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Archimède - Espace culture de l'université de Lille 1

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l e s n o u v e l l e sdOCT’ A r c h i m è d eNOVD É Cle journal <strong>culture</strong>l <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong>s Sciences & Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong># 4 6Ouverture <strong>de</strong> saison 07-08« Les frontières »« À propos <strong>de</strong> la science »« Les secrets <strong>de</strong> la matière »Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong>Open WorldPièces détachées/OulipoThéâtreHué/CircumPhil Minton’s Feral ChoirConcertsLa biologie à la Faculté<strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>FrontièresExpositions2007« Les hommes déprécient ce qu’ils ne peuvent comprendre ».Johann Wolfgang von Goethe, Faust II, 1832<strong>Lille</strong> 1


LNA#46 / éditoUne rentrée sur fond <strong>de</strong> réforme…et d’inquiétu<strong>de</strong>Nabil EL-HAGGARVice-prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Université<strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>,chargé <strong>de</strong> la Culture, <strong>de</strong> laCommunication et du PatrimoineScientifique1Edgar Morin, Congrès <strong>de</strong> Locarno, 30 avril -2 mai 1997 : Annexes au document <strong>de</strong> synthèseCIRET-UNESCO.2Cité par Edgar Morin, Ibid.3« Écrivain et savant allemand, né à Francfortsur-le-Mainle 28 août 1749, décédé à Weimarle 22 mars 1832. Fils d’une famille bourgeoisefortunée, Johann Wolfgang von Goethe reçoitune éducation approfondie : il lit à trois ans etconnaît le latin et le grec à sept ans. Sa vie estponctuée <strong>de</strong> rencontres féminines qui furentsouvent à l’origine <strong>de</strong> créations poétiques. Il sepassionne pour la musique et fait la connaissance<strong>de</strong> Mozart et Beethoven. Ce <strong>de</strong>rnier composela musique pour accompagner une <strong>de</strong>s œuvres<strong>de</strong> l’écrivain : « Egmont ». Maîtrisant tous lesgenres : poésie, théâtre, roman..., son œuvreimmense a placé l’Allemagne, pendant plus d’un<strong>de</strong>mi-siècle, au premier plan littéraire. Ses <strong>de</strong>uxchefs-d’œuvre universels, « Faust » et « Les Souffrancesdu jeune Werther », ont influencé toutel’Europe et ont traversé les générations en conservantintact tout leur génie ». (www.evene.fr)L’équipeFrançoise POINTARDdirectrice <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> CultureDelphine POIRETTEchargée <strong>de</strong> communicationEdith DELBARGEchargée <strong>de</strong>s éditions et communicationJulien LAPASSETconcepteur graphique et multimédiaAudrey Bosquetteassistante aux éditionsMourad SEBBATchargé <strong>de</strong>s relations jeunesse/étudiantsMartine DELATTREassistante projets étudiants et communicationDominique HACHEresponsable administratifJohanne WAQUETsecrétaire <strong>de</strong> directionMichèle DUTHILLIEUXrelations logistique/organisationAngebi Aluwangaassistant administratifJacques SIGNABOUrégisseurJoëlle MAVETcafé <strong>culture</strong>lNabil BEN AMMARstagiaireOù va l’université !L’université française est inquiète, la communauté universitaire se pose <strong>de</strong>s questionsqui restent sans réponse, elle sait qu’une réforme est nécessaire, mais laquelle ? Les politiquespensent que l’université doit s’adapter à la société, ils vont vite, peut être trop vite !La question ne peut être réduite à celle <strong>de</strong> l’adaptation. Il s’agit avant tout <strong>de</strong> définir clairementles missions fondamentales <strong>de</strong> l’université afin <strong>de</strong> lui donner les moyens nécessairespour les accomplir.« Bien qu’elle ait <strong>de</strong>s antécé<strong>de</strong>nts à Bagdad et à Fez, l’université, comme il a été souvent dit,est le grand ca<strong>de</strong>au <strong>de</strong> l’Europe médiévale à l’Europe mo<strong>de</strong>rne. En moins <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux siècles,une constellation d’universités a jailli <strong>de</strong> Bologne à Upsala, <strong>de</strong> Coimbre à Prague. L’universitéest conservatrice, régénératrice, génératrice. Elle conserve, mémorise, intègre, ritualiseun héritage cognitif ; elle le régénère en le réexaminant, l’actualisant, le transmettant ; ellegénère du savoir et <strong>de</strong> la <strong>culture</strong> qui vont alors rentrer dans l’héritage.À ce titre, l’Université a une mission et une fonction trans-séculaires, qui, via le présent,va du passé vers le futur ; elle a une mission trans-nationale qu’elle a gardée endépit <strong>de</strong> la tendance à la clôture nationaliste <strong>de</strong>s nations mo<strong>de</strong>rnes. Elle dispose d’uneautonomie qui lui permet d’effectuer cette mission. » 1Non seulement, l’université doit s’adapter à la société, mais elle doit aussi se montrercapable <strong>de</strong> désadaptation et d’autonomie afin <strong>de</strong> participer pleinement à l’évolution<strong>culture</strong>lle, sociale et économique <strong>de</strong> la société et être actrice <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité.C’est en cela que rési<strong>de</strong> sa double mission. Une réforme institutionnelle est sans doutenécessaire pour accomplir la première mission. Quant à la <strong>de</strong>uxième, dont seule lacommunauté universitaire a la responsabilité, c’est une réforme <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong> <strong>culture</strong>et d’organisation <strong>de</strong>s connaissances dont il s’agit. Depuis longtemps, il appartient à la<strong>culture</strong> universitaire d’incarner la somme d’une <strong>culture</strong> humaniste générale et d’une<strong>culture</strong> scientifique. C’est l’incontournable condition pour que l’université puisse accomplirpleinement l’ensemble <strong>de</strong> ses missions. Qu’elle puisse s’inscrire à la fois dansl’exigence <strong>de</strong> la réflexion nécessaire pour poser un regard critique sur le mon<strong>de</strong>, préserverla démocratie et se projeter dans l’avenir, tout en faisant preuve d’efficacité etd’utilité exigées par l’immédiateté.Derek Bok, le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Harvard, déclarait dans son rapport annuel <strong>de</strong> 1986 :« Ni le jeu normal <strong>de</strong> la concurrence, ni les efforts délibérés <strong>de</strong>s réformateurs extérieursn’ont été capables <strong>de</strong> garantir un haut niveau constant d’activité. C’est à l’Universitéen définitive que doit revenir cette tâche vitale » 2 .Une nouvelle annéeLa programmation <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture sera toujours aussi riche et diversifiée pour cettesaison 2007-2008.- Trois thèmes au programme <strong>de</strong>s Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> :« Les secrets <strong>de</strong> la matière » avec dix conférences,« Les frontières » : neuf conférences, une journée d’étu<strong>de</strong>s, une exposition, <strong>de</strong>s spectacles, concertset ateliers,« À propos <strong>de</strong> la science » : quatre cafés-sciences, neuf conférences dont quatre seront consacrées àla réflexion éthique sur les interfaces Nano/Bio/Info,- Le cycle Question <strong>de</strong> sens abor<strong>de</strong>ra la question <strong>de</strong> l’utopie,- Enfin, la programmation artistique : spectacles vivants, expositions d’art contemporain,expositions pédagogiques, conférences, colloques… que nous organisons ou accueillons.C’est Johann Wolfgang von Goethe 3 qui nous accompagnera tout au long <strong>de</strong> cettenouvelle année universitaire avec cette citation :« Les hommes déprécient ce qu’ils ne peuvent comprendre ».


sommaire / LNA#46À noter page 51 :ConcertPhil Minton’s Feral ChoirFrontières4 Les frontières par Patrick PicouetÀ propos <strong>de</strong> la science5-7 Changement climatique, mondialisation et diversité du Mon<strong>de</strong>par Clau<strong>de</strong> Kergomard8-9 Pas <strong>de</strong> démocratie sans confiance éclairée par Chantal Enguehard10-11 Questionner le sens commun à propos <strong>de</strong>s sciences par Dominique PestreLes secrets <strong>de</strong> la matière12 Les secrets <strong>de</strong> la matière par Jean-Marie Breuvart13-15 Succès et limites du réductionnisme physique par Jean-Marc Lévy-Leblond16-17 Les principes <strong>de</strong> la matière dans la chimie ancienne par Bernard JolyRubriques18-19 Vivre les sciences, vivre le droit… par Jean-Marie Breuvart20-21 Paradoxes par Jean-Paul Delahaye22-23 Mémoires <strong>de</strong> science par Ahmed Djebbar24-25 Humeurs par Jean-François Rey26-28 Repenser la politique par Alain Cambier29-31 Jeux littéraires par Robert Rapilly32-33 À lire Collection Les ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong>34 À lire par Rudolf Bkouche35 À lire par Youcef Boudjemai36-37 L’art et la manière par Corinne Melin38-39 Questions <strong>de</strong> sciences sociales par Laurent BazinLibres propos40-41 Les enjeux éthiques <strong>de</strong> la recherche aux interfaces Nano/Bio/Infopar Bernard Van<strong>de</strong>nbun<strong>de</strong>rAu programme42-43 Ouverture <strong>de</strong> saison44 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les frontières »45 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « À propos <strong>de</strong> la science »46 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les secrets <strong>de</strong> la matière »47 Question <strong>de</strong> sens : Cycle « Utopie et altermondialisme »48 Théâtre : « Je suis un voyageur solitaire… » - « Open world »49 Exposition : La biologie à la Faculté <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>50 Concert : Hué/Circum51 Concert : Phil Minton’s Feral Choir52 Théâtre : Pièces détachées/Oulipo53 Théâtre : Valentina bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s nuages54-55 Exposition : Frontières images <strong>de</strong> vie entre les lignesLES NOUVELLES D’ARCHIMÈDEDirecteur <strong>de</strong> la publication : Philippe ROLLETDirecteur <strong>de</strong> la rédaction : Nabil EL-HAGGARComité <strong>de</strong> rédaction : Rudolf BKOUCHEYoucef BOUDJEMAIJean-Marie BREUVARTAlain CAMBIERJean-Paul DELAHAYEAhmed DJEBBARBruno DURIEZRobert GERGONDEYJacques LEMIÈREBernard MAITTECorinne MELINRobert RAPILLYJean-François REYRédaction - Réalisation : Delphine POIRETTEEdith DELBARGEJulien LAPASSETImpression : Imprimerie DelezenneISSN : 1254 - 9185


LNA#46 / cycle Les frontièresLes frontièresPar Patrick PICOUETGéographe, maître <strong>de</strong> conférences à l’USTL,chargé <strong>de</strong> cours à l’IEP <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>N’est-ce pas une image inscrite dans notre mémoire<strong>de</strong>puis les premiers temps <strong>de</strong> l’école primaire quecelle <strong>de</strong> la carte représentant le mon<strong>de</strong> comme une mosaïqued’États aux couleurs chatoyantes. Nous sommes sansdoute nombreux à nous souvenir <strong>de</strong> notre apprentissage dumon<strong>de</strong> par l’assemblage d’un puzzle aux pièces <strong>de</strong> taillestrès différentes et <strong>de</strong> formes quelquefois géométriques maisle plus souvent très irrégulières, dont l’emboîtement finalétait d’autant plus facilement réalisé que l’opposition <strong>de</strong>scouleurs représentant chaque État était plus vive.Ce mon<strong>de</strong> reflète la spatialité telle qu’elle a été durablementcaractérisée par la pensée dominante dans l’Occi<strong>de</strong>nt mo<strong>de</strong>rne,un mon<strong>de</strong> conçu comme un système d’objets articulés,<strong>de</strong>s continents, <strong>de</strong>s pays, <strong>de</strong>s régions, <strong>de</strong>s villes, <strong>de</strong>scampagnes, etc. Parmi ces objets, les États, parfaitementjuxtaposés le long <strong>de</strong>s frontières, gérés, administrés et politiquementcontrôlés, offrent une vision ordonnée du mon<strong>de</strong>.Or, actuellement, le puzzle se transforme, les États prolifèrent,en particulier <strong>de</strong>puis la chute du socialisme soviétique: ils étaient quarante au début du XX ème siècle, on en dénombreplus <strong>de</strong> cent quatre-vingt en 2005. Les frontièresse multiplient, prennent <strong>de</strong>s formes variées, visibles ouinvisibles, à toutes les échelles et dans tous les espaces,terrestres, maritimes et aériens.Elles partagent l’espace terrestre mais aussi, <strong>de</strong>puis MontegoBay, en 1982, les mers et océans. Les États riverainspossè<strong>de</strong>nt aujourd’hui une part essentielle <strong>de</strong>s espacesmarins mondiaux (les Zones Économiques Exclusives) ausein <strong>de</strong>squels ils disposent du monopole <strong>de</strong> l’exploitation<strong>de</strong>s richesses. Les difficultés pour y définir les frontièressont d’autant plus gran<strong>de</strong>s que les surfaces marines sont petites(Méditerranée, Mer Baltique) ou que les richesses enhydrocarbures sont importantes (Mer Caspienne, Mer <strong>de</strong>Chine méridionale). Les détroits internationaux <strong>de</strong>viennent<strong>de</strong>s territoires sensibles, potentiellement dangereux, tant letrafic maritime est intense (Pas-<strong>de</strong>-Calais, détroit <strong>de</strong> Malacca),les risques d’acci<strong>de</strong>nt et <strong>de</strong> pollution majeurs, les actes<strong>de</strong> piraterie fréquents.En Europe, les frontières semblent disparaître ! En réalité,leurs formes changent. La ligne frontière, si ancréedans nos esprits, se dilate en zone frontalière plus floue.La frontière se diffuse dans l’espace ; elle paraît s’éloignerpour mieux se durcir à la périphérie <strong>de</strong> l’Union Européenneet, cependant, elle est si proche dans toutes les gares, tousles aéroports et ports internationaux qui sont <strong>de</strong> véritablespoints-frontières, nouvelles portes d’entrée disséminées surEn conférence le 9 octobretout le territoire. Les États membres <strong>de</strong> l’UE lancent <strong>de</strong>sprogrammes ambitieux <strong>de</strong> coopération qui visent à créerune citoyenneté et <strong>de</strong>s territoires transfrontaliers, mais <strong>de</strong>srégions revendiquent leur autonomie, <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong>ghettoïsation créent <strong>de</strong>s discontinuités spatiales et socialesdans les gran<strong>de</strong>s villes.Des États manifestant à l’extrême leur volonté <strong>de</strong> différenciation,<strong>de</strong> séparation et <strong>de</strong> protection, continuent à construire<strong>de</strong>s murs : les États-Unis prolongent leur barrière métalliqueen direction du Rio Gran<strong>de</strong> ; les Israéliens aménagentun mur en béton à l’ouest <strong>de</strong> la Cisjordanie ; les jeunes Étatsd’Asie Centrale marquent leurs territoires en installant <strong>de</strong>sbarbelés, <strong>de</strong>s miradors et <strong>de</strong>s mines. D’autres frontières <strong>de</strong>viennentinvisibles, sources d’instabilité, d’inquiétu<strong>de</strong>s et<strong>de</strong> perte d’i<strong>de</strong>ntité. Les Européens ne voient plus leurs frontièresnationales et peinent à se reconnaître dans l’UnionEuropéenne faute <strong>de</strong> repères, <strong>de</strong> symboles.Les Français ont toujours en mémoire les barrières <strong>de</strong>s Alpeset <strong>de</strong>s Pyrénées, le cours du Rhin, ces frontières « naturelles »si rassurantes et « éternelles ». À une autre échelle, l’Europene se reconnaît plus au-<strong>de</strong>là du Bosphore alors que les Stambouliotesle traversent chaque jour sur les vapur évoqués parOrhan Pamuk 1 .Les processus <strong>de</strong> mondialisation économique et <strong>de</strong> globalisationfinancière ten<strong>de</strong>nt à perforer les frontières,réduisent leur capacité <strong>de</strong> contrôle et <strong>de</strong> fermeture territoriale,transforment leurs fonctionnalités traditionnelles. Larapidité <strong>de</strong>s déplacements et la gran<strong>de</strong> mobilité <strong>de</strong>s populationsaccroissent les risques <strong>de</strong> propagation <strong>de</strong>s épidémies.La frontière ne peut plus être un obstacle ou une barrièreaux échanges, aux connexions. Les États doivent aménagerleurs territoires pour les rendre plus attractifs ; les fleuves,jadis souvent utilisés comme frontières, peuvent <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>sliens grâce à l’organisation <strong>de</strong> la navigation internationale, àla répartition concertée <strong>de</strong> la ressource en eau, etc.En même temps, la frontière doit continuer à jouer un rôle<strong>de</strong> protection et rassurer les citoyens sur leur i<strong>de</strong>ntité, surleur existence. Plus que jamais, elle est ambivalente et vécuecomme telle.Objet d’étu<strong>de</strong> complexe, elle est riche aussi <strong>de</strong> ses dimensions<strong>culture</strong>lles dans les registres du symbolique et <strong>de</strong> l’imaginaire.Elle pose les questions <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong>s mentalités,<strong>de</strong>s représentations, du contact entre les civilisations.1Istanbul. Souvenirs d’une ville, éd. Gallimard, Paris, 2007.


cycle À propos <strong>de</strong> la science / LNA#46Changement climatique, mondialisationet diversité du Mon<strong>de</strong>Par Clau<strong>de</strong> KERGOMARDProfesseur et directeur au département <strong>de</strong> géographie,directeur adjoint du Centre d’Enseignement et <strong>de</strong> Recherchessur l’Environnement et la Société, École Normale Supérieure, ParisEn conférence le 13 décembreIl y a quinze ans, durant le sommet <strong>de</strong> la Terre <strong>de</strong> Rio, la communauté internationale reconnaissaitofficiellement l’importance du risque que représente le changement climatique ; la Convention-Cadre <strong>de</strong>s Nations-Unies sur le Changement Climatique se fixait alors pour objectif <strong>de</strong> « stabiliserles concentrations <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong> serre à un niveau qui empêche toute perturbation anthropiquedangereuse du système climatique ». Fondé sur les acquis <strong>de</strong> la communauté scientifique synthétiséspar le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC/IPCC), le texte affirme l’unitédu système climatique et la nécessité <strong>de</strong> la prise en compte du risque à l’échelle <strong>de</strong> la planète touteentière ; il ouvre la voie à la mise en place d’une régulation internationale <strong>de</strong>s émissions <strong>de</strong> gaz àeffet <strong>de</strong> serre, qui se traduit par la mise en place du protocole <strong>de</strong> Kyoto (1997).Figure 1 :Répartition mondiale <strong>de</strong>sémissions <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong>serre par pays, en tonnes<strong>de</strong> CO 2par habitant(données <strong>de</strong> 2003).Quinze ans plus tard, la controverse scientifiquesur la réalité et l’ampleur du changementclimatique, et sur la responsabilité <strong>de</strong>s activitéshumaines, s’éteint progressivement <strong>de</strong>vantl’évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s effets et <strong>de</strong>s impacts déjà sensibles.En revanche, les difficultés <strong>de</strong> la mise enplace d’un système international <strong>de</strong> limitation<strong>de</strong>s émissions sont <strong>de</strong>venues patentes, révéléesen particulier par le refus <strong>de</strong> ratification duprotocole <strong>de</strong> Kyoto par <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s principauxpays industrialisés <strong>de</strong> la planète, les États-Uniset l’Australie. Bien que finalement mis en placeaprès sa ratification par la Russie (2005),celui-ci n’aura sans aucun doute pas réussi,à son terme prévu en 2008-2012, à infléchir<strong>de</strong> façon significative la tendance mondiale àl’augmentation <strong>de</strong>s émissions <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong> serre. Les négociations en cours sur l’après-Kyotomettent clairement en évi<strong>de</strong>nce les difficultés auxquelles le Mon<strong>de</strong> aura à faire face pour réaliserl’objectif <strong>de</strong> la Convention-Cadre sur le Changement Climatique <strong>de</strong> 1992 :- la question du changement climatique et la limitation <strong>de</strong>s émissions interagit avec le marchéfortement et précocement mondialisé <strong>de</strong>s combustibles fossiles. Structuré par le découplageentre pays producteurs et consommateurs qui induit <strong>de</strong>s échanges internationaux en croissancerapi<strong>de</strong>, ce marché est aujourd’hui soumis aux tensions induites par les besoins <strong>de</strong>s puissancesémergentes fortement peuplées que sont la Chine, l’In<strong>de</strong> et à un moindre <strong>de</strong>gré le Brésil. Lahausse <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong> l’énergie et la perspective d’un épuisement à terme <strong>de</strong>s ressources (peak oil)n’ont pas jusqu’ici agi dans le sens d’une limitation <strong>de</strong>s échanges et <strong>de</strong> la consommation.- le changement climatique s’exerce et s’exercera plus encore, dans les décennies à venir, sur <strong>de</strong>sterritoires, <strong>de</strong>s économies et <strong>de</strong>s sociétés profondément inégaux, tant par leur sensibilité physiqueau climat, que par leur vulnérabilité et leur capacité d’adaptation au changement. Il risqued’intervenir comme facteur aggravant <strong>de</strong>s inégalités criantes du développement économique etsocial entre les états et les régions du Mon<strong>de</strong>.La confrontation entre le risque planétaire que représente le changement climatique, les enjeux nationauxet internationaux, et les effets différenciés jusqu’aux échelles régionales et locales interrogela géographie, à travers la dialectique entre unité et diversité du Mon<strong>de</strong>. Dès 1992, le géographe


LNA#46 / cycle À propos <strong>de</strong> la science1Olivier Dollfus, SystèmeMon<strong>de</strong> et Système Terre,L’<strong>Espace</strong> Géographique,1992-3, p 223-229.2Cette valeur n’est dépasséeque dans certaines <strong>de</strong>smonarchies pétrolièresdu Golfe Arabo-Persique.Figure 2 :Répartition mondiale <strong>de</strong>sémissions <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong>serre (CO 2) par pays, en %du total mondial (données<strong>de</strong> 2003).Olivier Dollfus 1 évoquait ainsi la confrontation, révélée par le changement climatique, entre <strong>de</strong>uxconceptions également systémiques : le « Système-Terre » <strong>de</strong>s géophysiciens (c’est-à-dire dans notrecas le système climatique envisagé à travers les échanges <strong>de</strong> mouvement, d’énergie et <strong>de</strong> matièreentre atmosphère, océan et surfaces terrestres, perturbé par les modifications anthropiques du cycledu carbone) et le « Système-Mon<strong>de</strong> », concept <strong>de</strong> la géographie qui désigne l’ensemble <strong>de</strong>s structuresd’organisation spatiale, <strong>de</strong>s discontinuités et <strong>de</strong>s flux qui organisent la géographie planétaire.Outil par excellence <strong>de</strong> la géographie, la carte exprime <strong>de</strong> façon particulièrement claire les disparitésassociées à l’émission <strong>de</strong>s gaz à effet <strong>de</strong> serre (figure 1). Entre les quelques dizaines <strong>de</strong> kilos d’équivalentCO 2émis annuellement par les habitants <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s pays d’Afrique subsaharienneet les vingt tonnes <strong>de</strong> CO 2que représentent les émissions d’un habitant <strong>de</strong>s États-Unis 2 , la cartereflète les inégalités d’un développement largement fondé sur la consommation d’énergie fourniepar les carburants fossiles. La responsabilité <strong>de</strong>s pays industrialisés et développés est plus crianteencore si l’on tient compte du fait que la concentration actuelle <strong>de</strong>s gaz à effet <strong>de</strong> serre dans l’atmosphère,<strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> 380 ppm, est le résultat d’un processus cumulatif qui s’est étendu sur <strong>de</strong>uxsiècles, pendant lesquels ils ont été les seuls à émettre <strong>de</strong> façon significative. Cette responsabilitéest déjà clairement affirmée dans la Convention-Cadre <strong>de</strong> 1992, qui aboutit dans le protocole <strong>de</strong>Kyoto à ne proposer d’objectifs quantifiés <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s émissions que pour les pays désignéspar l’annexe 1 du protocole, c’est-à-dire les états européens, la Russie et les pays industrialisés duNouveau-Mon<strong>de</strong>.La carte <strong>de</strong>s contributions par pays aux émissions totales (figure 2) représente surtout les questionsgéopolitiques qui s’expriment dans l’actualité <strong>de</strong>s négociations actuelles <strong>de</strong>stinées à organiserl’après-Kyoto. La décision <strong>de</strong>s États-Unis, qui sont responsables à eux seuls <strong>de</strong> près d’un quart<strong>de</strong>s émissions planétaires, <strong>de</strong> ne pas ratifier le protocole <strong>de</strong> Kyoto et leur réticence à afficher dansl’avenir <strong>de</strong>s objectifs quantifiés <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s émissions par la suite, pèsent fortement sur l’avenirclimatique <strong>de</strong> la planète entière. Apparaît également la nécessité d’une prise en compte future <strong>de</strong>sémissions en croissance rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s puissances émergentes que sont la Chine, l’In<strong>de</strong> et à un moindre<strong>de</strong>gré le Brésil, actuellement non assujetties à <strong>de</strong>s objectifs <strong>de</strong> contrôle ou <strong>de</strong> réduction. Le poids<strong>de</strong>s responsabilités <strong>de</strong> l’Europe, dont les principaux états émargent à hauteur <strong>de</strong> 1,5 à 3 % <strong>de</strong>s émissionsglobales, est masqué par l’émiettement et doit être évalué globalement : pour une populationtrois fois moindre, les émissions <strong>de</strong> l’Europereprésentent l’équivalent <strong>de</strong> celles <strong>de</strong> la Chine.À l’inverse, les émissions <strong>de</strong> la totalité <strong>de</strong>s pays<strong>de</strong> l’Afrique subsaharienne (Afrique du Su<strong>de</strong>xclue) sont inférieures à celles <strong>de</strong> la France.Mais le thème <strong>de</strong> l’équité face au changementclimatique, très présent dans les rapports duGIEC et les négociations internationales <strong>de</strong>puisle sommet <strong>de</strong> Rio, ne se limite pas, loin<strong>de</strong> là, à la seule contribution <strong>de</strong>s différentsétats aux émissions <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong> serre.Les dommages potentiels d’un changementclimatique déjà à l’œuvre sont répartis <strong>de</strong>façon profondément différente, sinon opposée,aux contributions aux émissions <strong>de</strong> gazà effet <strong>de</strong> serre. Dans cette répartition, lespays les plus pauvres apparaissent particulièrement <strong>de</strong>sservis par trois aspects du risque :- la sensibilité au changement climatique et à ses impacts biophysiques (hausse du niveau marin,perturbations du cycle hydrologique, phénomènes extrêmes) n’épargne pas, bien au contraire,la zone intertropicale où se trouvent la plupart <strong>de</strong>s pays les moins avancés. Les modificationsprévisibles du cycle hydrologique affecteront <strong>de</strong> nombreuses régions <strong>de</strong>s pays pauvres, déjà


cycle À propos <strong>de</strong> la science / LNA#46soumises à l’insuffisance ou à la variabilité <strong>de</strong> la ressource en eau. La fréquence et l’intensité<strong>de</strong> phénomènes extrêmes, tels que les cyclones tropicaux, <strong>de</strong>vraient augmenter, selon les climatologues,et concerner nombre <strong>de</strong>s mêmes pays. Certains écosystèmes terrestres (les forêtssèches <strong>de</strong>s régions subari<strong>de</strong>s par exemple), côtiers (mangroves) ou marins (récifs coralliens)d’importance vitale pourraient se trouver menacés.- la vulnérabilité d’économies peu différenciées,souvent dépendantes <strong>de</strong>ressources naturelles ou agricoles, tantpour nourrir les populations nationalesque pour les exportations indispensables àla balance commerciale, pourrait être àl’origine <strong>de</strong> crises graves dans <strong>de</strong>s payspar ailleurs encore en croissance démographique.C’est également dans lespays pauvres, sous-médicalisés, que lesrisques sanitaires engendrés par l’accroissement<strong>de</strong>s températures, l’assèchementou au contraire l’augmentation <strong>de</strong>l’humidité, une gestion plus difficile <strong>de</strong>l’alimentation en eau potable, <strong>de</strong>vraients’avérer les plus graves.- face au changement climatique inévitable,même en cas <strong>de</strong> réduction notable <strong>de</strong>sémissions <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong> serre, la capacitéd’adaptation <strong>de</strong>s pays les plus pauvresest limitée par leur situation économiqueet sociale. L’adaptation requerra en effetla mobilisation <strong>de</strong> moyens technologiques,<strong>de</strong> capacités financières et <strong>de</strong> ressourceshumaines ; elle mettra à l’épreuve la cohérence <strong>de</strong>s sociétés, la stabilité <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong>srégimes politiques.Un graphique simple (figure 3) croisant les niveaux d’émissions <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong> serre par habitantet l’indice <strong>de</strong> développement humain 3 <strong>de</strong>s différents pays et groupes <strong>de</strong> pays dans le Mon<strong>de</strong> met enévi<strong>de</strong>nce l’ampleur du défi que constitue le Développement Durable, qui ambitionne d’aller à la foisvers la stabilisation du changement climatique (par réduction <strong>de</strong>s émissions <strong>de</strong> gaz à effet <strong>de</strong> serre),et vers la réduction <strong>de</strong>s inégalités du développement. La responsabilité <strong>de</strong>s pays développés est immense: ceux-ci <strong>de</strong>vraient à la fois convertir leur propre économie en vue d’une réduction drastique<strong>de</strong> leurs propres émissions (d’un facteur 4 pour la France et d’un facteur 10 pour les États-Unis…)et contribuer, par le transfert <strong>de</strong> technologies et <strong>de</strong> moyens, à un développement « propre » <strong>de</strong>s paysdu Sud. À l’inverse, une aggravation <strong>de</strong>s impacts du changement climatique dans les décennies àvenir risquerait d’accroître sensiblement les inégalités internationales, les tensions géopolitiques etles conflits qui en sont la conséquence inévitable. C’est sans doute là que se situe la vraie nature du« risque climatique ».Figure 3 :Le défi du développementdurable : indice dudéveloppement humainet émissions <strong>de</strong> gaz à effet<strong>de</strong> serre.3L’Indice duDéveloppement Humain(IDH) est retenu parle Programme <strong>de</strong>sNations-Unies pour leDéveloppement (PNUD)comme indicateurdu développementqualitatif <strong>de</strong>s états.Combinant <strong>de</strong>s donnéessur le développementéconomique et le niveau<strong>de</strong> vie, sur la santé et lalongévité <strong>de</strong>s hommes, etsur le niveau d’éducation<strong>de</strong> la population, il donneun reflet assez juste <strong>de</strong>la vulnérabilité et lacapacité d’adaptation <strong>de</strong>sétats face au changementclimatique.


