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VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002VIIe congrès de l’Association françaisede science politiqueLille, 18, 19, 20 et 21 septembre 2002Table-ronde n°4« La radicalisation en politique »Sous la direction deAnnie Collovald et B. GaïtiLa “ radicalisation ” en politique comme modèle explicatif en histoire :l’exemple de l’Histoire d’Angleterre de D. Hume [1754-1762]Claude GautierUniversité Jules Verne de Picardie, Amiens.I. Enoncé du problèmeDans un rapide propos liminaire je voudrais tout d’abord indiquer comment j’entendsévoquer le problème de la radicalisation en politique ; ensuite, justifier l’intérêt que l’onpeut porter aux historiens des Lumières pour comprendre comment il a pu servir de“ modèle ” explicatif pour rendre compte de situations particulières de crise et de changementde conjoncture politique, entre autres lorsqu’il s’agit de décrire des événements comme lesguerres civiles, de religion voire la révolution.Ces historiens ont formé ce que l’on appelle désormais l’Ecole Historique Ecossaise etj’en retiendrais un, tout particulièrement, connu comme philosophe mais célèbre en son tempspour ses écrits historiques ; je veux parler de David Hume et de sa monumentale Histoired’Angleterre.Définition provisoire de la radicalisationMettre en évidence des mouvements de radicalisation en politique revient tout d’abord àprivilégier un type de dynamique où le temps joue un rôle de premier plan, un temps plein,concret et producteur d’effets que l’on peut repérer, par exemple, à travers les anticipations,les représentations et les projections des acteurs, mais aussi à travers le temps du récit, d’unévénement, sa chronologie.Mais la radicalisation ne suggère pas seulement un rapport privilégiée au temps ; elleindique aussi que le type de transformations dont il s’agit porte sur les intensités et sur lagénéralisation de ses effets. On peut dire que la radicalisation est toujours une affaired’intensité : de ce point de vue, par exemple, parler de fanatisme n’est pas la même chose queparler de fanatisation. Dans un cas, et ce n’est pas un hasard, le fanatisme réduit la complexité1

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002d’un phénomène en attribuant des “ états ”, le fanatique, le coléreux, l’intolérant, etc., à desindividus ; substantive et, le plus souvent, moralise ce qui est posé comme une déterminationde la personne ou du caractère. Dans l’autre cas, l’étude empirique permet de décrire lafanatisation comme un processus, comme une construction qui joue sur des circonstances, desactions et des événements. On ne naît pas fanatique, on peut le devenir.“ De nos jours, dit Jules Michelet, j’ai pu observer dans le petit, dans le bas, dans leruisseau de la rue, comment on travaille ecclésiastiquement la haine et l’émeute ” [J. Michelet,1847, 1979 : Histoire de la Révolution Française, Paris, p. 64]. Ainsi s’exprimait-il dans sa“ Préface ” à l’édition de 1847 de l’Histoire de la Révolution Française, à propos de certainsdes événements qui avaient marqué le déclenchement de la guerre de Vendée. La haine, toutcomme le fanatisme, qui n’en est jamais qu’une modalité collective particulièrement opératoire,sont donc des affects qui se “ travaillent ”. Un travail qui a pour résultat d’intensifier, je diraispresque en un sens physique, les quantités de force qui lui sont reliées ; de généraliser, c’està-direde faire en sorte que ce qui n’était que discret, discontinu devienne continu et général et,par conséquent se transforme. De tels processus peuvent relever de ce que l’on appelle“ radicalisation ”.La radicalisation en politique permet donc, entre autres choses, de désigner, dans untemps qui est celui de l’événement, des phénomènes de mobilisation qui supposent des formesd’intensification et de généralisation portant sur des propriétés spécifiques, des passions, maispas seulement, avec pour effet un changement d’état, de rapport des forces, etc.Ainsi entendue, mettre en évidence des phénomènes de radicalisation en politique estpeut être un moyen de rendre compte de la concaténation d’événements à partir desquels senouent des crises comme le déclenchement d’une guerre civile, les dynamiques de fanatisationdans les guerres de religion, etc. Parler en