logique_calcul 10/06/04 14:18 Page 93 cla Macintosh HD:Desktop Folder:321_01_06:p090095_logique_calcul:des <strong>nombres</strong> irrationnels spontanés, la situation en était devenueun peu ridicule. Certaines grandes vedettes du zoo des<strong>nombres</strong> sont très bien connues et pourtant, même dans laséquence des 1240 milliards de décimales de π (calculéeen 2003), on n’a rien trouvé d’étonnant (pour une séquencede cette longueur). <strong>Les</strong> décimales connues de π possèdentles propriétés statistiques qu’on est en droit d’attendre d’uneséquence tirée au hasard (par exemple tous les chiffres apparaissentavec la même fréquence), même si on ne sait pasprouver que les décimales posséderont jusqu’à l’infini lespropriétés statistiques constatées pour le début.Premiers zèbres3. Nombres de Kevin BrownOn pose f(0) = 0 et pour tout n positif : f(n) = 10 x f(n –1) + n.f(1)=1 ; f(2)=12 ; f(3)=123 ; f(4)=1234 ; f(9)=123456789 ;f(10)=1234567900 ; f(20)= 12345679012345679010…<strong>Les</strong> <strong>nombres</strong> de Brown sont les racines carrées des <strong>nombres</strong>f(n) lorsque n est impair.(a) 200 chiffres du nombre de Brown pour n =11√12345679011 =111111,11110505555555539054166665767340972160955659283519805692195973282002199820425188081280643929051217799251900248220148197382717397655652676629178460326580748304257750980468915512822241999521974536(b) 200 chiffres du nombre de Brown pour n =19√1234567901234567899 =1111111111,1111111101055555555555555551005416666666666662548790972222222217563875342881944438542318948320312491987864639011490874022265592575151187670192253747498381402268715374698946741515716998071551(c) 200 chiffres du nombre de Brown pour n = 25√1234567901234567901234565 =1111111111111,1111111111098055555555555555555555547885416666666666666666657654253472222222222222208985240342881944444444422669609252929687499999961621852974955240885416595804159481137593587239448030234(d) 200 chiffres du nombre de Brown pour n =31√1234567901234567901234567901231 =1111111111111111,1111111111111095055555555555555555555555555543955416666666666666666666666649904465972222222222222222222191945497217881944444444444444383194629760664062499999999999867241026672906022135(e) 400 chiffres du nombre de Brown pour n = 49√1234567901234567901234567901234567901234567901229 =1111111111111111111111111,1111111111111111111111086055555555555555555555555555555555555555555555527305416666666666666666666666666666666666666666602962603472222222222222222222222222222222222222042656394092881944444444444444444444444444444443877555125040117187499999999999999999999999999998082496877114863053385416666666666666666666666659871857386214406386555989583333333333333333333308434604076276082069402770996093749999999999999906Récemment les choses ont changé car l’utilisation des ordinateurset des logiciels de calcul formel permettent denombreuses expérimentations. Grâce à elles ont été découvertscertains <strong>nombres</strong> irrationnels spontanés possédant desmotifs réguliers remarquables dans leurs décimales.Le premier exemple sera un peu monotone, mais il expliquepourquoi on a dénommé nombre zébré ces étranges irrationnels,qu’on appelle aussi <strong>nombres</strong> schizophrènes. Le calculpar la machine de √(10 60 – 1) donne le nombre zébré de lafigure 1b. La suite des décimales de ce nombre irrationnel estconstituée de séquences uniformes de 9 entrecoupées deséquences désordonnées de chiffres se terminant par 24 ou74. <strong>Les</strong> séquences de 9 diminuent de longueur et finissentpar disparaître vers le deux millième chiffre. On peut expliquercette remarquable zébrure en étudiant soigneusement commedans le cas de 1/9999999997 le développement en série associéà ce nombre. On s’aide cette fois de la formule :√(1–x) = 1–1/2 x +1/2(1/2–1) x 2 /2 !–1/2(1/2–1)(1/2–2) x 3 /3 !