LNA#46 / cycle À propos <strong>de</strong> la sciencePas <strong>de</strong> démocratie sans confiance éclairéePar Chantal ENGUEHARDMaître <strong>de</strong> conférences en informatiqueà l’Université <strong>de</strong> NantesComme le rappelle la Constitution Française, en démocratie,le peuple détient et exerce le pouvoir :« Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».L’étymologie du mot « démocratie » (dêmos, peuple etkratos, puissance, autorité) est éloquente.Notre démocratie est représentative ; le peuple n’exercepas directement le pouvoir, mais le confie à <strong>de</strong>s représentantsdésignés lors d’élections. Cette délégation estremarquable car volontaire et librement consentie, alorsque les citoyens aliènent ainsi une part <strong>de</strong> leur liberté(sont notamment concernés les pouvoirs régaliens commel’armée, la police, la justice). Ainsi, c’est par une « chaîne<strong>de</strong> délégation » soigneusement codifiée qu’un juge exerceson pouvoir au nom du peuple français : chacun doit seconformer à ses jugements sous peine d’avoir à faire à lapolice, elle-même légitime car le peuple lui a indirectementdélégué ses pouvoirs.En démocratie représentative, la formation <strong>de</strong>s lois, la prési<strong>de</strong>ncedu pays et le contrôle du gouvernement sont doncentre les mains d’élus.Les élections doivent respecter <strong>de</strong>s principes :- unicité : chaque votant dispose d’une voix,- confi<strong>de</strong>ntialité : chacun déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> son vote seul et sanspression,- anonymat : le vote est secret,- transparence : chacun peut contrôler le déroulement <strong>de</strong>sélections,- sincérité : les résultats proclamés sont fidèles aux intentions<strong>de</strong> vote exprimées lors du scrutin.Le système électoral doit inspirer confiance pour que lesrésultats en soient bien acceptés. Le candidat élu est alorsreconnu légitime par tous, y compris par ceux qui avaientvoté pour son adversaire.Cette confiance est mise à mal si un ou plusieurs principesdémocratiques sont trahis : par exemple, <strong>de</strong>s électeurs votentplusieurs fois, le décompte <strong>de</strong>s voix est truqué, etc. Lesreprésentants ainsi élus peuvent voir leur légitimité remiseen cause. Contestés, leurs décisions le sont également.Confiance éclairéeEn conférence le 11 octobreLa confiance est fondée sur le contrôle direct <strong>de</strong>s élections,possible grâce à la transparence. Chaque électeur peut participerà l’observation pendant la journée, puis assister audépouillement, voire y prendre part. Chacun peut le faire,sans avoir à prévenir quiconque ou à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r une autorisation.Ce pouvoir <strong>de</strong> contrôle est direct : chaque citoyena le droit <strong>de</strong> l’exercer (c’est la loi) et tous en ont la capacité(même un enfant <strong>de</strong> dix ans peut comprendre un dépouillement).Il est crucial que ce caractère direct soit conservé. Si lecontrôle <strong>de</strong>s élections était exclusivement délégué à certains(juges, personnels municipaux, techniciens…), les autres nejouiraient plus d’aucun pouvoir, ni entre les scrutins (le pouvoirest confié aux élus), ni pendant les scrutins (ils ne fontpas partie <strong>de</strong> ceux qui ont le droit <strong>de</strong> contrôler les votes).Une telle société, privant une partie du peuple <strong>de</strong> son pouvoir,ne pourrait être qualifiée <strong>de</strong> démocratique.Ordinateurs <strong>de</strong> vote et confiance décrétéeDepuis quelques années est apparu le vote électronique, notammentsous la forme d’ordinateurs <strong>de</strong> vote 1 <strong>de</strong> premièregénération qui dématérialisent les bulletins. Les électeursvotent sur un ordinateur, par exemple en appuyant sur unbouton en face d’un candidat. Leur choix est enregistré uniquementdans la mémoire informatique. En fin <strong>de</strong> journée,l’ordinateur donne <strong>de</strong>s résultats.Les promoteurs <strong>de</strong> ces systèmes <strong>de</strong> vote vantent la fiabilitédu processus alors que l’absence <strong>de</strong> bulletins interdit <strong>de</strong>contrôler la justesse <strong>de</strong>s résultats énoncés.Pourtant, comme tout système informatique, ces ordinateurssont susceptibles d’erreurs causées par <strong>de</strong>s déficiencesmatérielles ou logicielles. Un ordinateur peut fonctionnerlors <strong>de</strong> tests et adopter soudainement un comportementdifférent. Une panne peut survenir, un bug peut avoir <strong>de</strong>seffets non prévus, comme modifier quelques voix. Le programmepeut abriter un procédé <strong>de</strong> frau<strong>de</strong> invisible pendantles tests. Même <strong>de</strong>s informaticiens ne peuvent certifierqu’un ordinateur a fonctionné correctement s’ils n’ont pul’observer pas à pas, instruction binaire par instruction binaire,pendant son fonctionnement, ce qui est interdit dans


cycle À propos <strong>de</strong> la science / LNA#46le cadre du vote puisqu’ils connaîtraient alors le vote <strong>de</strong>sélecteurs, violant ainsi le principe <strong>de</strong> confi<strong>de</strong>ntialité. Cettecontradiction interdit définitivement tout espoir d’amélioration<strong>de</strong> ces ordinateurs <strong>de</strong> vote <strong>de</strong> première génération.Bien que ce processus <strong>de</strong> vote soit opaque, les électeurs sontsommés <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r leur confiance. Il ne s’agit plus alors<strong>de</strong> la confiance éclairée, fondée sur la transparence du votetraditionnel, mais d’une confiance aveugle, d’un acte <strong>de</strong> foi,d’un abandon total du pouvoir <strong>de</strong> contrôle.Matérialiser les bulletins <strong>de</strong> vote : la fausse bonne idéeLe défaut majeur <strong>de</strong>s ordinateurs <strong>de</strong> vote est d’être à la foisopaques et invérifiables. La rematérialisation <strong>de</strong>s bulletins<strong>de</strong> vote peut apparaître comme un remè<strong>de</strong>. Un consensusallant dans ce sens, alliant scientifiques et politiques, est apparuaux États-Unis : une nouvelle génération d’ordinateurs<strong>de</strong> vote a vu le jour. Sur ces dispositifs, quand l’électeur appuiesur un bouton pour voter, le vote est enregistré dans lamémoire et l’ordinateur imprime un bulletin que l’électeurpeut vérifier. Chaque bulletin est ensuite automatiquementcollecté dans une urne, ce qui autorise un dépouillementindépendant <strong>de</strong>s résultats énoncés par l’ordinateur.Cette innovation améliore la transparence du système <strong>de</strong>vote. Celui-ci <strong>de</strong>vient vérifiable, ce qui peut sembler satisfaisant.Un examen plus attentif révèle pourtant <strong>de</strong>s failles.D’abord, le système <strong>de</strong> vote peut être vérifiable, et n’êtrejamais vérifié. Il peut donner <strong>de</strong>s résultats <strong>de</strong> vote, mêmesi aucune urne n’est ouverte pour en compter le contenu.Or, le vote électronique est introduit au prétexte que ledépouillement manuel serait fastidieux et qu’il n’y auraitplus assez <strong>de</strong> scrutateurs-citoyens pour s’en charger. Il serad’autant plus difficile <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s volontaires pour compter<strong>de</strong>s bulletins si le résultat du comptage a déjà été énoncépar un ordinateur.Pour <strong>de</strong>s raisons d’économie (<strong>de</strong> temps, d’argent), toutesles urnes associées aux ordinateurs ne seront pas vérifiées.Dans tous les cas, le principe même <strong>de</strong> ne vérifier qu’unepartie <strong>de</strong>s urnes (choisies « au hasard ») est équivoque. Vérifierqu’un ordinateur fonctionne ne constitue pas la preuvedu bon fonctionnement d’un autre ordinateur.Il reste à déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s conséquences d’un écart entre le comportementattendu <strong>de</strong> l’ordinateur et son comportementréel. On peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quel crédit serait accordé à laparole d’un électeur affirmant que le bulletin imprimé parl’ordinateur ne correspond pas à son choix, sachant que cetélecteur ne dispose d’aucun moyen <strong>de</strong> le prouver.Enfin, le résultat énoncé par l’ordinateur peut différer <strong>de</strong>celui issu du dépouillement <strong>de</strong> l’urne associée. Plusieurspossibilités se présentent alors : les résultats issus du dépouillementmanuel font foi, ou le bureau <strong>de</strong> vote concernépar l’ordinateur peut être annulé, ou cette annulation estétendue à l’ensemble <strong>de</strong>s bureaux utilisant le même typed’ordinateurs, etc. Ces différentes modalités peuvent changercomplètement le résultat <strong>de</strong>s élections.Le risque le plus important reste que ce système <strong>de</strong> vote ala capacité <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s résultats d’élections même siaucune vérification n’est effectuée.Ce n’est pas le cas du vote traditionnel où tous les bulletinssont décomptés un à un.Les mises en œuvre réalisées au Vénézuela, en Belgique, auxÉtats-Unis ou en Corée du Sud laissent augurer du pire. Parexemple, les ordinateurs à contrôler sont désignés à l’avance,ce qui autorise les frau<strong>de</strong>s sur ceux qui ne le seront pas. Parfois,<strong>de</strong>s barrières légales empêchent les citoyens <strong>de</strong> contrôlerune partie <strong>de</strong>s bulletins. Ou encore les bulletins ne sontpas stockés et scellés correctement, faussant ainsi la validité<strong>de</strong> la vérification.Nous avons assisté à une promotion irraisonnée <strong>de</strong>s ordinateurs<strong>de</strong> vote <strong>de</strong> première génération, malgré leur opacitétotale et l’impossibilité <strong>de</strong> vérifier les résultats :« Les résultats fournis par la machine à voter (…) sont sûrs à 100 %(...). Ils n’ont donc pas besoin d’être vérifiés ».L’impossibilité <strong>de</strong> vérifier les résultats permet d’affirmer qu’ilssont sûrs sans être contredit.« On économise le papier, c’est bon pour nos forêts ».Produire, utiliser, recycler un ordinateur est bien plus polluantque quelques kilos <strong>de</strong> papier.On peut craindre la même démarche en ce qui concerne les ordinateurs<strong>de</strong> vote <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> génération. Plutôt que d’investirdans le contrôle effectif du vote, ce qui obligerait à reconnaîtrela faillibilité du processus et la nécessité <strong>de</strong> le vérifier, on inciteral’électeur à se satisfaire <strong>de</strong> la certitu<strong>de</strong> que son bulletin estrecueilli dans une urne en lui faisant oublier la nécessité absolue<strong>de</strong> vérifier qu’il est ensuite bien compté.« Ce qui compte, ce n’est pas qui vote, mais qui compte les votes ».(Attribué à Joseph Staline)1Improprement nommés machines à voter. Le terme <strong>de</strong> « machines à voter »a été introduit dans le co<strong>de</strong> électoral en 1969, époque où il ne s’agissait pasd’informatique.


LNA#46 / cycle Les secrets <strong>de</strong> la matièreleur structure interne. Le but sera <strong>de</strong> ramener les propriétéschimiques (valence) ou physiques (spectres <strong>de</strong> fréquence)<strong>de</strong> ces atomes aux figures et mouvements <strong>de</strong> constituantssous-jacents implicitement dotés <strong>de</strong>s « qualités premières »lockiennes. Cette perspective sous-tendra la naissance etle développement <strong>de</strong> la physique atomique, puis nucléaire,puis <strong>de</strong>s particules – que plus personne n’ose appeler « élémentaires», tant est posé le problème <strong>de</strong> la validité mêmedu programme.En fait, vers 1860-70, une innovation essentielle auraitdû donner l’alerte, montrer les limitations du réductionnismemécaniste et, en particulier, le caractère relatif <strong>de</strong>s« qualités premières » à la Locke. Il s’agit du succès <strong>de</strong> lathéorie ondulatoire <strong>de</strong> la lumière et, plus généralement, <strong>de</strong> lathéorie <strong>de</strong> Maxwell du champ électromagnétique. Rompantavec la conception corpusculaire d’une lumière constituéed’ « atomes » spécifiques (et pourvus <strong>de</strong>s qualités premièresidoines), s’imposait une <strong>de</strong>scription fondée sur une entiténouvelle : le champ, dépourvu <strong>de</strong> figure, <strong>de</strong> consistance,<strong>de</strong> mouvement et même <strong>de</strong> nombre. Représentant un êtrephysique étendu, non localisé, continu, sans forme propre,sans solidité (ni même fluidité), la notion <strong>de</strong> champ instituela véritable révolution <strong>de</strong> la physique mo<strong>de</strong>rne, dont lesmutations relativistes et quantiques constitueront <strong>de</strong>s développementsplus visibles 5 . Refusant <strong>de</strong> se plier aux a priorid’une caractérisation en termes <strong>de</strong> qualités traditionnelles,le champ introduisait une sérieuse violation du canon réductionniste.Eût-on pris la pleine mesure, au début dusiècle, <strong>de</strong> ce qu’inaugurait <strong>de</strong> neuf ce concept, en ruptureavec le mécanisme classique, qu’on se fût épargné bien <strong>de</strong>serrements dans l’exégèse épistémologique <strong>de</strong> la physiquemo<strong>de</strong>rne – quantique en particulier.Mais la réflexion sur la validité du programme réductionnistefut tout simplement privée <strong>de</strong> pertinence par lesuccès <strong>de</strong> ce programme. L’analyse <strong>de</strong>s formes d’organisation<strong>de</strong> la matière en éléments plus simples allait connaîtretrois étapes successives. Dès 1911, les atomes révélaient àRutherford leur structure : un noyau central très concentré,environné d’électrons. Puis, vers 1935, c’est le noyau qui semontrait constitué <strong>de</strong> nucléons (neutrons et protons), liéspar l’échange <strong>de</strong> mésons (pions entre autres). Enfin, cesparticules nucléaires finirent par exhiber vers 1970 leurpropre constitution, édifices <strong>de</strong> quarks liés par <strong>de</strong>s gluons.Résumons ces étapes, avec leurs dates et l’échelle spatiale,par ce schéma :(<strong>de</strong>puis toujours) matière ordinaire 10 -3 m↓XIX ème siècle atomes et molécules 10 -10 m↓début XX ème noyaux et électrons 10 -14 m↓vers 1935 nucléons et autres particules 10 -16 m↓vers 1970 quarks et gluons 10 -18 mOn peut trouver monotone cette régression continue, etregretter que la Nature ne nous offre que <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> constructionenfantins, dont la seule originalité est <strong>de</strong> combiner lesempilements <strong>de</strong> blocs avec les emboîtages <strong>de</strong> poupées russes.Ou s’émerveiller <strong>de</strong> voir un principe <strong>de</strong> constructionaussi rudimentaire engendrer la diversité du mon<strong>de</strong> quenous connaissons, grâce à l’existence <strong>de</strong> plusieurs niveaux<strong>de</strong> structuration. Il faut prendre conscience <strong>de</strong> la puissance<strong>de</strong> cette analyse, dont témoignent l’ampleur <strong>de</strong>s échelles <strong>de</strong>distance ainsi <strong>de</strong>scendues et la rapidité <strong>de</strong> notre plongée aucœur <strong>de</strong> la matière. Il a fallu <strong>de</strong>s milliers d’années pour passer<strong>de</strong> l’échelle macroscopique (disons, celle du millimètre)à l’échelle atomique (celle du nanomètre, 10 -9 m), c’est-àdirepour gagner un facteur d’échelle <strong>de</strong> un million. Moinsd’un siècle aura suffi pour gagner un facteur du même ordre,en <strong>de</strong>scendant à l’échelle nucléaire, puis nucléonique etenfin quarkienne.Difficultés <strong>de</strong> la synthèseCes succès pourtant sont limités. Ils ne sanctionnent quele premier volet du programme, celui <strong>de</strong> la décompositionen éléments simples. Quant au second volet, celui <strong>de</strong> l’explication<strong>de</strong>s phénomènes propres à un niveau en termes<strong>de</strong> propriétés <strong>de</strong>s constituants du niveau sous-jacent, il estloin <strong>de</strong> pouvoir présenter un bilan satisfaisant. On peutmême affirmer que cette reconstruction est pour l’instantembryonnaire. Ainsi, le passage <strong>de</strong> la structure atomique <strong>de</strong>la matière à ses propriétés macroscopiques est-il rien moinsqu’évi<strong>de</strong>nt 6 . Certes, l’on comprend le rapport entre les formes<strong>de</strong>s cristaux et les structures moléculaires ou atomiquespour les minéraux les plus simples, l’on sait expliquerpourquoi les métaux conduisent électricité et chaleur, etl’on peut ramener les apparences visuelles (couleurs) <strong>de</strong>smatériaux à certaines caractéristiques <strong>de</strong> leurs constituantsmicroscopiques. Mais ces explications restent très générales14


cycle Les secrets <strong>de</strong> la matière / LNA#46et ce n’est que dans certaines circonstances, pour <strong>de</strong>s corpssimples, que la théorie peut expliquer avec précision les valeursnumériques <strong>de</strong> la <strong>de</strong>nsité, <strong>de</strong> l’indice, <strong>de</strong> la dureté, etc.,<strong>de</strong> tel matériau. Mieux (ou pire), certains aspects essentiels<strong>de</strong> la matière macroscopique restent énigmatiques. Ainsi,l’impénétrabilité <strong>de</strong>s soli<strong>de</strong>s, le fait qu’un caillou <strong>de</strong> granitou un rocher aient la même <strong>de</strong>nsité, que la chaleur <strong>de</strong> fusiond’un morceau <strong>de</strong> glace soit proportionnelle à sa masse, sontautant d’expressions d’une telle propriété essentielle : l’extensivité(proportionnalité au nombre d’atomes) <strong>de</strong> l’énergieinterne. Il a fallu attendre les années 1970 pour établir quecette propriété reposait sur le principe d’exclusion auquelobéissent les électrons <strong>de</strong> la matière. La démonstration restenéanmoins d’une technicité qui la rend fort ésotérique.La situation est un peu meilleure au niveau <strong>de</strong> l’atome. Il estvrai que sa composition est plus simple : alors qu’un petitmorceau <strong>de</strong> matière (un gravillon, une brindille) comportequelque 10 24 atomes <strong>de</strong> nombreuses espèces, un atome necomprend qu’un noyau et quelques dizaines d’électrons, interagissantpar <strong>de</strong>s forces électromagnétiques bien connues.Nous croyons savoir écrire l’équation <strong>de</strong> Schrödinger quipermet <strong>de</strong> calculer le spectre énergétique <strong>de</strong> l’atome, ses réponsesà diverses excitations, etc. – en principe... Car, si lecalcul est facile dans le cas <strong>de</strong> l’atome d’hydrogène (un seulélectron), on doit se contenter, pour les atomes possédantquelques dizaines d’électrons, et a fortiori pour les moléculescomplexes, <strong>de</strong> résultats approximatifs et partiels. Quant auxniveaux subatomiques, les problèmes rencontrés y sont rendusdifficiles par l’intensité <strong>de</strong>s interactions et les subtilitésqu’introduit la relativité einsteinienne. Pour rendre compte<strong>de</strong>s propriétés <strong>de</strong>s noyaux à partir <strong>de</strong> leurs constituants (lesnucléons, neutrons et protons), on ne dispose que <strong>de</strong> modèlesreposant sur certaines données purement empiriques.Leur ingéniosité ne doit pas masquer leur caractère incomplet.C’est d’ailleurs pour tenter <strong>de</strong> mieux comprendre lesinteractions nucléaires que les physiciens ont commencé àétudier le niveau subnucléaire. Mais cette nouvelle poupéerusse s’est révélée une véritable boîte <strong>de</strong> Pandore. Les physiciensont dû consacrer <strong>de</strong> considérables efforts à classeret analyser le foisonnement d’un niveau plus complexe, certainement,que celui qu’il sous-tend. Le même phénomènes’est reproduit dans l’analyse <strong>de</strong> ces particules en termes du<strong>de</strong>rnier niveau connu, celui <strong>de</strong>s quarks et gluons, dontla simplicité apparente s’est montrée relative, et ne permetguère qu’une compréhension limitée <strong>de</strong>s propriétés <strong>de</strong>sparticules du niveau supérieur. Il faut considérer commeun fantasme inavoué <strong>de</strong> retour aux « qualités premières »perdues les conventions terminologiques adoptées par lesphysiciens <strong>de</strong>s particules qui ont baptisé « couleurs »,« saveurs »… certaines propriétés à la fois conceptuellementésotériques et mathématiquement rudimentaires <strong>de</strong>squarks.On peut illustrer les difficultés du programme <strong>de</strong> reconstructionaux différents niveaux par ce schéma symbolique,réciproque largement incomplète du précé<strong>de</strong>nt :??? ↑?? ↑? ↑?? ↑??? ↑vie et penséematière ordinaireatomes et moléculesnoyaux et électronsnucléons et particulesquarks et gluonsForce est donc <strong>de</strong> conclure que les succès du programmeréductionniste, incontestables dans sa phase <strong>de</strong> <strong>de</strong>scenteanalytique, restent très mo<strong>de</strong>stes dans sa phase <strong>de</strong> remontéesynthétique. Il est donc validé en principe, mais ne peut-êtreconsidéré comme mené à bien en fait.1Ce texte est adapté <strong>de</strong>s premières sections <strong>de</strong> mon article « Une matière sansqualités », in Science et Philosophie <strong>de</strong> la Nature, L. Boi éd. (Peter Lang, 2000).2Galilée, L’Essayeur, traduction et présentation <strong>de</strong> Christiane Chauviré,Les Belles Lettres, Paris, 1980, p. 239.3Lucrèce, De Natura Rerum, II, 842-864.4John Locke, An Essay concerning Human Un<strong>de</strong>rstanding, Livre II, Chap. VIII, 9.5Jean-Marc Lévy-Leblond, Aux contraires (La pratique <strong>de</strong> la science et l’exercice<strong>de</strong> la pensée), Gallimard, 1996 ; voir en particulier pp. 106-111 et 242-247.6Voir Pablo Jensen, Des atomes dans mon café crème, Seuil, 2004.15


LNA#46 / cycle Les secrets <strong>de</strong> la matièreLes principes <strong>de</strong> la matière dans la chimie anciennePar Bernard JOLYProfesseur <strong>de</strong> philosophie et d’histoire <strong>de</strong>s sciencesà l’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 3Aux premiers siècles <strong>de</strong> notre ère, dans l’Egypte hellénisée,<strong>de</strong>s artisans possè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s recettes grâce auxquelles ilsparviennent à fabriquer <strong>de</strong>s alliages qui ressemblent beaucoupà <strong>de</strong> l’or. Ils maîtrisent également les techniques d’essai <strong>de</strong> l’oret ne peuvent donc se méprendre. Pourtant, lorsque le métalmodifié finit par présenter toutes les caractéristiques <strong>de</strong> l’or,n’a-t-on pas transformé un métal imparfait en métal parfait ?On pourrait teindre les métaux comme on teint <strong>de</strong>s tissus : leproduit tinctorial ne colore pas la surface du tissu, il pénètreau cœur même <strong>de</strong> la trame ; <strong>de</strong> la même façon, on imaginequ’au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s procédés superficiels <strong>de</strong> dorure, il est possible<strong>de</strong> faire pénétrer dans un métal une substance qui le teindraen or, c’est-à-dire qui modifiera chimiquement ses propriétésmétalliques.Les premiers écrits « chimiques » <strong>de</strong> cette époque, dont certainsont été conservés dans <strong>de</strong>s manuscrits du Moyen Âgeécrits en grec, sont souvent confus, hésitant entre <strong>de</strong>s recettesstéréotypées et <strong>de</strong>s traités magistraux révélant à mots couvertsles secrets <strong>de</strong> la matière à quelques initiés. Cependant,une nouvelle doctrine se constitue peu à peu autour <strong>de</strong> l’hypothèsed’une matière première commune à tous les métaux,qui serait le mercure, tandis que <strong>de</strong>s appareils comme l’alambicsont <strong>de</strong>ssinés avec précision dans les marges <strong>de</strong>s manuscrits.Une nouvelle science est née, que l’on appellera chimie (kemeiaou kumia).Dès les débuts <strong>de</strong> l’hégire, les savants arabes font traduire dansleur langue ces premiers livres chimiques et donnent une rigueurnouvelle à cette doctrine qu’ils nomment « al‐kimia », lachimie. Ainsi, sous le nom <strong>de</strong> Jābir-ibn-Hayyān sont rédigés,vers le IX ème siècle après J. C., <strong>de</strong> multiples traités qui expliquentla formation <strong>de</strong>s métaux dans les mines par un mélangeproportionné <strong>de</strong> soufre et <strong>de</strong> mercure. On suppose que chaquemétal contient, caché à l’intérieur <strong>de</strong> lui-même, un métal opposéqu’il est possible <strong>de</strong> faire apparaître par l’action d’un produitappelé élixir (al-iksīr), obtenu par la distillation <strong>de</strong> substancesorganiques, où le sel ammoniac joue un rôle important. Dansle Livre <strong>de</strong>s Balances, Jābir élabore même une théorie chimiquequantitative, où il donne les proportions qu’il faut respecterdans la fabrication <strong>de</strong> l’élixir, et où il attribue à chaque produitun nombre qui exprime sa puissance opératoire.Transformer la natureLe Moyen Âge chrétien hérite d’une double tradition. D’unepart, les recettes <strong>de</strong> teinturerie, <strong>de</strong> verrerie, d’orfèvrerie setransmettent sans discontinuer <strong>de</strong>puis l’Antiquité tardive.D’autre part, la gran<strong>de</strong> entreprise <strong>de</strong> traduction <strong>de</strong>s traités recueillis<strong>de</strong>s Arabes, effectuée à partir du XII ème siècle, fait découvrirun ensemble <strong>de</strong> doctrines philosophiques, médicaleset chimiques qu’il n’est pas toujours facile <strong>de</strong> concilier entreelles. Si les enseignements médicaux <strong>de</strong> Galien et d’Avicennesemblent bien cadrer avec la doctrine d’Aristote, par contreles théories que l’on regroupe indifféremment sous le nomd’alchimia ou d’ars chimica exigent, pour être bien comprises,une théorie <strong>de</strong> la matière différente <strong>de</strong> celle que la philosophiegrecque a transmise. Si l’on suit l’enseignement d’Aristote telqu’il est compris à l’époque, vouloir transformer une espècemétallique en une autre serait agir contre la nature : ceuxqui préten<strong>de</strong>nt malgré tout le faire ne seraient que d’habilesfaussaires ou <strong>de</strong> diaboliques magiciens. Mais si l’on admetqu’il existe une matière première spécifique <strong>de</strong>s métaux quel’on peut isoler en laboratoire, il <strong>de</strong>vient possible <strong>de</strong> développerune doctrine cohérente <strong>de</strong> la structure <strong>de</strong> la matière et <strong>de</strong>ses transformations qui s’émancipe <strong>de</strong> la tutelle théorique <strong>de</strong>l’aristotélisme, mais qui renonce alors à la légitimité socialeet professionnelle que les institutions universitaires apportentpar ailleurs à la mé<strong>de</strong>cine ou au droit. L’alchimiste occupepourtant une place importante dans la société médiévale, neserait-ce que dans la mesure où ses pratiques sont indissociables<strong>de</strong> celles <strong>de</strong> l’orfèvre, <strong>de</strong> l’apothicaire, du teinturier ou dufabriquant <strong>de</strong> couleurs. L’alchimie médiévale, dans sa volonté<strong>de</strong> ne point séparer la théorie <strong>de</strong> la pratique, constitue ainsil’une <strong>de</strong>s premières manifestations <strong>de</strong> l’esprit technologique.La semence métalliqueEn conférence le 18 décembreDès le milieu du XIII ème siècle, se développe une vaste littératurealchimique dont les auteurs, souvent anonymes, se cachent<strong>de</strong>rrière les noms illustres d’Aristote, <strong>de</strong> Geber (forme latinisée<strong>de</strong> Jābir), <strong>de</strong> Thomas d’Aquin, d’Albert le Grand ou <strong>de</strong>Raymond Lulle. Ils exposent ce que l’on pourrait appeler ladoctrine <strong>de</strong> l’alchimie classique, à laquelle se réfèrent encore<strong>de</strong> nombreux (al)chimistes du XVII ème siècle, qui peuvent enprendre connaissance dans les grands recueils <strong>de</strong> textes qui16


cycle Les secrets <strong>de</strong> la matière / LNA#46sont imprimés un peu partout en Europe dès la fin du XVI èmeet jusqu’au début du XVIII ème siècle. Résumons à grands traitsles aspects principaux <strong>de</strong> cette doctrine.Tout d’abord, les alchimistes considèrent que les métauxcroissent dans les mines, qui sont comme <strong>de</strong>s matrices oùune semence métallique qui provient <strong>de</strong>s astres vient les engendrer.Cette semence, qui confère au métal ses propriétésessentielles, contient les <strong>de</strong>ux principes métalliques que sontle Mercure et le Soufre, qu’il ne faut pas confondre avec lesproduits chimiques portant le même nom. Le Mercure est leprincipe <strong>de</strong> la fusibilité et <strong>de</strong> la fluidité <strong>de</strong>s métaux, tandisque le Soufre est le principe <strong>de</strong> leur combustibilité et <strong>de</strong> leursolidité. Paracelse, au XVI ème siècle, introduira un troisièmeprincipe, le Sel, qui donne à toute chose sa corporéité. En fait,pensent les alchimistes, la nature ne voulait fabriquer que <strong>de</strong>l’or, manifestation du métal dans sa perfection. Mais <strong>de</strong> multiplesobstacles se sont opposés à l’accomplissement <strong>de</strong> sonprojet, qu’il s’agisse <strong>de</strong> l’impureté <strong>de</strong>s mines qui accueillentla semence ou d’une chaleur inadéquate à la germination. Sesont alors produits les multiples métaux, dont la plupart sontimparfaits (nous dirions qu’ils s’oxy<strong>de</strong>nt), comme le cuivre, leplomb, le fer ou l’étain.Tandis que, chez les animaux et les végétaux, la semence rési<strong>de</strong>dans une partie spécialisée <strong>de</strong> l’individu, dans les métaux,elle est diffuse dans toute la masse et ne peut donc s’isolerpar les seules actions <strong>de</strong> la nature. Le travail <strong>de</strong> l’alchimisteconsiste tout d’abord à extraire la semence d’un matériau dontl’i<strong>de</strong>ntification varie selon les auteurs. Au terme d’un long etminutieux travail <strong>de</strong> calcinations, <strong>de</strong> distillations répétéeset <strong>de</strong> sublimations, la partie la plus subtile <strong>de</strong> la matière – saquintessence, dira‐t‐on à partir du XIV ème siècle – sera isoléeet recueillie sous forme d’une poudre. Telle est la « Pierre <strong>de</strong>sPhilosophes » qui, projetée sur un métal vil, le pénètre sousl’effet <strong>de</strong> la chaleur, réactive le processus <strong>de</strong> maturation interrompudans la nature et porte le métal imparfait à sa perfection.Mais il ne faut pas se méprendre : la transmutation <strong>de</strong>smétaux, que nous savons bien être impossible par les moyens<strong>de</strong> la chimie, ne constitue pour les chimistes <strong>de</strong> cette époqueque le terme ultime, et sans doute inaccessible, <strong>de</strong> multiplespratiques <strong>de</strong> laboratoire qui permettent notamment la fabrication<strong>de</strong> nombreux médicaments.La « chymie » à l’âge classiqueL’orientation pharmaceutique <strong>de</strong> l’alchimie est renforcée parla diffusion <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> Paracelse (1493-1541) vers la findu XVI ème siècle. La chimie se met alors au service d’une nouvellemé<strong>de</strong>cine, opposée à la tradition galénique qui dominel’enseignement universitaire <strong>de</strong> l’époque. On considère quele corps humain est formé <strong>de</strong>s mêmes principes (Mercure,Soufre, Sel) que les substances minérales, et qu’il fonctionneselon le modèle chimique <strong>de</strong> la fermentation et <strong>de</strong> la distillation.Ces doctrines connaissent au XVII ème siècle un immensesuccès, <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> livres sont imprimés qui diffusent<strong>de</strong>s théories et <strong>de</strong>s pratiques que l’on nomme indifféremment« chymiques » ou « alchimiques ». Apparaissent notammentles premiers « cours <strong>de</strong> chymie », recueils <strong>de</strong> recettesprincipalement pharmaceutiques. Face à l’effondrement <strong>de</strong>sreprésentations du cosmos issues <strong>de</strong> la pensée antique et médiévale,la « philosophie chimique » présente une théorie<strong>de</strong> la matière qui paraît souvent plus séduisante que les abstractionsgéométriques et algébriques <strong>de</strong> la nouvelle physique,cartésienne ou newtonienne. Loin <strong>de</strong> réduire la matière à unassemblage <strong>de</strong> corpuscules ne se distinguant les uns <strong>de</strong>s autresque par leur taille, leur configuration ou leur mouvement, les« chymistes » <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> moitié du XVII ème siècle se réfèrentà <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong>s éléments et <strong>de</strong>s principes qui ne sontpas figées, et que beaucoup d’entre eux soumettent au jeu <strong>de</strong> lacritique, mais qui permettent <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> la diversitéchatoyante <strong>de</strong>s substances naturelles et <strong>de</strong>s transformationsqui résultent <strong>de</strong> leur interaction. Le chimiste du XVII ème siècleest un homme mo<strong>de</strong>rne, disposant d’une théorie <strong>de</strong> la matièrequi apporte les réponses que son époque attend.17


