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Introduction - Centre académique de ressources sur la maîtrise des ...

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Comprendre <strong>de</strong>s textes écritscréatures maléfiques! Le lecteur doit, pour ne pas se tromper, comprendre très vite qu’endépit d’un système énonciatif on ne peut plus traditionnel (récit à <strong>la</strong> troisième personne),le texte montre <strong>la</strong> scène en épousant le regard du héros naïf et ignorant 4 , l’art <strong>de</strong> l’auteurconsistant à ne pas révéler immédiatement que les monstres métalliques et sans visage sonten fait <strong>de</strong>s chevaliers en armure qui vont être à l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> vocation du jeune héros. Bienévi<strong>de</strong>mment, ce choix narratif particulier fait par l’auteur 5 est au service d’une meilleureconnaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> psychologie et <strong>de</strong> l’état d’esprit du personnage principal, mais il peutaussi retar<strong>de</strong>r, voire entraver, <strong>la</strong> compréhension d’un lecteur qui dès lors peut ne plus avoirenvie <strong>de</strong> lire <strong>la</strong> suite. Ce procédé textuel <strong>de</strong>stiné à réserver au lecteur d’agréables effets <strong>de</strong><strong>sur</strong>prise et à instiller <strong>de</strong> l’humour dans le récit peut s’avérer être, pour un lecteur en difficulté,un véritable piège. D’où parfois l’idée répandue chez les élèves selon <strong>la</strong>quellel’écrivain sadique trufferait volontairement son texte <strong>de</strong> chausse-trappes afin <strong>de</strong> piéger sonlecteur! Certains pourront dire qu’il n’est pas grave que le lecteur commette quelquescontresens à propos d’un tel incipit, car <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> l’histoire apporte <strong>de</strong>s éc<strong>la</strong>ircissementsqui permettent d’en rétablir <strong>la</strong> cohérence. N’oublions cependant pas que <strong>de</strong> tels textes sontprésentés dans les manuels à titre d’extraits isolés, que le lecteur ne peut donc compter <strong>sur</strong><strong>la</strong> suite du texte et que, dans l’hypothèse où l’œuvre serait proposée dans son intégralité,seul un lecteur déjà expérimenté pourra accepter <strong>de</strong> ne pas comprendre tout <strong>de</strong> suite.Le texte à caractère historique consacré au Tiers État et présenté dans le manuel Le françaisà <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> l’histoire-géographie CM1, n’attend, quant à lui, pas <strong>de</strong> suite.Le Tiers ÉtatLe Tiers État regroupe tous ceux qui ne sont pas nobles ou clercs. Ils n'ont pas <strong>de</strong> privilègeset doivent tous payer <strong>de</strong> lourds impôts au roi (<strong>la</strong> taille), à <strong>la</strong> noblesse (droits seigneuriaux)et à l'Église (<strong>la</strong> dîme).Près <strong>de</strong> 80 % du Tiers État vit à <strong>la</strong> campagne. Ce sont <strong>de</strong>s paysans très pauvres qui travaillent<strong>sur</strong> les terres <strong>de</strong>s seigneurs. Seuls quelques paysans propriétaires vivent dans l'aisance. Lesautres membres du Tiers État vivent dans les villes. La plupart sont <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stes ouvriers,artisans ou commerçants. Mais certains, qui forment <strong>la</strong> bourgeoisie, sont <strong>de</strong> riches négociantsou industriels, ils voudraient bien accé<strong>de</strong>r aux hautes fonctions réservées aux nobles.À <strong>la</strong> fin du XVIII e siècle, l'ensemble du Tiers État est mécontent <strong>de</strong>s inégalités […] quirègnent dans <strong>la</strong> société.Extrait du manuel Le Français à <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> l’histoire-géographie, CM1,Ateliers Hachette Éducation, 2003, © Éditions Hachette64. Le type du «nice » en littérature médiévale, futur chevalier ayant vécu son enfance à l’écart <strong>de</strong> <strong>la</strong>civilisation.5. Focalisation ou monstration interne.


Comprendre <strong>de</strong>s textes écrits<strong>de</strong> l’élève. Ainsi cette définition du pouls, que l’on trouve dans une sorte <strong>de</strong> mini dictionnaireà <strong>la</strong> fin d’un manuel <strong>de</strong> sciences pour le cycle 3. Récapitu<strong>la</strong>nt les principales notionsvues durant les trois années du cycle, elle se caractérise par une gran<strong>de</strong> précision mais estdifficile à comprendre pour un lecteur qui n’a pas en tête l’image d’un corps humain encoupe reconstituant le trajet du sang. Car il s’agit bien d’une histoire <strong>de</strong> parcours ou d’itinéraire,que le lecteur doit reconstituer mentalement étape par étape.Le poulsLe pouls est <strong>la</strong> pulsation qu'on sent lorsqu'on pose son doigt <strong>sur</strong> une artère (au niveau dupoignet par exemple). Cette pulsation correspond au sang qui est expulsé dans les artèreslorsque les ventricules du cœur se contractent.Extrait du manuel Sciences cycle 3, 64 enquêtes pour comprendre le mon<strong>de</strong>, © Éditions Magnard, 2003Le problème est que le texte saute ces étapes et que l’on passe presque directement ducœur au poignet en <strong>de</strong>ux phrases, un lecteur dépourvu <strong>de</strong>s connaissances préa<strong>la</strong>bles nécessairespouvant alors penser que le sang sort du poignet comme un fleuve arrivant au terme<strong>de</strong> son parcours, <strong>de</strong> <strong>la</strong> source à l’embouchure! Le lecteur doit en outre faire le lien entreles contractions <strong>de</strong>s ventricules et <strong>la</strong> pulsation ressentie au niveau du poignet! Ce type <strong>de</strong>texte paraît souvent simple à comprendre en raison <strong>de</strong> sa brièveté, mais le fait <strong>de</strong> synthétiserun savoir oblige souvent leur concepteur à faire intervenir <strong>de</strong> concert plusieurs cohérencesou principes <strong>de</strong> structuration du texte, en l’occurrence ici un dép<strong>la</strong>cement <strong>de</strong> lieu enlieu associé à <strong>de</strong>s liens <strong>de</strong> cause à effet, qui facilitent <strong>la</strong> con<strong>de</strong>nsation <strong>de</strong>s informationsmais ren<strong>de</strong>nt beaucoup plus difficile l’é<strong>la</strong>boration par le lecteur d’une représentation mentale<strong>de</strong> <strong>la</strong> situation proposée.On le voit, comprendre un texte pour un élève <strong>de</strong> cycle 3 ou <strong>de</strong> collège n’est pas une tâchefacile et ne va pas <strong>de</strong> soi. Le constat <strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong>s élèves effectué par les enseignantscorrespond effectivement à une réalité mais il faut se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tirer, à partir <strong>de</strong> telsconstats, <strong>de</strong>s conclusions trop rapi<strong>de</strong>s qui mettraient en cause telle métho<strong>de</strong> d’enseignementou telle pratique d’enseignants.Pour prendre <strong>la</strong> me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong>s malentendus, revenons un instant à cette polémique autour <strong>de</strong>smétho<strong>de</strong>s d’enseignement <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture au CP.Les arguments avancés pour expliquer les difficultés <strong>de</strong>s élèves se rapportaient à <strong>la</strong> manièredont était enseigné l’apprentissage du déchiffrage, comme si apprendre à lire revenait àapprendre à déchiffrer. Or, il suffit <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> près les tests effectués auprès <strong>de</strong>s élèvesou les résultats aux différentes évaluations nationales pour constater qu’apprendre à lire est8


