y comptait beaucoup d<strong>'a</strong>mis. Sa femme etait americaine.<br />
11 savait quand il fallait dire oui, et quand il fallait resister. 11 y avait des points sur lesquels il<br />
estimait que ce n'etait <strong>pas</strong> possible de dire oui. Les americains sont comme cela, ils essayent<br />
et si cela ne marche <strong>pas</strong>, cela ne marche <strong>pas</strong>.<br />
- Alors vous avez precise tout a I'heure les pommes de discorde entre les Americains et les<br />
Europeens. C'est adire, les droits de douane...<br />
- C'etait essentiellement Ie GATT et la politique agricole.<br />
- D <strong>'a</strong>ccord. Rien d<strong>'a</strong>utre?<br />
- C'est beaucoup.<br />
- Qui, d<strong>'a</strong>ccord.<br />
- 11 y a eu quand meme d<strong>'a</strong>utres dossiers sensibles, par exemple les investissements<br />
americains en Europe, c'est adire Ie probleme de la societe europee<strong>nn</strong>e. Deux theses se sont<br />
affrontees dans la Communaute: la these qui disait que les societes europee<strong>nn</strong>es etaient des<br />
societes acapitaux europeens. Et l<strong>'a</strong>utre these qui disait qu'une societe europee<strong>nn</strong>e etait une<br />
societe de droit europeen, c'est adire etablie dans I'un des pays de la Communaute, quels que<br />
soient ses capitaux. Certains se sont dits: « c'est Ie cheval de Troie du capitalisme americain<br />
qui va envahir l'Europe dans des domaines aussi sensibles que I'energie, I<strong>'a</strong>utomobile,<br />
I<strong>'a</strong>eronautique, ils vont tout prendre! » 11 ne faut <strong>pas</strong> oublier que c'etait I'epoque OU l'on<br />
parlait du deti americain. On mettait I' Amerique tres loin, tres haut devant nous et l'Europe<br />
paraissait toute petite et tres faible. C'est fmalement la deuxieme these qui I<strong>'a</strong> emporte sur la<br />
base d'une decision de la Cour de Justice apropos de l'implantation d'une societe. Parce que<br />
tout cela partait de problemes de droit d'etablissement et de libre prestation. La these a ete:<br />
peu importe la nationalite du capital, ce qui compte c'est Ie droit qui regit la societe, c'est a<br />
dire Ie droit du pays du siege social. Une filiale americaine etablie en France est une societe<br />
franc;aise. Cela a ete une bataiJle rude, notarnment pour l<strong>'a</strong>spect energetique. Or I'energie etait<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
source d'un grand debat parce que c'etait l'epoque de la remise en cause de tous les<br />
approvisio<strong>nn</strong>ements d'energie et des prix de l'energie, avec I<strong>'a</strong>tome, Ie charbon et Ie petroIe<br />
qui se faisaient concurrence, avec des investissements tres lourds et des politiques de l'energie<br />
completement divergentes d'un pays a I<strong>'a</strong>utre. En fait cela faisait partie de ces « no man's<br />
land» du debut OU l'Europe ne mettait <strong>pas</strong> les mains. 11 faut etre aujourd'hui pour que l'on<br />
ouvre Ie marche du gaz et de l'electricite dans nos pays.<br />
- Est-ce que vous pourriez dire un mot sur Mo<strong>nn</strong>et par rapport ala periode oil vous avez ete a<br />
la Commission? Est-ce que Mo<strong>nn</strong>et a joue un role par rapport ala Commission Europee<strong>nn</strong>e,<br />
d 'une maniere ou d 'une autre?<br />
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Jean Flory<br />
- Mo<strong>nn</strong>et, avait Ia sagesse et Ia discretion de ne <strong>pas</strong> vouloir confisquer Ie merite des progres<br />