ces termes de radicalisation c’est peut-être se donnerles moyens de comprendre comment l’agencement de certaines circonstances peut permettre àdes conduites singulières, à des comportements particuliers d’avoir un poids causalparticulièrement fort.Décrire des phénomènes de radicalisation en politique exige alors que l’on prenne ausérieux l’agencement des circonstances et la dynamique des conduites parce que dans laradicalisation se joue de manière exemplaire les formes d’une articulation efficace entre cessituations et des conduites de rupture ou d’innovation, qu’elles émanent d’individus ou/et degroupes.Pourquoi les historiens du XVIIIe siècle ?Je serai bref sur ce point compliqué. Je souhaiterais seulement rappeler que ceshistoriens de l’Ecole écossaise ont eu à faire un travail considérable. Il s’agissait, pour laplupart, de décrire les consécutions de faits qui ont abouti aux guerres civiles des années 1640,au Protectorat, à la Restauration puis, enfin, à la Glorieuse Révolution de 1689. Il s’agissait dele faire en inventant de nouvelles formes de narration, de nouveaux dispositifs de présentationplus objectifs, moins soumis aux attractions partisanes, moins susceptibles de récupérationsou de réductions par le pouvoir du souverain.Je ne m’étendrais pas ici sur ce fait que cette période est majeure pour ceux qui ont àécrire l’histoire de la constitution de l’histoire en discipline, en un savoir positif au sensmoderne du terme. Parmi les innovations qui, sur le plan de la méthode tout comme sur celuides interprétations, vont permettre une compréhension plus large, moins polémique et plus2

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002rigoureuse, des événements de la révolution, il en est une qui nous intéresse iciparticulièrement, et qui joue un rôle décisif dans la manière de rendre compte de l’agencementde certaines conjonctures : je veux parler de la radicalisation en politique.Rendre compte de tels phénomènes d’intensification, de généralisation, suppose en effetau moins une condition essentielle : s’interdire de confondre déterminations morales descaractères, des individus, et dynamique objective des événements. Affirmer que certainsévénements trouvent leurs raisons dans des formes de “ radicalisations ” qui, pour êtrecomprises et correctement décrites, exigent de prendre au sérieux le jeu des circonstances, lestypes de conduites émanant de groupes spécifiques ou d’individus, c’est, également,démarquer l’histoire comme discours sur la société politique, de tout ce qui relève de la morale,de la métaphysique ou de l’hagiographie. C’est donner aux faits et à leur dynamique uneimportance de tout premier ordre.Pour le dire autrement, raisonner en terme de radicalisations revient à donner au discoursque l’on tient sur ses objets, les marques d’une véritable positivité. J’ai choisi d’illustrer cesaffirmations à partir d’un auteur dont l’influence, en tant qu’historien, fut considérable, ycompris pour la formation du projet français d’une histoire libérale des années 1820-1850,pour la formation plus tardive de l’histoire positive des années 1870-1914, je veux parler deDavid Hume et de son Histoire d’Angleterre. Cette histoire est rédigée pendant près de dixannées, 1754-1762 et elle fera l’objet de nombreuses modifications jusqu’à sa versiondéfinitive de 1778.Je voudrais justifier ce choix à partir d’un ou deux exemples pour montrer comment cetauteur peut rendre compte de la complexité de certains événements par le moyen de laradicalisation. Le premier exemple portera sur la description d’une dynamique de fanatisationet, si le temps le permet, le second, portera sur une dynamique de montée en généralité par lebiais de l’opinion publique. Dans les deux cas, ce que Hume tente de montrer, c’est que laradicalisation est l’occasion de construire un rapport de force susceptible debouleverser la forme d’une conjoncture politique et de produire des effets radicauxparticulièrement novateurs.II. Le “ travail ” de la haine, la fanatisation comme mouvement de radicalisationIl n'y a pas, dans l’Histoire d'Angleterre 1 de théorie du fanatisme. Ce dernier esttoujours envisagé comme un effet, tout simplement parce que Hume part du postulat selonlequel il convient de renoncer à voir celui-ci comme un attribut. Parler de fanatisme