<strong>Introduction</strong>aussi apprendre à comprendre les textes écrits. L’Observatoire national <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture signa<strong>la</strong>iten effet déjà en 2000 que 15 à 20% <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin du CE2 éprouvaient <strong>de</strong>s difficultésà comprendre, en situation d’autonomie, «une consigne qu’ils rencontrent habituellementen c<strong>la</strong>sse» (ONL, 2000). Une étu<strong>de</strong> réalisée en 2004 par <strong>la</strong> Direction <strong>de</strong> l’évaluation et <strong>de</strong><strong>la</strong> prospective (DEP) du ministère <strong>de</strong> l’Éducation nationale montrait qu’à peine un tiers <strong>de</strong>sélèves étaient capables «d’exploiter les informations d’un texte pour en dégager le sens etl’interpréter avec finesse, d’en faire un résumé et une synthèse», que <strong>la</strong> moitié d’entre euxavaient du mal «à percevoir et exploiter tous les aspects d’un document» et que 15%étaient en gran<strong>de</strong> difficulté 6 .En prenant connaissance <strong>de</strong> ces chiffres, il serait facile <strong>de</strong> tirer <strong>de</strong>s conclusions hâtives <strong>sur</strong>une supposée inefficacité <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’enseignement ou une incapacité <strong>de</strong>s enseignants,et d’alimenter ainsi une rumeur malsaine. Gardons donc raison et <strong>de</strong>mandons-nous si les difficultés<strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong>s élèves sont liées à leur difficulté <strong>de</strong> déchiffrage. Autrementdit, suffit-il <strong>de</strong> bien déchiffrer pour apprendre à bien lire?Une étu<strong>de</strong>, citée par Maryse Bianco (2003) et menée par Saint-Cyr Chardon dans <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses<strong>de</strong> cycle 3, montre en effet que les élèves plus à l’aise dans l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s mots progressaientplus dans leur capacité à comprendre ce qu’ils lisaient. Le plus souvent, onexplique ce phénomène ainsi : les élèves qui ont <strong>de</strong>s difficultés à i<strong>de</strong>ntifier les mots écritsdoivent consacrer une part plus importante <strong>de</strong> leurs <strong>ressources</strong> cognitives à cette tâche queceux pour qui celle-ci est déjà <strong>la</strong>rgement automatisée. Les premiers disposent donc <strong>de</strong> <strong>la</strong>possibilité <strong>de</strong> consacrer une plus gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong> leurs <strong>ressources</strong> cognitives à l’autre tâchequi est le but même <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture: comprendre le texte.S’appuyant <strong>sur</strong> les évaluations nationales CE2, l’Observatoire national <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture expliquecependant que 85 à 90% <strong>de</strong>s élèves, <strong>de</strong>vant un texte narratif d’une quinzaine <strong>de</strong> lignes,étaient capables <strong>de</strong> prélever une information «figurant littéralement dans le texte», maisétaient dans une situation difficile lorsque ce prélèvement direct d’information ne suffisaitplus pour répondre. Les auteures <strong>de</strong> Des enfants lecteurs et producteurs <strong>de</strong> textes (2006)constatent elles aussi que «dans l’analyse qui est faite <strong>de</strong> ces données, trop souvent encoreces difficultés sont associées à <strong>de</strong>s (…) problèmes d’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> mots et <strong>de</strong> lettres»,et Ro<strong>la</strong>nd Goigoux conclut que «les élèves les plus fragiles butent essentiellement <strong>sur</strong> <strong>la</strong>compréhension <strong>de</strong> l’implicite, pas <strong>sur</strong> le déchiffrage ». Autrement dit, l’amélioration <strong>de</strong>s6. Étu<strong>de</strong> effectuée à partir d’un échantillon <strong>de</strong> 8 243 élèves <strong>de</strong> CM2 répartis dans 339 écoles publiqueset privées.9


Comprendre <strong>de</strong>s textes écritshabilités d’i<strong>de</strong>ntification facilite <strong>la</strong> compréhension mais ne suffit pas pour comprendre lestextes. L’aptitu<strong>de</strong> à les comprendre ne se développe donc pas <strong>de</strong> manière presque automatiqueune fois que l’élève a <strong>de</strong>s facilités pour déchiffrer 7 .Entendons-nous bien: il ne s’agit pas d’affirmer que déchiffrage et compréhension ne sontpas liés. Nous disons simplement:• qu’il est indispensable <strong>de</strong> savoir bien i<strong>de</strong>ntifier les mots pour comprendre un texte,• mais que cette capacité est loin <strong>de</strong> suffire,• et qu’il ne suffit donc pas <strong>de</strong> bien avoir appris à déchiffrer pour bien lire!Un lecteur qui i<strong>de</strong>ntifie rapi<strong>de</strong>ment les mots écrits, en mobilisant le plus souvent <strong>la</strong> voiedirecte (reconnaissance orthographique <strong>de</strong>s mots), sera moins en difficulté qu’un lecteurqui i<strong>de</strong>ntifie moins bien et moins rapi<strong>de</strong>ment les mots écrits 8 : il est donc important <strong>de</strong>développer l’apprentissage du déchiffrage, ainsi que celui <strong>de</strong> l’orthographe, <strong>de</strong> façon à obtenircette fluidité dans <strong>la</strong> reconnaissance <strong>de</strong>s mots. Mais il est tout aussi important <strong>de</strong> menerun apprentissage <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension qui repose <strong>sur</strong> d’autres processus que le simple prélèvementd’informations données par les mots, et cet apprentissage ne doit pas être menéune fois celui du déchiffrage achevé: il peut commencer avant même le CP, dans <strong>la</strong> médiationavec <strong>la</strong> culture écrite que mettent en p<strong>la</strong>ce les enseignants <strong>de</strong> <strong>la</strong> maternelle 9 .Apprendre à gravir un sommet nécessite certes <strong>la</strong> <strong>maîtrise</strong> <strong>de</strong> techniques précises telles queles prises, verrous, oppositions, <strong>de</strong>scente en rappel…: encore faut-il avoir appris àconnaître le milieu montagnard et avoir acquis une condition physique suffisante! 10L’apprentissage <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture ne cesse donc pas à <strong>la</strong> fin du CE2, il continue au cycle 3 et aucollège, dans toutes les disciplines, et a notamment pour but <strong>de</strong> faire progresser les élèvesdans <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>s textes 11 .7. «Pressley et Wharton-Mc Donald rappellent que pour comprendre un texte, il ne suffit pas d’êtreun bon déco<strong>de</strong>ur.» (ONL, 2000, p.288)8. «L’essentiel <strong>de</strong> leur attention est captée par le traitement <strong>de</strong>s mots et ils ne disposent plus <strong>de</strong> <strong>ressources</strong>suffisantes pour imaginer les situations ou les événements décrits.» (ONL, 2000, p. 223)9. «À l’école, apprendre à lire/écrire, c’est d’abord, dès le début, c’est-à-dire dès <strong>la</strong> maternelle (…) :pratiquer, “pour <strong>de</strong> bon”, <strong>la</strong> lecture-compréhension et <strong>la</strong> production-communication.» (Jolibert,Sraïki, 2006, p.55)10. La métaphore montagnar<strong>de</strong> est ici un clin d’œil à <strong>la</strong> métaphore cycliste utilisée par JocelyneGiasson! Nous sommes conscient du poids parfois excessif <strong>de</strong>s chaus<strong>sur</strong>es <strong>de</strong> randonnée, mais cesallusions à <strong>la</strong> montagne, qui seront récurrentes, présentent l’avantage <strong>de</strong> rendre plus tangibles <strong>de</strong>sidées parfois complexes.11. «La position <strong>de</strong> notre Observatoire est c<strong>la</strong>irement qu’il y a p<strong>la</strong>ce au cycle 3 pour <strong>de</strong>s séances d’activités<strong>de</strong> lecture i<strong>de</strong>ntifiées comme telles et visant plus spécifiquement le travail <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension.»(ONL, 2000, p.32)10