LNA#46 / vivre les sciences, vivre le droit...Gulliver chez les LilliputiensCompter (pour quelque chose) ou être compté (pour rien) ?Par Jean-Marie BREUVARTPhilosopheOn connaît le roman <strong>de</strong> Jonathan Swift dans lequel Gulliver apparaît à la fois géant parmi leshabitants <strong>de</strong> Lilliput et simple poupée chez les géants <strong>de</strong> Brobdingnag. On sait aussi que lethème fut repris par Voltaire dans Micromegas. Dans les <strong>de</strong>ux cas, il s’agit d’introduire une certainerelativité dans <strong>de</strong>s événements, donnés pourtant pour essentiels, et <strong>de</strong> replacer l’individu dans unensemble qui, <strong>de</strong> toute façon, le dépasse.1Éd. Gallimard,coll. Les Essais.Mais dans quel ensemble évolue aujourd’hui l’individu ? Apparemment, ce n’est plus simplementcelui d’une vie collective, permettant encore <strong>de</strong>s confrontations raisonnées entre les aspirations <strong>de</strong>sindividus, mais celui d’une masse anonyme, obéissant à la loi <strong>de</strong>s grands nombres, et en laquelle onchercherait en vain la trace d’une vie, encore moins celle d’une sagesse, qui seraient personnelles,comme celles que voulaient exprimer tant Swift que Voltaire.La <strong>de</strong>rnière salve d’élections que nous avons vécue entre avril et juin 2007 me semble bien illustrercette mutation, envisagée sous l’angle <strong>de</strong> la numération. Par ce terme, je n’entends pas seulementle comptage ordinaire <strong>de</strong>s voix à partir <strong>de</strong>s urnes, mais le sondage qui permet <strong>de</strong> les anticiper <strong>de</strong>manière « scientifique », sur la base d’échantillons soigneusement élaborés. Non seulement ces sondagesnous donnent un aperçu qui permet d’anticiper sur les élections, mais ils nous font pénétrer,<strong>de</strong> gré ou <strong>de</strong> force, dans un univers qui se révèle tout autre que celui <strong>de</strong> la démocratie athénienne,dont faisait partie intégrante la libre discussion, selon l’exemple du dialogue socratique. Les voix <strong>de</strong>s« lilliputiens » que nous sommes, prises ensemble dans la masse ainsi évaluée, <strong>de</strong>viennent alors lessimples composantes d’un vaste ensemble qui les dépasse, et relevant simplement <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong>s grandsnombres.À quoi attribuer cette volonté <strong>de</strong> numériser ? Comment trouver quelque sens à l’univers nouveauainsi créé ?On peut, sans remonter jusqu’à Descartes, reprendre le projet même <strong>de</strong> métho<strong>de</strong> expérimentale telqu’il a été élaboré au XIX ème siècle. Cette élaboration, on le sait, fut menée à bien par Clau<strong>de</strong> Bernard,dans son ouvrage Introduction à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine expérimentale (1865). Il s’agissait avanttout <strong>de</strong> saisir, à travers un ensemble <strong>de</strong> faits multiples, les lois générales qui s’y profilaient, pour ramenerainsi le divers observé à l’unité pensée d’une loi à laquelle se soumettraient ces faits. C’était làune application du principe du déterminisme déjà défini par le marquis <strong>de</strong> Laplace dans son ouvrage<strong>de</strong> 1796, Exposition du système du mon<strong>de</strong>. Or, un tel passage du multiple à l’un peut s’évaluer par unequantification <strong>de</strong>s facteurs : si numération il y a, ce sera simplement celle qui permet d’établir par lamesure l’importance <strong>de</strong> ces facteurs, comme lorsque l’on détermine la température <strong>de</strong> l’eau portée àébullition, ou l’orbite précise d’une planète.Mais il faut ajouter que s’est introduite progressivement dans toutes les sciences une nouvelle dimension,celle <strong>de</strong> la probabilité, et la loi <strong>de</strong>s « grands nombres » qui permet <strong>de</strong> saisir cette probabilitéselon la métho<strong>de</strong> statistique. Pour reprendre l’exemple <strong>de</strong> l’ébullition, on pourra définir ainsi, nonseulement la température <strong>de</strong> l’eau, mais le nombre <strong>de</strong> molécules qui s’y manifestent. C’est ici Cournotque l’on pourrait évoquer, Laplace n’ayant fait qu’en pressentir l’importance dans son Essai Philosophiquesur les probabilités <strong>de</strong> 1825.C’est d’ailleurs cette valeur accordée aux nombres qui sera le point <strong>de</strong> départ d’une technologieinventant <strong>de</strong> nouveaux objets. Se manifeste ainsi la puissance du nombre à transformer le mon<strong>de</strong>naturel par la création d’objets artificiels ayant leur i<strong>de</strong>ntité propre par rapport aux objets naturels, etconstituant ensemble un nouveau mon<strong>de</strong> conforme au modèle formel dégagé <strong>de</strong> l’observation. C’estce mon<strong>de</strong> nouveau que Jean Baudrillard appelait déjà en 1968 Le Système <strong>de</strong>s Objets 1 .Les problèmes apparaissent lorsque l’on applique cette technologie, confortée par la quantification<strong>de</strong>s facteurs et le calcul statistique, non plus seulement à la fabrication d’objets, mais à la définition<strong>de</strong> l’agir humain lui-même, dans les champs, considérés souvent comme spécifiques et irréductibles,18


vivre les sciences, vivre le droit... / LNA#46<strong>de</strong> la morale ou <strong>de</strong> la politique. Comme le remarque Bertrand Saint Sernin en se référant au mêmeCournot 2 , la difficulté à constituer une science <strong>de</strong> l’homme n’est pas due à une déficience cognitive ; elletient à la nature <strong>de</strong>s choses.Or, actuellement, cette difficulté à constituer une science <strong>de</strong> l’homme a été contournée dans le sensopposé : tout se passe comme si les sciences <strong>de</strong> l’homme (expression qui me semble plus juste quecelle <strong>de</strong> sciences dites « humaines ») voulaient au contraire combler une certaine déficience cognitive,sans s’intéresser au fond à la nature <strong>de</strong>s choses. D’une certaine façon, semble s’être produit, dans lechamp <strong>de</strong> ces sciences, ce que j’appellerais une contagion <strong>de</strong> la numération. On est passé d’une approchequalitative, encore présente chez Auguste Comte avec sa Physique sociale 3 , ou encore chezDurkheim et Weber, considérés comme les fondateurs <strong>de</strong> la sociologie, à une approche statistiqueconsidérant que les sociétés humaines sont également soumises comme toute autre réalité à la loi <strong>de</strong>sgrands nombres.Sous cet angle, les techniques <strong>de</strong> sondage, notamment dans les domaines politique ou économique,relèveraient d’une telle contagion numérique. Il ne s’agit plus <strong>de</strong> dégager <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s lois du comportementhumain, par exemple dans la compréhension <strong>de</strong>s facteurs d’une réelle communicationsociale, mais au contraire <strong>de</strong> se limiter à l’ « échantillon », censé pouvoir donner une image fidèle<strong>de</strong>s grands courants qui animent la population concernée, et dresser ainsi une carte fidèle <strong>de</strong> cettepopulation.Un nouveau pas est franchi lorsque l’on tente, non plus seulement <strong>de</strong> comprendre, à partir <strong>de</strong>sgrands nombres, les tendances principales d’une société donnée, mais <strong>de</strong> cerner au contraire en ellesmêmesles particularités, voire les individualités, qui leur sont sous-jacentes. Appliqué au domainesocio-politique, cela va du fichage <strong>de</strong>s suspects au cadrage <strong>de</strong>s usagers, dans le champ <strong>de</strong> la consommation,ou encore celui <strong>de</strong>s assurances ou <strong>de</strong>s loisirs. Dans tous ces cas, les individus sont comptés,<strong>de</strong> telle sorte que puissent être établies les différences individuelles <strong>de</strong> comportement, en fonctiond’actions spécifiques prenant en compte ces différences.D’ailleurs, on peut encore avancer dans cette emprise du nombre par le passage <strong>de</strong> la numération <strong>de</strong>sindividus ou <strong>de</strong> leurs caractères spécifiques à leur numérisation individuelle. Tel serait le cas dansl’établissement <strong>de</strong> la carte génétique qui permettrait <strong>de</strong> cerner à coup sûr l’individualité <strong>de</strong> chacun,ou d’i<strong>de</strong>ntifier un coupable. Ici, c’est finalement l’individu lui-même qui est saisi dans sa singularité,c’est-à-dire dans ce qui le différencie <strong>de</strong> tout autre. Il ne s’agit plus <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r une politique sur la base<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s orientations, elles-mêmes définies selon la loi <strong>de</strong>s « grands nombres ». Il faut au contrairecentrer les investigations sur ce qui fait la <strong>de</strong>nsité unique <strong>de</strong> chaque être humain.On le voit, nous sommes alors très éloignés <strong>de</strong> l’idéal auquel pensait encore un Norbert Elias dans LaSociété <strong>de</strong>s Individus (livre dont la première partie date, rappelons-le, <strong>de</strong> 1939 !). L’auteur tentait d’ymontrer comment l’individu n’existe que dans et par la société, et comment il peut mettre en œuvreson idéal d’humanité, dans cet enracinement même. Selon une telle vision, l’activité scientifique ouphilosophique était toute entière orientée vers l’élaboration d’un mon<strong>de</strong> finalement plus humain.Or, ce qui se passe aujourd’hui, c’est une perversion <strong>de</strong> ce bel idéal par le nombre. On ne retient <strong>de</strong>l’individu, c’est banal <strong>de</strong> le dire, que sa capacité à entrer dans une somme numérique, ou à <strong>de</strong>venirlui-même la somme d’un certain nombre <strong>de</strong> caractères parfaitement i<strong>de</strong>ntifiables. Même sur le planélectoral, la tendance est <strong>de</strong> passer d’un acte humain, celui du vote, à l’exercice d’une simple activitéstatistique, le vote final n’étant lui-même que le moyen <strong>de</strong> confirmer ou d’infirmer la valeur <strong>de</strong>ssondages qui l’ont précédé.Néanmoins, c’est encore et toujours la fragile existence <strong>de</strong>s individus qui continue <strong>de</strong> donner leurconsistance aux nombres qui préten<strong>de</strong>nt les définir. Ainsi reste possible ce que Pierre Papon appelaitdans un livre récent Le temps <strong>de</strong>s ruptures, avec comme sous-titre Aux origines <strong>culture</strong>lles et scientifiquesdu XXI ème siècle 4 . C’est au nom <strong>de</strong> telles ruptures que peuvent également se justifier les engagementsdivers par lesquels chaque personne peut se définir et s’enraciner dans la société, commel’a récemment montré Laurent Thévenot 5 . Ce serait là une <strong>de</strong>rnière chance <strong>de</strong> compter, pour leslilliputiens que nous sommes, face au Gulliver anonyme qui, sans relâche, traque en nous tout cequi peut se compter.2Philosophie <strong>de</strong>s Sciences, II,éd. Gallimard, Folio,2002, p. 920.3Auguste Comte,Physique sociale,Prés. J.P. Enthoven,éd. Hermann, 1990.4Éd. Fayard, coll. Le temps<strong>de</strong>s sciences, 2004.5Cf. L’action au pluriel,Sociologie <strong>de</strong>s régimesd’engagement,éd. La Découverte, 2006.19


LNA#46 / paradoxesParadoxesRubrique <strong>de</strong> divertissements mathématiques pour ceux qui aiment se prendre la tête*Laboratoire d’InformatiqueFondamentale <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>,UMR CNRS 8022, Bât. M3Par Jean-Paul DELAHAYEProfesseur à l’Université <strong>de</strong>s Sciences et Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>*Les paradoxes stimulent l’esprit et sont à l’origine <strong>de</strong> nombreux progrès mathématiques. Notre but est <strong>de</strong> vousprovoquer et <strong>de</strong> vous faire réfléchir. Si vous pensez avoir une explication <strong>de</strong>s paradoxes proposés, envoyez-la moi(faire parvenir le courrier à l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL ou à l’adresse électronique <strong>de</strong>lahaye@lifl.fr).Le paradoxe précé<strong>de</strong>nt :acheter une voiture au meilleur prixRappel <strong>de</strong> l’énoncéVous <strong>de</strong>vez acheter une voiture dans la matinée et vous allezrencontrer successivement <strong>de</strong>ux ven<strong>de</strong>urs qui vont chacunvous offrir le même modèle <strong>de</strong> voiture et vous proposer unprix « à prendre ou à laisser ». Vous avez ren<strong>de</strong>z-vous avecle premier ven<strong>de</strong>ur à 10h et, à 10h30, vous <strong>de</strong>vrez soit avoirrenoncé à acheter sa voiture, soit avoir fait le chèque pour lasomme qu’il vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. À 11h, vous rencontrerez le secondven<strong>de</strong>ur. Si vous avez refusé la première voiture, vousachèterez au second ven<strong>de</strong>ur, qui sera peut-être plus cher. Ilvous est impossible <strong>de</strong> connaître à l’avance les offres <strong>de</strong> prixP1 du premier ven<strong>de</strong>ur et P2 du second ven<strong>de</strong>ur. Vous vousdites :- « J’ai une chance sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> faire le bon choix. En effet, si(a) j’achète au premier ven<strong>de</strong>ur, il se peut que le second soitmoins cher mais je ne pourrais pas revenir sur ma décisioncar mon chèque sera fait, et (b), si je refuse d’acheter aupremier, il se peut qu’il soit moins cher, ce que je ne sauraique lorsqu’il sera trop tard et que je serai contraint d’acheterau second ven<strong>de</strong>ur. Il y a une chance sur <strong>de</strong>ux pour que lemoins cher soit le premier ven<strong>de</strong>ur et une chance sur <strong>de</strong>uxpour que ce soit le second ; j’ai donc une chance sur <strong>de</strong>uxd’acheter la voiture la moins chère, quoi que je fasse ».En réalité, il existe une façon <strong>de</strong> s’y prendre qui garantit <strong>de</strong>réussir à acheter au meilleur prix avec une probabilité strictementsupérieure à 50 %. Cette métho<strong>de</strong> ne vous assurepas d’acheter toujours au meilleur prix, mais vous permet <strong>de</strong>le faire plus d’une fois sur <strong>de</strong>ux. Quelle est cette métho<strong>de</strong> ?Solution.Bravo à Virginie Delsart et Nicolas Vaneecloo qui ont magistralementrésolu le problème… et sont les seuls à m’avoirfait parvenir une solution.Voici la métho<strong>de</strong> :- Faites l’estimation E <strong>de</strong> la voiture en cherchant à être leplus raisonnable possible, puis adoptez la stratégie suivante :si le premier ven<strong>de</strong>ur propose un prix inférieur ou égal à E,achetez, sinon achetez au second ven<strong>de</strong>ur.En adoptant cette métho<strong>de</strong>, vous achèterez au moins cher<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ven<strong>de</strong>urs plus d’une fois sur <strong>de</strong>ux. En effet :a - Si les <strong>de</strong>ux ven<strong>de</strong>urs proposent un prix supérieur à E,vous refuserez au premier et vous achèterez au second, qui,dans ce cas, sera une fois sur <strong>de</strong>ux le plus bas.b - Si les <strong>de</strong>ux ven<strong>de</strong>urs proposent un prix inférieur à E,vous achèterez au premier, qui à nouveau sera, une fois sur<strong>de</strong>ux exactement, le moins cher.c - Si l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux ven<strong>de</strong>urs propose moins que E et l’autreplus, la stratégie assure d’acheter au meilleur prix.Les <strong>de</strong>ux cas a et b donnent autant <strong>de</strong> chances <strong>de</strong> faire lebon choix que le mauvais ; le cas c conduit lui toujours àun bon achat. Comme bien sûr la probabilité du cas c n’estpas nulle, vous avez plus d’une chance sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> faire lebon choix.À vrai dire, ce raisonnement est valable quelle que soit lavaleur E fixée à l’avance. Cependant, il est bien clair que,pour rendre plus probable le cas c (qui est celui qui rend favorablela métho<strong>de</strong>), il vaut mieux choisir E le plus prochepossible <strong>de</strong>s valeurs que sont susceptibles <strong>de</strong> proposer lesven<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> la voiture convoitée.Ce raisonnement étonnant conduit bien à faire le bon choixplus d’une fois sur <strong>de</strong>ux, mais, comme vous l’avez noté, ilne dit pas quelle est la valeur précise p <strong>de</strong> la probabilité <strong>de</strong>faire le bon choix : il indique seulement que p > 1/2.Cette stratégie paradoxale a été proposée pour la première foispar Thomas Cover dans l’article « Pick the largest number »publié dans le livre « Open Problems in Communicationand Computation », Springer-Verlag, New-York, 1987.20


paradoxes / LNA#46Nouveau paradoxe :transmission <strong>de</strong> pensée ?Michel, chez qui je passais la soirée samedi<strong>de</strong>rnier, a proposé <strong>de</strong> nous prouver qu’il disposait<strong>de</strong> pouvoirs mentaux surnaturels – j’avaisauparavant exprimé mon scepticisme concernantla transmission <strong>de</strong> pensée et les prétenduspouvoirs <strong>de</strong> suggestion que certaines personness’attribuent.Michel a <strong>de</strong>mandé à trois personnes <strong>de</strong> prendreune feuille <strong>de</strong> papier et un crayon. Pierre, Leilaet moi avons été volontaires.Chacun a été invité à écrire un nombre <strong>de</strong> troischiffres dont le premier et le <strong>de</strong>rnier chiffre diffèrentl’un <strong>de</strong> l’autre d’au moins <strong>de</strong>ux unités.Il a prétendu qu’il allait, grâce à son pouvoir<strong>de</strong> persuasion mentale, nous forcer à entreren communication entre nous sans que nouséchangions le moindre mot.J’ai choisi le nombre 752. J’ignore quels nombresont été choisis par Pierre et Leila.Michel nous a <strong>de</strong>mandé d’inverser l’ordre <strong>de</strong>schiffres et <strong>de</strong> soustraire le plus petit <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux nombres <strong>de</strong> troischiffres du plus grand. J’ai donc fait la soustraction 752-257,ce qui m’a donné 495. Pierre et Leila <strong>de</strong> leur côté ont fait uncalcul analogue à partir du nombre que chacun avait choisi.Michel nous a ensuite <strong>de</strong>mandé d’inverser les chiffres durésultat obtenu et d’ajouter cet inverse au résultat précé<strong>de</strong>nt.J’ai donc calculé 495 + 594 = 1089. Pierre et Leila <strong>de</strong>leur côté ont fait l’opération.Il nous a alors affirmé que, grâce à son pouvoir mental,il nous avait mis en phase « supra-temporelle » et, pourle prouver, il nous a <strong>de</strong>mandé, à son signal, <strong>de</strong> lire à voixhaute en même temps le résultat <strong>de</strong> notre calcul. Il nousa fait un signe et Pierre, Leila et moi avons tous les troisen même temps lu :- mille quatre-vingt-neuf.Bien sûr, cette histoire est absur<strong>de</strong> et Michel, pas plusque moi, ne dispose <strong>de</strong> pouvoirs mentaux particuliers.Mais comment a-t-il fait pour nous forcer à trouver tousles trois le résultat 1089 ?21


LNA#46 / mémoires <strong>de</strong> scienceDu ludique au sérieux :l’exemple <strong>de</strong> l’arithmétique <strong>de</strong>s IX-XV ème sièclesPar Ahmed DJEBBARUniversité <strong>de</strong>s Sciences et <strong>de</strong>s Technologies <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>Dans la tradition mathématique arabe <strong>de</strong>s IX - XV èmesiècles, l’arithmétique, qui était appelée « science dunombre », a connu <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s orientations. La première,qui intègre parfois certains aspects <strong>de</strong> la « science ducalcul », a englobé <strong>de</strong>s problèmes, <strong>de</strong>s procédures et <strong>de</strong>srésultats qui ne renvoient pas à <strong>de</strong>s chapitres connus età <strong>de</strong>s sources préislamiques bien i<strong>de</strong>ntifiées. De plus, lesréponses aux problèmes posés ne s’accompagnent ni <strong>de</strong>considérations théoriques, ni <strong>de</strong> justifications. Quant à laforme <strong>de</strong> ces problèmes, elle fait plutôt penser à <strong>de</strong>s jeux<strong>de</strong> société, avec un public et <strong>de</strong>ux partenaires, l’un questionnantet l’autre répondant. La secon<strong>de</strong> orientation,qu’il est convenu d’appeler « l’arithmétique savante », estissue essentiellement <strong>de</strong> l’héritage grec et elle a été transmiseà travers les traductions en arabe qui ont été réalisées,au hasard <strong>de</strong>s découvertes <strong>de</strong>s manuscrits, entre lafin du VIII ème siècle et le début du X ème . À partir <strong>de</strong> ceshéritages bien distincts, les préoccupations et les activitésarithmétiques ont emprunté plusieurs voies qui semblents’être développées à peu près à la même époque.L’arithmétique ludiqueLa première orientation a été celle d’un regain d’intérêtpour les jeux arithmétiques avec, dès le IX ème siècle, la publicationd’épîtres consacrées entièrement ou partiellementà ces problèmes, comme celle du philosophe al-Kindî (m.vers 873) et celle d’al-Antâkî (X ème s.). Puis, dès le XI ème siècle,et pour une raison que l’on ignore encore, une partie <strong>de</strong>ces jeux a été intégrée dans <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> calcul, commel’ont fait al-Karajî (m. 1029) dans son « Livre suffisant encalcul » et al-Baghdâdî (m. 1037) dans son « Complémentau calcul ». Cette présence va d’ailleurs se perpétuer toutau long <strong>de</strong>s siècles suivants, tant en Orient qu’en Occi<strong>de</strong>ntmusulman.Dans ces problèmes, la démarche générale consiste à « révéler »,après une suite d’opérations arithmétiques exécutées mentalement,la solution connue par la personne interrogée.Ce sont souvent un ou plusieurs nombres que ladite personnea pensés au tout début du jeu. Mais il peut s’agiraussi du nom d’une personne présente ou absente, d’unobjet caché, du doigt qui porte une bague, etc.L’arithmétique théoriqueLa secon<strong>de</strong> tradition arithmétique est celle qui s’est nourrieexclusivement <strong>de</strong> l’héritage grec. D’une manière plusprécise, ce savoir savant provient <strong>de</strong> trois sources : les LivresVII, VIII et IX <strong>de</strong>s Éléments d’Eucli<strong>de</strong> (III ème s. av. J.-C.),Trouver le doigt qui porte la bagueSi la bague est sur l’un <strong>de</strong>s doigts <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>uxmains, tu lui ordonnes <strong>de</strong> prendre trois pour chaquedoigt qui est en <strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> celui qui porte la bague,<strong>de</strong>ux pour chaque doigt qui est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui etquatre pour celui qui porte la bague. Et tu lui ordonnes<strong>de</strong> faire la somme <strong>de</strong> l’ensemble et <strong>de</strong> t’ informerdu résultat. Si c’est douze, elle est sur le pouce ; si c’esttreize, elle est sur l’in<strong>de</strong>x ; si c’est quatorze, elle est surle majeur ; si c’est quinze, elle est sur l’annulaire ; sic’est seize, elle est sur l’auriculaire.Explication :Si d 1, d 2, d 3, d 4, d 5sont, respectivement, le pouce, l’in<strong>de</strong>x,le majeur, l’annulaire et l’auriculaire, si d jportela bague, si n 1, n 2, …, n 5sont les valeurs données àchaque doigt et si n 1+ n 2+ … + n 5= S, alors :Si j = 1 → n 1= 4 et n i= 2 pour i > 1 → S = 4 + 2.4 = 12Si j = 2 → n 2= 4, n 1= 3 et n i= 2 pour i > 2 → S = 4 + 3+ 2.3 = 13Si j = 3 → n 3= 4, n i= 3 pour i < 3 et n i= 2 pour i > 3 →S = 4 + 3.2 + 2.2 = 14Si j = 4 → n 4= 4, n i= 3 pour i < 4 et n i= 2 pour i > 4 →S = 4 + 3.3 + 2 = 15Si j = 5 → n 5= 4 et n i= 3 pour i < 5 → S = 4 + 3.4 = 16l’Introduction arithmétique <strong>de</strong> Nicomaque (II ème s. ap. J.-C.)et une partie <strong>de</strong>s Arithmétiques <strong>de</strong> Diophante (II ème s. ap.J.-C.). Les <strong>de</strong>ux premiers ouvrages ont bénéficié <strong>de</strong> plusieurstraductions et ont fait l’objet <strong>de</strong> nombreux commentaires.Le troisième n’a connu qu’une traduction partielle, mais ellea suffi pour inaugurer un chapitre nouveau dans l’arithmétiquearabe : celui <strong>de</strong> l’analyse diophantienne.À partir <strong>de</strong> là, une première orientation a concernél’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s propriétés <strong>de</strong> différentes catégories <strong>de</strong> nombresentiers. Les recherches les plus anciennes ont été celles <strong>de</strong>Thâbit Ibn Qurra (m. 901) sur les nombres amiables (un coupled’entiers dont la somme <strong>de</strong>s diviseurs propres <strong>de</strong> l’un estégale à l’autre). Puis il y eut les travaux d’Ibn al-Haytham(m. 1041), d’al-Fârisî (m. 1319) sur les nombres premierset peut-être d’autres mathématiciens dont les écrits n’ont22


mémoires <strong>de</strong> science / LNA#46pas encore été exhumés. Une partie <strong>de</strong>s écrits produits enOrient ont circulé en Occi<strong>de</strong>nt musulman et ont alimenté<strong>de</strong> nouvelles étu<strong>de</strong>s. L’une d’entre elles a abouti au calcul dusecond couple <strong>de</strong> nombres amiables : 17296 et 18416.La secon<strong>de</strong> orientationconcerne les suites numériquesqui apparaissent sous <strong>de</strong>uxformes dans la tradition grecque.La première est celle <strong>de</strong>sséries finies d’entiers (naturels,pairs, impairs), <strong>de</strong> leurs carrés,<strong>de</strong> leurs cubes et <strong>de</strong> leurs puissancesquatrième, sommes quiinterviennent dans la détermination<strong>de</strong> portions d’aires ou<strong>de</strong> volumes <strong>de</strong> certaines figures(parabole, sphère, paraboloï<strong>de</strong>,etc.). Ces outils ont permis àThâbit Ibn Qurra, à al-Kûhî(X ème s.) et à Ibn al-Haytham<strong>de</strong> prolonger les résultats établispar Archimè<strong>de</strong> (m. 212 av.J.C.). La secon<strong>de</strong> est celle <strong>de</strong>ssuites <strong>de</strong> « nombres polygones »<strong>de</strong> la tradition pythagoricienne,c’est-à-dire <strong>de</strong>s nombres pouvantêtre représentés par <strong>de</strong>s figures géométriques polygonalesdont les côtés sont <strong>de</strong>s points et non <strong>de</strong>s lignes. Ce thème apermis, en particulier, d’ébaucher <strong>de</strong>s liens entre raisonnementsarithmétiques et démarches combinatoires, commeon peut le constater à la lecture d’un chapitre original dumathématicien maghrébin Ibn al-Bannâ (m. 1321).La troisième orientation <strong>de</strong> l’arithmétique arabe s’estnourrie essentiellement <strong>de</strong> la traduction partielle <strong>de</strong>s Arithmétiques<strong>de</strong> Diophante, réalisée vers la fin du IX ème siècle,par Qustâ Ibn Lûqâ (m. 910). Elle s’est concrétisée dansla publication <strong>de</strong> différents commentaires <strong>de</strong> cet ouvrageet dans <strong>de</strong>s prolongements concernant, en particulier, lestriangles rectangles numériques, les nombres congruents etles décompositions en somme <strong>de</strong> carrés d’entiers.Page d’un manuscrit maghrébin du XIV ème siècleDu ludique au sérieuxLes <strong>de</strong>ux traditions que nous venons d’évoquer brièvementne sont pas restées totalement séparées l’une <strong>de</strong> l’autredans la mesure où certains thèmes qui ont probablementappartenu à la catégorie <strong>de</strong>s jeux <strong>de</strong> société ont connu <strong>de</strong>sprolongements théoriques qui appartiennent bien à l’arithmétiquesavante. C’est le cas <strong>de</strong>s différents types <strong>de</strong> carrésmagiques et <strong>de</strong>s variantes du fameux problème <strong>de</strong> restes,<strong>de</strong>ux thèmes dont les sources restent encore indéterminées,même si les premières traces sont signalées dans <strong>de</strong>s traditionspréislamiques.C’est au IX ème siècle qu’est publié le premier texte arabeconnu, mais non encore retrouvé, sur les techniques <strong>de</strong>construction <strong>de</strong>s carrés magiques. Son auteur, Thâbit IbnQurra, est l’un <strong>de</strong>s mathématiciens les plus éminents <strong>de</strong> cesiècle. Après lui, <strong>de</strong>s savants aussi importants,tels Abû l-Wafâ’ au X ème etIbn al-Haytham au XI ème , ont décrit<strong>de</strong> nouvelles métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> construction<strong>de</strong> ces carrés. Ces différentescontributions, ainsi que celles <strong>de</strong>mathématiciens postérieurs, ont étélonguement étudiées par Jacques Sesiano.Après vingt ans <strong>de</strong> recherchesur le sujet, ce spécialiste considèreque les mathématiciens <strong>de</strong>s pays d’Islamont ajouté un chapitre nouveauen arithmétique au côté <strong>de</strong> l’algèbre,<strong>de</strong> la trigonométrie et <strong>de</strong> la combinatoire.Quant au second thème, les documentsqui nous sont parvenus montrent clairementque c’est sous la forme d’un« jeu <strong>de</strong> société », celui <strong>de</strong> la recherched’un nombre « pensé » à déterminer,que la première version du problème<strong>de</strong>s restes a été résolue dans la tradition mathématique arabe.Les solutions les plus anciennes, conservées par les manuscritsqui nous sont parvenus, sont présentées sous la forme d’unesuccession d’opérations non justifiées aboutissant à une solutiondu problème. C’est probablement le succès <strong>de</strong> ce « jeu-problème» qui a amené le grand mathématicien Ibn al-Haythamà en faire une étu<strong>de</strong> générale et complète, à travers un exposéthéorique dans le plus pur style <strong>de</strong> l’arithmétique grecque.Énoncé du problème <strong>de</strong>s restesPar Ibn al-HaythamNous voulons trouver un nombre qui, s’il est divisépar <strong>de</strong>ux, il en reste un, s’il est divisé par trois, il enreste un, s’il est divisé par quatre, il en reste un, s’il estdivisé par cinq, il en reste un, s’il est divisé par six, ilen reste un et s’il est divisé par sept, il n’en reste rien.Ahmed Djebbar a récemment publié :- Une histoire <strong>de</strong> la science arabe, Paris, éd. Seuil, 2001.- L’algèbre arabe, genèse d’un art, Paris, éd. Vuibert-Adapt, 2005.- L’ âge d’or <strong>de</strong>s sciences arabes, Paris, éd. Le Pommier, 2005.23