est doncinadéquat ; il conviendra plutôt de raisonner en terme de fanatisation. Il n'y a pas de théoriegénérale mais, au contraire, il y a ce présupposé que l'étude du fanatisme ne peut êtreenvisagée que dans l'univers des pratiques, des conduites et des relations que ces dernièresnouent avec les circonstances qui les rendent possibles.De tels principes reviennent, sur le plan de la démarche, à privilégier le point de vued'une histoire en tant qu'elle est le discours qui donne toute son importance aux jeux descirconstances, déterminations essentielles à l'étude des faits de radicalisation. Le volume V decette Histoire d'Angleterre, consacrée à la fin de la dynastie des Stuart, commence par le règne1- D. Hume [1778] : The History of England, from the Invasion of Julius Caesar to The Revolution in 1688,in six volumes [HE]. On se reporte à l'édition Liberty Classics Edition, Indianapolis 1983. La rédaction de cettehistoire s'étend de 1754 à 1762.3

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002de Charles Ier et tente de comprendre comment il se fait que ce roi, par une série d'erreurs,dans les années 1630, va embraser l'Ecosse presbytérienne et la soulever, religieusement,politiquement bien sûr et, pour finir, militairement, contre son autorité. On peut distinguertrois moments dans cette analyse qu'il convient d'évoquer rapidement.Premier moment : la qualification du double niveau d'analyse de la dynamique defanatisationCe premier moment repose sur la mise en évidence de la collusion entre deux sériesd'événements : d'une côté, un contexte politico-religieux particulièrement tendu ; de l'autre, unesérie de décisions erronées et arbitraires de la part du roi et de ses ministres.- Du côté du contexte d'abord : des relations difficiles entre l'Anglicanisme menacée del'intérieur par les velléités papistes du Roi et de son Archevêque Laud, entre temps devenuConseiller, mais aussi des relations agressives entre l'Eglise d'Etat et le Presbytère qui refusetoujours l'alignement sur les questions du dogme et de la liturgie. A quoi s'ajoute, bien sûr, leproblème lancinant des rapports politiques entre l'Ecosse et l'Angleterre.- Du côté des décisions, des actes déclancheurs ensuite : en 1637 Charles Ier décide d'imposer,par la menace et le recours à la force, l'unification du canon liturgique en Ecosse. Et cettedécision est tout de suite qualifiée par Hume d'arbitraire 2 non pas parce qu'il s'agirait là d'unacte tyrannique, mais parce que cette décision trahit la coupure devenant de plus en plusmanifeste entre l'univers des représentations du roi portant sur ses prérogatives et la nature dulien avec son peuple, celles des représentants religieux et politiques qui prétendent porter lesintérêts du peuple de l'autre.C'est donc à partir de ce double point de vue que Hume va repérer la particularité descirconstances qui déclanchent les mouvements de haine et de fanatisme : d'une part, ce quiappartient au jeu d'une dynamique presque mécanique et plus objective de la concaténationdes mouvements où les situations et les actes produisent des effets ; d'autre part, ce quiappartient au registre de ce qu'on appelle aujourd'hui une certaine compréhension par laquelleon s'identifie aux vues de celui qui agit ou décide.Il devient possible, dans ces conditions, de rendre compte du caractère arbitraire de lapolitique royale en repérant et décrivant la série des actions et réactions qui s'enchaînent etconduisent à l'embrasement. Il s'agit là du second moment de l'analyse.Deuxièmement moment : Le mouvement de la fanatisationpar le jeu des actions et des réactionsIl serait intéressant ici de revenir sur la manière dont Hume agence cette description enmontrant comment la série des actions alimentent des croyances non congruentes quirenforcent, en retour, l'incompréhension réciproque et facilitent l'enrôlement de factions, degroupes au service de la contestation.Ainsi, pour le peuple écossais, conditionné par les membres du clergé, la liturgie qu'onvoulait leur imposer n'était jamais qu'une "sorte de messe" [HE, liii, 112], par le biais delaquelle on réintroduisait toutes "les abominations du papisme" [HE, liii, 112]. De telles2- Voir History of England, Chap. liii, p. 112.4