<strong>Introduction</strong>Des activités dans les manuels et dans les c<strong>la</strong>sses. Est-ce bien<strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension ?Les manuels d’enseignement <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture pour le cycle 2 proposent aux élèves <strong>de</strong>s activitésdites <strong>de</strong> compréhension. Souvent proposées après <strong>la</strong> lecture du texte support et lesexercices habituels re<strong>la</strong>tifs entre autres aux correspondances graphophonologiques ou à <strong>la</strong>combinatoire, elles prennent <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> questionnaires à choix multiples, <strong>de</strong> questionnairesvrai/faux ou encore <strong>de</strong> textes puzzles à reconstituer. Il est évi<strong>de</strong>nt qu’il s’agit là plusd’une évaluation <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en mémoire du texte support que d’un véritable travail <strong>sur</strong> <strong>la</strong>compréhension. Il suffit aux élèves <strong>de</strong> se souvenir du texte lu pour pouvoir le remettre dansl’ordre ensuite ou pour dire si tel ou tel personnage ou encore tel ou tel événement étaitbel et bien présent dans le texte. L’élève doit donc sélectionner les éléments pertinents enfonction <strong>de</strong> ce qu’il aura retenu du texte. Nous ne condamnons évi<strong>de</strong>mment pas ces activitéset encore moins les exercices <strong>de</strong> mise en mémoire qui sont indispensables pourapprendre à lire. La voie directe conduit à une reconnaissance rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mots, et <strong>la</strong> miseen mémoire <strong>de</strong> patrons syntaxiques ainsi que <strong>de</strong> scripts facilite gran<strong>de</strong>ment <strong>la</strong> compréhension.Il est cependant dommage que ne soient pas proposées <strong>de</strong> réelles activités <strong>de</strong> compréhensionpermettant aux élèves <strong>de</strong> comprendre par exemple comment relier entre eux <strong>de</strong>séléments <strong>de</strong> <strong>la</strong> phrase ou <strong>de</strong>s éléments du texte. Autrement dit, les auteurs <strong>de</strong>s manuelssemblent penser que l’activité <strong>de</strong> compréhension va <strong>de</strong> soi aussitôt acquise une bonne i<strong>de</strong>ntification<strong>de</strong>s mots, en oubliant qu’elle suppose l’activation <strong>de</strong> processus cognitifs spécifiques.De <strong>la</strong> même manière, les manuels pour le cycle 3 font suivre <strong>la</strong> lecture d’un texte <strong>de</strong> propositionsd’activités qualifiées d’ «ai<strong>de</strong> à <strong>la</strong> compréhension». Les traditions pédagogiquesont <strong>la</strong> vie dure puisque, comme au cycle 2, les questionnaires sont majoritaires. Il ne s’agitcependant plus pour l’élève d’avoir mémorisé le texte pour répondre, puisqu’il peut s’yreporter directement et recopier <strong>la</strong> ou les phrases correspondant à <strong>la</strong> question posée. Cette<strong>de</strong>scription du dispositif pédagogique <strong>de</strong>s manuels <strong>de</strong> lecture est certes caricaturale, maiselle est <strong>de</strong>stinée à montrer que, là aussi, les propositions en matière d’enseignement <strong>de</strong> <strong>la</strong>compréhension restent nettement insuffisantes.C’est en effet à l’occasion <strong>de</strong>s rencontres ponctuelles avec un texte que sont abordées les questions<strong>de</strong>s agissements ou <strong>de</strong>s motivations d’un personnage ou celles <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions entre plusieurspersonnages, que l’attention <strong>de</strong>s élèves est attirée <strong>sur</strong> l’importance à accor<strong>de</strong>r au cadre <strong>de</strong> l’histoire,ou que ceux-ci sont invités à retenir l’essentiel <strong>de</strong> l’histoire en rédigeant un résumé.11


Comprendre <strong>de</strong>s textes écritsLorsque l’on feuillette ces manuels, on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en outre ce qui a conduit à choisir telleactivité pour tel texte, <strong>de</strong> sorte que se pose <strong>la</strong> question <strong>de</strong> l’adéquation <strong>de</strong> <strong>la</strong> consigne avec<strong>la</strong> nature ou le type <strong>de</strong> texte proposé à <strong>la</strong> lecture, comme le montrent les <strong>de</strong>ux exemplesci-<strong>de</strong>ssous.Les consignes et questions <strong>de</strong> <strong>la</strong> page 56 du manuel Facettes CM2 [ doc. 01] portentessentiellement <strong>sur</strong> le cadre et les personnages du récit <strong>de</strong> François P<strong>la</strong>ce intitulé Le vieuxfou <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin : l’attention <strong>de</strong>s élèves est d’abord orientée vers Hokusai et le Japon, puisvers les sentiments éprouvés par Tojiro après qu'il a entendu <strong>la</strong> conversation entre sonmaître et ses amis. D’autres questions s’attachent à <strong>de</strong>s détails du texte, les noms <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinset le genre du manga. Pourtant, cet extrait posait <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> compréhension enrapport avec <strong>la</strong> construction du texte, puisque le lecteur, tout comme Tojiro, est convié àse projeter dans le passé. À partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> ligne 26 en effet, il faut comprendre que <strong>la</strong> conversationdu maître avec ses amis est différente <strong>de</strong> <strong>la</strong> première car elle a eu lieu à une autreépoque. Rien ne signale le retour en arrière, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence du connecteur «Unjour» qui, dans d’autres types <strong>de</strong> texte, comme le conte, annonce non pas une analepsemais l’irruption d’une perturbation dans le récit, <strong>de</strong> l’instauration d’un déséquilibre qui metfin à <strong>la</strong> situation initiale <strong>de</strong> l’histoire. Le risque est grand que <strong>de</strong>s élèves ne perçoivent pascette perturbation dans <strong>la</strong> chronologie du texte et donc <strong>la</strong> raison pour <strong>la</strong>quelle Hokusairaconte cette anecdote à Tojiro. Avant <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s questions <strong>sur</strong> une interprétation possibleà donner aux réactions <strong>de</strong>s personnages, il convient <strong>de</strong> s’interroger au préa<strong>la</strong>ble <strong>sur</strong>les difficultés posées par un texte et d’attirer l’attention <strong>de</strong>s élèves, au moyen d’une activitéadaptée, <strong>sur</strong> <strong>la</strong> stratégie à adopter pour <strong>sur</strong>monter un obstacle en particulier. Dans lecas présent, <strong>la</strong> proposition d’une représentation schématique <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong>l’histoire en regard <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s faits tels qu’ils sont rapportés dans le récit auraitété <strong>la</strong> bienvenue.L’autre extrait, proposé dans Comme un livre CM2, fait l’objet d’une présentation et d’unquestionnaire qui met l’accent <strong>sur</strong> le genre auquel appartient le texte <strong>de</strong> Malika Ferdjoukh,Embrouille à minuit [ doc.02]. Il est vrai que le roman policier se caractérise par un traitementparticulier du temps, <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> suspens et le sentiment <strong>de</strong> peur ou d’inquiétu<strong>de</strong>provoqué chez le lecteur. Ce questionnaire aurait donc été pertinent s’il avait été proposédans le cadre d’un groupement <strong>de</strong> textes <strong>sur</strong> le roman policier, <strong>de</strong> manière à cerner les invariants<strong>de</strong> ce genre. Ici, le texte est proposé <strong>de</strong> manière isolée, entre un extrait <strong>de</strong> Crin B<strong>la</strong>ncet un texte <strong>de</strong> science-fiction.12


