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Téléchargez la Gazette au format PDF - La Gazette de Bali

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EXPRESSION<br />

par Romain Forsans<br />

De l’e<strong>au</strong> à Kuta<br />

Quand chaque matin, cette scène se répète - vous vous réveillez le drap gisant <strong>au</strong> pied du lit,<br />

le corps crucifié <strong>de</strong>vant le venti<strong>la</strong>teur et votre dulcinée exilée tête-bêche à l’<strong>au</strong>tre bout du<br />

mate<strong>la</strong>s, vous implore d’installer <strong>la</strong> clim - c’est que <strong>la</strong> terreur <strong>de</strong>s vacanciers arrive. <strong>La</strong> saison<br />

<strong>de</strong>s pluies. Sur les blogs <strong>de</strong> voyages, les mêmes questions : Michel <strong>de</strong> Fontaineble<strong>au</strong>. « Je viens<br />

2 semaines en novembre avec ma femme mais on nous a dit que c’était <strong>la</strong> saison <strong>de</strong>s pluies ? Y<br />

a-t-il un risque qu’il pleuve ? » Oui Michel. Il y a un risque. <strong>La</strong> vérité, c’est qu’effectivement, il<br />

pleut à <strong>la</strong> saison <strong>de</strong>s pluies. En général, ça commence par une matinée ensoleillé où tout le<br />

mon<strong>de</strong> se <strong>la</strong>nce un « Duuh panas sekali! » (Il fait très ch<strong>au</strong>d !) <strong>La</strong> température et l’humidité<br />

vont ensuite grimper d’heure en heure <strong>au</strong> point que même lire un livre suffira à vous faire<br />

suer. Alors que les feuilles <strong>de</strong>s arbres seront parfaitement immobiles et que l’atmosphère<br />

semblera gonflée à l’excès, <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière chose que vous entendrez avant le déluge sera :<br />

« H U J A A A A N! » (Il pleut !) En un instant, c’est tout le quartier qui hurlera « Hujan! »<br />

comme on crierait <strong>au</strong> feu. On pourrait croire que c’est du basa basi, du b<strong>la</strong>b<strong>la</strong>b<strong>la</strong> qui veut<br />

qu’on exprime joyeusement <strong>de</strong>s évi<strong>de</strong>nces. Une coupure <strong>de</strong> courant et tout le mon<strong>de</strong> dit<br />

« Mati <strong>la</strong>mpu ». Quelque chose tombe, on dit « Jatuh, jatuh ». Alors quand il pleut, on dit<br />

il pleut. S<strong>au</strong>f que dans ce cas précis, il y a un sens caché. Un rappel bienveil<strong>la</strong>nt à tous les<br />

rêveurs pour qui <strong>la</strong> pluie est un poème. Et le linge, il est rentré ? Pas <strong>de</strong> casque qui pendouille<br />

à l’envers <strong>au</strong> guidon <strong>de</strong> <strong>la</strong> moto ? Et les jas hujan ? On est toujours un peu réticent avant<br />

d’en acheter un. Cette sorte <strong>de</strong> poncho en p<strong>la</strong>stique beige surmonté d’une capuche parait<br />

encombrant pour conduire, compliqué à enfiler et surtout impossible à ranger. Initialement<br />

bien plié dans son embal<strong>la</strong>ge, il se transforme vite en une boule humi<strong>de</strong> et puante dans le<br />

coffre du bebek avant <strong>de</strong> finir sa vie on ne sait où. Mais après <strong>de</strong>ux trois s<strong>au</strong>cées et un gros<br />

rhume, on se dit que finalement ce n’est pas si dur à plier. <strong>La</strong> saison <strong>de</strong>s pluies, c’est <strong>au</strong>ssi<br />

un bi<strong>la</strong>n annuel <strong>de</strong> votre karma avec votre toit pour mesure. A <strong>Bali</strong>, ils ont une fâcheuse<br />

tendance à fuir. Les tremblements <strong>de</strong> terre et les chats feraient bouger les tuiles. Certes. Mais<br />

le <strong>la</strong>ncer <strong>de</strong> cailloux qui les fissurent ? Discrète, non violente et terriblement emmerdante,<br />

c’est une petite vengeance <strong>de</strong> voisinage à déguster bien fraîche, <strong>au</strong>ssi sournoise qu’efficace.<br />

Alors <strong>la</strong> prochaine fois que vous entendrez le sinistre goutte-à-goutte sur le contre-p<strong>la</strong>qué<br />