LNA#46 / humeursLa revanche <strong>de</strong> Calliclès :considérations inactuelles sur la pensée 68Par Jean-François REYProfesseur <strong>de</strong> philosophie à l’IUFM <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>Chacun d’entre nous se présente aux autres et dans lemon<strong>de</strong> avec son « arrière-pays » : forme se détachantdu fond. La forme, c’est le style singulier et unique que touthomme imprime à sa vie. Le fond, c’est tout ce dont il senourrit : roman familial et généalogique, années <strong>de</strong> formation,équipement conceptuel, valeurs <strong>de</strong> référence, etc. Ence qui concerne le nouveau Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République, cequ’il prélève du fond pour le mettre en lumière, c’est l’arrière-pays<strong>de</strong> 68. Selon ses dires, on peut dater précisément : lacontre-manifestation gaulliste du 30 Mai 1968 à Paris. Il yétait. Plus jeune que les acteurs <strong>de</strong> ces années-là, il s’origineet se définit comme le témoin visuel du refus <strong>de</strong> la « chienlit». Nous avons tous notre scène primitive. La sienne, cellequ’il a mise en avant, pour les besoins <strong>de</strong> sa campagne entout cas, il la situe là. Et il s’autorise d’elle, <strong>de</strong> ce momentfort où, après-coup, il fait remonter sa libido dominandi, satrajectoire ascendante. Une telle autorité lui fait dire qu’il fauttirer un trait sur l’événement 68 et, avec lui, sur la générationqui l’a vécu, aujourd’hui même en train <strong>de</strong> commencerà se retirer <strong>de</strong> la lumière. Après quarante ans <strong>de</strong> vie active, ilfaut décréter que c’est fini. C’est ce qu’on appelle un énoncéperformatif. « Je siffle la fin <strong>de</strong> la récréation » avait déjàénoncé, en son temps, Luc Ferry lorsqu’il fut nommé Ministre<strong>de</strong> l’Éducation Nationale. Une telle virulence et unetelle constance méritent quelques commentaires.Mon propos est d’esquisser l’analyse <strong>de</strong> cette posture. Monprojet n’est pas <strong>de</strong> défendre la mémoire <strong>de</strong> 68, même si, sansdoute plus que je ne le crois, elle me tient. Le quarantièmeanniversaire, comme les précé<strong>de</strong>nts, verra son lot <strong>de</strong> publicationsen tous genres : analyses, témoignages et récits <strong>de</strong>vie. Mon propos n’est même pas <strong>de</strong> contribuer à un bilan,mais plutôt d’interroger les raisons <strong>de</strong> cet acharnement, <strong>de</strong>cette crispation sur le recours à la « majorité silencieuse »,expression venue tout droit <strong>de</strong> ces années-là, <strong>de</strong> cette scèneprimitive-là. Tout y est caricatural. Or 68, dès le début, aconstruit sa propre caricature. Par 68, j’entends la séquencequi commence en 1965-66 et s’achève, pour le plus grandnombre, en 1973-74, séquence qui préparait « quelque chose »,mais où personne ne pouvait anticiper ou i<strong>de</strong>ntifier la forme<strong>de</strong> l’explosion qui a pris tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> cours, à commencerpar les nombreux militants, quasi professionnels pourcertains, <strong>de</strong> ces années-là. À la dimension <strong>de</strong> la caricature,il faut ajouter celle <strong>de</strong> la méconnaissance. Levinas, pourtanthorrifié par les excès étudiants, en vint toutefois à parler <strong>de</strong>« révélation dans une caricature ». Il y avait du prophétiquedans l’air, sensible dans les mots échangés d’égal à égal entre<strong>de</strong>s personnes qui n’étaient pas <strong>de</strong>stinées à se rencontrer,mais travesti par les langues <strong>de</strong> bois empruntées à <strong>de</strong>s livres,petits ou gros, à <strong>de</strong>s traditions hétérogènes et parfois antagonistes(la révolution <strong>culture</strong>lle chinoise ou l’anarchisme<strong>de</strong> la Catalogne insurgée : Mao ou Durrutti). Et l’on n’aretenu que la caricature. Pourquoi ? Était-ce inévitable ?Trois catégories <strong>de</strong> personnes alimentent la caricature :les adversaires, les média, les acteurs eux-mêmes. Il n’y aaucun mérite à forcer le trait : tout y conviait et y encourageait.Soixante-huitard : personne persévérant à entretenirelle-même sa propre caricature. Et ce n’est pas faute d’avoiressayé <strong>de</strong> remonter la pente, <strong>de</strong> démentir, <strong>de</strong> nuancer : larévolution sexuelle ? C’est plus tard, c’était minoritaire,etc. Maintenir ouvert l’éventail <strong>de</strong>s postures, <strong>de</strong>s récits,<strong>de</strong>s références. Or, ce que font désormais les hommes <strong>de</strong>la génération d’après, c’est <strong>de</strong> tout fondre dans une bulleunique : la pensée 68 et ses préjugés. Guerre <strong>de</strong>s images : ceque l’on voit en boucle <strong>de</strong>puis près <strong>de</strong> quarante ans, ce sontles mêmes images du Quartier Latin en insurrection, beaucoupplus rarement les usines occupées, presque jamais leséchanges directs entre étudiants et ouvriers, chercheurs etménagères… Quant aux adversaires, ils n’ont qu’à recueillirles fruits <strong>de</strong> cette opération <strong>de</strong> caricature dont personne neveut plus prendre la défense. Au vu du résultat, on peut sedire que c’était à l’évi<strong>de</strong>nce inévitable. Mais comment fonctionneaujourd’hui cette machine à évoquer les spectres ?Le mo<strong>de</strong> d’emploi est simple : après avoir réduitl’essentiel du phénomène à sa caricature (la pensée 68),vous inversez point par point tout l’argumentaire <strong>de</strong> l’adversaire.L’autorité ? Ils l’ont balayée, restaurons-la ! Le respectà l’égard <strong>de</strong> l’adulte ? Même opération. Ils voulaient enfinir avec le travail ? Valorisons-le, même s’il n’y en a paspour tout le mon<strong>de</strong>. Et on peut alimenter la machine. Sesouvient-on <strong>de</strong> ce tract situationniste prescrivant : « nedites plus : bonjour Monsieur le Professeur, dites : crèvesalope ! ». De même le fameux : « il est interdit d’interdire »est-il autre chose qu’un mot d’esprit ? Comme mot d’ordre,c’est plutôt une autocontradiction performative à laquellepersonne ne pouvait sérieusement adhérer. Qu’imported’ailleurs, il suffit <strong>de</strong> citer, on n’a plus besoin d’argumenter.24


humeurs / LNA#46Lénine avait emprunté à Descartes (Dioptrique) l’image dubâton brisé. Comment redresser un bâton courbé ? Vous lecourbez dans l’autre sens. On dirait bien que certains n’ontpas lâché le bâton sans se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, au <strong>de</strong>meurant, où ilsl’ont ramassé ou <strong>de</strong> qui ils le tiennent.Pour se survivre à soi-même, le soixante-huitard se <strong>de</strong>vaitdonc <strong>de</strong> nier sa propre autorité, c’est-à-dire renoncer às’autoriser <strong>de</strong> quoi que ce soit. Il <strong>de</strong>vait se défaire <strong>de</strong> toutpouvoir, voire <strong>de</strong> toute expertise ou <strong>de</strong> toute compétence.Enfin, il <strong>de</strong>vait chasser toute inscription comme travailleurou comme citoyen. En un mot, si chaque soixante-huitardavait été conséquent, on aurait dû tous se retrouver à paîtrecomme les moutons <strong>de</strong>s jardins d’Arcadie. Par bonheur etpar raison, ce cauchemar nous fut épargné, à quelques casses,bavures ou impasses près. Ainsi, Nicolas Sarkozy n’avaitplus qu’à exhiber les dépouilles.Qu’il dénonce les « versets » situationnistes ou qu’il reprenneà son compte les analyses <strong>de</strong> Luc Ferry ou <strong>de</strong> Gilles Lipovetsky,le seul souffle <strong>de</strong> 68 qu’il légitime est individualisteet jouisseur. Oublié l’ascétisme militant, oubliées les pratiquescollectives et coopératives, la frugalité et le renoncementà faire carrière, tous comportements <strong>de</strong> ces années-làaujourd’hui passés sous silence. Seule <strong>de</strong>meure la menaced’un débor<strong>de</strong>ment, la hantise, ou peut-être le fantasme d’unembrasement <strong>de</strong> l’avenir. Là se tient tapie la véritable peur.Et la peur n’est pas seulement la campagne <strong>de</strong>s nantis et <strong>de</strong>spossédants, elle est aussi l’ennemie <strong>de</strong> la raison. Et si notreprési<strong>de</strong>nt se trompait <strong>de</strong> cible ? Et si l’homme qui l’agacen’était pas le révolté, le sauvageon et son mauvais maître,le jouisseur sans principe ou l’athlète <strong>de</strong> la paresse ? Car cene sont pas les seuls possédants qui ont peur. Ce sont aussiles forts, ceux pour qui l’ordre juste c’est la maximisation<strong>de</strong> la puissance d’agir <strong>de</strong>s plus forts. Ils y parviennent toujours,mais gar<strong>de</strong>nt un doute sur la justice. Le seul véritablehéritier <strong>de</strong> 68, celui qui aujourd’hui triomphe à l’avant <strong>de</strong>la scène politique, c’est Calliclès. Relisez le Gorgias <strong>de</strong> Platonet en contrepoint les commentaires <strong>de</strong> Deleuze dansNietzsche et la philosophie (1965). Vous y verrez que toutconcor<strong>de</strong> : vous n’avez pas le droit <strong>de</strong> bri<strong>de</strong>r mon ambitionau motif que les plus faibles en font les frais ! La juste revendication<strong>de</strong> la libre subjectivité est là tout entière : laissezpasser la force qui va ! Ce ne sont pas les révoltés qui lesdérangent, ce sont tous ceux qui pensent, comme Socrate,qu’il vaut mieux être celui qui subit l’injustice que celui quila commet. « Si le philosophe était un révolté, il choqueraitmoins. Car, enfin, chacun sait à part soi que le mon<strong>de</strong> commeil va est inacceptable ; on aime bien que cela soit écrit,pour l’honneur <strong>de</strong> l’humanité, quitte à l’oublier quand onretourne aux affaires. La révolte donc ne déplaît pas. AvecSocrate, c’est autre chose » 1 .En effet, Socrate c’est autre chose. Autre chose que Calliclès,mais aussi autre chose que le révolté. Il n’est pas contrele travail, il ne fait pas carrière, tout juste respecte-t-il ironiquementceux qui courent après les hochets <strong>de</strong> la réussite. Iln’est pas irréligieux, il ne crache pas dans la soupe. Ce n’estmême pas un contestataire. Aujourd’hui, Calliclès veutprendre sa revanche. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> où est passé Socrate.1Maurice Merleau-Ponty, Éloge <strong>de</strong> la philosophie, 1960, éd. Gallimard, pp. 42-43.25


LNA#46 / repenser la politiqueL’actualité <strong>de</strong> Mai 68Par Alain CAMBIERDocteur en philosophie, professeur en classes préparatoires,Faidherbe - <strong>Lille</strong>Faut-il liqui<strong>de</strong>r l’héritage <strong>de</strong> Mai 1968 ? La question est au cœur <strong>de</strong>s débats puisque l’actuel prési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> la République en avait fait un thème majeur <strong>de</strong> sa campagne : « l’héritage <strong>de</strong> Mai 68 aintroduit le cynisme dans la société et dans la politique », déclara-t-il. Pourtant, le même s’évertueà appeler <strong>de</strong> ses vœux un « Grenelle du développement durable » : on peut vouloir en « finir »avec cette époque et y puiser malgré tout ses références... Plus globalement, la critique <strong>de</strong> Mai 68relève d’un rejet <strong>de</strong>s « sixties » dont se prévaut le néoconservatisme, pour exalter a contrario <strong>de</strong>svaleurs d’autorité et le refus du relativisme moral. Cependant, la lecture qu’il propose <strong>de</strong> ce quis’est passé en 1968 apparaît souvent caricaturale. Rejeter cet héritage renvoie, en réalité, à unestratégie <strong>de</strong> « révolution idéologique » aux accents rétrogra<strong>de</strong>s.L’Événement Mai 681Cf. surtout le courant <strong>de</strong>l’École <strong>de</strong>s Annales fondéepar Marc Bloch et LucienFebvre et dont FernandBrau<strong>de</strong>l prit la relève.Mai 68 ne fut ni une guerre civile, ni une révolution politique : on a parlé pudiquement à son sujetd’ « événements ». Pourtant, il serait erroné d’assimiler l’Événement Mai 68 à un épiphénomène :<strong>de</strong> simples événements ne seraient que le reflet d’une contingence subie. En histoire 1 , la sphère <strong>de</strong>sévénements a longtemps été considérée comme une efflorescence insignifiante. Or, force est <strong>de</strong>constater que Mai 68 ne peut être réduit à une suite d’événements : il s’agit bien d’un Événementmajeur, limité dans le temps, mais dont les effets se font encore ressentir aujourd’hui. L’événementauthentique correspond à un « advenir » disruptif : étymologiquement, l’événement est ce qui arrive,non au sens d’un simple acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> parcours, mais comme un moment critique où la crise d’unesociété est révélée. Un événement au sens fort est toujours ce que <strong>de</strong>s êtres agissants font arriver.Mai 68 fut la manifestation d’un pouvoir spécifiquement humain d’inaugurer un processus inédit.Loin d’être un phénomène <strong>de</strong> surface, Mai 68 fut fondateur. L’Événement n’est pas un ensemble<strong>de</strong> péripéties à voir, mais au contraire il rend visible : il ouvre une perspective et fait apparaître unétat ancien comme révolu. Mai 68 a fait époque parce qu’il a commandé un redéploiement dansla façon <strong>de</strong> compter le temps : il s’est présenté comme une césure que confirme l’expression ambivalente<strong>de</strong> « post-soixante-huitards ». Loin d’être une parenthèse, ce moment axial instaura unedurée nouvelle. Dans les histoires personnelles comme dans l’histoire collective, l’événement Mai68 a fait date, mais paradoxalement il n’est pas arrivé à se dire. Certes, il s’exprima dans <strong>de</strong>s sloganscomme « À bas le pouvoir personnel ! », <strong>de</strong>s apophtegmes du genre « Sous les pavés, la plage », maisil ne fut jamais véritablement l’objet d’une configuration globale susceptible d’en mettre au jour lesens. On se contenta souvent d’en faire une chronique, pour mieux rabattre l’amplitu<strong>de</strong> du Traumaqu’il provoqua et confondre le type <strong>de</strong> temporalité dont il relevait : non pas celui <strong>de</strong> Chronos rivé autemps calendaire paisible, mais plutôt celui du Kaïros indompté et sauvage, qui brusque le momentet fait surgir les possibles.2La situationinternationale était loind’être négligeable : lesblocs <strong>de</strong> la guerre froi<strong>de</strong>faisaient l’expérience <strong>de</strong>leurs limites. Ainsi lesÉtats-Unis s’embourbaientau Viêt Nam et le mon<strong>de</strong>communiste se fissurait enlaissant émerger <strong>de</strong>s voiesnouvelles.Le contexte d’un pouvoir personnel autoritaireMai 68 constitua un puissant mouvement <strong>de</strong> revendications étudiantes et ouvrières qui rendit manifestele paradoxe d’une société anesthésiée malgré le contexte <strong>de</strong>s Trente Glorieuses avec, commetoile <strong>de</strong> fond internationale, la guerre froi<strong>de</strong>, la guerre du Viêt Nam, Cuba et l’épopée <strong>de</strong> CheGuevara, la révolution <strong>culture</strong>lle en Chine et la discor<strong>de</strong> sino-soviétique, ainsi que le Printemps<strong>de</strong> Prague 2 . On appelle Trente Glorieuses la pério<strong>de</strong> qui, <strong>de</strong> 1945 à 1973, correspondit à un essoréconomique continu <strong>de</strong> la France et qui se traduisit par une industrialisation sans précé<strong>de</strong>nt.Jusqu’à la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale, la France était restée un pays surtout agricole. Après 1945, le26


epenser la politique / LNA#46baby-boom, les mutations économiques, la révolution urbaine ont contribué à la métamorphoserprofondément. Or, ces bouleversements étaient étroitement bridés par un pouvoirpolitique autoritaire détenu par le général De Gaulle, personnage charismatique pouvantcompter sur le capital <strong>de</strong> sympathie que lui avait accordé son statut <strong>de</strong> figure emblématique <strong>de</strong>la Résistance. Car les Trente Glorieuses ont eu aussi une face honteuse qui s’est <strong>de</strong>ssinée trèstôt avec la guerre d’Indochine, celle d’Algérie, la guerre civile menée par l’O.A.S, la faillite<strong>de</strong> la SFIO, et l’instauration <strong>de</strong> la V ème République grâce à une sorte <strong>de</strong> coup d’État qui a fait<strong>de</strong> la France, <strong>de</strong>puis un <strong>de</strong>mi-siècle, une monarchie républicaine drapée dans une constitutionad hoc. Les racines <strong>de</strong> l’explosion <strong>de</strong> Mai 68 se trouvent ici : d’un côté, un pays en pleinemutation économique et sociale ; <strong>de</strong> l’autre, un pouvoir extrêmement personnel encadrant,<strong>de</strong> manière excessivement rigi<strong>de</strong>, la population française au point <strong>de</strong> l’infantiliser et <strong>de</strong> luiimposer, en guise <strong>de</strong> lisière, une véritable chape <strong>de</strong> plomb médiatique. Le sort réservé auxfemmes était particulièrement révélateur : elles étaient réduites au statut d’êtres perpétuellementmineurs 3 . Il y eut donc bien <strong>de</strong>ux gaullismes : d’une part, celui <strong>de</strong> la Résistance et dugouvernement d’union nationale, juste après guerre ; d’autre part, celui qui revint au pouvoiren 1958 et qui fut la caution politique et idéologique pour rebattre les cartes économiques, enindustrialisant à tout-va, y compris dans l’agri<strong>culture</strong>, et pour assurer l’ordre, en distillant unconformisme moral atone. Ce nouveau pouvoir détenait fermement les rênes politiques, aupoint <strong>de</strong> se montrer volontiers colbertiste et <strong>de</strong> s’accommo<strong>de</strong>r d’un capitalisme d’État. Face àce carcan, la poussée démographique, l’effervescence économique, les transformations socialesconstituaient un mélange explosif.3Épouses, elles ne disposaientmême pas <strong>de</strong> lapossibilité légale <strong>de</strong> signerun chèque.L’apprentissage <strong>de</strong> l’autonomieLe mon<strong>de</strong> estudiantin fut le creuset d’un mouvement déterminant <strong>de</strong> contestation. L’adolescence<strong>de</strong>venait, pour la première fois, une expérience <strong>de</strong> masse et s’articulait sur l’allongement<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s. Mai 68 fut, avant tout, l’effet d’une prise <strong>de</strong> conscience induite par la formation<strong>de</strong> jeunes, au sens <strong>de</strong> Bildung : il ne s’agissait pas tant d’une éducation entendue comme instructionque d’une formation <strong>de</strong> soi, d’un « travail sur soi » conduisant à l’affirmation d’unepersonnalité. En France, le sentiment d’appartenance collective avait été inculqué la plupartdu temps <strong>de</strong> manière mécanique, par l’État, en jouant sur l’acquisition d’automatismes irréfléchiscensés exprimer l’âme du pays. L’attachement aux valeurs <strong>de</strong> la république se faisait surla base d’une fictionnalisation abusive <strong>de</strong> l’histoire nationale, pour mieux occulter son enversmoins reluisant 4 . Les Français vivaient dans le culte du « grand homme » prétendant incarnerl’État. En usant impunément <strong>de</strong> la censure et <strong>de</strong> coups fourrés violents 5 , le paternalismeautoritaire du général ne faisait que pousser à son paroxysme l’amalgame pernicieux entreÉtat et société. Or, toute une génération <strong>de</strong> jeunes faisait en même temps l’expérience inédite<strong>de</strong> sa formation <strong>culture</strong>lle, c’est-à-dire qu’elle se donnait les moyens, en acquérant sa proprepersonnalité, d’établir un rapport distancié avec un patrimoine collectif forgé <strong>de</strong> mythes et <strong>de</strong>légen<strong>de</strong>s. Elle s’efforçait d’effectuer une réflexion critique vis-à-vis <strong>de</strong> cette société françaisequi s’i<strong>de</strong>ntifiait jusqu’ici à un État censé être infaillible. Il faut comparer Mai 68 à une sorte<strong>de</strong> Bildungsroman, c’est-à-dire au roman d’apprentissage d’une génération qui se réappropriaitdésormais <strong>de</strong> manière réfléchie son patrimoine et qui revendiquait un droit d’inventaire surlui. Quand cette génération s’essaya enfin à penser par elle-même, en s’appropriant le fameuxsapere au<strong>de</strong> 6 , elle ne put que se démarquer vis-à-vis <strong>de</strong> la façon dont on l’avait bercée. D’unseul coup, la génération Mai 68 passa <strong>de</strong>s préjugés au jugement et celui-ci fut sans appel. Lacolère <strong>de</strong>s étudiants exprimait un ressaisissement <strong>de</strong> soi. L’État <strong>culture</strong>l français, surtout souscette forme exacerbée que fut le gaullisme <strong>de</strong> la V ème République, vacilla alors sur ses bases.Mai 68 fut effectivement un moment <strong>de</strong> vérité et, pendant quelques jours, le « roi » se retrouvanu… Il ne s’en remit pas : un an plus tard, il quittait le pouvoir.4Déjà sous la III èmeRépublique, l’idéologiedu progrès avait permis <strong>de</strong>justifier le colonialisme. Demême, la méconnaissanceirresponsable du développementurbain avait conduità la multiplication <strong>de</strong>bidonvilles à la périphérie<strong>de</strong>s villes. L’euphémisationvoulue <strong>de</strong> la collaborationfrançaise pendant la Secon<strong>de</strong>Guerre mondiale avaitaussi favorisé la dénégation<strong>de</strong>s exactions perpétrées enAlgérie. Sous De Gaullelui-même, la réhabilitationpolitique d’hommes <strong>de</strong> Vichycomme Papon facilitales basses besognes, commeles ratonna<strong>de</strong>s meurtrièrescommises par la police.5Cf. l’épiso<strong>de</strong> tragique <strong>de</strong>la répression policière aumétro Charonne.6Cette formule est censéerésumer l’esprit <strong>de</strong>s Lumièreset signifie approximativement: « Ose penser partoi-même ! ».27


LNA#46 / repenser la politiqueLa révolution <strong>de</strong> la société civileMai 68 permit aux étudiants <strong>de</strong> l’époque d’acquérir une conscience politique, <strong>de</strong> faire leur propreinstruction civique dans l’action, en s’inspirant aussi <strong>de</strong> la situation internationale : mais le recoursà <strong>de</strong>s références exotiques fortement teintées <strong>de</strong> romantisme naïf témoignait encore <strong>de</strong> la volonté<strong>de</strong> se démarquer du mythe hexagonal. Le mouvement <strong>de</strong> Mai 68 s’érigea également contre le particommuniste français qui apparaissait comme une institution encore stalinienne et participant auculte très français <strong>de</strong> l’État considéré comme une fin en lui-même. Avec Mai 68 se joua <strong>de</strong> manièredécisive la révolution <strong>de</strong> la société civile. Car la France était ce curieux pays qui disposait <strong>de</strong>puislongtemps d’une <strong>culture</strong> étatique dogmatique, sans manifester le moindre souci <strong>de</strong> prendre encompte la société civile émergente. Alors que le développement <strong>de</strong> l’État mo<strong>de</strong>rne fut le plus souventconcomitant <strong>de</strong> l’émancipation d’une société civile indépendante, en France, il y mit plutôtun frein. Or, la société civile n’est pas seulement la sphère <strong>de</strong>s échanges économiques : elle est aussicelle <strong>de</strong>s innovations et <strong>de</strong>s contestations, <strong>de</strong>s transformations <strong>culture</strong>lles, <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s vestimentairesou musicales, <strong>de</strong> la formulation <strong>de</strong> droits nouveaux, etc. Les adolescents <strong>de</strong> 68 s’inventaient <strong>de</strong> nouveauxhorizons, <strong>de</strong> nouveaux repères moraux, <strong>de</strong> nouvelles valeurs politiques, <strong>de</strong> nouveaux modèles<strong>culture</strong>ls et même leurs contradictions témoignaient <strong>de</strong> leur dynamisme créatif. En s’élançant dansles rues, ils s’émancipaient tout autant <strong>de</strong> la pesante tutelle familiale que <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l’État-gaulliste : ilsfaisaient l’expérience <strong>de</strong> la conquête <strong>de</strong> l’autonomie. Ce fut effectivement une révolution <strong>de</strong>s mœursqui ne pouvaient plus reposer sur la reconduction d’habitu<strong>de</strong>s anciennes, mais sur l’exploration<strong>de</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie. La conquête <strong>de</strong> la mixité scolaire fut emblématique. Les adolescentesont légitimement revendiqué le droit <strong>de</strong> disposer <strong>de</strong> leur corps et les femmes obtinrent le droit àl’IVG quelques années plus tard… Ces jeunes pressentaient que si la sphère <strong>de</strong> l’État est, par définition,statique, la sphère <strong>de</strong> la société civile est celle où souffle le vent <strong>de</strong>s changements. L’éloge<strong>de</strong> la désobéissance civile n’était qu’une façon <strong>de</strong> démontrer que la <strong>culture</strong> étatique française étaitenfin à repenser.L’ironie <strong>de</strong> l’histoire7Le décisionnisme politiqueest cette conception <strong>de</strong>l’action politique qui, auxantipo<strong>de</strong>s du normativismejuridique, la suspend à lavolonté arbitraire du souverain: la monocratie supplantealors la nomocratie.Hobbes en a été le pèrespirituel et il a trouvé sonexpression la plus systématiquechez Carl Schmitt.Hegel dit que l’histoire ne se répète jamais ou alors sous la forme d’une mascara<strong>de</strong>. Les petits espritsconservateurs ont longtemps vécu dans la hantise du spectre <strong>de</strong> Mai 68, au point d’appréhen<strong>de</strong>rchaque année le retour du printemps. Il est vrai que, <strong>de</strong>puis, étudiants et lycéens ont pris l’habitu<strong>de</strong><strong>de</strong> s’exprimer dans la rue. Mais, loin d’une répétition mécanique <strong>de</strong> l’Événement 68, il s’agit plutôt<strong>de</strong> la manifestation <strong>de</strong> l’exaspération persistante ressentie <strong>de</strong>vant un pouvoir d’État qui s’obstinedans sa position <strong>de</strong> surplomb. Il faut donc plutôt y voir une réactivation <strong>de</strong>s possibles que Mai 68avait ouverts. Car l’enjeu fondamental <strong>de</strong>meure toujours celui <strong>de</strong> la difficulté à instaurer la démocratieen France. L’ironie est que nous assistons aujourd’hui à une réelle répétition névrotique <strong>de</strong>l’histoire : celle caricaturale du pouvoir personnel au sommet <strong>de</strong> l’État. Les étudiants et les ouvriers<strong>de</strong> 1968 s’étaient élevés contre le pouvoir personnel asphyxiant du général De Gaulle. Or, loind’avoir favorisé l’émergence d’une démocratie authentique, l’histoire semble bégayer et reconduireaux excès <strong>de</strong> pouvoir auxquels prédispose la V ème République. Nous sommes entrés dans l’ère dudécisionnisme politique 7 le plus obsessionnel où celui qui est théoriquement le garant <strong>de</strong>s institutionss’incite lui-même à s’en affranchir et fait <strong>de</strong> sa volonté la loi. La séparation <strong>de</strong>s pouvoirs estpervertie. Quant aux media, ils ont abdiqué leur rôle <strong>de</strong> contre-pouvoir et la plupart <strong>de</strong>s journalistespratiquent l’autocensure ou se transforment en thuriféraires. Sous sa forme la plus aboutie, laV ème République conduit à l’instauration d’une egocratie impu<strong>de</strong>nte.Il ne faut donc pas s’étonner <strong>de</strong> la volonté d’éradiquer l’héritage <strong>de</strong> Mai 68 puisqu’elleparticipe surtout <strong>de</strong> la répétition <strong>de</strong> l’autre versant <strong>de</strong> cette page d’histoire : celle <strong>de</strong> l’aventuredu pouvoir personnel, avec la gran<strong>de</strong>ur en moins. Autrefois, celui-ci s’était exercé dans le respectapparent <strong>de</strong>s institutions, alors qu’aujourd’hui il s’en émancipe <strong>de</strong> manière populiste, inscrivanttoute gestion dans une sorte d’état d’urgence permanent. Un régime qui dépossè<strong>de</strong> la société civile<strong>de</strong> sa puissance collective, qui la réduit au rôle <strong>de</strong> spectatrice passive, pour concentrer <strong>de</strong> manièrehyperbolique le pouvoir entre les mains d’un egocrate, entretient le mirage selon lequel l’actionpourrait relever d’un seul et s’expose encore aux déconvenues.28


jeux littéraires / LNA#46RAPILLYhttp://robert.rapilly.free.fr/ par RobertMICHEL CLAVEL, l’auteur <strong>de</strong> PARIS EN JEUX (ÉditionsParigramme), nous offre cette élégante strophe d’oùdisparaissent une à une les voyelles.Dévocalisation progressive, par Michel ClavelLes six vocaux y sont.La semi-consonne s’évanouit.Le bleu rimbaldien s’efface.N’en <strong>de</strong>meurent même pas quatre.Juste <strong>de</strong>ux.Plus qu’un.AEIOUYAEIOUAEIUAEUEUUAutobiografilpar Yvan Maurage, correspondant <strong>de</strong>s Nouvelles d’Archimè<strong>de</strong> à MontréalFestival <strong>de</strong> Victoriaville au mois <strong>de</strong> maiNous sommes <strong>de</strong>s citoyens <strong>de</strong> la logosphère. (Gaston Bachelard - La Nef 73-74, février-mars 1951)En 2007, toute la terre est occupée à s’imprégner <strong>de</strong> simulacres télévisés, téléphonés,encodés. Aucune Muraille <strong>de</strong> Chine ne résiste à google, clé omnipotente. Rien ici ou làqui ne puisse dans la secon<strong>de</strong> franchir océans et continents. Aussitôt advenu tout seraconnu, répertorié, normalisé, banal… Tout ? Non ! À l’écart <strong>de</strong> la planète enrégimentée,<strong>de</strong>s « villages » singuliers résistent encore et toujours à la normalisation. Et la vieretrouve sel et sens pour qui rencontre les Irréductibles parmi nos semblables.La musique, fa<strong>de</strong> poudre instantanée, s’est-elle dissoute dans l’on<strong>de</strong> électromagnétiqueuniverselle ? Pas toute la musique ! se réjouissent les auditeurs <strong>de</strong> JOANEHETU, chanteuse et saxophoniste québécoise. On fait l’expérience d’une émotionbrute, fondamentale en assistant à son interprétation <strong>de</strong> FILATURE avec l’EnsembleSuper Musique. FILATURE transpose sur scène le passé <strong>de</strong> tisseran<strong>de</strong> <strong>de</strong> Joane Hétu,en 3 actes qui « filent » la métaphore : la Chaîne (5 hommes), la Trame (5 femmes),le Motif (orchestre complet… et public ébahi). Contrepoint <strong>de</strong> virtuose sobriété,la vidéo <strong>de</strong> Pierre Hébert pare en direct les sons <strong>de</strong> Hétu, Auclair, Del Fabbro, Gignac,Guilbeault, Labrosse, Palardy, Tanguay, Venba et <strong>de</strong> l’ange oumupien Jean Derome(cf. NdA n°36)…Programmateurs <strong>de</strong> concerts, invitez sans délai ces Québécois sur le vieux continent: ce serait la pire surdité que <strong>de</strong> ne vouloir les entendre.> Photo : Céline Côté^ Photo Martin Morrissette29