<strong>Introduction</strong>Comprendre cet extrait consiste à percevoir <strong>la</strong> manière dont le texte est construit et à intégrerles différentes étapes <strong>de</strong> l’histoire proposée. Il s’agit d’un itinéraire dans <strong>la</strong> ville quele lecteur suit comme s’il marchait dans les pas du héros. Goûter le p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntificationà ce personnage poursuivi par <strong>de</strong>s malfrats, et donc vivre les mêmes aventures que luiet ressentir les mêmes sentiments par procuration et en toute sécurité, en un mot éprouverle p<strong>la</strong>isir <strong>de</strong> lire, n’est possible que si l’on réussit à suivre le héros et à visualiser mentalementson parcours, au besoin <strong>sur</strong> une carte ou un p<strong>la</strong>n préparé par l’enseignant. Lesélèves pourraient ainsi situer <strong>la</strong> ruelle, l’avenue Galiéni, repérer le magasin <strong>de</strong> l’épicier, l’immeuble,et retracer par un fléchage le parcours du héros. Ils prendraient du même coupconscience que les pérégrinations d’un héros dans un lieu urbain est une autre caractéristiquedu roman policier, illustrée <strong>de</strong> manière évi<strong>de</strong>nte par cet extrait.À d’autres moments, on est frappé par le fait que les mêmes activités sont proposées invariablementquel que soit le texte, <strong>de</strong> manière à mettre en p<strong>la</strong>ce un rituel qui ne tient pascompte <strong>de</strong>s réels obstacles à <strong>la</strong> compréhension présents dans le texte. C’est ainsi que lemanuel Littéo cycle 3 propose non seulement toujours les mêmes exercices (suite <strong>de</strong> l’histoire,questionnaires à choix multiples, remises en ordre…), mais aussi les mêmes rubriquesquel que soit le texte («l’histoire», «les personnages», «le texte et toi»…). Plutôt qued'utiliser <strong>de</strong>s séries <strong>de</strong> questions, il conviendrait pour l’enseignant <strong>de</strong> savoir repérer quelssont les obstacles à <strong>la</strong> compréhension dans un texte donné et <strong>de</strong> savoir quelles tâches permettentaux élèves non seulement <strong>de</strong> franchir tel obstacle mais encore d’apprendre à franchirce même obstacle dans d’autres textes!Le lecteur, tel qu’il est vu par <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s concepteurs <strong>de</strong> manuels, s’apparente ainsi àcet alpiniste débutant à qui le gui<strong>de</strong> propose <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre plusieurs sommets en se p<strong>la</strong>çantà chaque fois face à <strong>la</strong> paroi, puis <strong>de</strong> côté et enfin face au vi<strong>de</strong>, sans qu’il y ait <strong>de</strong> raisonprécise à ce choix et sans donner d'explications <strong>sur</strong> les conditions précises dans lesquellesutiliser telle ou telle technique.Lire silencieusement un texte, participer à un bref échange collectif <strong>sur</strong> le sens <strong>de</strong> tel outel passage ou <strong>de</strong> tel ou tel mot 12 , écouter l’enseignant expliquer ce texte, répondre à <strong>de</strong>squestions: les pratiques sont immuables (Bianco, op. cit.) et semblent s’appuyer <strong>sur</strong> l’idéeselon <strong>la</strong>quelle compréhension <strong>de</strong> textes en lecture et compréhension dans <strong>la</strong> conversation12. Il y a aussi, même dans l’enseignement traditionnel, <strong>de</strong>s «débats» entre élèves induits par lesquestions du maître <strong>sur</strong> le sens <strong>de</strong> tel ou tel passage.13


Comprendre <strong>de</strong>s textes écritsquotidienne à l’oral sont gérées par les mêmes processus 13 . D’où le constat fait par JocelyneGiasson (2003), qui souligne que «les enseignants n’enseignent pas, ils ne font que mentionner»,c’est-à-dire donner <strong>de</strong>s consignes et évaluer.Les enseignants sont souvent persuadés <strong>de</strong> travailler <strong>la</strong> compréhension en c<strong>la</strong>sse alors qu’ilsne font, grâce à ces dispositifs, que vérifier si les élèves ont compris ou non.À ceux-ci, il n’est pas réellement fait <strong>de</strong> propositions pour mieux comprendre un texte enparticulier et les textes en général. Au mieux, on attire leur attention <strong>sur</strong> un ou quelquesaspects problématiques du texte, au pis, on les conforte dans leur non-compréhension <strong>de</strong>ce texte.Les élèves apprentis restent ainsi dans <strong>la</strong> vallée, invités à contempler <strong>de</strong> loin les sommetsou à arpenter <strong>de</strong>s pentes mo<strong>de</strong>stes et sans charme. Parfois, on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra d’esca<strong>la</strong><strong>de</strong>run rocher abrupt ou <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre en rappel une paroi, en dépit <strong>de</strong> leurs peurs ou <strong>de</strong> leursdifficultés, as<strong>sur</strong>és par une mo<strong>de</strong>ste cor<strong>de</strong> et encouragés par une voix provenant d’en bas,et d’effectuer telle ou telle prise sans réelle explication. Marcher en haute montagne s’apprend: <strong>de</strong>s connaissances et <strong>de</strong>s techniques peuvent être acquises à <strong>la</strong> fois dans <strong>de</strong>s conditions«artificielles», <strong>sur</strong> les rochers <strong>de</strong> <strong>la</strong> forêt <strong>de</strong> Fontainebleau par exemple, et en milieu«réel», à l’assaut <strong>de</strong>s sommets alpins ou pyrénéens.La perspective dans <strong>la</strong>quelle nous nous inscrivons est celle d’un apprentissage explicite etsystématique <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension qui, selon nous, peut permettre d’ai<strong>de</strong>r les élèves àmieux lire. Apprendre à lire est aussi apprendre à comprendre les textes. Nous croyons doncque les activités <strong>de</strong> lecture habituellement pratiquées en c<strong>la</strong>sse, et qui prennent le plussouvent <strong>la</strong> forme d’une série <strong>de</strong> questions <strong>sur</strong> un texte, ne suffisent pas pour mener lesélèves <strong>sur</strong> <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension, mais que <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> penser et concevoir <strong>de</strong>sactivités d’entraînement systématiques s’impose 14 . Il existe <strong>de</strong>s obstacles récurrents, ouplutôt <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s catégories <strong>de</strong> problèmes <strong>de</strong> compréhension que l’enseignant doitconnaître et qu’il peut apprendre à repérer dans les textes. Il s’agit pour lui d’«aiguiser»1413. Cette confusion entre les <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> processus est sans doute l’aspect le plus déterminantdans les blocages que l’on peut observer. La distinction <strong>la</strong> plus pertinente n’est pas texte lu <strong>de</strong>s yeuxvs texte entendu (dit par autrui ou soi-même), mais compréhension <strong>de</strong>s textes écrits (lus ou entendus)qui recouvre une certaine complexité (en rapport avec <strong>la</strong> culture écrite, les connaissances du lecteur,<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, l’implicite du texte…) vs compréhension d’énoncés quotidiens (plus faciles car ensituation, redondants, reposant <strong>sur</strong> le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong> coopération dialogique…). Ce livre aurait dûainsi, en toute rigueur, s’intituler «Ai<strong>de</strong>r les élèves à progresser dans <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>s textesécrits ».14. «Apprendre à comprendre, ce<strong>la</strong> se fait, il est vrai, au cours <strong>de</strong> toutes les séances <strong>de</strong> lecture enc<strong>la</strong>sse. Les débats d’interprétation, les transformations <strong>de</strong> texte ou les lectures expressives (…) visentà <strong>la</strong> fois à ai<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> compréhension du texte qu’on est en train <strong>de</strong> lire et à mettre en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s stratégies<strong>de</strong> lecture et une juste représentation <strong>de</strong> ce qu’il y a à faire quand on lit. Il est cependant utile<strong>de</strong> systématiser ces stratégies et d’entraîner aux activités mentales en jeu dans <strong>la</strong> lecture. » (Crinon,2006, p.165 sq.)


