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On loue beaucoup les Français pour montrer de manièrevis-à-vis du corps, le vêtement ne sert pas à cacher sadécomplexée la nudité dans les médias (cinéma,nudité à tout prix, mais devient un moyen pratique de setélévision, publicité). Pourtant, ce qu’on interprèteprotéger du froid ou, dans le meilleur des cas, un outilDossierL’art de sedéshabilleroutre-RhinUne réflexion surnotre perceptionde la nuditéAux quatre coins du monde, les Françaisjouissent d’une réputation romanesqueet romantique : artistes de l’amour,de la sensualité et du sexe, il suffiraitde dégainer son plus fort accentfrançais pour évoquer une imageriedes plus érotiques. Partout, surtoutaux États‐Unis, on admire cette libertésexuelle qui aurait soi-disant été lancéeen France et dont la figure de proueserait Brigitte Bardot qui avait fièrementdévoilé ses fesses dans le film Le Méprisde Godard.Et si tout cela n’était qu’une vasteimposture ? Et si la vraie libertécorporelle s’incarnait ailleurs enEurope ? Et si, au fond, le culte ducorps nu et décomplexé ne trouvait pasplutôt sa source dans un pays souventconsidéré comme très rigoriste, à savoirl’Allemagne ?En avril 2014, les médias français se sont biengaussés de cette nouvelle : la ville de Munich adécidé de légaliser le nudisme dans six zones biendéfinies. À titre de comparaison, le fait de s’exposer enmaillot de bain à Paris est puni d’une amende, voire mêmede deux mois de prison, tandis que la nudité dans un lieupublic est sanctionnée d’un an d’emprisonnement, carconsidérée comme une exhibition sexuelle.L’activité nudiste en Allemagne n’a rien de révolutionnaireet était déjà courante depuis plusieurs années : unAllemand sur sept affirme se rendre régulièrement surdes plages nudistes. Le fait que Munich, suivant les pasde Berlin et Francfort, ait décidé de légaliser le nudismen’a pourtant rien d’anecdotique : on peut effectivementêtre surpris que ce soit la capitale bavaroise, unerégion connue pour son conservatisme religieux, quiait pris une telle mesure. Mais cela montre en véritécombien l’Allemagne a un rapport à la nudité totalementdédramatisé, au point d’entrer dans les mœurs, mêmedans des coins plus traditionalistes du pays !Cette mentalité ne date pas d’hier : c’est dans lesannées 1920 qu’a émergé la « Freikörperkultur », c’està-direla « culture du corps libre ». Au même moment,le naturisme * connaît un vif succès dans les paysgermanistes. Pour la première fois, on associe la nuditéà la liberté. Cette explosion se fait en réponse à l’exoderural massif : les villes se remplissent tandis que lescampagnes se dépeuplent, et la nature devient non plusun lieu de travail, mais de loisirs où l’on se détend. Car,chez les Allemands, la nudité est intrinsèquement liée àla nature : elle permet de mieux apprécier les sensationsdu monde extérieur.comme un rapport totalement sain et décontracté aucorps n’est en réalité dicté que par des codes et stratégiesde marketing qui n’ont rien à voir avec un goût prononcépour la sensualité dans la vie de tous les jours. Car sil’on montre un corps dévêtu en France, ce n’est pas paracceptation du corps humain, mais pour évoquer ce quivend le mieux : le sexe. Et c’est certainement pour celaque la nudité choque toujours autant chez nous. Or, enAllemagne, un corps nu n’est pas synonyme d’érotisme,mais rime plutôt avec liberté.J’ai longtemps été inconsciente de ce rejet du corps nu enFrance, tant cette pudibonderie me semblait généraliséeet banalisée. Je me souviens avoir entendu des remarquessur ma tenue lorsque j’étais au lycée et que les bretelles demes sous-vêtements étaient visibles. Un corps légèrementdécouvert serait donc indécent. Parallèlement, combiende fois ai-je entendu mon entourage critiquer une jeunefille dans la rue qui portait une jupe ou un short trop courtalors qu’elle ferait mieux de cacher ses jambes blafardesmarquées de cellulite ? Sous de telles injonctions et detelles critiques, un corps imparfait est considéré commeun corps sale. Cela m’a longtemps semblé normal et jeme suis soumise à ces diktats esthétiques de bienséance ;j’ai persisté à cacher ce sein que la société française nesaurait voir. Par automatisme et de façon inconsciente,je me suis autocensurée et interdit de porter des robestrop courtes en plein été parce que ma peau tient plus deBlanche-Neige que de Kim Kardashian et parce que je n’aipas une silhouette de brindille.Et puis, en vivant pendant un an en Allemagne, j’airéalisé à quel point cette attitude n’était ni généralisée,ni normale, ni saine. J’ai constaté avec étonnement que,dans les piscines et les vestiaires de salles de sport, lesAllemandes se douchaient et se promenaient nues entoute insouciance, tandis que, dans pareille situation, lesFrançaises auraient plutôt tendance à se contorsionnerafin de dissimuler au maximum leur intimité.Les Allemands souffrent du stéréotype (parfois mérité) depersonnes ayant au mieux des habitudes vestimentairestrès originales, voire marginales, ou au pire d’êtretotalement désintéressés des soucis esthétiques imposéspar la mode. Dans la lignée de cette logique germaniquecréatif, un véritable mode d’expression. Le vent de libertévestimentaire qui souffle en Allemagne est extrêmementrafraîchissant et m’a profondément marquée.Certains lecteurs seraient tentés de me rétorquer : « LesAllemands aiment se montrer nus, pas les Français… Etalors ? »J’approuve totalement le fait qu’il faut respecter lesdifférences culturelles de chaque pays. Je ne tiens pasà forcer les Français à dévoiler leur nudité contre leurgré. Mais je ne peux m’empêcher de lever les yeux auciel lorsque j’entends les Français glousser à la simpleprononciation du mot « nudisme » et l’associer à uneactivité déviante. Car changer son rapport au corps nupourrait, au final, être plus bénéfique qu’on ne le penseet il faut parfois savoir adopter les bonnes habitudes desautres.Selon une enquête Ocha/CSA datant de 2003, 60 %des Françaises interrogées avaient un poids considérécomme normal selon des critères médicaux. Pourtant,seul un quart d’entre elles se considéraient satisfaites deleur poids, et 2 sur 3 se sentent mal dans leur corps.Comment expliquer un tel décalage entre la réalitéscientifique et la vision déformée que les femmesfrançaises ont de leur corps ?Le problème est qu’à force de ne montrer la nudité quedans les médias et non dans l’espace public, l’image quel’on se fait du corps nu devient peu à peu irréaliste :la télévision, le cinéma, la publicité et les magazinesn’exposent que des corps de mannequins filiformes, sansla moindre aspérité car photoshopés. Et comme les vraiscorps, ceux de nos voisins et voisines, se cachent avecune pudeur excessive, nous n’avons aucune possibilitéde comparer notre corps à celui des autres. Nous n’avonsaucune occasion de réaliser que ces corps parfaits surpapier glacé n’existent pas dans la vraie vie. Nous ne nousimaginons pas une seconde que les corps normaux ontdes bourrelets, de la cellulite, des vergetures… Et nouspensons ainsi que ne pas correspondre à ces standardsprésentés dans les médias revient à être anormal etdisgracieux.Dossier*à ne pas confondre avec le nudisme !42 Barbarie Hiver 2015 Barbarie Hiver 201543

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