LNA#46 / jeux littérairesLa critique est aiséeBesnard est difficilewww.omnitextes.netRegar<strong>de</strong>z-vous, écoutez-vous la publicité télévisuelle ou radiophonique ?Quelle abondante félicité nous promettent les assurances et autrebanque postale ! Promesses tenues ? Quiconque abhorre la financeremerciera du moins ces compagnies d’avoir salarié le courtierFranz Kafka, l’assureur Charles Ives, le receveur <strong>de</strong>s postes GastonBachelard... accessoirement écrivain, compositeur, philosophe : incalculableplus-value, n’est-ce pas ! Mais alors, la lisse uniformité <strong>de</strong>nos bureaux, <strong>de</strong> nos ateliers ou hangars recouvre-t-elle toujours <strong>de</strong>srichesses trop profon<strong>de</strong>s pour émouvoir collègues et DRH ?Nouveauté <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, un simple ordinateur (*) personnel en réseau fait antidoteà l’anonymat. De son vivant, l’artiste digne accè<strong>de</strong> parfois à la reconnaissance <strong>de</strong> ses pairs et dupublic. En littérature, en musique, en peinture, il en va désormais comme <strong>de</strong>s articles <strong>de</strong> l’encyclopédieWikipédia : au creux <strong>de</strong> multiples et mouvants réseaux (« niches » disait Bourdieu), serépand une vivace vérité.Pronostic quasi-réalisé : Patrice Besnard, par ailleurs attaché à un laboratoire universitaire <strong>de</strong>vidéo, apparaît au mon<strong>de</strong> comme poète novateur. Son art inédit puise sans exclusive à la logique,à la polysémie, à l’origami, au découpage, aux lois <strong>de</strong> la phonétique et <strong>de</strong> l’optique, aux tours <strong>de</strong>prestidigitation, à toutes forces inventives décuplées par d’ingénieux logiciels « maison ». Ces télescopagesdélibérés amorcent pléthore d’inventions, que les dictionnaires <strong>de</strong> poétique afficherontun jour aux articles « callistéréogramme », « folioscope », etc. Car tout cela existe déjà et se partagesur le site <strong>de</strong> Patrice Besnard : www.omnitextes.net(*)Voici la réponse <strong>de</strong> Patrice Besnard en 2005 au thème « le français, langue <strong>de</strong> l’aventurescientifique » <strong>de</strong> la Délégation Générale à la Langue Française ; les 11 mots imposésétaient : ordinateur, on<strong>de</strong>lette, complexité, hélice, cristal, icône, variation, désenchevêtrement,rayonnement, miroir et élémentaire. On reconnaît en filigrane le sonnetEl Desdichado. La rime « planté / implanté » est un clin d’œil à la négligence rimique <strong>de</strong>Nerval : « consolé / inconsolé ».Je suis l’ordinateur,- tout neuf,- déjà planté,En crise si soudaine à ma tour affaiblie :Calculs en on<strong>de</strong>lette,- et leur complexitéOnt mis en sommeil noir ma dalle dépolie.Ennui <strong>de</strong> ventilo, toi qui m’as chahuté,Rends-moi la gran<strong>de</strong> hélice et son air qui rallieLe vent qui plaisait tant au cristal implanté,Mo<strong>de</strong> veille et l’attente en icône jolie.30Suis-je un four pour ma puce ?... Et lent aux variations ?Désenchevêtrement <strong>de</strong> tous les fils en gaine,Verrait rayonnements fuir leur cage aussi vaine...Mais j’ai vingt fois par heure agi en précautions,Écrivant tour à tour en miroir la donnée :Élémentaire feinte à ce prix pardonnée.Ambigrammes <strong>de</strong> P. Besnard


jeux littéraires / LNA#46vendredi 19 octobre« Les <strong>Lille</strong>s invisibles » au Théâtre du Prato- Dès 19h, soirée Les <strong>Lille</strong>s invisibles et gran<strong>de</strong> lecture parMarcel Bénabou, Frédéric Forte, Jacques Jouet, Hervé LeTellier, Ian Monk, Olivier Salon.- À 20h30 théâtre par Les Fous a Reaction : La BoutiqueObscure, 124 rêves <strong>de</strong> Georges Perec dits par OlivierChantraine ; Chant d’amour au marché <strong>de</strong> Wazemmes<strong>de</strong> et par Gilles Defacque.automnearchimédoulipienwww.zazipo.net« L’automne 2007 sera archimédoulipien ou ne sera pas »(Andraux Malré)- 22h à minuit dans tout l’espace duPrato (salle <strong>de</strong> spectacle, coulisses,bar, jardin…) les Oulipiens proposeront<strong>de</strong>s ateliers d’écriture, GillesEsposito-Farèse une initiation auxambigrammes et pinacogrammes(exemples ci-contre), Martin Granger<strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> littérature assistéepar ordinateur, les lycées professionnels<strong>de</strong>s automates à poésie, etc.En partant <strong>de</strong> là et en allant trois jours vers le levant, l’hommese trouve à Diomira, une ville avec soixante coupoles d’argent,<strong>de</strong>s statues en bronze <strong>de</strong> tous les dieux, <strong>de</strong>s rues pavées d’étain,un théâtre en cristal, un coq en or qui chante chaque matinsur une tour. Toutes ces beautés,le voyageur les connaît déjà pourles avoir vues aussi dans d’autresvilles. Mais le propre <strong>de</strong> celleciest que si l’on y arrive un soir<strong>de</strong> septembre, quand les joursraccourcissent et que les lampesmulticolores s’allument toutesensemble aux portes <strong>de</strong>s friteries,et que d’une terrasse une voix <strong>de</strong>femme crie : hou !, on en vient àenvier ceux qui à l’heure présentepensent qu’ils ont déjà vécu unesoirée pareille et qu’ils ont été cette fois-là heureux.Mercredi 14 novembre« Pièces détachées » à l’<strong>Espace</strong> Culture- En journée, ateliers d’écriture par Coraline Soulier etRobert Rapilly <strong>de</strong> Zazie Mo<strong>de</strong> d’Emploi.- À 19h l’événement à ne pas manquer : Pièces détachéespar le Théâtre <strong>de</strong> l’Éveil, un spectacle acclamé par le publicet la critique à la BnF, au Rond-Point ; programmé auFestival d’Avignon en 2008… (lire annonce page 52).Italo Calvino - « Les villes invisibles » (Seuil), traduit <strong>de</strong> l’italien par Jean Thibau<strong>de</strong>auRécrivons ce paragraphe <strong>de</strong> mille et une façons oulipiennes,ou dans toutes les langues <strong>de</strong> l’univers. En effet, après lesvers à soie <strong>de</strong> Roubaud et Annan <strong>de</strong> Le Tellier, Zazie Mo<strong>de</strong>d’Emploi met à l’honneur Italo Calvino. Retrouvons-nousdonc vendredi 19 octobre 2007 au Prato.31


LNA#46 / à lireL’histoire d’une collectionToute un décennie <strong>de</strong> conférences à votre dispositionC’est en 1992 que les « Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> »,rencontres thématiques hebdomadaires, voient le jour.Chaque thème choisi fait l’objet d’une approche plurielle :philosophique, scientifique, artistique…Sous la direction <strong>de</strong> Jean-Marie BreuvartÀ l’origine : la volonté <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL <strong>de</strong> privilégierles savoirs et les connaissances, d’en faire l’axe majeurd’un projet qui articule <strong>culture</strong>, savoirs, arts et éducationet qui conforte la position <strong>de</strong> l’Université dans la cité.Ambitieux ? Certes, mais ces rencontres – proposant un regardcritique sur <strong>de</strong>s sujets intemporels ou actuels – se sontrégularisées, accueillant un public curieux <strong>de</strong>s questions surlesquelles repose notre rapport au mon<strong>de</strong>.emotions2.indd 1 25/01/07 17:33:09 Pour plus d’informations sur cettecollection : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>La qualité <strong>de</strong> ces ren<strong>de</strong>z-vous tient bien sûr aux intervenants,spécialistes d’horizons disciplinaires multiples, mais aussiau travail <strong>de</strong>s comités scientifiques, qui définissent la problématiquecentrale et la déclinent.Il est alors <strong>de</strong>venu évi<strong>de</strong>nt, au fil <strong>de</strong>s années et <strong>de</strong>scycles, qu’un support comme le livre pouvait – et<strong>de</strong>vait – en <strong>de</strong>venir le témoin : pour que le fruit <strong>de</strong>ces rencontres s’inscrive dans la durée, pour qu’il soitaccessible au plus grand nombre et qu’il entérine cetteinitiative unique au sein du mon<strong>de</strong> universitaire.Avec la complicité <strong>de</strong>s éditions L’Harmattan, le premierouvrage « Questions <strong>de</strong> développement » est publié en1996. Depuis, l’aventure continue, une collection estnée. Grâce à la précieuse collaboration <strong>de</strong>s auteurs, 17ouvrages sont actuellement disponibles.Les cycles continuent à rythmer les années, nombre<strong>de</strong> thèmes sont encore en projet. Si cette collectiona une histoire, nul doute qu’elle a aussi un bel avenir<strong>de</strong>vant elle…Nous vous proposons <strong>de</strong> découvrir cette collection àl’<strong>Espace</strong> Culture, chaque titre y est en consultation libre.À noter, la prochaine parution en janvier 2008 autour ducolloque « À propos <strong>de</strong> la <strong>culture</strong> », organisé dans le cadre<strong>de</strong> « <strong>Lille</strong> 2004 - Capitale Européenne <strong>de</strong> la Culture ».32


à lire / LNA#46Sont actuellement disponibles :Que cachent nos émotions ? - 2007Sous la direction <strong>de</strong> Jean-Marie BreuvartISBN : 978-2-296-02889-0 - Prix : 20 eurosLe hasard : une idée, un concept, un outil - 2005Sous la direction <strong>de</strong> Jean-Paul DelahayeISBN : 2-7475-9505-6 - Prix : 17,50 eurosLe vivant. Enjeux : éthique et développement - 2005Textes réunis par Nabil El-Haggar et Maurice PorchetISBN : 2-7475-8090-3 - Prix : 24,50 eurosArt et savoir : <strong>de</strong> la connaissance à la connivence - 2004Sous la direction d’Isabelle KustoszISBN : 2-7475-6133-X - Prix : 33,50 eurosLa ville en débat - 2003Sous la direction <strong>de</strong> Nabil El-Haggar, Didier Pariset Isam ShahrourISBN : 2-7475-4444-3 - Prix : 23,00 eurosPolitique et responsabilité, enjeux partagés - 2003Sous la direction <strong>de</strong> Nabil El-Haggar et Jean-François ReyISBN : 2-7475-3869-9 - Prix : 34,00 eurosLes dons <strong>de</strong> l’image - 2003Sous la direction d’Alain CambierISBN : 2-7475-3868-0 - Prix : 25,00 eurosL’infini dans les sciences, l’art et la philosophie - 2003Sous la direction <strong>de</strong> Mohamed Bouazaoui, Jean-Paul Delahayeet Georges WlodarczakISBN : 2-7475-3867-2 - Prix : 17,00 eurosLe temps et ses représentations - 2001Sous la direction <strong>de</strong> Bernard MaitteISBN : 2-7475-0909-5 - Prix : 22,87 eurosL’école entre utopie et réalité - 2000Sous la direction <strong>de</strong> Rudolf Bkouche et Jacques DufresneISBN : 2-7475-0052-7 - Prix : 13,72 eurosEmploi et travail : regards croisés - 2000Sous la direction <strong>de</strong> Jean GadreyISBN : 2-7384-9096-4 - Prix : 19,82 eurosSpiritualités du temps présent : fragments d’une analyse,jalons pour une recherche - 1999Sous la direction <strong>de</strong> Jean-François ReyISBN : 2-7384-8453-0 - Prix : 12,96 eurosAltérités : entre visible et invisible - 1998Sous la direction <strong>de</strong> Jean-François ReyISBN : 2-7384-7106-4 - Prix : 16,77 eurosLa Méditerranée <strong>de</strong>s femmes - 1998Sous la direction <strong>de</strong> Nabil El-HaggarISBN : 2-7384-7145-5 - Prix : 16,77 eurosEnvironnement : représentations et concepts <strong>de</strong> la nature - 1997Sous la direction <strong>de</strong> Jean-Marc Besse et Isabelle RousselISBN : 2-7384-5939-0 - Prix : 19,82 eurosLe géographe et les frontières - 1997Sous la direction <strong>de</strong> Jean-Pierre RenardISBN : 2-7384-5252-3 - Prix : 22,87 eurosQuestions <strong>de</strong> développement : nouvelles approches et enjeux - 1996Sous la direction d’André GuichaouaISBN : 2-7384-4417-2 - Prix : 18,89 euros33


LNA#46 / à lireLes impasses <strong>de</strong> la démocratisation scolaire(sur une prétendue crise <strong>de</strong>s vocations scientifiques) 1De Bernard ConvertPar Rudolf BKOUCHEProfesseur émérite, USTLL’abondante littérature sur l’école qui se développeaujourd’hui néglige la question <strong>de</strong>s contenus d’enseignement,comme si ces <strong>de</strong>rniers étaient <strong>de</strong> peu d’importance.C’est cela qui permet les diverses variations sur le niveauqui monte ou le niveau qui <strong>de</strong>scend selon les humeurs idéologiques<strong>de</strong>s auteurs sans que soit défini ce fameux niveauqui, selon les règles <strong>de</strong> la bienséance sociologique, mesureraitl’efficacité <strong>de</strong> l’enseignement. Il suffit <strong>de</strong> voir l’impact <strong>de</strong>smesurages statistiques qui encombrent les voies <strong>de</strong> la réflexionsur l’enseignement. Et l’ouvrage <strong>de</strong> Bernard Convert, malgréson intérêt, n’échappe pas à cette lacune.Dans la quatrième <strong>de</strong> couverture, l’auteur dénonce « la prétenduedésaffection pour les étu<strong>de</strong>s scientifiques » mais, loin<strong>de</strong> nier la baisse du nombre d’étudiants dans les universitésscientifiques, Bernard Convert explique que cette prétenduedésaffection « cache en réalité une transformation <strong>de</strong> l’enseignementsupérieur qui s’est amorcée en France dès la fin <strong>de</strong>sannées 1980 ». Les amphis ont effectivement commencé à sevi<strong>de</strong>r autour <strong>de</strong>s années 90, mais aux raisons trop souventinvoquées : mauvaise image <strong>de</strong> la science (vache folle, risquenucléaire…), forme trop académique <strong>de</strong> l’enseignementscientifique (la trop gran<strong>de</strong> mathématisation <strong>de</strong> la physique),difficulté <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s scientifiques, l’auteur oppose le fait quela diminution du nombre d’étudiants universitaires touchel’ensemble <strong>de</strong>s disciplines théoriques (sciences, lettres,sciences humaines, sciences économiques, droit) et rappellequ’il faut relier cette diminution aux nouvelles orientations<strong>de</strong>s étudiants vers les formations professionnalisées.L’augmentation du nombre <strong>de</strong> bacheliers a diminué la valeur<strong>de</strong> ce qui fut jadis le premier gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’enseignementsupérieur et conduit à une différenciation <strong>de</strong>s cursus postbaccalauréat,les meilleurs élèves rejoignant les classes préparatoires,les élèves moyens s’engageant dans les filièressélectives à finalités professionnelles tels les IUT ou STS,la gran<strong>de</strong> majorité se contentant <strong>de</strong> s’inscrire à l’université.Ainsi, l’augmentation du nombre d’étudiants relève moinsd’un engouement pour les étu<strong>de</strong>s universitaires que d’unchoix « par défaut ». La diminution, pour <strong>de</strong>s raisons démographiques,du nombre <strong>de</strong> bacheliers qui s’amorce en 1995et l’augmentation du nombre <strong>de</strong> filières à finalités professionnellesont contribué à vi<strong>de</strong>r les amphis.Cette diminution n’atteint pas les diverses disciplines <strong>de</strong> lamême façon, comme l’explique Bernard Convert à propos<strong>de</strong> la physique, s’appuyant sur la refonte <strong>de</strong>s baccalauréatsC, D, E, en un baccalauréat unique S avec, cependant, quatrespécialités : mathématiques, sciences physiques, sciences <strong>de</strong>la vie et <strong>de</strong> la terre, sciences <strong>de</strong> l’ingénieur. Non seulementces spécialités ont recréé d’une façon sournoise lesfilières, mais elles ont renforcé la hiérarchisation <strong>de</strong>s disciplinesscientifiques. Si la spécialité « mathématiques » sesitue dans la continuité <strong>de</strong> la série C, la spécialité « sciencesphysiques », réputée plus facile, attire <strong>de</strong>s élèves qui se dirigerontvers les filières courtes, ce qui explique en partie ladiminution du nombre d’étudiants en sciences physiques.Si l’argumentation sociologique <strong>de</strong> Bernard Convert permet<strong>de</strong> comprendre un phénomène dont les explications sontsouvent réduites à quelques vagues considérations idéologiquescomme la mauvaise image <strong>de</strong> la science, l’auteur passeà côté <strong>de</strong> ce qu’il faut bien appeler la dégradation <strong>de</strong> l’enseignementqui marque les <strong>de</strong>rnières années du XX ème siècle.Comme le rappelle l’auteur, <strong>de</strong>vant l’afflux <strong>de</strong> nouveauxélèves, les programmes se sont adaptés et, par conséquent,les sujets d’examens et les notations. Si, comme le remarqueBernard Convert, les performances au baccalauréat <strong>de</strong>s élèvesd’origine populaire sont inférieures en moyenne à ceux<strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> cadres, on ne peut comprendre ce fait quesi, loin d’en rester aux seuls arguments sociologiques, on varegar<strong>de</strong>r du côté <strong>de</strong>s contenus d’enseignement. L’adaptationdont parle Bernard Convert s’est traduite par une diminution,à la fois quantitative et qualitative, <strong>de</strong>s contenus enseignés,et le baccalauréat ne donne plus le niveau <strong>de</strong> connaissancesnécessaire à la poursuite d’étu<strong>de</strong>s universitaires. Oncomprend alors que, dans ce contexte, soient favorisés ceux<strong>de</strong>s élèves dont le capital <strong>culture</strong>l familial permet d’acquérirce que l’école n’apporte plus. Ainsi se perpétuent, sous <strong>de</strong>sformes plus sournoises, les inégalités.1Raison d’Agir Éditions, Paris, 2006.34


à lire / LNA#46Une pensée à l’épreuve <strong>de</strong> l’événementPar Youcef BOUDJEMAIDirecteur <strong>de</strong> Point Jeunes et du SDJ/DRIJELe <strong>de</strong>rnier livre <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Lefort est constitué d’articleset d’entretiens publiés dans diverses revues internationalesainsi que <strong>de</strong> conférences données dans différents pays. Cesécrits produits au gré <strong>de</strong>s événements n’obéissent pas a priorià un dénominateur commun. À côté <strong>de</strong>s thèmes centrauxdans la pensée <strong>de</strong> l’auteur (le pouvoir, la démocratie, le totalitarisme,les droits <strong>de</strong> l’homme…), se côtoient <strong>de</strong>s textesqui se confrontent à <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s pensées (Machiavel, Marx,Tocqueville, Michelet, Quinet, Aron, Arendt, Nietzche,Brau<strong>de</strong>l, Clastres, Soljenitsyne). Par la diversité <strong>de</strong>s sujetstraités et <strong>de</strong>s domaines d’investigation, ce recueil témoigneà la fois du refus <strong>de</strong> séparer histoire, économie, politique,littérature, institutions, considérés dans leur solidarité historiquecomme <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> l’histoire, et du souci selonClau<strong>de</strong> Mouchard dans sa préface, <strong>de</strong> déceler « ce qui advient,ce qui fait signe du temps présent ».À travers plusieurs décennies (1945-2005), le livre offre auxdifférentes générations <strong>de</strong> lecteurs un parcours chronologiquequi les ramène aux événements cruciaux du XX èmesiècle. Lefort ne saisit pas ces événements afin <strong>de</strong> mettre enplace les bases d’une conception systématique <strong>de</strong>s chosespolitiques, mais <strong>de</strong> prendre la mesure <strong>de</strong> ces situations <strong>de</strong>fait qui sont d’abord <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> pensée. Il s’agit ainsid’œuvrer à la perspective d’une pensée « à l’épreuve » <strong>de</strong>l’événement.Dès son premier article datant <strong>de</strong> 1945, Lefort pose lescontours d’une pensée centrée sur l’interrogation politique.Chez lui, le politique relève <strong>de</strong> la pensée concernant la relationqui existe entre le mo<strong>de</strong> d’exercice du pouvoir et laconfiguration générale <strong>de</strong>s rapports sociaux. Il n’obéit pas àl’ordre <strong>de</strong> la scientificité.Aussi, la société se donne comme un agencement <strong>de</strong> signification,la situant comme « espace d’intelligibilité ». Pour Lefort,il n’y a pas <strong>de</strong> fait en soi que le savoir peut maîtriser.Il n’y a que les faits pour nous, lesquels sont dépendantsd’un système <strong>de</strong> représentation au sein duquel ils reçoiventun sens. Dès lors, penser le politique dans sa dimension sociale,c’est comprendre la société en saisissant son dispositifsymbolique, c’est mettre en signification le jeu d’oppositionen vertu <strong>de</strong> quoi « <strong>de</strong>s figures sociales sont i<strong>de</strong>ntifiables etarticulées les unes aux autres ».Les écrits <strong>de</strong> ce volume sont traversés par la nécessité d’inscrirele discours dans une intentionnalité en articulation àun moment historique afin <strong>de</strong> questionner nos représentations,leur détermination historique et l’idéologie qui « n’estpas simplement interposée comme un écran entre nous et leschoses, mais se trouve imprimée au fond <strong>de</strong> nos pensées ».Dans sa réflexion sur la démocratie mo<strong>de</strong>rne et le totalitarisme,Lefort en vient à l’idée <strong>de</strong> maintenir la société dansune relative absence <strong>de</strong> contours précis et <strong>de</strong> déterminationultime. « L’énigme <strong>de</strong>meure sensible d’une société qui nepossè<strong>de</strong> pas sa définition, qui reste aux prises avec son invention».Pour Lefort, « la démocratie mo<strong>de</strong>rne est le seul régimeà signifier l’écart du symbolique et du réel avec la notiond’un pouvoir dont nul ne saurait s’emparer. Sa vertu est <strong>de</strong>ramener la société à l’épreuve <strong>de</strong> son institution ; là où seprofile un lieu vi<strong>de</strong>, il n’y a pas <strong>de</strong> conjonction possible entrele pouvoir, la loi, le savoir, pas d’énoncé possible <strong>de</strong> leurfon<strong>de</strong>ment ».Dès lors, ce qui rend possible le totalitarisme, c’est la négation<strong>de</strong> ce lieu vi<strong>de</strong> (lieu du pouvoir donné comme instancepurement symbolique) comblé par le fantasme <strong>de</strong> l’unitéorganique et <strong>de</strong> la transparence absolue.À la différence d’Arendt, Lefort ne réduit pas le totalitarismeà un régime déterminé par une idéologie en résonance« à l’idée d’une loi <strong>de</strong> l’histoire ».Penser le totalitarisme implique <strong>de</strong> considérer la relationqu’il entretient avec la démocratie.Se nourrissant <strong>de</strong> la fragilité du système symbolique <strong>de</strong> ladémocratie, le totalitarisme substitue à l’incertitu<strong>de</strong> du politiqueune fiction <strong>de</strong> l’unité qui aurait surmonté les divisionsinternes.Sur la démocratie, le nationalisme ou la dérive ethnicistedu politique, il est difficile <strong>de</strong> ne pas relire les enjeux <strong>de</strong>s<strong>de</strong>rnières élections prési<strong>de</strong>ntielles françaises à la lumière <strong>de</strong>ces textes d’une gran<strong>de</strong> richesse.NB : Clau<strong>de</strong> Lefort, Le temps présent. Écrits 1945-2005, Belin édition, janvier2007, 1048 pp., 42 euros.35