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002impositions ne pouvaient qu'alimenter la prévention contre le roi et rendre les écossais encoreplus rétifs à toute exigence de soumission.De l'autre côté, refusant de surseoir, le roi renforçait presque mécaniquement lesrésistances écossaises et provoquait une augmentation purement circonstancielle du zèlepresbytérien contre cette “odieuse nouveauté” [HE, liii, 113]. Il s'agissait là, et Hume lemontre avec grande subtilité, non pas du zèle presbytérien en général mais d'une variationmomentanée de son intensité qui va rencontrer et faire écho à des discours et à des actes,lesquels, parés de toute vraisemblance, venaient renforcer des croyances et induire des actions.C'est alors que, je cite :“tout le monde commença à s'unir et à s'encourager mutuellement contre lesreligieuses innovations qu'on voulait introduire en Ecosse" [HE, liii, 113].Cette fédération des actions, en d'autres termes, cette mobilisation est immédiatementdécrite par Hume comme un mouvement d'extension et de généralisation. Non seulement leclergé “déclama” [114] contre le roi, mais toutes les Eglises se mirent à retentir “d'invectivescontre l’antéchrist” [Ibid.]. Bien plus encore, la dynamique des factions politiques allaitpouvoir s'adosser à “la chaleur de la religion” [Ibid.]. Les conditions étaient alors réunies pourque se développent les soulèvements les plus dangereux. Insistant sur le rôle actif des “chefpopulaires”, des “discours en chaire” [116-sq], Hume met en évidence cette dimensionessentielle du déploiement du fanatisme par l'incitation à la haine, objet d'un véritable travailde production et par la radicalisation de ses effets :Aussi n'est-il pas étonnant que Hume accorde une attention particulière à la constitutionpuis au déroulement des réunions de l'“Assemblée de l'Eglise d'Ecosse” qui se tiendra àGlasgow en 1639 [118-sq]. Toutes les règles de composition de ladite assemblée, montreHume, permettaient d'accentuer la représentation et l'impact des plus zélés, des “plus ardentsde chaque ordre qui étaient choisis”. Citons Hume :"pour y préparer les esprits, ils avaient fait présenter au presbytère d'Edimbourg,et lire solennellement dans toutes les églises du royaume, une accusation contre lesévêques, dans laquelle ceux-ci étaient tous chargés d'hérésie, de simonie, de brigue,de parjure, d'adultère, de fornication, d'imposture, de jurements, d'ivrognerie, depassions pour le jeu, etc.” [199]Hume ne s'arrête pas là et montre comment l'efficace de cet agencement desreprésentations était lui même soutenu par un état donné des rapports de force objectifs : d'uncôté, un roi sans force armée réglée ; de l'autre, un peuple qui, enflammé par de religieuses“préventions” et par une “aversion nationale pour l'Angleterre”, cette “vieille ennemie” ; qui,en dépit d'un nombre plus faible de soldats, allait compenser ce handicap par un surcroît deferveur. Citons encore une fois Hume :"Les chaires avaient été d'un très grand secours aux officier pour lever des troupes,et n'avaient pas manqué de lancer des anathèmes sur ceux qui ne partaient paspour assister le Seigneur contre les ennemi de son nom.” [125].Donc d'un côté, une armée au comportement mercenaire, tributaire du versement de lasolde et tiède vis-à-vis des motifs de guerre ; de l'autre, une armée qui se rapprochait de plusen plus, par son esprit, de la milice, doublement motivée qu'elle étaient à vouloir triompher del'ennemi anglais. Nous parvenons au troisième moment de la description du processus.5

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002Troisième moment : l'autonomisation de la dynamique passionnelle vis-à-vis descirconstances qui lui ont donnée naissanceEn effet, après avoir constaté son impuissance de fait, le Roi entre dans une série deconcessions [116-117] qui, loin de satisfaire les opposants, allaient renforcer l’intransigeanceet la violence des chefs religieux et populaires écossais.Dès lors, la dynamique change de nature ; elle parvient à ce moment particulier où lesconditions qui lui ont donné naissance, du moins celles qui l’ont déclenché, cessent de porter lemouvement d’actions et de réactions. Celui-ci s’émancipe, s’autonomise en quelque sorte.Alors, la menace du papisme, par le biais de la réforme du canon, est relayée par une autredynamique affective. Ce qui devient premier, pour