<strong>de</strong> votre f<strong>au</strong>x-p<strong>la</strong>fond, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z-vous si vous ne vous êtes pas garé trop souvent <strong>de</strong>vant<br />

le portail <strong>de</strong> votre voisin ou si votre musique n’était pas un peu trop forte.<br />

MA SORCIERE BIEN-AIMEE<br />

35<br />

J’écoute. Je préfèrerais rêver, somnoler, m’endormir, oublier… <strong>La</strong> musique <strong>de</strong>s mots, incantation<br />

ininterrompue conjuguée <strong>de</strong> <strong>la</strong> caresse appuyée <strong>de</strong> ses mains savantes me retient <strong>au</strong>x frontières<br />

du réel. J’écoute.<br />

Je ne comprends rien ou plutôt je comprends l’essentiel. Je ne s<strong>au</strong>rais traduire ce <strong>la</strong>ngage étrange<br />

et étranger mais l’intention est limpi<strong>de</strong>. <strong>La</strong> voix prie, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, elle exprime mes manques et mes<br />

faiblesses, elle souligne mes qualités et mes accomplissements. Elle prie pour moi, elle <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pour<br />

moi. Je ne lutte plus, je n’analyse plus, j’écoute. J’écoute <strong>la</strong> voix qui défait les nœuds <strong>de</strong> mon âme.<br />

Je m’abandonne à <strong>la</strong> caresse qui délie ceux <strong>de</strong> mon corps. Une douce chaleur m’envahit. Parfois, je<br />

souris, parfois, je pleure, et c’est égal, et c’est juste. Après je suis apaisée, presque sereine.<br />

<strong>La</strong> première fois, c’était un dimanche <strong>au</strong> crépuscule. Elle avait fait retentir <strong>la</strong> sonnette <strong>de</strong> sa<br />

bicyclette et je sortis pour l’accueillir. Une vieille Javanaise <strong>au</strong> visage griffé <strong>de</strong> mille ri<strong>de</strong>s se tenait<br />

bien droite sur le seuil <strong>de</strong> ma maison. Je m’effaçais pour <strong>la</strong> <strong>la</strong>isser entrer. Sans un mot, mais avec<br />

un joli sourire, elle me montra ses mains longues et fines et sortit un f<strong>la</strong>con d’huile ambrée <strong>de</strong>s<br />

plis <strong>de</strong> son sarong brodé.<br />

Ainsi le rituel s’établit. Le dimanche, <strong>au</strong> début <strong>de</strong> <strong>la</strong> nuit… Comment savait-elle que c’était<br />

le moment où, inexorablement, mes démons familiers me faisaient douter <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> moimême<br />

? Plus prosaïquement, comment connaissait-elle mon existence, mon adresse, jusqu’<strong>au</strong>x<br />

prénoms <strong>de</strong> mes enfants qui souvent ponctuaient son monologue ?<br />

Elle opposait tranquillement son sourire inaltérable à mes tentatives <strong>de</strong> conversation, à mes<br />

questions. Je mis du temps à réaliser que toutes les réponses et tout le réconfort dont j’avais<br />

besoin, sa voix et ses mains me les offraient. <strong>La</strong> seule chose qu’elle n’ait jamais accepté <strong>de</strong> me<br />

dire, c’est son nom : « Naema » Comme si le reste, les détails <strong>de</strong> sa vie, l’origine <strong>de</strong> sa connexion<br />

avec moi, n’avaient pas <strong>la</strong> moindre importance.<br />

Notre ren<strong>de</strong>z-vous tacite m’était <strong>de</strong>venu précieux. Oui, grâce à ma sorcière venue <strong>de</strong> nulle part,<br />

j’al<strong>la</strong>is <strong>de</strong> mieux en mieux, j’étais enfin réconciliée avec mon quotidien.<br />

Insensiblement ses visites se firent moins fréquentes. Pour pallier <strong>au</strong> manque, je me mis à<br />

pratiquer <strong>la</strong> méditation. Ce<strong>la</strong> intensifia les bienfaits <strong>de</strong> ses soins. Je <strong>de</strong>vins moins nerveuse, plus<br />

forte et plus confiante.<br />

Et puis, il y eut <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois. Ce jour-<strong>la</strong>, le massage fini, d’un geste péremptoire, elle m’intima<br />

<strong>de</strong> me lever. Le salut traditionnel les mains jointes, les yeux dans les yeux… C’est idiot, mais j’ai<br />

eu <strong>la</strong> sensation qu’elle pouvait voir le tréfonds <strong>de</strong> mon âme.<br />

Aujourd’hui, je tiens <strong>de</strong>bout toute seule. Merci Naema !<br />

Miss O

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