LNA#46 / l'art et la manièreL’actualité <strong>de</strong>s èresPar Corinne MELINHistorienne d’art contemporainPlusieurs manifestations actuelles : « Airs <strong>de</strong> Paris »au Centre George Pompidou à Paris, Dokumenta 12 àKassel, Skulptur Projekte à Munster, etc., interrogentl’espace urbain à la croisée <strong>de</strong> la création et <strong>de</strong> l’individu-habitant.Qu’est-ce qui motive la rencontre entreles disciplines arts plastiques, architecture, <strong>de</strong>sign ?Quelle est la place et la fonction <strong>de</strong> l’expérience danscette mise à l’épreuve <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong> sa périphérie ?Cela entraîne in fine une réflexion sur la nature <strong>de</strong>« l’œuvre », produit <strong>de</strong> ce processus.Posons ici quelques éléments historiques et idées pourstimuler le questionnement. Prenons d’abord appui surl’Internationale Situationniste 1956-1972. Ce mouvementa créé une dynamique urbaine singulière par <strong>de</strong>s situations<strong>de</strong> dérive 1 . Selon Guy-Ernest Debord, le concept <strong>de</strong> dérives’oppose aux notions classiques <strong>de</strong> voyage et <strong>de</strong> promena<strong>de</strong>.Car il est « lié à la reconnaissance d’effets psychogéographiqueset à l’affirmation d’un comportement ludiqueconstructif». En d’autres termes, les personnes qui se livrentà la dérive renoncent à se déplacer selon un but précis, unedirection donnée. Elles « se laissent aller aux sollicitationsdu terrain et <strong>de</strong>s rencontres qui y correspon<strong>de</strong>nt ». Elles selaissent gui<strong>de</strong>r par le « relief psychogéographique <strong>de</strong> la ville», c’est-à-dire sa découpe par quartiers, ses microclimatsou ambiances variées, ses centres d’attractions tels que places,monuments, carrefours, etc. L’individu dérive ainsi enfonction <strong>de</strong>s impressions, <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts, etc., générés par cedécor réel qu’est la ville. En termes situationnistes, il dériveen fonction <strong>de</strong> « la variété <strong>de</strong>s combinaisons possibles d’ambiances(…) qui entraîne <strong>de</strong>s sentiments aussi différenciés etaussi complexes que ceux que peut susciter tout autre forme<strong>de</strong> spectacle ». Pour rendre compte <strong>de</strong> ces dérives urbaines,l’IS produit <strong>de</strong>s cartes que l’on peut qualifier <strong>de</strong> subjectives.Elles sont tracées en fonction <strong>de</strong>s affections provoquées parle cadre urbanistique traversé. À côté <strong>de</strong> la carte contrôléed’un quartier, il existe donc une carte incontrôlée et/ou incontrôlable.« Posée entre <strong>de</strong>ux représentations topographiquesdit Debord, ces cartes (subjectives) peuvent contribuerà éclairer certains déplacements d’un caractère <strong>de</strong> parfaiteinsoumission aux sollicitations habituelles ».Les situations construites par la dérive sont, pour l’IS, <strong>de</strong>sprocédures <strong>de</strong> rupture, d’accélération, <strong>de</strong> détournementpar rapport à l’espace quadrillé <strong>de</strong> la ville. La dérive estun moyen <strong>de</strong> combattre son uniformité et nos habitu<strong>de</strong>s,d’expérimenter le caractère labyrinthique, complexe etaffectif <strong>de</strong> l’espace urbain. L’IS ouvre sur un urbanismeexpérimental.Le collectif Stalker, fondé en 1995, s’inscrit dans cette lignéebien que la dimension politique (activiste) du groupesoit plus modérée que l’IS (l’IS a été très impliqué dans« la révolution <strong>culture</strong>lle » <strong>de</strong> mai 1968). Ce collectif, baséà Rome, est initialement composé d’étudiants en architecture.Depuis, en fonction <strong>de</strong>s projets, il opère avec <strong>de</strong>sdanseurs, <strong>de</strong>s anthropologues, <strong>de</strong>s vidéastes, etc. Leur nomreprend le titre d’un film <strong>de</strong> Tarkowski, « Stalker ». Il enreprend aussi la philosophie. Rappelons l’histoire : Stalkerfait pénétrer en frau<strong>de</strong> un physicien et un écrivain dans unezone interdite, zone dans laquelle serait tombée une météorite.Il les conduit au cœur <strong>de</strong> ce territoire inconnu, dans unechambre où tous les vœux seront exaucés. Ce parcours estpeuplé d’embûches, <strong>de</strong> rites ; il s’effectue dans un décorpeuplé d’un amas d’objets <strong>de</strong> l’ancien mon<strong>de</strong> : vieilles usinesmétallurgiques, carcasses <strong>de</strong> voiture, entrepôts désaffectés,etc. Stalker est donc un passeur, un initiateur, chargé <strong>de</strong>conduire le physicien et l’écrivain dans cette zone inexploréeou cet « entre mon<strong>de</strong> ». Cette traversée permet au réel (lemon<strong>de</strong> d’où ils viennent, le mon<strong>de</strong> connu) <strong>de</strong> s’intensifierau contact <strong>de</strong> l’irréel, <strong>de</strong> cette zone inhabitée. Dans leurmanifeste daté <strong>de</strong> 1995, le collectif Stalker porte en échocette fiction : « employant une métaphore, on peut décrireStalker comme un voyage dans les combles <strong>de</strong> la ville, celieu où la civilisation entrepose <strong>de</strong>s rebuts et sa mémoire etoù naissent <strong>de</strong> nouvelles relations, <strong>de</strong> nouvelles populationset <strong>de</strong> nouveaux dynamismes en continuelle mutation ».La première intervention du collectif s’est déroulée à Romeen 1995 sous la forme d’un parcours en boucle <strong>de</strong> soixantekilomètres. Ce parcours a été entièrement exécuté à piedssur cinq jours. Le groupe est parti d’une gare désaffectéedans le quartier historique nord <strong>de</strong> la ville (où se trouve latombe <strong>de</strong> Néron), puis a traversé <strong>de</strong>s champs, <strong>de</strong>s fleuves,<strong>de</strong>s voies ferrées. Le long <strong>de</strong> ce parcours, il a campésur un terrain <strong>de</strong> football construit par <strong>de</strong>s gens du voyage,dormi en haut d’une colline où <strong>de</strong>s westerns sont tournés oudans le chantier <strong>de</strong> construction d’une roca<strong>de</strong> routière. Legroupe a emprunté <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> traverse : passage entreles mailles d’un grillage, découverte <strong>de</strong> sentiers parmi lesbroussailles, chemins proposés par un paysan, un habitant,etc. Dans le manifeste, le groupe écrit : « si, en effet, auxparcs et aux grands vi<strong>de</strong>s urbains, nous ajoutons tous lesterrains vagues, les marges abandonnées infestées <strong>de</strong> ronces,36


l'art et la manière / LNA#46on peut observer comment le vi<strong>de</strong> ne cesse <strong>de</strong> se ramifierà différentes échelles ». En d’autres termes, la ville contemporainen’est pas simplement une surface quadrillée, ellecomprend <strong>de</strong>s zones d’ombre, <strong>de</strong>s aires marginales et abandonnées.Ces « territoires actuels », comme il les appelle,ont un <strong>de</strong>venir autre, un <strong>de</strong>venir que le collectif Stalker peutimaginer. Les parcours qu’il effectue, ou mieux leurs traversées,permettent <strong>de</strong> connaître le territoire essentiellementpar l’expérience directe et par la marche. « La marche, ditThierry Davila, est une avancée vers l’inconnu, l’inexpérimenté,l’inhabité ; la marche suit le cours <strong>de</strong> l’expérience ».En d’autres termes, l’expérience appelle toujours au <strong>de</strong>vantd’elle-même d’autres expériences.Le collectif gar<strong>de</strong> les traces <strong>de</strong> ces traversées sous la forme <strong>de</strong>vidéos, planisphères, photos, journal, notes, etc. Ces « archives», comme il les appelle, constituent la seule cartographieque l’on ait <strong>de</strong>s territoires traversés. La carte ainsi tracéen’est pas un compte-rendu avec <strong>de</strong>scriptions, relevés topographiquesprécis et détaillés. Elle indique <strong>de</strong>s perceptions,<strong>de</strong>s images, <strong>de</strong>s manques, <strong>de</strong>s fuites, <strong>de</strong>s vi<strong>de</strong>s. « Cueillircette réalité suppose <strong>de</strong>voir se mesurer avec <strong>de</strong>s modalitésdynamiques en mouvement, mouvements capables <strong>de</strong> sectionnerle <strong>de</strong>ssin articulé <strong>de</strong> ce paysage en mille parcourspossibles, les uns différents <strong>de</strong>s autres, sans jamais passerpar un centre ». Le collectif ne cherche donc pas à saturer ceterritoire <strong>de</strong> choses et d’autres, à le transformer. Ce n’est pasun territoire à coloniser ; c’est « un espace parallèle aux dynamiqueset aux structures propres <strong>de</strong> la ville ». Son i<strong>de</strong>ntitéest plurielle, dotée <strong>de</strong> réseaux <strong>de</strong> relations, d’habitants, <strong>de</strong>lieux qui prennent corps le temps <strong>de</strong> l’expérimentation.Alors, enfilons nos baskets pour une traversée <strong>culture</strong>lleproductrice !Photos : Collectif Stalker, Rome, 1995Site du collectif Stalker :http://digilan<strong>de</strong>r.libero.it/stalkerlab/tarkowsky/tarko.html1Internationale Situationniste n° 2, Guy-Ernest Debord, La théorie <strong>de</strong> la dérive,décembre 1958.À noter :- Documenta 12, Kassel jusqu’au 23 septembre 2007- Skulptur projekte, Munster jusqu’au 30 septembre 200737


LNA#46 / questions <strong>de</strong> sciences socialesUn ministère pour la promotion <strong>de</strong> l’ « i<strong>de</strong>ntité nationale »Quelques réflexions anthropologiquesPar Laurent BAZINChargé <strong>de</strong> recherche au CNRS-CLERSÉ, UMR 8019La création, en mai 2007, d’un ministère intitulé <strong>de</strong>l’ « immigration, <strong>de</strong> l’intégration <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationaleet du co-développement » a suscité <strong>de</strong>s réactions qui onteu peu d’échos dans les grands médias nationaux ou régionaux1 . Des débats s’étaient certes déjà engagés durant lacampagne électorale, dont les enjeux ont cependant été peuexplicités. Seule la démission <strong>de</strong>s historiens impliqués dansla Cité Nationale d’Histoire <strong>de</strong> l’Immigration (CNHI), puisla pétition lancée dans Libération 2 , ont permis <strong>de</strong> faire apparaîtrepubliquement une contestation émanant <strong>de</strong> scientifiques.Celle-ci est <strong>de</strong>meurée peu audible dans l’agitationpéri-électorale.Quels précé<strong>de</strong>nts ?Deux types <strong>de</strong> contestation <strong>de</strong> ce ministère émergent et secomplètent. L’un porte sur les attributions du ministère,nouvel instrument <strong>de</strong> politiques dites <strong>de</strong> l’immigration<strong>de</strong> plus en plus répressives <strong>de</strong>puis une trentaine d’années.L’autre vise les significations et les effets induits par l’intitulédu ministère. Sur ce point, à nouveau, <strong>de</strong>ux réactions seprésentent. Tout d’abord, le rapprochement <strong>de</strong>s termes « immigration» et « i<strong>de</strong>ntité nationale » suggère directement etofficiellement que l’ « immigration » menace l’ « i<strong>de</strong>ntité nationale», une idée qui a été historiquement travaillée dansles cercles <strong>de</strong> pensée d’extrême droite et empruntée à <strong>de</strong>sseinpour capter l’électorat du Front National. En secondlieu, l’institutionnalisation <strong>de</strong> l’idée d’ « i<strong>de</strong>ntité nationale »elle-même nourrit les inquiétu<strong>de</strong>s. Un regard historique révèlequ’il n’y a aucun précé<strong>de</strong>nt d’un tel usage politique duthème <strong>de</strong> l’ « i<strong>de</strong>ntité nationale » si ce n’est dans certainespério<strong>de</strong>s particulières <strong>de</strong> l’histoire française 3 . Ce sont lesannées 1890 (affaire Dreyfus) et surtout les années 1930-40 qui ont débouché sur le régime <strong>de</strong> Vichy, sa « révolutionnationale » et sa politique antisémite.Si l’histoire est invoquée à juste titre pour nourrir les discussions,peu <strong>de</strong> commentaires reposent sur une mise enperspective dans une vision globale et comparative duphénomène que représente ce surgissement du nationalismeet <strong>de</strong> la xénophobie au cœur même <strong>de</strong> l’État et <strong>de</strong>s institutionspubliques en France. C’est pourquoi je proposeici quelques pistes d’analyse et <strong>de</strong> réflexions dans ce sens,à partir <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong> mes propres recherches ethnologiques.Mes travaux portent sur la réponse <strong>de</strong>s sociétés àla globalisation à partir d’enquêtes dans <strong>de</strong>s contextes trèsdifférents : la Côte-d’Ivoire, l’ex-bassin minier du Pas-<strong>de</strong>-Calais, l’Ouzbékistan.Côte-d’Ivoire : <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationale à la guerrePrécisons qu’il ne saurait y avoir <strong>de</strong> définition à la notiond’i<strong>de</strong>ntité nationale : c’est une construction imaginaire,qui n’existe que pour autant que <strong>de</strong>s discours, <strong>de</strong>s dispositifsadministratifs, juridiques ou politiques la font exister.En Côte-d’Ivoire, le surgissement <strong>de</strong> l’ « i<strong>de</strong>ntité nationale »peut être précisément daté avec la promulgation d’unnouveau co<strong>de</strong> électoral en 1994. L’enjeu <strong>de</strong> la campagneprési<strong>de</strong>ntielle <strong>de</strong> 1995 pour le successeur du prési<strong>de</strong>ntHouphouët-Boigny (1960-93) était <strong>de</strong> couper l’herbe sousle pied du Front Populaire Ivoirien qui dénonçait le vote<strong>de</strong>s étrangers, et éliminer <strong>de</strong> la compétition l’ancien Premierministre A. D. Ouattara, accusé d’être burkinabè.La question <strong>de</strong> l’ « ivoirité » est <strong>de</strong>venue immédiatement etdurablement le point <strong>de</strong> cristallisation <strong>de</strong>s conflits politiques,a provoqué <strong>de</strong>s divisions en chaîne et conduit six ansplus tard au déclenchement <strong>de</strong> la guerre. La Côte-d’Ivoireétait auparavant un pays, certes non exempt <strong>de</strong> xénophobie,mais où la nationalité n’avait guère d’importance : lesressortissants <strong>de</strong>s pays voisins (environ 25% <strong>de</strong> la populationdans les années 1990) votaient et les gouvernementscomptaient parfois en leur sein <strong>de</strong>s ministres non ivoiriens.Chacun <strong>de</strong>s grands groupes ethniques qui composaient lepays était supposé être venu <strong>de</strong>s pays voisins. L’ « ivoirité »inversait brusquement la situation en fixant que le principe<strong>de</strong> légitimité du pouvoir était l’autochtonie. La question– que l’on supposerait naïvement administrative – <strong>de</strong>savoir qui détenait légitimement la nationalité ivoirienneétait un enjeu électoral décisif, et s’est révélée un facteur <strong>de</strong>trouble et <strong>de</strong> division. La politisation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationalefaisait porter sur <strong>de</strong>s franges entières <strong>de</strong> la populationle soupçon ou l’accusation <strong>de</strong> ne pas être « véritablement »ivoiriennes. Le cas singulier <strong>de</strong> la Côte-d’Ivoire fait apparaître<strong>de</strong> façon exemplaire un phénomène <strong>de</strong> mise encause à l’infini <strong>de</strong> la légitimité <strong>de</strong> l’appartenance nationalevalable aussi bien en Ouzbékistan qu’en France, tout simplementparce que la question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité « vraie » est,par nature, insoluble.Ouzbékistan : l’idéologie « nationale » comme support<strong>de</strong> dictatureL’Ouzbékistan se présente comme un autre cas d’école.Pour cette ancienne république soviétique d’Asie Centrale<strong>de</strong>venue indépendante en 1991, la fin <strong>de</strong> l’URSS a eu toutd’abord comme conséquence l’effondrement <strong>de</strong> l’économie.38


questions <strong>de</strong> sciences sociales / LNA#46Sur le plan politique et idéologique, le nouvel État s’est trouvéprivé <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong> sa légitimité puisque l’État central et leparti communiste, dont il était l’émanation, avaient disparud’eux-mêmes. Ancien secrétaire du parti communiste national,le Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République est rapi<strong>de</strong>ment passé à unnationalisme qu’il a fallu inventer : dans l’un <strong>de</strong> ses nombreuxouvrages, il théorise la nécessité d’une idéologie d’Étaten remplacement <strong>de</strong> l’idéologie communiste. L’ « idéologienationale » (au sens <strong>de</strong> l’idéologie <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationale ouzbèke)est donc <strong>de</strong>venue le grand chantier intellectuel auquelles chercheurs <strong>de</strong> toutes les disciplines <strong>de</strong>s sciences humainessont contraints <strong>de</strong> contribuer. D’une manière qui pourraitparaître caricaturale, il s’agit <strong>de</strong> produire l’autochtonie <strong>de</strong>l’État en « prouvant » l’éternité <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité ouzbèke sur sonterritoire actuel, masquant ainsi que l’une et l’autre sont uneproduction soviétique 4 . De plus en plus autoritaire, le régimequi se révèle l’une <strong>de</strong>s dictatures les plus répressives au mon<strong>de</strong>repose sur la conjonction <strong>de</strong> la terreur qu’il fait régner 5 et <strong>de</strong>la création idéologique <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationale ouzbèke. Issu<strong>de</strong> l’empire soviétique, qui avait à la fois créé et mélangé les« nationalités », l’Ouzbékistan tente aujourd’hui <strong>de</strong> dissocier<strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités intimement mêlées, provoquant à son tour unemise en cause potentiellement infinie <strong>de</strong> la « vraie » appartenance<strong>de</strong> chacun.Comme en Côte-d’Ivoire, comme en France aussi, cetexemple pose avec acuité une double question. La premièreest celle <strong>de</strong> la participation <strong>de</strong>s scientifiques, dont les positionssociales sont fragilisées, à l’entreprise <strong>de</strong> création et<strong>de</strong> valorisation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationale. La secon<strong>de</strong> concernel’adhésion populaire réelle à l’exaltation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationale,en dépit d’une défiance manifeste envers l’État et <strong>de</strong>l’élaboration d’une image <strong>de</strong> soi très négative (la blague laplus répandue dit <strong>de</strong>s Ouzbeks qu’ils ne sont même plus<strong>de</strong>s moutons, mais désormais <strong>de</strong>s poissons, face à l’oppressionpolitique). Le paradoxe n’est qu’apparent : le discours<strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationale, appelé au renfort d’un pouvoir illégitime,fonctionne parce qu’il vient signifier à chacun uneréhabilitation, à la fois personnelle et <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la société,face à la conscience d’une situation <strong>de</strong> déclin prononcée– au prix <strong>de</strong> la cohésion <strong>de</strong> la société dans son ensemble,qu’il fragmente et déstabilise.Répression <strong>de</strong> l’immigration et promotion <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntiténationale en FranceLa création en France d’un ministère en charge <strong>de</strong> promouvoir« l’i<strong>de</strong>ntité nationale » a <strong>de</strong>s résonances singulièresaprès l’évocation <strong>de</strong> l’exemple ouzbékistanais. Pour inquiétantequ’elle soit, cette innovation institutionnelle a le mérited’apparaître comme une explicitation <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong>spolitiques dites d’immigration suivies <strong>de</strong>puis une trentained’années, et qui se traduisent par un renforcement interrompu<strong>de</strong>s dispositifs législatifs et policiers <strong>de</strong> répression et<strong>de</strong> criminalisation <strong>de</strong>s migrants. De fait, en France commedans les pays européens en général, <strong>de</strong>puis plus d’une vingtained’années, la figure <strong>de</strong> l’étranger a envahi sous <strong>de</strong> multiplesfacettes le champ <strong>de</strong>s débats politiques, notammentsous les traits imaginaires – que certains discours politiquesassimilent – <strong>de</strong> l’immigré illégal (qu’il faut refouler), <strong>de</strong>s« jeunes <strong>de</strong> banlieues » (mal intégrés) menaçant <strong>de</strong> troublel’ordre public, et <strong>de</strong> l’islamisme défiant les « valeurs <strong>de</strong>la République », etc. Dans le cas précis <strong>de</strong> la France, dontle gouvernement invente à son tour « l’i<strong>de</strong>ntité nationale »,tout laisse supposer que ce nouveau dispositif idéologiqueva permettre une plus gran<strong>de</strong> adhésion au renforcement <strong>de</strong>srépressions qui portent en particulier sur ces trois figures(le clan<strong>de</strong>stin, le « jeune » et l’islamiste) tout en accentuantles mises en cause et les soupçons sur la légitimité <strong>de</strong> l’appartenanceà la société française <strong>de</strong> franges entières <strong>de</strong> lapopulation, notamment dans les couches populaires.Enfin, gageons que les chercheurs <strong>de</strong> différentes disciplines<strong>de</strong>s sciences humaines – historiens, ethnologues, sociologues,politologues, géographes, etc. –, notamment parl’intermédiaire <strong>de</strong>s appels d’offre <strong>de</strong>venus plus stratégiquespour le financement <strong>de</strong>s recherches et <strong>de</strong>s laboratoires, vontêtre invités à participer activement à la définition et à lapromotion <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité nationale.1On trouvera sur ce site http://www.afa.msh-paris.fr le communiqué <strong>de</strong> l’AssociationFrançaise <strong>de</strong>s Anthropologues auquel se sont associées d’autres associations d’anthropologieet <strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong>s migrations.2Voir leur site : http://www.upolin.org, on trouvera également un dossier sur le sitedu Réseau scientifique TERRA (Travaux, Étu<strong>de</strong>s, Recherches sur les Réfugiés etl’Asile), http://terra.rezo.net.3Voir G. Noiriel : Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIX ème -XX ème siècles).Discours publics, humiliations privées, Paris, éd. Fayard, 2007.4O. Roy : La nouvelle Asie centrale, ou la fabrication <strong>de</strong>s nations, Paris, éd. Seuil, 1997.5Le 13 mai 2005, pour écraser définitivement toute velléité <strong>de</strong> provoquer en Ouzbékistanune « révolution <strong>de</strong> couleur », comme cela s’était produit au Kirghizstanvoisin, le gouvernement a fait tirer à la mitrailleuse sur une foule pacifique réunie<strong>de</strong>vant l’hôtel <strong>de</strong> ville d’Andidjan, massacrant entre 500 et 1000 personnes.39


LNA#46 / libres proposLes enjeux éthiques <strong>de</strong> la recherche aux interfacesNano/Bio/InfoVers la création d’un espace <strong>de</strong> réflexion éthiquePar Bernard VANDENBUNDERDirecteur <strong>de</strong> recherche au CNRSL’éthique est souvent perçue comme une espèce <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>fou,un ensemble <strong>de</strong> règles imposées aux chercheurs parles comités d’éthique. Cette attitu<strong>de</strong> selon laquelle l’éthiqueserait pensée à l’extérieur du laboratoire n’est pas satisfaisante 1 .Selon Didier Sicard, prési<strong>de</strong>nt du Comité Consultatif Nationald’Éthique, l’éthique serait un « alibi » <strong>de</strong>s pays duNord pour se donner bonne conscience… Une autre attitu<strong>de</strong>est possible. Elle est suggérée par Blaise Pascal qui écrivait« Travailler à bien penser, c’est le principe <strong>de</strong> l’éthique ».Et par Emmanuel Levinas, qui entend par éthique non pasune recherche <strong>de</strong> perfectionnement ou d’accomplissementpersonnel, mais la responsabilité à l’égard d’autrui à laquellele moi ne peut échapper. Penser leur travail dans le cadre<strong>de</strong> la société et du mon<strong>de</strong> fait partie aujourd’hui <strong>de</strong> la responsabilité<strong>de</strong>s chercheurs. Nous voulons « favoriser la prise<strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s chercheurs concernés, tant au sein <strong>de</strong>slaboratoires qu’en direction du public, afin que la liberté<strong>de</strong> la recherche, si fondamentale pour la créativité, soit accompagnéed’un sens aigu <strong>de</strong>s responsabilités individuelles etsociales », écrit le Comité d’Éthique du CNRS (COMETS)dans son avis sur les enjeux éthiques <strong>de</strong>s nanosciences etnanotechnologies 2 .Il faut établir les conditions pour que la réflexion éthiquepuisse émerger <strong>de</strong> la pratique scientifique. Une telle réflexionest indispensable aujourd’hui pour accompagner toute pratiquescientifique, pour comprendre le mon<strong>de</strong> et mieux l’habiter.Loin <strong>de</strong> la limiter, cette réflexion sollicite la créativité <strong>de</strong>schercheurs.Réfléchir <strong>de</strong> façon globale les bonnes pratiques <strong>de</strong> laboratoireet la gestion <strong>de</strong>s risquesBeaucoup <strong>de</strong> chercheurs pensent que leur travail a peu <strong>de</strong>choses à voir avec l’éthique parce qu’ils sont confrontés à <strong>de</strong>squestions fondamentales auxquelles ils apportent <strong>de</strong>s solutionstechniques ou méthodologiques. L’éthique concerneraitalors la gestion <strong>de</strong>s risques, le respect <strong>de</strong>s consignes <strong>de</strong>prévention et les questions posées par la propriété intellectuelle<strong>de</strong>s résultats. Cette vision ne prend pas en compteles conditions actuelles <strong>de</strong> la recherche : le brouillage <strong>de</strong>sfrontières entre recherche fondamentale et appliquée et laprise directe <strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> recherche sur l’actualitééconomique, médicale, sociale et politique (cf. le slogan <strong>de</strong>sCancéropoles « la recherche du mala<strong>de</strong> au mala<strong>de</strong> »). Biensouvent, les chercheurs sont amenés à justifier les investissementsimportants que nécessitent leurs travaux en généralisantrapi<strong>de</strong>ment les concepts, en extrapolant les résultatsobtenus dans le laboratoire sans tenir compte <strong>de</strong> la complexité<strong>de</strong>s problèmes posés par cette actualité.La « convergence » entre les nanotechnologies, les biotechnologies,les sciences <strong>de</strong> l’information et les neurosciences(NBIC) a été présentée aux États-Unis comme un moyend’augmenter les performances humaines ! « Depuis le début,tous les fantasmes, les illusions, les lobbys se mélangentavec les démarches proprement scientifiques », écrivaitAxel Kahn à propos <strong>de</strong>s travaux sur les cellules souches embryonnaires,lorsqu’une commission d’enquête révélait queles lignées du Pr Hwang Woo-Suk étaient falsifiées. Dansce domaine comme pour les nanosciences, les annoncessensationnelles et prématurées, les scénarios <strong>de</strong> science fiction,qui permettent <strong>de</strong> lever <strong>de</strong>s fonds pour la recherche,engendrent <strong>de</strong>s difficultés et altèrent <strong>de</strong> façon dramatiquela perception <strong>de</strong> la recherche scientifique par le public. Lesrègles <strong>de</strong> base <strong>de</strong> l’éthique qui « spécifie le comportementdu chercheur en matière <strong>de</strong> publication et d’évaluation…– universalisme, communalisme, désintéressement, scepticismeorganisé – se trouvent <strong>de</strong> moins en moins praticables étantdonné le climat <strong>de</strong> compétition et les enjeux industriels et militairesqui sous-ten<strong>de</strong>nt la recherche en nanosciences » 3 .Les chercheurs ont la responsabilité <strong>de</strong> refuser les raccourcis,<strong>de</strong> préciser les limites <strong>de</strong>s modèles qu’ils utilisent dans lelaboratoire dans <strong>de</strong>s conditions reproductibles pour faire lapreuve d’un concept. Ils doivent élargir leur vision aux statuts,aux usages, au <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> leur recherche etprendre en compte les dimensions économiques, politiqueset <strong>culture</strong>lles <strong>de</strong>s problèmes qu’ils sont supposés résoudre.I<strong>de</strong>ntifier les « œillères conceptuelles »L’éthique invite aussi à réfléchir sur les représentations duvivant, les valeurs et les fins attachées à la recherche. Dansson livre « La vie est belle », Stephen J. Gould montre commentCharles D. Walcott, un éminent paléontologue, s’esttrompé totalement sur la nature et la signification <strong>de</strong>s fossilesqu’il avait trouvés parce qu’il considérait l’évolutioncomme « une montée régulière <strong>de</strong> l’excellence, <strong>de</strong> la complexitéet <strong>de</strong> la diversité ». L’histoire <strong>de</strong> cette méprise illustremagistralement comment « les préconceptions théoriquesexercent une emprise subtile et inévitable sur l’observation<strong>de</strong>s faits. La réalité ne se présente pas à nous en toute objectivité,et aucun scientifique n’est libre <strong>de</strong> contraintes issues<strong>de</strong> son psychisme et <strong>de</strong> la société. La plus gran<strong>de</strong> entrave au40


libres propos / LNA#46progrès <strong>de</strong> la science provient très souvent d’œillères conceptuelleset non pas du manque <strong>de</strong> données ».Ce qui était vrai pour les fossiles du pré Cambrien estvrai pour les données générées par les techniques dites« à haut débit » qui résultent <strong>de</strong> l’association <strong>de</strong> la biologiemoléculaire, <strong>de</strong>s micro-technologies et <strong>de</strong> l’informatique.Aujourd’hui, les biologistes « croulent » sous <strong>de</strong>smasses <strong>de</strong> données considérables. Ils n’ont plus le temps<strong>de</strong> « dialoguer » avec elles. On a prétendu que la biologie« post-génomique » était enfin une science sans hypothèsesparce qu’elle donnait une vision globale du vivant ! C’estbien souvent une biologie qui ignore le caractère stochastique<strong>de</strong>s événements moléculaires, la plasticité du vivant,« la générosité ironique et baroque qui caractérise toutemanifestation vitale » 4 . En travaillant avec eux, en définissantprécisément les mots étudiés, en proposant uncertain nombre <strong>de</strong> distinctions conceptuelles qui permettent<strong>de</strong> poser les problèmes, leurs collègues philosopheset historiens peuvent ai<strong>de</strong>r les biologistes à lever la têtedu guidon, à expliciter les représentations du vivant sousjacentesà leur travail, à i<strong>de</strong>ntifier ces œillères conceptuellesqui les mèneront à <strong>de</strong>s impasses. Ils ouvriront undébat indispensable sur ce que peut signifier « augmenterles performances humaines » par les NBIC !à expliciter leur problématique, à réfléchir sur la pratique <strong>de</strong>leur métier, à i<strong>de</strong>ntifier les tensions qui sont à l’œuvre dansleur domaine. Dans ces réunions, les chercheurs du Centred’Éthique, <strong>de</strong>s philosophes, <strong>de</strong>s sociologues, <strong>de</strong>s historiens<strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s juristes apportaient un regard extérieur,une mise en perspective. Après avoir travaillé dans leur laboratoiresur le contenu <strong>de</strong>s discussions, ils ont établi <strong>de</strong>spoints d’appui théorique et proposé <strong>de</strong>s critères <strong>de</strong> discernementéthique, critères que les chercheurs ont été invités àmettre à l’épreuve.C’est sur la base <strong>de</strong> cette expérience qu’un espace <strong>de</strong> réflexionéthique sur les interfaces Nano/Bio/Info pourraitêtre mis en route : à partir <strong>de</strong> conférences sur la démarcheéthique dans la recherche, histoire <strong>de</strong> « planter le décor » ;puis à partir d’un séminaire trimestriel <strong>de</strong> réflexion surl’une ou l’autre <strong>de</strong>s questions soulevées par ces conférencessur les pratiques <strong>de</strong> recherche dans nos laboratoires.1Lire par exemple Wolpe PR., 2006, Reasons scientists avoid thinking about ethics,Cell, 125 : 1023-1025.2http://www.cnrs.fr/fr/presentation/ethique/comets/docs/comportement_070226.pdf3Rapport COMETS, p 17.4Elie Bernard Weil, L’Arc et la cor<strong>de</strong>, 1975.Vers la création d’un espace <strong>de</strong> réflexion éthiqueCette analyse suggère que l’éthique pour la recherche n’estpas simplement une affaire <strong>de</strong> déontologie personnelle, unequestion <strong>de</strong> bon sens. La réflexion éthique n’est pas un luxeréservé à <strong>de</strong>s scientifiques bien établis, lorsqu’ils arrivent auterme <strong>de</strong> leur carrière. La réflexion éthique concerne tousles acteurs <strong>de</strong> la recherche.Le comité d’éthique du CNRS appelle à « la création d’espaceséthiques dans les centres <strong>de</strong> recherches, qui soient <strong>de</strong>slieux <strong>de</strong> discussion et <strong>de</strong> débat, où chercheurs, ingénieurset techniciens s’exercent à la prise <strong>de</strong> parole, au débat, avecla participation <strong>de</strong> spécialistes <strong>de</strong> sciences humaines etsociales ».Il y a dix ans, le Centre d’Éthique Médicale (Départementd’Éthique <strong>de</strong> l’Université Catholique <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>) a initié unprogramme <strong>de</strong> recherche sur les enjeux éthiques <strong>de</strong>s recherchesbiomédicales. Dans ce cadre, il a organisé <strong>de</strong>s groupes<strong>de</strong> réflexion qui réunissaient <strong>de</strong>s personnes issues <strong>de</strong> différentsservices <strong>de</strong> l’Institut Pasteur <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>, puis <strong>de</strong> différentslaboratoires <strong>de</strong> la Génopole. Les participants étaient invitésJe tiens à remercier les chercheurs du Centre d’Éthique Médicale <strong>de</strong> l’UniversitéCatholique <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> dont les travaux ont inspiré cet article.« Ce que j’aime bien dans ce travail <strong>de</strong> savant philosophe,c’est que je n’ai pas besoin <strong>de</strong> me salir les mains ».Sydney Harris, ScienceCartoonsPlus.com41