ainsi dire, dans l’ordre des motifs, tenait deplus en plus au maintien sinon à la consolidation de l’unité du front ainsi constituée. Raisonpour laquelle les écossais allaient refuser les propositions royales qui, pensaient-ils, n’auraientpas d’autre effet que de les diviser, les affaiblir [118-119].Ce qui devenait premier, dans l’ordre des motifs, était alors la construction d’une unité,la lutte contre le risque de division que la concaténation des passions, par le jeu de la haine etdu mépris, ne pouvait manquer d’alimenter. Dans un tel contexte, la dimension essentiellementaffective et passionnelle des rapports d’opposition devenait susceptible de se reproduire et des’amplifier indéfiniment ; elle parvenait à se décontextualiser voire à s’autonomiser. Alors lejeu des passions devait pouvoir y trouver un nouvel élan et, parce que les circonstances s’yprêtaient, le travail de fanatisation, de généralisation pouvait y produire tous ses effets.Il serait intéressant, ce que je ne ferais pas ici, de montrer comment, dans un tel moment,les fabulations, les inventions et les accusations les plus diverses, portant sur des personnes,sur des actes, mais aussi sur des intentions, vont avoir prise sur les croyances populaires, vontdevenir des médiations parfaitement efficaces pour orienter les actions et les réactions. En unmot, l’agencement les circonstances était devenu tel que les individus, les regroupements dontils étaient susceptibles, pouvaient croire ce qui leur était raconté en chaire, dans les lieuxpublics et trouver ainsi les raisons d’une mobilisation plus générale contre l’Eglised’Angleterre et, par voie d’extension, contre l’Angleterre et tout ce qu’elle représentait auxyeux des Ecossais.La modernité des explications retenues tient, entre autres choses, au souci de tenirensemble l’étude des circonstances et celle des dynamiques affectives. Ces dernières ne sontjamais envisagées pour elles-mêmes mais toujours en relation avec des contextes qui leurdonnent une puissance d’action. Si le fanatisme est un affect social, si l’expression peut avoirun sens, c’est seulement parce qu’il désigne quelque chose de commun à aux hommes qui,adossé à des circonstances particulières, peut se développer sous la forme de conduitesdévastatrices dans leurs effets. En ce sens, analyser les conduites de “ fanatisation ” relèvelégitimement de ces phénomènes de radicalisation en politique au moyen desquels rendrecompte de certains changements de conjonctures politiques.Sur cet exemple précis que j’évoquais, et sans prétendre réduire la complexité des causesqui conduisent à l’affrontement entre l’Angleterre et l’Ecosse pour lequel Hume mobilise unmodèle explicatif plus large, il importe de voir comment la description de certains dispositifspermet d’éclairer empiriquement la manière dont certaines conduites de ruptures peuventacquérir un poids causal et conjoncturel si grand. Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, etHume ne fait pas la confusion, que ces conduites soient à comprendre comme les causespremières de ces événements.6

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002Je voudrais proposer, pour conclure cette présentation, un autre exemple illustrant lafécondité de la démarche et qui montre comment la radicalisation peut encore jouer comme unvecteur décisif de changement de conjoncture, à partir d’une mobilisation particulièrementefficace de ce que l’on appellerait, aujourd’hui, l’opinion du public.III. La popularisation d’une controverseentre le roi et son parlementIl y a quelque chose de résolument moderne dans la façon humienne de déconstruire lemouvement à partir duquel se forge la légitimité de certaines croyances politiques parl’établissement d’un rapport de force qui en permet la généralisation.De ce point de vue, la manière dont le parlement et, plus précisément, la Chambre desCommunes, entendait imposer sur la période 1625-1649, une définition de la représentationlégitime, des croyances en l’existence d’une constitution originelle et authentique portant sur legouvernement mixte, cette manière supposait des formes de radicalisation qui, dans certainescirconstances, allaient permettre d’inverser le rapport des forces entre roi et parlements etcontraindre le premier à résipiscence.L’une des voies de