<strong>Introduction</strong>son œil <strong>de</strong> lecteur et <strong>de</strong> proposer aux élèves <strong>de</strong>s textes en fonction du problème <strong>de</strong> compréhensionqu’ils posent. Les courts textes ci-<strong>de</strong>ssous peuvent ainsi servir <strong>de</strong> support pourapprendre à <strong>sur</strong>monter <strong>de</strong>s obstacles bien spécifiques. Le premier est un documentaire quidonne <strong>de</strong>s informations <strong>sur</strong> les conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s intouchables en In<strong>de</strong>.Un quart <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion d’Aiholli, soit quatre-vingts personnes, sont <strong>de</strong>s intouchables. Ilshabitent dans d’humbles huttes à l’extérieur du vil<strong>la</strong>ge. Ils se nourrissent <strong>de</strong> quelques pouleset <strong>de</strong> cochons qu’ils élèvent et tirent leurs maigres <strong>ressources</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong>s chaus<strong>sur</strong>esfaites <strong>de</strong> <strong>la</strong> peau <strong>de</strong>s animaux domestiques morts. Ce sont eux qui doivent les enleverpendant <strong>la</strong> nuit avant les premiers rayons du soleil. Ghandi les appe<strong>la</strong>it les Harijans, les Élus<strong>de</strong>s Dieux! Il consacra sa vie entière à essayer <strong>de</strong> les incorporer dans <strong>la</strong> vie normale, mais iléchoua ! Il y a encore soixante-dix millions d’intouchables en In<strong>de</strong>.Vitold <strong>de</strong> Golish, Quinze ans d’aventure aux In<strong>de</strong>s, D.R., texte <strong>de</strong> 1978Il commence et se termine <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière, à savoir par <strong>la</strong> communication <strong>de</strong> donnéeschiffrées particulièrement significatives. La syntaxe est c<strong>la</strong>ire et le vocabu<strong>la</strong>ire assezsimple. Un blocage pourrait venir du fait que certains lecteurs peuvent ne pas connaîtreGandhi. Ce texte pose cependant un problème <strong>de</strong> lecture plus aigu, dû à <strong>la</strong> présence <strong>de</strong>procédés <strong>de</strong> reprise multiples. C’est ainsi qu’il faut avoir relié le thème «les intouchables»avec les pronoms «ils», «eux» et «les» et avec le double groupe nominal «les Harijans,les Élus <strong>de</strong> Dieu» pour savoir exactement <strong>de</strong> qui on parle dans ce texte. Il faut en mêmetemps prendre gar<strong>de</strong> au fait que le pronom «les» <strong>de</strong> <strong>la</strong> quatrième ligne désigne les «animauxdomestiques morts» et non les intouchables, et qu’à l’inverse le «les» <strong>de</strong> <strong>la</strong> cinquièmeligne ne désigne plus les cadavres d’animaux mais les intouchables! Ce relevé <strong>de</strong>ssubstituts du thème, automatisé chez un lecteur habile, est absolument nécessaire pour nepas perdre le fil du texte et n’est pas une opération facile pour un élève qui bute encore<strong>sur</strong> le décodage.Un exemple pour analyser une pollution : Comment respire le dytique ?Le dytique monte régulièrement à <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face. Il sort alors l’arrière <strong>de</strong> son abdomen <strong>de</strong> l’eau.Comme ses ailes sont grasses, il peut piéger une bulle d’air et l’utiliser pour respirer. Eneffet, ses orifices respiratoires se trouvent au niveau <strong>de</strong> son abdomen, sous ses ailes.On a constaté que dans un étang, lors d’une pollution due à l’essence (provoquant <strong>de</strong>s couleursarc-en-ciel à <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>de</strong> l’eau), les dytiques meurent et non les poissons.Extrait du manuel Sciences cycle 3, p.85, ©Éditions Magnard, 2003Le court texte scientifique <strong>sur</strong> ces étranges insectes que sont les dytiques ne présente pas<strong>de</strong> difficultés quant aux procédés <strong>de</strong> reprise, puisque seul le thème «le dytique» ou le15


Comprendre <strong>de</strong>s textes écritspronom personnel <strong>de</strong> troisième personne sont utilisés. Par contre, le lecteur doit sans cessefaire le lien entre un fait et un autre pour saisir l’enchaînement logique qui structure le propos.Pourquoi l’insecte remonte-t-il à <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face? Pourquoi sort-il son abdomen hors <strong>de</strong>l’eau? Quel rapport y a-t-il entre les ailes grasses et <strong>la</strong> respiration <strong>de</strong> l’animal? Pourquoi lesdytiques meurent-ils en cas <strong>de</strong> pollution aquatique, et pas les poissons? Le lecteur doit percevoirles multiples re<strong>la</strong>tions implicites <strong>de</strong> cause à effet pour reconstituer les liens entre lesphrases simplement as<strong>sur</strong>és par un connecteur («en effet») ou <strong>la</strong> ponctuation 15 . Ce texteillustre donc bien un obstacle à <strong>la</strong> compréhension provenant d’une cohérence logique nonexplicitée.Ces exemples montrent qu’il n’est pas possible <strong>de</strong> donner à lire aux élèves <strong>de</strong>s textes auhasard, sans réflexion préa<strong>la</strong>ble <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l’enseignant et sans un dispositif prenant encompte <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> difficulté principale présente dans le texte. Il convient donc d’êtresensibilisé à ces catégories <strong>de</strong> problèmes <strong>de</strong> compréhension récurrents, <strong>de</strong> manière à proposerun enseignement adapté.Enseignement implicite, explicite?L’enseignement dit implicite consiste à simplement confronter les élèves à <strong>de</strong>s situations.On espère ainsi qu’ils apprennent par simple immersion dans cet environnement <strong>la</strong>ngagier.Autrement dit, il suffirait <strong>de</strong> lire régulièrement et intensément <strong>de</strong>s textes complexespour améliorer ses performances re<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> compréhension en lecture.Au lieu d’enseignement implicite, il vaudrait mieux parler d’enseignement informel, indirectou non systématique, qui consiste à p<strong>la</strong>cer l’élève en situation <strong>de</strong> résoudre <strong>de</strong>s problèmesau fur et à me<strong>sur</strong>e <strong>de</strong>s rencontres avec ceux-ci. Ainsi, tel problème <strong>de</strong> compréhension seraabordé par l’enseignant parce que le texte lu ce jour-là contient une difficulté re<strong>la</strong>tive à ceproblème. Et plutôt que d’imaginer un enseignement systématique et progressif <strong>de</strong> <strong>la</strong> résolution<strong>de</strong> problèmes <strong>de</strong> lecture, les problèmes sont abordés en c<strong>la</strong>sse au hasard <strong>de</strong>s rencontres,parce que dans tel texte lu aujourd’hui en c<strong>la</strong>sse et choisi tout simplement enfonction <strong>de</strong> <strong>la</strong> sélection opérée souvent <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s bases thématiques par les manuels,15. L’enchaînement <strong>de</strong>s faits serait le suivant : les orifices respiratoires du dytique sont situés auniveau <strong>de</strong> l’abdomen, donc il monte régulièrement à <strong>la</strong> <strong>sur</strong>face pour sortir l’arrière <strong>de</strong> l’abdomen <strong>de</strong>l’eau, donc il piège une bulle d’air. À l’intérieur <strong>de</strong> ce schéma général est inclus un autre rapport <strong>de</strong>cause à effet : les pattes du dytique sont grasses, donc il peut piéger une bulle d’air. Enfin, il fautpercevoir un autre rapport <strong>de</strong> cause à conséquence, en parallèle : le dytique a besoin <strong>de</strong> remonter à<strong>la</strong> <strong>sur</strong>face <strong>de</strong> l’eau pour respirer, donc il est sensible à <strong>la</strong> pollution éventuelle <strong>de</strong> l’eau par <strong>de</strong> l’essencequi stagne en <strong>sur</strong>face (parce qu’elle est moins <strong>de</strong>nse que l’eau).16