LNA#46 / au programme : ouverture <strong>de</strong> saisonOuverture <strong>de</strong> saison 07-08Jeudi 4 octobre 200718h : présentation <strong>de</strong> la saison et <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> pratiques artistiques19h : spectacle Un brin d’Barbara20h : cocktailOuverture à l’aventure <strong>de</strong> la pensée, à l’univers illimité <strong>de</strong> la connaissance.Avec les Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> et ces multiples rencontres et questionnementssur le passé et le présent <strong>de</strong> l’aventure universelle <strong>de</strong> l’esprit. Ouverture àtoutes les sensibilités par une programmation artistique. Le théâtre, la danse, lamusique, l’image sont intimement liés à la démarche scientifique. Ils interagissentet sont connectés dans le même espace-temps, ils se nourissent l’un <strong>de</strong> l’autre.Cette nouvelle saison est dédiée à <strong>de</strong>ux questions essentielles qui traversent le siècle,qu’est-ce que la matière, qu’est-ce que la frontière ?Le cycle <strong>de</strong>s Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> consacré à la frontière sera magnifié par uneexposition co-produite par le Muséum <strong>de</strong> Lyon et le Centre <strong>de</strong> Culture Contemporaine<strong>de</strong> Barcelone. L’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL sera le troisième point d’accrochage<strong>de</strong> cette exposition en Europe. C’est démontrer aussi le rayonnement international<strong>de</strong> ce foyer vivant <strong>de</strong> l’Art et <strong>de</strong> la Pensée que constitue l’<strong>Espace</strong> Culture<strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1.Pour fêter ces multiples ouvertures, nous avons souhaité mettre l’accent sur uneautre dimension <strong>de</strong> l’<strong>Espace</strong> Culture, son engagement dans une active et convivialeaction avec l’Université et l’agglomération en accueillant un spectacle musical, Unbrin d’Barbara, chorégraphié pour trois voix et un piano, proposé par la compagnieEmmanuelle Bunel.Un brin d’BarbaraPar la Compagnie Emmanuelle BunelConception, arrangements vocaux,mise en espace : Emmanuelle BunelComédiens-chanteurs : FlorenceBisiaux, Willy Claeyssens, SamiraMamèchePiano : Stefan Orins / Franck DhersinCompagnie subventionnée par le ConseilRégional et la DRAC Nord-Pas <strong>de</strong>Calais.Femme et artiste.Femme <strong>de</strong> voix et <strong>de</strong> mots. Oscillantsans cesse entre la mélancolie et laraillerie, le léger et le drame.La puissance <strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> Barbara,ses élans <strong>de</strong> mélancolies, d’amour, <strong>de</strong>tristesse, <strong>de</strong> vérité, ses engagements.Jeux d’approches, chassés-croisés,corps qui se frôlent, s’échappent, serejoignent.Les trois interprètes <strong>de</strong> la compagnieEmmanuelle Bunel vous transporterontdans un univers tour à tourdrôle, tendre, nostalgique.Un brin d’Barbara pour se promener<strong>de</strong> rive en rive, le rire en coin…Emmanuelle BunelAteliers, stages, workshops> Inscriptions dès le 4 octobreJAZZ WORKSHOPDirection artistique : Olivier BenoitL’orchestre du workshop, dirigé par OlivierBenoit*, recherche <strong>de</strong>s musiciensd’un niveau confirmé ou très motivés,venus d’horizons divers (classique, rock,jazz) pour sa création 2007-2008.Vous apportez au groupe vos propresconnaissances, le bagage jazz n’est absolumentpas une obligation. Improvisation,rythme, écriture, travail engroupe, élaboration d’un répertoire, interprétation<strong>de</strong>s morceaux écrits par lesétudiants et par Olivier Benoit, sessionsd’enregistrement, vous explorerez toutesles facettes <strong>de</strong> la création. Depuis l’existence<strong>de</strong> l’orchestre, <strong>de</strong>ux disques ontété enregistrés.Le lundi <strong>de</strong> 17h à 21hReprise le lundi 8 octobre* Pour plus d’informations : obenoitmusic@free.frhttp://obenoitmusic.free.frATELIER D’EXPRESSIONPHOTOGRAPHIQUEDirection artistique : Antoine Petitprezet Philippe Timmerman« Dépasser les bornes »L’atelier photographique s’inscrit cetteannée dans la problématique du cycle« Frontières » développée par l’<strong>Espace</strong>Culture.Dépasser les bornes, un thème qui offre<strong>de</strong> nombreuses pistes <strong>de</strong> réflexionet <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> vues, la première étantla frontière entre le réel et la photographie.Parmi les multiples usages <strong>de</strong>la photographie, celui qui intéresseratout particulièrement l’atelier est lesens poétique et artistique qui implique<strong>de</strong> dépasser <strong>de</strong>s limites.Amorcer une réflexion, définir les projets42


au programme : ouverture <strong>de</strong> saison / LNA#46photographiques <strong>de</strong>s participants, apporter<strong>de</strong>s connaissances techniquesdans les domaines <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> vueet du tirage en laboratoire argentique,telles seront les premières approches<strong>de</strong> l’atelier.Ensuite, les participants seront invitésà franchir <strong>de</strong>s bornes, exprimer unpoint <strong>de</strong> vue en produisant <strong>de</strong>s images,qu’ils partageront avec vous, letemps d’une exposition, en clôture ducycle « Frontières » <strong>de</strong>s Ren<strong>de</strong>z-vousd’Archimè<strong>de</strong>.Le mercredi <strong>de</strong> 18h à 21hReprise le mercredi 17 octobreATELIER THÉÂTREDirection artistique : Jean-MaximilienSobocinskiDurant cet atelier, les participantstenteront, improviseront afin <strong>de</strong> se dirigervers le texte.Le texte comme support,Le texte comme une idée « <strong>de</strong> départ».Pour aller où ?Le texte comme prétexte. Pour découvrir,redécouvrir, inventer et prendrele temps.Nous imaginerons notre salle <strong>de</strong>s pasperdus.Avec un texte contemporain commepoint <strong>de</strong> départ.Nous prendrons le temps du théâtre,notre temps et prendrons le trainpour passer la frontière…Le lundi <strong>de</strong> 19h à 21h30Reprise le lundi 22 octobreÉCRITUREDirection artistique : François FaironUne thématique déclinée sous <strong>de</strong> multiplesformes : la frontière.La frontière dans son sens littéral, untracé, naturel ou artificiel, délimitant<strong>de</strong>ux états souverains. Mais aussi, etsurtout, la frontière comme une séparation,qui confine, enferme, que l’onfrôle, dont on s’affranchit.Des orientations insoupçonnées naîtrontau gré <strong>de</strong> l’inspiration et dudésir <strong>de</strong>s participants.Un atelier d’écriture pour s’essayer àl’écriture, jouer avec les mots, les sens,les sensibilités.Des textes à mettre en voix, à partagerau sein du groupe.Un atelier qui cherchera <strong>de</strong>s liens avecles autres ateliers – théâtre, photo, musique– pour se donner à lire, à entendre,à voir par un public plus large.Le mardi <strong>de</strong> 19h à 21h30Reprise le mardi 9 octobre__________INSCRIPTIONSDans la limite <strong>de</strong>s places disponibles,l’inscription <strong>de</strong> participants extérieurs àl’USTL sera envisagée.TARIFSÉtudiants et personnels USTL1 atelier : 30 euros / 2 ateliers : 50 euros /3 ateliers : 70 eurosExtérieurs1 atelier : 50 euros / 2 ateliers : 80 euros /3 ateliers : 100 eurosPaiement uniquement par chèque à l’ordre<strong>de</strong> l’Agent Comptable <strong>de</strong> l’USTL.DANSELes membres du collectif danse w2YD(site http://w2yd.free.fr), en rési<strong>de</strong>nceà l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong>puis novembre2006, proposent pour l’année 2007-2008 <strong>de</strong>s ren<strong>de</strong>z-vous d’ateliers chorégraphiques.1 - Atelier État <strong>de</strong> corps : mené parAlice LefrancÀ la croisée <strong>de</strong> ses différentes pratiques,Alice Lefranc vous proposera <strong>de</strong> développerune mise en condition propice àla recherche chorégraphique. Vous vousfamiliariserez avec votre propre schémacorporel, les sensations <strong>de</strong> poids ducorps et le contact.Interprète dans plusieurs projets (Vivatd’Armentières, Danse à <strong>Lille</strong>, <strong>Espace</strong>Culture <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1…), Alice Lefranc estaujourd’hui chorégraphe. Elle a abordé,au cours <strong>de</strong> nombreux stages, différentestechniques (Fel<strong>de</strong>nkrais, Alexan<strong>de</strong>r,Yoga) en parallèle d’une pratique avancée<strong>de</strong> l’Aïkido. C’est à partir <strong>de</strong> ces différentesapproches qu’elle développe sonlangage chorégraphique.Blog : http://onlineblog.fr/alicelefranc.php2 - Atelier Rencontres improviséesCet atelier se veut être une plateforme<strong>de</strong> rencontres entre musiciens et danseurs(comédiens, vidéastes, artistesplastiques). Ces rencontres seront l’occasion<strong>de</strong> croiser différentes approches<strong>de</strong> l’improvisation et visent l’échange<strong>de</strong> pratiques artistiques. Elles serontorganisées en collaboration avec lescentres et les groupes d’artistes intervenantà l’<strong>Espace</strong> Culture.Ateliers <strong>de</strong> danse gratuits et ouverts àtous (débutants - confirmés), les samedisaprès-midi, en alternance. Inscriptions etrenseignements au 03 20 43 69 09.À noterForum <strong>de</strong>s associationsétudiantes <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1> Jeudi 8 novembre à partir <strong>de</strong> 18hEn partenariat avec le Bureau <strong>de</strong> laVie Étudiante <strong>de</strong> l’USTL43


LNA#46 / au programme / réflexion-débat© Patrick Bard / editingserver.comCycle Les frontièresOctobre 2007 – mai 2008RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDEu Conférence introductiveMardi 9 octobre à 18h30Avec Patrick Picouet, Géographe,maître <strong>de</strong> conférences à l’USTL,chargé <strong>de</strong> cours à l’IEP <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> etJean-Pierre Renard, Vice-prési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> l’Université d’Artois, professeur<strong>de</strong>s Universités en géographie, directeurdu département <strong>de</strong> géographie àl’Université d’Artois.Animée par Nabil El-Haggar, Viceprési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> l’USTL, chargé <strong>de</strong> laCulture, <strong>de</strong> la Communication et duPatrimoine Scientifique.u L’actualité <strong>de</strong> la frontièreMardi 20 novembre à 18h30Par Clau<strong>de</strong> Raffestin, Professeur honoraire<strong>de</strong> géographie, Université <strong>de</strong>Genève.Animée par Patrick Picouet.u Frontières européennesMardi 29 janvier à 18h30Par Michel Foucher, Géographe,professeur <strong>de</strong> géopolitique à l’ÉcoleNormale Supérieure.Animée par Jean-Pierre Renard.u Détroits internationauxMardi 26 février à 18h30Par Vincent Herbert, Maître <strong>de</strong>conférences en géographie, membredu laboratoire <strong>de</strong> recherche « Institut<strong>de</strong>s Mers du Nord », Universitédu Littoral Côte d’Opale.Animée par Patrick Picouet.u Frontières et eauxMardi 11 mars à 18h30Par Jacques Bethemont, Professeurémérite, Université Jean Monnet,Saint-Etienne.Animée par Patrick Picouet.u Frontière et vécuMardi 13 mai à 18h30Par Claudio Magris, Écrivain, germaniste,professeur à la Faculté <strong>de</strong> lettres<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Trieste.Animée par Patrick Picouet.u Quel avenir pour le mon<strong>de</strong> ?Mardi 27 mai à 18h30Par Edgar Morin (sous réserve),Directeur <strong>de</strong> recherche émérite auCNRS, docteur honoris causa.Animée par Nabil El-Haggar.Remerciements à Sabine Duhamel, Peggy Hellequin,Vincent Herbert, François Moullé, PatrickPicouet et Jean-Pierre Renard pour leur participationà l’élaboration <strong>de</strong> ce cycle.Plus d’informations :www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>Programme détaillé disponible à l’<strong>Espace</strong>Culture.u Frontière et mondialisationMardi 11 décembre à 18h30Par Béatrice Giblin, Géographe, directrice<strong>de</strong> l’Institut Français <strong>de</strong> Géopolitiqueà l’Université <strong>de</strong> Paris VIII,co-directrice <strong>de</strong> la revue Hérodote.Animée par Patrick Picouet.u Mondialisation et santéMardi 8 janvier à 18h30Par Alain Vaguet, Maître <strong>de</strong> conférencesà l’Université <strong>de</strong> Rouen, département<strong>de</strong> géographie, responsable<strong>de</strong> l’axe Santé-Risque du laboratoireUMR CNRS IDEES.Animée par Sabine Duhamel, Maître<strong>de</strong> conférences en géographie, Universitédu Littoral Côte d’Opale.u Les frontières dans la ville enAfrique du SudMardi 1 er avril à 18h30Par Philippe Gervais-Lambony,Géographe, professeur à l’Université <strong>de</strong>Paris X-Nanterre, laboratoire Gecko.Animée par Peggy Hellequin, Géographe,Université du Littoral Côted’Opale.u Frontières spatiales, limites socialesen Asie Centrale, entre le visibleet l’invisibleMardi 29 avril à 18h30Par Catherine Poujol, Professeurà l’Institut National <strong>de</strong>s Langues etCivilisations Orientales (INALCO),Paris, histoire et civilisation <strong>de</strong> l’AsieCentrale.Animée par Vincent Herbert.44


au programme / réflexion-débat / LNA#46Vue intérieure d’un four à plasma au Laboratoire <strong>de</strong> Structureet Propriétés <strong>de</strong> l’Etat Soli<strong>de</strong> (LSPES)Photo : Eric Bross - Cellule communication - USTLCycle À propos <strong>de</strong> la scienceOctobre 2007 – mai 2008CAFÉS-SCIENCESu Le vote électroniqueJeudi 11 octobre à 18h30Avec Chantal Enguehard, Maître <strong>de</strong>conférences en informatique à l’Université<strong>de</strong> Nantes et Jacques Traoré,Expert senior, France Télécom, DivisionRecherche & Développement.Animé par Éric Wegrzynowski,Professeur agrégé <strong>de</strong> mathématiquesà l’UFR d’IEEA, USTL.u Le climatJeudi 13 décembre à 18h30Avec Yves Fouquart, Physicien, professeurémérite <strong>de</strong> l’USTL et Clau<strong>de</strong>Kergomard, Professeur et directeurau département <strong>de</strong> géographie, ENS,Paris.Animé par Caroline Norrant (sousréserve), Maître <strong>de</strong> conférences engéographie, USTL.u La frontière <strong>de</strong>s sciences, pseudosciencesJeudi 7 février à 18h30Avec Rudolf Bkouche, Professeurémérite <strong>de</strong> l’USTL, Bernard Joly,Professeur <strong>de</strong> philosophie et d’histoire<strong>de</strong>s sciences à l’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 3 etJean-Paul Krivine, Rédacteur en chef<strong>de</strong> Science et pseudo-sciences (AFIS).Animé par Rudolf Bkouche.u Expertise et démocratieJeudi 24 avril à 18h30Avec Roland Schaer, Agrégé <strong>de</strong> philosophie,directeur Sciences et société à laCité <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong> l’industrie,Paris et Gérard Toulouse, Directeur<strong>de</strong> recherche à l’ENS, Paris.Animé par Jean-Paul Delahaye, Professeurd’informatique à l’USTL, LIFL.CONFÉRENCESu Comment penser les sciences ?Mardi 23 octobre à 18h30Par Dominique Pestre, Directeurd’étu<strong>de</strong>s à l’EHESS, Paris.Animée par Nabil El-Haggar, Viceprési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> l’USTL.u L’évaluation <strong>de</strong> la scienceMardi 27 novembre à 18h30Par Pierre Joliot, Professeur honoraireau Collège <strong>de</strong> France, membre <strong>de</strong>l’Académie <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> France.Animée par Bernard Pourprix, Physicienet historien <strong>de</strong>s sciences, USTL.u Le rôle <strong>de</strong> la théologie naturelledans la naissance <strong>de</strong> la scienceclassiqueMardi 15 janvier à 18h30Par Robert Locqueneux, Professeurémérite à l’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1, UMRSavoirs, Textes & Langage, Centred’histoire <strong>de</strong>s sciences et épistémologie<strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1.Animée par Rémi Franckowiak,Maître <strong>de</strong> conférences en histoire <strong>de</strong> laphysique et <strong>de</strong> la chimie, USTL.u Contre la pensée unique enbiologieMardi 18 mars à 18h30Par Michel Morange, Professeur<strong>de</strong> biologie à l’ENS et à l’UniversitéParis VI, directeur du Centre Cavaillesd’histoire et <strong>de</strong> philosophie<strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l’ENS.Animée par Gilles Denis, Maître <strong>de</strong>conférences en histoire et épistémologie<strong>de</strong>s sciences du vivant, USTL.u La science spéculative ?Mardi 20 mai à 18h30Par Jean-Paul Delahaye, Professeurd’informatique à l’USTL, LIFL.Animée par Rudolf Bkouche.Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-Paul Delahaye,Ahmed Djebbar, Bruno Duriez, Christian Gorini,Robert Locqueneux, Bernard Maitte, Bernard Pourprixet Bernard Van<strong>de</strong>nbun<strong>de</strong>r pour leur participationà l’élaboration <strong>de</strong> ce cycle.Plus d’informations :www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>Programme détaillé disponible à l’<strong>Espace</strong>Culture.Conférences« Enjeux éthiques <strong>de</strong> la rechercheaux interfaces Nano/Bio/Info »En partenariat avec le Campus« Intelligence Ambiante »et le Centre d’Éthique Médicale(Université Catholique <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>)u Le point sur les avancées scientifiquesdans les différentes disciplinesJeudi 15 novembre à 18h30Par Louis Laurent, Chef du département« Matière et Information » àl’Agence Nationale pour la Recherche.u Les grands courants <strong>de</strong> l’éthiqueaujourd’huiJeudi 17 janvier à 18h30Par Catherine Larrère, Professeurà l’Université <strong>de</strong> Paris I.u Aperçu <strong>de</strong>s problèmes éthiquessoulevés par les nanotechnologiesJeudi 31 Janvier à 18h30Par Berna<strong>de</strong>tte Bensau<strong>de</strong> Vincent,Professeur à l’Université Paris X.u Le point <strong>de</strong> vue d’un industrielJeudi 13 mars à 18h30Par Laurent Gouzènes, Directeurdu Plan et <strong>de</strong>s Programmes, ST Microelectronics.45


LNA#46 / au programme / réflexion-débatCycle Les secrets <strong>de</strong> la matièreOctobre 2007 – mai 2008RENDEZ-VOUS D’ARCHIMÈDEu Une matière sans qualités ?Gran<strong>de</strong>ur et limites du réductionnismephysiqueMardi 16 octobre à 18h30Par Jean-Marc Levy-Leblond, Physicienet essayiste, professeur émérite<strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Nice, directeur <strong>de</strong>la revue Alliage.Animée par Nabil El-Haggar, Viceprési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> l’USTL, chargé <strong>de</strong> laCulture, <strong>de</strong> la Communication et duPatrimoine Scientifique.u L’atomisme aux débuts <strong>de</strong> lascience mo<strong>de</strong>rneMardi 13 novembre à 18h30Par Françoise Balibar, Historienne <strong>de</strong>ssciences, physicienne, professeur émérite<strong>de</strong> physique à l’Université Paris VII- Denis Di<strong>de</strong>rot.Animée par Rudolf Bkouche, Professeurémérite <strong>de</strong> l’USTL.u Cinéma : une dématérialisationrelative ?Mardi 4 décembre à 18h30Par Jean-Michel Frodon, Directeur <strong>de</strong>la rédaction <strong>de</strong>s Cahiers du cinéma.Animée par Jacques Lemière, Professeuragrégé <strong>de</strong> sciences sociales, Clersé,USTL.u La vision chimique <strong>de</strong> la matièreMardi 18 décembre à 18h30Par Bernard Joly, Professeur <strong>de</strong> philosophieet d’histoire <strong>de</strong>s sciences àl’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 3.u Le matérialisme historiqueMardi 22 janvier à 18h30Par Jean Salem, Professeur d’histoire<strong>de</strong> la philosophie à l’Université <strong>de</strong>Paris I - Panthéon-Sorbonne, directeurdu Centre d’Histoire <strong>de</strong>s Systèmes<strong>de</strong> Pensée Mo<strong>de</strong>rne.Conférence animée par Bruno Duriez(sous réserve), Sociologue, directeur <strong>de</strong>recherche au CNRS, Clersé, USTL.u La notion d’énergie, <strong>de</strong> sa naissanceà E = mc²Mardi 5 février à 18h30Par Bernard Pourprix, Physicien ethistorien <strong>de</strong>s sciences à l’Université <strong>de</strong><strong>Lille</strong> 1.Animée par Robert Locqueneux,Professeur émérite à l’Université <strong>de</strong><strong>Lille</strong> 1 et historien <strong>de</strong> la physique.u Explorer la matière aujourd’huiMardi 4 mars à 18h30Avec Michel Crozon, Physicien,directeur <strong>de</strong> recherche émérite auCNRS et Michel Paty, Directeur <strong>de</strong>recherche émérite au CNRS (EquipeRehseis, UMR 7596, CNRS etUniversité Paris 7 - Denis Di<strong>de</strong>rot).Animée par Bernard Pourprix.u La matière aux frontières <strong>de</strong> la vieVivre et connaître comme processusauto-organisateursMardi 25 mars à 18h30Par Henri Atlan, Professeur émérite<strong>de</strong> biophysique aux Universités <strong>de</strong> Pariset Jérusalem, directeur d’étu<strong>de</strong>s àl’École <strong>de</strong>s Hautes Étu<strong>de</strong>s en SciencesSociales, directeur du centre <strong>de</strong> recherchesen biologie humaine <strong>de</strong> l’hôpitalHadassah <strong>de</strong> Jérusalem.u La matière, XVII ème -XIX ème sièclesMardi 22 avril à 18h30Par Bernard Maitte, Professeur d’histoireet d’épistémologie <strong>de</strong>s sciences àl’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1 - UMR Savoirs,Textes et Langage.Animée par Robert Locqueneux.u L’esthétiqueMardi 6 mai à 18h30Avec Georges Didi-Huberman, Philosopheet historien <strong>de</strong> l’art, enseignantà l’École <strong>de</strong>s Hautes Étu<strong>de</strong>s en SciencesSociales et Alain Fleischer, Écrivain,cinéaste et artiste, directeur du Fresnoy,Studio national <strong>de</strong>s arts contemporains(sous réserve).Remerciements à Rudolf Bkouche, Jean-MarieBreuvart, Alain Cambier, Gilles Denis, FrançoiseDubois, Rémi Franckowiak, Robert Gergon<strong>de</strong>y,Jacques Lemière, Robert Locqueneux, BernardMaitte, Bernard Pourprix, Bernard Van<strong>de</strong>nbun<strong>de</strong>r,Jean-Pierre Vilain et Georges Wlodarczak pourleur participation à l’élaboration <strong>de</strong> ce cycle.Plus d’informations :www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong>Programme détaillé disponible à l’<strong>Espace</strong>Culture.46


au programme / réflexion-débat / LNA#46Utopia, Thomas More, Louvain, 1516Question <strong>de</strong> sens 2007/08 :Utopie et altermondialisme« Pourquoi ne pas imaginer le meilleur ?On n’a aucune chance d’arriver aumeilleur si on ne l’a pas d’abord imaginé.D’ailleurs, c’est ce que nous faisons.Il y a d’une part un progrès moral <strong>de</strong>l’humanité et cela est une conséquence<strong>de</strong>s utopies que nous avons imaginéesen amont. Tout ce qu’on a obtenu (lafin <strong>de</strong> l’esclavage, la démocratie, la libération<strong>de</strong> la femme...) a d’abord étéimaginé par <strong>de</strong>s utopistes, à une époqueou personne n’y croyait. Tout est possiblemais rien n’est garanti. À nous <strong>de</strong>faire exploser la diversité plutôt que <strong>de</strong>suivre le troupeau ».Pierre LevyExpositionUtopie : la quête <strong>de</strong> la société idéaleen Occi<strong>de</strong>ntSource : Bibliothèque Nationale <strong>de</strong> Francehttp://expositions.bnf.fr/utopie/in<strong>de</strong>x.htmDu 2 au 31 octobreL’utopie n’est pas un impossible chemin,une simple vue <strong>de</strong> l’esprit. Elle n’est pasun non-lieu imaginaire.L’utopie, à travers les siècles, et <strong>de</strong>puisThomas More (1516), est une tentativepour conjuguer tous les possibles. Lerêve recommence toujours à construireune cité idéale, à imaginer une sociétédifférente.Rêver un mon<strong>de</strong> avant d’accomplir uneaction pour le rendre possible, imaginerune société humaine avant toute actionpolitique, <strong>de</strong>ssiner un avenir lorsque lesforces <strong>de</strong> mort et <strong>de</strong> tyrannie décimentle mon<strong>de</strong>.Au cœur <strong>de</strong> l’utopie, cette force <strong>de</strong>l’imagination et <strong>de</strong> la fiction, cette capacitéhumaine <strong>de</strong> transcen<strong>de</strong>r le réelpour projeter un avenir plus radieux.Conférences« Facettes d’utopie » - 1 ère partieu Qu’est-ce que l’utopie ?Jeudi 18 octobre à 18h30Par Michèle Riot-Sarcey, Professeureà l’Université <strong>de</strong> Paris VIII, historiennespécialiste <strong>de</strong> l’utopie.Le mot « utopie » a un sens polysémique.Il n’y a pas <strong>de</strong> définition univoque <strong>de</strong>l’utopie, mais une multiplicité d’interprétations.On a voulu proclamer la mort <strong>de</strong>s utopiessans prendre appui sur les besoins<strong>de</strong>s contemporains, cependant, « Leprincipe espérance », cher à Ernst Block(1885-1977), semble renaître dans notremo<strong>de</strong>rnité. Il s’agit <strong>de</strong> ressaisir la dimensioncritique <strong>de</strong> l’utopie, à l’écart <strong>de</strong>tout ordre dogmatique, libéral ou totalitaire,qui autorise à penser qu’un autremon<strong>de</strong> s’esquisse.Tiré <strong>de</strong> l’avant-propos du Dictionnaire <strong>de</strong>s utopies,Michèle Riot-Sarcey, Larousse, mars 2006.u Un espace pour l’utopie : la villeJeudi 22 novembre à 18h30Par Roland Castro, Bâtisseur d’espacepublic, fondateur et lea<strong>de</strong>r du Mouvement<strong>de</strong> l’Utopie Concrète (MUC).Roland Castro est à l’origine <strong>de</strong> l’opération« Banlieues 89 ». Son activitémultiforme privilégie toujours la question<strong>de</strong> l’espace public. Il préconise unretour à la rue, à la place, au jardin,à l’avenue, pour le bien <strong>de</strong> l’usager. Ilveut créer un « Grand Paris » : déménagerles lieux <strong>de</strong> pouvoir en banlieue etcréer <strong>de</strong> nouveaux centres dans la ville(http://www.castro<strong>de</strong>nissof.com).En avril 2002, il lance le Mouvement<strong>de</strong> l’Utopie Concrète et ses 89 propositionspour restaurer le lien social(http://www.utopiesconcretes.org/).u « Je fais un rêve... la non-violence »Jeudi 20 décembre à 18h30Par Éric Mahot, Formateur à l’institut<strong>de</strong> recherche, d’Information et <strong>de</strong>Formation du Mouvement pour uneAlternative Non-violente du Nord-Pas<strong>de</strong> Calais (IFMAN).En 1963, Martin Luther King commençaitun discours qui allait <strong>de</strong>venircélèbre par « I have a dream... ». Plus<strong>de</strong> quarante ans après, nous continuonsd’avoir <strong>de</strong>s rêves pour que, petità petit, l’utopie d’une <strong>culture</strong> <strong>de</strong> nonviolences’inscrive dans notre réalité.Pas <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s révolutions, mais <strong>de</strong>petites réalisations et <strong>de</strong> petites avancéesqui permettent <strong>de</strong> construire unmon<strong>de</strong> plus juste.Après avoir re-précisé ce qu’est la nonviolence(et ce qu’elle n’est pas), et ceque veut dire une <strong>culture</strong> <strong>de</strong> non-violence,nous explorerons cette dimension<strong>de</strong> la non-violence comme utopie.À noterJournée d’étu<strong>de</strong>sEn partenariat local avec le CRDTM(Centre Régional <strong>de</strong> Documentation surle Développement).Samedi 15 mars à partir <strong>de</strong> 9h301 ère partie :L’altermondialisme : une nouvelleutopie ?2 ème partie :Où va l’altermondialisme ?47