la radicalisation du conflit à partir de quoi obtenir un déséquilibreproducteur d’une conjoncture politique favorable était alors l’instrumentation de l’opinionpopulaire ou, pour reprendre un terme propre à ces historiens, de l’opinion commune. Ils’agissait, en d’autres termes, de construire un rapport au “ public ”, c’est-à-dire de mobiliserle “ public ” au service de certaines croyances. Comment, donc, la controverse qui opposait leRoi et son Parlement depuis des années allait-elle sortir de l’enceinte parlementaire strictosensu pour monter en généralité, c’est-à-dire pour se répandre avec les effets dont elle étaitsusceptible parmi le plus grand nombre ?En 1641, le roi Charles est, une fois de plus, contraint de convoquer un nouveauparlement parce qu’il se retrouve sans argent et que la levée de certains impôts ainsi quel’octroi de divers subsides ne peuvent se faire sans l’accord du parlement. L’état d’esprit de cedernier, qui s’inscrit dans la lignée des précédents parlements convoqués et prorogés, est alorssans ambiguïté. Il s’agissait “ de pousser plus loin les innovations ” 3 en matière de répartitiondes attributs de la souveraineté entre prérogative royale et privilèges du parlement. Ilimportait, pour cela, de construire une confrontation qui lui soit favorable et, dans ce but, deprofiter de l’état d’esprit général qui prévalait en ce début des années 1640.La session s’ouvre, c’était devenu une sorte de rituel depuis le règne de Jacques Ier, surla rédaction d’une remontrance pour énumérer l’ensemble des griefs que le Parlement et lePeuple qu’il affirmait représenter faisaient au roi. Mais ce parlement de 41 fait alors uneinnovation particulièrement redoutable : la remontrance, en effet, “ n’était point adressée auroi ; on y déclarait ouvertement que c’était un appel au peuple ” 4 . Un appel qui donnait autexte une dimension résolument publique, du moins par la nature du destinataire, et réduisait,ipso facto, la position du roi à celle d’un tiers, le mettant dans une sorte d’égalité avec lepeuple.3- HA, V, LVII, p. 220 ; HE, V, LV, p. 350.4- HA, V, LVII, p. 221 ; HE, V, LV, p. 351.7

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002La seconde étape consistait à diffuser le texte même de cette remontrance : “ Quelquestemps après, un ordre de la chambre fit imprimer et publier cette étrange pièce… ” 5 . Hume n’apas de mots assez durs pour en dénoncer le caractère mensonger : “ un grand nombre defaussetés grossières ”, quelques “ vérités évidentes ”, des “ insinuations malignes ”, des“ invectives ouvertes ”, etc. 6 . Autant d’artifices, de mélange insidieux de vérités et demensonges qui témoignent de l’intention des rédacteurs : il s’agissait de pousser le public àprendre position ; il s’agissait de contraindre le roi à réagir. Le résultat ne se fit pas attendre :“ Lorsqu’elle fut répandue dans la nation, elle y excita partout les mêmes disputes violentesqu’elle avait fait naître dans la chambre des communes… ” 7 .La médiatisation par le public a donc pour premier effet d’étendre les principes dedivision entre factions, entre partis qui s’opposaient jusque-là à l’intérieur des chambres, etd’en faire des divisions plus générales. Toujours par souci de renforcer la capacité à peserdans le rapport des forces, de construire par la logique des nombres un désavantage irréversiblepour le roi : “ (a)ussitôt que la remontrance eut été publiée, Charles y fit une réponse qui futrépandue avec le même soin ” 8 . Or, dit encore Hume, “ les oreilles du peuple étaientextrêmement prévenues contre lui ”.En déplaçant le lieu effectif de la controverse de l’intérieur du gouvernement versl’extérieur, en contraignant ainsi le roi à s’expliquer devant le “ public ”, le parlement allaitaugmenter sa capacité à imposer sa conduite au roi ; il allait, également, pouvoir mesurer toutela force de sa popularité, cette dernière prenant, en quelque sorte, le relais objectif dans lacontestation du roi et de son gouvernement : “ L’idolâtrie nationale pour les parlements allaitsi loin, que [Charles] ne pouvait blâmer la conduite de ces assemblées sans indisposergénéralement le peuple 9 . ”Jusque-là contenues dans la sphère relativement étroite et circonscrite de l’enceinte desassemblées et du gouvernement, les maladresses royales devenaient