<strong>Introduction</strong>l’enseignant constate une difficulté <strong>de</strong> lecture et déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> traiter «à chaud». Dans cetapprentissage, nul besoin <strong>de</strong> systématisation, ni peut-être <strong>de</strong> maître! Il s’agit <strong>de</strong> l’idéeselon <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> l’écrit découle naturellement d’une imprégnation régulière parimmersion dans <strong>de</strong>s textes lus <strong>de</strong> manière successive. Ces situations peuvent provoquer <strong>de</strong>sapprentissages, puisque <strong>de</strong>s élèves peuvent se constituer seuls une «boîte à outils» leurpermettant <strong>de</strong> résoudre leurs problèmes <strong>de</strong> compréhension en lecture. À force <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>stextes, <strong>de</strong> rencontrer tel ou tel problème, ils ont appris à comprendre les textes écrits. Onpeut alors parler d’apprentissage implicite, c’est-à-dire non conscient et non intentionnel :ces apprentis lecteurs ne savent pas qu’ils apprennent, mais ils apprennent. L’intérêt d’unenseignement explicite est d’accélérer ces processus, d’intensifier l’apprentissage et <strong>de</strong>catégoriser les problèmes.Voici un exemple <strong>de</strong> démarche proposé par un manuel <strong>de</strong> cycle 3 [ doc. 03] qui illustrece que peut être un enseignement indirect et informel <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>s textesécrits. Il est <strong>de</strong>mandé aux utilisateurs <strong>de</strong> ce manuel <strong>de</strong> comparer l’ordre <strong>de</strong>s événementsnarrés à leur véritable déroulement dans le temps, parce que l’extrait <strong>de</strong>s Lettres <strong>de</strong>s IslesGirafines d’Albert Lemant présentait cette difficulté. Ce point ne sera plus abordé lors <strong>de</strong>slectures suivantes, puisque l’extrait <strong>de</strong> Les <strong>de</strong>rniers géants <strong>de</strong> François P<strong>la</strong>ce donnera lieu à<strong>de</strong>s activités <strong>sur</strong> le portrait, tandis que celui <strong>de</strong> Du pays <strong>de</strong>s Amazones aux îles Indigo dumême François P<strong>la</strong>ce est suivi d’un questionnaire sans véritable objectif précis (pages 146et 147). Ce chapitre <strong>sur</strong> le récit <strong>de</strong> voyage n’a donc donné lieu à aucun apprentissage spécifiqueet systématique, sauf si, d’eux-mêmes, les élèves font le transfert, ce qui arrivequand même pour les plus experts. Nous sommes ici dans un enseignement qui n'est ni systématique,ni progressif.De plus, l’anticipation <strong>de</strong>s difficultés éventuelles <strong>de</strong> lecture ne tient pas compte <strong>de</strong> <strong>la</strong>nature particulière du texte, ici un récit <strong>de</strong> voyage. L’organisation <strong>de</strong>s procédures se faitd’elle-même car leur nombre n’est effectivement pas infini. On compte alors <strong>sur</strong> le hasard<strong>de</strong>s rencontres avec <strong>de</strong>s problèmes simi<strong>la</strong>ires pour voir les esprits <strong>de</strong>s élèves s’organiser. Siceux-ci ont eu <strong>la</strong> chance <strong>de</strong> lire <strong>de</strong>s textes qui instituaient une distorsion entre l’ordre <strong>de</strong>sévénements narrés et celui <strong>de</strong>s événements tel qu’ils se sont déroulés, alors ils vont mieuxcomprendre <strong>la</strong> cohérence temporelle d’un récit. Si <strong>la</strong> rencontre n’a pas eu lieu, alors cettecompréhension sera remise à plus tard. On le voit, dans cette conception, c’est le texte quiimpose les objectifs <strong>de</strong>s activités qui suivent sa lecture, ou plutôt c’est <strong>la</strong> lecture du textefaite par l’adulte qui déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s à <strong>la</strong> compréhension. Une progression estdonc dans cette optique impossible à construire. Au mieux, le fait <strong>de</strong> choisir et rassembler17


Comprendre <strong>de</strong>s textes écrits<strong>de</strong>s textes en fonction <strong>de</strong> leur appartenance à un genre précis peut permettre l’instaurationd’un minimum <strong>de</strong> cohérence. Par exemple, dans Mon manuel <strong>de</strong> français CM1, <strong>la</strong> lecture <strong>de</strong>récits <strong>de</strong> vie permet une réflexion <strong>sur</strong> le statut du narrateur ; celle <strong>de</strong> récits mettant enscène <strong>de</strong>s ogres favorise l’appropriation <strong>de</strong> <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> personnage. Mais les enseignantsne peuvent pas, à partir <strong>de</strong> tels exemples, bâtir une véritable programmation ni une progressionpermettant une réflexion et une théorisation. Or, pour les enfants, il est indispensable<strong>de</strong> travailler <strong>de</strong> manière massée et intense <strong>sur</strong> un obstacle à <strong>la</strong> compréhensionpour pouvoir apprendre à le reconnaître et à le <strong>sur</strong>monter.Nul doute qu’il y a, dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> capacité à comprendre les textes, <strong>de</strong>s habilitésque nous avons acquises par nous-mêmes, <strong>de</strong> manière informelle, par l’expérience, par <strong>la</strong>seule pratique intense et régulière <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture, grâce aux démarches et exemples proposéspar les manuels et sans le secours d’un enseignement explicite <strong>de</strong> stratégies. Noussavons bien qu’il est possible d’apprendre à marcher en haute montagne, voire à esca<strong>la</strong><strong>de</strong>r<strong>de</strong>s parois, en se confrontant seul à <strong>la</strong> difficulté. Il y a ceux qui apprennent à esca<strong>la</strong><strong>de</strong>r ouà lire par <strong>la</strong> pratique et ceux qui ont besoin du gui<strong>de</strong> qui oriente, signale les pièges, éviteles faux-pas et fait en sorte que les moins doués parviennent à faire ce que les plus douésont réussi à faire seuls. La question n’est donc pas: est-il possible <strong>de</strong> concevoir un enseignementindirect et informel en matière <strong>de</strong> «résolution <strong>de</strong> problèmes sémantiques»? Leslecteurs habiles <strong>de</strong>s anciennes générations sont <strong>la</strong> preuve que cet enseignement existe etqu’il a permis <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s habilités, les mêmes que celles acquises par un lecteur particulièrementassidu, passionné et donc autodidacte. La question est plutôt : ne peut-onpas faciliter et accélérer cet apprentissage en le rendant plus précoce et plus conscient, àtravers un enseignement direct et formel <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> «résolution <strong>de</strong> problèmessémantiques» et même plus, à travers un enseignement systématique et progressif? Il nes’agit pas d’empêcher l’apprentissage informel, mais au contraire <strong>de</strong> l’encourager enessayant <strong>de</strong> proposer aux élèves <strong>de</strong>s textes intéressants, consistants et porteurs <strong>de</strong> savoirs.À côté <strong>de</strong> cet aspect informel, il est indispensable <strong>de</strong> formaliser et systématiser un enseignement<strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension, <strong>de</strong> manière à toucher le plus grand nombre d’élèves et à nepas <strong>la</strong>isser <strong>de</strong> côté les plus démunis.Le but d’un apprentissage explicite est <strong>de</strong> déclencher <strong>de</strong>s stratégies pertinentes 16 ainsi qued’automatiser les procédures et <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> conscience. Il convient donc pour l'élève:16. Pour Nicole Van Grun<strong>de</strong>rbeeck et Mylène Payette (2007, p.75), « les habilités sont <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>sconnaissances procédurales (le comment faire), alors que les stratégies sont <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s connaissancesconditionnelles (le quand et le pourquoi utiliser certaines connaissances). Les stratégies permettent<strong>la</strong> réutilisation fonctionnelle <strong>de</strong>s connaissances».18