<strong>Lille</strong> 1LNA#46 / au programme / théâtreJe suis un voyageursolitaire…Mercredi 10 octobre à 19hPar la Compagnie AcétylcholineMise en scène : Marie-ChristineGroslièreŒuvre plastique : Bram van Waar<strong>de</strong>nbergEntrée libre sur retrait préalable <strong>de</strong>s placesSpectacle proposé dans le cadre <strong>de</strong>la manifestation européenne « LesPhysiFolies »Vous vouliez tout savoir sur la théorie<strong>de</strong> la relativité ?À l’occasion <strong>de</strong> la fête <strong>de</strong> la science,l’<strong>Espace</strong> Culture vous offrira la possibilité<strong>de</strong> comprendre enfin la véritabledimension <strong>de</strong> la pensée d’AlbertEinstein. Mieux, vous pénétrerez nonseulement dans les théories <strong>de</strong> la relativitérestreinte et générale, mais vousassisterez à une très rare démonstration<strong>de</strong> la relativité <strong>de</strong>s relations entrel’art et la science. Comment ?Vous prenez un atome qui graviteautour <strong>de</strong> la pensée et <strong>de</strong> la vie d’AlbertEinstein, ses textes politiques et sacorrespondance.Vous saisissez un<strong>de</strong>uxième atome,qui gravite dansl’univers <strong>de</strong>s artsplastiques, enrecherche <strong>de</strong> l’unité <strong>de</strong>s objets et<strong>de</strong>s êtres humains.Vous avez une interaction forte entreces <strong>de</strong>ux atomes et, par là même, vousaboutissez à un espace-temps <strong>de</strong> lapensée, où les objets, les gestes et lesparoles sont intimement corrélés, oùl’art et la science se répon<strong>de</strong>nt.Ce nouvel espace, singulier, qui ne dureque le temps <strong>de</strong> la représentation, illustreparfaitement la théorie <strong>de</strong> la relativité.Car ce ne sont pas les gran<strong>de</strong>urs,les valeurs, les gestes et les mots quicomptent par eux-mêmes mais bien lesrelations qu’ils entretiennent entre eux.Le grand secret, pour les êtres vivantscomme pour la matière, c’est la relation,l’interaction entre l’espace et le temps,entre le présent et le passé, entre l’êtrevivant et son environnement, entrel’acteur et son décor.> http://meyps.univ-lille1.fr> http://www.physifolies.frOPENWORLDLes Déracinésdu Nouveau Mon<strong>de</strong>Lundi 15 octobre à 19hPar la Compagnie Les TamboursBattantsMise en scène : Grégory CinusEntrée libre sur retrait préalable <strong>de</strong>s placesEn rési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> création du 4 au 14septembreIl est utile, il est nécessaire <strong>de</strong> battretambour dans ce nouveau mon<strong>de</strong>, cet« Open World » pour alerter notre « petitmon<strong>de</strong> » <strong>de</strong>s périls qui le menacent,incendies locaux, pauvreté, chômage,embrasement planétaire du climat,brasier <strong>de</strong>s inégalités entre le nord et lesud, régression du « cerveau disponible »,démembrement<strong>de</strong> nosvaleurs, <strong>de</strong> nos mo<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> nos trèsanciennes solidarités.Open World s’engage allègrement danscette alerte générale, avec un projetthéâtral à <strong>de</strong>ux dimensions « 79 jours »et « déracinés du nouveau mon<strong>de</strong> ».« 79 jours », premier volet rageur et cynique,décrit les ravages économiques,sociaux, écologiques mis en jeu parles multinationales, par le libéralismeérigé en modèle indépassable. Spectacledynamique et festif, à la croisée duthéâtre <strong>de</strong> rue et du concert rock.« Les déracinés du nouveau mon<strong>de</strong> »,second volet, est un poème visuel surl’exo<strong>de</strong>, le voyage, le déracinement,la ligne imaginaire, symbolique maisterriblement réelle : la frontière. Lestrajectoires s’entrecroisent, dans cetteapproche sensible du mon<strong>de</strong> contemporainavec, toujours, cette perte<strong>de</strong> repères, cette métamorphose, en« étranger » alors que la découverted’un mon<strong>de</strong> nouveau imprime unesensation très forte. Avec cette quêtekafkaïenne <strong>de</strong>s « papiers », ces difficultésdu passage sur l’autre rive, alorsque l’on a tout abandonné.Spectacle poétique, musical, renforcépar la présence verticale d’un duod’acrobates.Open World - Tambours battantssera en rési<strong>de</strong>nce à l’<strong>Espace</strong> Culture<strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1, comme contrepoint sensibleau cycle <strong>de</strong> conférences sur lafrontière <strong>de</strong>s Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong>et à l’exposition sur les frontièrescréée par le Muséum <strong>de</strong> Lyonet le Centre <strong>de</strong> Culture Contemporaine<strong>de</strong> Barcelone.Quelques surprises vous seront réservéesau gré <strong>de</strong> votre passage à l’<strong>Espace</strong>Culture entre le 4 et le 14 septembre.48


au programme / exposition / LNA#46La biologie à la Faculté <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>(1855-1970)Du 15 septembre au 26 octobreVernissage lundi 8 octobre à 18h30Dans le cadre <strong>de</strong>s Journées du Patrimoine et <strong>de</strong> la Fête<strong>de</strong> la ScienceExposition proposée par l’<strong>Espace</strong> Culture et l’Association <strong>de</strong>Solidarité <strong>de</strong>s Anciens <strong>de</strong> l’USTLAvec la collaboration du Musée d’Histoire Naturelle <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>Ouverture exceptionnelle les 15 et 16 septembre <strong>de</strong> 10h à 12het <strong>de</strong> 14h à 17h. Visites guidées à 10h, 11h, 14h, 15h et 16h.Entrée libreDu lundi au jeudi <strong>de</strong> 9h à 18h et le vendredi <strong>de</strong> 9h à 13h30Visites guidées sur inscription à l’<strong>Espace</strong> CultureFêter la science, c’est aussi fêter sa mémoire et traverserson histoire…Dans le cadre <strong>de</strong> sa politique pour la préservation et lamise en valeur du patrimoine scientifique, l’Université<strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1 propose une exposition sur l’histoire <strong>de</strong> labiologie à la Faculté <strong>de</strong>s Sciences.L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la biologie estintégrée à la Faculté <strong>de</strong>sSciences <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> dès sa fondationen 1854. Parmi les quatrechaires créées à l’époque, lachaire d’histoire naturelle estconfiée au zoologiste Lacaze-Duthiers, également conservateurdu Musée d’HistoireNaturelle.Louis Pasteur, professeur àl’Université et titulaire <strong>de</strong> lachaire <strong>de</strong> chimie, est alorsdoyen <strong>de</strong> la nouvelle Faculté<strong>de</strong>s Sciences. Lors <strong>de</strong> sonpassage à <strong>Lille</strong> (1854-1857), il étudie les phénomènes <strong>de</strong>fermentation et met en évi<strong>de</strong>nce l’existence <strong>de</strong> microorganismesresponsables <strong>de</strong> cette réaction. Ainsi naît lamicrobiologie.Quelques années plus tard, la biologie connaît un développementconstant. En 1873, un laboratoire d’étu<strong>de</strong>s marinesest créé à Wimereux. En 1874, c’est l’Institut <strong>de</strong> Zoologieet, en 1878, une chaire <strong>de</strong> botanique. C’est en 1881 que lachaire d’histoire naturelle <strong>de</strong>vient une chaire <strong>de</strong> zoologie.Suite à la création <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>, le processus d’en-racinement s’achève avec la construction <strong>de</strong> trois instituts,dans le même bâtiment, quartier Saint-Michel : géologie,botanique et zoologie en 1888.Les différents professeurs qui se succè<strong>de</strong>nt alors contribuent àdonner toute sa dimension à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la biologie à <strong>Lille</strong>. Dèsle départ, l’attention est également portée sur l’enseignementet la recherche appliquée pour répondre aux besoins économiquesrégionaux. Face aux besoins <strong>de</strong> l’industrie locale, l’InstitutAgricole est fondé en 1931, l’IAAL (Institut Agricole etAlimentaire <strong>de</strong> <strong>Lille</strong>) actuel en est le prolongement.Aux disciplines traditionnelles <strong>de</strong> la zoologie et <strong>de</strong>la botanique s’ajoutent, avec les années, <strong>de</strong> nouvellesdisciplines. En 1958, la biochimie – disciplinealors plus fréquemment enseignée dansune faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine que dans unefaculté <strong>de</strong>s sciences – est intégrée. Elles’oriente logiquement vers les recherchesbiomédicales puis la biologie moléculaire.Enfin la physiologie animale estintroduite au début <strong>de</strong>s années 60, elleverra se développer ensuite la psychophysiologie.… Remontons le long processus <strong>de</strong>recherche, <strong>de</strong>s découvertes successivesà la science actuelle, et découvrons la biologiedans tous ses états : l’évolution <strong>de</strong> sestechniques et technologies, lesinstruments caractérisant sesdifférentes disciplines (zoologie,botanique, biochimie,physiologie…), l’origine <strong>de</strong>l’observation biologique : lemicroscope et, bien sûr, lafigure emblématique <strong>de</strong> labiologie à <strong>Lille</strong> : Pasteur.Organisateur <strong>de</strong> l’exposition :A. Dhainaut.Coordination technique :G. Séguier et A. Matrion.Collaborateurs scientifiques :J.P. Couillerot, P. Delorme, J. Krembel.Crédits Photos Histoire :Base images LIBRIS-Nord-Pas <strong>de</strong> Calais.Laboratoire CNRS 8529-IRHIS-<strong>Lille</strong> 3.Crédits Photos Objets : ASA-USTL.49


LNA#46 / au programme / concertMercredi 17 octobreà 12h30Entrée libre sur retrait préalable <strong>de</strong>s placesAvec :Lan Huong DUONG THI : Dan TranhDinh Du NGUYEN KHAC : Dan BauTien Dung DUONG : Dan NguyetOlivier BENOIT : guitare électriqueSébastien BEAUMONT : guitare acoustiqueJulien FAVREUILLE : sax ténor et sopranoPeter ORINS : batterieLes <strong>culture</strong>s du mon<strong>de</strong> se frottent, se mélangent, secombinent, se métissent, créent et recréent sans cesse<strong>de</strong> nouveaux territoires, dans un mouvement d’une extrêmevivacité. Le jazz lui-même, dans ses multiplesdémarches, novations, improvisations, du jazz d’origineau free jazz, est l’heureuse combinaison d’apports et <strong>de</strong>traditions diverses, d’ouvertures renouvelées aux sonoritésdu mon<strong>de</strong> dont la démarche du collectif Circumtémoigne d’une exemplaire manière.En 2006, les étonnants explorateurs <strong>de</strong>s musiques dumon<strong>de</strong> se lancent un incroyable défi. Les quatre musiciens<strong>de</strong> <strong>Lille</strong>, Olivier Benoit, Sébastien Beaumont,Julien Favreuille et Peter Orins pérégrinent au centredu Vietnam où, pendant un mois, ils travaillent avectrois musiciens traditionnels pendant le festival <strong>de</strong>Hué. Le défi majeur dans ce qui apparaît comme uneimpossible rencontre entre <strong>de</strong>ux continents musicauxéloignés dans l’espace et le temps. Et pourtant, le miraclese produit. Entre les guitares, le saxo, la batterie<strong>de</strong> l’univers du jazz, les cithares et le luth traditionnels,le fertile échange s’initie et se développe, engendrant<strong>de</strong> nouvelles formes musicales, bâtissant <strong>de</strong> nouveauxrépertoires, créant <strong>de</strong> nouveaux domaines sonores.En 2007, l’échange s’inverse. Les musiciens vietnamiensseront à <strong>Lille</strong>, pour poursuivre et amplifiercette étonnante aventure musicale. <strong>Lille</strong>/Hué et retour,l’exemplaire démonstration que l’ouverture à <strong>de</strong>sformes qui paraissent les plus lointaines sont aussi lesaventures artistiques les plus fertiles.La belle démonstration que le dialogue entre les <strong>culture</strong>sest la véritable promesse <strong>de</strong> notre avenir.50


au programme / concert / LNA#46Phil Minton’s Feral ChoirAteliersLundi 22 octobre à 19h - <strong>Espace</strong> CultureMardi 23 octobre à 19h - Antre-2Ateliers ouverts à tous - Entrée libre sur inscription à l’<strong>Espace</strong> CultureConcertMercredi 24 octobre à 19h - <strong>Espace</strong> CultureEn partenariat avec le festival Les Chants mécaniques/Audioframes,le Crime, Circum et l’Antre-2 (Service <strong>culture</strong>l <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 2).Entrée libre sur retrait préalable <strong>de</strong>s placesÀ la frontière <strong>de</strong> nouveaux territoires vocauxLibre passeur <strong>de</strong>s frontières, électron libre <strong>de</strong>s scènes européennes collaborantavec nombre d’artistes <strong>de</strong> la musique improvisée, turbulent chanteur dugroupe 4 Walls, aussi à l’aise dans la musique que dans le théâtre, PhilMinton se joue <strong>de</strong>s limites, seuils, normes <strong>de</strong> l’expression vocale traditionnelle.Du lyrisme le plus raffiné aux vocalises les plus étranges, explorantsans cesse <strong>de</strong> nouveaux territoires sonores, à la limite <strong>de</strong> la rupture.Territoires étranges, inattendus, paysages vocaux en équilibre instable,où le corps et la voix créent <strong>de</strong>s ouvertures vers d’étonnants rivages, <strong>de</strong>sascensions fulgurantes, <strong>de</strong>s gouffres profonds, avec la seule résonance <strong>de</strong>l’organe vocal. Un passage frontalier au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s notes et <strong>de</strong>s mots.Mais Phil Minton ne se contente pas <strong>de</strong> passer les frontières sonores, il entendaussi passer les frontières et normes sociales qui divisent et séparentles amateurs <strong>de</strong>s professionnels ou plutôt ceux qui laissent leurs voix enfriche et ceux qui cultivent leurs organes vocaux comme précieux instruments<strong>de</strong> musique. Les dizaines d’ateliers mis en œuvre par Phil Mintonà travers le mon<strong>de</strong> témoignent <strong>de</strong> la possibilité <strong>de</strong> franchir les frontières<strong>de</strong> la voix humaine pour tous ceux qui ignoraient jusque-là les possibilitésoffertes par leur propre organe vocal. Non pas seulement comme pédagogiedu chant, mais bien la voix, comme libre résonance, comme jouissiveet spontanée ouverture, vers <strong>de</strong>s territoires vocaux inattendus.LES CHANTS MÉCANIQUES/AUDIOFRAMES8 ème festival transfrontalier dédié àl’univers <strong>de</strong>s installations sonores etautres machines bruitistesMaison Folie <strong>de</strong> Moulins / <strong>Lille</strong>11 octobre - 11 novembre 2007Avec Sophie & Juliette Agnel &Catherine Jauniaux, Artificiel,Circum, Manu Holterbach, KristofK. Roll, Thierry Madiot & Ziph,Paul <strong>de</strong> Marinis, Ouïe Dire, ArnaudPaquotte, Gabriel Séverin, ErwinStache, Don Ritter, Irmin Schmidt& Kumo, Sub Rosa, Winter Family.Co-production BAZAR & MaisonFolie <strong>de</strong> MoulinsEn partenariat avec le CRIME etl’USTL47/49 rue d’Arras, <strong>Lille</strong>Infos : 03 20 95 08 82Métro Porte d’Arras ou bus Citadine(arrêt Douai/Arras)Exposition ouverte du mercredi audimanche <strong>de</strong> 14 à 19hPhil Minton propose un atelier d’improvisation vocale, non seulement<strong>de</strong>stiné aux férus <strong>de</strong> ce genre d’excentricités buccales, mais également àtous ceux qui veulent s’essayer à cette liberté d’expérimentation musicale.Le fruit <strong>de</strong> ce travail d’atelier sera présenté le mercredi 24 : concert du« Feral Choir » à 19h animé par Phil Minton avec l’ensemble <strong>de</strong>s participants.Après Le Québec, les États-Unis, l’Allemagne, Paris, un concert à nepas manquer.51


LNA#46 / au programme / théâtrePièces détachées/OulipoMercredi 14 novembre à 19hPar le Théâtre <strong>de</strong> l’ÉveilEntrée libre sur retrait préalable <strong>de</strong>s placesMise en scène : Michel AbecassisAvec : Nicolas Dangoise, Pierre Ollier, Olivier SalonTextes <strong>de</strong> : Marcel Benabou, Françoise Cara<strong>de</strong>c, Paul Fournel, Michelle Grangaud, Jacques Jouet,Hervé Le Tellier, Harry Mathews, Ian Monk, Oskar Pastior, Georges Perec, Raymond Queneau,Jacques Roubaud, Olivier SalonPhoto : M.E GrardDes mots qui swinguentDes mots qui bégaientDes mots qui décollentDes mots qui donnent le vertigeDes mots qui voyagentDes mots qui se cachentUne orgie <strong>de</strong> mots.Né <strong>de</strong> la rencontre improbable <strong>de</strong> mathématiciens et d’écriverons(sic) le 24 novembre 1960 sous le nom <strong>de</strong> co<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Oulipo (Ouvroir <strong>de</strong>Littérature Potentiel), l’ouvroir va enfin re-naître, se ré-activer, se recompositionnerà <strong>Lille</strong>, sous l’impulsion <strong>de</strong> Michel Abecassis et du Théâtre <strong>de</strong> l’Éveil. L’éveil seramœlleux, soyeux, mélodieux avec Pierre Ollier, chanteur, comédien, Nicolas Dangoiseet Olivier Salon, comédiens oulipiens, qui vous introduiront à l’olympe <strong>de</strong> la« littérature en quantité illimitée potentiellement productible » avec les textes <strong>de</strong>Raymond Queneau, Georges Perec, Jacques Roubaud et bien d’autres encore. Unlabyrinthe jouissif <strong>de</strong> mots détournés, re-tournés, cassés, recollés, dont le soufflelibérateur vous permettra d’entrer <strong>de</strong> plain-pied dans l’univers loufoque, burlesque,humoristique d’un espace-temps où « mathématiciens et littérateurs, littérateursmathématiciens, mathématiciens littérateurs » se font la courte échelle, à moinsqu’ils ne jouent à saute-mouton.JournéearchimédoulipienneUn atelier d’écritureproposé par l’associationlilloise Zazie Mo<strong>de</strong>d’Emploi se déroulerac e 14 novembreà l’<strong>Espace</strong> Cultureà partir <strong>de</strong> 10 h.Atelier ouvertà tous.Entrée libreInscriptions au03 20 43 69 09La valse <strong>de</strong>s livresSamedi 20 octobre <strong>de</strong> 10h à 17hVous aimez les livres, vous en achetez,vous les gar<strong>de</strong>z, puis un jour ilsvous encombrent.Ne soyez plus égoïstes.Ne soyez plus l’obsessionnel collectionneurd’ouvrages dépareillés.Ne soyez plus la fourmi peu prêteuse.Entrez dans la valse <strong>de</strong>s livres.Au premier temps <strong>de</strong> la valse, vousdéposez à l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1vos livres, volumes, albums, dontvous n’avez plus l’usage.Au <strong>de</strong>uxième temps <strong>de</strong> la valse, vouschoisissez un livre ou <strong>de</strong>s livres dontvous rêviez peut-être <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>sannées et vous l’emportez gratuitement,librement.Au troisième temps <strong>de</strong> la valse. Iln’y a pas <strong>de</strong> troisième temps, maisun libre système d’échange, <strong>de</strong> dialogueoù vous avez aussi la possibilitéd’emporter <strong>de</strong>s livres sans enavoir déposé.Soyez curieux, venez voir.Une occasion unique d’échanger<strong>de</strong> multiples plaisirs sans débourserun « rond ».Dépôt possible à partir du lundi15 octobre.52


<strong>Lille</strong> 1Valentina bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s nuagesJeudi 29 novembre à 19hau programme / théâtre / LNA#46Mise en scène : Esther MolloAvec : Esther Mollo et Amalia ModicaEntrée libre sur retrait préalable <strong>de</strong>s placesSpectacle proposé par Les PhysiFolies dans le cadre <strong>de</strong> la Fête <strong>de</strong> la ScienceEuropéenneUn corps dans l’espace – un corps <strong>de</strong> femme – le corps d’une astronaute,Valentina Terechkova, à bord du vaisseau spatial Volstok 6. La premièrefemme dans l’espace le 16 juin 1963. Le premier ren<strong>de</strong>z-vous spatial entre unhomme et une femme puisque le colonel Bykovski la rejoindra là-haut cinqjours après le lancement <strong>de</strong> Vostok 6.- Un corps dans le temps. En 2006, Valentina fait du tricot, en attendant queson ange gardien revienne <strong>de</strong>s courses, <strong>de</strong>vant un mur <strong>de</strong> valises dont chacunecontient une parcelle <strong>de</strong> mémoire, <strong>de</strong> sensations, <strong>de</strong> couleurs, d’o<strong>de</strong>urs,<strong>de</strong> sons, <strong>de</strong> son passé.> http://meyps.univ-lille1.fr> http://www.physifolies.fr- Des corps sur scène, ceux <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux interprètes, Esther Mollo et Amalia Modica,qui recomposent la mémoire <strong>de</strong> cette héroïne et font résonner l’événementmagique mais historique, avec cette appréhension <strong>de</strong> l’apesanteur, du vi<strong>de</strong>, <strong>de</strong>l’espace infini. Laurent Ostiz articule le décor sonore avec une singulièreappréhension, lui aussi, <strong>de</strong> l’espace... sonore.Cette très sensible approche <strong>de</strong> l’espace et du temps mis en scène, spatialiséspar Esther Mollo qui anime le Théâtre Diagonale, est aussi une tentative <strong>de</strong>combinaison spatio-temporelle <strong>de</strong> l’aventure scientifique et <strong>de</strong> l’aventure artistique.Une récidiviste puisqu’elle a déjà réalisé « Bulles » sur la poésie <strong>de</strong>smathématiques, coproduit par l’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1. En tous les cas, une démarchesingulière, qui traverse les frontières et donne au rôle <strong>de</strong> la femme dansla société son envol, son espace et son temps, sa mémoire et son dépassement.53


LNA#46 / au programme / expositionFrontières images <strong>de</strong>Du 26 novembre au 8 févrierVernissage le lundi 26 novembre à 18h30Au moment historique où les frontières semblent disparaîtreen Europe, où la mondialisation se joue <strong>de</strong>sfrontières, où les technologies <strong>de</strong> communication franchissent,en temps réel, les anciennes limites politiquesnationales, faut-il évoquer à nouveau la question et lagéopolitique <strong>de</strong>s frontières ?© Patrick Bard / editingserveur.comPour y répondre, il faut franchir l’impalpable frontière, lesredoutables déchirures du mon<strong>de</strong> contemporain. Reprendreles images <strong>de</strong>s réfugiés à Sangatte, où celles, plus terriblesencore, <strong>de</strong>s cadavres flottant dans le détroit <strong>de</strong> Gibraltar,pour comprendre que les frontières sont <strong>de</strong>venues une questionessentielle.Cette exposition donne toute son ampleur à cette question,toute sa dimension, à la fois douloureuse et sensible, à traversl’amplitu<strong>de</strong> accordée aux témoignages, aux images, auxvidéos pour explorer ces limites territoriales, ces espaces singuliersoù l’on passe du <strong>de</strong>dans au <strong>de</strong>hors, <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntique àl’altérité.© Eric Roux-FontainePour les géographes, une frontière est « une limite politiqueentre <strong>de</strong>ux états », un front stabilisé par un traité juridiqueinscrit sur une carte et borné sur le terrain. Mais les frontièressont en mouvement. En Europe, 9000 kilomètres <strong>de</strong>frontières ont été supprimés en 1989 et 14000 kilomètres<strong>de</strong> frontières découpent toujours la planète, selon <strong>de</strong>s lignes<strong>de</strong> fractures qui sont autant <strong>de</strong> fronts, au Kosovo, en Bosnie,au Caucase, au Cachemire, au Maroc ou en Algérie.La forme ultime <strong>de</strong> la frontière est la clôture, comme cellequi sépare les États-Unis du Mexique, la partie grecque <strong>de</strong>la partie turque à Chypre, ou les Palestiniens <strong>de</strong>s Israéliens.Ce mouvement <strong>de</strong> fermeture et d’ouverture, <strong>de</strong> coopérationet <strong>de</strong> guerre, est aussi un lieu <strong>de</strong> fascination, un espace imaginaireet symbolique où se joue et se noue la question <strong>de</strong>l’i<strong>de</strong>ntité.Le public est convié, avec cette exposition claire, précise, remarquablementdocumentée, à un voyage émouvant à traversphotos-reportages, témoignages sonores, textes, vidéoset gran<strong>de</strong>s cartes tracées à la main.54© Nicolas Righetti


au programme / exposition / LNA#46vie entre les lignesCréée au Muséum <strong>de</strong> Lyon, l’exposition a ensuite étéprésentée au Centre <strong>de</strong> Culture Contemporaine <strong>de</strong>Barcelone. L’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1constituera la troisième étape <strong>de</strong> ce projet, qui a attiréà Lyon 8000 visiteurs par jour.En parallèle au cycle <strong>de</strong>s Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> consacréà la frontière, une conjugaison sur une question crucialeest proposée. Les frontières naissent, meurent, se déplacent,mais les questions qu’elles soulèvent dépassent les traditionnellesfrontières nationales. Des frontières plus invisibles,imperceptibles ne sont-elles pas en train <strong>de</strong> naître à l’intérieur<strong>de</strong>s nations ? Les villes sont <strong>de</strong> plus en plus clivéesentre classes sociales, communautés ethniques et religieuses,générations. Entre le sentiment d’appartenance, le rejet<strong>de</strong> l’étranger, se recréent <strong>de</strong>s frontières haineuses qui onttoujours survécu en Europe. Au moment où la mondialisationimpose une certaine uniformisation <strong>de</strong> nos mo<strong>de</strong>s<strong>de</strong> vie, les frontières symboliques, imaginaires et <strong>culture</strong>llesreprennent un rôle majeur.L’<strong>Espace</strong> Culture joue là son rôle d’ouverture, <strong>de</strong> passeur<strong>de</strong>s frontières, entre la science et la cité, entre les fermeturesi<strong>de</strong>ntitaires et l’ouverture du mon<strong>de</strong> contemporain selon cemot <strong>de</strong> Jean-Pierre Vernant inscrit sur l’ancienne frontièrefranco-alleman<strong>de</strong> entre Strasbourg et Khel : « pour qu’il yait véritablement du <strong>de</strong>dans, encore faut-il qu’il s’ouvre surle <strong>de</strong>hors ».Coproduction Département du Rhône/Muséum <strong>de</strong>sConfluences <strong>de</strong> Lyon et Centre <strong>de</strong> Culture Contemporaine<strong>de</strong> Barcelone (Espagne).Muséum :Commissariat général : Michel CôtéResponsable <strong>de</strong>s expositions : Martine Millet / Chargé <strong>de</strong> projet :Hervé Groscarret / Chargée <strong>de</strong> production : Edith JosephCentre <strong>de</strong> Culture Contemporaine <strong>de</strong> Barcelone : Jusep RamonedaAuteur et journaliste : Guy-Pierre Chomette et Louise L. LambrichsAgences photographiques : Signatures, œil Public, Rezo, Sipa PressPoints <strong>de</strong> vue personnalités : Olivier Brachet, Marcel Courthia<strong>de</strong>,Marc Epstein, Gilles Lepesant, Jean-Luc Racine, Jorge SantibanezRomellon, Eyal Sivan, Catherine Withol <strong>de</strong> Wen<strong>de</strong>nScénographie-graphisme : Alice dans les Villes (Clarisse Garcia,François-Xavier Tachet, Jean-Christophe Bouvier et la participation<strong>de</strong> Albane Guy et David Janot)Réalisations audiovisuelles : Pierre Jouishomme, Thierry Cottin-Bizonne,Jean-Michel Borne, Jean-François Santoni, Jean-Michel VinayRecueil <strong>de</strong> témoignages : Dominique Belkis (anthropologue) et SpiroFranguiadakis (sociologue).Michel FOUCHER : Agrégé <strong>de</strong> géographie, docteur ès lettreset sciences humaines, professeur à l’Université Lumière-Lyon 2 <strong>de</strong>puis 1989. Professeur au Collège d’Europe <strong>de</strong>Natolin/Varsovie, consultant pour la Commission Européenne,conseiller <strong>de</strong> la Lyonnaise <strong>de</strong> Banque, chargé <strong>de</strong> missionpour la DATAR, puis conseiller du ministre <strong>de</strong>s Affairesétrangères, directeur du Centre d’Analyse et <strong>de</strong> Prévision duministère <strong>de</strong>s Affaires étrangères et ambassa<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Franceen Lettonie, il est membre du comité scientifique <strong>de</strong> la fondationRobert Schuman et, <strong>de</strong>puis février 2006, ambassa<strong>de</strong>uren mission sur les questions européennes. Il a écrit, dirigé oucontribué à une vingtaine d’ouvrages sur les questions géopolitiqueset la géographie <strong>culture</strong>lle.Henri DORION : A fait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> droit, musique etgéographie. S’est intéressé aux frontières entre les états, entreles arts et les sciences. Directeur <strong>de</strong> la recherche, <strong>de</strong>scollections et <strong>de</strong>s relations internationales au Musée <strong>de</strong> laCivilisation <strong>de</strong> Québec, il a réalisé une quinzaine d’expositionsrelatives à l’histoire ou à l’art. Auteur <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 300publications sur le droit, la géographie, la toponymie, lamusique, la muséologie, il partage actuellement ses activitésd’enseignement et <strong>de</strong> recherche entre Québec et Moscou.Commissaires scientifiques : Michel Foucher et Henri DorionCartographie : Philippe RekacewiczPhotographes reporters : Patrick Bard, Olivier Coret, Marie Dorigny,Olivier Jobard, Nicolas Righetti, Eric Roux-FontainePhotographes plasticiens : Frédéric Sautereau et Michel Séméniako55


A g e n d aRetrouvez le détail <strong>de</strong>s manifestations sur notre site : www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong> ou dans « l’in_edit » en pagescentrales. L’ ensemble <strong>de</strong>s manifestations se déroulera à l’<strong>Espace</strong> Culture <strong>de</strong> l’USTL.*Pour ce spectacle, le nombre <strong>de</strong> places étant limité, il est nécessaire <strong>de</strong> retirer préalablement vos entrées libres à l’<strong>Espace</strong> Culture (disponibles un mois avant les manifestations).Octobre, novembre, décembre 2007Du 15 septembre au 26 octobre Exposition « La biologie à la Faculté <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> » - Vernissage le 8 octobre à 18h30Du 2 au 31 octobre Exposition Question <strong>de</strong> sens : « Utopie : la quête <strong>de</strong> la société idéale en Occi<strong>de</strong>nt »Jeudi 4 octobre 18h Ouverture <strong>de</strong> saison : Présentation <strong>de</strong>s ateliers <strong>de</strong> pratiques artistiques19h Spectacle : « Un brin d’Barbara » par la Cie Emmanuelle BunelLes 9, 16 et 23 octobreMardi 9 octobre14h30 Conférences <strong>de</strong> l’UTL18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les frontières » Conférence introductiveMercredi 10 octobre 19h Théâtre : « Je suis un voyageur solitaire » - Cie Acétylcholine *Jeudi 11 octobre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « À propos <strong>de</strong> la science » « Le vote électronique »Lundi 15 octobre 19h Théâtre : « Open World - Les déracinés du nouveau mon<strong>de</strong> » - Cie Les tambours battants *Mardi 16 octobre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les secrets <strong>de</strong> la matière » « Une matière sans qualités ?Gran<strong>de</strong>ur et limites du réductionnisme physique »Mercredi 17 octobre 12h30 Concert : Hué/Circum *Jeudi 18 octobre 18h30 Question <strong>de</strong> sens : Cycle « Utopie et altermondialisme » « Qu’est-ce que l’utopie ? »Mardi 23 octobre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « À propos <strong>de</strong> la science »« Comment penser les sciences ? »Mercredi 24 octobre 19h Concert : Phil Minton’s Feral Choir *Jeudi 8 novembre 18h Forum <strong>de</strong>s associations étudiantes <strong>de</strong> <strong>Lille</strong> 1Les 13, 20 et 27 novembre 14h30 Conférences <strong>de</strong> l’UTLMardi 13 novembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les secrets <strong>de</strong> la matière »« L’atomisme aux débuts <strong>de</strong> la science mo<strong>de</strong>rne »Mercredi 14 novembre 19h00 Théâtre : « Pièces détachées / Oulipo » par le Théâtre <strong>de</strong> l’Éveil *Jeudi 15 novembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « À propos <strong>de</strong> la science »« Le point sur les avancées scientifiques dans les différentes disciplines »Mardi 20 novembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les frontières » « L’actualité <strong>de</strong> la frontière »Jeudi 22 novembre 18h30 Question <strong>de</strong> sens : Cycle « Utopie et altermondialisme »« Un espace pour l’utopie : la ville »Du 26 novembre au 8 févrierExposition : « Frontières Images <strong>de</strong> vie entre les lignes » Vernissage le 26 novembre à 18h30Mardi 27 novembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « À propos <strong>de</strong> la science » « L’évaluation <strong>de</strong> la science »Jeudi 29 novembre 19h00 Théâtre « Valentina bien au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s nuages » *Les 4, 11 et 18 décembre 14h30 Conférences <strong>de</strong> l’UTLMardi 4 décembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les secrets <strong>de</strong> la matière »« Cinéma : une dématérialisation relative ? »Mardi 11 décembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les frontières » « Frontière et mondialisation »Jeudi 13 décembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « À propos <strong>de</strong> la science » « Le climat »Mardi 18 décembre 18h30 Ren<strong>de</strong>z-vous d’Archimè<strong>de</strong> : Cycle « Les secrets <strong>de</strong> la matière »« La vision chimique <strong>de</strong> la matière »Jeudi 20 décembre 18h30 Question <strong>de</strong> sens : Cycle « Utopie et altermondialisme »« Je fais un rêve... la non-violence »<strong>Espace</strong> Culture - Cité Scientifique 59655 Villeneuve d’AscqDu lundi au jeudi <strong>de</strong> 11h à 18h et le vendredi <strong>de</strong> 10h à 13h45Tél : 03 20 43 69 09 - Fax : 03 20 43 69 59www.univ-lille1.fr/<strong>culture</strong> - Mail : ustl-cult@univ-lille1.fr

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