maintenant publiques etbien plus désastreuses dans leurs conséquences : “ Charles avait augmenté les cris quiretentissaient déjà dans toute la nation ” 10 . Le terme du mouvement est presque achevé. Lagénéralisation des divisions, la généralisation de la portée des déclarations publiques faites depart et d’autre, allaient consacrer l’affaiblissement définitif de la position de Charles : “ Rien nepeint mieux la pénible situation de Charles que de le voir obligé de se renfermer dans les bornesde la politesse, avec des sujets qui avaient transgressé toutes les lois du respect et même de labienséance dans leurs procédés envers leur souverain 11 . ”5- HA, V, LVII, p. 223 ; HE, V, LV, p. 352.6- Ibidem : “ On retrace, on aggrave, avec une impitoyable adresse, tout ce que les démarches de Charles avaientproduit de malheureux, d’odieux, de suspect depuis le commencement de son règne. ”7- HA, V, LVII, p. 223, modifié ; HE, V, LV, p. 352 ; on souligne.8- HA, V, LVII, p. 227 ; HE, V, LV, p. 356-357.9- HA, V, LVII, p. 227-228 ; HE, V, LV, p. 357.10- HA, V, LVII, p. 228 ; HE, V, LV, p. 357.11- Ibidem.8

VII congrès de l’AFSP – Lille, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002ConclusionIl est donc des circonstances particulières et exceptionnelles où la généralisation decertaines croyances en politique peut apparaître comme le résultat d’une mobilisation desforces, d’une radicalisation :- par extension soudaine des capacités discursives à construire des idées et des représentationsinédites ;- par accroissement de l’aptitude à garantir ces croyances par de nouvelles autorités, leparlement et les idées de liberté par exemple ;- mais aussi par la capacité accrue à discréditer d’anciennes croyances en la monarchie et l’idéed’obéissance passive par exemple.Des généralisations, donc, qui procèdent par mobilisation et extension, et quiempruntent, en les infléchissant, des vecteurs privilégiés de radicalisation : par exemple, celuides affects dans le cas de la fanatisation et des conflits politique-religieux ; mais aussi cet autrecanal de diffusion et d’intensification des affects qu’est la “ publicisation ” d’une controversedont l’effet recherché est encore de produire des intensités de force par le jeu sur des passionsspécifiques. Ne s’agissait-il pas, tout à l’heure, d’“ exciter ” le peuple ? Or, dit encore Hume,dans “ les gouvernements de nature mixte (qui) sont dans une continuelle fluctuation ; lescaprices du peuple flottent sans cesse d’une extrême à l’autre 12 . ”Il y a donc, pour Hume, dans les sociétés politiques modernes, en l’espèce celle del’Angleterre du 17 e et du 18 e une instabilité constitutive du régime qui pourra être amplifiée,potentialisée par la radicalisation des principes qui en produisent les divisions. Une instabilitéqui ne manquera pas d’être alimentée par ces autres vecteurs de mobilisation affective dupeuple que sont les superstitions religieuses et leur corrélat, le fanatisme. Dans la narration desévénements conduisant à la guerre civile, au Protectorat puis à la Restauration, ces voiesaffectives de la mobilisation des opinions communes y deviennent déterminantes, et ilrevient à Hume d’avoir su en mesurer toute l’importance ; d’avoir su les considérerpositivement comme des “ facteurs ” ou des “ causes ”.Désormais, en ce début des années 1640, “ les circonstances étaient [donc] favorables àl’extension des privilèges ” 13 du Parlement car l’intensification des conflits avec le roi, lerenforcement du caractère public des controverses par généralisation des divisions entre partiscréaient les conditions inédites d’une véritable radicalisation politique.Le jeu des actions et des réactions pouvait produire tous ces effets. Et Hume pouvaitaffirmer : “ l’esprit républicain des communes accrut excessivement l’esprit monarchique de lacour, ce grand progrès du second servit encore à l’augmentation du premier ; et chaque partiaffectant ainsi de donner dans ces extrêmes, par degrés, le juste milieu où la vérité repose futabandonné de tout le monde 14 . ”Radicalisation par excellence qui devait éclairer le contexte dans lequel allaient advenir lespremiers temps de la guerre civile.12- HA, V, LVII, p. 223 ; HE, V, LV, p. 352.13- HA, V, LVII, p. 228 ; HE, V, LV, p.357.14- HA, V, LIII, p. 51 ; HE, V, LI, p. 200.9