Comprendre <strong>de</strong>s textes écritsNous proposerons donc <strong>de</strong>s activités écrites, préparées au préa<strong>la</strong>ble par l’enseignant,ciblées précisément <strong>sur</strong> ce qui fait obstacle à <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>s élèves. Le but n’est pas<strong>de</strong> vérifier leur compréhension <strong>de</strong>s textes, ni même <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r occasionnellement àconstruire le sens d’un texte ou à franchir tel passage difficile, mais <strong>de</strong> les p<strong>la</strong>cer face à unproblème, <strong>de</strong> leur faire prendre conscience <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> ce problème et <strong>de</strong> les ai<strong>de</strong>r, grâceà une consigne précise, à mettre en p<strong>la</strong>ce une procédure leur permettant <strong>de</strong> <strong>sur</strong>monter l’obstaclerencontré dans le texte.Nous nous écartons ici un peu <strong>de</strong> <strong>la</strong> conception <strong>de</strong> Jocelyne Giasson, qui considère qu’unenseignement explicite <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension consiste à donner à l’élève un «soutien maximumau point <strong>de</strong> départ», lors <strong>de</strong> lectures complètes, et <strong>de</strong> diminuer ensuite ce soutien àme<strong>sur</strong>e que l’élève progresse. Nous pensons qu’il convient, pour faciliter à <strong>la</strong> fois le travail<strong>de</strong>s enseignants et <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> conscience par l’élève <strong>de</strong> ce qu’est <strong>la</strong> compréhension en lecture,<strong>de</strong> ne pas le p<strong>la</strong>cer face à une tâche <strong>de</strong> lecture complète, mais <strong>de</strong> distinguer <strong>de</strong>s soushabilitésisolées (mais non étanches) et <strong>de</strong> faire coïnci<strong>de</strong>r <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong> lecture avec l’une <strong>de</strong>ces sous-habilités (une sous-habilité correspondant à un obstacle à <strong>la</strong> compréhension). Sil’enseignant a, par exemple, constaté que <strong>de</strong>s élèves avaient <strong>de</strong>s difficultés pour associer<strong>de</strong>s personnages et leurs dénominations dans un texte et qu’ils n’avaient pas prisconscience <strong>de</strong> l’importance d’acquérir cette compétence pour comprendre le texte, alors ilchoisit <strong>de</strong>s textes pour lesquels il est absolument nécessaire <strong>de</strong> saisir les dénominations <strong>de</strong>spersonnages et propose une consigne d’exercice adaptée.Pas question d’apprendre l’alpinisme en se confrontant immédiatement à <strong>la</strong> haute altitu<strong>de</strong>,et ce, quelle que soit l’ai<strong>de</strong> apportée (matériel <strong>de</strong> <strong>de</strong>rnier cri, masques à oxygène, porteurs…).On s’entraîne d’abord à <strong>maîtrise</strong>r les techniques <strong>de</strong> base <strong>de</strong> l’esca<strong>la</strong><strong>de</strong> en rocher,<strong>de</strong> <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce, <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente en rappel, <strong>de</strong> l’as<strong>sur</strong>ance, à choisir les bons itinéraires, évaluerles conditions météorologiques… Ce<strong>la</strong> n’exclut pas occasionnellement <strong>de</strong>s courses ou <strong>de</strong>sascensions <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tive difficulté : c’est <strong>la</strong> question du transfert <strong>de</strong>s techniques acquises aucours d’entraînement en moyenne montagne lors d’ascensions en haute altitu<strong>de</strong>, autrementdit le transfert <strong>de</strong> sous-habilités qui ont été travaillées au préa<strong>la</strong>ble dans le cadre d’une lecturecomplète qui doit attirer notre attention et à <strong>la</strong>quelle nous <strong>de</strong>vrons répondre.Les exercices ne suffisent pas, car on sait que le fait d’enseigner telle ou telle stratégien’implique pas forcément son recours dans le cadre d’une lecture personnelle : <strong>de</strong>s momentsd’échanges collectifs autour d’un texte, <strong>de</strong> discussions autour <strong>de</strong> ce qu’est comprendre et<strong>de</strong> ce que chacun met en p<strong>la</strong>ce pour mieux le faire, <strong>de</strong> lecture authentique dans le cadrepar exemple <strong>de</strong> séances <strong>de</strong> lecture longue <strong>de</strong>vront être ménagés (cf. Joole, 2006). Mais il20


<strong>Introduction</strong>nous paraît fondamental <strong>de</strong> décomposer les mouvements, <strong>de</strong> s’entraîner à les <strong>maîtrise</strong>r nonpas avant <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> lecture complète, mais parallèlement à celles-ci. C’est ainsi quedans les situations «a-didactiques» 20 , les enfants, on l’espère, réinvestiront ce qu’ils ontappris dans les situations didactiques.Ainsi, l’enseignement systématique et progressif accor<strong>de</strong> une gran<strong>de</strong> importance à l’autonomie<strong>de</strong> l’élève; il vise précisément à former <strong>de</strong>s lecteurs autonomes. Il s’agit non seulement<strong>de</strong> développer chez eux <strong>de</strong>s habilités qu’ils pourront utiliser à bon escient, mais aussi<strong>de</strong> ne pas les tromper <strong>sur</strong> ce qu’est l’acte <strong>de</strong> lecture, une activité où l’on doit compter avanttout <strong>sur</strong> ses propres capacités.Nous sommes néanmoins conscient qu’un tel enseignement repose <strong>sur</strong> une illusion, celleselon <strong>la</strong>quelle l’enseignement <strong>de</strong> procédures résout tous les problèmes, comme si <strong>la</strong> répétition<strong>de</strong>s mêmes gestes suffisait pour améliorer les capacités <strong>de</strong> compréhension. C’est pourquoinous nous engageons dans <strong>la</strong> voie d’un enseignement systématique et progressif <strong>de</strong> <strong>la</strong>compréhension tout en ayant le souci <strong>de</strong> le relier à une pratique quotidienne <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse,et en <strong>la</strong>issant à l’enseignant <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> ménager <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> rencontres hasar<strong>de</strong>uses.Les alpinistes en herbe ne sont pas seulement soumis à l’apprentissage <strong>de</strong> gestestechniques, on les emmène aussi dans <strong>de</strong> grands espaces. Le souci <strong>de</strong> réinvestissement <strong>de</strong>sacquis doit être constant, soit en revenant <strong>sur</strong> un obstacle à <strong>la</strong> compréhension déjà étudiéau cours d’une rencontre fortuite, au détour d’un texte qui servait <strong>de</strong> support à une autreactivité (que l’enseignement explicite <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension), soit en prévoyant dans l’emploidu temps <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> lecture à partir <strong>de</strong> textes plus authentiques, qui n’ont pasété choisis comme supports à un enseignement explicite <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension, moments oùpourront être évoquées par les élèves leurs difficultés persistantes ou leurs réussites.Les activités que nous proposons ne s’inscrivent dans aucune progression préétablie: cesera à l’enseignant <strong>de</strong> choisir en fonction <strong>de</strong>s difficultés <strong>de</strong>s élèves les activités les plusadaptées parmi celles que nous proposons. En faisant les exercices, les élèves cherchent,tâtonnent, échangent et prennent conscience <strong>de</strong> ce qu’il faut faire pour résoudre tel ou telproblème. C’est pourquoi <strong>de</strong>s moments seront prévus au cours <strong>de</strong>squels élèves et enseignantdiscuteront <strong>de</strong>s difficultés rencontrées, <strong>de</strong>s solutions trouvées et <strong>de</strong>s problèmes persistant.Il est important que <strong>de</strong>s échanges soient organisés, <strong>de</strong> manière à éviter le travail exclusivementsolitaire. L’enseignant n’a pas pour vocation <strong>de</strong> simplifier <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong>s élèves en20. Adjectif employé par Guy Brousseau, spécialiste <strong>de</strong> <strong>la</strong> didactique <strong>de</strong>s mathématiques.21