europeens. Cela dit, Ie Comite d<strong>'a</strong>ction pour les Etats Unis d'Europe continuait a exister. II y<br />
avait un certain nombre de membres de la Commission qui en etaient tres proche, pour ne <strong>pas</strong><br />
dire dedans. Le Comite de Mo<strong>nn</strong>et a pese lourd dans beaucoup de domaines, mais en<br />
particulier dans deux ou trois, notamment dans celui de l'elargissement. Mo<strong>nn</strong>et etait un<br />
vigoureux defenseur de I'entree de la Grande Bretagne. Dans Ie domaine social, du fait de la<br />
presence des syndicats dans Ie Comite d<strong>'a</strong>ction pour les Etats Unis d'Europe, il y a eu des<br />
choses qui se sont preparees la, et qui etaient importantes. Je pense egalement que dans Ie<br />
domaine monetaire, Ie Comite a aussi pousse. Enfm il y a eu, les prises de position du Comite<br />
d<strong>'a</strong>ction sur Ie domaine institutio<strong>nn</strong>el.<br />
- Oui, effectivement.<br />
- Vous avez certainement toute la liste des positions.<br />
- Oui. Mais cela m'interessail d<strong>'a</strong>voir votre avis parce que ce qui etail important dans Ie<br />
fond, c 'est de verifier comment ceux qui parient du Comile d<strong>'a</strong>ction est eventuellement rer;u.<br />
Et if me semble que Mo<strong>nn</strong>et travaillail pour les gouvernements. Enfin, if voulail influencer les<br />
gouvernements. Peut-etre voulail-if influencer la Commission? C'etail cela Ie sens de ma<br />
question si vous voulez.<br />
- Non, je n<strong>'a</strong>i <strong>pas</strong> Ie sentiment. II travaillait...<br />
- Vous y avez repondu de toute maniere. Vous avez repondu en disant qu'if co<strong>nn</strong>aissail les<br />
gens de la Commission. Que des membres de la Commission etaient proches ou faisaient<br />
partie du Comile d<strong>'a</strong>ction. Pour moi c 'est une reponse. Mais, est-ce qu 'on peut en dire plus?<br />
- Moi <strong>pas</strong>.<br />
- Est-ce que Mo<strong>nn</strong>et a l'epoque, avait... Enfin if avail certainement cette aura de pere de<br />
I'Europe deja, je presume.<br />
- Oh, oui, considerable! Quand Mo<strong>nn</strong>et arrivait c'etait...<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE<br />
- Cela veut dire qu'if venail vous voir, enfin qu 'il venait a la Commission.<br />
- Oui, de temps en temps il venait parler avec Hallstein, tres discretement, toujours. On ne<br />
convoquait <strong>pas</strong> la presse. II etait la. II voyait aussi Marjolin.<br />
- lis se voyaient encore?<br />
- Oh oui, bien sill! Tres souvent, soit a Paris, soit a Bruxelles.<br />
- Donc ses interlocuteurs a la Commission c 'etait Hallstein?<br />
- C'etait Hallstein, c'etait Marjolin. Je pense que cela a du etre Mansholt aussi. Mansholt Ie<br />
hollandais, qui avait pris une stature considerable du fait de son succes dans la politique<br />
agricole commune. En plus I'homme etait rayo<strong>nn</strong>ant. Vous I<strong>'a</strong>vez co<strong>nn</strong>u?<br />
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Jean Flory<br />
- Non.<br />
- Non. Une espece de geant extraordinaire.<br />
- Non, je eo<strong>nn</strong>ais un peu Davignon.<br />
- Davignon a beaucoup de qualite, mais il n<strong>'a</strong> <strong>pas</strong> l<strong>'a</strong>udace politique de Mansholt qui avait un<br />
culot foul Quand on prenait une decision difficile et que l'on disait: «mais attention, les<br />
agriculteurs fran
Jean Flory<br />
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FLORY, Jean<br />
HAEU AHUE HAEU AHUE