+…La même étude rend compte aussi de la présence du24 et du 74 (qui proviennent du fait que les deux dernierschiffres décimaux du quotient d’un entier impair par unegrande puissance de 2 se termine toujours par 25 ou 75).Même si l’explication mathématique n’est pas mystérieuse,on est surpris qu’une régularité présente dans la définitionsur 60 chiffres (le nombre 10 60 – 1 est une suite desoixante 9 consécutifs) engendre une structure zébréedans la racine carrée sur près de 2000 chiffres !En utilisant votre logiciel de calcul préféré, vous constaterezqu’en remplaçant 10 60 par une puissance de 10 plusgrande vous prolongerez les zébrures : par exemple, pour√(10 200 – 1), les zébrures ne s’évanouissent qu’après 20 000décimales. Pourtant jamais vous ne réussirez à empêcherles séquences désordonnées de gagner du terrain et de noyerles séquences de 9 qui semblent s’épuiser petit à petit : ledésordre grignote progressivement l’ordre !Si, en gardant l’exposant 60, vous remplacez la racine carréepar une racine quatrième ou une racine cinquième un phénomèneanalogue de zébrure persiste :des séries de 9 séparéespar des zones de plus en plus longues de chiffres quelconques.En revanche, pour la racine troisième et la racine sixième, lephénomène est différent : une première séquence de 9 estsuivie d’une séquence de 6, puis d’une séquence de 5, puisalors des décimales sans régularité apparente. Avec laracine septième aucune zébrure n’est apparente. La famillede tous les <strong>nombres</strong> zébrés de la forme (10 n –1) 1/k est nomméefamille de Roland Yéléhada en l’honneur de son découvreur,mais aucune étude générale, à ma connaissance, nepermet de prédire, sans faire le calcul explicite, comment seprésenteront les décimales en fonction des valeurs des paramètresn et k.<strong>Les</strong> <strong>nombres</strong> zébrés de BrownPassons à une famille de <strong>nombres</strong> zébrés plus étrange encoredécouverte et étudiée par Kevin Brown. On définit d’abordune suite numérique par récurrence par les formules :f(0) = 0 ; pour tout n > 0 : f(n) = 10 x f(n – 1) + n.On a ainsi : f(1) = 1; f(2) = 12 ; f(3) = 123 ; f(4) = 1234 ;f(9) = 123456789 ; f(10) = 1234567900 ;f(20) = 12345679012345679010 ;f(30) = 123456790123456790123456790120<strong>Les</strong> <strong>nombres</strong> de Brown sont les racines carrées des <strong>nombres</strong>f(n) pour n impair ; quelques-uns sont donnés dans la figure 3.Tous présentent les mêmes caractéristiques, qui sont de plusen plus accentuées quand on augmente la valeur de n.© POUR LA SCIENCE - Logique & calcul93
logique_calcul 10/06/04 14:18 Page 94 cla Macintosh HD:Desktop Folder:321_01_06:p090095_logique_calcul:4. Le zèbre fou de R. Israël, k(n) = √(9/121 x 100 95 + (112 – 44 x 95)/121)1234567890– Il s’agit de <strong>nombres</strong> zébrés, les zones stables des zébrures(un même chiffre répété consécutivement) étant cette fois composéesde chiffres autres que le chiffre 9.Entre les zones stables,on trouve, comme dans les décimales des <strong>nombres</strong> de Yéléhada,des suites de chiffres sans structure apparente.– Plus on s’avance dans la suite des décimales, pluspetite est la place occupée par les zones stables, et à partird’un certain endroit, plus aucune régularité n’est visible.– Dans tous les <strong>nombres</strong> de Brown, les zones stablessont constituées d’abord de 1, puis de 5, puis de 6, puis de 2et l’ordre 1-5-6-2-… semble résulter d’une loi commune àtous les <strong>nombres</strong>.Kevin Brown, qui a mené l’étude de ces <strong>nombres</strong> (en utilisantencore une technique de développement en série accompagnéede considérations arithmétiques), a réussi à découvrirla loi qui régit l’ordre des chiffres dans les tranches uniformesde ses <strong>nombres</strong> et l’a exprimée sous la forme d’un algorithmequi lui a donné le tableau suivant :1562496392137599996393699992134893697862499999999999996393699993696399999999999992134893694265199993696399997865196392137599999999999999999999999999999999999999996393699993696399999999999993696399996393699999999999999999999999999999999999999992134893694265199993696399994268796395734899999999999993696399996393699999999999997865196395734899996393699992134893697862499999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999999996393699993696399…(voir http://www.mathpages.com/home/kmath404.htm).Chose amusante et bizarre – pour l’instant inexpliquée –cette suite présente aussi des zébrures dues à des séquencesde 9 consécutifs :des zébrures dans la structure des zébrures !94© POUR LA SCIENCE - N° 321 JUILLET 2004