Comprendre <strong>de</strong>s textes écritsrésolvant à leur p<strong>la</strong>ce les problèmes qu’ils pourraient rencontrer, mais doit choisir à bonescient les textes supports <strong>de</strong>s activités, organiser échanges et confrontations entre élèvesà chaque fois qu’il le juge nécessaire.Nous ne nous situons cependant pas dans le cadre d’un questionnement collectif du textepermettant d’en construire <strong>la</strong> compréhension. Il ne s’agit pas <strong>de</strong> dialogues au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong>c<strong>la</strong>sse entre les élèves ou entre l’enseignant et les élèves. Nous considérons en effet quel’élève doit être mis en véritable situation <strong>de</strong> lecture, c’est-à-dire seul face au texte et sansai<strong>de</strong> extérieure. Ce sont le choix du texte fait au préa<strong>la</strong>ble par l’enseignant en fonction d’unobjectif très précis, le choix et <strong>la</strong> formu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> consigne qui permettent d’ai<strong>de</strong>r et <strong>de</strong>soutenir l’élève dans ce face-à-face. On n’apprend en effet pas <strong>la</strong> haute montagne en étantconstamment encordé ; il arrive forcément un moment où il faut vaincre sa peur <strong>de</strong> dévisseren effectuant les mouvements connus. Il ne faut pas retar<strong>de</strong>r ce moment et encoremoins considérer que l’on apprend bien avant ce moment. Aménageons donc un camp <strong>de</strong>base et proposons quelques marches d’approche en bordure d’un «8000», mais sans forceret en prenant toutes les précautions, en soutenant le plus possible nos apprentis mais sansles tromper <strong>sur</strong> <strong>la</strong> situation réelle dans <strong>la</strong>quelle ils sont, c’est-à-dire une situation où lesenjeux et les dangers sont importants.Pour définir les principes d’un tel enseignement, il a fallu lire d’abord, beaucoup : les travaux<strong>de</strong>s chercheurs et didacticiens québécois et français notamment. Puis échanger et discuteravec <strong>de</strong>s formateurs, enseignants, conseillers pédagogiques, chefs d’établissement etinspecteurs <strong>de</strong>s premier et second <strong>de</strong>grés. É<strong>la</strong>borer <strong>de</strong>s dispositifs et les essayer dans <strong>de</strong>nombreuses c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> plusieurs circonscriptions et établissements, appartenant entreautres à <strong>de</strong>s Réseaux d’éducation prioritaire. Toutes les activités ont été mises au point ettestées grâce à l’investissement et au travail <strong>de</strong> professionnels qui n’ont d’autre but que <strong>de</strong>faire en sorte que l’École réussisse alors même que <strong>la</strong> question <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture dépasse lechamp spécifique <strong>de</strong> l’École.Loin <strong>de</strong>s <strong>la</strong>mentations <strong>sur</strong> le thème «nos élèves ne savent plus lire», notre position est <strong>de</strong>partir autant <strong>de</strong> ce que le élèves savent et connaissent que <strong>de</strong> leurs difficultés, ainsi que<strong>de</strong> souligner ce qui manque dans les dispositifs traditionnels d’enseignement. Comme l’expliqueÉlizabeth Nonnon (2007), les élèves appelés parfois «mauvais lecteurs» ou «lecteursprécaires» «posent aux enseignants <strong>de</strong> primaire et <strong>de</strong> collège <strong>de</strong> difficiles problèmes <strong>de</strong> différenciation(…) Il s’agit d’une expérience professionnelle souvent douloureuse, <strong>de</strong>conscience d’un scandale, et d’impuissance, qui peut amener à <strong>la</strong> culpabilisation, ou à unfatalisme sociologique». C’est pourquoi nous avons voulu avant tout être pragmatiques et22


<strong>Introduction</strong>proposer <strong>de</strong>s tâches et <strong>de</strong>s supports adaptés à l’hétérogénéité <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses, <strong>de</strong>s moyensd’i<strong>de</strong>ntifier les difficultés et <strong>de</strong>s stratégies d’ai<strong>de</strong>. Nous proposons <strong>de</strong>s activités dont nouspensons qu'elles ont toutes leur utilité et qui peuvent être menées par tous les enseignants,quelles que soient leurs connaissances dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture. Elles sont réalisablesavec peu <strong>de</strong> matériel dans toutes les c<strong>la</strong>sses.Les auteurs <strong>de</strong> Maîtriser <strong>la</strong> lecture concluaient le <strong>de</strong>rnier chapitre, intitulé «Comprendre untexte», par un constat et une injonction: «Ici, beaucoup reste à faire. Il faudra savoirenseigner <strong>la</strong> compréhension.» (p. 336) Nous avons tenté <strong>de</strong> travailler dans ce chantier auniveau même <strong>de</strong>s fondations et d’é<strong>la</strong>borer quelques techniques re<strong>la</strong>tivement fiables pour lesenseignants <strong>de</strong> l’école primaire et les professeurs du collège. Dans ces propositions, nousavons essayé <strong>de</strong> prendre en compte <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s travaux, recherches et expériencesmenées dans le domaine <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension. Nous avons fait <strong>de</strong>s choixqui ont été essentiellement dictés par <strong>la</strong> réalité, celle <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses, celle <strong>de</strong>s élèves, et quiont été constamment modifiés par les essais effectués dans les établissements. C’est ainsiqu’est apparue <strong>de</strong> manière évi<strong>de</strong>nte <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> leur donner un cadre c<strong>la</strong>ir, <strong>de</strong> manièreà ce que enseignants et élèves sachent dans quelle direction aller, et <strong>de</strong> cerner <strong>de</strong> <strong>la</strong>manière <strong>la</strong> plus précise possible ce qui faisait obstacle à <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>s enfants. Nosprises <strong>de</strong> position et nos choix, tant didactiques que pédagogiques, pourront toujours êtrecontestés, mais personne ne pourra mettre en doute à <strong>la</strong> fois l’honnêteté <strong>de</strong> notre démarcheni <strong>sur</strong>tout notre volonté <strong>de</strong> prendre à bras le corps une question éminemment délicate etdifficile, en ne nous contentant pas <strong>de</strong> simples constats ou <strong>de</strong> vagues injonctions. Nousavons ainsi fait nôtre cette conclusion <strong>de</strong> l’ONL (op. cit.): «L’important est, pour tous lesélèves, quels que soient leurs âges et leurs capacités, que l’activité <strong>de</strong> lecture s’organise enfonction <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension et y conduise.»Comme il s’agit d’ai<strong>de</strong>r les élèves à progresser dans <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>s textes, nousavons, dans <strong>la</strong> première partie, recensé et analysé ce qui existait déjà, à <strong>la</strong> fois dans lesmanuels sco<strong>la</strong>ires et les textes à caractère officiel. Nous nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons si ces choix sonten accord avec les conclusions <strong>de</strong>s chercheurs et spécialistes. Nous examinerons alors cequ’il convient <strong>de</strong> retenir pour jeter les bases d’un enseignement systématique et progressif<strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension, dont nous définirons les orientations et les principes. À partir <strong>de</strong>s élémentsrecensés et <strong>de</strong> nos observations dans les c<strong>la</strong>sses, nous préciserons les domaines danslesquels il sera possible d’agir.La <strong>de</strong>uxième partie s’attachera aux activités <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse qui permettent <strong>de</strong> mettre en œuvreles principes définis dans <strong>la</strong> première partie. Après avoir précisé <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> ces activités23


Comprendre <strong>de</strong>s textes écritsen fonction <strong>de</strong> chaque obstacle à <strong>la</strong> compréhension que les élèves pourront rencontrer dansles textes, nous expliciterons chaque étape du travail <strong>de</strong> préparation <strong>de</strong> l’enseignant à l’ai<strong>de</strong><strong>de</strong> nombreux exemples d’outils et d’exercices. Nous nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons ensuite comment cesactivités peuvent être intégrées, d’une part dans <strong>la</strong> séquence <strong>de</strong> lecture menée par l’enseignantdans sa c<strong>la</strong>sse, et d’autre part dans un Module d’approfondissement <strong>de</strong>s compétencesen lecture-écriture (Maclé) pouvant être mis en p<strong>la</strong>ce dans le cadre d’un décloisonnement.Des exemples <strong>de</strong> mises en œuvre seront commentés et analysés.Dans <strong>la</strong> troisième partie, nous donnerons <strong>de</strong> nombreuses précisions <strong>sur</strong> l’évaluation <strong>de</strong> <strong>la</strong>compréhension <strong>de</strong>s élèves et <strong>sur</strong> <strong>la</strong> conception <strong>de</strong>s activités d’entraînement qui permettentd’améliorer leurs performances dans le cadre d’un apprentissage explicite <strong>de</strong>s stratégies.Nous entrerons en quelque sorte dans l’arrière-cuisine pour découvrir les secrets <strong>de</strong> fabrication!Il s’agira alors <strong>de</strong> voir comment les compétences et habilités développées au cours<strong>de</strong> ces activités d’entraînement peuvent être transférées dans <strong>de</strong>s situations habituelles <strong>de</strong>lecture.La quatrième partie s’attachera à <strong>la</strong> question du vocabu<strong>la</strong>ire (problème <strong>de</strong>s mots inconnus),proposera une séance <strong>sur</strong> le rapport <strong>de</strong> causalité pour montrer quelle forme peut prendreune activité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> compréhension au cycle 2, et s’interrogera enfin <strong>sur</strong> le rôle <strong>de</strong>s débatsinterprétatifs dans <strong>la</strong> compréhension <strong>de</strong>s textes littéraires au cycle 3.24

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